Journal de Bord d'Une Solitaire Aguerrie

Published on April 2020 | Categories: Documents | Downloads: 8 | Comments: 0 | Views: 252
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Dimanche 20 décembre 2012, 10h37, District de Papakura, NouvelleZélande, Une formidable et puissante explosion venait d’avoir lieu. Deux longues heures après avoir quitté ce lit si froid et si creux (il faudra qu’elle pense à le signaler à l’accueil d’ailleurs, un hôtel de ce standing !... elle ne leur ferait pas de cadeau dans son rapport en tout cas), une très courte nuit d errière elle - peut-être finalement un réveil matinal prémonitoire - elle entendit un tel vacarme qu’elle ne su dire si cela provenait du dehors ou de la tuyauterie plus que défectueuse de ce bâtiment, vétuste et pourtant pourtant si réputé, de la périphérie d’Auckland. d’Auckland. Ouvrant précipitamment précipitamment les lourds rideaux de velours gris afin d’en avoir le cœur net, elle découvrit une ville rasée, fumante, désolée, aucune âme qui vive dans son champ de vision. La sidération l’emporta sur la surprise de se trouver peutêtre seule dans cette suite, cet hôtel, cette ville pourtant étonnamment étonnamment peuplée, n’entendant aucun signe de vie humaine dans les chambres attenantes. attenantes. Abasourdie Abasourdie et ne sachant plus si le cauchemar était bien réel ou si elle allait enfin pouvoir se réveiller, elle se laissa tomber mollement sur le canapé du petit salon. Elle, pourtant si sereine il y a quelques minutes seulement ! Elle venait de mettre en ligne son dernier rapport concernant l’hôtel de Shanghaï où elle avait séjourné ces trois derniers jours, juste le temps de se faire une idée du service et des prestations vantées vantées sur leur site. Elle n’en avait dit que du bien. Elle n’était  jamais indécise et là, pour la quatrième étape de ce mois de décembre, elle avait mis le paquet ! Le ton était juste, ni trop élogieux, ni trop cassant, assurant assurant ses arrières tout en laissant aux futurs clients le plaisir de la découverte. Ses clients, des millionnaires russes, ne se déplaçaient d’ailleurs jamais pour rien. Il n’était pas question de leur proposer des destinations au rabais. Son premier geste, commençant tout juste à sortir de cette torpeur si pragmatiquement pragmatiquement réelle, fût d’attraper d’attraper sur la table basse, face à elle, le paquet de Dunhill rouge qu’elle venait d’entamer. Les volutes de fumée paressant audessus de sa chevelure encore humide de la douche du matin, son cerveau anesthésié par tant de nouveauté se remis à fonctionner à brides abattues. Bon sang, mais qu’est-ce que c’est que ce délire ! C’est pas Dieu possible ! Une ville rasée sous ses yeux, sans même qu’un seul de ces murs n’ai bougé d’un iota ! Elle qui ne croyait pas en quoi que ce soit, il allait lui falloir réviser son jugement jugement ! Allez ma grande, soyons efficace. Qu’est-ce Qu’est-ce qu’on t’a appris dans ce stage de survie que ta boite a eu la gentillesse de te payer après ton troisième enlèvement ? 1- Essayer par tous tous les moyens, et sans sans risquer risquer sa peau - les ravisseurs n’étant pas toujours toujours très accueillants accueillants et appréciant peu le sens de l’humour – de communiquer avec le monde extérieur, si possible l’ambassade l’ambassade la plus proche. Au pire, donner sa position, au mieux leur raconter ces vacances vacances peu propices au repos afin de leur donner envie de

te rejoindre… et au plus vite ! Là, elle ne risquait pas d’être gênée par ses hôtes, ceux-ci semblant avoir déserté courageusement le navire ! 2- Faire preuve d’organisation et garder avec elle, dans la mesure du possible, de quoi se ravitailler et survivre si elle devait déserter les lieux précipitamment. 3- Se dire qu’on est en vie et qu’on compte bien le rester… pas question de  jouer à la midinette qui n’a pu emporter son Rimmel et son dernier cachemire ou réclamer de l’eau chaude à ses geôliers pour laver ces cheveux fraichement permanentés ! Là, je dois dire que je suis vernie : une suite royale avec écran plat et lit king size… va pas falloir chipoter. 4- Attendre les secours, une fois l’alerte donnée, et ne pas jouer la James Bond girl revêche, je te rappelle qu’elles y ont toutes laissé leur peau.

Dimanche 20 décembre 2012, Hôtel Le Pacifique, 10h43 Elle écrasa sa cigarette dans le gros cendrier en opaline et attrapa la télécommande de l’écran qui lui faisait face. Une image nette apparue, ce qui était déjà un bon début, le son semblant se faire attendre. Elle se mit à zapper, à la recherche de CNN International afin de se prouver une bonne fois pour toute qu’elle ne rêvait pas et qu’éventuellement, le reste du monde n’était pas indifférent à ce qui lui arrivait. Elle fini par tomber sur la chaine en question et, le son étant revenu, elle écouta d’une oreille attentive ce que ce mangeur de hamburger avait à dire sur le sujet. « Une gigantesque explosion s’est produite ce matin, détruisant sur son passage la majeure partie de la ville d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Nous sommes actuellement sans nouvelles d’éventuels survivants dans cette partie de l a ville, les moyens de communications téléphoniques et numériques étant totalement anéantis. Aucune explication plausible n’a pu être donnée par les autorités néozélandaises mais une action terroriste d’un mouvement écologiste n’est pas exclue. Cette ville ayant été citée à plusieurs reprises dans les documents de militants extrémistes circulant sur le net comme étant une cible potentielle contre l’urbanisme effréné et « dangereusement capitaliste », cette éventualité n’est à ce jour pas écartée. Si des ressortissants américains ou européens se trouvent sur place et qu’ils nous entendent, ils doivent se rendre dès que possible dans la partie Nord de la ville où un centre d’accueil d’urgence vient d’être installé afin de leur assurer le ravitaillement avant un éventuel transfert vers leur pays d’origine. Je vous rappelle que vous devez rester calme et, si possible, vous regrouper afin de ne pas être la cible des pillards…. C’était un flash info spécial pour CNN International… ». Elle éteignit le son, s’épargnant les nombreuses pages de publicité, qui, ce matin, prenaient pour elle une bien insipide signification. La voilà rassurée, le monde entier avait les yeux rivés sur elle, et d’autres survivants, apparemment. Elle n’aurait su dire pourquoi mais cela lui procurait un sentiment rassurant, même si la situation était loin de l’être pour autant !

Quel comique, ce monsieur hamburger. Je veux bien y aller moi à son fichu centre mais il ne me semble pas qu’il soit aussi repérable qu’un Mc Donald sur le bord de la route ! Et puis, je ferai bien d’y réfléchir à deux fois. Je me demande s’il ne serait pas plus raisonnable d’attendre les secours. D’autant qu’ils n’ont pas l’air encore très organisés.

Lundi 21 décembre 2012, Hôtel Le Pacifique, 9h23 Après une journée isolée du reste du globe à se torturer les méninges et ne sachant quelle décision prendre, elle avait finalement choisi de jouer la carte de la sécurité. Un petit tour dans les cuisines du soi-disant « palace » (elle n’allait décidemment pas les rater !) lui avait permis d’amasser suffisamment de vivres pour tenir le coup encore quelques jours. Son butin était dorénavant en lieu sur, le mini-bar de la chambre ayant trouvé son utilité… La porte de la « suite impériale » fermée à double tours, elle avait essayé, de longues heures durant, de trouver un sommeil qui ne voulait pas venir. Puis, imperceptiblement, elle avait du s’assoupir au fond d’un lit trop grand pour cet isolement imposé. La lumière éblouissante qui envahissait maintenant la chambre, la tirait péniblement de ses rêves matinaux. « La vie humaine est une rosée passagère », pensa-t-elle. Les docks à l’horizon, elle se laissa porter par ces divagations poétiques auxquelles son esprit encore endormi se livrait les jours de grasse matinée. L’hôtel était plongé dans un silence assourdissant. La vie autour semblait comme suspendue et cet air de fin du monde qui régnait ici, loin de l’effaroucher - ce qui eut paru fort logique au vu des circonstances – lui donnait un avant-goût de profonde solitude, de nécessaire survie dans un monde qu’elle finissait par trouver désespérant de platitude. Elle avait décidé de faire ce métier, parcourant les quatre coins du monde plusieurs fois par an, afin de ne plus se sentir obligée, de faire semblant d’avoir une vie bien rangée, une petite famille bien proprette, une jolie voiture toute neuve l’attendant au fond du garage afin de rallier cet éternel bureau qui la verrait vieillir sans même qu’elle ne s’en rende compte. Elle voulait déjouer le temps, lui faire un pied de nez malgré son inéluctable avancée. Elle avait tout plaqué : son patron d’abord, un vrai con qui ne pensait qu’à se faire bien voir des autorités ministérielles et dont la carrière n’avait d’égale que le mépris pour ses collaborateurs. Elle gagnait pourtant bien sa vie mais elle n’en pouvait plus de mettre ses compétences au service d‘un tel goujat, fusse-t-il un  jour président de la république ! Son ami ensuite, qui, bien qu’intelligent, était d’un ennui à vous faire pleurer un banc de sardines. Son poste de maitre de conférences en génie biomoléculaire à peine accepté, il s’était installé dans une déprimante routine qui semblait parfaitement lui convenir, jamais il ne se posait de questions… Elle avait tenu bon, quelques longues et interminables années, refusant de relâcher sa vigilance et de s’investir dans une mission qui la faisait fuir d’avance :

devenir chargée de famille, et ce, pour le restant de ses jours. Puis un matin, pourtant pas moins inintéressant que les autres, son esprit émergeant doucement d’une tasse de thé encore fumante, elle avait décidé de répondre à cette annonce, si alléchante et faisant écho, chez elle, à tant d’années de frustrations.

Lundi 21 décembre 2012, Hôtel Le Pacifique, 14h59 Il lui avait fallu se faire violence pour s’arracher des ses chaleureuses couvertures, dernier refuge à ce séjour ô combien atypique ! Les yourtes, les tipis, les maisons sur pilotis et autres tentes n’avaient plus de secret pour elle, mais là, il faut bien le dire, cela dépassait toutes ses espérances ! Après un frugal repas de fruits et de céréales, elle avait pu prendre sa douche quotidienne, se demandant encore comment au milieu de ce carnage, elle avait bien pu survivre, l’eau chaude toujours accessible ! Elle allait en parler de cette ville dans son rapport qu’elle imaginait déjà très attendu, elle serait peut-être même la dernière à pouvoir le faire… De quoi lui faire de la publicité pour les deux siècles à venir… si elle en sortait vivante en tout cas ! Son optimisme, habituellement chevillé au corps et qui faisait d’elle un élément très apprécié dans sa boite, commençait sérieusement à prendre l’eau. La télé ne fonctionnait plus, tout au moins n’apparaissaient sur l’écran que de vagues pointillés inutiles, les moyens de communication « terrestres », comme ils disaient dans leur jargon, ne lui étaient pour le moment d’aucun secours… Bref, il allait bien falloir qu’elle aille faire une petite expédition en dehors de l’hôtel, essayer de trouver d’autres âmes qui vivent… Elle prit son petit sac de voyage, usé jusqu‘à la corde mais qui la suivait partout depuis qu’elle avait commencé ce métier, une sorte de superstition pensait-elle, y mis deux trois paquets individuels de céréales et une grande bouteille d’eau. Elle y ajouta son passeport au cas où, enfila un jean et un T-shirt qu’elle avait eu la bonne idée d’emporter et ferma la porte de ce qui était devenu son QG. Elle ne se sentait pas franchement à l’aise, seule dans ce dédale de couloirs et de chambres vides. Elle arriva sur le perron du palace et resta quelques minutes ébahie devant le spectacle de tant de désolation qui s’offrait à ses yeux, éblouis de lumière. Bon sang de bonsoir ! Quel carnage ! Bon sang de bon sang ! Elle ne put retenir un mouvement de recul et de dégoût devant les corps déjà en partie putréfiés qui jonchait le sol au milieu des décombres. C’est pas le moment de tomber dans les pommes ma vieille… Tu ferais mieux de ne pas trop trainer…  Tiens, je vais essayer d’aller faire un tour par là, tout n’a pas l’air d’être complètement détruit… Elle n’en menait vraiment pas large et sursautait au moindre bruit. Une demi-heure déjà qu’elle errait dans le « quartier », si l’on pouvait encore l’appeler comme cela, mais aucune âme qui vive, pas même un chat ou un chien. Elle avait une furieuse envie de crier que si c’était une blague, elle était de très

mauvais goût, et que les plaisanteries les plus courtes… étaient souvent les moins longues ! Mais chacun des cadavres qu’elle croisait sur son chemin lui rappelait qu’elle était désespérément seule et qu’il allait falloir faire preuve d’une grande ingéniosité pour se faire repérer par des secours qui brillaient autant par leur inefficacité que par leur absence. Et ce téléphone qui ne marchait toujours pas ! Ca vaut bien le coup de payer une fortune un forfait interplanétaire pour ne même pas pouvoir joindre qui que ce soit à moins de 100 kilomètres ! Elle sursauta tout à coup… Elle venait d’entendre un bruit dans les décombres

Mardi 22 décembre 2012, Quelque part dans le quartier sud d’Auckland, 4 h23 Elle essayait de se réveiller, péniblement, un mal au crâne de tous les diables lui donnant des nausées qu’elle peinait à contenir. Impossible d’ouvrir les yeux tellement le sommeil ne semblait plus vouloir la quitter. Elle tâtonna autour d’elle, cherchant la couverture qui lui faisait défaut. Le froid commençait à engourdir ses membres douloureux et chacun de ses gestes était un aveu d’impuissance à maitriser ce corps pourtant sportif. Elle finit tout de même par réussir à ouvrir un œil. Puis l’autre… Où était-elle ? Pas chez elle en tout cas, ah oui, c’est vrai, elle était en ce moment sur une mission en Nouvelle-Zélande… Le palace… mais… c’était pas sa chambre là !… et que faisait-elle endormie sur ce grabat de fortune…. Ressaisis-toi, ma grande… Réfléchis un peu… L’explosion, le palace épargné, son escapade au dehors… ce bruit dans les décombres… et puis, plus rien… Mercredi 23 décembre 2012, Moscou, 10h16 Elle avait dû se rendormir… C’était la faim qui, maintenant, la sortait de ce profond sommeil. Elle émergeait très doucement, découvrant la pièce dans laquelle elle était. Elle n’y comprenait plus rien… Il lui semblait pourtant bien être dans un hôtel – fort luxueux, qui plus est - mais rien dans cette chambre ne ressemblait moins à la suite dont elle avait fait son quartier général…. Et puis cette neige qu’elle voyait tomber à gros flocons à travers la porte-fenêtre l’intriguait doublement… Qu’est-ce que c’est que ce bazar... ! Il ne risque pas de neiger ici, même en plein mois de décembre… Serai-je en train de rêver, une vraie manie en ce moment. Pourtant… ce grand lit à baldaquin… cette très belle et immense chambre… ces draps si soyeux… non, vraiment, le rêve était bien réalité... On frappa à la porte. Celle-ci s’ouvrit, sans même qu’elle n’eu le temps de répondre, laissant apparaître un assez bel homme, âgé d’une quarantaine d’années, uniforme de maître d’hôtel tiré à quatre épingles et plateau garni à la main.

Si son avocat avait dit juste, il ne lui restait aujourd’hui « que » quarante deux  jours avant de sortir. Elle ne savait pas encore ce qu’elle allait faire « après ». Son patron lui avait réitéré son soutien à plusieurs reprises et il lui avait confirmé qu’il garderait sa place au chaud jusqu’à son retour… mais elle ne savait plus vraiment si c’était ce qu’elle voulait. Elle n’avait pas envie de la pitié ni du regard condescendant de ses collègues, qui, le sourire de bienvenue aux lèvres, ne pourraient s’empêcher de penser du fond de leur conscience si pure… « et si c’était elle ? ». Elle avait quarante deux jours pour réfléchir… et puis le reste de sa vie encore. Une chose était pourtant sûre : jamais, plus j amais elle ne ferait confiance. A personne… sauf à elle-même. Elle garderait ses secrets au plus profond de son âme. Les secrets, sur ce que l’on aime, ce que l’on pense ou ce que l’on vit, ce sont finalement les plus belles choses d’une existence. Ne plus en avoir, c’est être une esclave. Et cela, elle ne pourrait jamais s’y résoudre, même enfermée entre quatre murs… Elle savait maintenant ce qu’elle valait dans les situations d’extrême souffrance où seule sa survie comptait. Et ce serait pour toujours sa plus grande force… et sa plus grande faiblesse…

Bruit de serrure la porte de la cellule 53 s’ouvre : –

– –

Bonjour mademoiselle Mélinet. Une visite pour vous. Le directeur a eu la bienveillance de vous l’accorder à titre exceptionnel, au vu de votre comportement exemplaire depuis votre arrivée… Mais je n’attends personne ! Justement…

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