K.Waliszenwski - Pierre Le Grand

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K. \VALISZEWSKI

PITRRT LT GRAI{D
I'ÉDUCATION

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DES DoctTMENTS I\OTJVEATJX
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f,'auteur et les éditeurc déelarent rérerver leurr droits de reproduction et traduction en Frence et danr tour ler pryr étrangers.

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AUTEUR, A LA MÊME T,IBT\AIRTE

Le Roman d'une impératrice.
mérnoires, sa corresponclance

cles Archives d'État. LE" édition. Un volume in-8n, accompagné d'un portrait d'apràs une nriniature. prir. g francs
(Couronné

et Ies docurnents inédits

Catherinc

II tle Âussie, d'après

ses

Autour d'un trône. Catherîne II de .Rzrssie. Ses collaborateurs Ses amis Ses favoris. L0. édition. tln volume in-8o, acconrpagné d'un g francs . portrait.Pierre le Grand.. L'Étlucation L'Honttne L'OEuure, d'après der - in-8o, avec un portrait en héliogravure. documents nouveaux. Un volunre Prir. 8 francs Marysienka. Marie de La Grange d'Arquien, reine cle Pologne, fernnre cle gravure L'Héritage de Pierre le Grand. Ilègne des femmes.
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(L725-L7hl).4"édition. Un volume in-So av€c un portrait en hélio-

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francs

de lhcssfe (l,zra1L762), d'après des docurnents nouveaux et en glande partie inéclits puisés aur archives des Affaires étrangères de Paris, aux archives secrètes de Berlin et cle Vienne et dans divels autre$ dépôts, ainsi que dans les publications russes et étrangères les plus récentes. 4uédition. Un volume in-8o, avec un portrait en I francs héliogravure. . f,es Origirtcs de Ia Russic n,.oderne. Ivan le Terrible. 5" édition. Un I francs volurne in-8o avec un€ carte Les Origittes de la.ârr.csie moderne- La Grise révolutionnaire (1,584I francs l6t"lt). (Srnoutnoié Vrémia). 9'édition. Un volurne in-8o.

Ies Oriqines de la

Russie moilerne. Le Berceau d'une dynastie. /.es I francs Premiet's Aontanou (t6f 3-l6SÈ). 2" édition. Un volume in-8o Ie Fils tle Ia Grande Cathcrine. PauI f"', ernpeieur de llussie, sa vie, - d'après des docurnents nouveaux et en son règne et sa rnort (175e-f801), partie inédits. 4'édition. Un voluure in-8o avec un portrait en héliogravure. Prir. ' I francs

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D'APRÈS

DES DOCIJMEIVTS ]YOIJVEAITX

Auec un, portrait en hélioqrauure

EUITIÈME

ÉOTTION

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LIBR.AIRIE! PLOT\I PLON-NOURRIT NT C'" IMPRIMB URS-ÉPTTEURS
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Tous droûs
t.cscrués

AYANT-PROPOS

n Mesure tes forces sur I'entreprise, et non I'entreprise sur tes forces, u Ce conseil téméraire qu'un poète de mon cette fois, pour f,ays dicta, j'ai dù presque m'en inspirer' ma tâche d'historien. Dominant I'histoire et comme mêlé aujourd'hui errcore à I'existence du peuple russer I'hornme qui fait le sujet de ce livre est d'un accès si redoutable ! C'est pour cela que je viens à lui si tard, remontant le cours des années, allant de la grande héritière au créateur cle l'héritage. Ai-je sg, enfin, croiser mon regard avec le tien, géant de bronze qui, par les nuits crépusculaires, là-bas, sur le guai de la Néva, descends parfois, les poètes le disent, de ton socle cle granit et reprends, à travers la ville endormie, I'infatigable chevauchée victorieuse de la nnort? Grand revenant qui, depuis tantôt deux cents ans, hantes les lieux où tu as vécu, ainsi gu'un démon familier et terrible, ai-ie trouvé la formule rnagique qui rend la voix aux fantômes et refait
de Ia vie autour d'eux avec la ptrussière des temps passés? J'ai cru revivre les heures défuntes: avoir [a vision directe

VI

AVANI-PNOPOS.

de la sensation chaude des êtres et des choses qui les ont remplies. .I'ai touché du doigt le miracle du rè6ne légen-

daire, la fable réalisée du grain de blé que le yoghi indien fait Sermer instantanément dans le creux de sa main et s'épanouir en plante. Bt I'homme du prodige m'a parlé, I'homme unique peut-être dans I'humanité. I{apoléon n'esI que le plus grand des Français ou des ltaliens, au gré de tel historien; il n'est ni I'Italie ni la France. Pierre est toute la Russie, son esprit et sa chair, son tempérament et son génie, ses vertus et ses vices. Avec la diversité de ses aptitudes, la multiplicité de son effort, le tumulte de ses passions, il semble un être collectif. C'est comme cela qu'il est si grand, et c'est comme cela encore qu'il sort du raufi des pâles trépassés que nos faibles évocations historiques disputent à I'oubli. [l n'a pas besoin d'être évoqué ; il est là. Il se survrt, il se perpétue, il demeure actuel. La physionomie du monde qu'il â paru tirer du néant a pu se modifier en quelques-uns de ses traits, le principe en est resté identique. Une force est là, incommensurable, gui en trois siècles de temps a défié tous les calculs, et du patrimoine des lvan, cette misère, un coin de steppe pauvrement peuplé, a fait le patrimoine des Alexandre et des Nicolas, un ernpire dépassant en masse et en nombre tous ceux que I'Europe, I'Afrique et I'Asie ont connus, ceux d'Alexandre et de Rome, et ceux des kalifes et I'empire britannique d'aujourd'hui avec toutes ses colonies; vingt millions de kilomètres carrés et cent vingt millions d'hommes ! Cette force s'est appelée un jour : Pierre le Grand. Elle a changé de nom, mais point de caractère. C'est l'âme d'un grand peuple, et c'est aussi I'âme du 6rand homme en qui la pensée et la volonté de millions d'êtres ont semblé jadis incarnées. Blle est tout entière en

AVANT-PROPOS.

vrt

lui, el il esttout entier en ellel c'est elle grre j'ai voulu faire
palpiter dans ces Pages. Non, certes, avec les ressources seules de mon imagination. J'ai dernandé tout ce qu'il a pu me donner au document, cet unique mot de passe que nous ayons Pour rouvrir les portes que chacltre heure ferme clerrière nous' J'espèr'e être exact. ,I'ai la certitude d'être sincère. Il se peut que j'arl'ive ainsi à provoquer des strrPrises, rles déceptions ou même des colères. Je prie mes lecteurs russes de bien peser letrrs irnpressions. On doit toujours avoir le courage cle ce qu'on est et même de ce qu'on a été, et qrrand on est la Russie, c'est d'une bravoure facile. Ils vouclront bien, au surplus, et mes autres lecteurs pareillement, ne pas se méprendre sur le but gue je me suis proposé. Occupé à réunir des matériaux pour une biograplrie du héros national, Pouchkine parlait d'élever un monument, ære perennius, qu'on fût impuissant à changer de place, à traîner d'un carrefour à un autre. On en voulait, palaît-il, à I'irnmuabilité du chef-cl'æuvre de Falconet. Communs à la pltrpart de mes devanciers, même ailleurs qu'en Russie, le souci et I'ambition du poète m'ont été absolurnent étr.anfTers. Pierre possède déjà, sans que je m'en sois mêlé, le monllment qui, croirais-je volontiers, est le mieux à sa convenattce. Ce n'est pas celui de Pouclrkine et

pas davantage celui du sctrlpteur français. Au monulllent tlont je parte il a travaillé lui-même de ses mdes mains, et ses héritiers y travailleront lorrgtenrps encore. Le transsibé' rien v\ent d'y ajouter une fameuse pierre. Mon but est tout autre. Les regards du monde moderne tout entier, sympathiques ici, défiants ou hostiles ailleurs, vont depuis quelque temps à I'irnrnense réservoir d'éner-

VI II

A.VANT.P ROPOS.

gies morales et physiques découvert soudain entre la vieille Europe fatiguée de vivre et la vieille Asie lasse de n'avoir

pas vécu. Abîme où sombreront les communes destinées ? Fontaine de .f ouvence peut-être? Penchées sur I'un et I'autre bord, les foules re6ardent, anxieuses, scrutant les profondeurs, jetant la sonde. .f'apporte simplement un renseiS-ne-

ment à la curiosité et à I'angoisse universelles. D'histoire, mais d'actualité aussi, je I'ai dit. Pierre le Grand n'est pas fnort. Regardez! Voici I'heure peut-être. L'aube du lendemain incertain blanchit I'horizon. Une nuée qui semble peuplée de fantômes monte du large fleuve. Éeoutez! N'est-ce pas le sabot d'un cheval qui frappe le pavé silencieux?.....

PIERRE tE GRAI\D

PREIIIIÈRE PARTIE
L'ÉDU CAT ION

LIVRE

PREMTEB

D'ASIE EN EUROPE

CHAPTTRE PRBNIIER
LE KREIII, (l) Er LE FAUBOURG ALLEII{AND' [.
diadèrne à la pluo belle. Le mariage d'alexia. - Le choix de l'épouae_..- Le Nai$sance de Pierre' Narychkine. Le 6orîoi" du Krernl. - Nathalie L'exil' Paternité conteatée. _- Lutte des NarychLi"e *t des Milt'glavski' La d'higtoire' II. Le Klernl. -_ Crypte, gérail et geôle' ._ Dix siècles Splennormarrde' conquête La Russie de Moscou et la^Rusaie de Kiei. Iaroslav le Grand et flenri I" de Les fils de Rourik. deurs évauouies.

l.rance'_L'invasionmtrngole.*Chutedanslerréant.-Relèvemgrrf._ le protectorat rnongol' - l''dlnxncipatiou' L'hégérnonie rr.oscovitu

-

-

--

Io".r'i" Grand. - Àurore d'une culture nouvelle, - Influences européennes. III. Le fau.bourg allernand. polonais, allernands, anglaie, Flollandais.

'o'i'

civilisat'eur' - EpaUn'ghetto rroscovite' I-'Europe et I'Asie. -Travail - ira lirl IV. Jours d'épreuve. l)errrier essai de Pierre norrissernent. - et de Féodor. Le Le tsarat électif' Mort d'alesis réeirue asiatique. Pierre est procla*ré' des Naryclrkine'-La victoire p;;"io."h*r. ;;i;;;r frio*pt e éphérnèr'e' Ira revanche dee lliloslavski' -

I
I'sp 7180' pierre Aleksiéievitch est né le 30 mai 1672, Deux an' le pays. dans cl'après le calendrier alors en usa8e
(l)o,estainsiguelenours'écritet6oprononceellrusse;I(remlinesiun€
çontrefaçon d'origine polonaioe'

2

L'ÉDI'CATION.

nées et demie plus tôt, le vieux Kreml de Moscou avait étê témoin d'un étrange spectacle : venues des provinces les plus reculées, tirées des milieux les plus divers, noblesse et peuple, cliâteaux, cltaumières et monastères même, des jeunes filles, plusieurs douzaines, choisies parmi les plus belles qu'on put trouver, avaient pénétré dans le palais du Tsar au jour Êxé par lui; là, réparties au hasard et à l'étroit dans six pièces ul'{ectées t\ leul usage, elles avaient vécu la vie coutumière des femmes moscovites de leur temps, vie cloîtrée des femrnes d'Orient, vie oisive et monotone, à peine distraite par quelques travaux manuels, à peine égayée par quelques chansons; elles avaient rêvé, Iangui, soupiré, bâillé au récit ressassé de légendes merveilleuses et saugrenuesi puis, le soir venu, oh! alors, elles avaient vite oulrlié les longues heures d'ennui , d'écceurement et d'attente impatiente, et bondi, l'àme en éveil, et frissonné toutes, dans Ia brrrsque secousse d'une prodigieuse aventure, dans la fievre chaque fbis renouvelée de quelques minutes d'el'larement délicieux. d'angoisse et d'espoir. Sur le seuil donnant accès à I'appartement commun, converti en dortoir à la nuit tombante, des homrnes avaient paru; deux d'entre eux s'étaient avancés le lon6 des couchettes étroites occupées par les belles dormeuses, les examinant à loisir, échangeant des regards et des gestes significatifs; et I'un de ces hommes était le tsar Alexis Mihailovitch, oui, le Tsar en personne, acrompagné de son méclecin et cherchant, parmi ces inconnues, l'épouse de son choix, n la femme propre à la joie du souverain o , selon la forrnule consacrée, celle dont, ffrt-elle fille du dernier de ses serl's, il f'erait le lendemain une grande-duchesse d'abord r puis la Tsarine de toutes les Russies. Coutume vieille de deux siècles déjà, empruntée à Byzance par une inspiration de haute politique, un peu par nécessité aussi. Ivan Yassilévitch (le Grand, l4:J5-1505) s'était vainement mis en quête d'une fernrne à choisir pour son fils parmi les princesses étrangères. Chez le roi de Danemark, chez le marsrave de Brandebourg, il avait essuyé des refus humr-

I,E KREML ET LE FAUBOURG

ÀL

LEMAND.

3

liants. Et it ne voulait plus d'alliance avec les ducs russes, ses voisins et ses rivaux. II fit venir à Moscou guinze cents jeunes filles : sinon à la plus noble, le diadèrne grand-ducal selait àr la plus belle. IJn siècle phrs tarcl, le tsar Michel Féodorovitch, renouvelant un essai de négociation rnatrimoniale à l'étranger, n'y avait pas mieux réussi : le roi de Danernark allait jusqu'à refuser cle recevoir les envoyés moscovites (L). Dès lors I'usage fut définitivement établi. Des seigneurs et des dames de la cour eurent mission d'examiner, à leur arrir'ée à llloscou, les jeunes filles répondant à I'appel. Inspection sévère et minutieuse, à laquelle les parties les plus secrètes du corPs n'échappaient pas. On parvenait ainsir par une série de sélections, à ne présenter au 'Isar rlue de vrais morceaux de roi (2). Il arrivait pourtant que I'usu8e ne fût observé que pour Ia forme, et tel était précisément le cas en 1670' Les belles dormeuses, cette fois, devaient vaitremetlt se mettre ep frais d'imagination et de coquetterie nocturne. Le clroix du souverain s'était fixé avant leur arrivée. Le tsar Alexis fi'Iiirailovitch avait trente-huit ans en 1667, à la mort de sa première femme, une Nfiioslavski, qui lui avait donné sir fils et huit filles. Trois de ces fils étaient mortsl les survivants, Féodor et Ivan, étaient maladifs; le Tsar devait naturellement sorrger à se remarier. Il y songea d'une manière résolue. en aPercevant dans la mlison d'Artamon Sierguéiévitch Matviéief, une belle brune qu'il prit d'abord pour la fille de son conseiller lavori. Ce n'était qu'une pupille, Nathalie Kirillovna Narychkine, confiée par son pèrer pâuvr€ et obscur gentilhomme de province, à la garde du riche et puissant boTar. L'apparition dc la belle Nathalie devantles yeux éblouis du souverain n'aurait pu se produire dans une vraie maison moscovite' resPecttteuse des coutumes locales. La jeune fille y serait restée invisible derrière les poltes impénétrables du terun. [{ais le foyer de Nlatviéief s'érnaucipait de la règle commurre; Artamon avait épousé une étrangèr'e : une Hamilton. Foudroyant les grandes
(f.) Zrnrer,rsa, Zie priuée (2) Ibid., p.222
des tsarines, Moscou, 'l'872rp.%+'.t.

b

L'ÉDUCATI0N.

familles jaeohites, Ia tempête révolutionnaire en rejetait alors quelques branches jusque sous les latitudes inhospitalières du lointain et barhare empire. AIexis faisait bon accueil à ces étran' sa faveur à son alliance &ers, et l{atviéief devait mêm e en partie une certaine culture; il aussi Il gagné ayec I'un d'eux. y avait lisait beatrcoup, posséclait une bibliothèc1ue, ûil cabinet de physique et un petit laboratoire de chimie. Nathalie prenait place à table avec ses parents adoptifs, parfois même avec leurs invités. Alexis conrmença par annoncer qu'il se chargeait de lui trouver un époux, n lequel ne regarderait pas à la dot r;

puis brusquement prit son parti, se déclara. Artamon Sierguéiévitch en fut plus elfrayd que réjoui. Sa situation de thvori lui faisait déjà assez d'ennemis. D'une famille aussi peu illustre que celle des Narychkine, il s'était poussé au premier rang, curnulait la direction de nombreux départements : affaires étrangères, monnaie, ministère de la cour, commaûdement des Streh.s/, Souvernements de la Petite-Russie, de Kasan et d'Astrahan. ll demanda à être du moins couvert par les aPparences. Nathalie dut paraître au dortoir du Kreml. Tous les rites furent scrupuleusement observés; I'oncle d'une belle prétendante eut rnéme maille à partir avec Ia justice du 'fsar, pour emploi de manæuvfes fraudulelrses au bériéfice dc sa nièce, reçut la question ordinaire et extrâordinaire par le knoute, I'estrapacle et le feu (l). Le mariageeutlieu Ie 22 jarrvier 1671, etle 30mai (12 juin) | 672 l{athalie Kirillovna mettait au monde un fils. Ce même jour Louis XIY fournissait à tsoileau la matière d'une épître célèbre, en resardant son armée passer le Rbin sous la conduite de Condé et de Turenne; ce rnême jour aussi, à I'autt'c extrémité de I'Europe2 I'armée turque {:runchissait le Drtiester, pour donner la main à celle du granrl loi, à travers I'espace, et prendre I'Empire à revet's. Ni de I'utr tri de I'autre de ccs deux événements, on ne prit grnnd souci à Nloscou, au milierr des réjouissances provoquées par la vcnue au monde du I'sarevitch.
(1.)

Zntr.usu, p. 26E.

LE KREMI, ET LE T'AUBO{'RG ALLEMAND.

5

La vte y restait peu ouverte aux grands courants de la politique européenne, étouffee et obscure. Obscur et contesté demeure atrjourd'hui encore le lieu de naissance du plus grand homme que la Russie ait possédé. Le Kreml de Moscou ? Le château voisin de Kolomenskoié, baptisé du non de Beth.léem russe? Ismaïlovo peut-être? Nul témoignage absolument probant. La dispute va plus loin. Physiquement et moralement, Piclle n'a rien de ses frères et sæurs ainés, chétifs tous et malingres coûrrne Féodor et lvan; portant dans leurs veines un sarlg vicié, comme Ia belle Sophie elle-ruême. NIiné dé.ià, lui aussi, 1-rar la nraladie, destiné à une fin prochaine, Alexis a-t-il pu donner à un fils cette stature de géant, cette muscuIuture de fer, cette abondance de sève? Qui alors? Un chirurgien allernand substituant son enfant mâle à la fille, firuit véritable des premières couches de Nathalie? Un courtisan, 'Iihone Nikititch Strechnief, d'humble race, r'écemment élevée parle rnariage du tsar Nlichel Romanof avec la belle Eudoxie? Un jour, dans les fumées du vin, Pierre essayera on I'a rau de lire dans ces ténèhres. Celui-là, s'écriera-t-il conté en désignant un de ses compagnons, Ivan Moussine-Pouchkine, sait du moins qu'il est le fils de zrorz père. De qui suis-je, moi? Est-ce de toi, Tihone Streclrnie{r? Obéis ! parle sans crainte ! (( Batioucltha, grâce!je ne sais Patle, ou je t'étrangl€... n répondre... Je n'étais pas seul (l)... u que
I\Iais que n'a-t-on pâs raconté
!

La mort d'Alexis (l67zl) marque le commencement d'une pér'iode troublée, dont le pouvoir despotique de Pierre est sorti, orageux et sanglant comme elle. La destinée du futur
Ré{brmateur s'y marque d'une empreinte définitive. Il y devient, dès le premier jour, héros d'un drame, chef aussi, naturellernent désigné, d'un parti d'opposition. Auprès du cadavre

à peine refroidi de leur maitre commun, une lutte acharnée
(l-) Yocnrnonr, Correspondance, p*bliée par f.Irnnrrnsw, Leipsick, 1,872, p. {08: S.orovrrn', Hiçt. de Russie, l{osr:ou, ttl(;.i.-1878, r XV, p. t26-li-}5; Srrurcvsrrr, Énde sur la police d'Ént en. Rucsie (slouo i Dielo), pétersbourg, LB8b, p. L3g; Dor,conouxorr lllémoires, Genève, 1867, t. I, p. L02.

6

I,'ÉDT'CAIION.

met aux prises les deux familles que les deux mariages tlu Tsar dél:unt ont tirées du néant. Les Narychkine ont cru, depuis, se découvrir un berceau d'une illustratiorr relative au sein d'une fanrille tchèque, Ies Narisci, avant possédé Ia souveraineté cl'81;ra; le Tatar Narich, retrouvé par I'historien Mtiller dans I'entourage du kninz Ivan Vassilévitch (1463), paraît plus authentique. Les Miloslavski formaient Ia branche moscovite d'une ancienrte famille lithuanienne, les Korsak, qui subsistent en Pologne; dépossédés de leur rang et de leur infltlence par les nouveaux \renus, ils se sentaient doublernent lésés et humiliés. Le père de Nathalie, I(iril Polou'iektovitch, était devenu en quelques années le plus riche seigneur du pays, conseiller de cour (doumnyl duoriantne) et grand officier de la coul'onne (okolnitchyi). Les cloches mises en branle pour les funér'ailles d'Alexis sonnent à I'oreille de ses t'ivaux l'heure de Ia revauche. Miloslavski contre Narychkine! pendant treize ans à venir ce cri de guerre poussera les destinées de la Russie, les jettera à la mêlée sanglante des partis se disptrtant le pouvoir. Vaincu à la première escarmouche, Matviéief, le père adoptif de Nathalie, inaugure la série des victimes; emprisonné, mis

à la torture, exilé à Poustoziersk, sur Ia mer Glaciale, où il risque de mourir de fairn (l).Un instant il est question d'enfermer Nathalie dans un cloitre; on se contente de renvoyer la mère et le lils à Préobrajenskoié, village voisin de lfoscou, où Alexis s'est bâti une maison. Pierre quitte ainsi le I{reml. Il n'y reviendra plus que pour peu de temps, et pour y subir encore les plus cruelles épreuves et les plus odieux outrages, assister à I'égorgement des siens, à la chute de I'autorité sou.
veraine précipitée clans les bas-fonds, à sa Propre déchéance, Il vouera alors au sombre palais une rancune implacable.

I\lêrne vainqueur et tnaître tout-puissant, il a{fectera de lui tourner le dos. Et cette rupture sera le symbole de sa vie et
de son æuvre.

(l) Voy. l'Histuire de sa æptiurti,

publiée par Novrnor, Morcou, 1785.

LE KITE}IL ET T,E FAUBOURG ALI,EMAND.

II
Le Kreml aetuel, pléthorique et accidentel entassement de constructions disparates sans style, Pour la plupart, et sans caractère, r€ peut donner qu'une idée très imparfaite de I'aspect que devait présenter, à la fin du dix-septième siècle, la deneure d'Alexis Mihailovitch. Les incentlies de l70l etde l737,les reconstructions de 1752 (l), n'ont guère laissé que des débris de l'étrange Renaissance italienne introduite là, à la fin du quinzième, par la fille d'un Paléologue, élevée à Rome t2); des vestiges du génie des Fioravanti, des Solari, des Alevise aux prises avec la tradition byzantine ; quelques églises, quelqu:s trottcons de paluis etl'enceinte extérieure, qui sernble d'un cflnp fortifié plutôt que d'une demeureprincière. avec son vaste ëveloppement de remparts sommaires et ses tours en briquer, profilant de place en place leur grêle silhouette, ainsi que des guerriers en vigie. Au dehors, sur ia Place Rouge, l'églisede Vassili le Bienheureux évoque seule puissamment I'imagt du passé disparu. C'était sans doute, au cledans, la rnéme conl'usbn d'architectures, juxtaposant violemment I' Al lemagne gothiqre et I'Inde, Byzance et I'italie, ie même enchevêtremert de constructions emboitées I'une dans I'autre à la façon les casse-tête chinois, Ia même orgie enfin d'ornements. formes et couleurs, bizarre, {blle, isstte, croire'lit-on, de la fèvre et du délire, d'une indigestion d'idéttl plastiqrre. Chamlres étroites, voùtes surbaissées, sombres couloirs, scintilements de larnpes <ians l'obscurité, Éauves rutilations d'ocreet de vermillon sur les murs I barreaux de fer à toutes les ferêtres, hommes armés à toutes les porl,es; gtouillante partout, une population de soldats et de moines. (t) ârrcr,lxn,
Hist. d Piet're Vie priaée des T.rars, Moscou, 1895,
Russie et

p. ll0-l{8; Ousinruor,

f"", Pétersbourg, 1858, t. IV, p. 33.
le Saint-Siège, Paris, 1896, p. L07 et euiv.

(2) I Prnnrrxc, Ia

I

L'ÈnûcÀîroN.

Le palais confine à l'église et au monastère, et s'en distingue à peine. Le souverain sur son trône ressemble à la relique voisine d'un saint dans sa châsse.,f)'un boutà I'autre de l'étrange amoncellement d'édifices profanes et sacrés, maisons, cathédrales et couvents par trentaines, amortis, étouÊfés Par l'épaisseur des murs, les lourdes tentures d'Orient, I'air pesant qui s'y emprisonne, des bruits circulent, se corresPondent et se confondent en une vague harmonie : psalmodie de prêtres enfermés dans les temples, chants de femmes enfermées dans les teremsi parfois une clameur plus éclatante : l'écho de quelque orgie dérobée dans un coin du palais I un cri plus strident : Ia plainte de quelque prisonnier torturé dans une casenate ; mais le silence est la règle ; on parle bas dans un chwltotement, on marclte avec précaution, en tàtonnantl on s'ofserve, on est observé; intérieur de crypte, de sérail et de gede. Ainsi fait, le l(reml n'est pas seulement la clemetre du Tsar : Ia Russie tout entière s'y concerttre et s'y résume; une Russie étrange, vieille de près de dix siècles déjà' elrantine pourtant; avec, derrière elle, un long passé historique, et sur elle, I'apparence d'un commettcement d'histoire ; une Russie séparée de ses voisins d'Europe, ignorée Par eux et ayant pourtant dans ses veines du plus Pur sallg européen, dtns ses annales des traditions, des alliances, des parentés europiennes et des destinéeS commulresaussi, bonnes fortunes et disgrâces, victoires et désastres. Du neuvième au dixième sible, à I'heure ou les premiers rois de France, Charles le (ros et Louis le Bègue, luttaient péniblement pour la défense ô leurs t,a trésors contre les pillards norrnands, d'autres rois de mer mettaient pied sur le rivage de la Baltique. Là-bas, lt Normand Hrolf arrachait à Charles le Simple le littoral bapisé du nom de sa race I ici, dans I'immense plaine s'étendan de la tsaltique à la mer Noire, au milieu de rares populatiors finnoises ou slaves animant ces solitudes, le Normand Ruik et ses compagnons fondaient un empire (l).
(1.) Conterté par les historiens slavophiles, le fait de cette conqrrêteremble néanmoins consiant. Voy. à ce sujet [a réfutation dee idées d'Ilovaïeki pa Solo'

LE KREMI, ET LE FAUBOURG

ÂT,T,E}f

AND.

9

un siècle et demi plus tard, aux trois extrémil.és de I'Europe, trois autres chefs, [rois héros affirment la suprérnatie de la même race dans une cornnunauté de conquête et de gloire : en Italie, la maison Hauteville s'élève sous Robert Guiscard; Guillaume s'établit en Angleterre,, et Iaroslav règne en Rirssie. Cette Russie n'est pas celle de Nloscou. Nloscou n'existe pas eûcore. La capitale de Iaroslav est à I(ief., bien différente et bien autrement voisine du monde occidental. a KieÊ, les clescendants de Rurik entretiennent des rclations suivies avec la Grèce, I'Italie, la Pologne, I'allemagne. Byzance leur donne des moines, des savants et des prélats pornpeux ; I'Italie et I'allemagne, des architectes, des artisans, des marchands et
des éléments de droit romain. vers I'an 1000, vlarlimir, Ie n Clair-Soleil u des llapsocles, fait une loi à ses seigneurs d'envoyer leurs enfants dans les écoles créées par lui auprès tles églises; il établit des routes , dépose dans les églises des échantillons de poids et de mesures. Son fils Iaroslav (l0lb1054) bat monnaie, construit des palais, orne les places de sa capitale avec des statues grecques et latines, et fait rédiger un code. Les cinq tableaux conservés au vatican sous le nom de collection cayponienne norts gardent un témoignage authentique et un spécimen curieux cle I'art russe tel qu'iI l]orissait a Kief a, douzième siècle (l). Exécution savante, nullement inférieure aux meilleures æuvres des primitifs italiens, d'un andrea Rico di candia: par exemple. Et ces prémisses de culture ne sont pas isolées à I{ief ; en lI?0, à smolensk,le ltniaz Ronran Rosl"islavovitch s'occupc de scieuce, se donne des bibliothèqtres, fonde des écoles et des sérninaires, ou I'on enseigrre les langues classiques. D'un bout à I'autre de I'imrnense emsciences politirJu,e.c de BezonRAzoF! 1879), et les Etudes du Pàr'e Martvnof (Êeuue de.s qttettions ltistoritlue', juillet 1875, Polybihlion, 1875). Solovief adnret la donnée, consolante pou. I'a-oui- d'une soumission toutefois propre national, volontaire des peuplades slaves à. un Kniat étranger, appelé par elles pour les tolrverner. (L; La collection est un don de Pierre le Grand, fait à un <:omte capponi en reconnaissance de la part prise par lui à la si6rrature cl'un tlaité de c,,,rr,nerce avec Gèner.

vief (vol. VII du Recueil des

I

O

L'ÉDUCATI ON.

pire qui s'ébauche là, entre le Don et les Carpathes, entre le Volga et la Dvina, un commerce actif se poursuit déjà avec I'occident, le sud et Ie nord de I'Europe. Novgorod tient Ia Brltique ; à Kief, une foule bigarrée de marchands, Nolmands, Slaves, Hongrois, Vénitiens, Génois, Allemands, Arabes et Juifs, remplit les rues, tient boutique de toute sorte de produits. En 1028, on y compte douze marchés. Et ces ducs de l(ief ne sont pas réduits à chercher Fernme dans les terems de leurs sujets. Iaroslav prend la sienne en Suède, Ingegard, fille du roi Ola[; il marie sa sæur au roi Casimir de Pologne; un de ses fils, Vsievolod, à la fille de I'empereur Constantin Monomaque de Byzance ; un autre, Viatcheslaf, à une comtesse de Stade I un autre, [gor, à l(unegonde, comtesse d'Orlamûnde. Sa fille aînée, Élisabeth, épouse le roi Harold de Norvège; la troisième, Anastasie, le roi André I" de Flongrie. En 1048, trois évéques, Gautier de Meaux, Gosselin de Chalignac et Roger de Chàlons, viennent à Kief clemander la main de la seconde, Anne, pour le roi Henri I" de F rance. Tout cela s'effbndre, tout cela disparaît sans trace avarrt Ie milieu du treizième siècle. Tout cela, en effet, n'est pas devenu encore un empire véritable, un édifice établi sur des assises solides, à l'épreuve d'un choc violent. Ducs de Kief, de Novgorod ou de Srnolensk, ils avaient beau, ces Rurikovitch, accoupler à leurs instincts batailleurs de remarquables facultés d'organisation, ils portaient en eux la marque de leur origine, un ferment de violence et de désordrer {ue le temps seul, un long assouplissement aux mæurs des sociétés policées, à Ia loi des États fortement organisés, se chargerait de faire disparaitre. Le temps leur fait défaut. Le choc se produit en 1221t, avec I'apparition des hordes mongoles de tsaty. A ce moment, après un essai de concentration, au comlnencement du douzième siècle, sous Vladimir Monomaque, ils étaient une soixarrtaine, entre le Volga et le Bougr à se disputer des trorrçons de pouvoir, des bribes de souveraineté. Baty et Mangou, un petit-fils de Genhis-I(han, les rnettent d'accord.

LE KREML ET LE FAUBOURG ALLEMAND.

I,.

Trois siècles d'efforts, de tentatives civilisatrices disparaissent dans le tourbillon de poussière soulevé sous les sabots de cent mille chevaux. De cette ancienne Russie, européanisée par la conquête, mais nullement dénationalisée grâce à Ia prornpte absorption de l'élément normand, numériquement f'aible, par le milieu local, il ne reste rien. au siècle suivant, errtre l3l9 et l3/10, Kief et les pays environnants deviendront la proie des ducs de Litlruanie, frrturs rois de pologne. après Giédynrine, Jagellon réunira sous son sceptre, en (aisant une annexe du nouvel empire polono-lithuanien tous les lam, beaux de I'empire éphérnère de Monomaque, Russie Rouge, Russie Blanche, Russie Noire, petite-Russie, toutes ïes llussres, suivant I'expression consacrée depuis. Et il ne s'annexera guère que des déserts. A ce moment, on pourra croire que I'histoire des Rourihor,ïtclt n'aura pas de suite. BIIe recommence plus loin, plus à I'est de l'énorme espace marqué par la destinée pour I'habitation d'un peuple innombrable et le développement d'un incommensuruble deverrir. Dans le bassin supérieur du volga, sur les borcls de la I\foskva, au milieu d'une rare pop'lation finnoise, une chétive bourgade, protégée Par un château fort, ét.it devenue, clepuis Ie douzième siècle, la demeure et I'apanage d'un des descenda.ts de Rourik. Plusieurs fois détruite, au cours de luttes incessantes avec les Rourikovitch voisins, balayée elle aussi par l'invasion mongole, elle se relevait, elle grandissait, elle formait, dès le cor.mencement du quatorzième siècle, Ie noyau d'une aggloruératio' nouvelle d'éléments normands, slaves et fi'nois. Ad.ptant pour loi une soumission docile au joug du conquérant asiatiqLre, elle arrivait à s'en Faire un instrurnent d'organisation, de police intérieure et d'expansion au dehors. Elle prenait sur elle, humblernent,, patiemment, habilement, d'être I'i'terrnédiaire, agréé d'une part parce que très utile, subi d'autre part parce que nécessaire, dans les relations entre le cong*érant et les populations conguises elle s'avilissait au ; rôle de percepteur d'impôts pour re compte du maître commun, de polieier, de bourreau nréme, au besoin. EIle cheminait

t2

L'ÉDÛCÀTION.

ainsr, étendant, affermissant pas à pas I'autorité gagnée, Ia supériorité obtenue à ce. prix, jusqu'au jour longuement attendu, industrieusement préparé, où elle se sentirait assez forte pour rorrpre le pacte irr{hrnant, devenu entre ses mains un instrument d'émanciprtion. Cela durait près de deux siècles; deux siècles, au cours desquels les ltniaz voisins, ceux de Péréiaslnvl, Riazan, Vladimir, Ouglitch, Halitch, Rostov, Iaroslavl, Souzdal, devenaient, un à un, petit à petit, les vassaux d.'abord, puis, simplernent, les premiers sujets, les boilars du kniaz démesurérnent agrandi de Moscou; au tours desquels aussi I'hégémonie mongole, divisée elle-même et énervée par des discordes intérieures, allait en s'af{-aiblissant. Bnfin, aux environs de 1480, les temps d'épreuve sont accomplis, et, soudain, I'Europe étonnée apprend qu'il y a, entre elle et I'Asie, quelque chose de nouveau, un nouyel empire, dont Ie chef a affirmé son indépendance. Il a repoussé Ia Horde d'or en dehors des frontières récemment tracées d'un immense teruitoire soumis à ses lois ; il a conquis Novgorod et Tver; il a épousé à Rome une prince$se Srecque venant de Constantinople; il a pris pour armoiries l'aigle à deux têtes; il se nonrme lvan, et ses sujets I'ont appelé u Ivan Ie Grand u . Mais cet empire nouveau n'était plus celui de Kief, et, à part I'origine dynastique de son che{', il semblait bien n'avoir rien de commun avec ce qui fit Ia puissance et la gloire de Iaroslav et de Vladirnir. Ce grand'duc de Nloscou avait beau s'intituler à son tour souverain de toute$ le.s Russies, les provinces dont il se réclamait ainsi et qu'il disait siennes ne lui appartenaient pas. Elles étaient Pour le rnoment à la Pologne. Ce qui lui appartenait se trouvait pour les trois quarts en dehors de I'ancienne conquête normancle, et, dans sa capitale corrrme dans son empire, tout ou Presque tout était d'origine nouvelle aussi et de caractère très différent. L'Europe n'v figurait, pour ainsi dire, pas. Le flot turano-mongol, etl se retirant, avait laissé sur cette terre ari-slave, ainsi qu'un limon épais, ce qu'il portait en lui d'éléments stables : procédés

LE KREML ET LE FÂUBOTIRG ÂI,I,EITAND.
de gouvernernent, mæurs, habitudes

I8

d'esprit; nulle semence de culture, par contre, et pour cause. Sauf les traditions de
l'Église byzantino-russe, conservées par les prétres et moines glecs, l'Etat et la société qui avaieut réussi à s'organiser sous la tutelle séculaire des successeurs de Baty étaient êsseûtiellement asiatiques et rtaturellement barbares. Séparés si Ioni;temps de I'Errrope, État et société étaient restés étrangers à Ia grande école où s'est formée I'unité intellectuelle et morale de I'Occident : le réginre féodal, les croisades, la chevalerie, l'étude du droit rornain, d'où I'esprit moderne est sorti à reculons, en remontant aux sources; la grande lutte entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, d'ou a pris son essor I'esprit de liberté. Bn repoussant I'union avec Rome, opérée par le concile de Florence et acceptée par la métropolie de Kief, celle de Nfoscou, récemment érigée (1325 ou l38l), avait d'elle-méme et délibérément rompu avec le monde occidental. Condamné par le Pape, ce lointain et obscur schisme oriental s'était mis au ban de la chrdtienté. Quand on aura été las de disputer avec lui, on Ie rejettera à I'oubli. Les semences de culture reparaissaient pourtant et émergeaient lentement, perçant l'épaisse croùte clu bourltier asiatique. E1les venaienl. d'ou elles pouvaient veuir, de I'Europe toujours et par la l)ologne d'abord, par le canal des grands seigneurs lithuaniens, ces ci-deyant Russes polonisés. Avant de se rélLgier chez ses voisins, le collaborateur r'évolt,é d'Ivan le Terrible, Kourbslii, correspondait avec les Czurtort-slii, restés, eux, llusses encore de la tête aux pieds et orthodo.res. Revenant de Pologne, après une calnpagrre heureuse, lvan luiméme en rapportait, butin de guen'e et trophée symbolique, la première imprimerie qu'ait vue Moscou. La conquête de Novgorod (1475) avait mis d'autre part le nouvel empire moscovite en contact avec la Han.sa. En 1553 venait la découver.tc de I'enrbouchure de la Dvrna par les Anglais; voilà Arhangel fondé et le comrnerce des nrers du Nord. Mais voici encore I'invasion, la lutte pour I'existence Èr recomlnencer. Les envahisseurs, heureusernent, venair:nt, cette fois, d'un autre côté.

l.t+

I'ÉDUCÂTION.

C'était le reflux de I'Europe; il s'en irait plus vite, et, en s'en allant, il laisserait autre chose que de la boue. Les armées polonaises traînaient derrière elles, dans leurs fourgons, tout i'attirail de la Rome papale : Jésuites et fils de saint llernard, propagande catholique et science scolastique. Après les lérrrit**, instruits, dise,'ts, fins, les faux tsars, d'origine polonaise également, élégants, raffinés. La cour de Dimitri et de Marina Mniszech prencl nrodèle sur celle de sigismond, qui a pris leçon pour la sienne de Bone sforza, son épouse. un orchestre polonais y mêle ses mélodies proÊanes aux rites du culte orthàdoxe ! Au jour même du triomphe définitif' de la cause nationale, I'influence polonaise et occidentale s'affirmera jusque dans les victoires et les reprises de l'élément moscovite ,.r.-lo Pologne et sur I'Occident. En prenant possession de Kief, Ies armées du tsar Alexis n'y retrouvent plus rient sans doute, de ce que I'invasion mongoleyavaittrouvé, nulle truce des splendeurs anciennes I mieux que Ie vide pourtant et le néant de l\Ioscou : des écoles encore' de fondation polonaise; une imprirrrerie, Pour renrplacer celle d'[van, anatlrématisée aussitôt là-bas, détruite déjà; une académie ecclésiastique gréco-latiûe, tout un petit lbnds de civilisation aisément assimilable.

III
Et, dès cette époque, Moscou avait le moyen de sortir de I'Asie et de rentrer en Europe sans Passer Ia frontière' Si, chassé du Kreml par une faction hostile, jeté, pour ainsi dire, la clans la rue, Pierre n'éprouvait aucun désir de regaS;ner demeure familiale, c'était qu'il avait rencontré, dans un proche voisinage, un autre foyer plus attirant. En s'annexant Noogorod, [û cité républicaine et difficile à soumettre, Ivan auuil pris le parti d'en changer I'esprit turbulen[ - sn changeant i" pop,riation. Dix mille hmilles à déplacer' On a gardé,

I,E KNE}IL ET I,E FAÛBOUNG ALLEMAND.

T5

remuer des hurnanités entières. Les exi[és novgorodiens étaient allés à Moscou, oti on leur avait fait de la place en
envovant à Novgorod autant de Moscovites fidèles et dociles, punis pour leur docilité. Il se [rouvait, parmi ces nouyeaux venus, des marchands hanséates, et ceux-ci avaient formé le

en Russie, Ie secret de ces coups d'État administratifs, bons

à

premier novau d'une colonre étrangère sur les bords de la
Moskva- Mais on ne tardait pas à s'y apercevoir que la présence de ces étrangers souillait la cité. II convenait alors déj. au patriotisme local que Moscou fùt ville sainte, et mêrne lu uur-

au seizième siècle, le tsar vassili y parclua ra garde, composée de Polonais, de Lithuaniens et d'Allemands. Les successeul.s de vassili ne se conte'tèrentpas de derna'der à l'étranger des soldats ; ils voulurent en tirer des ouvriers, des artistes et l-rientôt des maîtres d'école. Dans le livre curieux d'Adelu'g, une estampe nous montre I'aspect Prirnitif du tauboorg, où s'entassirient tous ces imrnigrés, que des ordonnances successives y refou[aient et y enfermaient sévèreme.t. ce n'était encore qu'un village aux maisons de bois sommairernent construites avec des troncs d'arbres recouverts de leur écorce, âux vastes potagers entoura't les habitations. cet aspect changeait rapidement, et aussi Ia qualité des habitants. sou, Alexis, la Ni.emietskaia sloboda n'a à'allemand que son nom, le sobriquet Niemaels restant pour compte ilux premiers occupants du faubourg, d'origine ger.rnanique. Des Anglais et des Écossais y tiennent maintenant Ia première pru"", €t, res proscriptions du protectorat c'omwellien aidaut, il y a parmi

covie tout entière participait, comme aujour.rl'hui à cette , béatification. Hors des portes enfermant la capitale, da's la partie nord-est de la ville actuelle, où, entre les rues Basmannaïa et PokrovskaTa, se trouvent encore de nos jours Ia plupart des églisesprotestantes et cathoriques, sur la rive boueuse de la laouza, maig'e afflue't de ra Moskva, il y eut alors une sorte de ghetto alfecté aux NtemrsJr, gens ne parlaut pas la Iangue du pays, muets par conséquent , nienmi'voulant dire muet. Les marchands hanséater n'y prospérerent pasl mais,



L'ÉDL0ÀTION.

eux des Sens de naissancer des Druntrnond, des Hamilton, tard des Dalzi"l, du, Crawfuird, des Graharn, des Leslie et plus Ils sont époque' des Gordon. Pas de B'rançais encore à cette recloutés comme catholiques, plus encore comÛle jansénistes' Les jacobites seuls font exception ; étant proscrits, ils paraissent sùrs. Plus tard, la révocation de l'édit de Nantes vaudra aur sujets du Roi Très chrétien la même confiance. La population jacobite fait bande à part; ni intlustrieuse, ni commerà la prospérité çante, elle contribue, pourtantr puissamment naissante de la Sloltoda; Par son éducation et son attitude, elle impose le respect aux Moscovites. Les reîtres allemands de la première ptriode ne leur avaient fait connaître que les **,rr* des camps de Wallenstein. Dans la classe des professionnels qui s'ajoute à cette aristocratie, marchands, instituteurs, méâecins, apothicaires, industriels, artistes, I'élément hollandais domine maintenant. Le contingent allemand qui s'y mêle est lui-même de meilleure qualité. Les uns et les u,rt.., apportent là et font valoir les vertus de leur race : esprit cl'*i.tr"prise et persévérance? piété et amour de la vie de familte, aspiration commune à un idéal d'ordre, de paix deux domestique et de fructueux labeur- Les Allemands ont pasreurs luthériens , les Hollandais un pirsteur calviniste ; sous l'æil des barbares, les querelles religieuses parais^uir, les sent assoupies; la liberté règne dans la Sloboda, sauf pour catholiques, auxquels il est défendu d'avoir un prêtre. Les écoles abondent. L'Écossais Patriclc Gordon suit les progrès de la Royat Society de Londres. Les dames anglaises font venir pu, buuots les romans et les poésies des écrivains nationauK. Corresponcla'ce active parlettres avec I'Europe entièr'e' plaisirs modérés et décents. Dans les réunions allerntrndes, la ronde, connue sous le nom cle Grossuatertanz (danse du granda un père), pâsse Pour la dernièI'e expression dela joie' Il y d'enarrive lui it où ifrOairc, que le tsar Alexis fréquente et tendre orphëe lui faisant hommage d'un propos galant. La les mempolitique joue un rôle considérable dans la colonie; Lr*, du corps diplomatique, résidents anglais, hollandais,

LE KREI{I, ET LE

FATTBOURG

ALLEMAND.

IT

danois, suédois, qui en font égatement partre, y représentent et 1' agitent les intérêts et Ies passions des puissances protestantes. Riche, cultivé, prudent, adroit, le résident hollandais, Van Keller, jouit d'une situation hors pair, devant Iaquelle les Moscovites eux-mêmes s'inclinent. Expédiant tous les huit jours un courrier à Ia Haye, il reçoit des nouvelles de I'Occident qui font tressaillir la Sloboda à l'écho des grands événements où se jouent les destinées du monde politiclue européen (l). Le voyageur allemand Tanner, qur visite le faubourg en I678, en emporte une impression des plus agréables (2), justiÊée par une estampe datant du commencement du dix-huitièrne siècle. Le faubourt y parait transformé : maisons de brique d'appa-

rence confortable; parterres de fleurs âux abords; allées régulières plantées d'arbres ; jeux d'eau sur les places. f,e contraste avec les villes russes de l'époque, Moscou non exceptée, est saisissant. Il n'échaPpera pas à Piene. Bn dépit des influences polonaises, de ce voisinage même, qur mettait pour ainsi dire I'Europe à sa porte, Moscorr restait encore, dans son ensemble, telle que I'avaient faite trois siècles d'esclavage asiatique. Quelques indices y accusaient bien une prise de contact avec le monde intellectuel de I'Occident Des hommes y avaient paru, dépouillant, au physique comme au moral, le vieil accoutrement byzantino-tatare; des idées s'étaient fait jour, des initiativeç avaient percé , où s'ébauchait toutun pro6rùmnre de réformes, plus étendu, on s'en apercevra un jour, que :elui dont Pierre lui-mêrne entleprendra
I'exécution (3) L'aube des temps nouveaux montait à 1'horizon. Nlais ces clartés natssantes n'enveloppaient qu'une élite restrernte. Le tsar Alexrs ne crevait plus les yeux aux artistes,
C

u[.nt rhistori.çche

d'aprèa Posselt, Reuue sultse, t. XXIX' 325; Bnûcxnrrn, Studien, R(;a, 1878. (2) Texxnn, Legatio Polono-Lithuanica in ]lfuxcouianr, l{uremberg, 1.689, p. 71.
exagérations para-

(t) trulliemin,

et suiv.

(3) Ce point de vue a conduit quelques historiens à des
doxales.

d'histoire à l' Uniuersitti de Moscou, {887-1"889, Cours lithographié ; j'en dois la cornmunicatiou à I'obligeance d'un jeune savant russe établi à Paris, M. Chtchoukiue, qui voudra bien recevoir ici le térnoi6nage de ma gratitutle.

V. Kr,rourcrrovsKI,

LeÇous

I

lg

L'ltDtTcaTIoN.

ainsi qu'avait fait lvan, sous prétexte de les empêcher de recoûlmencer aiileurs leurs chefs-d'æuvre ; mais le tsar Michel
s'avisant d'engager à son service le fameux Oelschlâger (OIearius), on parlait Ce jeter à I'eau le sorcier,' il y avait révolte à

la cour et émeute à la ville. Un autre étranger, donnant à
dîner à des seigneurs de marque, les voyait avec surprise faire main basse sur latable et remplir leurs poches (l). Au Kreml, Polonais et faux tsars ayant été mis dehors, rien n'a bougd. Avant qu'on I'en chassât, Pierre t'y a jamais vu d'autres visages que ceux de son entourage intime. Allant à l'église ou au bain, une double haie de nainsr porteurs de rideaux en taffetas rouge, l* suivait r prison mouvante prolongeant I'autre (2). L'enfant y étouffait; il respire à Préobrajenskoié. Un jour, rendu au grand air et au lible mouvement dans I'espace, il s'aventurera sur les bords de la laouza, et, quand il aura vu la Slo[toda, il n'en voudra plus sortir. Il y appellera toute la Russie. Mais de sombres moments I'attendent encore, l'épreuve définitive du régime asiatique.

IV

Féodor, le fils aîné et le successeur d'Alexis, meurt en I682, sans laisser de postérité. A qui I'héritage rnaintenant? Depuis la mort du dernier descendant de Rurik (t 59S), le trône a été, presque toujours, occupd révolut.ionnairement. Boris Godounof I'a conquis gràce à une série d'assassinats; Dimitri, grâce aux sabres polonais. Vassili Chouiski I'a dù à une élection aristocratique; Michel Romanof, à une élection populaire. Un semblant de droit dynastique est bien sorti de cette dernière; pourtant I'avènement d'Àlexis a encore été précédé, croit-on,
(L) Sorovrnr, t. XIV, p. LLZ.
(2) ttoto""IurNE, La
Russie sou.ç

le rèqne d'Alexis, Pétersb., {88d', p. {9.

I,E KREMI, ET I,E FAUBOURC ALLEMAND. [9
d'un appel aux suffra,ges. Des deux frères puînés de Féodor, Ivan, le fils de la &[iloslavski, qui a quinze ans, est infirme, aux trois quarts aveugle et plus qu'à moitié idiot. Une relation, adressée en 1684 aux ministres de Louis XIV, parle d'une .. escrescence de patrpière, qui fait que le jeune prince ne saurait rien voir sans qu'on la lève u . A I'unanimité, les hauts dignitaires cle la couronne se prorroncent en faveur de Pierre, le fils de la Narychkine, son cadet cle cinq ans. Il leur répugne, disent-ils, d" convertir lerrrs charges el) offices de gardemalade. Sans doute aussi, l'âge du second li'ère les flatte par une plus longue espérance d'interrèp;ne et de pouvoir maintenu dans leurs mains. Ils entraînent les boiars qui d'aventure se trouvent au lit de mort de Féodor, le patriarche Joachim, qui I'a administré. Comme en Pologne, Ia vacance du trône attribue au chef de l'Église une sorte de souveraineté intérimaire. En | 598, c'est le patriache Job qui a assuré le triomphe de Boris. Rien de légal dans ce qui s'est passé alors, comme dans ce qui se passe maintenant. IJn discours du prélat devant I'assemblée des officiers et des courtisans que le hasard a réunis au Kreml; un bref appel à leurs votes suivi d'une acclamation i puis une apparition des électeurs improvisés au dehors, sur l'escalïer rouge, devant le peuple attiré par Ia rumeur des grands événernents qui mettent Ie palais en émoi ; un nom jeté à cette foule, et tout est dit : Ia Russie a un Tsar,
et

il s'appelle Pierre. Nulle mention d'Ivan; nulle justification de Ia violence

faite, en sa personne, aux lois de i'hérédité. Au fond, ce n'est qu'une victoire des Narychkine sur les Miloslavski, surpris sans doute, mis hors de défense par la soudaineté de la crise et Ia rapidité du dénouement. Triomphe éphémère, qui durera un mois à peine. Au lendemain de sa défaite, la {'action vaincue rentre en lice, et derrière elle, auxiliaires imprévus,
deux nouveaux facteurs politiques paraissent, qui vont changer la face du cornbat : la tsarêvna Sophie et les Streltsy (l).
(1.) Soumrnoxor, Der erste Aufstand der Strelitzen, &iga, L772, p.

t0.

CHAPITITB
LA l.
TSAITIJV

II

NÀ SOPHIE.

- le sang Trois jours de carnage. Sophie ramasse le pouvoir dans Intronisation Ire junreau. Déchéance de Pierre. d'Ivan. trône La - ._ Idylle et drarrre III. Le Régent. Régente. conjugal. -. Rêves d'avenir. L'exil. f,'olslssle. IV. L'enfance de Pierre. Au grand air. {,'151161abe. La clraloupe Étudet et jeux. - L'qùroD[Iaxroç. arrglaise. - le lac de Péréiaslavl. Les carrtp de PréobrajenskoTé et Soldat et rnarin. -Le compagûons. Une armée, une flotte Les prérnices de la réfolr et une V. L'adolescence. société en é)rauche. Le mariage. Budoxie l.apou- à ses plaisirs. - Entrainé par le Veuvage précoce. Pierre revient hine. f,'1pqyçs eqrporte I'ouvrier. lpslpspent d'un- parti. courlnt. L'oppo- chef. Entre deux civilis*1ierr5. Pierre est son sition aristocratique. L'Europe rornaine et I'Europe protestante. Préparatifs Le choix. de La crire. lutte, assiégé.

Moscou et Byzance, Le terem au Krernl. Une émule de Pulchérie. Ambition et-amour. Vassili Galitsine. Au chevet du Tsar mourant. - et déchéance. et rnarchands. Grande'r Soldats IL Les ,Srle/ty. de révolte. et causea Ivlouvernents populaires. Syrnptômes Sophie er Le Kreml Galitsine veulent utiliser l'émeute pour Ia conquête du pouvoir.

I
restait, en 1682, cinq filles d'Alexis. [Jne seule, Sophie, a laissé un nom dans I'histoire. Née, comme [van, de la Miloslavski, elle entrait déjà dans sa vinst-sixième année. J'ai parlé de sa beauté i cluelques dcrivains, Soumarokof en téte. quelques étrangers même, Strahlenberg, Perr.y; €n lbnt grand éloge. Aucun d'eux n'a vu la Tsarevna. Le térnoignage du diplomate franco-polonais, La Neuville, qui a eu ce plivilège, est pluc probant (l). U gâte le roûran, auquel l'eufancc de Pierre paraîtmélée, mars ju o'y purs rien. aUn corps difforme, d'une
(L) Relation cqriçttse et nouz'elle de la Moscouie, la Haye, 1698, p. t51..

ll

LÂ TSAREVNÀ SOPHTE.

21.

grosseur monstrueuse, une tête large comme un boisseau, du poil au visage et des loups aux jambes , , voilà son signalement. L'historien petit-russien, Kostomarof, essaye de concilier les choses : laide aux yeux des étrangers, sophie pouvait bien avoir du charme pour les Moscovites de son temps. comnre dans toutl'orient aujourd'hui encore, I'excès de corpulence n'était pas pour leur déplaire. Mais le silence du moine Miedviédief, Ie confident de la Princesse, dévoué jusqu'à la mort, est bien expressif, comme son insistrrnc€ à vanter les qualités morales cle la Tsarevna. De ce côté, je vois tout le monde d'accord) sans excepter La Neuville : n Autant que sa u taille est large, courte et grossière , autant son esPrit est ,. fin, délié et politique, et, sans avoir jamais lu Nlachiavel, a ni pris de leçons, elle possède naturellement toutes ses ( maxiln€s. rr Jusqu'en 1682 la vre de Sophie a été, en apparence du moins, celle des jeunes filles rnsses de son temps, aggravée pour celles de son rans par un surcroît de sévérités clnustrales . r.,e terem du Kreml I'emportait à cet égard sur tous les autres : solitucle, dévotion minutieuse et compliquée, jeûrnes fréquents. Le patriarche et les plus proches parents étaient les seuls visiteurs du dehors. Le médecin n'était admis qu'en cas de très grave maladie. Quand il arrivait, on fermait les volets, et il ne pouvait prendre le pouls de la malade qu'à traversune étoffe. Des pûssages secrets conduisaient la Tsaritsa et les Tsareuny à l'église, où les rnévitables rideaux de taffetas rouge faisaient leur office, interceptant la curiosité des autres ficlèles. En I 67 a, tournant le corn d'une tles cours rntérieures du palais, deux jeunes seigneurs, Boutourline et Dachkof, rencontrent rnopi. nément une voiture où se trouve la Tsaritsa allant en pèlerinase à un monastère. Cet accident met leurs tétes en jeu. une
enquête sévère s'ensuit, avec interrogatoires dans les chambres de question. La place des princesses n'était marquée dans au-

cune des solennités qui rornpaient pour le restant de la cour I'aflieuse monotonie des journées asservies à une immuable et rigide étiquette; elles ne paraissaient qu'aux enterrements,

22

L'ÉDUCÀTION.

suivant alors le cercueil, mais toujours sous des voiles impénétrables. Le peuple ne connaissait d'elles que leurs noms, prononcés à chaque office dans les prières qui faisaient partie de la liturgie officielle; elles ne savaient rien de lui, rien pour ainsi dire de ln vie htrmaine en dehors du cercle étroit où les emprisonnait leur destinée. Ne pouvant épouser ni un sujet, à cause de leur rang, ni un prince étranger, à cause de leur religion, elles devaient ignorer I'amour, le mariage, la maternité. Telle était la loi. Il est probatrle qu'elle se montrait susceptible, à cette époque du moins, de quelques accommodements. Sophie se fùt certainement trouvée incapable, sans cela, de jouer au pied levd le rôle dans leqrrel nous allons la voir paraitre. Pierre est proclamé Tsarle2l avril; le 23 du mois suivant, une révoltedes,\treltsy a renversé son pouvoir unique en y associant son frère Ivan, et tous les témoignages dénoncent Sophie comme I'inspiratrice directe, voire même I'ouvrière principale de ce coup d'État. Le terem a du se trouver au I(reml sous I'inflnence directe des idées byzantines, comprenant le mélange historique d'ascétisme et d'intrigues dont la vie du Bas-Empire s'est composée. Au chevet de leur frère malade, agonisant, Sophie et ses sæurs ont évoqué sans doute I'irnage de Pulchérie, la fille d'Arcadius, s'emparant du gouvernement pendant la minorité de Théodose, puis, après sa mort, régnant encoreavecleconcours de Marcien, le chefde la garde impériale. Frémissements d'ailes entre les harreaux de Ia cage, révoltes de l'âme et de la chair, rêves de liberté, de puissance, d'amour, ici comme là-bas et dans le même e-sprit, les révolutions de palais procèdent de ces obscurs émois. Sophie a certainement vu au Kreml d'autres visages mâles que celui du patriarche, que ceux méme de ses proches parents,Ies Miloslavski, hommes énergiques, mais bornés. Longtemps alité, Féodor eut besoin de soins féminins i tluelqu'un se trouva dans son entourage pour Ie pousser à enfreindre la règle du terem en y cherchant une garde-malade et pour indiquer Sophie à son choix" C'était Yassili Galitsine"

LA TSAREVNA

SOPHIE.

23

L'homme est curieux à plus d'un titre; dans I'histoire conternporaine de la Russie, dans celle de Pierre lui-même, il marque une date. Nlieuxque Matviéief, en t+aits plus saillants, il accuse cette lente préparation, cette évolution rntellectuelle et morale, dont on a pu depuis exagérer I'arnpleur, mais qui a certainemcnt précédé I'apparition du grand réformateur et qui a rendu possihle son æuvre. Il personnifie cette élite dont j'ai parlé, et au sein de laquelle des hommes tels que MoroTof , Ordine Nachtchokine et le patriarche Nicone lui-même, inauguraient déjà, sous les règnes précédents, les ternps nouveaux' l'ère révolutionnaire. Ayant depuis plusieurs années pris une part considérable au gouvernement du pays, il n'est pas resté étranger à I'abolition du miestnitchestuor coutume d'essence tout à fait asiatique, cl'après laquelle un sujet du Tsar ne Pouvâit occuper, par rapport à un autre sujet, une place inférieure à celle qu'un de ses ancêtres aurait occuPée qrlelque jour par rapport à un ancêtre de I'autre; obstacle infranchissable à une sélection judicieuse des capacités, source inépuisable de guerelles, où s'énervait I'action du gouvernement. Il a songé à organiser une armée régulière. A en croire La Neuville, il allait beaucoup plus loin encore dans ses projets d'avenir, rêvant au delà de ce que Pierre osera tenter : Ies paysans affranchis et rendus propriétaires, la Sibérie civilisée et couverte de routes postales. Bien qu'empêché de se rendre en Chine, à l'époque de la toute-puissance du futnr régent, retenu à Nloscou, Ie Père Avril lui-même rend hommage à son esprit libéral. Les autres boiars ont pesé sur la décision de leur collègue, en haine du catholicisme (t). Galitsine parle le latin couramment et l'écrit avec élégance; il fréquente au {aubourg allemand et y entretient des relations intimes; il reçoit l'Écossais Gordon à sa table et se fait soigner Par Ie médecin allernand Blumentrost I le Grec Spal:ari, que I'ori aPerçoit dans son entourage et qui, gràce à lui, occupe une place en vue dans le bureau des aff'aires étrangères (Posolskiî Pri(t)
Voy'aqe en diaers

payr de l'Europe Paris. p, 1i4, t'692,

24
Itaze), est une figure

I,'ÈDIJCÀTI0N

tout à fait moderne de courtier diplomatiq*e et de routier cosmopolite, ayant couru I'Burope et visité la chine. Il dresse des plans pour la navigation des grands fleuves de I'Àsie et correspond avec le bourgmestre d'amsterclam, \Mitsen. Galitsine habite un palais qui au dehors comme au dedans a toutesles apparences d'une demeure européenne de haut l;ord, meubles précieux, tentures des Gobelins, tableaux et hautes glaces. Il possède une bibliothe{ue, où figurent des livres latins, polonais, allemands, où se retrouvera plus tard Ie manuscrit du serbe Krijanitch, un apôtre de réÊormes, dont Pierre s'est probablement inspiré. Il fait bâtir trois mille maisons à Moscou et même un pont de pierre, ie premier, dont un moine polonais donne le plan. Il est un ami passionné de la Frarrce et fait porter à son fils un portrait de Louis xlv (l). Sa chute suivie de I'avènement de Pierre sera sincèrement regardée par La Neuville cornme une catastrophe pour la civilisation. on Ie voit bien rattaché encore par certains côtés au monde gu'il travaille à faire disparaître. Il n'étaitpasexemptde superstition. rl faisait torturer un païsan qu'il soupçonnait d'avoir voulu lui jeter un sort (2). on I'accusera plus tard d'avoir cherché à sagner les faveurs de sophie au moyen d'un philtre, et d'avoir fait hrûler I'homme chargé de le préparer (B). Mais, à cet égard, Pierre lui'même ne sera pas exempt de quelques faiblesses d'esprit. Bn somme, cet adversaire du lendemain est un précurseur de la veille. Né en 1643, Yassili vassilevitch Galitsine avait trente-neuf ans au monrent où Ia maladie de Fdodor le rapprochait de sophie. Il était marié et avait de grands enFants. avec lui paraissaient aussi au chevet du moribond Simon polotski, url prêtre petit-russien, fort instnrit pour I.'époque, Silvestre NIiedviédief , un moine érudit , hibliographe et poète de cour., Hovanski , un homme de guerre, le favori des strertsy. [Jn
(f.) Sor,ovrur, IIist, de Rttssie, t. XIV, p.gZ; Avnrr,, ouvrage cité, p. 296. (2) Jrr,reuoLrJSKr, llfémoires (ediri"u lazyhof), p.Zt. 3) Ousrnuror, -É6sf. de Pierre le Grand, t. Il, p. LB etSIeh.

LA ÎSAREVNÀ SOFHIE.

25

groupe politique se formait ainsi, dont les éléments s,étaient peut-être attirés antérieurement déjà et réunis dans l,ombre. Miedviédief en était l'âme, mais Guritri.re y tenait, aux côtés de.sophie, la première place, et c'était l'*urà.r, qui ra rui donnait' La Tsarevna avait vingt-ci'q ans et en paraissait quarante aux yeux de La Neuvilre. Avec une nature ardent., pur_ siorrnée, elle n'avait pas vécu encore2 et, son esprit comme son cæur e'semble éveillds la faisaient se jeter dans la vie intré_ pidement, éperdument, se livrer to.t e'tière au flot impétueux qui I'emportera. Elle devenait ambitieuse en devenant amoureuse. Naturellement, elle associait à ses ambitions I'homme sans lequel leur succès n'aurait pas de charme. Elle le poussait, plutôt que d'étre poussé* pu" Iui, à I,escalade de la haute forturre à partager commun. Lui sembre personnellement timide, défiant et"r, irrésoru, donnant tôt des signes de vertige et de détresse. II reculerait peut-êr.re à I,heure t::îl"li"ns suprêmes, sans Miedviédief, sans Hovanski. des NIiedviédief aiguillo^ne ra bande, rui souffle sa propre passion, sa fièvre de conrbat; Hovanski, enfin, rui met entre res rnains I'arme redoutable dont eile a besoin pour servir ses d.esseins.

tI
création d'Iva' re Terribre et de son compâgnon d,arnres, Adachef, les Sneltsy n'ont derrière eux, ;, 16g9, q.,un passé assez court et d'une gloire déjà obscurcie; mais irs ont réussi à s'en faire un fonds, sur requer ils vivent très large_ ment. Honrmes libres, sordats de père en firs, ils forrne.rt,"uu milieu de i'asservissement gé'éral, une caste rnilitaire privi_ légiée et ayant, à raison même de ses privirèges, acquis une importance hors de proportion avec son rôle naturel et ses services' L'État les roge, res équipe et res paye, méme en temps de paix, alors que les autres hommes lib"u, sont con-

26
damnés

L'ÉDUCATION.

frais, même en et un temps de guerre. Ils ont une administration spéciale marque. E* commanflant à eux, qui est toujours un boiar de le service des rues' des temps de paix, ils font la police les patrouilles, factions et gardes d'honneur, et éteignent l'étrier ' incendies. un régiment de choix, le u régiment de sorties au (stremiannTi), accompasne le Tsar dans toutes ses I'avantdehors de la ville. En temps de Suerre' ils forment à Moscou, gar<le et le noyau de son armée. vingt régiments la de huit cents à mille hommes chacun, se distinguant par verts, bleus ou couleur de leurs unifiormes : caftans rouses, jaunes et des honavec de larges ceintures rouges, des bottes incertain de nom[re un nets de velours, garnis de fourrure; leur laisrégiments dans lls provinces. Leur métier militaire ,uit d*, Ioisirs, ils font aussi du commerce et de I'indlstrie ; imprôt; ils s'y enrichissent aisément, ne payant ni patente ni de aussi affive-t-il fréquemment que des bourgeois aisés rôles' leurs sur Moscou sollicitent la faveur d'une inscription intrus (l)' Mais ils sont exclusifs et se défendent contre les

à servir

sans solde aucune, à leurs

victoires C'est à eux qu'autrefois Boris Godounof a dtr ses sur les Tatars; ils ont opéré, sous le tsar Michel, la capture

de Marina Mniszech et de Zatoatski, son dernier partisan, Tchiguirine pris smolensk aux Polonais sous Alexis, défendu crise intélongue la contre les Turcs sous Féotlor; pendant rieure et extérieure du dix-septième siècle, ils ont constamle ment tenu le parti du pouvoir régulier, vaincu Rasine, Mais Cosaque rebellà, et au demeurant sauvé la monarchie. cette époque troublée a réagi sur eux, jeté dans leurs ran8s des ferments d'insubordination. La vie oisive achève de les corrompre. Défenseurs naturels de I'ordre, Ies voici depuis
de quelque temps faisant cause commune avec les insurSés ioute espèce, donrrant le signal des émeutes. Les émeutes sont maintenant à I'ordre du jour dans les basses classes. La
p,, et cuiv.; Brnc, Le règne -du- tsar Féodor' Péters(l) OusrualoF' t. I, '36 ^L7 suiv. I Hunnulwr, Ceschichte Russlands, Gotha, boi.g, 182g, t. II, p. "t 1846-1860, t IY. P, { et suiv.

LA TSÂNEVNÀ SOPHIE.

27

corruption, I'avidité des fonctionnaires, Ies abus qni en découlent ont soulevé l'âme populaire. L'avènement de Pierre se prépare aussi là, dans cette société en ébauche devant un État en décompositiou. Ayant moins à se plaindre que les autres, les ,Srrellsy n'en sont pas empêchés d'élever la voix au-dessus de tous les plaignants. Soldats plus que médiocres désormais, ainsi qu'un avenir prochain le prouvera, ils se révèlent comme des braillards redoutables ; un jour d'orage en fera les plus féroces des bandits. Des symptômes inquiétants ont paru parmi eux avant Ia fin de Féodor ; ceux du régiment de Siemione Griboiédof se sont soulevés contre leur colonel, I'accusant de concussion; il leur volait leur traitement et les obligeait à travailler le dinranche à la construction d'une maison de campagne. La faiblesse du pouvoir aidant, entre un souverain agonisant et des héritiers mineurs, la contagion s'est propagée. Arrivant au pouvoir avec Pierre, les Narychkine trouvaient seize régiments en feu. Fort embarrassés, ils faisarent revenir d'exil Matviéief, le créateur de leur fortune, I'homme d'État expérimenté, et, en attendant ce sauveur, ils livraient les colonels. On leur appliquait la procédure du praaièje, en usase pour les débiteurs insolvables. Devant les troupes assemblées, les chefs incriminés étaient frappés de verges surle gras des jambes,jusqu'à ce qu'ils eussent abandonné tout leur avoir, fruit de rapines réelles ou présumées. Le supplice durait de longue." heures. Ils n'en moulaient pas, mais la discipline était morte, et la bête féroce démuselée dans cette troupe de prétoriens sauvages, n'attendait plus qu'une proie à sa portée pour prendre son élan et faire jouer ses 6riffes. Sophie et ses conseillers lui montreront les Narychkine. Le mouvement est préparé, l'émeute organrsée rapide. ment, tambour battant, cyniquement aussi, presque à visage découvert. L'oncle de la Tsarevna, lvan Miloslavski, dénoncé plus tard par Pierre comme I'ouvrier principal de I'ceuvre infâme, poursuivi jusque dans Ia tombe d'une haine farouche, s'agite violemment, colpoltant de fausses nouvelles, attisant

2t
les colères. Le

L'ÉoucÂtloN.

bruit court que les Narichkine ont empoisonné le tsar Féodor; qu'ils maltraitent le lière aîné de Pierre, le Tsarevitch dépossédé, qu'un d'eux sonse à usurper le trône.
Un Narychkine, suivi d'une troupe armée, est aperçu maltraitant la femme d'un ,strelers.' c'est un agent déguisé des Miloslavski. Une confidente de Sophie, Féodora Rodinitsa, court les rues, s'insinue dans les quartiers rnilitaires, semant des paroles venimeuses, des pièces de monrlaie et des promesses. On attend I'arrivée de Matviéief ; c'est le signal convenu. Les Strelæy, dressés, font bon accueil à leur ancien chef, endorment sa défiance; le ll mai 1682, une députation envoyée par les vin6t régiments lui porte le pain et le sel, u du miel sur la pointe d'un couteau u , dira le fils du malheureux vieillurd, condamné déjà, voué à la mort. Quatre jours après , à I'aube, on bat I'alarme dans tous les quartiers, les vingt régiments prennent les armes et le Kreml est assiégé. Les Streltsy ont mis bas cette fois les caftans multicolores ; ils paraissent vêtus uniformément de leurs chemises rouges' les manches relevées jusqu'au coude, annoncant ainsi la besogne pour laquelle ils se sont levés de grand matin ; non plus soldats, mais justiciers et bourreaux' IIs ont bu copieusement avant de se mettre en route, ivres d'eau-de-vie, avant qu'ils le soient de sang, criant affreusement et agitant leurs hallebardes. Ils croient ou feignentde croire qu'Ivan et Pierre lui-même ont été assassinés, et prétendent venger leur mort' Du fraut 6" l, ssralier rouge on leur montre le Tsar et le Tsarevitch sains et saufs ; otr essaye de les calmer ; mais ils n'entendent plus rien, ne reconnaissent Personne. IIs crient plus fbrt : A nrort les assassins ! Le chef de leur prikaze (bureau d'adrninistratiol, département), le vieux Dolgorouki, s'avance sur le perron pour les raltpeler à I'ordre. Aussitôt quelqtres coûrpngnons plus hardis grimpent I'escalier, saisissent le vieiliard, le précipitent dans Ie vide I d'autres tendent leurs piques : Lioubo! Iioubo / (c'est bien, cela nous plaît) crie la foule. Le massacre est commencé ; il dure trois jours' Réclamés un à un, puis poursuivis dans I'enceinte du palais, tra'

LA TSAREVNA SOPHIE.

29

qués dans les maisons voisines, clans les églises, les conseillers

et parents de Nathalie, Matviéief, les Narychkine, partagent le sort de Dolgorouki ; quelques-uns torturés d'abord longuement, traînés par les cheveux sur la place, knoutés, brûlés au fer rouge, déchiquetés enfin à coups de hallebarde. l\athalie lutte désespérément avant de livrer son frère préféré, Ivan. II finit par se livrer lui-même, obéissant aux objurgations du vieux prince Odoievski, donnant sa tête pour le salut de ceux des siens clue la fureur des Srrel/sJl consent à éparkîner. Après avoir communié dans une des églises du Kreml, il se rrrontre, tenant dans les mains une image sainte, suprêrne bouclier. On lui arrache l'icone, et il disparaît dans la mer de colère et de sang qui continue à battre les muls du vieux palais. Elle s'étend plus loin, elle déferle par la ville, enveloppant dans ses remous habitations privées et édifices publics, s'égarant à la recherche des complices supposés d'un crime rmaginaire, tuant partout, pillant aussi . Les émeutiers s'en prennent même aux archives, ce en quoi on peut imaginer d'ailleurs qu'une pensée politique les guicle,le désirde donner à leurs excès un caractère populaire. On croit qu'ils cherchent à faire disparaître les documents se rapportant à la constitution du serYage. Et Sophie? Des historiens ont essavé de dégager sa responsabilité (l). C'est une Sageure contre I'évidence. Jamais meilleure occasion ne s'est présentde d'appliquer la maxime : Is fecit cui prodest. Dans ces journées terribles, on v<lit beaucorllr de vaincus; un seul vainqueur y paraît, et c'est elle. Elle tient si bien le mouvement en rnain qu'elle I'arrête et I'endigue, quirnd bon lui sernble. tin cornparse obscrrr, Tsikler, réussit avec qtrelques mots à persuader les plus enragés; ce Tsikler se retrouvera au lenclernain de la crise dans I'entourage intirne de la 'Isarevna. En même temps les postes les plus importants échoient à ses amis de la veiile, à ses parents, Hovanski, Ivan hliloslavski, Ya.ssili Galitsine. C'est la curée. Iille prend sa part
(1, Anrsror,
Les troubles

à \loscou

sous

la

régence de Sophie, Yarsovie, 1"87t

30

L'ÉDUC ATION.

comme de raison. Pierre restant encore Tsar titulaire, elle mieux. s,empare du pouvoir, régente de fait, en attendant reçoi,Srreltsy : les servie ceux qui I'ont si bien Elle paye "rrfir, vent dix roubles par tête Pour leur petne, et' si les biens de leurs victimes ns leur sont pas distribués' comme ils y Prétendent, on s arrange pour leur donner satisfaction par un réserve moyen détourné I on met ces biens en vente et ou leur a encore on car le privilège de les acheter. on les caresse, et beroin d'àr*: le 23 mai, ils reparaissent devant le Kreml ainsi, Partagée réclament l'association d'lvan à la souveraineté' elle sera plus facilement tenue en tutelle. on s'est arrunSé le patriarche sous la main et quelques boïars I on pour "uoi, de purl" de Pharaon et cle Joseptr, d'Arcadius et d'Honorius, dont Basile et de ConstaDtinl on oublie Nlichel et Philarète, reon Ia souveraineté jumelle a laissé de fâcheux souvenirs; à deux commence un sàmblant d'élection, et le farneux tr'ône encore convient il sièges est instauré. Ce n'est pas assez; Nouvelle quiourr, I'infirme, I'idiot, ait un titre de préséance. fbis, Cette élective' émeute, nouveau simllacre d'assetnblée a été proclamé Sophie jette tout à fait le masque : quand Ilan et la Tsarevna émeutiers, aux prr*t", Tsar, un festin est servi de sang rouges en fait les honneurs. Ils ont encore les mains lls lui témoicomme leurs chemises, et elle leur verse à boire' rnai pour lui dégnent leur reconrraissance en revenant le 29
cerner le

titre de Régente'

III
au prix La voici au sommet. Mais elle n'a voulu I'atteindre

detantdeforfaitsquepourYsavolrrer|esjoiesdupouvoir p"r lui. Tout le moncle lui obéit; elle avec l,élu de son
maitre de la Russie, veut que ce sottlui qui commande. Le vrai le vrai r'é6ent' régence' st que durera pendant les sept "orré*, ce sera Yassili Galitsine. ".*or. "i

pourtant elle-méme de nous docurnenter à cet égard, et de mettre historiquementles choses au point. cinq années se sont passées; elle règne au l(reml, et Galitsine achève en crimée une campagne désastreuse, où elle est seule à croire qu'il a recueilli des lauriers. Il doit prochaineme't venir la ,ejoio,lre à Moscou, et elle lui écrit :

8I comme sa probité poritique, la vertu de Ia Tsarevna a aussi trouvé des défenseLrrs. L'arnoureuse princesse s,est chargée

I,A

TSATIEVNA

SOPHIE.

" Batiottchha, mon espoir, mon tout, qtre Dieu te donne o de longues années. ce jour-ci m'est gr-,de-ent heureux, rr pârc€ que Dieu, notre seigneur, a glorifié son nom ainsi c ![ue le nom de sa mère, par toi, mon tout. Jamais la grâce n divine ne s'est manilestée d'une manière aussi éclata'te; n jamais nos ancêtres n'en ont reçu d'aussi grands témoi( gnag:es. ainsi que Dieu s'est servi de MoTse pour tirer les n Israélites d'Égypte, il nous a conduits à travers les déserts .. en se servant de toi. Gloire soit à lui, puisqu'il nous a monn tré en toi son infinie miséricorde. co-mert ferai-je, ô mon rr âr'orr: pour récompenser dignement ton labeur extrême, a ô mâ joie. ô bonheur de mes yeux ! puis-je ".uirr..rt a croire, ô mon cæur, que je te reverrai bientôt, ô ma douce n lurnière ! ce sera pour moi un grarrd jour que celui où je te ,. retrouverai de nouveau à mes côtés, ô mon âme ! si c'était a possibl", je te ferais revenir en quelques instants par une u invocation nr.gique. Tes rettres arrivent toutes heureuser< rt€rt, par la grâce de Dieu; re bulletin de la bataille de u Pérélcop est a'rivé le r l ; j'allais ce jour-là en pèle.nate au u monastère de I'Exaltction de la sai'te croix (vozdutjensk;), n faisanL li'r route à pied; comme je m'apProchais du croître '' de saint-serge, ton courrie. *ia ..joi.rt. Je sais prus ( comment je suis arrivde au terme de rna course.'e Je lisais en n marchant- comment témoig.er ma reconnaissance à Dieu, " à sa sai'te ilfère, au miséricordieux saint serge, auteur de n miracles ! Tu me recommandes de faire des aumônes aux o cloîtres : je les ai cornbrés tousl à tous j'ai fait pèlerinage,

Bt

l'ËnuceTloN

'

(t comme à celui-ci, toujours à pied. Les médailles ne sont pas je vous les n €frcofe prêtes I n'en a),ez pas souci; sitôt prêtes, Dieu, ., enverrai. Tu me recommandes de prier : je le fais, et voir, ô a qui m,entend, sait aussi conrbien il me tarde de te miséricorde; a IIloÛ monde, ô mon âme! J'ai espoir dans sa Pour n elle m'accordera de te voir bientôt, ô toutmon espoir! ta guise' à u ce qui regarde I'armée, tu peux tout décicier * goarrt à moi, je suis bien portanter $râce sans doute à tes Dieu n prières. Nous sommes tous bien portants' Quand monmondel a m,auraaccordé de te revoir, je te dirai tout, ô tardez pas; ne mais a tu sauras ma vie, mes occupationsl vous devez n ffiarch€ z; ne vous pressez pas trop cependant : aètrefatigué.Commentferai.iePourYouSrécompenseravant as fait et a tous, pour tout? Personne n'aurait fait ce que tu (t)! c tu n'as pu Y parvenir qu'en te donnant tant de peine

u Sopun. ,

Pourn,êtrepasdanslestyledeshéroinesdemademoiselle

deScudéri,lalettren'enpataîtpasmoinsconcluante.Aen croireLaNeuville,soplrien'atrraitpasétéembarrasséepour

elle le jugeait digne, attribuer à son héros la récompense dont

Sansunobstaclequigênaitlesélansdesareconnaissance. Et rnalheureuse' cet obstacle ,'upplluii *odu*" Galitsine. pour l'écarter, ment le héros ,u ,.t'.r**it à faire le nécessaire ctayantnaturellernentdel'honneur,jointàcelaqu'ilenavait plus chers que _ d; grancls biens et des enfants qui lui étaient (ceuxqu,ilavaitdelaprincesse(IaTsareuna),qu'iln'aimait continue le a ![ue Par raPPort à sa fortune ) ' - Cependant ' sont ingénieuses elle chroniqueur ' ( comme les femmes ' - (Sopirie) fit si bien qu'elle Ie persuada (Galitsine) d'engager

asafemmeàsefairereligieuse'moyennantquoi,selonla nreligiondesMoscovites,lernari,parl'excusede]aforcede cle garder le-céli.. son tempérament, qui ne lui permet pas Cette bonne dame n bat, obtînt lu p."oi'sion de se remarier'
(L) Publiée par Ousrnril'oF' t' I' p'
383

LA TSÂREVI{A SOI}HIE.

33

donné les mai's, la princesse ne douta plus de Ia n réussite de ses desseins (I). " Blle comptait sans un autre obstacle, qui, soudai', venait se dresser entre elle et la réalisation prochaine en apparence
de ses suprêmes désirs

; y ayant

IV
Au milieu des secousses terribles qui à plusie'rs reprises ont fait vaciller sur son jeune front le lourd diadème j,Io"o le Terrible et rempli ses )'eux de sanglantes visions, Ie fils de Nathalie i{arychkine n'a jotré, on Ie pcr}se bien, qu'un rôle de victime passive. Des légendes complaisantes I'orrt montré, il est vrai, surprenant déjà Ie monde par un courage au-dessus de son âge, bravant les assassins et les faisant reculer devant le feu et la majesté de son regard. En même temps, l'éclosion non moins précoce de son génie raissait loin derrière elle les prouesses de Pic de la Mirandole. A trois ans, on nous I'a montré commandant un régiment et présentant des rapports à so' père. A onze ans, il a, sous la direction de I'Écossais I\Ienzies, approlirndi tous Ies arcanes de I'art militaire et adopté sur quelques-unes de ses applications des vue$ person'elles et gé'éraler'ent novatrices. Je fais grand cas des légendes' sans me refuser à Ia nécessité historigie de les contreclire, quand elles r'e paraisse't se tromper. Biles se trornperrt ici du tout au- tout. physigrrement et intellectuellerne.t, le développement du futur g.and homme paraît, au contraire, avoir été assez lent. te colosse a de Ia difficulté à se rnettre sur ses pieds. a trois ans, il avait encore une nour.rice; à onze ans, il ne savait ni lire ni écrire. Le stratège en brassière et son régirnent (Pie*of-Fork), sur resquers u,i hi*to*ien rnieux (l) Dépêche de I'agent francais r,a vie, du t0 nover'r*e {71g, citu't dee
(aff. étr.
de r.ranee
)

paroles de Pierre lui-même qui confir'rent ces traits.

I

3rr

T,'ÉDIJCATION'

inspir,éhabituelletnerrts'étendaveccorrrplaisancedansune sont une fictioD et une naïr'eté' étude d,irilleurs curieuse (l), avancé' Pierre ne Il y a plus. l\tême à un â6e beaucouP plus f",uju*uispreuved'ungrandcourasenatrrrel.Beaucotrptrop impressionnable' Ses prenerveux Polrr cela, trop facilement qtr'il doit remplir clu miers débuts sur Ia '"è"t du monde' lien d'héroÏque' Le courage fracas de ses exploits, n'auront trrrd et par le mÔltre efllbrt d,une comme le savoir lui viennent volontétrenrpéeptrrlesépreuves'Ceséprerrvesrecloutubles, dont son enfance a été assaillie, ces angoisses et cà, épo.ruantes et son caractère ont roirqué, d.'autre part, son tempérarnent visible tlisposition une d,une tare i.eftaçabtà, e' lui laissant atrtroulrlefacile<lesfircu|tésphysiquesetmot.alessousle de au recul instinctif coup tl'un choc quelque pe.u violent' à I'effa'ement et à I'a5anl,être tout enti*. à*oorrt lc tlanger, ensuite le ctessus, et le don de soi-même. La volonté prendra mieux; mais il est' tel et naturel , dompté, n'en obéira que pierre sera toute savie un timide, point autre. i"trrr*1er*ent,

etc,estPource|aaussitlu'ilseraunviolerrt-d'ungviolence
nonpasconscientetoujclursetcalculéesottvent,commecelle irréfléclrie, éc|lapllant un mocle Napoléon, nais absolument de la raiso[' cette tare, merrt au contrôle cle la volonté et d'est|opié, il lc-portera d,ailleurs, que j'indique, ce stigmate tordant d'un tic toute sa vie **'i, gravé dans sa chair' et rude' en accenttlatrt d,ouloureux son masque impérieux d'une tentative cl'eml,expression farouche. on a parlé trace' Poison physiqtre poisorrnement ayant laissé cette que les su'eltsy ou poison morali t'"rr.t seul importe. celui enfan-t, en faisant glisser ont versé dans les veines du pauvre ses oncles' me Parait plus ses petits piecls dans le '*n3: de
certain. ll a eu Peur2 comme

tout enfant aurait

eu peur à sa place;

il

jupes de sa mère, et s'est caché sans doute dans les

il a quitté

sans regret, une fois de

plus, Ie sombre palais peuplé cl'horri'

Moscou' {872' (1) Zrnrrrrxn, L'enfance de Piete Ic Grand'

LA TSAREVNA SOPHIE.

3.ï

bles cauchemars. car le triomphe de sophie I'a encore condamné à I'exil, lui et les siens, I'a rnis sinon hors la loi. clu tnoins, et par bonheur, lrors de la règle conlmune. L'exil pour ce souverain de dix ans, qui sera tur homure si extraordinair.ernent remuant, c'est de I'espace pout courir, de I'air poul. respirer, de la santé pour I'esprit et pour Ie colps; I'exil, c'est la liberté. Il en profite; il revient bien au r(r'eml les jours de granrle cérdmonie pour s'asseoir sur le trône jumeau, commandé exprès en Hollande, gue I'on voit enccre au musée de Moscou; mais ce ne sorrt que de courtes apparitions; le reste du temps il est à Préobrajenslio'fd, affi'anchi de toutes les servitud"r, àe toutes les contraintes de l'étiquette et de la souveraineté, et rien ne saurait mieux lui convenir. on n'oublie pas que par sa mère il tient à un milieu d'indépendance relative. En entrant au I(renrl, Nathalie a comruencé par y faire scandale avec ses allures de demi-Écossaise. Ne s'est-elle pas avisée cle soulever un coin du rideau baissé sur la glace de sa voiture ! pierre arrachera un jour ce rideau ! L'hérédité mater.elle le rattache aussi à un foyer de culture européenlre; mais sa destinée veut qu'il soit tenu à l'écart de l'école gréco-latine-polonaise, dont I'influence a prévalu jusqu'à présent en Russie. Les représentants de cette école, Miedviédief en tête, appartiennent au parti de soplrie. un précepteor, z,otof: ![u'on lui a donné et qui en relève aussi, a dfr fuir et n'est pas remplacé. Livré à lui-même, I'enfant s'en choisit d'arrtres à son gré, i'clinant instinctivenrerrt clu côté des étrangers. Il apprend ainsi beaucoup de choses I guère de clroses se rappor.tant au nrélier des armes. Il ne sera jamais un grand soldat; d'esprit trop pratique pour cela, trop bourgeol$, dirais-je volontiers. on nous I'a montré nrettant de lronne heure à contribution Ia oroujeinata palanrle dépôt d'armes de la courl mais cet arsenal moscovite du dixseptième siècle n'a de militaire que Ie nom; c'est une manière de bazar oriental; Pierre y envoie chercher des montres, dont il se divertit à démonter le mécanisme, des rnstruments d'borticulture, dont il se fait expliquer I'enrploi. on s'est plu aussi

g6

L'ÉDUC ATION'

àexagérerlaportéedecescuriositésenfantines(t).Ima6inonslepremierenfantvenu'biendoué'celavasansdire'à
l,intel.ligenceouvertelsuPposons.Iesoustraitradicalenrentau systématiques et en même train-train ordinaire des éducations satisfaire les exi8ences de son esprit temPs absolument libre de en travail naturel: il est clair que en éveil, de son imagination se portera sur une foule d'obje.t., son désir instinctif d1 sarnoir diplomate à son servlce Pierre est un æùtoàfàan'rog' ainsi qu'un do"i une lettre adressée à Leiben fera or, 1o,r* la rernarqo*

nitz(2).Ilnes'ensuitpt'dotoutqu'ilsoitunélèveprécoce'
NorrspossédonSSeS"ul'i",,d,études;àseizeans,sacalligra. il en était à faible, son autographe lamentable' et ,*rtait ffri* règles de I'arithmétique' Son lppr"ndre les deux premières Franz Timmermann' avait de la professeur, le Hollandais

peine,lui-même,àsetirerd,unemrrltiplicationcomportant quatrechiffres.Ilestvraiquedanslesleçonsainsidonnées
lesproblèmesd,arithrnétiquealternaientaveclesthéorèmes de géométrie descriPtive (3)'
AyecnosPl.océdéscl'entraînementscolaire,systématique

rnentetinvariablementgradué'nousréprrgnonsàvoirtrirrsi intellectuel auquel nous *o-** interverti un ord'e d" progrès rneshabituésetquipeutpourtantn'êtreqtr'arbitraire.Ces des milieux inteTlectuels interversions sont fréquentes clans moinscornpassésetrnoinsastreintsàlarèglequelenôtre. C'estd.,ailleursàunhasardencorequePierredoitcles'être asseztôtintéresséàtrnSenred,étuclespeufaitpourséduire lestrèsjeunesesprits.Bnl6E6,uneconversationaacciden. un instrument merveilleux tellernerrt attiré à c,rrio*ité sur Dolgorouki d'utt voyage elr rapporté par [e prince Jacques PaYsétrangers.Aveccetinstrumerrt,s'est.illaissédire.oII
t. Il, p.'rrO.,tïp' po"on'**"'Le' p':"nières
(t)N.ÀsrRpF'L'éd'ueationpremi'éredePierreI"';Àrchiverusse't875' an'rées d'e Pierte le Grand'Nlose

"'ïâlT"t;T;JJ ;:':t:î, t9'.::--t'^o'J, "1"' t' Ett*I ER' Leibttitz i n s ein tt f 7l' t rirgu, ru Âustla'td' LeipziiJ'-18I3' t' ll' p' Pierre Iu" Archives de I'drrrprre,
B

ezie'

(3) Ous.rnu"";,;l rr, sççt. l, liv. E8'

i.

îeo.

-

cabinet de

LA TSAIiEVNA SOPHIE.

87

féconds en merveilles; Sophie et Galitsine l, de Louis xlv, avec mission de sorrici,".

voré sans doute. Heureusement re prince ailait repartir pour res pays

pouvait mesurer les distances sans bouger de prace. Rien de pareil ne s'était encore vu à la oroujeitnaio polotol Et de récla_ mer I'asrrolabe. Héras ! Dorgorouki revu.r"ii les mains vides ; I'objet ne se retrouvait plui dans sa maison; on l,avait

teur de mathématiques à préobrajenslioié. Pierre n'eut ni le temps, nr I,envie, ni les moyens, avec un tel maltre, de Potlsser très avantdans cette bra'che d' savoir Évidemment et simpleme nt I astroraberentre ses mains, n,étart que la manifestation accidentelle de cet instinct de touche-àtout, qui constitue le fond de toutes les natures enfantines. sans doute Ia manière dont s'accuse clrez lui re prurit com_ mun sort drr commun à beaucoup d'é6ards, révérant non seu_ lementun caractère particulièrement formé, i'cliné au sérieux, chez I'enfant lui-rnême, mais, au dehors, des circo'sta'ces très particulières aussi, dont son esprit subit linfluence. sa destinée voulait gue, dans re milieu où il se trouvait pracé, Ies choses sollicitant re prus énergiquement son intelrigence en quête de sensations nouveiles, ràs plus attractiver, rer" plos ctn'ieuses, fussent aussi les plus instructives et les plus .rtilur; choses d'un monde rrn.ro*oo et peupré de prodiges, avec requer ce milieu entrait en contact. car évidemment encore rr n'est pas vraisembrabre, en dépit de toutes les lé6ender, gu'à dix ans, ou même à serze, re futur Réformateur se soit rendu compte de I'avantage qu,arrrait'n jour la Russie à être gouvernée par un prrnce initié à ra pratirlue de guatorze métiers- c'est Ie chiffre consacré. pierre n,a jamais appris quatorze métiers; il en a étudié et pratiqué quelques'un*' celui de tourneur, par exernple, ou de dentiste,

: comnrerrt s'en servir? euerqu'un parla de Timrnerrnann, etre Hoilanrfais qui bâtissait des maisons au Faubot .g ailemand d.evint
précep_

Turc. Le Roi Très chrétien fit à r'ambassadeur|accueil gue |on devirre, mais I'asn'olabe f,.L acheté. Quand pierre I'eut entre les mains, il commenca par en étre fort embarrassé

rr,uTJJJ,li:::iTXJi:

38

I,'ÉDUCATION'

Bn se dispersant sans pl'ofit apparent pour qui que ce soit' émiai'si, il a, qJelle que fit I'enver:Sure de son intelli*ence de rester strperûciel, nemûlent compréhensive, couru Ie risque ceci la leçon de ses en et il n,y a pas écltappé. Plus tard, suivant en aptitudes raisonpairs, àonr,"rtir."rises penchants natu.els à ce peuple de nées, il s'aperc"tr" qtt de dire à ses sujets' ou cela' u p"r.rr",r*, à'i6rrora't, et de maladroits : Faites ceci I'action autrement remuez-vous, rtlstruisez-vous t' r ne vaut pas alors' mais totrpuissante sur eux de I'exemple; par principe

jot.,

obéissance à la aussi par goût, instinct, tempérament et à se remuer pr*rrion de I'atmosphère ambiante, il continuera et au hasard' lui-même, à ramas,.,, tlt-"i et de-làet pêle'méle à faire partout et touteslesconnaissances, toutes les aptitudes,

entotrtæuvredesesdixdoigts.Etcesorrtencorecesmêmes la seule vore influences qui le poussent de bonne heure dans un maître, sinon où il parvienne à devenir un bon praticien, enmênreterrrpsqu'ilytrouveunesourceinépuisabledeplai. lui et son Pays' sinon cle bénéfices positifs et durables Pour
sirs,

Tout,lemoncleconnaîtl'histoire,amplifiéeetagrémentée trouvé au village comme cle raison, d' vieux bateau anglais, d'IsmaÏlof,dansundépôtd'objetshorsd'usageayantaPPar. Ivanovitch Romatenu au grand-oncle du jeune héros, Nikita enfant' Pierre ait nof. Toujours ingéni",'*e, la lé6ende veut Ï3: humide' au longteml,, .ur*.oti de la répulsion Pour l'élénrent ll n'y a là poiît de pâlir et de frisso'ner à la vue d'un ruisseau'

de la difficulté naturelle peut-être que I'expression symbolique

lointain, absent, monde, à entrer en intimité avec cet élément

chezunterrie,r,h"l'itantduplusvastecontinentquisoitau

rgnoré,presqueinabordable.Pierredonnerauneflotteàla le caractère eut'ier de son Russie avant de lui donner une mer I
æuvre, avec ce qu,elle
a <le

précipité, d'anormal etde paradoxal, auxbois à moitié pourris' Vieille s,accuse dans ""ir"it. aurait, "huloopu en attirant I'attention de I'enfant' le bateau d'Ismaïlof

vaincusesrépugnancesetdéterminésavocationdemarin. la présence -de cet ^ On ,r'u pu, "J'"' cherché à s'expliquer de terre esquif clans uu village voisiD de Nloscou, en plein Pays

80 LA TSÀREVNA SOPHIE. ferme. Quancl Pierre s'est avisé plus tard d'établir un chantier de cotrstructiorrs navales, à une centaine de verstes pluS loiD, sur le lac de Péréiaslavl, il n'a fait que suivre une piste déjà tracée, jalonnée avant tui; il a cr'éé cette chose bizarre : la marine sans mer'; il ne I'a pas inventée. Il n'a, à proprement parler, rien inverrté, on le verra plus tarcl, dans la série de ses réalisations rnultiples. Sous le rè6ne du t.sar Alexis des essais avaient déjà éLé hasardés dans cette <lirection ; url yaclrt, l"ligle, fut construit à Diedinof, sur les bords de I'oka, avec le concours de charpentiels étran{iers recrutés pour cet

objet. Struys en parle longuenrent rlans ses Tayages (l). L'idée floltait dans I'air, conluse encore, mais déjà nettement dirigée vers le l-rut à atteindre. Comrne l'astrolabe, le bateau d'IsmaTlof passa d'aborcl aux yeux de I'ierre l)our un objet nrystérieux. Des Pûysalrs avaient i-o le navire, autrefois, navigua nt contre Ieuent.Itrotlige encore ! Le mettre à I'eau, sur un étang voisin, firt vite lait. i\[ais colnment le I'irire man(Euvrer? Timmernlann n'y eutetldait rien' par bonheur, les ouvriers, Hollandais etrx aussi, {ui avaieut travaillé à Diedinof, n'étaient par tous clisparrrs' Qtrelquesuns demeuraient établis at Faubourq. Pierre eut ainsi cleux autres précepteurs, Karschterr-Brerndt et Kort, deux charpentiers. IIs opinèrent pour le transport du hateau à Pér'éiaslavl' Il y avait Iàr une vaste étendue d'eau Piert'e suivit leur avis et d'enthousiasme se mit à leur école. Mais c'était, en somrne, l'école buissonnière qu'il pratiquait surtout à ce rnornent. Il y gagrrait quelques cotrnaissarrces utiles, mais surtout des habitudes, des perrctrants, dont quelques-uns déplorables. Il y gagnait encore de la santé, de la vigrreur; i[ se faisait des muscles d'acier, un tempérament plrysique d'une résistnpce exceptionnelle, à part et malgré ses crises nervellses, fnrit de la tare originelle; trn tentpérament moral merveilleusement souPle' sauf ces mêures défaillances,
robuste et entrePrenant.

(l) Amrteràan,1746-

40

I,'ÉD

T' C

AT I ON.

Il se faisait aussi des amrs, tout un petit peuple recueilli à I'aventure dans la nombreuse domesticité de son entourage, dans la promiscuité de son vap;abondase perpétuelr grooûrs des écuries paternelles çkoniouhy), montant à dos nu avec lui Ies petits chevaux du pays, polissons courant les rues. Il jouait au srldat avec eux, on I'imagine bien ; naturellement il les commandart. Le voici à la téte d'unrégiment, etcette autre création grandiose, I'armée russe, est née de cette autre amusette. oui, les jeux pseudo-marins du lac de Péréiaslavl et les jeux pseurlo-militaires du champ d'exercice cle Préobrajenskoié, ce double point de départ aboutit à ce double point d'arrivée : la conquéte de la Baltique et la bataille de Poltava ! Mais pour réaliser cela, pour combler la distance ainsi mesurée, il a fâllu autre chose que le passaffe de I'en(,'ance à l'âge mûr dans une personnalité unrque, si exceptionnelle qu'on la veuille supposerl autre chose que le développement, humainement possible, d'un génie individuel; il a fallu le concours d'immenses forces collective$ accouplées à son effort, préparées à I'avance, mais immobilisées dans l'attente de I'heure propice, de I'homme propre à les mettre en valeur, et, I'heure et I'homme venus? se révrjlant soudain, se servant de I'individu autant qu'il se sert d'elles, le poussant en avant autant qu'il stimule leur action. L'hornme n'a été lui-méme qu'un produit de ces énergies latentes, et c'est pour cela qu'il s'est rencontré à propos, issu d'elles, grandi avec et par elles. Ce n'est pas seulement une armée et une flotte, c'est une société nouvelle qui se prépare là, dans les entreprises et les liaisons tumultueuses du lbugueux adolescent. Toute la vieille aristocratie, toute la hiérarchie surannée de Moscou croulera bientôt sous les pa$ de ces hardis compagnons, échappés d'écuries et de cuisines, dont il fera des ducs et des princes, des ministres et des rnaréchaux. t\[ais en ceci encore il reprendra seulement le fil rompu de la tradition nationale; il n'improvisera rien; il imitera ses ancêtres de l'époque pré-mongoleo cheÊs d'une drouiina (bande de compagnons), travaillant de pair avec leurs drougi, buvant avec eux, la besogne achevée,

LA ÎSAREVNA SOPTIIE.

LI

et se reftrsant à devenrr mahométans K pa.rce gue boire est Ia joie des -Rzrsses u . Pierre sera toujours un bon camarade et un joyeux buveur; toujours aussi il conservera I'empreinte, déplaisante à certains égards, de ce cornpû{tnonnage sortr des bas-fonds populaires, et il en léguera quelque chose à son æuvre, à Ia vie nationale faconnée par lui. Les mcnurs populaires de l'époque précédant son avènement ont trouvé, depuis, des apologistes passronnés. L'éloge devrait s'étendre à la pcr.son'alité intinre du grand Réfbrmateur, et ce serait entreprise hasardeuse. Habitudes sordicles, façons grossières, vices dégradants, relent de cabaret et parlum de cvnisme, tout ce qui y paraît de choquant est ce que Pierre a ramassd dnns la rue, dans la vie cornûlune de son pa)'s avant la réforme. ll a eu tort d'en garder le goùt, et plus encore de vouloir que son peuple le gardât.

v
La tsnrine Nathalie semble s'être avisée très tard du danger créé pour son fils par ces fréquentations. Elle en avait d'autres, elle-méme, qui, guère mieux choisies, I'absorbaient. L'origine des ré8irnents r, de plaisaflce u Çtotiechnyie) remonte, d'après les donrrées les plus sûr'es, à I'année 1682, ce qui strffit pour dépouiller cette création, à son début, du caractère sérieux qu'on a imaginé de lui prêter' : Pierre avait dix ans (l). Mais en 1687 les jeux militaires du jeune Tsar commencaient à prendre des proportions qui attiraient sur eux I'attention générale. Une lbrteresse était bâtie à Préobrajenskoié, sur les bords de la laouza, et on y tirart le canon ! L'année d'après venait la décorrverte de la chaloupe anglaise, €t, partagé désormais entre I'eau et le feu, attiré à PéréTaslavl, pierre échappait
à

(t)

voy. ousrnr.rr,'r, t. II, p. 329. comp. Mémoires

manski),

t. I, p. Lgr*-N6.

de Matuiéief

(édit. Tou-

4,2

L'Éf)ucaTt0N.

toute surveillanee. on raconte qu'il risqrrait sa vie dans ces exercices, oti les accidents étaient fréquents. Pour y couper court, Nathalie s'avisa d'un moyen dont I'effet lui parut sûr. u se marier, se changer ,) , dit un proverbe russe. Elle chercha rrne f'emme à son fils. Il la laissa faire. au contraire de sorr futur adversaire, I'austère Charles xII, il n'avait pour le beau sexe ni inclifiérence, ni ruépris. Le 2T janvier 1689, il conduisait à I'autel Eudoxie Lapotrhine, Êlle d'un boïal cle murque. Mais il rnettait le prover.be en défhut. Trois mois après, le couple était déjà séparé, lui courant des bor<lées sur le lac de Péréiaslavl, elle faisant I'apprentissage d'un veuvage qui devait durer autant gue sa vie. La navigation est devenue, pour le jeune Tsar, plus qu'un goùt, une passion jalouse, exclusive. Quelque ol-rscur atavisrne, héritage des varègues lointains, s'agite dans son âme; il n'a jamais vu la rner et il ne fait qu'en réverl il n'aurapas de repos qu'il n'y soit arrivé. Et toujours il est ainsi dans la tradition : depuis deux siècles, toutes les guerres entreprises par ses prédécesseurs ont eu ce but : atteindre la rner, soit au nord-ouest, en relbulant la Pologne ou la Suède, soit au sud-est, en faisant recrrler la Turquie. Il n'abandonnera pas pour cela ses koniouhy; il irnagrne déjà des combinarsons stratégiques, qui mettront en jerr et en concours les {brces navales et les forces terrestres dont il dispose. Et ces forces ont grandi avec I'adolescent, dont la taille est déjà celle d'un géant-. Le jouet est devenu presque une arme. Bn septembre 16S8, l. jeune Tsar a réquisitionné pour ses amusernents guerriers tous les tambours et totrs les fifi'es d'u' régiment d'élite des Streltsy; en novembre, au grand mécontenternent du prince Vassili Galitsine, il enlève à un autre régiment les deux tiers de son effectif et puise dans le dépôt du Koniouclrcnny'i Pricaze (bureau des écuries) les attelages nécessaires àr son artillerie * de plaisance u . Un véritalrle bureau de recrutement est installé à Préobrajenskoié, et ce ne sont plus seulement des palelreniers ert des marmitons qoi viennent s'y faire inscrire sur les rôles. Palrni les recrues de

LA TSAREVNA SOPHIE.

b3

1688 paraissent des représentants des plus illustres familles moscovites, un Boutourline, un Galitsine. La présence de ces aristocrates est d'ailleurs un contresens,

une de ces ironiques surprises qui abondent dans I'histoire. Ouvrier inconscient encore d'une grande rénovation politique et sociale, ne sachant où il va, si ce n'est qrr'il va à ses plaisirs, Pierre est devenu, sans s'en douter, I'instnrment d'un perrtr qui poursuit un but très différent. Son (Euvre se trouve coufisquée monrentanément au bénéfice de tendances diamétralement opposées. Parmi ces nouveaux venus, qui tout à I'heure pousseront le ('utur Rélbrmateur à la revendication de ses droits usurpés, oui, dans leurs ranfîs, se recrutera aussi un jour I'armée des adversaires le.s plus résolus de la réforme. La réfbrme n'est pas en cause pour le moment, et il s'agit de tout autre chose. Les ûroyens dont les Miloslavski, et Sophie à leur suite, se sont servis pour assurer ou conquérir leur pou-voir,

I'abolition du miestnitch.estuor purs I'appel à I'insurrection populaire, ont solidarisé leur cause avec celle des clnsses inférieures. Atteinte dans ses prérogatives, daus ses habitudes séculaires, la haute noblesse, celle du moins qui demeure Ia plus réflactaire aux iclées de progrès, a naturellement aussi
tendu à se grouper autour de l\{atviéief d'abord et de Nathalie, puis autour de Pierre. En solte que I'arrne avec laquelle Pierre se plaît à.jouer est, dans la pensée de ceux qui viennent maintenant I'aider à en forger la lanre et à en aiguiser le tr.anclrant, destinée à hâter la revanche des idées conservatrices, antieuropéerlnes, contre I'homme le plus européen qu'il y ait jarnais eu à Moscou. n A bas Vassili Galitsine ! , sera leur cri de guerre. Préobrajenskoïé est simplement devenu un centre de ralliement naturel pour les mécontents de toute provenance, parmi lesquels les réactionnaires, étant les plus irnporlants, prennent naturellement la première place. Blessé lui-même, outragé et dépouillé par le régime transitoire dont ils attendent impatiemment Ia fin, Pierre est leur chef désigné, le vengeur futur, ils I'espèrent du moins, des injures communes. De ceci il n'a cure. [l s'auruse. Il se divertit, sur les eaux de

bh

T,'ÉDITCATION.

Péréiaslavl, à faire voguer cles bateaux dont nul souffle réformateur n'enfle encore les voiles. Sous le couvert de son nom et avec son concours, une lutte se prépare e'tre le l(reml silencieux et le bruyant campement où il déploie sa fougue juvérrile; maisdans cette partie, dont sa fortune et celle cle la llussie font I'enjeu, le seul gain qu'il aperçolve et qu'il convoite est d'une plus large marge pour ses fantaisies d'écolier. Des années se passeront encore avarrt qu'il déco'vre sa véritable voie, insoucieux jusque-là de la chercher et docile à ses guides de rencontre. au jour marqué par eux, rl marchera à I'assaut du pouvoir à reconquérir et leur abandonnera les bénéfices essentiels de Ia victoire. Il entre ainsi dans I'histoire à reculons, tournant le dos à sa destinée et à sa gloire. La crise éclate en juillet lGBg.

CIIAPITRE

III

LE IûONASTÈRE DE LA TROITSA.

I. Le gouvernement

rogatoires et supplices. pe - Sophie reconnait vaincue. - Le cloitre. nouveau régirne. Les compagnoDe de Pierre au pouvoir. La
L'avenir

I'arurée?- vaillarrce de Sophie. L" -- Défaillance rle vassili Galitsirre. défection. Sour'ission du régent. Il vient à la Troitsa. L'exil. InterLe

de la Ré6ence. Ses rnérites. f,,xussg de faiblesre. - le vide. * La - diversion à I'extérieur. Les déceptions et les rancunes. [qns Lee campagner de Crinrée. - Désastr Retour de Galitsine. Sou- parti de Pierre en - et le lèvement de l'opinio Le profite. Le Krernl - Le conflit. camp de Préobnajenskoïé. * Sophie rient rêre à I'orage. - de pierre. II. La nuit cluT aorit. attentat ou ruse de guerre? Fuite - _ Boris Galitsine. _ L'archirrrandrite vincent. Le rrronastère de la Troitsa, * Organisation de la lutte. III. Pourparlers et nranæqvres. A qui

-

"6',"1ies.

-

I
.lustifiée, sinon motivée directement par le Seune âge de Pierre, la régence de sophie pouvait, en lG8g, se prornettre quelques années encore de durée plus ou moins légitime. Pierre entrait seulement dans sa dix-lruitième anrrée, et aucune loi en Russie n'a, comme celle de charles v en [rrance, avancé porrr les snlrverilins I'heure de la rnatrrrité politique. D'impatrentes ambitions bnrsquent la marche du temps. ce ne sont pas celles de Pierre lui-même. Irnpntient et ambitierrx de pouvoir, il I'est si peu encore que l'événement ne changera rien de longtemps à ses occupations antérieures. Inaugurateur d'une gynécocratie, destinée à clevenir avant peu le rdgime à petr près constant en Rrrssie, pendant près d'ttn siècle, de Catherine prernière à Catherine seconcle, le gou'erngment cle sophie et de son corégent rre me paraît

t+6

l,Éuuc aTI oN.

avoir rnérité ni les critiques, ni les éloges, également excessifs, dont il a été I'objet. Ni Voltaire après Neuville, en faisant de

ln Tsarevna une autre Lucrèce Bor6ia, ni Karamzine après Lévéque et Coxe la proclamant ( une des plus grandes femmes qui aient paru sur la scène du monde (l) ,, ne lui ont fait justice, à nos yeux. Muller, dans sa critigue des apercus de Voltaire (9), et, parmi les anciens historiens russes, Boltine, dans ses .lYores sur I'histoire de Leclerc (B), et surtout Emine (4); parrni les modernes, Aristof (5), ont essayé, sans y réussir pleinement, de ramener flu point ces exagérations contraclictoires. Ç'a été, D€ semble-t-il, dans son ensemble un ûouvernement d'allure encore très byzantine. Intrigues de cour, Iuttes de partis, révoltes de prdtor.iens, contestations liturgiques pour savoir comrnent il con'ient de croiser les doigts en priant, combien de fois il sied de dire alleltia, et si d'aventure la Trinité ne deyrait pas être quadruple, avec un trône à part pour le Sauveur du monde, - rien n'y mantiue. D'autres éléments pourtant y paraissaient mêlés et en relevaient le niveau : continuation du renouveau économiclue, inauguré déjà sous le règne d'Alexis, commencement de renouveau intellectuel. Galitsine bâtissait des maisons à l\foscou, et Sophie coinposait des pièces de thdâtre ; elle les faisait jouer au Kreml: elle y jouait elle-même, disent quelques-uns. La politique de la Régence ne manquait, soit au dedans, soit au dehors, ni d'énergie ni d'habileté. Elle combattait hardiment les fauteurs de querelles religieuses succédant aux émeutiers de la veille et, venant au palais, comme les ,gtreltsy y sont venus, pour y chercher le patriarche et disputer ayec lui. Niliita, le chef des raskolniks, était exécnté. Elte pr.enait avec vig'reur la défense de I'oldre, et, les Eu.eltsy s'ail.ribuant [e privilège de le troubler, elle ne craignait pas de frapper jusqu'à
(f.) Krnrnrzwn, AVuures, t. VII, p.2981 Lcvôque, Hist. de
'f.799,

t. lv, p. 20b-23L.

-Bæ.rsie, paris,

(2) Et udes, t7 55-176t+. (3) Pétersbourg, 1788.
(h\ Biottraphie des souueraîns rrsse$, Pétersb., L767-l769.

(5) Les émcutes à llloscou

sous

le règnc de Sophte, Varsovie, 1871.

I,E

T{ONASTÈIîE I)E

LA TNOITSÀ.

L7

ces alliés de la veille. Contre Ia milice rebelle elle faisait appel à la nation; menacde au l(reml, elle en retirait le trône et le mettart à I'ombre protectrice de I'autel. En octobre 1682, Sophie et Galitsine cherchaient refuge au monastère cle la
T'roTtsa.

Asile traditionnel de la rnaison souveraine aux heures de danger, la u Trinité u , à dix Iieues environ de Moscou, gardait à cette époque le caractère commun des grands obitiels russes : petites villes fortifiées avec une population de moines, de novices et de serviteurs, qui se chi{frait par milliers, des églises qu'on conrptait par dizaines, et aussi des boutiques, des ateliers, des industries valiées. Boris Godounof s'y est abrité, et I'on y montre aujourd'hui encore avec orgueil la trace dr's halles polonaises qui ont marqué leur inrpuissance sur les rempalts du saint lieu. Pierre y vrendra, tout à I'heure et à son tour, dernancler aide et protection. L'apJrel du gouvernement intérimaire était entendu et lui donnait une armée. Attiré dans un guet-apens à Vosdvijensko'fé, à mi-chemin de Moscou et de la T'roitsa, Hovanslçi, le chef hostile rnarntenant des Su"eltsy, y laissait sa téte. Son fils subissait le même sort. Décapitée avec eux, la rébelliorr mettait
bas les armes.

Au dehors, Galitsine se montrait, sur le terrain diplomatique tout au moins, un représentant fidèle et herrreux de la politique traditionnelle d'expansion territoriale, qui progressivement avait reculé au sucl et à I'ouest les frontières cle la lloscovie. I\{ettant }rabilement à profit les embarras diins lestluels, en dépit des victoires de Sobieski, Ieur longue guerre avec Ia 'I'rrrquie jetait les Polonais , il leur arrachait l(ie{'. En juin 1685, un nouveau métropolite installé dans I'nntique capitale consentait à r'ccevoir son investiture clu patriarche de Moscou : c'était un pas décisif dans le chemin qui devait aboutir à Ia reprise des territoires petits-russiens et au partage de la Républiclue. Ces succès étaient compromis, malheureusement, par le contre-coup néfaste de causes qui tenaient à I'origine mêrne

to9

L'EDIICATION.

du pouvoir détenu par Ia Régence. En réprimant les partisans du désordre et de l'anarchie, Sopbie et Galitsine se tournaient contre leurs auteurs. Entre les déceptions qu'ils créaient de ce côté et les rancunes qu'ils avaient provoquées de I'autre,

leur politique rencontrait le virle. Elle s'y débattait bientôt misérablement. Dès l'année suivante elle en était aux expédients. Les boiars maltraités et mécontents paraissaient-ils relever la tête, un rassemblement se formait sur la Loubianka, la place populeuse de la capitale. Un écrit anonyme venait d'y être ramassé; il engageait le peuple à courir en foule à I'église de Notre-Dame de l(asan, où, derrière I'image de lr Vierge, était caché un autre papier, {ui indiquerait ce qu'il y avait à faile. O. y allait et on trouvait un pamphlet contre Sophie et un appel au peuple pour massacrer les boïars qui soutenaient la Tsarevna. Le pamphlet était une comédie et avait pour auteur Chaklovityi, un nouveau conseiller que Sophie s'était donné, un représentant de la vieille Moscovie, dans le plus pur style byzantin, un intrigant féroce et sournois. La Tsarevna faisait I'effrayée, et le bon peuple de I'acclamer, en offrant de la débarrasser de ses ennemis (l). Et voici qu'au dehors rnême la chance tournait. Ayant promrs à la Pologne, en échange de Kief, le concours de troupes moscovit.es contre le Turc, le Régent allait à deux reprises en Crimée. C'était aussi le chemin traclitionnel. .Entre Moscou
et Constantinople les Trtares de Crimée derneuraient une barrière que la Russsie mettra un siècle encore à renverser. Nlais Galitsine n'avait rien d'un grand capitarne; à chaque carnpatne il ensevelissait dans les steppes une armée, un matériel immense et ce qui lui restait de réputatioir. En partant pour sa seconde expédition, il avait trouvé devant la porte de son palais un ccrcueil avec cette inscription comminatoire : u Tâche d'être plus heureux (2). u Quand il reparaissait à Mo.scou, en;uin 168{), une clameur {bnnicl.rble, huées et menaces de mort, saluait son retour. On I'accusait publiquement (l)
(2) Avnrr,,
Dépositions de Chakl,rvity i.t:hcz Ousrtrtrr,oF', t. II, p. 39. Voyage en tliuers Etats d'Europe et d'Asier p.3!.5.

LE MoNAsrÈnE DE LA TRoITSÂ.

tg

de s'être laissé corrompre. On avait vu des barils remplis de louis d'or francais entrer sous sa tente ! Le camp de Préobrajenskoié s'agrandissait de jour en jour par I'affluence de nouvelles recrues, et Sophie vo1'ait fondre autour d'elle les rangs cle ses partisans. Vaillamment, elle tenait tête à I'orage. Son

anrllition comrne son amour en étaient précisérnent à leur apogée. Elle avait profité de la conclusion cle la paix avec la Pologne pour se faire proclamer Samodieriitsa (autocratrice) au méme rant que ses frères. Le titre figurait désormais dans
tous les documents officiels, et, dans les cérémonres publiques,

la Tsarevna prenait place à côté de ses fi.ères, ou plrrtôt de I'aîné, car Pierre n'y pararssait guère. Elle faisait graver en Hollande son portrait avec la couronne de Monomaque sur la Lête. trn mêmetemps, et bien {uê, à en croire certains témoignages, elle eùt donné à Galitsine absent un rival obscur dans la personne de chaklovityi(l), elle poursuivait avec une ardeur croissante le llut suprérne de ses premiers rêves : son mariage
avec le Itégent et le trône à occuper en commun. Pourypar.venir, ellc avait élaboré un plan très compliqué, dans lequel le Pape lui-mème était appelé à rntervenir. On marierait lvan, on donnerart un amant à sa femme pour qu'il eût des enfants;

à l'écart I on s'arrangerait pour s'en défairel puis, moyennant I'appât d'une réunion tout au
Pierre se [rouverait arnsi mis
mrrins projetée, négociée, de l'Église orthodoxe avec Rorne, le Pape serait engagé à proclamer I'illégitirnité des enfants d'Ivan, et, Ia place ainsi nettoyée, Sophie et Galitsine n'auraient plus

qu'à la prendre. En attendant, la Tsarevna voultrit payer d'audace. Pendant que Chaklovityi, rumené par le retour rlu Régent au rôle subalterne de séide et de policier', poursuivait les rares partisans de Pierre, gui osaient déjà lever Ie masque, et leur donnait cliscrètement la question dans un coin de bois écarté aux environs de Moscou, elle jetait un défi à I'opinion en décidant une distribution de récompenses aux compagnons d'ar*res de Galitsine qu'elle s'obstinait à proclamer victorieux. (l)
Archivee Kourakine, Pérersbourg, {Bg0-[895, t.

I, p. bE.

50

L'EDI]CATION.

Bien conseillé

Elle passait ciers, comblés d'honneurs et de pensions, arllaient à Préobri ;enskoié pour remercier le Tsar; il refusait de les recevoir c'était la rupture.
:

par son entourage, Pierre refu.sait sa sanction. outre : c'était le conflit ouvert. Généraux et of ti-

II
Vient Ia nuit hrstorique du 7 au I août 1689; une lumrneuse uuit d'été que les coritradictions de I'histoire et de la légende ont malheureusement obscurcie. Yoici ce qui y parait de plus clair. Pierre est tiré brusquement du sommeil par des transfuges échappés du Kreml, qui viennent I'avertir que la Tsarevna a réuni une troupe armée Pour I'assaillir à Préobrajenskoié et le mettre à mort. Rien n'est moins prouvé que la réalité de cet attentat, rien n'est même moins probable. Des docurnents réunis par le mieux informé des histoliens russes, Oustrialolt(l), l'évidence semble au contraire ressortir que Sophie ne songeait ni ne pouvaitmêrne songer' en ce moment, à une attaque sur le câmP de Préobrajenskoié. Blle le savtrit bien gar.dé, tenu sur un pied de guerre, à I'abri de toute surprise. Elle redoutait plutôt ou peut-étre feignait de redouter un rnouvement ol'fensif. des a régiments de plaisarce rr , tt'ès entrainés, très ardents, brùlant de se distinguer par un coup de main hardi. C'était, nous le savons, son habitude de t'eindle la fïayeur, pour donner aux Streltsy ou à la populace cle
Moscou I'envie de la dél''endre. Elle était si peu disposée à ai;ir

qu'elle ignora jusqu'au matin I'avertissement porté ntritarument à son frère et ses conséquences. Depuis longtenrps, PréobrajenskoTé et le Kreml étaient ainsi de part et cl'autre sur le qui-r'ive, se surveillant, se soupçonnant et s'accusrtnl d'attentats imaginaires. Le mois d'avant, visitant Pierre dans
(L) Voy. t. II, p. 56.

LE MONASTERB DE I,A TROITSA.
c son

5!

à I'occasion de la bénédiction des eaux de la Iaouza, Sophie s'était fait accompasner par trois cents
camp ,, ,

Streltsy; quelques jours après, Pierre venant au Kreml, pour souhaiter une bonne fête à sa tante Anna, Chaklovityl apostait cinqrrante hommes sûrs près de l'escalier rouge, en vue de parer à tout ér'énement. Il y eut, en cette nuit fatidique, une troupe en armes rérrnie au Kreml. Dans quel but? Pour I'accompagner au matin dans un pèlerinage, assura plus tard sophie. Dans les rangs de ces soldats, plusieurs centaines, choisis parmi les plus dévoués à la cause de la Tsareuna, ir s'en trouva cing pour laisser entendre des menaces contre Pierre et contre sa mère. Deux autres, donl les noms ont passé à la postérité, Nlielnof et I-adoguine, jugèrent I'occasion bonne pour déserter, passer au c:rmp de PréobrajenslioTé et s'y faire bien venir, en qualité de donneurs d'alarme. Quelques historiens ont deviné en eux de faux zélateurs, ayant obéi à un rnot d'ordre émanant du parti qui poussait Pierre à I'action (l). Il se peut. arrivons au résultat, qui est constant. Pierre comnlence par la fuite; sans sonter à vérifier Ia réalité du péril qui Ie menace, il saute à bas de son lit, court droit aux écuries, en chemise, les jambes nues, enfburche un cheval et se cache dans la fbrêt voisine. euelques konioult.y viennent I'y rejoindre, Iui apportent des vêtements. Suivent des officiers, des soldats en petit nombre encore. Dès qu'il se voit entouré, poulvu d'une escorte suffisante, sans se donner encore le temps d'avertir sa mère, sa femme, ses autres amis, rl pique des deux et court à bricle abattue dans la dir.ection de Ia Troitsct. II y arrive à six heures du rnatin, le corps rornpu) l'àme en défaillance. on lui offre un lit; il est incapable cle p.endre du repos; il s'inonde de larmes et pousse des gémissements, effaré, inquiet, clemandant à vingt rePrises à I'archimarrdrite vincent s'il peut cornpter sur lui pour le protéger. ce moine était depuis longtemps son partisan dévoué, et
(L) Poconrnn,
Les premières anueies de

pterre, p. l8A-226

bt

l'ÉnucatloN.

même son bailleur de fonds, dans les moments critiques que la parcimonie calculée de Sophie lui faisait Lraverser'(l). Ses paroles af'fectueuses et fernres finrssent par rassurer le jeune Tsar. Boris Galitsine, un cousin du Régent, Boutourline et les autres grands chefs du camp cle Pr'éobrajenskoïé, qui rejoigneut les fugitif's à la Troitza, font rnreux. Ce qui suit comme ce qur précède semble prouver à l'évidence, et qu'on avait pris ses rnesures de longue rnaul, dans I'ent.ourage de Pierre, potrr la lutte marntenant engagée, et que lui-même était incapable cl'v figurer dans un rôle d'initiative personnelle et de direction. Il s'en remettait à ses amis et songeait surtout à son ltrc de Péréiaslavl et aux l-rateaux qu'il y {'erait rrogrrer) quand il serait, en mesure d'en construire à sa guise. Il les laisse mainteuant encore maîtres de la situation créée par eux. Avant la fin de la journée, le rnonastère est envahi; les tsarines Nathalie et Budoxie, les Potiecbtyié, les Szrells7 du ré6irnent de Souharef, gagnés depuis longtemps à la cause du tsar cadet, arriveut [es urts clerrière les autres. Pour avoir si vite trouvé son chernin, tout ce rnonde devait être, à I'avance, disposé à le prentlre. Nulle tt'ace d'improvisation dans les mesures, dorrt Bolis Galitsine assllme atrssitôt ia responsabrlité. 'Iout senrble s'exécuter et se combincr d'après un plan préconçu, et la fuite soudaine du Tsar parait elle-rnême un événement prévu (peut-être irr'éparé atrssi, Par conséquent), comrne le signal devant tuûr'quer l'otrverture des hostilités entre les cantps ennentis. Quant à I'objet des hostilités, il est sous-entendr-r. On juge inutile tl'en parler. On se bilttra, si on doit se battle., pour savoit qui sera le maître. (t)
.lrchives Koulakitte, t. I, p. 53

[,1] MONAST]l,RE DE LA TROITSA.

53

III
On par'lemente d'al:ord, Pielre écrivant à Sophie pour lui dernander des explications sur' les armements noctulnes du Krernl, et la Tsarevna envovarrt une réponse ambiguë. On cherche de part et d'autre à gaiîner du temps; un facteur important restait dégag'é de la lutte ainsi errtamde : l'armée indigène et étrangère, le gros des Streltsy et les régiments de Gorrlon et de Lefort, qui n'avaient pas botrgé. II s'agit de savoir qui les enrôlera à son service. Le l6 aoùt, Pierre prend les devants : une gramota (message) du Tsar convoclue pour le surlenclcrnain des clétachements de toutes ces troupes, dix hommes pal régirnerrt. Riposte vigouleuse de Sophie : des érnis.saires à elle, postés aux bons endroits, arrétent les messagers du Tsar, err mérne temps qu'une autre graùrcta, signée par la Régente, interdit aux soldats et aux chefs de quitter leurs guartiers. Peine de mort pour les contrevenlnts. La mesure 1-raraît efficace d'abord : les clétachements convoqués ne réporrclent pas à I'appel; le bruit court qrre la gramota de Pierre a été falsifiée. Lenternent pourtan[, insensiblement, les quartiels se vident., err rnênre tenrps que I'affluence de soldats et d'ofïiciers de toutes armes augmerrte à la T'r'oitsa; parmi ceux mêrnes qui tiennent de plus près à la Tsarevna, des sl'mptômes de clélaillirnr:e paraissent. Yassili Galitsine, totrI le premier, en donrre I'exemple. Il a songé, croit-on, un instant à passer en Pologne, pour en revenir avec une armée de Polonais, de Tatares et de Cosaques, et faire ainsi face aux événerrrents. Sophiel'aurait détourné de ce projet qui la séparait de son amant. Il I'abandonne alors à sa destinée et s'abandonne Iui-mêrne, se retirant dans sa maison de camplgne de NIiedviedkof, à trors lieues cle Moscou, prétendant ne se nréler cle rien. Aux officiers étrangers qui viennent prendre ses ordres,

L'EDUC AT I ON. 5h il ne répond que par des paroles évasives.

C'est Ie signal irré-

médiable de la défection.

Mais la Régente elle-même ne donne pas encore partie
gagnée à son frère. Elle sait ce qu'elle a à attendte de lui. Déjà les chefs des rasholniks insurgés lui ont crié en envahissant le I(reml : n Il est temps pour vous de prendre Ie chemin du

cloitre. ', Elle armerart mreux lamort ! EIle dépêche à.laTroitsa des messagers de paix; elle y envoie le patriarche. L'auguste parlementaire jtg. I'occasion bonne pour y signer sa parx particulière, et paraît aux côtés du Tsar à une réception solennelle des officiers et soldats déserteurs, dnnt le nonrbre augmente chaque jour. Elle se décide à risquer son va-tout et y va elle-même. A mi-chemin, au village de Vosdvijenskoié, témoin sept années plus tôt du guet-apens dans letluel est tombée la tête de Flovanski, Boutourline I'arrête. Défense d'aller plus loin. Et une troupe at'méequi suit leboïal appréte ses mousquets. Elle bat en retraite, mais tient bon encore, prodiguant des caresses aux Streltsy, dont Ie plus grand nornbre, retenus par Ia cornplicité du passé, la crainte de représailles, I'appât de récompelrses nouvelles, lui demeurent fidèles. Ils font serment de mourir pour elle, mais, toujours turbulents et indisciplinés, ils paraissent le 6 septembre devant le Itreml, réclamant, pour le livrer à Pierre, ChaklovityT, le confident, le bras droit et I'amant intérimaire de la Tsarevna. IIs prétendent en faire un bouc émissaire, une victime expiatoire, dont le châtiment apaisera la colère du Tsar, et mettra tout le monde d'accord. Après une belle résistance, elle finit par céder, et désormais il est ciair qu'elle ne peut plus compter sur rien ni sur Personne. ChaklovityTaux mains de Pierre est une arme terrible. ilfis à la question, il fournit, sous les coups du knoute, tous les éléments désirables du réquisitoire dont les partisans du Tsar ont besoin contre Sophie et ses adhérents. L'éclto de ses dépositions tire Vassili Galitsine lur-même de sa retraite et le conduit à la Troirsa, soumis et repentant. C'est la fin. Pierre refuse de le voirl mais, I'intervention de Boris aidant, il consent à ne pas se montrer troP sér'ère. On exile I'ex-Ré6',ent à

LE MONASTÈRE DE LÂ TROITS.!.

55

Kargopol, sur Ia route d'Arhangel, puis à larensk, plus à I'est, un villagc perdu, où, ses biens confisqués, il aura un rouble par jour pour vivre avec sa famille composée de cinq peruonnes. Il y trainera jusqu'en tTlb. Mais la demi-clémence clu Tsar s'arrête à lui. Chaklovityi et ses complices, vrais ou supposés, sont condamnés à mort. Enfermé d'abord dans un cloitre, après avoir subi Ies plus effroyables tortures, Miedviédiei finit par avoir Ie méme sort. C'est l'égalité de l'échafaucl pour tous. Pour Sophie, c'est, comnre elle I'a prévu, le cloitrer avee quelques rnesures de précaution qui augmentent Ia rigueur du châtiment. Pierre se met d'abord en règle avec son frère. Dans une lettre composée avec soin, il lui dénonce les méfaits de le'r sæur, mais se défend d'avoir voulu, en revendiquant contre elle ses droits usurpés, attenter à ceux de son aînd. Il se dit, au contraire, disposé àrespecter son titre de préséance. Il I'aimera et le considérera toujours à l'égal d'un père. Il néglige toutefois de prendre son avis en ce qui concerne Ie traitenrent à appliquer à I'usurpatrice. un messager, un conlpagnon de Ia première heure, Ivan TroTéko*rof, est chargé directement de mettre Ia Tsarevna en derneure de faire choix d'un monastère. après une courte hésitation, elle se soumet, elle aussi, et désigne le couvent récemment bâti de la vierge (IVouodiéuitchyî), à proximité de Moscou. Le nouveau régime est fbndé. c'est encore un régime intérimaire. Entre Ivan qui se tait, accepte les faits accomplis, continue à ne compter que dans les cérémonies d'apparat, et Pierre qui, aussitôt la crise passée, s'eff'ace derrière ceux qui I'ont aidé à la traverser victorieusement, en retournant à ses divertissements, le pouvoir échoit atrx véritables vainqueurs du moment. IJoris Galitsiner un Moscovite de vieille roche, une antithèse vivante de son cousin Vassili, en a d'abord Ia plus grandeparti puis, lesecoursprêté au parent coupable I'ayant conrpromis, éveillé la colère des Narychkine, les Narychkrne eux-mêmes et les autres parents de la Tsarine mère.

56

1,',ÉDt](iÂ'l'loN.

L'heure du grand homme futur n'a pas sonné. La lutte sérieuse, à laquelle il s'est laissé momentanément entrainer, ne ['a pas fait sortir encore de l'ère juvénile des armées de plaisance et des combats pour rire. Cette lutte ne laisse pourtant pas, même en dehors de ses résultats immédiats, d'avoir sur la destinée de Pierre, sur le développement de son caractère et de ses aptittrdes, une influence capitale. I-,e jeune Tsarabandorrne les affaires à ses compagnons de la veille, mais il vient de s'en trouver d'autres, encore des nouveauxvenus, qui rapidement prennent dans son cæur la place de ceux-là et sont appelés, sinon à faile avec lui I'histoile du grand r'ègne, du moins à lui montrer le chemin qui I'y conduira et à y guider ses pas.

I,IVRE II
A L'ÉcoLE DU MoNDE clvtl-,tsÉ

CHA

PITRE

PRENTIEIT

EN CANTPAGNN. L'APPRRNTISSAGIJ DE LA GUrrRRIl. _* LA cnÉeTroN DE LA MARINE. _ LA PRrsE D'azoF. I. Les lrouveaux coll)pa{lnonsde Pierre. -I)e moscovite. casino
caractère de leurinfluence.

Lefort, - uraison de Lefort La àlaSloboda. -_ Un Lcs belles darnes tlu faubourg. Le fssl s,nlnusç. - boÏals. Le gouvernetnent des Esprit réactionnai.à. - Les divertissernents du PréobrajenskoÏé. Jeux guerriels, plaisirs et bouffonncries. rrii Le de - roi de Pologne. Presbourg et le faux Le lac de péréTaslavl. flotte d'cau douce. En route pour arha'gel.La mer'. ù{sr1 -IJne de la tsarine - à ses plaisirs. Nathalie. Deuil de de durée. -- pierre retourne -peu IL situation précaire de Ia Russie. * Lassitucle du Tsar. Divelsions -et - veut rl'a5ord rlistractions cherchées. Projet de voyage à l'étlanger. Pierre - Turcs, sc distinguer à la guene.,-_ prernière Nouvelle canrpagn" Ies - révèle, tentativc sur Azof. pierre se Echec corrplet. [,€ "oo"tr" de génie Persévérance. III.- La grandeur de Pierre et Ia grarrderrr de Ia Russie. F'ruit de la conquête mongole. Bffort redoublé. Lu deuxièrne teqtative ::-un" répétition du siège de{roie. - Le succès. - pierre peut se mourrer à I'Europe. Le voya{ïe est décidé -

I)atrick Gordon.

F.rancis

I on a diversement épilog'é sur les compagnons d'origi'e étrangère gni paraissent maintenant dans I'entoura6e de Pierre. on a confondu aussi assez cornmunément, à cepropos, les faits etles dates, jusqu'à mettre patrick Gordon, bien avant la chute de sophie, parmi les confidents et les éducateurs du

bB

L'ÉDUrjarIoN.

jeune Tsar, ;usqu'à faire de Lefort I'organrsateur et I'ouvner

principal du coup d'État de 1689. En réalité, I'un et I'autre n'ont pris contact avec Prerre que pendant son séjour à Ia Troitsa; ils ne sont arrivés à pénétrer dans son intimité et à y jouer un rôle irnportant quc bien plus tard. Gordon appartenait à Vassili Galitsine; Letbrt n'avait d'importance nulle part. Né vers 1635 en Écosse, d'une Famille de petits lairds,
royaliste et catholique, Patrick Gordon végétait depuis trente ans en Russie dans des grades inférieurs et ne s'y plaisait guère. Il avait déjà, avant d'y venir, servi I'Iirnpereur, les Suédois contre les Polonais et les Polonais contre les Suédois u He was dearly a genuine Dugald Dolgetty n , disent ses biographes anglais (l). Son savoirse réduisaitaux souvenirs d'une école de village fréquentée dans son pays natal aux environs d'Aberdeen; son passé militaire en Allernafiue et en Pologne, au commandement d'un régiment de dragons. Àlexis en [665, Sophie en 1685, s'avisèrent de lui dernander des seryices diplomatigues; il alla deux fois en Angleterre ayec des commissrons relatives aux prlvilèges des marchands anglais, s'en tira à son honneur, mars n'y gagna qu'une tcltarka (gobelet) d'eau-de-vie que Pierre, alors âgé de quatorze ans, lui servit au retour de son second voyage. Ilse jugea méconnu, sollicita son congé, ne put I'obtenir et inclina désormars à faire cause commune avec les mécontents. Il prit part cependant aux désastreuses campagrres de Crimée et y obtint le grade de général. Mais naturellement intelligent, actif, bien apparenté dans son pays, il croyait pouvoir pr'étendre à une plus haute situation. Personnellement connu des rois Charles et Jacques d'Angleterre, cousin du duc de Gordon, qui fut gouverneur d'Éclimbourg en 1686, il était le chef reconnu de la colonie écossaise et royaliste de la Sloboda. Parlant le russe, ne boudant pas devant une bouteille cle vin, il jouissait parrnr les Nloscovites eux-mêmes d'une certaine popularité. Par sa vivacité d'esprit, ses dehors d'homme civilisé et son apparence (t) Lnslre
Srripuen et Sronny

Lsn, Drcrronary of national biaqraphy.

EN CAMPAGNE.

59

d'énergie, il devait attirer I'attention cle pierre. Celui-ci aura toujours une prédilection pour les hornmes de tempérament robuste comme Ie sien. Patrick Gordon souffrait bien d'une maladie cl'estomac, qui f it par I'emporter; mars en l6gz, à soixante-quatre ans, il terminait son journal(I) sur cettephrase : o ces jours-ci j'ai éprouvé pour la première fois une diminution sensible de santé et de forces. u Frauçois Lefort était venu à Moscou en l6Tb, ayec quinze officiers étlangers en quête de fortune comme lui. Suisse d'origine, il appartenait à une famille qui, à l'époque de la rélormation, avait quitté la ville de Coni où elle s'appelait Liffbrti, pour s'établir à Genève. son père était droguiste : haut commerce. vers 1649, les femmes de cette classe avaient obtenu de la Chambre de réfbrmation Ie droit de porter o des robes de taff'etas double à fleurs u . A dix-huit ans, Francis partait pour la Hollande avec soixante florins et une lettrs du prirrr* cha'les de courlande le recommandant à son frère Casimir. charles habitait Genève; casimir servait les Hollandais avec un corps de troupes. Il fit du jeune homme -son secrétaire, lui donnant comme appoi'tements sa dé{ioquer {ui valait 300 écus, etl'argent des cartes, c[ui en valait b0 par jour(2). Le bénéfice était grand, rnais peu sûr. Deux années plus tarcl, Lelbrt s'embarquait pour arhangel. sa première idée en mettant pred en Russie fut de s'en aller. Mais on ne quittait pas alors I'empire des Tsars quand et comme on voulait; Ies étrangers y étaient étroitenrent surveillés, les partants passant pour des espions. Il resta deux années à Moscour pensânt y mourir de faim; son8iea à se perdre dans la suite d'un des membres, relativement respectés, du corps diplomatique, vagabonda des anticharnbres de I'envoyé danois aux cuisines de I'envoyé anglars, ne put se caser nulle part. Des amis pourtant lui étaient venus peu à peu parmi les habitants de la Sloboda, rJes
(!-) Non pulrlié encore, sauf daus une traduction alleurande; I'original est aux archives du l[inistèr: d: guerre, à saint-pétersbourgl des f'ag*reits oot paru l. en 1859 à Aberdeen (publication du Spatlling Club).

(2)

Yur.r.raurni, ilerrrresuisre,

t XXIX, p

eaO.

60

T,'ÉD T'CA TI

oN.

protecteurs secourables, et même une jolie protectrice, veuve d'un colonel étranger et fort riche. En 1678, il prenait définitivement le parti de se fixer dans le pays et comtnen(,j{lit Jrar s'y marier. C'était une conclition préalahle à remplir; il fallait avoir une famille et une mnison pour désarrner la défiance. Il épousa Elisabeth Souhay, fille d'un bourgeois de Nletz, cathoIique, âssez bien dotée, ayec de belles relations. Deux frères de rnadame Sotrhay, deux Bockkoven, Hollandais de naissarrr:e, avaient de hautes charges dans I'armée; Patrick Gordon était le geuclle de I'un d'eux. Lefort fut engagé par là sans doute à

adopter également la carrière des armes, pour laquelle il n'avait cl'ailleurs ni goirt ni aptitudes (l). Ce n'est éviderriment pas à l'éc:ole de ces deux étrangers que Pierre le Grand et son armée ont appris ce qu'il leur fatlait apprendre pour arriver à Poltava. Ainsi qqe ie I'ai indiqué par avance, I'influence cle I'un et de I'autre sur l'æut,re immense de progrès, de réformes et de civilisation, à larluelle Ie fils de Nathalie Narychkine a attaché son nom, n'u-t-elle été aussi que très;rrdils(rte. A I'heure où cette cnuYre ert sera à sa première ébauche, tous deux se suivront de près dlns la tombe.
Et, pour le momeut., Pierre
a

d'autres soucis

ert

tête, et les leçons

qu'il prend du vieil Écossais et du jeune Genevois n'ont lien
de commun ayec la science de Yarrban, ni avec celle de Collielt. [,efort est propriétaire maintenant,' sur les bolds de la

Iaouza, d'une maison spacieuse et élégamrnent metrblée clans le goirt français, qtri, depuis quelques années déjti, est devenue le rendez-vous favoli des habitants du Faubourg. NIême en son absence, orr a pris I'habitude d'y venir Pour boire et lirrner'. Une loi d'Alexis a proscrit I'usage du tabac I mais, à cet égard, comme à beaucoup d'autres, le Faubourg est terre d'asile. Cornme organisateur de palties de plaisir, le Genevois n'a pit"
(L) Konn, Diarium îtineris in nfoscouianr, Vienne, 1700. p. 2L4. - Cour1, Ousrntrror, t. II, p. {3; Alex. Gonoos, Ilistot'y of Peter the Great, t. l, p. [36; t. II, p. 15&; Sorovrur, IIist. de Russie, t. XIV,p.1il2. -La biograpltie dc i,osseh, tlanst:rite er.r frauçais par Vur,llrurs (Der Genet'al un,i Àtltnintl ["rattz LeJort, Francfort, 1860), est liche eD rensersnements curieur, mart dépo'rrvtre .le
criti,lue.

EN

CAMPAGNE.

6I

son pareil. Gai, I'imagination toujours en éveil, les sens jamais lassés, il possède au s*prême degré I'art cle mcttre tout le monde ii son aise; c'est un syrlrpathirlue. Les banquets nuxclrrels il convie ses amis dnrent htbitrrellement trois jours et t.rois nuits, Gorclon en sortant nralarle chaque fois et Lelbrt ne l)aralsstnt s'en ressentir d'ilucurre façon. Au cours clu preurier vovaûe cle Pierre à I'étranger, il étonnera les Allenrands et les Hollandais eux-mêmes par ses capacités de buveur. lirr lGf)9, rryant bu plus t1u'à I'ordinarre, il inra6iner.a d'achever le festin en plein air, au mors de février ! cette folie lui coirtera la viel mais un pasterlr venant lui ofïrir les consolatiorrs suprênes, i[ le congédiera gaiement, demander.a clu vin errcole et cles rnusiciens, et expirera dt-,ucement, aux accor.ds de I'orchestre (l). C'est le type accompii du viveur à gr.ande allule, d'une espèce à peu prcs disparue aujourcl'hui, mais ayant t'ait souche durable en Russic. Presque aussi grand de taille que Pielre, plus vigoln'errx en{jore, il excclle à tous les exercices du corps, bon cavalier, t,iretrr rnerveil[eux, rnême à I'arc, cirasseur infatigalrle. Avec cela une jolie figure et des rnanières gracienses; une instructron tr.è-c r.,,tIi-"uiaire, mais des talents de polr-glotte : il parle I'italien, le hoilandais, I'anglais, I'allenrlucl et le sla'on. Leibnitz, qur cherche à gagner sa {àr,eur penclant son seijorrr en,\llernal;ne, dit tlrr'il boit comme un héros, mais aloute qu'on lui trorrve I'leaucoup d'esprit (2). Sa nraison n'est
pas seulement un rendez-vous de 6;ais colnpagnonsl cles dames

Y Yiennertt aussi, des Écossaiscs rrr firr 1r'nfil, cles Allerlarr{es aux yetlx rêveurs et de plitntureuses [Iol[andaises. Les rrles et
ies autres ne ressemblent en rierr aux rer:luses des turet,ts rnosco-

vites, irrab'r'rlal-rles de'.ière les Lrarrearrx de f'er orr les f atas (voiles) de taffctas I elles par*isse't à visage dticorrr,crt, vont et viennent, Hent et causent, chantent les chansons de leurs
plus jolies. Quelqre.-unes
(l

pays et s'abaudonnent aux bras des danseul's. I)arrs leurs costumes plrrs si'rples, dcigagea't nrieu-x Ia taillc, elles par.isserrt

so't de lnûrrr,s peu sévères.

0'est

(9)

) Konn, p. t{9; ()us,r.nrrror,
{Jur:nnr r.y.t

r. III, p. 262_2ti3. Leibnttt itt .cetnen B"dilru,rqert zrt Ilu.çsland, p. lZ.

62

L'EDUC ATI ON.

tout cela qui attire d'ahord et captive le futur Réformateur. Pendant les sept années de la Régence, en clépit des ten'
dances cornrnunes à Sophie et à \rassili Galitsine, I'histoire de la civilisation en Russie n'a eu en somme que peu de iours à

marquer d'une pierre blanche. Ce gout/el'nement mal à son aise dans une situation précaire, tt'acassé, harcelé, luttant pour I'existence du premier au dernier jour, n'était guère à même de prerrdre un autre souci que celui de sa ProPre conservation. $Iais, depuis le coup d'État de 1689 et pendant les sept année s qui suivent, c'est bien pis. Je I'ai laissé entendre : c'est la réaction antiprogressiste, {i'arrcbement rétrograde même. Pierre n'y est pour rien, mais il n'ernpêche rien non plus. Il n'est pour rien dans I'oukase qui cltasse les Jésuites, ni dans I'an'êt en vet'tu duquel le mystique l{ulhnann est brùté vif sur la Place Rouge. C'est le patriarche Joachrm qui irnpose ces exécutions, et, en fait, jusqu'en mars 1690, clate de sa mort, c'est son autorité qui prévaut dans le gouvernernent. Dans son testament, ce prélat recommande au jeune
Tsar de ne pas donner de commandements dans I'armée à des

hér'étiques

et de détruire les églises protestantes de la S/oboda (l). Pierre n'a nulle envie de lui obéir; il songe rnême à

lur donner', dans la petsonne du métropolite de Pslcof, l\farcel, un successeur plus libéral. Mais il n'est pas le rnaitr.e. Nlarcel n'a pas été agréé, dira-t-il plus tard, Pour trois raisons : I " parce qu'il palle des langues barbares (le latin et le lranbarbe n'a pas la lougueur voulue I 1:ais) ; 2" parce que sa 3o parce qu'il met son cocher sur le siège de sa voiture, au lieu de lui thire nonter un des chevaux de I'attelage. II n'est pas le rnaitre. Bn juillet 1690, Gordon écrit à un de ses amis de Londres : u Je suis encole à cette Cour, ce qui me a câuse beaucoup de dépenses et d'inquiétudes. On ûl'a rc promis de grandes récompenses, rnais je n'ai rien recu u jusqu'à présent. Quand le jeune Tsar plendra lui-rnênre Ie a Souyernement, je ne doute pas que je recevrai satishc(t)
OusrnnloF, t,

ll, p. h67

EN
rr tion.

CAMPAGNE,

63

Le jeune Tsar ne se hâte pas de prenclre le fiouvernement. Et d'abord il n'est jamais hr of I'intérêt du gouvernement voudrait qu'il fùt. où est-il ? Très f'réquernment â Ia Sloboda depuis 1690, et très particulièrement dans la maison de Lefbrt. souvent il y dîne, jusqu'à deux et trors fois pnr semaine. Souvent aussi, passant la journée entière chez son nouvel ami, il s'attarde dans sa compagnie jusqu'au lenclemain. Peu à peu il y introduit ses autres coûrpagnons de plaisir. tsientôt eux et lui s'v trouvent à l'étroit, et alors un palais de brique remplace I'ancrenne maison en bois du favori or y voyait une salle de bal pour quinze cents pel'sonnes, une salle à manger tendue en cuir de Cordoue, une charnbre à coucher en damas jaune ( avec un lit haut de trois aunes et une garniture de rouge éclatant , , et j usqu't\ une galerie de tableaux (l). Tout ce luxe n'était pas pour Lefort seul, ni même pour Pierre, qui s'en s<luciait rnédiocrement. Le jeune Tsar inaugurait dès à présent un système auquel il demeurera fidèle toute sa vie. À Pétersbourg, plus tard, ayant une cabane pour logis, il voudra que Menchikof ait un palars plus somptueux encore, mais prétendra se décharger sur lui et sur sa demeure de toutes les réceptions et fêtes de Cour. Le palais de Lefbrt devenait, de la rnême manière. une succursale de I'étrblissement fbrt indigent conservé par le souverarn à préobralensko'ié, en même temps qu'une sorte de Casino. Les derniers jardins de la Sloboda touchent au village oti pierre et sa fortune ont grantli. A la Sloboda, ehez Lefort, on dirnse; à prdobrajerrskoïé, on brûle des {'eux tl'artilice : une nouvelle passion du jeune Tsar. Flus tard, i[ cher.chera à justifier les excès auxquels il arrivait dans la pratique de ce divertissement, dont Gordon, ayant qrrelques notions en matière de pyrotechnie, a été I'inspirateur. Il s'agissait pour lui, dira-t-il, de lamiliariser ses Russes avec I'odeur et ie bruit de la pouch.e.,\près Poltaya, ce souci aurait dû paraître superflu. Pierre continuera pourtant, et (t)
Vrrr,rrenun, p. 590.

r

6[

L'Énuc ar I oN.

toujours avec la même ardeur, à lancer des fusées et à composer àes pièce.s emblématiques. La vérité est t1u'il y prend et y prendra toujours un plaisir énorme. C'est et ce sera son sport l:avori. Il n'est pas chasseur. En 1690 déià, le rendezvous préféré de ses prédécesseurs pour les parties de véne-

rie, à Sokolniki, tombe en ruine. Il a le goùt clu tapage,
comme I'aura son petit-fiIs, le malheureux époux de la grande Catherine. Et il est excessif en tout. Ce sport, auquel il donne maintenant une bonne partie de son temps' ne va pas, tant il y met peu de mesure, sans danger pour lui et Pour ]es srens. Le 26 février 16S0, Gordon mentionne dans son journal la mort d'un gentilhomnre tué par une fusée de cinq livres. L'accident se reproduit le 2l janvier de I'année suivante.

Les feux d'artifice alternaient avec les rlan(Éuvres des Potiechnyté, auxquelles Gordon présidait également et qui n'étaient pâs, elles aussi, exemptes de risques graves. Le 2 juin 1690, dans un assaut srmulé, Pierre était brûlé au visage par une grenade, plusieurs officrers recevaient à ses côtés des blessures sérieuses. rl quelque temps de là, Gordon lui-même était blessé à la jambe. En octobre 1691, Pierre concluisant en personne une charge l'épée nue, officiers el, soldats, excités par ce spectacle, en venaient aux mains pour de bon; Ie prince Ivan Dolgorouki était tué dans la mêlée (l).
En elles-mêmes la violence et la rudesse de ces jeux guerriers

n'avaient rien d'absolument insolite; elles étaient dans les mæurs du ternlls. 'fotrt à I'heure, se préparant à sa carrrère de batailleur enragé, Charles XII renchérira encore, à cet égard, sur son futur adversaire. Un trait particulier et caractéristique paraît pourtant dans la petite guerre dont Pierre fait ses délices : c'est la note comiqrre, bouffbnne, qui s'y mêle toujours, accusant dans I'esprit du jeune homme une teuclartce partictrlière aussi et destinée à un développetnent considérable. La forteresse construite sur les bords de la Iaouza est devenue une petite ville fortifiée. Oo y trouve une Sarnison à
({)
Ousrnr,u,o}',

t. II.

p 186

EN CA]VIPAGNF.

Û5

(l). on se trouve à ce rnome't, ne I'oubrions pas, en paix ayec la Polog'e et mêrne en allia'ce, et le vrai roi de nation ".it. ! amie, acclamé par toute l'Burope, s'appelle Jean sobieski on s'en moque. Da.s la série de manæuvres exécutées en l6gg, je vois des exercices de cavalerie, auxrluels prend part ,îL escadron de nains. En l6g,t, des chantres d'église faisant partie de nouvelles formations rnilitaires combattent, sous le comdos

demeure, une flottille, une cour de j'stice, des burea'x d'administration et un métropolite, qui est I'ancien précepteur du jeune Tsar, zotof , créé plus ra,d, pape ou patriarclte des fous. or y trouve même un roi. c'est Romodanovski qui tient le rôle, prenant le titre de roi de presbours (nom don.é nraintenant à la ville), et, en cette qualité, faisant campagne contre le roi de Pologne, que Boutourline est chargé de figurer. En I Eg!!, le roi de Pologne a mission de défenclre une place, dûment mise en état de défense, contre une arrnée d'assiégeants dirigée par Gordon. a la première attarlue, sans attendre I'effet, escompté d'avance, des procédés indiqués par Ia science, li8nes de circonvallation, approches .t mines,lu gu"nison et son chef mettent bas les armes et prennent la fuite. colère de Pierre I ordre aux fuyards de rentrer dans la forteresse et de s'y défendre à toute extrémité; terrible dépense de coups de canon, !lui, pour n'être pas chargés à mitraille, arrivent pourtant à blesser et mêrne à tuer du monde. !.inalement, Ie * roi de Pologne u est fait prisonnier et conduit dans le camp de son vainqueur, les mains liées derrière le

mandement du fou de cour Tourguénief, contre les scribes cle I'armée. Pierre s'amuse. une féte continuelle, une orgie de mouvement et de bruit, s'acconrPagnant de quelrlues exercices instructifs, tombant plus souve't aux puérilités et aux pires licerrce.s, c'est dans cette période transitoire, qui d.ure près rle six années, tout ce qui parait de la vie du futur héros. Tantôt rl
ç1) Jurruoutsxr, Mémaires, p. Bg

66

L'ÉDUCÀTI ON.

appren4 à jeter des bombes et à grimper au haut des rnâts I tu"tot il chante à l'église avec une prolbnde voix de basse i puis, quittant le service divin, va s'enivrer jusqu'au Iendemain en jtyeore compagnie. L'envoyé suédois, von Kochen, parle d'un yu"ftt construit tout entier, de la poupe à la prouer Par l'élève

âe Karschten-Brandt, et un autre étranger fait mention d'un billet par lequel le Tsar s'invite chez lui, en Ie prévenant q.'il fait pâssera la nrrit à boire (l). Dans la liste des obiets qu'on u"rri, de Moscou à Préobrajenslioié pour I'usage du souverain, je vois des mortiers, des otrtils d'ingénieur, des munitions d''ar' iiil"rie et des cases de perroquet. Dans la forteresse de Presbourg, des officiers de génie, des pyrotechniciens, des ouvriers habiles en toute sorte de rnétiers, coudoient des douraks (fous de cour), qui tuent des soldats en guise de divertissement et ne sont pas punis (2). Les formations militaires ont, depuis longtemps aeil, un côté qui échappe ou devrait échapper à Ia plairant.rie. En 1690, un régiment c{e garde, le Préobt'aienski, est mis sur pied, avec un Courlandais, Georges von Mengtlen, comme eolonel. Le Siémionovski suit de près, totrs deux avec des effectifs garnis pour un tiers de protestants français (3). Mais la prochaine campasne d'Azof fera voir au jeune Tsar ce que vaut cette troupe d'apparence si belliqueuse et ce qu'il en cotrte de ne pas faire sérieusement les choses sérieuses' le Plestchëiéuo-oziét"o.- Pierre Sur le lac de Péréiaslavl, rnais se donnait beaucoup de mal pour construile une flottille, il ne faisait pas qu'y travailler. L'endroit est joli ; uue route agréablement accidentée y conduit de Moscou.' à travers une ,.rit" de vallons et cle collines boisées. La claire Viksa, sortant Sornino d.e I'extrémité ouest du lac, traverse le lac voisin cle Péréiaslavlet va se perdre dans le vo16a. A I'est, la ville de Zaleski dresse les coupoles dorées de ses vingt é5;lises 5,roupées autour de la grande cathédrale de la Transfiguration' Pierre (l) Ot'srnuloF' r' II,
iaj n"r
à jouer détails sur [a constitution plimitive de cee régiments destinés Saint' Journalde le dàns trouvent Ee du ptya un rôle 6i iml)orrani ,luo. I'histoire Pétersbourg, avril 1778.

(2) Arcbive russe' 1875, t. III, p'

P. 360'_

921-'

EN CAMPAGNE.
s'est

67

sans étage. Les fenêtres avaient des vitres de mica; une aigle à deù têtes placée au-dessus de Ia porte d'entrée et som'rée d'une co'_ ronne en bois doré faisaittout I'ornement de I'hurnble derneure. I\fais on y passait de gais moments. Le chantier était à quelques pas; il n'est pas probable gue pierre y travarllât penàant les fréquents séjours qu'il faisait en prein hiver sur les bords de sa <r petite rl€r,r. En février f gggr or avait toutes les reines du monde à I'en faire revenirpour ,ne audience à don_ ner à I'envoyé du schah de perse (l). c'est sans doute que, l'e'droit étant écarté, à l'abri de Ia surveillance maternelle, d'autres curiosités moins bienveillantes, il s'y trouvait plus à son aise pour d'autres passe-temps. ceux-ci étaient partoges p.r de nombreux compagnons, fréquemment conviés cle $toscou. Leurs équipages croisaient, sur Ia route, des caravanes portant des tonneaux de vin, de bière, d'hydromel, ou des barils d'eau-de-vie. Il venait aussi des dames. Au pri'temps, su. Ie lac reindu à lar navigation, Ies tr.avaux et les "*urci"** reprenaient; guère sérieux toujours. un an avant Ia campagne d'azof, Pierre ne sait pas ericore où il utilisera sa futu.e-flott* de combat, sur guelle mer et co'tre quels ennemis; mais il sait déjà que Lefort, qui n'a jamais été m.r.in, en sera I'amiral: -Jil;il;; que le vaisseau sur lequel il his*.ra son pu.riLro.r l'É'lepharlt ; quece vaisseau aura beaucoup à* do.,r."r,ï,u*rulle.ts matelots hollandais et un non moins bon capitainer ![ui sera Pierre lui-méme (2). Le dernier yoyage du jeune Tsar à péréiaslavl a rieu en mai 1693; il ne doit revoir son lac et son chantier que trente ans plus tard, en r 7zz, sur le chemin cle la perse. La flottille d'eau douce, q'i lui a clonrré tant de peine et tant de joie, et qui n'a jamais servi à rien, I.i apiaraît alors da's un délal-rrement complet, bois et grée're'ts pourris , hors d'usage. Il se fâche : ce sont des reliques ! Il donne des ordres (1) Gonnor,r, Journal, t6 février 1692. (2) Possnr,r, Der Generar und, adnrirar Franz LeJort, Francfort, r.g66, t. II, p.3[3-315.

fait eorrstruire là une maison en bois,

68

L'ÉDUCATION.

sévères pour leur conservation. Peine perdue! qui, seul bateau demeure sur les lieux, abrité Par un pavillon, jadis par lui aussi, tombe déjà en ruirte. De Ia maison hahitée

En l8Û3' un

à Pierre plus de trace. Tout a disparu, jusqu'aux boulearrx son de reposait se I'ombre desquels I'apprenti charpentier labeur (l). Bn 1693, il a fini par se sentir à l'étroit sur le PlestchJieuoil a oziéro, comme autrefois sur les étrngs de Préobrajenskoïé ; il part arraché à sa mère un consentement longtemps relbsé; dtr a promettre pour Arhangel. tl verra enfin la vraie mer! ll à* ne point s'embarquer I de seulement regarder les vaila tôt fait seaux, sans quitter le rivage. on pense bien qu'il noyer en d.'oublier ses serrnents. Il risque pour de bon de se acheté navire d'un allapt sur un urdclrant yacht, à la rencontre on Y trouve à Amsterdam. C'est un vaisseau de Suerrer mais vins frandes meubles, autre chose que des canons : de beaux

çais,dessingesetdeschiensbolonais.Bnmettantpiedà bord, Pierre est transporté : r. Tu le commanderas, écrit-il

à

Witsen, qui a iait I'emplette du navire : u Min her'ie ne puis Jean Flamm r< vous écrire par la présente que ceci, c'est que u (le pilote) est arrivé en bon étatr portant quarante-quatre {( canons et quarante matelots. Saluez les nôtres' Je t'écrirai u plus au ïong par I'ordinaire, car en cette heure de bonheur r, je ne *u ,*rr* pas en disposition d'écrire, mais bien plutôt * d" rendre horrrr.,rl. à Bacchus, qui de ses pamPres se plait u à fermer les veux de qui voudrait t'écrire une lettre plus
u circoustanciée. Il signe I

uLefort,etj'Yseraisimplesoldat.uEtaubourgmestre

'
n Schiper Fon schi p santus profet

ities. il

ce qui a la prétention de vouloir dire
(l) Ousrnr'rlor' t' II, P' 'll+0'

:

* capitaine

'lu saint-

EN CAMPÂGNE.

6E

Prophète (l). , Il a maintenant vingt et un ans, mais il traitera toujours I'orthographe en écolier facétieux, et il en fait autant, pour Ie moment, de la marine. II joue au matelot, comme naguère au soldat ou à I'homme civilisé. Chez Lefort, il s'habillait à la française ; dans les rues d'Arhangel, il promène un costume de capitaine hollandais. Il est tout à la Hollande; il adopte son pavillon, rouge, blanc etbleu, en changeant seulement I'ordre des couleurs, et, dans les cabarets, on le voit attablé et vidant force bouteilles avec les compatriotes de Tromp et cle Ruyter. En janvier 1694, nous le retrouvons à Moscotr, auprès dulit de mort de Nathalie. Il montre beaucoup de chagrin au moment du dénouement fatal, pleure abondamment; maio le troisième jour il e.st déjà à festover chez Lefort. Sans cæur? Incapable de tendresse? Pas absolurnent. Il n'a gue de bons procédés pour Ivan, et jusqu'à la fin du malheureux souveverain, en 1696, il agit à son égard en frère affectueux. Catherine trouvera un jour en lui mie'x encore qu'un amant passionnément épris, un ami et plus tard un époux, non pas sans reproche, certes, mais sùr, à toute épreuve, très attaché, sinon très délicat et entièrernent fidèle. Il est jeune pour Ie moment et sera toujours rebelle à toute contrainte. Il se console vite de la perte de sa mère, qui Ie gênait dans la liberté de ses allures, cornme il a vite oublié I'existence de sa {''emme. Le lo" mai, il repart pour Arbangel et y reprend son existence de marin fantaisiste. tl distribue des grades dans Ia flotte, comme tantôt il en distribuait clans I'armée; Romoclanovski, Boutourline et Gordon deviennent : amiral le premier, vice-amiral le second, et contre-amiral le troisième, sans jamais avoir vu la mer (les deux premiers du rnoins), ni être montés sur le pont d'un vaisseau. Pierre reste simple capitaine, conrme il a été simple bombardier dans les troupes de terre. on s'est obstiné à découvrir des intentions profondes dans ce parti pris de modestie apparente et d'el:facement, per(L) Ecrits et Correspondance, t. I, p. 28.

70

L'ÉnucarloN.

pétué plus tard, érigé en système. Je crois vraiment que les dates, les circonstances, les origines rnême et les premières manifestations du phénomène ne Permettent d'y voir qu'un écart de fantaisie ayantT comme tous les écarts de cette espèce, une explication logique dans un trait de caractère. C'est toujours la timidité constituti'onnelle du sujet qui se trahit de la sorte, masquée. transfi6urée, idéalisée par les dehors contradictoires d'une nature forte, volontaire, exorbitante, par I'éclat illusionnant d'une carrière prestigieuse. Non, il n'y a rien de profond ni de très sérieux dans tout ce qui constitue I'existence présente du futur grand homme I mais tout cela, plaisirs, études, fréquentations nouvelles de l'étran6er, le casino de La Sloboda, le camp de Préobrajenskoié et les cabarets d'Arhangel, Lefort, Gordon et les matelots hollandais, tout cela, dis-je, a certtrinement pour effet de le jeter violemment et radicalement en dehors de I'ornière où s'est enlisée la vie de ses ancêtres, en dehors du passé, sur un chemin dont on ne peut encore deviner I'aboutissement, mais qui parait déjà précipité vers un avenir plein de surPrises.

II
Que devenait cependant la Russie pendant que son maître attitré se démenait ainsi au gré de son humeur capricieuse et

vagabonde? La Russie, Pour autant qu'elle était susceptible de comprendre ce qui lui arrivait et d'en raisonnerr commençait à trouver gu'elle n'avait pas gagné au coup d'État de 1689. Elle avait vu sans trop de dégoût ni trop d'effroi les liaisons contractées par son jeune souverain aYec des Niemtsy, ses assiduités à la S/oàoda. Llexis y avait habitué son mondeMais le penchant du Tsar défunt Pour les choses de I'Occident, sans aller si loin, se traduisait en résultats plus séduisants : conquêtes rndustrielles, réformes législatives, progrès véritables réalisés et portant leurs fruits. Les feux d'artifice et

EN CAMPAGNI'.

TI

lesjeuxguerriersdePierreontfaitquelquesmortsetbeau. apparent' D'ailleurs' cmrp d'éclopés : c'est tout leur bénéfice

côté de I'Europe dans si le nouveau Tsar allait cle I'avant du à sa place' ses divertissements, les boTarsr tlui gouvernaient les choses dans avaient plutôt tendance à revenir en arrière détestahlement' sérieuses. Et, d'autre part, ils gouvernaient moins s'étaitdu Galitsine avait mal réussi contre les Tatars ; eux loin des frontières du PaYS, dans les

il fait battre par

steppesduPérekop;lesvoiciquienvahissentleterritoirede de secours, la sainte Russie ! Nouvelles alarmantes, demandes de tous côtés' bulletins de défaites arrivaient maintenant Dosithéer patriarche Mazeppa se disait menacé en ukraine. I un se faisait l'écho de rumeurs sinistres
de constantinople, envoyé de France s'était rencontré à Àndrinople

avecJ'klÎ: decriméeetaveclegrandvizir;ilavaitdonnédixmille Ia
marchéavaitdéjàétéexécutéenpartie;lesprêtrescatholiques avaient
aux moines orthodoxes le Saint Tombeau,

contre ducats au premier, soixante-dix mille au second, Le Lieux' Saints promesse dL cdder aux F-rançais la garde des

, l'église de Ilethléem et la sainte la moitié du uom russe était Grotte ; ils y avaient détruit les icones, et le

"eiri, Golgotha

un objet de d.evenu poo, les sujets du sultan et pour lui-même

^É"riou.rt à tous les souverains pour leur ftrire part de mépris. de Russie (l)! son avènement, il avait négligé les deux tsars I'envoyé russà aoait acheté le traducteur du
De

on aPPrenait département des affaires étrangères, Adam Stille.' de Pologne qo* 1., ministres de l'Empereur, l'envoyé du roi sans que et celui du sultan étaient en conférence perpétuelle, et I'écart, la Russie en sùt quelque chose. Etle était mise à du Tatar' risquait de se trou\re. 'eule en présence du Turc et mécontenÀirrri justifiés, les symptômes d'inquiétude et de s'accentuaient dans le public, €t' en même temps'

vienne, où

tement Pierre en arrivait, de son côté, à se lasser de ses amusements' La rade d'arhangel et les eaux de la mer Blanche, inaccessi(|.)ArchivesduMinistèredesaff.étr.àMoacou;lettredutSmare|'690.
(Affair"s grecguee.)

72

L'EDU

C

AT I ON'

bles pendant sept mois sur douzc, étaient d'tttre pauvre re$' source. Il avait songé à cherchero à travers I'océan rlu Nord, un

lui ouvr'î[ la route de la chine et des Indes; les nroyens de tcrrter une pareille entreprise manquaient trop visiblement. Rien à faire du côté de ia tsaltique : ies Suédoisv étaient et nc paraissaient Pas faciles à déloger. Lefort mettait en avant un autre pr.ojet, et c'est maintenatrt surtout, à ce torrrnant scabreux ou est arriYée la vie du jeune héros' (lue
passilge qui

l'influence de I'aventurier genevois acquiert une portée consiclérable. Sa situiition est, dcpuis plusieurs années, clevetrue sans rivale. tl Our.re une série qui, se cOntinuant par les Ostcrrnann, les Iltihren, les Nfiinich, mettra la liussier perldarlt près d'un siècle, ittlx mains de grands parvenuscl'origine étrangère. Douze hornmes motrtent la galde devant sorr palais, et les ltremiers seigneurs du pays y font anticlramllr.e- Pierle lui témoigrle en totrte occasion des égalds qtri ne $ont plus cl'un souve* rain pour un sujet; publiquement il chrilie de sa main, par qrrelques vigouleux soufflets, son l)roPre beau-frèr'e, Abraham Féodorovitch Laporrhine, Qui, s'étaut pris de qtrerelle avec le favori, a endotnrnagé sa Perruque (l). Àbsent, il lui écrit des lettres où se tracluit une tendresse Presque suspecte ; il en reçoit de lui qui marqttent rnoins d'affection encore qrre tle sans*gêne farnilicr (2). En 1695, le Genevoiss'avise du plaisirclu'il aurait à rendre ses comPatriotes, ses flmis de Srrisse et de Hollarrde ténroins de sa prodigierrse fortune. Fierre a déjù eu I'irlée d'crrvoyer à I'étrarrger quelques-uns de ses jeunes compaglrons. Pourquoi ne les suivrait-il pas lui-mêrne' Potrr voir et étudier ,lu prJ* les tnerveillcs clont, Timmerrrlann et l(arschten-Brandt ne irri ont fotrrni que des inrages rêttuites et tronquées ? Qtrelle joie pour ses yeux ! quelle distract.ion ii son ennui naissant! q.,"1* spectacles instructi{rs et aussi quels plaisirs nouveaux ! I\lais une objection se présente : qrrclle figure ferait en liurope le souverain cle toutcs les Russies? ll y porterait en ce moment
r,{) Pvr,tts.F,
161\

t. Iv,

p' 49t' I'a tteille lï[oscou, Pétersbourg, ''891, P' 75h' - Comp' Llusrnrar'ort Ecrits et Cortespondance de Pierre, t' I, 553-6U-['u partie, p.

EN

CAMPAGNE.

73

un nom inconnu ou hunrilié pâr cl'anciens et de récents
échecs, n'a1'ant rien fait personnellement pour Ie relever ! c'est en y réfléchissunt sans doute que pierre en arrive à faire un retour sur lui-même) sur les occupations et les distractions qui ont absorbé jusqu'à présent son activité, et à en reconnaître le néant. Llne lueur traverse son esprit : avant de se montrer à ces homnres de I'occident qu'il imagine si grands, ne faudraitil pas q,'il se haussât à lcur niveau, q,r'il mît clans son bagage de vo;'ageur autre chose que le souvenir de quelques prouesses d'écolier? ['Iais cornmer]t y arriver? Sur ce point, I'inragination en travail du jeune Tsar se rencontrait avec I'esprit en détresse

des boTars auxquels il avait abandonné jusqu'à présent le souci cles affaires. Eux aussi sentaient le l-resoin de faire quelque chose pour sortir de la fâcheuse posture rlans lar;uelle les avaient mis, à I'intérieur et à I'extérieur, la nonchalance et Ia maladresse de leur politique livrée auxhasards de I'inspiratinn journalière. c'est so's I'impulsion de ces motifs divers qu'est décidée vraisemblablement, à cette époque, la p'emièrà tentative sur Azof. I-,e génie int,itif du futur vainqueur de poltava? auquel on a fait crédit et grand honneur du plan de campagne élahoré à cette occasionr J est, resté, je crois, tout à fait étranger. Il n'a pils eu besoin, d'ailleurs, de se rnettre en frais : le plan était tracé d'avance et depuis longtemps, traditionnel ef classique dans I'lristoire des relations de la Russie avec ses redoutables voisins du su<l. l3athory, le grand lromrne de guerre emprunté par Ia Pologne à Ia TransyJvanie, I'indiqrrait au tsar lvan en I579 (l). L'ancienne TanaTs d'avant Jésus-0hrist, I'ancienue Tana clu moyen âge, comptoir comûrercant des Génois conguis et l1t'7 5 par Ies Turcs et converti en forteress e, Azor, à quinze kilonrètres de I'embouchure du Don, constituait depuis long, temps Ie point naturel d'attaque et de dél'ense pour les deux peuples en présence et en litige séculaire darrs ces purages : clef de I'embouchure du fleuve d'un côté, clef de la mer Noire de
(f-) P. Prcnrrsc,
Papes

et Tsats, paris, lgg0, p. g04.

rh

I,'ÉDUCATI ON.

I'autre. Ce n'était pas là d'ailleurs gue devait se porter le grand effort de I'armée moscovite. Emmenant avec eux le
gros des forces disponibles, toute la vieille armée de I'empire, celle qui avait accompagné Galitsine dans ses néfastes entreprises contre les Tatars, les boTars suivraient simplernent la trace de ses pas et recommenceraient sa campagne, avec le même succès. La tentative sur Azof n'était qu'une pointe accessoire, un coup de main isolé, où I'initiative du jeune Tsar devait se donner carrière. On était content. dans l'énorme

camp qui s'acheminait d'autre part vers la Crimée, tl'être quitte de sa présence, et on le laissait faire. Il ne se mettait pas non plus en grande dépense de préparatifs. Dans sa pensée, qu'accuse nettement une de ses lettres écrite au début de I'expédition (l). celle-ci ne serait qu'une suite des grandes manæuvres dont la fbrteresse de Presbourg avait été Ie centre. Il comptait prendre la ville par surprise. Il se retenait, toutefois, de confier Ses régiments u de plaisance aux chefs improvisés " qu'il leur avait imposés naguère dans les combats burlesques Iivré-q sur les bords de la Iaouza. Cescombats I'avaient convaincu apparemment qu'il était a.rrivé à posséder, dans les troupes qui y avaient pris part, une force militaire sérieuse, susceptible d'affronter Ia grande guerre; mais apparemment aussi il avait eu conscience que I'aventure à courir, étant autre ce[te fois, réclamait d'autres précautions. Il avait donc donné congé aux rois de Preslsaurg et de Pologne,' mais, en même temps, fidèle à des errements abandonnés depuis longtemps dans l'art militaire de I'Occident, il avait voulu diviser le commandement suprême, Son corps d'armée, où figuraient tous les régiments de formation nouvelle, ceux de la garde, celui de L,efort, avec quelques détachements de miliciens, milice urbaine et milice de cour, Sn'eltsy et Tsareduortsf t en tout trente et un mille hommes, possédait trois généraux en chef, Golovine, Goldon et Lefort (2).
16 avril 1695, à Apraxine. Êerits et Correspondance, t. I, p. 28. La force at.mée de la Russie, Moscou, 1892 (ouvrage publié sour ler auspices du Ministère de la gueme). t. II, p- 4,

(f)

(2) Prrnor,

EN LÀMI'AGNE.

T5

Ainsi organisée, I'expédition ressernhle encore de très près

à une partie de plaisir. Les généraux, dont un au moins,
Lefort, n'avait aucune iciée de la guerre, inaugur.ent leur commandement en se disputant, et le jeune Tsar phisante toujours, continuant son jeu favori de mascarade et de pantalonnade bouffonne, .se mêlant de tout, donnant des ordres ii tort et à traver',cr mais s'al'ïublant du pseudonyrne <le Pierre Alexiéief et du grade de capitaine, pour parader en tête de sa conrpagnie de bombardiers. Il a dépouillé Romodanovski de ses attributions, nrais il lui a conservé son titre et il lui écrit en plein cours de campagne : " Min Her Kenich, Ialettre deVotre Majesté,, datée de Votre u capitale de Presbourg, m'a été rendue,' pour. lacluelle gràce u de Yotre Majesté je suis tenu de verser mon sans jusqtr'à la n dernière goutte, ce pourquoi je me mets en chernin. n Bornbardier Pnrnn (l). " La fin est celle qu'on peut attendre. Pierre se voit réduit,
comme naguère Sophie et Galitsine, à donner le change à l'opinion arrec des triomphes imaginaires. On chante le Te J)eum à Moscou pour la prise de deux fortins insignifiants ; mais tout le monde y est averti que de.ux assauts dirrgés contre Ia forteresse elle-même ont été égalernent meurtriers et ineffu caces. L'épreuve a été faite de la nouvelle armée et de son jeune créateur, et elle semble décisive. sept années d'improvisations juvéniles, sur la valeur desquelles on pouvait hésiter à $e prononcer, aboutissent ici au plus piteux, au plus humiliant résultat. Q'ss1 ici que commence I'histoire de pierre le Grand.

III
Pierre n'est pas seulernent un très grand homme; il est encore d'un gland peuple la personnification la plus complète (t)
19 mai'1695. Iîc'irts et Corresponda.nce,

t. I, p. g9

,T6

L'I]IJUCÀTION.

peut-être, la plus compréhensive et la plus diversifiée qrri ait jamais paru. Jamais, croirais-je volontiersn une collectivité humarne ne s'est vue identifiée à ce point, dans ses qualités comme dans ses défauts, dans les hauts et les bas de son niveau moral, dans tous les traits de sa grhysionomie, à une individualité chargée de la représenter dans I'histoire. Ce que Pierre révèle à ce moment de ressources insoupconnées dans son esprit et dans son âme, c€ gu'on Ie voit laire soudain et" ce par quoi on le voit 6randir', la Russie le montrera de jour en jour, d'année en année, pendant I'espace de deux siècles, et c'est ainsi qu'elle fera sa grandeur conrme il a fait la sienne. Battue par le Turc, battue pal le Suédois, envahie par I'Europe comme autre[:ois par I'Asie, après vingl. défhites, vingt traités de paix imposés par ses vainqueurs, elle continuera à reculer ses frontières à leurs frais, elle démembrera la Tur' quie, la Suède et la Pologûe, et elle en viendra à dicter des lois au continent européen., parce qu'elle aura persévéré. Persévérer, s'obstiner vers le hut poursuiti, même Inacces. sible en apparence; dans la voie choisie, méme hasardeuse;
rlans les moyens adoptés, méme défectueux
;

doubler seulement,

tripler I'eflort, le rude ahan du l-rùcheron; nrultiplier les coups et attendre I'heure, résolument, paticmment" stoïquement, tout son secret esf là, oui, dans son âme sreule, dur nétal forgé par des siècles d'esclavage et des siècles de travail ré' dempteur. I-,4 Slandeur de Pierreo la granderur de Ia Russie, c'est la conquéte mongole qui les a faites et Ie génie patierrt des hnias de Moscou, trempé sur I'enclume ou s'est usé Ie
marteau des cortqnérants ! Au lendemain de cette première campagne désastreuse, les frondeurs de i\Ioscou ont beau jeu à rappeler les paroles Prophétiques du patliurche .loachim, ses anattrèmes contre les soldats étrangers commandés par des généraux hérétiques I et voici Pierre nrultipliant au contraire ses appels à la science et à I'industrie étrangère, demandant des ingénieurs à I'Autriche et à la Prusse, des matelots et des charpentiers à la Hollande, à I'Angleterre. La flottille dulac de Péréiaslavl n'a été d'aucun

EN
usûge ;

CAMP.{GNE.

77

dans le bassin même du Don. Il se heurte à des difÊcultés énormes, impossibles à vaincre, croimit-on. Les ouvriers embauchés à l'étranger sont longs à at'river et se sauvent quand ils ont vu le pays et Ia besogne à f'airel les ouvriers indigènes gâchent I'onvrnge, n'entendent rien à ce qu'on leur demande et, maltraités, désertegt, eux aussi, en masse I les forêts, que I'on met à contribution pour les bois de charpente, brûlent Par centairtes de

il va en construire une autre à Voronèje,

lieues carrées; les collaborateurs d'ordre plus élevé, officiers, ingénieurs, médecins, imitent, en les exagérant, les écarts de conduite dont le maître donne encore I'exemple. Scènes d'or. gie, querelles, rixes sanglantes. Le général et grand amiral Lefort est mis en demeure, Par courrier, de rendre compte de certains détails se rapportant à I'administration de son département, et il comrnence ainsi son rapport : ,, Aujourd'hui, le a prince Boris Alexiéiévitch (Galitsine) dinera chez moi et nous n boirons à Votre santé. Je crains qu'à Voronèje Yous rl€ filitDn quiez de bonne bière; je Vous en apporterai, ainsi que du a vin de muscat (l).u Il n'importe ! Les travaux ont été com' mencés en automne 1696; le 3 mai de I'année suivante, virgttrois galères et quatre brtrlots sont mis à flot et descendent le

cours du Don, en route pour Ia mer. En tête, sur la galère Principium, cons|ruite par lui en grande partie, le capitaine Pierre Âlexiéief thit office de pilote. Suivent, à bord des autres bâtiments, Ie grand amiral Lefort, le vice-arniral Linra, un Yénitien et le contre-amiral Balthazar de L'Osière, uD Français. La flotte russe est créée pour de bon cette fois. Je dois dire de suite qu'elle ne brille Pas encore, et I'armée de terre ayec laquelle elle doit coopérer Pour une nouvelle tentative sur Azof ne s'illustre pas davantage sous [e commandement de son nouveau généralissime, le boiar Cheïne. Les régiments c de plaisance , ont trop pris, décidément, I'habitude de plaisanter I quant aux Stle/ts;l', ils ne sortt plus lrons c1u'à assiéger des palais : :rn coup de canon les mel en déroute.
('l) Sor.ovrer, et suiv.
t. XlX, p.227.

-

Conrp, Ousrnur,or',

t. IV,

L'o partie,

p.585

7t

'

L'ÉoucarloN.

Pierre, en les voyant faire, médite sans doute, Itr déjà, sous les murs de la forteresse imprenable, [e sort qu'il leur réservera dans un avenir prochain. L'aspect et les facons de tout ce monde, avant la venue tardive des hommes rl'art promis par l'Brnpereur, évoquent les souvenirs du siège de Troie : les généraux perdant la tôte et Gordon, le plus habile de tous, ayant en vain essayé d'ouvrir une brèche, tous les corps de troupes, officiers et soldats, sont rdunis en conseil de fïuerre, appelés à donner leur avis sur les opérations à tenter. [-]n Strelets suggère I'idée d'une levée de terre à dresser contre les remparts ennemis, de rnanière à les dominerr [ruis à les eusevelir. Yladimir le Grand s'est, parait-il, servi de cet expédient pour réduire Kherson (l). On adcpte d'enthousiasme la stratégie de Vladimir, mais on ne rérrssit qu'à elTrayer un peu les Turcs et à faire sourire les ingénieurs allemands, quand ils arrivent enfin tï destinat.ion. Pierre lui-rnême est charrntrnt d'entrain, de gLrieté, cle hardiesse juvénile. A sa sæur Nathalie qui s'inquiète clcs dangers auxquels elle le suppose exposé, il écrit plaisnmment : u Je ne cours pas après les balles I ce sont u elles qui courent après moi I veux-tu leul dire de n'en rien ,, faile ? " NIais, déjri très ferme dans les résolutions à longue échéance, il est, lui tout le premier, égalernent srrscelitible de tlouble :t de découragement momenttrné, très facile à déconcerter. Le 20 rrrai, ayant tenté une reconnaissance tie la {otte turque, à laquelle il s'agit d'interdire I'accès dLr Don et le luvitaillement de la forteresse, on le voit épouvanté soudain par son ûpparence formidable, battant précipitamment en retrarte avec ses galères. Le lendemain, à dix heures du matin, il parait chez Gordon, sombre, abattu, prévoyant Ie pire ; à trois heures de I'après-micli, il revient rayonnant de joie : sans en avoir recu I'ordre de qui que ce soit, n'obéissant qu'à leur corrrage, ses Cosaques, montés sur leurs tchaih.i, fréles nacelles en cuir', volant sur I'eau comrne I'oiseau auquel elles empruntent leur nom (tchaiha, mouette), ont attaqué Ia
(1,) Pnrnor,

t. II, p. ô.

EN

OAMPAGNE.

7g

veilLe au soir les grands vaisseaux du Sultan et les ont mis en fuite, leur infligeant cle gtosses pertes (t). C'est une occasion de se distinguer. pour I'altillerie de Gordon ; car' si elle ne parvient pus à ieter une seule bornlre dans Ia place, les poin-

teurs ûtanquant leur but à chaqtre couP, elle fait une furieuse consoû)nration tle poudre en salves triomphales' Arrir'ée d'un nouveau détachernent de troupes r pl'ise d'une redoute Ou d'une chaloupe cnnenie, tout est pr'étexte à canonnade. Il n'importe! I'eflrort, cette fbis, est si grand, la volonté de vaincre si acharuée, que Cosaques et ingénieurs allemands ardant, onvientà bout de I'entreprise. Le l6 juillet, des batteries, enfin mises à point par les artilleurs de I'Empereur' ouvrent un feu efficace; le 17, un hardi coup de main des Zaporoitsi (Cosaques du Dniéper), opérant sur terre aussi hardinrent que sur mer, les rend maîtres d'une partie des ouvrages avancés de la forteresse, et, le 18, Pierre écrit à Romodarrovski : u Yotre Nfajesté apprendra avec joie que Dieu a béni ses c armées, les prières et le bonheur de Votre Majesté ayant n ârn€rré hier les Sens d'Azof à se rendre. " Le jeune Tsar victorieux peut se montrer maintenânt à ses voisins de I'Occident. Et il s'est laissé persuader 2 Par une rude expérience, qu'il a tout encore à apprendre d'eux. Son esprit paraît maintenant à la fois élargi et illuminé par des clartés nouvelles. En même tenrps qrr'il conçoit un vaste plan de politique malitime, il prévoit la part que l'élément étranger doit avoir dans son exécution et lui donne bonne mesure. Se proposant de réunir le Don au Volga Par une combinaison de canaux, il n'entend plus s'engager aveuglérnent dans une telle entreprise. Ce n'est pas assez d'ernbaucher des constructeurs à Venise, en Hollancle, en Danernark, en Suède ; et pas assez encore de faire partir pour l'étranger cinquante officiers de sa chambre, vingt-huit pour l'ltaLie , vingt-deux pour Ia Hollande et I'Augleterre (9) ; il lhut les suivre, se mettre Per' (t)
Gonrron,

Journalr'10 nrai t696.
2:18-

(2) Sorovrtn, t. XIX, P.

SO

L'ÉDUCÂTION.

sonnellement à l'école et sans plus rire cette fois, sérieusement, laborieusement, dans Ia sueur du front. Il y a bren encore un peu d'enfantillage dans cette soif de savoir et cette ardeur de travail; dans les poursuites studieuses clu futur élève des charpentiers saardamois paraîtra plus d'une puérilité; rnais le but est marqué, I'élan pris. Le grand voyage, le grand tour d'Europe, va inaugurer une des plus merveilleuses carrières de I'histoire.

CHAPITRE II
EN voYAGE.

L'allnM.tGNEr LÂ HoLLaNDE' L'ANGLETERRE. LE RETOUR.

La Premier déguisernent' d9 Tsar' I. - Les précédents. - L'incognilg Europe' et en N{oscr)u à f6plsssion MihaTlof. o."uoa'u arnbassade. - Pierre ïoep"rt retardé. Une conjuration. -- f'asf'ff1rres sanglants, - La cognée Ri6a'-Accueil dubûcheron et la hache il'Ivin le Terrible. - Bn Suède. En Allernagne. - Kænigsberg. -_curiosité caçus belli futur. froirl. - d'artilleur. -run Koppenbrugge. Le diplôme et excentricité. - Rencontre Pierre' de mondains débuts Les avec sophie-charlotte de Prusse. II. En tlollande. -zaandam. - La légende et I'histoire' - La Leilrnitz. La belle Flollandaise. -- Amsterdam. - commaison du Krimpenburg. Le charpentier et le souverain - BizarremencerDent d'études séiieores. - rus8e. III. En angleterre' -unecharnbro Le Bacchus ries et faihlesses. Juflslnsnts défiavorables' à Kensington-Palace. rna habitée. -_ Pierre $,6ç6ç6 la légende. -- a Lo.tdres et à Deptford - Labeurs et Brrrnet. Initiation universelle. - IV' En route L'actrice Cross. divertissements. La rnorgue autrichienne - une rnanquée. entrée une pour vienn Au château de la Favo1i1s. Dépression Lorale. i"qor, .1" cliplomatie. Iichec tliplr> irr"o.rnénients tle l'incognito' Le Tsar et I'Errrpereur. -.Le* Russie' matique. - voyage rrranqué à venise. - Nouvelles alartùantes de f,'atlsvue avee Retour précipité. n La'se,.en"e de"r lliloslavski. , La fin du Yoyage' Auguste II à Rawa. -

I
Pour trouver dans I'histoire de la Russie un précéclent à ce voyage, il fâut remonter jusqu'au onzième siècle. En 1075, le

grand-duc de ltief, Izaslaf, visita à Mayence I'empereur Henri IV. Encore une tradition que Pierre vient renouert inconsciemment à coup sûr. Depuis Ivan Ie Terrible, le désir seul de visiter les pavs étrangers a passé, chez les sujets du Tsar, pour un acte de haute trahison.Sous le règne de Nlichelt un prince Hyorostinine était, de ce chef, I'objet d'une pouf(:!

82
suite sévère.

L'ÉDUCATION.

II avait,

devant des arnis, parlé d'une excursiorr

en Pologne et à Rome qu'il eût été tenté d'entleprendle * pour trouver avec qui causer u . [Jn peu plus tard, le fits du conseiller

l'étranger (l). Pie're lui-même n'ose braver I'opinion au point de donner à son départ un caractère officiel. c'est une escapade presque clandestine qu'il se permet, et I'on trouve quelque chose de naTvement sauvage dans les précautiorrs qo'ii prend pour s'assurer le bénifice d'un incognito, dont ayec sa pétuIance naturelle il sera le premier à trahir constamment le secret. Une grande ambassade est mise sur pied, avec mission dc solliciter tour à tour de I'Empereur, des rois d'Angleterre et de Da'emark, du pape, des États de llollancle, de l'Élec_ teur de Brandebourg et de la République de verrise, de I'Europe entière, moins la France et I'Espagne, le * renouvelle. rrrêût d'anciens Iiens d'amitié, en vue de I'affaiblissement n des ennemis du nom chrétien , . Les ambassade'r.s sont au nombre de trois; Lefort prend le pas, en qualitd de premier envoyé, sur ses collègues, Golovine et voznitsine. Ils ont dans leur suite cinguante-cinq gentilshommes et r< volontaires ,), dont un sous-olficier d* régirnent préobrajenski, répondant au nom de Pierre MihaTlof : le Tsar. pendr-rnt toute la durée du voyage,les lettres destinées au sotrverai'devro't porter cette simple adresse : u Rendre à pien.e Mihailof. , Ce n'est qu'enfantin ; mais voici qui est touchant : Ie sceau dont le prétendu sous-officier va se servir Pour sa corresponda.ce représente un jeune charpentier entouré d'instruments pro_ pres à la construction de navires, avec cette .inscription : u Mon rang est celui d'un écolier, etj'tri besoin de rnaitr.es (g). , a Moscou, on avait d'autres présomptions sur le but réel du voyage. on y supposait généralement que le Tsar allait à l'ètranger pour v faire ce qu'il avait fait jusqu'à présent à ia (t\ Solovrer, t. IX, p. &61; r XI, p. 93.
12; Ousrnruon, t.

le plus écouté d'alexis, ordine-Nachtchokine, ayant clandestinement passé la frontière, il fut question de le faire tuer à

II! p. 18.

Sloboda, e'est-à-dire

ÀGE. s3 pour s'amuser (l). Pierre percevait-il luiEN VOï

même dès à présent les horizons lointains auxquels devnit aboutir sa course? Cela est douteux. En traversant Ia Livonie, il parlait bien déjà de couper les barbes et de raccourcir les vétements de ses sujets (2) ; mais, à voir les figures et les accoutrements de ses compagnons de rotrte, on pouvait croire que c'étaient propos en I'air. Lefort paraissait vêtu à la tatare, et le ieune prince d'Imérétie étalait à ses côtés un superbe
costume persan.

Le voyage est loin, du reste, d'avoir eu à son début, soit au point de vue russe, soit au point de vue européen, I'importance que les événements lui ont depuis attribuée. Il ne l:aisait pas précisément sensation. J'ai le regret de contredire, à cet égard, une légende de plus, maternellemerrt cnressée par I'amour-propre national. En Russie, on s'était habitué drljà à voir le Souverain courant les grands chemins, ou plutôt à ne pas le voir du tout ; en Burope, les esprits étaient occupés ailleurs. L'heure choisie par Pierre pour lier connuissance avec ses voisins cle I'Occident et s'o{:(ïir à leur curiosité était solennelle pour eux. Le congrès de paix de Ryswick allait se réunir. L'attention du monde politique, comrnercial, intellectuel, était absorbée de ce côté. Je n'en veux qtr'un témoignage : on peut consulter au quai d'Orsay les huit volurnes coûrpr€nant la correspondance de Louis XIY avec Ies plénipotentiaires chargés, en 1697, de dél:endre ses intérêts au sein de la grancle assernblée diplomatique ; je gage c1u'on n'y trouvera pas le nom de Pierre prononcé plus d'une lbis, et encore d'une façon toute banale. Interrompant ses travaux et ses poursuites scientifiques, le Tsar vient d'Arnsterdam à la Haye, où une réception olficielle lui est préparée ; les plénipotentiaires mcutionnent Ie fait, et c'est tout. Ils sont pendant de longs mois ses ploches voisins, eux en résidence à Delft, lrri en séjour d'études à Amsterdam, et ils plraissent ne pas soupçonner son existence. Savent-ils seulement comment il se (l)
Ousrnrrr,oF,

t. IlI, p.

640.

(2) Rr,onrnrnc, An accouttt of Liuonia, Londrea. p. 332 (edit. franqaisc, {705).

ST

L'ÉDÛCATION.

ils ont I'occasion de s'occuper fréquemment, ils n'en font aucune mention. Évidemment ils ne se doutent pas du rôle que le futur allié d'Auguste II prétend, dès à présent, y jouer. I-r'apparition du souverair) moscovite hors des frontières de âon empire , assez peu connues généralement, n'éveillait quelque intérét que dans un milieu très spécial. L'année suivante, elle fournira au corps enselgnant de Thorn la matière d'une dispute publique (l). Les savants avaient commencé, depuis quelque ternps déjà, à s'occuper de la Mo.çcouie. En Angleteme, Milton avart écrit un livre sur le grand emprre du Nord et suscité toute une littérature consacrée au mênre objet. En Allemagne, Leibnitz expnmait récemment I'opinron que les Moscovites seuls seraient capables d'afllanchir I'Burope du jouff ottoman. [Iais aussi était-ce avec le monde scientifique surtout que Pierre l\fihaflof se souciait pour le moment d'entrer en relation, et, à ce point de vue,, après la grande crise qui avait mis Louis XIV en présence cle la plus formidable des coalitions, et avant la crise prochaine de la succession d'Espagne, dans Ie bref intervnlle de répit et de détente que l'épuisement de la F-rance accordait à I'Errrope, le moment était propice pour une tournée d'étude ou de plaisir à travers le vieux continent européen. Ànnoncé pour Ie mois de février l697,ler départ se trouvait retardé par la découverte d'un complot contre la vie du Tsar. A la tête des conjur'és, nous retrouvons une vieille conuaissance, Tsiltler, I'ancien comparse de Sophie, un rallié, dont les dédains de Pien'e ont fait un mécontent. Quant à ses complices, on les devine : encore et toujours les Streltsy ! Pierre les verra donc éternellement devant lui, Iraineux et menucants ! L'incident était, d'ailleurs, rapirlement vidé ; quelques tétes à couper, et l'on partait, enfin, le l0 mars. Mais rune omble avait été jetée sur la joie du voyage, et dans l'âme dr: Jeune souverain un supplément de rancune terrible.
nomme ? Même à propos des affaires de Pologne, dont
(l) Con jecturæ aliquot politieæ rIe su.,scepti\ rnaql7l llotcouue Ducis-.. itineril,rrs.'lqcrrunu, {698. (Bibliothèquc de Saint-Pétershourg,)

hu voYAGE.

t5

-Bncore eur et avec eux, I'hallucination perpétuée des fantômes sanglants qui ont entouré son berceau !

Eh bien, ils auraient la Suerre, puisqu'ils I'avaient voulu ! À la première occasion on leur réglerait leur compte. Et, dès à présent, il convenait de se mettre sur ses gardes, d'opl)oser Ie glaive au glaive, ûu complot perpétuel la perpétuelle irrquisition, au poignard toujours levé dans I'ornbre l'échafaud toujours dressé sur la Place Rouge. Ce serait pour Ie moment I'affirire des amis et des collaborateurs les plus éprouvés du souverain, €r attendunt que, revenu, il fit lui-nrême la besogne. Mais il aiguillonnerait de loin Ie zèle de Romotlanovski. En Allemagne, en Hollande, en Angleterre, partout, à travers les spectacles nouveaux, les étonnernents, les éblouissements qui I'attendent, il emporterait et garderait dans ses yeux la vision troublante, le cauclrenrar angoissant des périls mortels qui semblent attachés à sa destinée. Bt c'est ainsi que le gérrie ombrageux, f'arouche et irnplacable cle ses ancétres revivra et grandira en lui, associant à l'éclat d'une æuvre civilisatrice I'ombre sanglante d'un épouvantable carnage. Avec la cognée, il prerrdra aussi en nrain la hirche, bùcheron et bourreau. La marche de I'ambnssade fut lente. Il y avait deux cent cinquante personnes à dôplacer. La suite de Lefort seul comprenait onze gentilshorrr{r}es, sept pages, quirrze valets de chambre, deux orfèvres, six musiciens et quatre nains. A Riga, en terre suédoise, réception courtoise, mais froide. Le gouverneur, Dalberg, se disait malatle, ne paraissait pas. Pierre prétendra plus tard s'en faire un ca.eus belli, invoqtrera des insultes pcrsonnellcs. Dans les emprunts faits à la civilisatiorr occiclentale, il n'aura pas trouvé la bonne f oi. Officiellernent, sa personne n'a pu étre en jeu. À Riga, comrne ailleurs, le nrot d'ordre donné par les ambassadeurs était de traiter d'irrvention ridicule la présence parmi eux du jeune souve rain. On devait croire qu'il était à Yoronèje, occupé ri la construction de sa flotte. Dalberg mettait peut-être un peu de malice à tenir cette affirmation pour exacte, et les Moscovites,

86

L'ÉDUuarIoN.

survant à cet égard un penchant q.i, je le crains bren, est devenu héréditaire, mettaient, de Ieur côté, trop de sansfacon à réclamer les droits d'une hospitalité trop exigeante. Pierre ne s'avisait-il pas de vouloir lever de sa main les plans de la forteresse ! on lui barrait le passage. Il semble bien qu'on n'eùt pas tort : son père y avait mis le siège ! Les torts, s'il y en a eu, ont été tout au moins réciproques. La rnau'aise humeur des voyaseurs se passait à Mittau; Ie duc actuellement régnant, Frédér.ic-casimir, était pour Lefort une ancienne connaissance. Il faisait â I'ambassade un accueil cordial et magnifique. Pierre en oubliait son incognito et surprenait ses hôtes par I'imprévu de ses discours, plaisantant les r'æurs, les préjugés, les lois barbares de son pays. L'occident a commencé de le saisir. Mais c'est toujours Ie même jeune homme d'allure fantasque et extravagante. a Libau, il voit pour la première fois Ia Baltique, la mer des varègues, et, le mauvais temps I'empêchant de poursuivre sa route, il séjourne dans les weinkeller avec les manns du port, trinquant et badinant avec eux, et s'obstinant, cette fois, ilse faire passer pour un simple capitaine chargé d'armer un corsaire poor le service du Tsar. Le voici à Kænigsberg; it y a deuoncé son ambassade, Ia laissant suivre la voie de terre, tandis qu,il coupait court par I'autre voie sur un bâtiment marchand.ll refuse de se laisser saluer par Ie prince de Holstein-Beck que l'Électeur de Brandebour8 a envoyé à sa re.contre,, fait afÀrmer, par le patron du navire, qu'il n'a à borcl a'cun passaser du àirtinction, s'y attarde jusqu'à la nuit, et se décide, rdix heures du soir seulement, à accepter le logement qu'on lui a préparé. Il y trouve le maitre cle cérémonies du souverain, Jean de Besser, un homme de cour accompli, savant et poète pardessus le marché. Il fonce sur lui, arrache sa perruque et la jette dans un coin. Qrri est-ce ? demande-t-il aux siens. on lui explique cornme on peut les fonctions du personnaffe. f,'ssf bien; qu'il m'amène une fille. J'accorde que, rapportée pourtant par un historien sérieux

EN VO YAGH.

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et point malveillant, il s'en faut (l), I'anecdote soit suspecte. La multipticité de traits analogues, recueillis par la tradition, ne laisse aucun doute sur la réalité de I'impression générale qui s'en dégage. Le futur Rélbrmateur n'est encore qu'un j",r.,. sauvage, cela est clair. [l va, le lendernain, voir l'Éleci",r", s'entretient avec lui en mauvais allemancl, boit beaucoup de vin de Hongrie, mais refuse sa visite : il est redevenu Pierre Mihailof. Il se ravise plus tarcl et prépare une rdcePtion qu'il j,rg" magnifique, I'ayant agrémentée d'un feu cl'artifice de sa""o*po*ition. À* dernier moment, l'Électeur se fait excuser. Gare auxporteurs de cette mauvaise nouvelle, deux seigneurs d'importance, le comte de Kreyzen et le prévôt de Schlacken ! Pierre est à table en comPaguie de Lefort et d'un de ses nains. Lefort a la pipe à la bouche; le Tsar paraît ivre et en accès de tench'esse pour son favori, se penchant de temps en temps pour I'embrasser. Il invite les messagers à prund." place à ,on côté, puis soudain, frappant la table d'un de poing : n I-,,'É[ecteur est bon, mais ses conseillers sont "oop des diabl.es. Gehe! Gehel (Allez-vous-en !) n Il se lève, prend I'un des Brandebourgeois à la gorge et le Pousse vers la Porte : u Gelre ! Gelte ! , simple euand il sort, à Kænigsberg, courant les rues en touriste, c'est un sauve-qui-peut général, Pour éviter une rencontre avec son hurneur fertile en saillies peu agréables' 0roisant une dame de la cour' il I'arrête avecun geste brusque et un éclat d.e sa voix cle tonnerre : n Halt ! u ll prend la montre qu'il aperçoit à son cor$age, regarde I'heure et
s'en va (2).

L'Électerrr il'en était pas détourné de faire bon visage et grand accueil à son bôte; son goùt pour les cérdrnonies et l'apparat se trouvait flatLé par la préserrce de cette arnbassade extraorclinaire, et il avait en vue la conclusiort d'une aliiance (l) Rrncuaw, Peter d.er Grosse a|s Iflensch und Regent, Riga, 1823, t'I' p. àfO. (Éitit;on rus$e, t. I, P.223, rro_te') ,' q2) pàss""r, ooo""ge cité.'t II, p. L|ir 600, 6011 Tnr,rrunn, l]Ittnwnents his' ti;qu"r, Rome, [Sbg; p. 369; tlnnnrueun, Gesclrichte Busslandsor, trY' p ti7,

88

L'ÉDUC ÂTION.

défensive contre la Suède. Il lui en coùtait cent cinquante mille ricus I argent perdu ! Pierre se dérobait, I'esprit distrait, occupd

ailleurs. En fait de politi{ue, son attention, ou plutôt celle de ses conseillers, était absorbée par les affaires de pologne, où Ia mort de Sobieski a mis en présence les candidatures rivales de l'Électeur cle Saxe et du prince de Conti. pierre tenait l)our Auguste contre son compétiteur, c'est-à-dire contre la lrrance, cette alliée de la Turquie. Écrivant de I(ænigsberg aux seigneurs polonais, il annonçait catégoriquement I'intention d'intervenir dans la lutte. [Jne armée, conrmandée par le prince Romodunovski, s'approcherait des frontières de la Lithuanie, Il rnenaçait déjà ! L'arnbussade s'attarda à Kænigsberg, dans l'attente des ér'érrements, Pierre en profitant d'ailleurs pour donner satisfirction à ses curiosités, ses irnpatiences de savoir toujours ar-rssi vives. Il en aurait eu de très singulières parf'ois, comme de vouloir assister an supplice de la roue, qu'il révait appar.enment d'inLroduire darrs la procédure crinrinelle de son pays, pour en varier le répertoire. On s'excusait sur I'absence momentanée de tout condamné ayant mérité ce châtimeut. Il s'étonnait : quoi? tant de {àcons pour un homme à faire mourir! eue n'en

prenait-on un parmi les gens de sa suite (t) ! Il travaillait pourtant aussi ayec le maîl"re d'artillerie, Stenrfeldt, et en recevait, au bout de quelques sernaines, un diplôme en règle, qu'on a eu tort de prendre trop au sérieux. llrois années lilus tard, Pierre se trouvant au chàteau de tsirzti, en Lithuanie, avec Ie roi de Pologne, les deux souverains, égalemerrt épr.is d'ori,ginalité, se divertiront au tir à la cible, avec des canons" Augtrste touchera le but deux fois, Pierre pas une (p). Le jeune Tsar est déjà, à ce l'étre bizarre q'e le 'rornent, monde européen apprendra à connaître plus tard et dont il gardera lorrgtemps l'étonnement et la frayeur; incomparablement actif, remuant, fureteur; gai habituellerncnt, plein cl'entrain et de verve plaisante, du bonhomie mêrne, avec des
(L) Pôlr,urrz (baron charles-Louit), Mémoit"es, Berlin, 17gl, t.I, p. (2) Ousrnrr.LoF, t. IV, p. 90.
r"zg.

EN VOYAGE.

E9

brusques sautes de caractère, des retours subits d'humeur sornbre, des accès de violence ou de mdlancolie; génial et fantasque, inquiet et inquiétant. Un soir qu'il soupe avec l'Électeur dans une salle basse parquetée de marbre, utr des servarrts Iaisse tomber une assiette. Aussitôt Piene de se lever en sursaut, hagard, les traits bouleversés, tirant son épée et portant des coupsr !1ui heureusenrent ne blessent personne. Rassuré, il réclame inrpérieusement Ia punition du coupable. On s'en tire en faisant donner le fouet sous ses yeux à un pauvre diable condamné pour une autre peccadill"(l). Dans les plemiers jours de juillet, Auguste paraissant définitivement prendre le dessus en Pologne , I'ambassade se remit en route. Vienne était le but qu'elle se proposait d'arbord, en vue d'un tlaité d'alliance à négocier; mais l'envové du Tsar, I{efirnof , a tenu à y prendre les devants, ou du moins à s'en doniter I'apparerrce. L'alliance défensive et ol'fensive était faite, à I'en croire. Lefort, d'autre part, insistait pour gu'on poussât droit du côté de la Hollande? sans que son zèle, assez tiède, de calviniste y fùt pour quelque chose, ainsi qu'on I'a supposé. Il y a eu beaucoup plus de hasard qu'on n'â corununément imaginé dans I'orientation du voyage et nrênre dans la tournure générale que les circonstances lui ont
donnée. Il est singulier gue, sur le chemin de la Hollande, Pierre ne

à Berlin. II n'a l"ait que travetser rapidement la ville. La future capitale du grand Frédéric lui semblait de peu de ressource pour sa curiosité. ll eut la bonne fortune de rencontrer ailleurs ce que Ia Prusse entière pouvait lui offrir de plus uttrayant, et d'y faire connaissance en même tenrps avec I'Allemagne policée et cultivée dans une de ses manif'estations les plus séduisantes. L'Électrice de Brandebourg, Ia future reine Sophie-Charlotte de Prusse, n'avait pas accompagrré son mari à Kænigsberg; elle avait profité de son absence pour visiter sa mère, l'Électrice Sophie de Hanovre.
6e soit pas arrêté

(l)

Pôr,r,nrrz, XIénrcires. Pôllnitz est un téuroin rujer à caution.

90

L'ÉDUCAT ION.

La venue du souverain un peu fabuleux encore de la mystérieuse Nloscovie ne I'avait cependant pas laissée indifférente. La mère et la fille comptaient parmi les femmes les plus instruites de leur temps. Destinée autrefois à un prince de la maison de France, Sophie-Charlotte avait fait un séjour de deux ans à la cour de Versailles. Elle restait très Francaise. Agée de vingt-neuf ans à peine maintenant, elle passait polrr Ia plus jolie et Ia plus spirituelle femme de son pays. Son cercle intime était une élite intellectuelle. Leibnitz en fhisait partie et I'obligeait à se ressentir du très vi{l intérêt clont l'événement qui nrettait Kænigsberg en rumeur I'avait personnellement pénétré, ouvrant devant son mobile esprit des horizons nouveaux, tout un programme d'études : ethno6raphie, linguistique, archéologie ; tout un plan de vastes entreprises scientifiques, dans I'exécution duquel, avec le
concours du souverain moscovite, le rôle du plus grand savant de I'Allemagne paraissait indiqué. II apprenait déjà I'histoire et la langue du pays. Il lui était arrivé, autrefois, de parler de la Pologne comme du renrpart naturel de la chrétienté contre Ies barbares de toutacabit, Turcs ou Moscovites. C'était oublié. Pierre était peut-ôtre un barbare, mais un barbare de grand

avenir, et Leibnitz s'en réjouissait, tout en le mettant sur Ie même rang avec Kam-Ki-Amalogdo-I{han, le souverain de Ia Chine, et Yasok-Adjam-Nugbad, Ie roi d'Abyssinie, ses contemporains, qui, eux aussi, paraissaient méditer de grandes æuvres (l). Sophie-Charlotte s'était fait envoyer des rapports circonstanciés sur le séjour du Tsar à Kænigsberg. Ils ne lui avaient pas donné une idée très avantageuse du de6ré de crrlture et de bonne éducation qu'elle pouvait s'attendre à trouver chez I'auguste voyafieur, mais n'avaient pas diminué son désir de I'apercevoir. Elle correspondait activement, à ce sujet, avec le ministre d'État Fuchs; elle lui écrivait en mai 1697 : n Je ,, voudrais qu'on lui persuadât de passer ici, non Pas pour ir voir, mais pour être vu, et nous épargnerions avec piaisir
q[) Guntnr xn, Leibiiitz trr rcinert Beziehungen zu Russland, p' 8'2(l'

EN VOYAGE.

9I

n ce quton donne pour les bêtes rares' pour I'employer en ,, cette occasion. , Et un mois après: u Quoique je sois .. ennemie de Ia malpropreté, la curiosité I'emporte pour le tr coup (l). " Intéressé à son tour, entraîné sans doute par les souvenirs que lui avaient laissés les Allemandes aimables de la Sloboda, Pierre se prêta cle bonne gràce â une rencontre, gui eut lieu à l(oppenbrûgge, dans le grand-duché deZelle, résidence du duc de Brûnswick. Le jeune souverain fut d'abord effrayé par le nombre de persortnes qu'il y aPercut, les deux Électrices ayant négligé de I'avertir qu'elles amenaient toute leur famille. Il faisait mine de se dérober, quittait précipitamment le village, et I'on était obligé de parlementer pendant une heure pour le faire revenir. Il paraissait enfin au chàteau I mais au compliment que le's deux princesses lui adressaient, il ne répondait que par des gestes, se couvrant le visage de ses mains et répétant : * fch kann ntcht sPre' clten... (2). , Sauvagerie, mais aussi timidité constitutionnelle, je maintiens le trait, et je le vois confirmé par la suite de I'entrevue ; car le jeune souverain ne tarde pas à revenir de son émoi et s'apprivoise assez vite. Au souper, il laisse encore voir un peu de gaucherie et commet quelgues incongruités, s'embirrrasse de sa serviette, dont il ignore I'empioi, et mange malproprement. Il oblige tout le monde à demeurer quatre heules à table pour boire, en se levant chaque fois, des roasts sans rin a sa santé, mais arrive, malgré tout, à ne pas produire une mauvaise impression. Il paraît simple avec beaucoup d'esprit naturel, réponcl promptement aux guestions qu'on lui fait et, une fois lancé, soutient sans embarras les plus lorrgues conversations. On lui demande s'il aime la cnasse, et il répond en montrant ses mains de travailleur couvertes de calusl il n'a pas le temps de chasser! Après le souper, il consent à danser, non sans demander que les deux princesses lui
ç'L) Vrnxu.rGEN vor Ersr, -teôen der Kitnigin uon Preussen, Sophie-Char.lotte, Berlin, 1837, p. 7h,76. (2) Je ne srir par parler-

.)g

L'Énucar t oN.

en donnent préalablement I'exemple.

mais on n'en trou-ve pas dans suite prennent les corsets garnis de baleines de leurs clnnseuses pour des attributs naturels et font tout haut I'observation que les dames allemandes ont des dos durs en diable. Il lait venir un dr: ses fous, et, contme on ne paraît pas goûter les ineptes facéties du personnage, il s'arme d'un énorme balai pour le mettre dehors. NIais encore une fois, tout cotnpte fait, il séduit encore plus qu'il n'étortne. C'est un ainrahle sauvage. Mieux que cela, u c'estr éc1it I'Électr.ice mère, un hontme tout à fait u extrilordinaire. ll est impossible de le décrire et mênle de r. s'en laile une idée, à moins de I'avoir Yû. r L,es quatre heures du souper n'ont pas paru trop longues, ni à la mère ni à la Êlle; toutes deux y seraient restées plus longternps encore, tr sans éprouver un moment d'ennui ), . Renclant con)Pte à Fuchs de ses impressions, la fille termine même sa lettre sur cette phrase inachevée et très suggestive : ( En voilà assez pour vous lasset'; mais je ne saurais qu'y faire; .i'airne à parler du Tsar, et, si je m'en croyais, je vous dirais plus que... Je reste bien affectionrrée à vous servir (t)' , Leibnitz n'a pas été malheureusement de la fête. Il a compté sur le passa{Te de I'anrbassade à Minden et esguissé à la hâte un lllan de travaux et de rélbnnes à présenter au'l'sar. ll n'est parvenu à voir r1u'un neveu de Lefort, qui I'a éconduit poliment. Pierre est resté inaccessible; les savants qui ne construisaient pas de navires et n'entendaient rien à la préparation des feux d'artifice ne l'intéressaient pâs encore. I[ était pressé dc voir la patrie de Karsclrten-Brandt et de l(ort. Sur la route d'Anrsteldam, à Schenlcenschen, ville hollandaise de Ia frontière, une I'ernrne dernande aux voyageul's s'ils sont clrrétiens. Le bruit circulait que les l\[oscovites allaient se faire baptiser à Clèves !
(f.) Enrrusu, Mémoires pour seruir à I'histoire de Sophie-Charlotte, Berlin, f.861, p 116-120. Les détails de I'entrevue sont enrpruntés à la Correspondance des deux princesses avec Fuchs,

Il veut mettre des gants, ses effets Les seigneurs de sa

EN VOYAOE.

93

II
Saardam ou Zaandam et Ia maison du T.sar-cbarpentier, but de pèlerinage aujourd'hui dans la charmante petite ville néerlandaise, ne sont devenus célèlrres qu'à la frn du dix-huitième siècle. Cousacrunt cinq pages à la description de ce corn de Jrays, dans ses \IIémoires, écrits en 1726, le baron de Pôllnitz ne fait pas mention de I'hôte illustre auquel il a dù, depuis, sa renomrnée. Parlant du séjour de Pierre en Hollande, le célèbre Wagenaer ne fait pas mention de Zaandam (l). C'est, dans cette pr{îe d'histoire, un curieux exemple du travail marginal de I'inragination populaire. Historiquement, cela est cert-ain, la plupart des ddtails consacrés par [a tradition, cornrne se rapportant au séjour de Pierre clans le voisinage d'Amsterdam, n'ont rien cle réel. Il n'est pas sûrr qu'il ait jarnais habité la maisonnette pieusement conservée aujourtl'hui. D'après Scheltema, clui s'est lapporté au joulnal encore inédit de l{oornelr, Ia demeure appartenait ii un forger()n du nom de Gtrerrit Kist; le journal de la communauté luthérienne du Iieu inclique un autre propriétaire, Boij Thijsen. Toutes les rnaisons ouvrièr'es en bordure du petit canal tributaire de I'Y se ressernblant à une tuile de toit près, il a pu v avoil confusion. Voltuire et ses émules ont bien suivi pas à pas et heure par lreure la vie de l'hér'o'ique apprenti au cours de sa légendaire éqrripée; ils I'ont vu se préparant un lit dans I'humble calrane, y faisant sa cuisine, construisant de ses tnains un noclèle cle vaisseau, puis un modèle de morrlin à vettt, I'un et I'autre lar.ges de t;rratle pieds. Il a;oute urr màt ii un bateau, destiné à ses prorncnatles I passe de longues journées sur les chantiers, la hache ou le rabot à la main, et, satrs étre absot'lr6l par
,'l)
l'aLlet'lattdtcltc 'Wrcelrrr,n, Hi,toirc cl'Antçterdam, Amstcrtlarn, 1750, p. 79 1. Voy. aussi Hist oriet Ameterdarrr, L757, t. XVI, p.'à77-379,

04

I.'ÉDUC ÂTIOjS.

ces occupations multiples, il visite des scieries, des pressoirs, des filatures, des fabriques de compas, des ateliers de serru-

rerie; il entre dans une papeterie, s'y empare de I'appareil à tirer les feuilles et s'acquitte à merveille de cette besogne délicate. Conrbien lui a-t-il fallu de temps pour faire tout cela ? Près de deux ans, répond voltaire (l). Il est resté à Zaanclam
huit jours
!

Comment y est-il yenu ? Un peu par I'effet du hasard et beaucoup par I'effet de I'rgnorante naiveté qui I'accompagnera constamrnent dans ce premier tour d'Europe. Zaandarn était à cette époque un centre de constructions navales assez considérable; on y comptait jusqu'à cinquante chantiers I mais au point de vue soit de I'importance, soit de la perfection des trayaux, ces établissements ne pouvaient soutenir aucune comparaison ayec ceux d'Amsterdam. Abandonnant à Koppenbrùgge le gros de ses compagnons de vovage, se faisant suivre par une dizaine seulentent de n volontaires n , Pielre briilait la grande métropole et poussait droit à la petite bourgade voisine. Pourquoi ? Parce gue, panni les charpentiers hollandli.s, d'ordre inférieur naturellernent, qu'il avait ernployés à Préobrajenskoié, à Péréiaslavl et à \roronèje, les meilleuls s'étaient Irouvés par aventure originaires de Ztrandam. Il elr avait conclu qrr'il lui fallait aller là, et non ailleur,s, pour voir de beaux navires et bien apprendre à les construire. Il clescencl à I'auberge ; cédant à sa rnanie de travestissement, il se fait en toute hàte apporter poul lui et pour les siens des vêternents de bateliers indigènes, carnisole rouse aux gros boutons, veste courte et la^rges culottes, et les voici déambulant par les rues dans cet accoutlernent, visitant les chantiers, péndtrant dans les maisons ouvrières à Ia grande stupéfaction des habitants. Ces maisons ressemblent {brt à celles que Pielre a toujours occupées dans son propre pays; il en trouve une à stirr gr'é et s'y établit. Il fait I'emplette d'un boeijer, petit bâtiment à voiles, y aclapte un mât brisé, invention nouvelle alors,
(1) voltaire s'est quelclue peu contredit lui-même à ce auiet. Comp. oEuures2 édit. de 185ù, t. IV, p. 576 et 663.

EI{ VOYÀGE.

95

et passe son temps à essayer le navire sur le golfe. Au bout de huit jours, il en a assez. Les vaisseaux qu'il a aPerçus sur les eaux de I'Y ou darts les chantiers ne sont que des bâtirnents marchantls de tonnage nrédiocre, et sa présence a jeté le trouble dans la paisible population du lieu, mettant les autorités locales dans I'embarras et lui causant à lui-même des ennuis. Son travestissement n'a évidemment trompé personne I son arrivée était anuoucée à I'avance et son signalement donné à un ouvrier clu pays pitr. un de ses parents ernployés en Russie : n La taille élevée, la tête tremblante, le bras droit en

c mouvement continuel et une verrue sur le visage. ,r Des enfants qu'il a botrsculéslui ontlancé des pierres; ils'est fâché
et a aussitôt oublié son incognito, se réclamant très haut de sa qualité. On lui donne à entendre qu'on serait bien aise de le voil parti, et, comme son ambtrssade vient d'arriver à Ams-

il se décicle à I'y lejoindre. Il est resté huit jours à Zaandam; il s'y est Promené en hateau et a courtisé une fille d'auberge à laquelle il a donné cinquarrte ducats (l); mais il a frappé les esprits Par ses allures
terdam,

excentriques et son déguisement de carnaval, il a mis au nid, <lans ce coin de pays ignoré, la couvée d'anecdotes pittoresques, et la légende va naître. Joseph iI, Gustave III et Ie grandduc Paul de Russie avant Ia fin du dix-huitième siècle, Napoléon et NIarie-Louise au comûrencement du dix-neuvième, visiteront la demeure, authentique ou nonr où se sera fixé Ie culte posthume d'une tardive religion. Napoléon est, palait-il, un visiteur distrait, et Marie-Louise éclate de rire en voynnt la pauvreté du lieu (2); rnais Alexandre [""y fait placer en l8l4 une lllaque de rnarbre blanc corutnémorative; acconlpagnant [e lirtur ernpereur Alexandre II, le poète Joukovski y écrit au
(t) Mnnnnrrru, Discours sur le prenier uoïage de Pierre Ie Grand, Pafis,

L812, p. 59 et suiv. I N,tnror, Anectlotet sur Pierre le Grand, Pételsbourg, IEgl, p.5-7;,I,tut'ttal inétlit de Nt,ornen, darrs la liibliothè<1ue tl'lltrec]rt. ]I. Kort, prof".."o" à Dorpat (actuellcrnent Ioulief) , en 1-rrépare la puLlication. Scheltenra s'y est fié aveullléurent. Noouren était marchtud elrapier à Zaarrdam. (2) Scrrur.ruv4 Anecdotes historiquet sur Pierre le Grand, Lauoanne, [8[9, p. 409.

96

L'ÉDUCÀTION.

crayon sur le muf des vers enthousiastes qui saluent le lrertea' de la Russie sous I'humble toit d'ouvrier, et, à côté r['un portrait du grand homme, les touristes y peuvent lire ce
distique
:
.lVdcÀts ds

den grooten man

située sur le I(rimp, dans la partie oceidentale et assez écartée de la ville, la maison est en bois surun pied de maçonnerie

en briques. Guerrit Kist, ou Boij Thijsen, la paltageait en 1697 avec une yeuve, et celle-ci céda son corPs de logis à pierre pour un loler de sept f'lorins qu'il négligea de payer. Il avait de ce côté I'ouhli facile. Uno seule chambre' pourvue d'une cherninée en forme de hotte avec jambages et chambranle en bois, d'une espèce d'armoire en bois aYec porte à deux vantaux grillés en fil de laiton et munis de rideaux pour recevoir le matelas (betsteede), et d'une échelle Pour rnonter au
grenier. Plus de meubles aujourcl'hui ayant pu servir au locataire à" l69T. L'impératrice Élisabeth en a fait I'achat et opéré le transport en Rrrssie. La maison, habitée depuis par plusieurs oubliée pendant longternps. Il est' 6énérations d'artisans, a été reconnaître. Une espèce dehanla possible qu'on soit arrivé à gar à arcades construit par le roi de Hollande entoure et con,uru" aujourd'hui ce qui en reste : I'aile gauche avec deux pièces surmontées d'un grenier et à moitié effondrées sous le poids d'un toit en ruine. L'aile droite a disparu, ainsi que la clreminée. Le gouvernement hollandais a cédé récemment ces reliques au gouvernement russe, {ui a pris, pour leur conservation, de nouvelles mesures, assez ofl'ensnntes poul' les amat.eurs de pittoresque, mais peut-être indispensables. J'y ai vu rnstaller jtrsqu'à un calorifère ! Au palais de Slorrtplaisir', à Peterhof, un tableau de l'école

flamandc, représentant tln ltomme en catnisole rouge qui serre dc. près une fille aux planttrreux aPpas, a pussé lo116temps poul une évocation des souvenirs lnissés par le grand Sogrrue à Zaaldam. La toile est maintertatrt à I'Ermitage, ruais

Ët{ voYÀcE.

9?

n'û certainement pu étre peinte d'après nature, I'auteur, I.-I. Horemans, étant nd en l7lb. Nartof, qui fut plus tard un des intimes de Pieme, fait meution de la fille, qui, dit-il, ne s'est laissé armer qu'après s'être convaincue par un regard .jeté dans la bourse de l'étranger qu'elle ,.'uouit pas af{aire à un vulgaire batelier, €t, dans un fragment de lettre recueilli par Leibnitz sans indications de provenance, je lis à la date
du 27 novembre 16g7 ces lignes : n Le Tsar a rencôntré une a paJsanne à saardam qu'il trouve à son gré et où il va seul .. en sa barque faire I'amour les jours de repos, à I'exemple

u d'Hercule (l). " Pierre avait mleux à faire à Amsterdam. un ami I'y atte'dait, presque un collaborateur, le bourgmestre cle l; ville, Nicolas witsen. Ayani visité la Russie sous le règne d'Alexis, auteur d'un livre célèbre sur lra Tartarie de I'Esi et clu su,t, correspondant de Lefort et Intermédiaire cle son maitre pour les commancles de vaisseaux et autres emplettes faites en Hollande, celui-ci re pouvait manquer de faire grand accueil au voyageur. Il se hâta de lui ouvrir I'accèl des grands chantiers de Ia compagnie des Indes orientales. Le travail sérieux et le voyase utile de pierre commencent
Ià.

Il y parait bien Ie méme toujours, avec ses manres, ses bizarreries, ses grirnaces et ses tics, prdtenda't se dissirnuler sous Ie nom de . maitre Pierre u (Peter.bas) ou n charlle'tier Pierre de zaandârn u, faisant le sourd si on I'interpelle autre_ ment, et n'arrivant qu'à mieux se donner en spectacle. son anbassade allant à Ia Haye, pour s'y faire recevoir en au_ dience solennelle, il refuse de se joindre à elle, nrais arrnonce le désir d'assister à la séance dans une salle contiguë. comme il y vient du monde, il ve't partirl mais ayant à traverser pour cela la salle d'audience, il demande que les membres des États se tournent contre le mur pour ne pas être vu d'eux (2). Il est arrivé dans la ville à onze heures du soir; à I'hôtel (l) Gunnnran, Correspondance de Leibnitz, pétercbourg, lgZA, p. Bl.
(2) Scxr:mEM^, p.
I!+{t-1,42.

gS
tl'Amster.clarn, où on

L,'l,lDIlf: ATION

I'a conduit d'abord, il a refusé le beau la meilleure chambre, et a voulu lit qu'on lui offrait
dans

grimper sous les toits Pour s'y choisir un étroit cabinet i puis, sc ravisant, il s'est décidé à chercher gite ailleurs- C'est ainsi que I'auber.ge du Yieur Doelen a eu I'honneur de l'héberger. Iln de ses domestiques s'y trouvait déjà, dormant dans un coin sur sa peau d'ours. D'un couP de pied il I'a mis debout : e Je veux ta place (l). " Entre Amsterdam et la Haye, il a ltait vingt fois arrêter sa voiture pour mesurer la largeur d'un appontentent, visiter un moulin en passant à travers un pré tléfbncé, où il s'est mis dans l'eau jusqu'aux Senoux, entrer dans urte maison bourgeoise, dont il a fait préalablement sortir tous les habitants. Il promène ainsi partout son insatiable curiosité et sa fantaisie. il ,outrqoe de s'estropiel' en provoquant I'arrêt d'une scierie de bois; il se cramPonne à la roue motrice d'une fabrique de soieries, au risque de se faire enlever par Lrne dcs roues secondaires; il étudie I'architecture aYec Simon Schl'nvoet, de Leyde; la mécanique avec Van der Heydenl I'ar[ des fortifications avec Coehorn, qu'il essaye cl'engager ir son service I I'imprimerie avec un des frères Tessing I I'anatomie avec Ruvsch ; i'hirtoit" naturelle aveo Leuwenhoek. Il concluit des seigneurs de sa suite dans le ttréâtre anatomitpe du célèbre Boerhaave, €t, comme ils témoignent du dégoût Pour les préparations qu'ils y voient, il les oblige à mordre à pleines dents dans cadavre en dissection. Il apprend à manier le compas, "" la scie, le rabot et aussi les instruments d'un arracheur de dents qu'il aperçoit opérant en plein vent sur une phce publique. Il bâtit une hégate, se confectionne un lit, constnrit son usate un bain à la russe et prépare lui-rnême pour -ses alitnents (2). It prend aussi des leçons de dessin et de I'atelier de Jeanne Koerten ffravure sur cuivre, fréquente Élo.k, pose pour un portrait qu'elle fait de lui, s'inscrit dans son album et Srave lui-même une planche, où I'on voit le
(1,) Scnnr,rnu^r

(l)

Mrnnuenn, P. 60.

P. I'h0-l.ItT.

EN

VOYAGE.

99

triomphe de la religion chrétienne sur la foi de Mahomet (l), ll y a évidemment dans tout cela plus de fièvre nru d'application réfléctrie, beaucoup du et même *n peu ""p.i.e de folie- Les notions de science et d'ari qu'ir a ramassées de la sorte sont déconcertantes : u Si vous otole, faire un vaisseau n, Iisons-nous dans un de ses cahiers d'étude datant de cette époque, ( commerTcez) ayant pris ra rargeur superficieile, par faire aux bouts des angles droits (2)... ,, Avec toute l,uni_ versalité de son génie, le plus étendu et re prus compréhensif que le monde moderne ait connu, Naporion ne prétendra jamais être un grand méclecin, rri faire d"s uao*-fortàs; il spécialisera ses connaissances pratiques. pourtant, en agissant ainsi qu'il fait, Pierre suivait un irrstinct qui ne le trimpait pas; il se préparait admirabrement pour Ia vraie berogrr" qrri I'attendait et qui devait étre, non pas ra const.rction ,r,un vaisseau, d'une usine ou d'un palais, les spécialistes étran_ - I'installation gers s'en chargeraient toujours, mais d,une civilisation tout entière. Au fo'cr, ir ne faisait q'e co'tinuer ce qu'avaie't commencé déjà ses prernrers tâto.'ernents à travers les trésors exotiques cre ra orottiei.ncti.a palata.. l'inven_ taire hâtif; et sommaire comnre de raiso', du bric-r\-brac industriel, scie'tifique, artisticlue, rront il s'était proposé de fhire I'ernpru't au monde occiderrtal. seufernent, ie champ de "o.o_ sa curiosité s'était a6randi, et, son esprit s'élargissant en portion, I'enfant insoucieux, I'adolescent clistrait cle ta'tôt se révélait de plus en plus souverain. a péréiaslar.l ou à arhargel il lui était arrivé fréquer'rnent d'oubrier sloscou et re .este de sorl empire- ce n'était plus cela mainte'a.t. si éloigné qu,il fut de sa capitale et des frontières tle son pays, il vouriit qr,,o, le tînt au courant des moindres clétails ," .uppor,ta't à cette gestion des affaires publiques clont il avait fait volontiers naguère un si complet abandon; ir entendait savoir jour par (t) Scunr,rnlrl, -La nr:r:.r:. et les lrajrs_B-asr- Aurstertlaur, lglZ, t, I, p. 2A!; [". Miir,r,rn, Essai d'une bibliographi" iérrlo,,ldo_t.ttc\e, fO{,_f OS, frr"i.^_r^r, p. La science et la littérature en Russie, pétersl_rourg, ltdZ] t. I, p. g. L" g";;;;; est au nrusée d'Arnsterdarn. (2) OusrnrrloF, r. III, p. gB.

100

L'ÉDgCATIOB{.

beaucoup de choses. Le lour ce qui s'y passait. Il s'y passait tronrpnrt, -êmt momentané, de son énet'gique activité dans on construisait ce .lÀainc avait produit ses fruits. Près d'Azof de la Triles forts d'Alexis et de Pierre; à Tagarrro[f , les forts nité et de saint-Paul. on y creusait un port. sur le Dniéper cotrtre on repoussait victorieusement les uttaqrres des Ttrrcs de nales forts cle I(azvkermen et de Tavan. La construction avait envoyé vires faisait,le* progrès rapides. Le roi cle Suècle encore trois cents canons Pour les armer. Il rl'irnngi'ait Pas n'eil Prequ'ils pussent servil contre lui, ou, héro'iquertt€t]t, était Pierre ,r.it pu, souci. Auguste se fortifiait en Pologneavec ceux instruit de tout cela. Il corresPoilduit activement à [a absence, sou qu'il avait chilrgés de le suppléerr pendant des noutéte du $ouvernernent. Ilomodunovski lui donnait [olartnuriers des veltes cles .!l"r/tsy, etVinius lui demandait il s'occupait de lan4ais. Il faisaii.oi.o* que de lui en envoyerl et va|ié, rec|uter tout un personnel, extrêmemetlt nomltrettx dont qui clevrait le ,""on,1., tlarts I'cBuvre de transforrnation sa pensée: le pIan se clessinait de pIus en plus rrett,ement-dans or.uys, Corné|ius un rnaîtr.e <l'éqrriPate lrabile, le Norvégien de vuisseau, dont il taisait'un anrira[, p[usieurs capitnines soixa*telierrtena'ts, vingt-trois conrrnirndetrrs, trente- cinq do,o" pilotes, cirrcluante médecins, trois cent quarante-cinq [esoin d'un matelots, qlatre cuisiniers. Ces ltorumes au.aient et de I'exmntériel uppr.oprié; il prenait soin de le rec*eilliy rnitrquées au chil'fre P' péclier : deux cent sÛixante caisses, ernportant TLoscort ilf . (Pierre MihaTlof ) r partaient Pour ' scies, ébénistefusils, pistolets, canons, loile àvoiles, cortrpas, huit corllPl'enait euvois cles rie, baleines, lièges, ancres. un I'inspiration à provoquer blocs de marble, clestinés sans doute beaux-arts s'y annondes école des artistes à venir. La futur.e un crocotlile ernpuillé' C'étilit un çait. Une caisse retrllet'tnait bien quelques arrêts commencenrertt de musée (t)' ll y avait Ia corresp,o'da*ce du dans cette merveilleuse activité; {ans
(1)
Ousrnrer.oFr

t' tII, P' l0&-lt0

EN VOYAGE.

t0l

souvemin avec ses mandataires, des interruptions se prouuisaient; Pierre restait parfois en retard d'une réponse. Il s"en excusait bientôt, non sans embarras, avec hnmilité presque c'était la f arrte d,e Hnielnitski,le Bacclrus russe (t). L'élève tle Lelbrt n'a pas dépouillé encore, ne dépouillera jamais, à cet éga'd, le vieil honrme, le convive quotidien des banqrrets orgarrisés à la.l/o/,oda. \lais, en sornme, dans I'espace de qrratre urois que dure son séjour en l-lollande, il trouve moyen d'accorrrplir rrne tâclre immense. Il a t.ut le loisir cle s'y appliquer. II a révolutionnépenrlant hrrit jorr's le borrrg de Zau'tlnr'I à Amr;tertlam, le pre,.ier monrent de srrrprise passé, sa présence reste prescllre inapercue. Plus tard seulernent, Ia grarrdeur du rôle qui lri écherr.a et la f réquence de ses ap;rarrtions en Errrope rappelleront I'attention publique sur ces rlébuts relativement obscurs. Etaiors, prise arr déllorrrvu, ne retlouvant pas la trace de son lréros dans le turnulte de la gr.nde cité nraritirne, la rdgende rra cherclrer ses points de relrère en un errdroit plus modeste, et se fixera à Zaantlarn. L'inrJrression immédiute larssée sur les lieux par le passâ{ie de Pierre Nlihailof et de ses brul,ants conlpatTr)ous se tlilduit avec pr.elcisi0n dans ces derrx extraits de la chronitlue conterrrpor.airre : Le ";our'al de la comurunauté lutlrérienne de Zaandam : n Il est 'enu rrrcoguito avec une suite peu 'ombreuse, a n habrté huit jours au I(r.inrpenburg, chezun for.gero, tlu rrorn n de Boij Tlrijsen, puis est allé à r\msterdam ou est venue sa u $rande ambassade. Il a sept pieds, a porté le co-stume des ( paysans de Zaandam, a travaillé au chantier de I'arnirauté u et est un amateur des constructions navales. u Et le journal de Noomen : o c'est ainsi qrre I Etat et notre petite ville de westzaandam u furent clélivr'és et dichargés de cette visite si célèbre, si nornu breuse, si distin8uée, si extraordinaire et si dispendieuse. n (l) Flrnielnitski a éJé 1u dix-septiirne siècle le chef vicrorieux des Cosaguee rlans fcur lutte contlo Ia polonaise En russe et eu polon hk;*l -dorninati,-rrr "v, veut dire houblon et aussi faresse-

1"02

L'EDUCATION.

États générauxr portant la date du l5 aoùt r698) rrous apprend que I'entretien de I'ambassade a occasronné une dépense de cent mille florins. Ni dans ce document ni dans les autre s résoluttot?s se rnpportant au séjour des amTJne résolutton des

bassadeurs

à Amsterdam, il n'est fait aucune rnention

de

Pierre

(l).

III
Les constructeurs de navires amsterdamois jouissaient, au dix-septièrne siècle, d'une renomurée justifiée I mais c'étaient des praticiens plutôt que des savants. Les procédés qu'ils met-

taient en usage variaient d'un chantier à I'autre, sans aucune liaison théorique, sans aucune justification raisonnée des proportions et des méthodes traditionnellement employées. En avançant dans l'étude du métier, Pierre s'en aperçut et s'en chagrina. Le pourquoi des choses lui échappait, et par cela même le moyen de s'en approprier le principe. {Jn Anglaris, qu'il rencontra à la maison de campagne dtt marchand drapier Jean Tessing, lui vanta, iï cet égard, les établissements similaires de sa patrie : la théorie y était au niveau de la pratique. C'est ainsi qu'en janvier 1698, le jeune Tsar fut amené à entreprendre la traversée de la Manche. ll avait rencontr'é déjà Guillaume III à tltrecht et à la Haye, et s'était assuré un accueil courtois. Un yacht de la marine royale vint le prendre à Amsterdam avec une escorte de trois vaisseaux de ligne. Le vice-amiral Nlitchel et le marquis de Caernrarthen, ce dernier un original et un buveur de brandy presqlre aussi ltéroigue que Le{brt,, furent attachés à sa personne. II y a incertitude sur la maison habitée par le Tsar à Londres, les uns tenant pour le no l5 de Buckingrham-Street,
le séjour de 11.) Archives de la I{aye. Outre les sources déjà citées, voyez Pour Pierre le Grand en Flollantle: A. Ilztxon, Pierre le Grand à Zaandam et à
Amsterdcm, Berlin, 1872.

HN

VO

yACE.

[03

au Strand, où une inscription commémorative est aujourd'hui

placée; les autres pour Norfolk-street. En pénétrant dans la chambre dont Pierre avait fait choix pour lui et où il couchait avec trois ou quatre de ses domestiques, le Roi fut sur le point de se trouver mal : l'air y était irrespirable. on se trouya obligé d'ouvrir les fenêtres, en dépit du froid. pourtant, à I(ensington-Pnlace, où il rendit à Guillaume sa visite, pierre faisait preuve de progrès très apparents en matière de sociabilité I il s'entretenait longuement en hollandais avec le souverain, se montrait empressé auprès de la princesse anne, I'héritière du trône, et avait si fort à se louer de sa conyersation que, écrivant à un de ses amis, il I'appelait : n Une vraie fille u de notre Église. , Dans le cabinet du Roi, il s'intéressait à un appareil propre à constater la direction du vent. NIais il n'avait qu'un regard distrait pour les merveilles d'art qui rern. plissaient le palais, et, finalement, il perdait ses frais; I'eff'et produit n'était pas ici des plus làvoratrles. Dans ce milieu de culture et d'élégance raffinées, on se montrait plus clifficile qu'h Koppenbrusge. un peu plus tard, Burnet, écrivanr. ses Souuenir,$, aura presque I'air de s'excuser aupr.ès de ses lecteurs de les entretenir d'un aussi triste personnate (l). ur homme, cela, apte à gouverner un grand ernpire? Il en doute. Iln futur bon charpentier, peut-être. on ne I'a pas vu occcupé d'autre chose, et, à cet égard encore, il se perdait dans le détail. Le grand historien whig touchera ainsi du doigt, avec sfrreté, le côté faible d'un merveilleux génie, sans en soupçonner les points de force que j'essayerai de rnettre en lumière plus tard. Il n'enregistrera pas, d'ailleurs, des impressions tout à fait fraîches, et, à distance, elles paraîtront déformées chez lui par une illusion d'optique analogue à celle dont nous avons constaté les effets en Hollande. Pierre a séjourné en Angleterre presgue aussi longtemps que là'bas. Il s'y est également occupé de beaucoup de choses. Il a fait avec sa curiosité, sa minutie et son esprit pratique habituels, la tournée des établissements
(1.) 'I'qmc

II, p. 92t

et guiv.

lob

L'ÉnU

C

ATION.

publics propres à lui fournir des données utiles pour ses créations à venir : I'Hôtel des monnaies, I'Observatoire, la Société royale des sciences. S'il ne s'est pas pâmé d'aclmiration devant les peintures de Kensington-Palace, il s'est laissé peindre par I(neller, l'élève de Rembrandt et de Ferdinand Bol. Le portrait, conservé à Hnrnpton-Court, est un des meilleurs qu'on ait de

Iui. Il s'est diverti enfin, donnant licence à ses vingt-cinq ans et s'initiant pratiquement aussi aux mæurs locales. Il a remplacé la servante d'auberge de Zaandam par I'actrice Cross, tlui a eu à se plaindre, paraît-il, de sa parcimonie. Mais il a vertement repris ceux qui se sont avisés de le chapitrer à ce propos u, Au prix de cinq cents guinées, je trouve des hommes pout r, bien me servir avec leur esprit et leur cæur1 cette fille rn'a a médiocrement servi avec ce qu'elle a à donner et gui vaut
r

a regagné ses cinq cents guinéesdans un pari tenu chez le duc de Leeds pour un {îrenadier de sa suite contre un boxeur célèbre du pays. Sur les trois rnois ainsi employés, moins

i

(l). " Il

il

a pris six semaines pour poursuivre, à Deptford, villa6e de Ia banlieue aujourd'hui englobé dans la ctrpitale, des études dont les ctrantiers d'Amsterdam n'ont pu lui fournir le complément. Il s'est encore plu à y jouer son r'ôle d'apprerrti

,ruvrier, traversant les rues la hache sur l'éllaule et allant boire de la bière et f'umer sa courte piPu hollandaise darts trn cabaret qui, jusqu'en 1808, a gardé le rrom de n Taverne du Tsar rr et le portrait du souverain commc enseigne. Il u aigsi fourni à la ldgencle un nouveau cadre dont elle n'a pas rnarlqué de s'emparer, et où Burnet lui-nrême a égaré sa vtsiorl
habituellenrent si nette et sa mémoire si fidèle. Quarrt au logis gue Pierue a occupé à Deptford, il se trouve d'aventure soustrtrit à toute incertitude : son identité a lait I'objet d'une constatation judiciaire. En rentrant en possession de sa demeure cédée au souverain moscovite, le propriétaire, I'amiral John Evelvn, I'a vtte dans un état à faire croire que Baty-Han en per$onne y avait passé : portes et fenêtres eD([) Nrnror, p. 9. L'erpression ]' e6t plus crue
encore.

EN V OYÂGË.

105

Street.

aujourd'hui, cornp'ise dans les docks et occupée par la Police et les bureaux de ra conrptabirité, Ia maison says p's'1 garde pas moi's le souvenir court -illustr.e d.e I'hôte q''elle- a abrrté. La r'e qui y conduit s'appelle toujours czars-

Ievées ou brùlées , tentures arrachées ou salies, tablea.x de p'ir entièrenrcnt perdus, Ies cadres en morceaux. Il a réclarné et ,btenrr d' trésor le remboursement de sa perte (l). a moitié

'rinée

structeur. Dans .nelet.tre datée du 4 mars r6gg, à propos cl,un un de iies renrplaçants provisoires s'étaii .*,r,lu "o,rpable à l\foscou en état d'ivresse, il disait, non sans une pointe de mélancolique regret : u Nous ne risqpons pas ici d,en faire .. autant, étant sans ré1lit plongés dans l'étucle. , NIais à Deptford même il .e s'est plus rnissé absorber par son labeu, ,l'up_ prenti, ni par sa passion pour les choser,le ia mer; ir a, comme en Ilollande, unive'salisé ses étucles et ses préoccrrpations; il a porrrsuivi le recr.uteurent de ses futur., : ouvriers et contremaitres pour ses mines de "àllubo.ut",r., I'oural, ingénieurs pour le percement d'un can*r de co.rmunication Ëntre la caspienne et Ia me. Noire pûr. re volga et Ie Don; ir a négocié avec le marquis de c*ermarthe' la concession à un g.ouf" d" capistalistes anglais du rnonopole des tabacs en Russià, *oy*rnurrt l'assez modique somûre de quarante-huit milre .o,rrrl"r, dont il a eu besoin pour éq'ilibrer le budget chancela't de son ambassade. Burnet a ourrrié tout cera. La légencre, eile, s'est so'verue d'un diamant b.rt enveloppé clans ,n 'rorceâu de papier sale, présent svmboriq,r" dnnt pierre aurait, à son départ, gratifié son royal hôte. ,\ I(cenigsberg cléjri, s'il firllnit en croire les conte'rs d'aneccrotes, il y a *,i I'uverrtrrre ,l,un énorme rubis jetd à table cra's ru cursoge de l'Électr.ice (:l) _ qui ne s'v trouvait pas.
excès dont

Pierre a sérieusement travaiilé à DeptFord sous ra directron du célèbre antoine Dean, dont le pèrà s'était rentru irnpopulaire en passant en France pour y enseigner son art de con-

([)

Esgursses_historigrres, pétershourfir lgg3, p. 80, (2) Carc, Ttcuek, Lontlres, rcfnr' t. IV, p. ir; ,.\rus.r"c'nr, Séjour dc

Cuouurssrr,

t00

I.,'trTDUCAlI ON.

tv
A la fin d'avril, Pierre est de retour en Hollande et bientôt en rorrte pour Vienne. La demande de secours contre le Turc présentée au* États généraux par ses envoyés n'a pas reçu un accueil favorable; les États en sont, au conttaire, à proposer au roi d'Angleterre une médiation entre la Porte Ottomane et I'Autriche, pour mettre celle-ci en mesure de faire face à la France avec toutes ses forces, dans la nouvelle lutte dont la menace grandit à I'horizon. La santé de Charles II d'Espagne va déciinant rapidernent. Il s'agit de parer le coup. Malheureusement, la trop nombreuse ambassade du souverain moscovite est lente à se mouvorr; il lui faut trois semaines Pour atteindre la capitale du Saint-Empire. D'après les sources officielles allemandes, son train est composé cornme il suit : I maître de cour, I écuyer, I majordome, 1l charnbellans,

4 nains, 6 Pa$es' 6 joueurs de trompette, [ échanson, I cuisinier, I fourrier, 12 laquars, 6 cochers et postillons,

?4 valets de chambre, 32 valets de pied, 22 chevaux d'attelage, 32 voitures à quatre chevaux, 4 fourgons à six chevaux pour les bagages, 12 chevaux de selle (l). Par coÛtre' Pierre ne veut {aire son entrée dans la capitale de Léopold qu'à onze heures du soir et dans le guatrième carrosse, Pour nrieux passer inaperçu. Au dernier moment, le plan est déçu et les choses tournent mal pour tout le monde : I'ambas' sade tout entière et son interminable cortège se morfondent pendant une journée aux abords de la ville, sans Pouvou par un défité de troupes, 1 pénétrer : le passage est obstrué q"i "* se dérangent pas pour si peu. Pierre n'y tient pas, et, ,autant dans une caniole de poste avec un seul domespiette le Gnnd en. Hollancle et en angleterre, Messager uniuersel, L87t. (l) \{nrnn ^ archiut fiir sacbirche Geichichte, Leipzig, L873' t- XI, p" 338.

EN

VOYAGTT.

107

tique, il prend les devants. Mais I'incident ne laisse pas de lui donner beaucoup de mauvaise humeur et tout autant de malaise. II paraît décontenancé, et ce qu'il voit de la résidence impériale ne faitqu'augmenter cette impression. L'endroit lui impose vrsiblement, avec tout ce qu'il y devine de morgue rmplacable, d'étiquette hautaine ct d'inaccessible majesté. Engagés déjà à fond avec la Hollande et I'angleterre, les ministres impériaux cherchent des prétextes pour retarder I'audience .sollicitée par ses ambassadeurs; il veut couper court en demandant une entrevue personnelle avec I'Bmpereur et se heurte à un refus n A guel titre ? , pierre l\IihaÏlof ici sa prend première leçon de diplomatie et commence à comprendre I'inconvénient des travestissements. Il revient trois fois à la charge. on lui envoie enfin Ie vice-chancelier (( Que voulez-vous?,) de Bohême, cornte Czernini. n Voir I'Empeleur, pour lui parler d'affaires urgentes u euelles affaires? Les ambassadeurs de votre pays ne sont-ils pas là pour cela? p Le pauvre Tsar déguisé bat en retraite : il ne parlera d'aucune affaire. on lui indique un rendez-vous au château de la Favorite; il entrera par un escalier intérieur, un petit escalier en colimaçon qui communique avec le parc. Il accepte tout. NIis en présence de Léopold, il s'oublie au point de vouloir baiser la main de ce chef d'ernpire, clevant lequel il se sent évidemrnent très inférieur, très petit. D'un geste nerveux il ôte, remet et ôte encore son chapeau, ne se décidant pas à le gartler sur la tête, malgré les instances réitérées de I'limpereur. I','entretien dure un quart d'heure et se passe en banalités, Lefort servant d'interprète, car pierre n'ose plus laire usafre de son mauvais allernund. En sortant seulement, il se ressaisit et en un instant redevient Iui-même, avec toute Ia gaie exubérance de son ternpérament. Apercevant dans le parc un bateau arnarré sur un petit étang, il s'y précipite, etde ramer à perte d'haleine. un dirait d'un écolier échappé à l'épreuve d'un exaûren difficile (l).
(1) Ârchives de vie.ne, {lere,nonial-l)rotocolle. comp ousrnr,u,or, t. III, p. l2û-1271 Tuursr,-n, ouvr. cité, p. BZ2.

t0t

I,'EDUCATI ON.
à

Mais I'entrevue n'a pas de srrrte. L'Empereur est décidé

resJrecter I'incognito de Pierre trIihnîlo/. Au banquet qur suit I'audience enfin uccorclée à ses anrbassardeurs, Ie jeuD€ souverain, revenu à sa manie, veut se tenrr debout delrière le

fauteuil de Lefort. On le laisse faire. Ce qu'il a à proposer s'ac,corde peu avec les intentions bien arrétées de cette cour. Elle verrt la paix avec le Turc, à tout prix. Pierre se donne pourtant beaucotrp de mal pour réussir dans ce nouveau torrjours à la milieu. II s'observe plus qn'ailleurs. II visite la I'lmpératrice et dérobée Favorite et torrjours [)resqrre à
les princesses irnpériales, et s'npplique de son mierrx à paraitre airnalrle. II risque rnéme des avances à l'Église régrttrnte, au point de donner des espérances aux catholiques, conlme il en a donrré, du reste, aux Jrrotestants. Le.jour de la fête de saint Pierle, il assiste avec toute son anrlrassade à un service solennel dans l'église cles .lésuites ; il y écoute un sermon prêclré en slavon par le Père WollT, et s'entencl dire {ue a lesclel'sseront données lrne seconde fois à un autre Pierre porlr ouvrir une autre ltorte u . Il compose et allume lui-mênte un feu d'altifice I)oul la fête que ses arnbassadeurs offrent ce même .jour à la

-

haute société viennoise, et qrri, au témoignnge du Tsar, se termine un peu à la fhçon de celles de la Slob,,tlu. n On a beaucoup bu, écrit-il à Vinnius, et plusieurs couples se sont mariés dans les jardins (l). , A son tour, l'limpereur convie les ambassadeurs à un bal masqué, où Pierre revêt le costume d'un paysnn frison. [,'Empereur et I'Impératrice paraissent en lrôtelier et hôteliere. La lVirthschaft (hotellene) est en vogne à ce moment, comme le seront tantôt les bergerades. Mais le divertissernent n'a aucun côté officiel. A solrper, Pierre prend place entre la freiline de Turn, qui l:ait la paire avec lui en paysanne de la Frise, et la maréchale de Starernberg en pa)'sanne de Souabe. Queklues jours plus tard, c'est le dépnrt. Le but diplonratique du voyage a nettenrent été manqtré, et Pierre n'a pas trouvé à Vienne, en fait de ressources scienti(l)
Ecrits et Cot'respondanee,

t. I, p.

263.

EN VOYAGE.
fiques, de quoi cornpenser ce rnécompte.

tû9

Il veut allerà Venise, où il étudiera un genre nouveau pour lui de constructions rravales : les galères à rames, appelées à .iotrer un si gland rôle dans I'avenir de la marirre russe. Hélas ! ses préparatifs de voyrge dé1à faits, il est obligé de tourner court : des nouvelles graves lui arrivent de Russie. o La semence deé Miloslavski a germé encore rtne fois , , ainsi qu'il le dit dans son langage pittoresque. Les Jlre/ls.,;r'sont une fois de plus en révolte. Vite il a pris son Jrarti, cltangé son itinéraire du sud à I'est. Quelques jours plus tard, il est à Cracovie. u Vous me reven'ez plus tôt que Yous rtê p€DS€Z ' , écrit-il à Romodanovski, qu'il accuse de faiblesse et de Jrrrsillarrimité ! Des bulletins plrrs rassurituts, pottt'tirrtt, I'attendent dans I'ancienne capitale polonLrise : le généralissime Cheine a vaincu les rebelles ; Nloscou est à I'abri. Il ralentit un Petr $a course, s'arr'éte à llawa et y passe trois jours avec AugusLe ll. L'histoire de cette errtt'evtre, dont la 6uerre du Nord doit sortir, appartient à un autre chapitre de ce livre. Le voynge d'études cle Pierre s'est ternriné a Vienne, et, avant d'en firire voir les conséquences irnmitlintes ou lointaines, c'est-à-dire la création, itux conl'ins de la vieille Europe, d'une nouvelle puissance politiqrre, sociale, économique, et Ia transfolmation politirlue, sociale, éconornique, d'utre pal'tie de I'arrcien corttilent européen, j'ai à rnettre en lurnière I'instrttnrent cle cette révolution. L'ceuvre va cornlnencer, j'essa1'erai d'abord tle nrotrtrer I'ouvrier.

DEUXTÈME PARTTE
L'HOMME

LIVRD PREMIDR
LA CHAIR ET
I,'ESPRIT

CHAPITRE PREMIBR
PONTRAIT PHYSIQUE.

TRAITS DE CARACTÈNE.

I. Portraits au pinceau et à la plurne. - Kneller et de Nloor. - Saint-Sirnon. Le rrrannequin litrang,etés de costunte, Tics. -- Vigueur et uervosité. et suuliers du héros. -_ Bas raPiécés La vraie tléfroclue du Paiais d'hiver. Il Ternpérarnent. * * La joie de I'action. ', < La doubitra. ressernelés. Qrratorze hetrres tle travail par Une autlience à rluatre heures du matin. - d'Iitat et tanrLrour-trrajor, Inaitre Homme Ubiquité et universalité. jour. Le 'l'sar et son négrillon de rianse, pourpier, rrraitre d'hôtel, médecin' - Pierre est russe. La race. paresse la L'homrne et l)out'tflnt de son pays, Concordance des phénornènes physiques et urotaux. -_ l,ongs hivet's et [,ériodes d'inertie et retonrs d'activitri fiévretrse. -- Les printenrps hâtifs. Nalvn et III. Pierre est-il courager-rx? htlros de la légeude nirtionale, - Contradictions. poltava. défaillancet Étt"t1ii"s et L'Iclée du rlevoir. - Inconstance et versatilité dane les détails, esprit de suite et perséurorale$. Pierre est un impulsif. Traits de caractère vérance tlans I'ensemble. Hurneul gaie et Insensibilité. ct le cræur. Le cerveau national. -Violence et ctrrpor- pas airné. - Garninerie. Prlurguoi il n'est sociable. - IV. Excès de boistelrrents fréquents. __ Coups d'épée et coups de canne. Le Tsar a bu. son. Scène de carnage au Inonastère des Pères Basiliens. * V. [JanNlæurs Conséquences. grossières. habituelle. [yr6gnsrie {Ine biberonne tle plentier ortlre. quets et orgies. * Ivresses férninincs. Le r'ôle rles verres tl'eau-tle-vie. Controverses théologiques i\ table. -(loûts lrourreau. La raison Hst-il Jrrsticier et cruel? de calrnret et d'of(ice. L'esclavage de la loi. Idéalisme et sensualité. d'État. -

I
C'est un beau jeune homme que Gottfried Kneller a peint

en 1698, àLondres : physionomie Bracieuse et héroïque, traits

ttz

L'HOMNTE.

fins et régrrliers, expression noble et fière, avec un rayonnement d'intelligence et de beauté duns les yeux bien ouverts et le pli souriant des lèvres un peu fortes. La note réaliste discrètement accusée sur la joue droite la vclrue du signaledonne créance au témoignage de ment envoyé à Zaandam I'artiste. Très contreditr pourtânt, ce témoignage. Sans paller I'horrible figure la galerie du Palais de déshonore cire de qui (laravaqrre sont beaucoup d'hiver à Saint-Pétersbourg, Leroi et

moins flatteurs, comme aussi Dannhauer et méme Karl de DIoor, dont Pierre lui-même s'est reconnu satisfait, au point d'avoir' {ait envoyer le portrait de la Haye à Paris, en 1117, pour en inrpo-cer la reproduction à la manufacture des Gobelins (t). Les portraits peints sur place, à la même époque, par liattier et Rigaud lui agréaierrt moins. Un peu rnièvres, en e{tfet, ceux-ci, ne traduisunt rien de la farouctre puissance dtr motlele que N'Ioor a su mettre en valeur, rnais clans un rnasque si épais ! Entre Kneller et Moor, il est vrai, vingt années, et de quelle vie ! ont passé surcette figure. Mais Nootnen a vu le grand honrme avant l(neller, €t, dans son journal, je trouve cette silhouette fruste, d'urte si évidente {ianchise : u Grand et . robuste, cl'une corpulence ordinaire, alerte, vi{j et adroit u dans tous ses mouvements, le visarge rond, I'expression un u peu dure, les sourcils bruns, ainsi que les cheveux courts et " frisés... marche d'un pas allongé, branlant les bras et tenant n à la main uû marrche de hache neuf. " Yoilà le héros évanoui. Je lis encore, totrjours à la même date: n Dans sa perc sonne et dans son aspect, de même que dans ses manières, " il n'y a rien qui le distinguerait et annoncerait en lui un u prince. u Ceci est de ltr main du cardinal Kollonitz, primut de Hongrie, gui s'est trouvé à Vienrre au passage du Tsar en L (j98, et a été un ténroin plutôt bienveillant (2). On connait le portrait de Saint-sirnon; j'inclinerais à en adopter la note
(1) Rovrssxr, Diûiomtatre des portt'aits graaés, p. 1579. On ne sait ce que I'original de ce portrait est dcvenu. {2) Turrurin, ouvr. cit6, p. 379. tomp. la relationde Ruzini, euuoyé de Venise à Vienne; Fontes îerum Austriqccnnn, Yienne, 1867, 2" partie, vol. XXVII, 9. h29.

PORTRÀIT PHYST0UE.

!.ls

moyenne' car les documents contemporains que j'ai pu recueillir s'accordent avec elle sur les points essentiels. En voici deux versés au dossier des affaires étrangeres de France pendant le séjour du Tsar à Paris. Nous sommes en ITIT : o Il avait les traits du visage assez beaux ; il y paraissait rr même de la douceur, €t, à le voir, on n'eût point jogé rr qu'il s'exercât quelquefois à couper Ia tête de ceux de ses .( sujets dont il n'était pas content. C'eût été un prince fort u bien f'ait, s'il n'avait eu mauvars air ; rl était vorité en marr chnnt, plus rnal qu'un matelot hollandais, dont il semblait u copier I'allure. Il avait de grands yeux, la bouch e et le nez u bien faits, le visage agr.éable, quoique un peu pâle, Ies .r cheveux d'un châtain clair et assez courts. II faisait heau., coup de grirnaces. Un mouveûrent qui lui était furnilier u était de regarder son épée en essayant de pencher sa u tête par-dessus son épaule, et de lever et d'étendre une u des jambes en arrière. Il tournait quelquefois sa tête, {r comlne s'il avait voulu mettre son visage au-dessus du u milieu de ses épaules. Les personnes qur éttrrent auprès de u lui prétendaient qu'il était affecté de cette soÉe de con,, vulsions quand il pensait avec beaucoup d'application à
Et encore : ,, Le Tsar est cle la plus grande taille, un peu courbé, ra ,, tête penchée pour I'ordinaire. Il est norr et a quelque chose ,, de farouche dans la physionornie; il paraît avoir I'esprit vif u et la conception aisée, avec une sorte de grandeur. dans les u manières, mais peu soutenue (Z). , Les divergences au sujet de la couleur des cheveux peuvent être mises à la charge des perruquiers, pierre ayant adopté le complément capillaire du costume eur.opéen de l'époque. Il y a unanimrté en ce qui concerne les grimaces, les tics nerveux, le tremblement perpétuel de la tête, Ie dos voûté que les
(L) I|Iémoires et Documeærs (Russie), t II, p. LlZ. (9) Depêche de M. de Liboyr envoyé au-devant du Tsar à Dunkerque,
rc guel![ue chose (l ) . "

?à avril l7I7

It4

I,'HOMME.

à vingtministres de I'Empereur observent en 1698 et I'expression fhrouche du regard" Admis à quatre ans ! baiser la main d'Ivan et de Pierre, lors du duunvirat des deux frères, I'archevêque de Novgorod, Ianovski, n'avait éprouvé aucun ernbarras à aborder I'aîné des souverains I mais, en rencontrani le regard de I'autre, il a senti ses jarnbes se dérober sous lui. Il eut toujours, depuis, le pressentiment qu'il
recevrait la morl. de cette autre main) à peine effleurée Par ses lèvres glacées. n On a su, rapporte Staehlin, que ce monarquer encore n jeune et jusqu'à sa mort, fut sujet à de fréquents et courts e accès d'un spasme assez violent dans le cerveau. C'étaient u des espèces de convulsions, qui le jetaient pour un certain u temps, souvent mêrne pendant des lreures entières, dans un u état si {âcheux qu'il ne pouvait soufh'ir Personne' pas nrême r s€s meilleurs amis. Ce paroxysme s'annoncait toujoufs Par a une forte contorsion du cou vers le côté Sauche et par une r, violente cortraction des muscles du visage (t). , De là I'emploi continuel de remèdes parfois bizarl'es' comme cer'taine poudre prépar'ée avec I'estomac et les ailes d'une pie (Z). De là aussi l'habitude de dormir les deux mains accrochées aux épaules d'un o{:{icier d'ordonnance (3). on a Youlu y voir la source des suppositions malveillantes dont les mæurs intimes du souverain ont été I'objet. L'explication n'est malbeureusement pas suffisante. En 1718, se trouvant h table avec la reine de Prusse, Pierre se met à faire avec une de ses des mouvements si celle qui tient le couleau mains et veut se lever. peur prend violents que Sophie-Charlotte Pour la rassurer, il lui saisit le bras, mais en la selrant si {:ort qu'elle pousse un cri. Il hausse les épaules : u Catherine a les o, ,noi., délicats. o C'est la remarque qu'on I'etttend fhire à haute voix (4).
(t)
Anecdotes (trad. Richou), Strasbourg, [787, p' 80. (2) ScnnnRn, Anecdotes, Paris, {792, t. II, p. 89.
(B)

Nrnror, ouvrage cité, p. 29.

(4) Mémoires de

la margrave de Babeuth, t. Ir p. 43.

PORTRÀIT t)HY,SIQtE.
Ces

rt5

traits de nervosité maladive se reLrouvent chez lvan le Terrible, ayec la même cause probable : une enfance éprouvée par de trop violentes secousses. C'est le legs que Ia vieille Russie, repr'ésentée par les Sn'eltsy et conclamnée à périr, fait à son réformateur. En même ternps que le poison: par bonheur, elle lui donne aussi I'arrtirlote : une æuvre immense à accomplir, où se purifiera son sang et se retrernperont ses nerlts. Ivan n'a pas cu la mêrne f'orlune. au demeurant, Pierre est, physiquement, un bel homme, de très haute taille, -- 2',045 exactement (l), brun, cr extré- , affirme un rnement brun, comrne s'il était né en Afriqtre , contemporain (2), très robuste, de grand air, avec cerl_ains délauts de tenue et une pénibte infirmité qui déparent l'ensemble. Il s'habille nral, met ses vêtements cle travers, parait débraillé et variant souvent ses accoutremcnts militarires ou civils, en choisit parfois de très grotesques. Il n'a aucun sentiment de la décence. a Copenhague, en rTl6, il se montre aux Danois coiflé d'un bonnet vert, le cou serré dans une cravate noire de soldat, le col de la chernise fermé par un gros bouton d'argent garri de pierres fausses, comme en portent ses officiers. un surtout brun à boutons de corne, un gilet de laine, des culottes brunes trop étroites, de 6ros bas de laine rapiécés et des souliers très sales complètent le costume (B). Il consent à porter perruque, mais la veut lrès courte, de façon à pouvoir la nrettre en poche, et ses cheveux, gu'il néglige de couper, dépassent. Il Ies a très longs et, très abondants I en 17zz, p€ndant sa campagne de Perse, s'en trouvant incommodé, il Ies livre aux ciseuuxl mais, pour ne rien perdre, étant très économe, il exige qu'on lui en fasse une perruqne nouvelle : c'est celle qui figure sur le manrrequin du palais d'hiver. II n'y a guère que cela d'ailleurs qui y soit vrai. Le visage en cire avec
1l) Deux alchines et rluatorzeverchoks. (Gorrror, Ilistoire de Pierre le Grand, lloscou, 1842, t. X, p. L70.) (2) l,ouvrr,r,n, l[éntoires, Paris, 1818, t. II, p. 239. (3) Luxllln, Vie de Charles XrI {tratl. allem. de Jenssen-Tuch) , [farnbourg, t837, t. I, p.86.

rt0
les yeux en verre

L'HOMME.

été modelé suf un masque pris après la *nrt, et Ia pression du plâtre sur les chairs en décomposition a les joues clonné des creux et des saillies à contresens. Il avait de pleines et rorrdes. Il n'a porté qu'une fois. I'lrabit en gros irinsr ici, l'a afiublé on To,rm bleu clair bordé d'argent dont h <1ue le ceinturon broclé de rnême et les bils rotrl;es potrceau coirrs cl'argent : à Moscou, en 172!tr le jour du cotll'olltlemetrt de Catherine. Rlle avait travaillé de ses mains à la splerrdeur du costume, et il a consenti à s'en revêtir pour cette occasiort' et ressemelés' N,tais il a galdé ses souliers de la veille, vieux f,e reste de sa déÉroque authentique et farnilière est à côté _- égalenrent {i'rux, dans deux arrnoires encaclrant le tr'ôn€, sur lequel on a assis le mannequin : habit de gros clrap rnontrant la corde, chapeau sans galon trorré d'une balle à I'oltava, la fasreuse bas de laine grise couveÏts de reprises. I)a,ns un coin, avec Polilme en ivoirer al/ec lequel doubina, rotil assez

a

8I'oS

nous f'erons meilleure connaissance'

L'entournge irrtime dtr souverain I'a vu aussi, souvertt, en manches cle chemise. Car s'il a trop chaud' il ne se gôrre pas pour ôter son habit, mêrne à table. Il ne soutfre aucune géne'

II
du Nord a deviné The sotils ioylîes in doing" le plus grand poèt-: I'image, d'eivoquer le héros de la grande épopée dont j'essaye son et l'a résumé en quelques mots, avec son tempérament' Thatendrange 'war sein caructèr'e et presque tout son génie ' In ,ualtrcs Genie, a dit aussi posselt. oui, c'a été sa {orce' sa {iranfait de lui, physideur et son succès, cette énergie vitale qui a

quementetmoralement,l'hommeleplusremuant,leplusdur ait i tu fotigue, le plus sensible à la u joie de I'action " ' qu'on de lui un enfant vu sur la terre. b,r* lu légende ait so'gé à faire fils de parenti étrangers, rien de plus nuturel : il
supposé,

ÎRAITS DE

CÀAACTÈRE.

irT

parait tellement et sur tant de points en conr*rdiction avec le milieu où il est né ! Il est sans préjugés, et ses t{oscovites en sont pleins; eux fanatiquement religieux, lui presque libre penseur; eux se difiant de toutes les nouveautés, lui insatiable d'innovations; eux fatalistes, lui ho'rme d'initiative; eux épris des formes et des cérémonies, Iui en poussant le mépri, .irrrqu'au cynismel enfin, et surtout, eux inclolentsr pilr€ss€ux, imrnobiles, comrne figés dans un hiver ou endor.*i* cluns un rêve éternel, lur secoué par la fièvre de mouvement et de travail que I'on sait, et les tirant violemment de cette torpeur et de cette ine'tie, à coups de bàton, à coups de hache. Il serart curieux d'établir, r€ fùt-ce que pour quelques mois, le tracé graphique cle ses allées et venues continuelles. Qu'on jette les yeux seulement sur la table de sa correspondance avec cal.herine, deux ceut vingt-trois lettres ù,rt, "r, publiées en lSGl par le ministère des Affaires étrangères :à les voir datées de Lernberg en Galicie, de NlarierrwJrd*, Prusse, de Tsaritsine srrr fe vorga au sud de I'empire, de "n vologda au nord, de Berli., de paris, de col,enhague, Ia tête tourne. Tantôt il est au fond de Ia l.'inlande à visiter des forêts, tantôt dans I'oural inspectant des mines; le voici en pomé_ rarrie, où il prend part à u' siè6e I en [Jkraine, où il s'occupe de I'élevage des moutons; à la cour brillante d'un p.irr." ullernand, olr il fait son propre amhassadeur; et tout à corrp dans les montagr)es de la Bohême, où il llarait en simpl" tooriste. Le 6 juillet l?lb, je Ie trouve à pétersbours prenant la mer avec saflotte; le {), il est cle retour dans sa capitale, envoyant aux Monténégrins une lettre de consolation au srrjet des excès cornrnis chez eux par les Turcs, sigrrant ,ne convention avec le mirristre de f)russe et donnant des instructions à [Icnchiliof p.trr la c'nse'vation des bois de construction dans les environs de la ville; Ie lg, il est à Revel; le20, il a rejoint sa flotte à Kronstadt et s'est derechef embarqué avec elle (I). Et c'est comme cela d'un boutde I'année àl'autre etd'un bout

(l) Gor.rxor', r. VI, p. 33, 85, Bpt.

il.8
à I'autre de sa vie.

L'HOMME.

Il

galop; à pied, il ne marche pas, il court. A quel moment, à quelles heures prend-il du repos? Il est assez difficile de I'imaginer. Le verre à la rnain, il lui arrive bien de prolonger ses veillées tard dans la nuit, mais alors encore il discute, il pérore, il met ses cortvives à l'épreuve avec ses brusques alternatives de gaieté ou de nrauvaise hurneur, ses saillies, ses làcéties de mauvais gcûrt et ses éclats de colère, et il donne ses audiences à quatr.e heures du matin! En 1121, après la conclusion de la paix alec la Suede, c'est pour cette heure qu'il convoquait, avatrt de les envoyer à
Stockholm, Ostermann et Boutourlirre,, ses deur ambassadeurs' Il les recevait vêtu d'une robe de charnbre courte, qui laisse à découvert ses jambes nrles, coifié d'un gros honnet de ntiit garni de liuge intérieurement (car il transpire beaucooP), et ses bas tombtnt sur ses liûntoul'les. Au dire de son olficier d'ord.onnance, iI se promenait depuis longtemps dans cet aPPareil, en attendant ses mandataires, et aussitôt il les empoigne,

est toujours Pressé. En voiture,

il

va au

Ies presse de questions, les toume et les retourne Pour se conyairtcre qu'ils savent bien leur affairer puis les renvoie, s'habille lestement, avale un verye de uodka, et court aux
chantiers de la marirte (l). Les distractions mêntes qu'il se donne, banqtrets, illuminations, mascarades, sont Pour lui un surcroît de travail; il y prend plus de peine encore que de délassernent, tirant lui-

rnême les feux d'artifice, faisant manæuvrer les cortèges, battant la grosse caisse, car il est aussi ttrmbour-major, conduisant les danses, car il a également étudié la chorégraphie. Bn 1722, à Moscou, au mariage d'un comte Golovirle avec la f,tle du plince Romodanovski, il fait office de maÎtre d'hôtel; cornrlle on est incommodé par Ia chaleur, il se 1âit appolter des outils de serrurier pour ouvrir une fenêtre et s'y enrploie pendant une demi-heure; il va et vient portant Sravement le bâton qui est I'insigne de safonction, fait des pirouettes devant /{l
Scannsn,

t. III, p.267.

TNÀITS DE CARÀCTÈRE.

ttg

debout pendant le repas, surveillant le service, et ne manse qu'apres (l). un négrillon, qui lui sert de pa6e, a le ver solitaire I il s'occupe de I'en débarrasser et y travaille de ses doigts (Z). Son divertissement préféré, d'ailleurs, aux heures de récréation, c'est encore et toujours le travail, c'est pour cela qu'il

la maride, se tient

est graveur sur cuivre et tourneur en ivoire. En rnai 1?ll, l'envoyé de Frarrce, Baluze, ayant obterru de lui une entrevue à Jaworow, en Pologne, le trouve au jardin en galante compagnie : il fait sa cour à une aimable polonaise, madame sieniawska, en s occupant avec elle, scie et rabot en main, à la construction d'une llarclue (B). Pour qu'il s'arrête, ou tout au moins consente à se restreindre dans cette f urieuse dépense de lui-méme, il faut qu'il soit malade à ne pouvoir bouger. Et comme il s'attriste alors et se désole, et s'excuse auprès de ses cotrlaborateurs ! n eu'ils n'imaginent pas que ce soit paresse de sa part, il ne peut vraiment pas, il est à bout de forces 1 u Et, pendant qu'il se plaint ou s'irrrte de son inaction forcée, en rT0B, par exemple, au cours d'un violent accès de fièvre scorbutique, je Ie vois clirigeant personnellement Ia répression d'une révolte de Cosaques sur le Don, I'approvisionnement de ses armées, Ies constluctions mises en train dans sa capitale, une foule de détail, (4). Pas un détail qui lui échappe. A arhanger, sur Ia Dvina, il s'avise de visiter une à une les barques qui conduisent au marché la poterie rustique fabriquée dans le voisina8e; il se démène tant et si bien qu'il finit par dégringoler à fond de cale, mettant en pièces sous son pords une cargaison entière de la ltagile marchardise (b). En janvier l7zz, à Moscou, après une nuit de carnaval, qu'il a passée à courir en traîneau
(1.) Bnncnotz, Journal, Biischings-Magazin, t. XX, p. t+621 Hnrnor, La comtcsse Goloukine, Pé.tersbourg, 186Z, p. lOp et suiv. avec des détails malpropres, chez poucnrrnn, oùuures, -€) -voy"z-I'anecdote, édit. de 1878, t. V, p. 228. (3) Dépechede Baluze au Roi, L2 mai LT[.L, arf. étr. de France.

(4) Gor,rxor, t. IIl, p. B0l. (5) Srrenux, lnecdote.s, p.

L1.0,

[20

L'[IOMME.

de maison en maison, chantant dss n,rëls à la manière du
pays et récoltant de menues pièces de monnaie, vidant aussi lor". verres de vin, de bière et de uodlea, il apprend au matin qu'un incendie a éclaté dans un quartier éloigné; il v vole et, pendant deux heures, fait la besogne d'un pompier, après guoi

sOn traîneau, Cogrant encoret comme s'il voulait crever les chevaur. Notons qu'à ce moment il est occupé d'un grave remaniement dans la haute admi'istration de

O" le revOit tlans

rr ,or, ; il s'apprête à casser son u Conseil de revisiorl , "*pire dont les attributions passeront au Sénat, et il va tantôt dontrer des ordres pour I'enterrement d'un major de régiment (l) ! En 1121, avant entrepris la rédaction de son {( Règlement maritimeu , il se prescrivait à lui'même un mode d'emploi de son temps, dont il suivrait ponctuellement l'application; d'après ,ot jorrrrral, le travail de plurne y figurait Pour quatre jours par ,r*oirr" à quatorze heures par jour : de cinq heures du matin à rnidi et de guatre heures à onzeheures. Et cela durait de janvier à décemlrre l72l (2). Le manuscrit du ,, Règlenlert I'r entièrement cle sa main et couvert de ratures' est aux Archives de Moscou. Des brouillons de sa main sont là aussi pour témoigner que la partie la plus essentielle d'un grand nombre de ào"rrro"rrts diplomatiques se rapportant à la guerre du Nord et portant la sigirature flu chancelier G'lovipe, est sortie direciement de son inspiration et de sa plume. Et il faut en dire autant pour la plupart des mémoires et des dépêches importantes ,igrre*r p"r ses collaborateurs politiques ordinaires : Golovine, chérérnétief , le général \Meyde, et au.tant encore pour toute l'æuvre législative et administrative de son règne : création de I'armée et de la flotte, développement du commerce et de I'industrie, établissement de fabriques et d'usines' organisation de Ia justice, répression de la corruPtion parmi les folctionnaires, constitution de l'épargne nationale' Il a écrit les minutes, s'y reprenant parfois à plusieurs foisr préparé les

({)

BtneHo,,z, Journal, Bùschings'Magazin,

t' XX' p' 360' É'c'its et Corres-

pondance,t. (2) Gor.rxor, t. IX, P.27

IrP' 8lt.

t2t projets, souvent en pli.rsieurs réclactions, etcela ne l,a pas empêché de s'occuper au.;,i par Ie menu du gouvernement de sa maison, voire méme tle ra maison ,1" ,*r"p"rents, et de fixer par exemple la quantité et ra quarité d", uuu*-de-vie qui devaient étre fournies à sa beile-sæur, la tsarine prascovie (l ). Eb bien' avec tout cera et à cause de cera précisément, ir est bien de son p$ys et de sa race, et je ca,rtionnerais volontiers son acte de nai.ssance. Il correspo.rià ,rnu phase de ra vie natio_ nale, qui, sous ces latitudes, paraît influencée elle-mérne par les conditiorrs particurières de^ra vie physique. après les rongs et durs hivers, des printemps tardifs Lt t"orqr".r, couvrant instantanément de verclu." Iu terre réveiilée, en une viorente poussée de sève. L'âme des hommes habitant Ia contrée a aussi de ces réveirs printaniers et de ces exprosrons d,énergie. Bn les condamnant à l,oisiveti., la durde et Ia rigueur <Ies hivernages les,rendent bien pare.cseux, sans les amoilir porrrtant, comme dans les contrées chaudes de l,orie't, trempant au contraire leur esprit et reur chair par Ia lutte obrigaioire contre Ia nature incléme'te et ingrate. Au retour du soreir, il faut se hâter pour -*uivre le travail hâtif des éléments, faire en guelques semaines- Ia besogne de plusieurs mois; des habitudes morales et physiques en ré.surtent, des aptitudes aussil Pierre n'en est que l'expression particurièrement puissante, et ce qu'il y a en lui d'exceptio.nef à cet égarcr n,est encore que la survie de ces forces ,uruogu*, érémeniaires, qui paraissent dans les héros épiques de Ia llgende russe, géants surhumains eux aussir portant comme un lourd ràrdeau ui u*.è* de vigueur do.t ils ne savent faire emploi, ranguissant d,être si forts ! Pierre disparu, il v aura les rasltolniÈ "rr"o"u ,o,,1"g., du c" ,oê*" poids , iront pieds ff"ïr:: galoper dans les froides nuits de ja'vier ""rt;rn;; et se rourer clans la nei6e (2).
(L) SrÉ'rrvsxl, La tsarine prastouiet pétersborrrg, lgg:1, p. bS, notc. (2) voy. SorovruF, Histoirc ,t" Rurriu,t.

Tnarrs rlg caRactÈnr.

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Le courage est-il chez lui à la hauteur de son énergie et de son génie entreprenant, aventureux même? Il ne recherche pas le darrger, comlne son adversaire suédois; n'y trouve pas son plaisir. Au début, il s'est donné même tous les airs d'un franc poltron. On n'a pas oublié sa fuite précipitée tltns la nuit du 8 août 1689 et son apparition Peu héroïque à la T't'ottsa. Il recommence en 1700 sous les murs de Narva. En dépit des explications et apologies les plus ingénieuses, le fait brutal est là : à [a nouvelle de I'approche inattendue du roi de Suède, il quitte son armée, abandonnant le commandement à un chef non encore éprouvé, ertgagé de la veille, et le munissant d'une instruction qui, au dire de tous les juges compètents, accuse auttrnt de désordre d'esprit que d'ignorance. ., Ce n'est pas un soldat 'r , dit brutalemerrt Ie général saxon Hallard qui Ie voit à ce moment dans la tente du nouveau comrtandant, Ie prince de Croy, a consterné et à nroitié fbu , , se lamentant et buvant rasades sur rasades d'eau-de-vie, pour se remettre, oubliant de dater son instruction et d'y faire apposer le sceau de sa chancellerie (l). Dans son journal, Pierre donne à entendre qu'il a ignoré la marche rapide de Charles XII, et ce mensonge flagrant vaut un aveu. A Poltava, pourtant, il fait bravement son devoir, payant de sa personne au plus fort de la mêlée (2). ll s'y est préparé à I'avance, ainsi qo'à une redoutable et pénible épreuve, sans
p. l-i6. Vocrunonr (Journal publié
(l-) Documents publiés par HnnnMluu, dans son Histoit'e de Aussie, t. lY, par Hrnnnr^Lux, -ârrss/anrI unter Peter cI. G., î822, p. b2) et Kslca (Liefandïschà Geschichte, !'875, t. II, p. l'56) sont égale'
ment affirmatifs dans le même sens. (2) Les historiens suédois eux-mêmeE Ie reconnaissent. Voy. Lurnrr.ro, p. th!..

t. II,

TRAITS DE CÂRACTÈRE.

r23

élan, mais sans {aiblesse, froidernent, tri-stement presque. Rien du paladin chez lui, aucune trace d'esprit chevaleresgue, et en cela encore il est bien Russe. Ntalade et alité au comnlencement de I'année, c'est sur un ton de mélancolie qu'il a demandé à Menchikof de le prévenir q'and il y aurait celtitude d'une rencontre décisive. u ce jeu ne devant pas lui étre épargné '' . Une fois qu'il a pris son parti, les risques personnels à courir dans I'aventure lui apparaissent confondus a\-ec les autles, sur le méme plan; il les calcule ayec le méme sang-froid et les accepte, s'il y a lieu, avec la même hauteur d'âme. En l7l3 , le vice - amiral Cruys voudrait qu'il ne s'erposât pas personnellement dans une croisière périlleuse; il invoque des catastrophes récentes, I'exemple d'un amiral suédois qui a sauté avec son bàtiment. Pierue écrit en marge du rapport : u L'okolnirchyi Zassiékine s'est étranglé avec une n oreille de porc... Je ne conseille ni n'ordonne à personne de a courir les hasards; mais prendre de I'argent et ne pas servir u est une honte. u C'est toujours I'idée du service dù, du d.euoir tlui le guide, ainsi gu'un jalon planté devant ses yeux, et lrri fait gravir la pente escarpée des rnâles vertus et des héroTques
sacrifices; mais toujours il lui faut du temps pour se hisser au somrnet, et cet homme, un des plus intrépides à la longue, des plus résolus et des plus obstinés, est aussi un des plus prompts à se décourager sur le moment et des plus pusillanimes à certairres heures critiques. Napoléon, cet autre grancl nerveux, aura aussi de ces défaillances subites et momentanées, sous le coup d'une défaite, et de ces retours d'âme, lui rendant avec la possession de soi-même l'emploi de ses facultés exaltées encore et de ses ressources décuplées; mais chez pierre le phénomène prend des proportions plus accentuées. En apprenarrt la défaite de son armée sous les murs de Narva, il se déguise en paysan, pour échapper sans doute plus facilernent à la poursuite de I'ennemi qu'il croit déjà sur ses falons; il verse des torrents de larmes et tombe dans un tel état de prostration que personne n ose plus I'entretenir des choses de

Ia gueme. Il est prêt à subir les conditions de paix les pl's

l,l+

L'HOMME.

humiliantes (l). Deux années après, il est devant Notebourg, une bicoque, clont il a entrepris Ie siège avec toutc sotl armée. Un assaut qu'il condtrit en Personne n'a pas tout d'attord le suc:cès qu'il s'en est promis I vite, il ordotlne Ia retraite. * Dites au T$ar qu'à cette heure je rr'rppartiens plus à Pierre, mais à Dieu u , répond un lieutenant-colonel, Michel Galitsine, commantlant un détachement du SiemionoushtD'après d'autlcs témoignages, l'ordre envoyé par le Tsar ne parvrent pas à destirration, maisr avec ou sans ordre, et peutêtre sans le rnot héroique recueilli par la légende, Galitsine poursuit I'attaque et ernporte la place (2). Beaucoup plus tard encore, et même après Poltava, Pierre restait le même à cet égard I I'aventure du Pruth, sur laquelle j'aurai à revenir, en est ulle preuve. Il y a eu en lui unmélange presqrre paradoxal de vigueur et de faiblesse, où semble s'accu$er le conflit d'élérnents constitutifs contradictoires. Si fermement attaché aux Srandes lignes d'une vie et d'une æuYre dont I'unité et la suite sont utre des merveilles de I'histoire, il était dans Ie détail I'inconstance,, la versatilité personrtifiée. Ses idées et ses résolutions changeaient comme sort humeur, bmsquement, en couP de vent. C'est esserrtiellement un impulsif. Pendant soll voyase en France, en 1717, ttn concert de plaintes s'élèverû, parnli tous ceux qui auront à le servir, sur Ie continuel changement de ses projets. On ne saura jamais ce qu'il s'aviset'a de {àire demain, dans une heure, où il voudra aller, et comment. Pas un séjour dont [a durée poul'r'lt être fixée, pas une jourrrée dont le progl'ârlrme se laissera arrêter à I'avance. Le trait est llien dans le caractère slave, produit composite cl'origines, de cultures, d'i n ['lrrerlces diverses et extrêmes, asiatiques et européennes; la r.ace lui doit peutêtre, en partie, Ia résistance ,le fond extraordinaire dont elle fait preuve dans les entreprises de longue lraleine. Une détente fréquente soulage le ressol't et en eluPêche I'usure. Mais ce It) Vockerodt, qui peint la scène, y met peut-être un peu d'exagération I urair la multiplicité des traits analogues tne parait concluante. /2) OastnuloF, t. IYr P. lg7-209.

TRAITS DE CÂNÂCTËRB.

126

à la Turquie pour faire face à Ia suède, aba.clonnant

mélange de souplesse et de ngiclité peut aussi étre indivicluel; on Ie retrouve chez quelques-uns des émules historiques du 6rand Réfrormateur, providentiellement destiné, potrrrait-on croire, à mdrra,ger l'éconornie de leurs forces. pierre était servi par lui Jusque dans Ie dornaine cles intéréts es plus grayes. La facilité avec laquelle il changeait de front, tournant le clos
ses

projets sur la mer d'Azof pour se rejeter sur la tsaltique, mais s'engageant à fontl toujours et partout, sans jarnais disperser son effort, en procédait assurément. Bt de méme sa facilité très grande à reconnaître, sur des points de détail toujours, une erreur de.ju8ement personnelle, une faute commise. En 1722, révoquant I'oukase par lequel il avait introduit clans le sénat, assemblée législative, les présidents des colle\ges d'administration, il le qualifiait sans embarras de ( mesure inconsidérée ,, . Cela ne I'empêchait pas de tenir bon, clans d'autres occa.çions, contre toutes les opinions et contre toutes Ies influences, contre vent et rnarée. l\ul homme ne sut mienx vorrloir ni mieux se faire obéir. L'inscription : * F'acta Ttttto gttæcunrque jubeo r , qu'un lecteur d'Ovide a placée sur une des médailles commémoratives des grands événemcnts de son règne, pourrait être choisie, entre toutes, pour sa
devise.

établi peut-étre. Il plaçait très haut le niveau intellectuel cle tel ou tel de ses colla]rorateurs et très bas Ie niveau moral de tous. Nlenchiliof était bien un coquin à ses yeux, mais un coquin de génie. avec les autres, qui n'avaient pas de gérrie assez pour compenser leurs peccadilles, il se montrait, comPtassent-ils parmi ses plus intirnes amis, très capable de fernreté, de dureté rnême. Trancl.illernent il annonçait à I'un d'eux, André Yinius, gu'il lui avait enlevé I'administration des postes,

Il est à observer gue, dans ses erreurs comme dans ses défaillances, c'est toujours le cerveau seul qui est en causel Ie cæur r'y * aucune part. Pierre n'est sentimental à aucun clegré. ses faiblesses les plus choquantes pour Menchikof, potrr cl'autres favoris, paraissent sirnplement le produit d'un calcul rnal

r26

L'H

O

M ME.

parce qu'il s'était convaincu rlue I'adrninistrateur y gagnait et faisait perdre.à l'État plus que de laisorr. Ilt ce n'était pas un changeruent de {àveur. u Je n'ai pas de favoris Pour me conduire par le (rÊz t>, affirmait-il à cette occasion (l). A ce point de vue, je ne vois guère d'autre exemple d'une insensibitité également absolue. Au cours du procès de son fils Alexis, dontles péripéties avaient de quoi pourtant l'émouvoir, il gardait la {:orce, le loisir et le goùt de se donner à [u fois, et à d'autres affaires réclamant toute sa présence d'esprit, et à ses distractions habituelles. Un grand nombre tJ'oultases concernant la protection des forêts, I'admirlistlatiorr de la monnaie, I'or6anisation de divers établissernettts industriels, Ies douanes, le rashol,l'agronomie, portent des dates qrri sont aussi celles des plus lugubres épisodes du terrilile drame judiciaire. En même tenrps, aucun des anniversaires que le Tsar avait coutume de célébrer pornPeusement et bruyamment n'était oublié ni nég-ligé. Banquets, mascarades et feux d'artifice allaient leur train. Il y avait en lui un fonds de gaieté inaltérable, comme aussi Ce très large sociabilité. Par certains côtés de son caractère et de son tempérament, il restait enfant jusque dans l'àge mùr, avec I'allégresse naTve, le besoin d'épanchement et la simplicité du jeune âge. A chaclue éyénernent hetrreux qui lui arrivait, il ne pouvait se retenir de faire aussitôt part de sa joie à tous ceux qu'il supposait devoir s'y intéresser. ll écrivait ainsi d'un coup jusqu'à cincluante lettresr pour un fait cl'anttes d'importance mécliocre, la prise de Stettin r par e-xernple, €r 1713 (2). Torrjours facile à anruser, on le voit à Dresde, en lTll, montant sur des chevaux de bois, criant : u Flus vite ! 'plus vite ! ,: et riant aux lalmes quand la rapidité de Ia course a désarçonné quelques-uns de ses compagnons (3). En 1721, au milieu des réjouissances popullires qui suivent Ia conclusion de la paix de Nystadt, il a I'air d'urt écolicr en Yacances;
(t) Lettre itu f.6 avril L701. Écrits et Cortespotulunce, t' lrp hhb'
/o\ Goltnon,

to, Archiw

t, V, p. 5t*3. fiir Saihsisclte GesclticlLte, t. XI' p. 345.

TRArrs DE ranAcrÈnr.
tables et cha4te

L2r

il gambade et gesticule au milieu de la foule; il saute sur les
à 6orge dépioyée.Il est gamin et taquin jusgue dans les de.rières années de sa vie, ép.ir des grosses plaisante.ies, disposé aux farces. Bn 17zB, il fait ,onrrÀ* le tocsin pendant la nuit, tire de leurs lits tous res halritants de péter.sbourg

quand, affolés et courant dans Ia directio., .1,, sinistre présumé, ils arrivent sur une place où des solclats, ayant allumé un brasier par son ordre, leur disent en riant : n Premier avril (l). " un jour, attablé ayecle duc de Holstein, il va'te les vertus curatives des eaux cl'oronets, dont il fait emploi depuis plusieurs années. Bassewitz, le ministr.e clu duc, manifeste I'intention d'en user aussi. un coup de poing sur le dos gros et rond du diplo'rate l'rnterrompt : n I)e I'ea' à mettre en f'taille, allons donc ! , hfais Bassewit z insiste : u vénus l'a mis dans Ie cas de 1lréférer I'eau au vin. o Bt Pierre de s'esclaffer (Z). comrnent, avec ce naturel, inspire-t-il plutôt de la crainte que de I'affection ? cornment sa mort est-elle rrne délivra'ce poLrr son entourage, la fin d'une obsession angoissante, d'un régirne cle terreul et de contrainte ? cela tient d'aborcl à ses faco's irabituelles, qui $e ressentent de la société au milieu de Iaquelle il a vécu depuis I'enfance e[ c]es occ*patiorrs auxquelles il s'est toujours livré avec Ie plus de plui*ir. a la rudesse d'un barine russe, il joint ra g.ossièreté d'un r'atelot hollandais. Nlais il est, de plus, violent et fréquernrnent emporté, comrne il lui arrive d'étre pusillanime, et par I'effet de Ia même cause, du méme vice c.pital de sa constitution morale : le défaut d'empire sur lui-nrême. L'énergie de sa volo'té est souvent inférieure à la fougue de son tempérament; rnaîtresse toujours obdie au dehors, il advient qu'elle n'ait pas de prise suffisante sur le tumulte i'térieur de ses instincts et de ses passions. L'attiturle trop ser.vile cle son moncle contribuait encore à dér'elopper en lui cette dispositio' innée. n son tem(!) B-rncuor.z, Journal, Bùschings-ilfagazin., t. XXI? p. Z3g.
(2) Iôid., t. XX, p. 382.

Ies incendies y sont fréquents et terribles et ne se possède pas de joie

tl8
.( pérament

L'HOMME.

n'a jamais été des plus polis '' ' note le ministre ,u*o.,, Lefort, dans son journal , en mai I 721 ; n mais il devierit u de jour en jour plus insupportable; bien heureux celui qui n n'est pas obligé d'être autour de lui (l)." La progression est à peine sensible. En septembre 1698, au milieu d'un ban-

quet offert à I'envoyé de I'Empereur, Guurient, le Tsar s'emporte contre le généralissime Cheine, à raison de certaines promotions dans I'armée qu'il juge injustifiées ; avec son épée nue il frappe la table, criant I u Je couperai ainsi en rr rrrofc€âux ton régiment tout entier, et je te ferai tirer Ia ( peau par-dessus les oreilles ! , Romodanovski et Z'otof eràyorrt à'int".u.nir, il se jette sur eux I I'un a les doigts de Ia main à moitié coupés, I'autre reçoit plusieurs blessures à Ia NIenr:hikof, disent d'autres témoignases tête. Lefort seul réussit à le calmer (2). Mais, à peu de temps de là, souPant et le chez le colonel Chambers, il renverse ce même Lefort piétine, et Menchi[of s'avisant, dans une fête, de danser aYec du i'épe* à son côté, iI le soufflette si fort que le favori-saigne adresse lui ,r", çs;. En l703,il trouve à redire auK Paroles que aussitôt publiquement [e résident de Hollande et témoigne coups et plusieurs son mécontentement par un coup de poing

deplatd'épéeçzl;.r','affairenaPasdesuites;lecorpsdiplose faire une raison dans la -oiiq.r" " àû, depuis longtemps, de Raab, en
c"pitotu des Tsars. Dans la maison des barons
ne trouvant Pas Esthonie? on conserve une canne avec laquelle, Pierre auraii châteilu, du de chevaux au relais de poste vorsin inuocence Proupassé sa colère sur le dos du châtelain. Son

de ,ré", l" chàtelain a été autorisé à garder la canne en guise Brykine.} savitch dédommagement (5). Il y a mieux : Ivan sil I'aïeul du célèbre a:'chéologue Snéguiref, racontait qu'en

t' llI, p' 333' société impériale rl'histoire rus.se (sbornik), plus loin' qtrestion il est dont favoli, le avec être Ce Lefort ne doit pas ",rrrftn,lu discutée' i* p"r"rrte entre fes tleux person""g11-"ut (L)
1â'1

Recueil

dela

inj inj

Ousrnrrr,oF' t. ltl. p' 625; t' IY, p 2[1' (3) Kono, P. 84, 86' France' bepe"rte de Baluze rtu 28 nov' :1703' Àff' étr' de

*it

tru

îttssc'

t. II, P' 2&9

et ?90'

TR

AITS DE CARACTÈRE.

I29

présence le Tsar avait tué à coups de canne un domestique coupable d'avoir mis trop de lenteur à se découvrir devant lui (I). Méme la plume à la main, il arrivait que le souverain s'em_ portât et perdit toute mesure, s'en prenlnt, par exemple, au compétiteur malheureux d'Auguste II, Ie roi LeszcryrrrLi, et le traitant de traître et de u fils de voleur , , dans ,r.ru l*tt.e qui avait toutes les chances pour ne pas rester confidentielle (z).

IV

Les excès de boisson auxguels il se livrait très habitrrellement étaient pour beaucoup duns la fréquence de ces incartades. ,, Il ne passe pas un seul jour sans être pris de vi' o , affirme le baron Pôllnitz en raco'tant le séjour du sorrverain à Berlin, en l7l7 (B). Le matin du ll juillet 170b, visitant le monastère des Pères Basiliens à poloçk, pierre s'arrête tlevant Ia statue de I'illustre martyr de |ordre, le Bienheureux Josaphat. on I'a repr'ésenté avec une hache enfoncée dans Ie crâne. Il demande des explications. u a mis ce saint hornme à - ,eui mort? u u Les schismatiques. ce s*ffit pour Io - de lui. Il frappe de son se'l rrrot tnettre hors épée le père Kozikowslii, supérieur, et Ie tue ; les olficiers de sa suite se jcttent sur les autres moines; trois sontégalement frappés à mort; deux autres, grièvement blessés, exPirent quelques jours après I le monastère est livré au pillage; l'église, dévastée, sert de magasin aux troupes du Tsar. Un récit, envoyé sur le rnoment de poloçk

à Rome et publié dans les églises uniates, donna d'autres détails horribles et répugnants : le Tsar y fut représenté appelant son chien anglais pour lui faire étrangler une pre(1)
Poeon, Tatichtche.f et sott temys. ilIoscou,

(?) A ^\lazeppa,24 oct. l7ù5. Ecrits et Corr7spondance, t. III, p h7h.

lt6l, p

5Bl.

lù) Illdmoires, t. II, p. 66.

r30

L'HO}IME.

serns à des femmes nrière victiure I ordoilnant de couPer les d'avorr assisté à cette scène qui n'ont commis d'autre crime que i" .urrr.ge et cle s'en être nrontrées émues. Il y eut là une part j'ai .apportés plus haut certaine à'e*ugé.ation. Mais les faits que de Suètle contenait, demeurent avérés . Le Journal d'e la gtterre du souverain, secrétaire une première rédaction, due au
clans

: rr Le 30 juin (lt jrrillet)' Makarof, cette mention laconique uniates pour entré dans I'église uniate de Poloçk et tué cinq a souligné avoir traité nos généraux d'hérétiques. o Pierre relations de I'inl'aveu, en I'effaçJnt de sa mail. Et toutes les chez les Basicident s'accorclent sur un point : en se rendant (l)' liens, Pierre était ivre; il sortait cl'une or6ie nocturne
avait, à cet égarcl, mal commis et ds chercher à le réparer. II En mai 1703' le repentir aussi facile que la colère prompte' je trouve sous sa plu'ot, dans un billet adressé à Féodor je vous ai Apraxine, ces lig"Ls significatives : u Comment les n quitté, je ne ,aurui' le dire, car j'étars trop comblé par * prér"tt, ae Bacchus' Aussi je vous demande à tous de me j'ai pu faire de la peine à quelques-uns d'entre " par,lonner si o ooor... et d'oublier ce qui s'est passé' n Il buvait souvent outre mesure et voulait qu'on en fit autant lui. a Moscou, à quand on avaitl'honneur d'être à table avec

Iln'aPasman{ué,durestetunefoisàjeun'deregretterle

Pétersbourgplustard,lecorpsdiplomatiquenecessaitde de la vie ! faire entendrf des plaintes à ce sujet : il y allait étaient I)ans l'entourage ,lu T*ot, les femmes elles-mêmes à lui engager les assujetties à la règle comrnune, et' pour sans tenir tête le verre à la main, Piene avait des arguments Juif boPréplique. La fille de son vice-chancelier chafirof, un u Méchante : tisé, ref'use une tcharha d'eau-de-vie I il lui crie
{(en8eancehébraïque,jet'apprerrrl.rai-àobéir!,,Etilponctue I'interjection avec deux vigoureux soufflett (2)' II donnait I'exemple toujours I mais telle était la robus'
GuÉrrx' (l) Voy. à ce sujet : Trnlxnn, Xlottuments' p' hLT; dorn l+301 o.usrnrrl,or'' t' IV' p' 323' ll' p' t'Jtt pù ,'r87h,i' t'-fZl par Hnnnu^nn' [880' p' [73
w"u"orcor:r"roo',d'oo"urpubliée
Trc d'e Josa'

TRAITS DE CÂRACTERE.

r3l

tesse de son tempérament, qu'en ruinant sa santé à Ia longur:, ces excès le laissaient souvent indemne de corps et d'esprit,

alors qu'autour de lui les jambes vacillaient et les raisons s'égaraient. une légende s'en est encore suivie : dans cette débtruche perpétuelle et en quelque sorte systérnatique, le grand homme n'aurait cherché qu'un instnrment de gouvernement, un moyen de pénétrer les pensées les plus secrètes de ses convives. Expédient scabreux, à le supposer réel ! Bn tout autre pays, Ie souverain eùt risqué à ce jeu son autorité et son prestige. Et en Russie méme Ie bénéfice politique à en retirer n'eùt pas comllensé Ie coùt moral : I'avilissement de t,oute une société ! Les mæurs locales en portent aujourd'hui encore Ia trace. on connaît I'histoire du toast : n a toi, France ! , porté devant Louis xV par un conyive qu'entraîne le laisser aller d'un festin trop farnilier. (( Messieurs, voilà , le Roi ! riposte le monarque, rappelé au sentiment de sa dignité. Et il ne recommence pas. pierre se laissait tutoyer tous les jours au milieu de parties sembrabres sans cesse renouvelées. si on allait trop loin et s'il lui convenait de s'en apercevoir, I'unique moyen de répression qu'il voulùt "-ploye. était une énorme rasade de uodka que le coupable devaii oià", aussitôt d'ur t.ait. apr'ès q'oi on était sûr d'avoir coupé court à ses incartades, car, généralement, il roulait sous la table(l). Qu'il y ait eu dans tout cela trace cl'une pensée profonde et d'un dessein intelligent, j'aurais trop de peine à en convenir. Je n'apercois rien qui puisse -'y ensascr. Je vois, par contre, gue, vers Ia fin du règne surtout, le retour cle plus en plus fréquent des orgies prolongées et elfi.énées où se complaisait le souverain, ne laissait pas d'apporter à la conduite de ses affaires un préjudice considérable. u Le Tsar garcle la chanrbre ,, depuis six jours , mand€ le ministre saxon Lefbrt, à la clate ' du 22 aoùt 1724, u étant indisposé des débaucfies qui se sont u faites a ht Tsars/tat'a-trIysa (le TsarskoTe-Sielo d'arrjourd'hui), u â I'occasion cl'une église qui a été baptisée avec trois mille
(t)
Scunnnn,

t. V, p. 28.

tg2

L'H

OM

ME.

,, bouteilles de vin, ce qrri retarde le voYase de Kronstndt (l). " la conclusion Bn janvie r 1125, les néu.rociations engagées pour brusquement I s'arrêtaient ,le iu première alliance franco-russe chancele I'enrroyé francars, Campredon, s'inquiétait' pressait : lier Ostermann et finissait par lui arracher cet aveu expressif de Tsnr le d'entretenir ,, Il n'y a pas moyen pour le moment u choses sérieuses ; il est tout entier à ses amuscme'ts, qui ( sont d,aller tous les jours dans les principales maisons de la suivi de deux cents personnes, musiciens et autt'es rr 'ille, clivertissent à ru clui chantent sur toute sorte de sujets et se visiu boire et à manger aux dépens des personnes qu'ils

atent(2).,,Mèmeàuneépoqueantérieure'dtnslapériode a eu de ces la plus active et Ia plus héroTque de sa vie' Pierre le vice de son édu' désertions momentanées, où se trahissait
oir Charles XII cation première. En décembre 1707 ' au moment

conduire ûu p*apuÀit la campagne décisive qrri devait le cf*ur de Ia Russie, ù déf.tt*e du Pays se trouvait paralysée, était à Moscou et s'y amusait. Menchikoi lui llilr.ce que le Tsar à rejoindre envoyait courriers sur courrlers Pour le décider la et continuait I',,r*é" ; il laissait les paquets nolr décachetés rattr*per le fête (B). Il se reprenaiL oii", à vrrri 4ire, et savait éviclemsa faire police, temps perdu. Mais ce n'était PaS P0llr *,,-,t, qu'il avait oublié ainsi, pendarrt de longues semaines, de faire la guerre à son terlible adversaire'

v
avec ces Des goûts grossiers vont natrrrellement de pair ne laisse il ou {te*rrnes, mæurs de callaret. Da^s la société des
,, de Trance',- En ce sens aussr rrne généraux' F-agel' ttu Ét"ts dçs secrétaile au Uie clc hoil"n4ais lettre clu résicle.t
(1") Seonurr,

iZj

Oapl".tte du

t. III, P' 3S2 I j*n,,ie. L723' Aff' étr' la Ilaye'

B tléc.enrbre l;[î. Àrchives tle (3) Essrnor-, r'iuir)ptrt" rle

htencîi;ol, Archive rr'se' '1875' P' 59'

TRAITS DE OARACl'ERE.

t83

pas de se plaire, Pierre semble apprécier surtout la débauche vulgaire, et très particulièrernent la joie de voir ivres les corupagnes qu'il se donne. Catherine elle-même est .. une biberonne de premier ordre' , âu témoigrrage de Bassewitz, et doit à cette qualité une bonne part de son succès. Les jours de gala, on séparait habituellement les sexes, pierre se réservant le privilège de pénétrer dans la salle des dames, où la Tsarine présidait au festin et où rien n'était négligé par elle pour nrénager au maître un spectacle récréatif. ilIais dans les réunions plus intimes on faisait table commune, et c'étaient alors cles fins de repas absolument sardanapalesques. Le clergé avait aussi sa place marquée dans les banquets et n'y était pas épargné. Pierre affectionnait, au contraire, d'y voisiner âvec les dignitaires ecclésiastiques, mêlant aux libations les plus copieuses les discussions théologiques les plus inattendues, et appliquant aux erleurs de doctrine qu'il cherchait à surprendre I'amende réglenrentaire du grand verre d'eau-de-vie à vider. Après quoi la controverse avait chance de se terminer par quelque pug;ilat, à sa grande satisfaction. ses convives cle prédilection, capitaines de vaisseâu et rnarchands hollanclais, n'étaient pas encore, parmi ceux avec lesquels il s'attablait et tr.inquait familièrement, au rang le plus bas A Dresde, en l7li, à I'hôtel dn Goldener Rîng, son séjour prél'éré est dans la chambre cles valets; il déjeune avec eux dans la cour (l). riien de délicat cbez lui, rien de raffiné. a amsterclarn, lors de son premier voyage, il se prend d'enthousiasme pour le célèbre boulfon Testje-Roen, qui opère en plein vent Lt dont Ies farces tri'iales sont I'arnuseme't de la pl's vile populace. Il veut I'emmener en Russie (p). c'est un rustre. A certains égards, il ne perd rien, jusqu'à la fin, de sa sauvagerie native. Bst-ce un sauvage cruel ? on I'a dit. Rien de mieux établi en apparence que sa réputation de férocité. C'est à voir pourtant. Il assiste fréquemment dans les chambres de torture, aux interrogatoires où I'estrapade (2) Scurr,rulrr,
(L) Archiu fùr
Sdcnsische Geschichte,

t.XI, p. 34b.

anecdotes,

p. l.b7.

t3l,

L'HO

NT NT

E.

et le knout font leur besogne, comme aussi sur les places
jours en simple témoin. J'aurai I'occasion de revenir sur ce point, à propos des scènes terribles qui ont marqué la fin des Strrltr.t'. Mais la discussion soulevée à ce sujet me semble oiseuse. Qu'il fasse à I'occasion le métier du bourreau' pourquoi pas? Il fait bien ceux du matelot, ou du menuisier, et il ne ,ent pas, il ne peut pas sentir la différence. Il est I'homme qui curnule le plus cle fonctions dans un Pays où le curnul des fonctions est d'ordre public, et son exécuteur des hautes æuvres à Saint-Pétersbour.g figure aussi sur la liste des fous de c;our (l)! Pierre coupe donc des têtes? c'est possible. Et il trouve du plaisir à le faire? C'est probable' conrme à faire n'importe quoi: le plaisir de I'action. Mais c'est tout. Je ne crois pas un mot de I'anecdote contée par le grand Frédéric à Voltaire sur le repas dans lequel, en présence du baron de Printzen, envoy( du roi de Prusse, le Tsar se serait diverti à décapiter vingt ,inehsy, en vidant autant de verres d'eau'devie, et aurait en1 agé le Prussien à suivre son exemple (2). ll v a ainsi, autour rle chaque trait de ce caractère et de chaque chapitre de cette histoire, une foule de récits qu'il convient d'écarter a prior', sans autre raison que celle de leur évidente absurdité. Pour es autres, un choix s'impose. J'ai déjà indiqué mon guide habitnel : la concordance cle données, même diversifiées dans Ie dt tail, mais fournissant des indications dans un sens constant el précis. Or, je ne vois rien qui permette de relever chez Pierre la marque authentique des vrais fauves : l'âpre volupté dr:s sou{'frances infligées, le 6oût du sang. Nulle trace de sadism, r chez lui et pas même I'apparence habituelle de I'emportemer.rt sanguinaire. Il est dur, rude et insensible' La souffrance n'est à ses Yeux qu'un phénomène, comme la maladie ou la santé, et ne l'émeut pas davantage. C'est pour cela que je I'imagine volontiers, d'après la légende, poursuivant
(l)
(2) Vo"t^tor,, ()Euares,
SrÉurnvsxr, .Slouo

publiques aux exécutions ou se déploie I'appareil des supplices i.s pl,tr révoltants. On croit même qu'il n'y paraît pas tou-

i

Dielo, p' 262'

t.X, P'7l'

TRAITS DB CAITACTENE.
ses condamnés

r35

jusque sur I'échafaud avec des reproches et des invectives, raillant leur agonie et leur mort (l). Mais s'il est inaccessible à la pitié, quand il se juge dans son drroit, il I'est aussi, et très fort, aux scl,upules, quand Ia raison d'État ne Iui paraît pas en cause. Le fameux axiome de droit criminel, dont on a fait tant honneur à Catherine II : u Mieux vaut libérer dix coupables que condamner à mort un innocent r, n'âppartient pas à I'héritage historique de la grande souveraine. Pielre I'a tracé avant elle de sa main, et dans un règlement militaire encore (2)! Des contemporains ont reconnu, il est vrai, I'irnpossibilité d'expliquer un grand rrombre de ses actions autrement que par le plaisir qu'il aurait trouvé à faire faire aux autres des choses déplaisantes, ou même, simplement, à leur faire du mal. On cite l'exemple de I'amiral Golovine, un favori pourtant, refusant de manger de la salade, parc€ que le vinaigre lui fait horreur et I'incommode. Pierre lui en vide aussitôt un grand flacon dans Ia bouche, âu risque de l'étrangler (B). Je tiens I'anecdote pour vraie, parce qu'on m'en a corrté beaucoup d'autres semblables. Des jeunes filles délicates obligées à boire la ration d'eau-de-vie d'un grenadier; des 'décrépits vieillards condamnés à gambader dans les rues en costumes de saltimbanques, c'est I'histoire de tous les jours pendant toute la durée du règne. Mais Ie fait est sus-

ceptible d'une autre interprétation. Pierre a adopté une façon de se vêtir, de se nourrir et de se divertir qu'il a jugée convenable et qui, par cela même qu'elle lui convient, doit convenir à tous. C'est sa façon cl'interpréter et sa fonction d'nutocrate et son rôle de Réformateur. Il ,'y tient. Le vinaigre fait partie de Ia loi d'État, et ce qui a lieu pour ce condiment avec Golovine se répète, avec d'autres, pour
(L) SrÉurevsKr, ouvrage cité, p. 260. (2) Rosesrraru, La Iégislatiott. militaire en Russie, Pétersbourg, 1,878, p, l-55. Voy. aussi à ce sujet : Frllprot-, La réforme de Pierre le Grand et Ia loi pénale,

p.

Lt*8 et suiv.

(3) Konr,

ouvrage cité,

p. 88.

t30

r,'Ho lJ

NIE.

le fromage, Ies huitres, I'huile d'olive, Pierre ne

perdant aucune occasion d'en bourrer tous ceux chez lesqr.rels il surprend de la r'épulsion pour ces nouveautés gastronomiques (l). De même, ayant placé sa capitale dans un marais et I'appelant u solr paradis , , il leut que tout le monde y bâtisse des maisons et s'y plaise ou ait I'air de s'y plaire autant que lui. Évidernment, il n'est pas très tendre. Bn janvier 1694, voyant sa mère Sravement malade déja, en péril de mort, il s'impatiente d'être retenu à Moscou, ne peut y tenir et annonce son départ. Blle entre en agonie à I'heure qu'il a fixée Pour se mettre en route, et il a vite fait de I'enterrer. Je n'ai garde aussi d'oublier le fantôme sanglant d'Alexis, I'ombre éplorée d'Eudoxie. Encore faut-il tenir cornpte des circonstances laisant corps, au point de vue moral, avec le personnase et des autres traits de sa physionomie, je veux dire des fatalités inséparables d'une périocle r'évolutionnaire, des instincts rebelles cltez cet homnre à toute contlariété, salls oublier I'intransi6eance de sa politique, la plus Personnelle et la plus volonttire qui fut jartruis. tl a adoré son second fils, et sa correspondance uvec CaLherine, si afl'ectueuse en ce qui la concertle' esl. remplie d'expressions térnoignarrt de la plus constante sollicitude pour [a santé et le bonheur de ses deux filles, Anne et Élisabethr c[u'il traitait plaisarnrnent de ,, voleuses , , P{rrce qu'elles lui prenaient son temps, mais qu'il appelait aussl ( ses entrailles (Eingeuteide)n. Il allait tous les jours dans leur charnbre d'étude et surveillait leurs leçons. Il ne craignait pas d'entrer dans la cellule d'un prisonnier, qui la veille était un favori, pour lui annoncer qu'à son grand resret il se voyait obligé de lui {âile couper la tête le lende' main. C'estle cas de Mons, en 1121*. Mais tant que ses antis lui paraissent dignes de son amitié, je le trouve non Pas seulement affectueux avec eun, mais câlin et caressant, même à I'excès. En aoùt 1723, à la fëte commémorative de la créttion

(l)

Vounenour', tl'après tlt:nnn,trs'

p.

19.

TRATTS IJE OARAC'fI]RE.

l.3i

- lèvres (l) les dents et les " Tous ces traits ne permettent pas d'apercevoir en lui, mérne au point de vue qui nous occupe en ce moment, la simple contrefiaçon d'un despote asiatique. Soit comme souyerain, soit comme hornme privé, il vlut mieux; il est autre en tout cas; en dehors de I'humanité corrrrune à beaucoup d'é5;arcls, au-dessus ou au-dessous, mais point inhunrairr d'instinct otr de parti pris. Une série d'oukases portant sa signature rnontrent un esprit, sinon un cæur, ouvert à des idées, sinon à des seuliments, de mansuétude. Dans I'un cl'eux il revendique le titre de protecteur des veuves, des orphelins et des {iens sans défense (2). Aussi bien c'est du côté du cerveau qu'il faut chercber Ie centre de gravrté morale dans ce grand idéaliste inconscient, qui fut aussi un grand sensuel, Ie cas n'est pas - de son tenrpéraunique, mais qui, avec toute la fougue - en somme etle plus souvent strbordonner ses sensa, rnent, sut tions à cette loi commune, clont il s'est proclamé le prenrier esclave, crovant ainsi s'acquérir le clroit d'y ussujettir toutes les volontés, toutes les intelligerrces, toutes les passions, indistinctement, implacablement.
(1,) Btischings-Ilayazin, t. XXI, p. 30-|. (2) Recueil des loisrp. 332, I+621777,8:J9, 3279, 8290, 3298, 3608

de sa marine, en présence de I' u aleul u (diédouchka) de sa flotte, la chalorrpe anglaise trouvée en I688 dans un Sre- sysnf bu, il est vrai, il embrasse le duc de Holstein nler, sur le cou, sur le front, sur la tête, enlevé -- après lui avoir ( sa perl'uquê, et mêrne et enfin, rapporte Bergholz, entle

CH APITRB TRAITS INTNLLECTUELS.

II

PHYSIONO}IIE MORALE.

I.

Leur concordance. [,'[is[oire et Ia tratlition. - L'esprit chevaleresque - d'Arc et la reine Olga. en Occident et I'esprit- byzantin en Russie. Jeanne Bayard et saint Alexandre Nevski. La morale de Pierre. Absence de - III. Puissance scrupules et rnépris dea convenances. - Causes et résultats. et étroitesse de vue. Myopie intellectuelle. Défaut de sens - conceptions abstraites. - Inintelligence despsycholoInaptitudes aux gique. élérnents idéaux de Ia civilisation. Q,s1Dûrsnt est-il pourtant un idéaliste. IV. Goût des travestissernentt. Bouffonnerie. Débauche d'esprit ou arrière-pensée - populaires. Les foua-de cour. Facons politique. Le Tsar s'arnuse. Le côté scabreux de ces délassements. -- Mélange de mascarade et de vie sérieuse. Un bouffon gardien des sceaux. Une délibér'ation de aénateurs - but. Pape ou Patriarche? masqués.V. I'e faux l)atriarcat. Son - voulu ridiculiser son clergé? Pierre a-t-il Origines et développernent de l'institution. Le faux Pape et son conclave. Cérérnonies et cortèges grotesques. Le froc du Père Caillaud. Le rnariage du Knès-papa. La du phénomène. princesse-abbesse. Synthèse et explication Causes localee - satarriques en et influences étrangères. L'âscétisrne byzantin et les pratiques Occident. f,s111p16ssion morale et réaction. Originalité, fantaisie despo- le Terrible, nivelatrice. tique et tendance Pierre et Ivan Louis XI et F alstaff,

Capacité cérébrale. Puissance et élasticité. Cornparaison avec Napo- les quakers. Law. L'acceptiuité slave. Rapports avec - m11ses. Cnriosité et impatience de savoir. Une séance de nuit dans un - des connaissances et des Caractère incohérent et rudirnentaire aptitudes acquises. La diplornatie de Pierre. Est-ilun grand capit,aine? Défaur - Mélange de sérieux et de - puérilité. Pierre clrirtu'gien - et dende rnesure. tiste. Créations scientifirlues et artistirlues. Pierre et I'alibé Bignon. II. Clarté et netteté de son esprit. Style épistolaire. La note orientale. - de Rhodes. - contradictoilss. Projet de reconstruction du colosge -Traits Générosité e[ rnesquinerie. Loyauté et fourberie. Modestie et vantardise.

féon Iu".

I
Ce cerveau est un organisme assurément phénoménal. La nature et la puissance de son jeu évoquent forcément aujourd'hui une comparai$on avec Napoléon I"'. Même continuité de

TNAITS INTEI,I,ECTUET,S.

rs9

I'effort sans lassitude apparente. Mênre vigueur élastique et souple. Même pouvoir de se porter. à la fois sur un nombre
indéfini d'objets, les plus dissemblables, les plus inégaux en importance, sans aucune dispersion sensible des facultés mentales, sans aucun affaiblissement de leur prise sur chaque objet en particulier. En 1698, à Stoclierau, aux environs de vienne, pendant que ses ambassadeurs sont en conflit avec les fonctionnaires impériaux, discutant les détails de leur entrée solennelle dans Ia capitale, Pierre Il[ihailof, tout en intervenant dans ces débats qui I'irritent, s'occupe, en écrivant à Yinius, de la construction d'une église russe à pékin ! Dans une de ses lettres à I'ami'al apraxine, datée de septembre 1706, je trouve des ordres pour la campagne en cours, des instructions pour la traduction d'un lot de livres latins, des recommandations pour l'éducation d'un couple de jeunes chiens, avec le détail de tout ce qu'ils doivent apprendre : ,, lo rapporter; 2o ôter le chapeau; 3" présenter les armes; r 4o sauter par-dessus un bâton I bo rester assis et denrander à n manger. ), Le l5 novernbre 1720, écrivant à lagoujinski, envoyé en mission à Vienne, il I'entretient de la rétrocession du Sleswig au duc de Holstein; du portrait d'une fille à groin de tuie que Pierre alexiéiévitch Tolstoi a rapporté de son voyage : où est cette fille, et ne pourrait-on la voir ? de deux ou trois douzaines de bouteilles de bon tokay qu'il serait désireux de posséder; mais il veut savoir le prix et les frais d'envoi (l). c'est un foyer intellectuel ouvert à toutes les perceptions, avec, poussée à I'extrême, cette faculté dminemment slave que Herzen désignait sous le nom d'accepttu;té. rl n'a peut-être pas entendu parler des quakers ni de leur doctrine avant son arrivée à Londres; le hasard veut qu'il y soit logé dans la maison que le célèbre \Milliam penn avait habitée à un moment critique de son orageuse existence, alors qu'il était poursuivi comme conspirateur et traitre I c'est assez pour qu'on
-Écrits p. t20.

$)

et Correspondance, t. I,

p. 258;

Gor,rnor,

t II, p. pg6; t VIII,

l"t+0

L'HO MME.

voie le Tsar en relations presque intimes et avec ce même Penn et avec d'autres coreligionnuires, Tlromas Story, Gilbert Mollyson, se laissarrt offrir leurs brochures, écoutant dévotenrent leurs serlnons. Dix-neu[' ans plus tard, arrivant à Friederichstadt, en Holstcin, avec un corPs de trotrpes gui der.'ait prêter main-forte aux Danois contre les Suédois, sa première question était pour demander s'il y avait des qtrakers dans Ia ville. On lui indiquait le lieu de leurs réunions, et il y allait (l). ll n'entend pas grand'chose au système de Law, ni même aux finances en général l I'homme, son système et sa destinée n'en manquent pas moins, aussitôt qu'il en a pris connaissance, de lui inspirer le plus vif intérêt. Il correspoud avec I'aventureux banqrtier I il le suit d'un regard curieux, érnerveillé d'abord, indulgent plus t:rrd et toujours sympîthique, rnême à I'heure des pires disgraces (2). Dès qu'il s'agit de voir ou de savoir quelque chose, sa vivacité et son inqrriétude d'esprit, sont telles que f{apoléon sera un homrne patient en comparaison. Arrivant à Dresde le soir, après une journée de voya{îe qui a mis tout son monde sur les dents, il n'a pas plus tôt soupé qu'il veut être conduit à la Kunstkantnter,le mtrsée du lierr ; il y pénètre à ttne heure du matin et y passe la nuit, promenent sa curiosité à la lueur de torches (3). Cette curiosité est d'ailleurs' on I'a vu dé.jà, aussi universelle et infatigable que dépourvue de choix et de mesure. La tsarine Nlarthe Apraxine, veuve de Féodor, venant à mourir, en 17 15, à l'àge cle cinquaute et un ans, il veut vérifier le bien fondé d'une opinion accréditée clans le public, à raison de l'état maladili du défirnt et des mæurs austères de la défunte; pour cela il imagine de laire lui-même I'autopsie du cadavre, et en tire des cotrclusions satisfaisantes, parait-il, pour la vertu de sa belle-sæu* (4). Sans cesse augrnenté de la sorte, son bagage de connais'
(f.) Crrnxsox, Life of Wîlliam llenn, L8l:lr p. 2113. (2) Archive russe' 1874, p. 1578.

(3)

Archiw

(&) Dor,conouxoFr Xléntoires,

fiir

Sachsische Geschichte,

r. XI, p. ,3f5.

t. I, p'

Lh.

TRAITS I NTEL I,EC T[IEI,S.
sances

thl

et d'aptitudes, avec une prodigieuse variété, conserve quelque chose d'incohitent et de rudimentaire. Il ne parle bien que le russe et ne sait cuuser en hollandais qu'avec les gens de mer et cles choses de la mer. En novembre 1721, avant à entretenir secr'ètenrent I'errvoyé de France, Campredon, qui avait séjourné err Hollande et s'était rendu familière la langue du pays, il se trouvait obligé de recourir à un interprète et faisait un choix assez malheureux (l). Il était Peu au courant, il est vrai, des méthodes en hontteur dans ta diplomatie occidentalel en mai 1719, le résident français à SaintPétersbourg, I.,e Vie, observait qu'il avait laissé engager les conférences d'Aland sans exiger o des points préliminaires 'r , ce rlui avait permis aux Suédois de lui donner le change par un semblant de négociation très comPromettant et ne conduisant qu'à le séparer de ses alliés. Il mettirit au service de sa politique étrangère des procérlés de son cru ou du cru de son pays, des finesses de Slave doubldes de rouerie asiatique, jetant ses partenaires étrangers hors de garde avec des laçons à lui, des larniliarités, des brusqueries et des caresses irnpr'évues, leur coupant la parole avec un baiser sur le front, leur tenant tout haut des discours auxquels ils ne comPrenaient Pas un mot et qrri étaient pour la galerie, puis les congédiant avant toute explication (2). Il a passé et passe encore, même aux yeux de certains historiens rnilitaires, pour un grand capitaine. Des irlées nouvelles et heureuses sur le rôle des réserves, celui cle la cavalerie, Ie principe du soutien mutuel que doivent se donner les corPs isolés, la simplicité des formations, I'emploi des fortifications improvisées, lui ont été attribuées. La bataille de Poltava u offert un exemple unique, affirme-t-on, et admiré par de l'emploi des redotdes Ttour I'oJ'fensiue. S'[nurice de Saxe, Ces redoutes seraient de sotr invention. Il a conduit person' ncllernent la plupart des opérations de siège, très nombreuses pendant la guerre du Nord, €t toujours son intervention
(I)
Dépêche de Carnpredon du 1"'déeernbre l'72I. Aff. étr. de France, (2) De IJie aux Iitats généraux, 3 rnai 1712. Archives de la Haye

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I,'HOMME.

directe en a assuré le succès(l). Je n'ai pas qualité pourentrer en controverse à ce sujet, et je serais tout disposé à m'en rapporter au ténroignage admiratif de Nlaulice de Saxe. Un témoignage contradictoire m'trrrête : le Journal de la grterre du Nord, que j'ai mentionné déjà. Pierre, qui en a diligé la rédaction, ne me semble y briller ni comme historien, ni comme stratège. Les descriptions de batailles que j'y trouve, et on n'y trouve guère autre chose, sont, en gdnéral, ou déplolablement insignifiaurtes, c'est le cas pour celle de Narvar our quand elles entrent tlans le détail, notoirernent inexactes. Je ne saurais dire si le grancl hornme a inventé les redoutes qui ont lait si bonne figure à Poltava; mais tout le monde sait qu'il s'est contenié d'y figurer lui-même à la tête d'un régiment, abandonnant, cornnre toujours, le comrnandement en chef à ses généraux. Il a apporté quelque application à l'étude clu génie militaire et s'est occupé de mettre en état de délrense ses nouvelles acquisitions du littoral de la Baltique; mais la forteresse de Saints Pierre et Paul, à Pétersbourg, pourrait difficilement passer pour un chef-d'æuvre, et, des autres ouvrages de ce genre entrepris sous sa directionr pâs ûDr cle I'aveu même de ses plus grands admirateurs, n'a été achevé (p). Quant aux sièges, dont le succès peut être mis à son actif, je les vois aboutissant invariablernent à un assaut, où s'affirment, seules, les qualités brillantes de la nouvelle armée russe, son courase et sa discipline. Ces qualités nre sembleraient. aussi I'unique appoint indiscutable dont aurait à s'augmenter, de ce côté, l.r gloire du grand créateur. Il a créé presque de toutes pièces, je le montrerai ailleurs, I'instrument merveilleux qui a assuré la puissance et le prestige de son pays ; il a été un organisateur hors pair, et je veux bien rnême, avec quelques-uns de ses apologistes, qu'il ait devancé son temps, en matière de recruternent par exernple, dans I'application de certains principes, théoriquement affirmés et proclamés bien avant lui en Occident, mais
(1") PÉrnor.-, ouyrage cité,

t,II, p. 8/* et suiv.

(2) Ibid.

TR

A

TTS INT]]T,I,ECTTTEI,S.

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écartés par

la routine du domaine des expériences pratiques. Pour acquérir une maîtrise réelle dans une branche quelconqlre du savoir, non seulement le sentiment de la mesure lui a manqué, mais encote un autre, à délaut duquel je le vois, pendtnt toute sa vie, plaisantant avec les choses sérieuses et
faisant sérieusement des choses puériles. Je n'en veux d'autre exemple que ses études et ses prétentions en matière d'art chirur6ical ou dentaire. Depurs son retour de Hollande, il portait constamment une trousse sur lui et ne perdait pas une occasion de s'en servir. Les desservants des hôpitaux de SaintPétersbourg avaient pour devoir de le prévenir toutes les fois qu'il se présentait un malade intéressant à opérer; il assistait

alors presque toujours à I'opération et prenait souvent en main le bistouri. Il enlevait, un jour, vingt livres d'eau à une femme hydropique , qui en mourait quelques jours après. La rnalheureuse s'était défendue comrne elle avait pr, sinon contre I'opération, du rnoins contre I'opérateur. Il allait à son enterrernent. Le musée des Arts, à Saint-Pétersbourg, conserve un sac plein de dents arrachées par I'auguste éleve du praticien ambulant d'Arnsterdam. fJne des manières les plus appréciées de làire sa cour au souverain a éLé de réclamer ses services pour I'extraction d'une rnolaire. Il lui arrivait d'en an'acher de parfarternent sarnes. Son valet de chambre, PoloutroTarof, se pltrint devant lui de sa femme qui, sous prétexte d'une dent malade, se refuse depuis longtemps à ses devoirs conjugaux. Il fait venir la rebelle, I'opère séance tenante, en clépit de ses larmes et de ses cris, et I'avertit que les deux rnâchoires y passeront en cas de récidive. Il est juste pourtant de rappeler que Nloscou lui doit, en 1706, son pr.emier hôpital militaire, auquel sonl ajoutés successivement une école de chirurgie, un cabinet d'anatomie et un jardin botanique, ori il plante lui-même un certain nornbre d'essences. La même année, des pharrnacies sont établies par ses soins à Pétersbourgr Kazan, Glouhof, Riga et Revel (l).
ll) Couarnsrr,
Esquisses hist,,

p. l{.

et ruiv.

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L'HOMME.

Études et créations scientifiques ou artistiques ne sont, d'ailleurs, pas chez lui simple affaire d'agrément ou d'inclination natrrrelle. Il n'a notoirement aucun sentiment de I'art, nul goût soit pour la peinture, soit même pour I'architecture. Sa maisonnette en bois de Préobrajenskoié, si basse et bientôt si enfoncée dans le sol qu'il pouvait en toucher le toit avec la main, avait de quoi satislàire amplement ses convenances personnelles. Longtemps il n'en voulut pas d'autre à Pétersbourg même. Il

jugeait à propos pourtant d'y faire bâtir des palais, qur seraient la demeure de ses collaborateurs. Mais les constructions Ianguissaient; il voyait la nécessité de payer d'exemple une fois de plus ; il finissait alors par avoir lui-même son palais rl'Hiver et son palais d'Été. Il y faisait une imitation asrez gauche rles modèles occidentaux, car il entendait aussi étre son propre architecte. Les corps de logis se querellaient avec les ailes et faisaient des angles disgracieux, et il avait soin de rnettre des plafonds doubles dans les pièces qui lui éLaient réservéesr pour s'y mdnager I'illusion d'habiter encore une cabane en bois. Mais l'élan était donné, €t, avec le temps, I'architecte français Leblond, engagé aux Sros appointements
de quarante mille livres par an, réussissait à corriger les erreurs passées, en imprimant à Ia nouvelle capitale l'aspect monu-

mental et décoratif gui lui convenait. Pierre se préoccupait également d'augmenter le petit {bnds de rnusée art.istique recueilli pendant son premier voyage en Hollande. Quand il reparut à Amsterdam en 1717, il sut prendre lr:s airs d'un amateur éclairé; il arriva à posséder des Rubens, des Van Dyck, des Rembrandt, des Jean Steen, des van dcr Werff, des Lingelbach, des lJerchem, des l\fieris, des Woulver'r]Ian, des Brerrghel, des Ostade, rles Van Huyssen. Il eut un choix de marines à son palais d'Été , toute une galerie à .son château de ltéterhof. I]n dessiuateur et graveur de valeur, Picard, et un conservateur, le Suisse Gsell, ex-brocanteur en Hollande, furent attachés au setvice de ces col]ections, les premières que la Russie ait connues. Tout cela, sans aucune part d'intérêt personnel. On peut

TRAITS INTELLECTUELS.

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douter qu'il en ait pris beaucoup à sa correspondance âvec I'abbé Bignon, bibliothécaire du Roi et membre de I'Acadérnie des sciences, dont il est devenu n-rembre titulaire depuis son séjour à Paris, en 1717. En 1720, il envol'ait à I'abbé son bibliothécaire, car il s'est donné aussi une bibliothèque, I'Aliernand Schuhmacher, le chargeant d'un ma'uscrit en lettres d'or sur vdlin, trouvd à Siémipalatinsk, en Sibérie, dans les caveaux d'une église en ruine. Il s'agissait de déchif'frer Ie document et d'abord de savoir en quelle langue il était écrit, et Pierre paraissait enchanté quand, après avoir mis à corltribution le traducteur attitré du Roi, F-ourmont, I'abbé lui eut révélé que I'idiome mystérieux était celui des Tangouts, ancienne peuplade kalmouque. Après sa mort seulement, deux Russes qu'il a envoyés à lréliin pour y étudier Ie chinois et qui y ont fait un séjour de seize années, s'avisent d'entreprerrdre Ia revision de ce procès scientifique et font une découverte compromettante pour la réputation des orientalistes palisiens : le manuscrit est mandchou, et son texte absolument différent de celui que Fourmont a indiqué(l). Nlais Pierre est mort àyec la conviction d'avoir élucidé un point irnportant de la paléographie et de I'ethnographie nationales, et d'avoir fait consciencieusement son métier de souverain, Purmi les curiosités qu'il a réunies dans son musée d'art et d'histoire naturelle, les contenrporains merrtionnent quelques sujets vivants de I'espèce hurnaine : un homrne affligé d'une infirmité monstrueuse et répugnante, des enfhnts mal conformés (?). Le grand homme o cru aussi servir la science avec ces exhibitions.

II
C'est un esprit clair, net, précis, allarrt droit au brrt, sâns hésitation ni écurt, ainsi qu'un outil manié paf une rnain sùre.
(L) Golrror, t. VIII, p. 84. (2) Biischings IVI., t. XIï, p, !,L5.

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}IE.

Sa correspondance est caractéristigue à cet égard. ll n'écrit pas de longues lettres, comme f'era son héritière, Catherine II.

Il n'a pas le temps. Fas de phrases, pas derhétorique et pas davantage de calligraphie ni d'orthographe. Son écriturehabituelle est presque aussi illisible que celle de Napolécn. Des lettres mûnquent dans la plupart Ces mots. Il commence ainsi un billet à I'adresse de N[enchikof : " Mei hez brude in Kamant(u'cr,, t ce qui veut dire : u I'Iein Herzbruder und l{amarad u (Mon frère de cæur et camarade). Il signe Ie plus souvent llepo en russe, avec une lettre en moins. i\fais il dit vite et bien ce qu'il a à
dire, trouvant du coup et sans effort I'expression juste, le mot qui porte et qui résume sa pensée. Il affectionne poultant le mode plaisant, et il se peut que la grarrde Cntherine I'ait simplement imité à cet égard. Il écrit, par exemple, à Menchikof au nom d'un dogue que le favori affectionne particulièrernent. Très souvent il a des boutades, des saillies d'une licence de pensée et de forrne excessive, mais plus souvent encore il est incisif et mordant. Le vice-amiral Cruys lui adresse un rapport où il se plaint de ses officiers, en ajoutant des compliments pour le Tsar : n Homme d.e mer accornpli, Pierre sait rnieux que personne combien la discipline est nécessaire dans la marine, . Il répond : u Le vice-amiral a lui-méme fait choix de ses n subordonnés; il ne doit s'en prendre qu'à lui-même de leurs n défauts. Dans une occasion récente, il a paru moins convaincu n des qualités qu'il attribue actuellement au souvcrtin. Ses a critiques cornnre ses louanges ont dù être faites aprèsboire : a elles ne tiennent pas debout. Il faut me rayer du nombre des n nrarins habiles ou ne plus dire blanc quand ie dis noir(l)., La note orientale s'accuse dans le tour naturellement imagé et plastique de son style. A propos de son alliance avec le Danemark et des mécomptes qu'elle lui donne, je trouve sous sa plume cette réflexion : n Deux ottrs S'accornmodent rnal dans une tanière ,' ; et cette autre : r, Notre alliance est comme une paire de jeunes chevaux attelés à une voiture(2). " S'agit-il *le (t)
(2)
Ousrnnlor, t. IV, p. 272.
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et 1716. Lettrea à Catherine

I", édit. de l8ô1, p. 29 et 49.

TRAITS INTEI, I,ECTT'ELS

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Ia Pologne, où les esprits sont en fermentation continuelle : n Les affaires y vont comme de la jeune trempe (boisson d'orge et de millet). , un homme qui tient des propos inconsidéres est comparé à ( un ours qui par.le de faire couper une jument u . Même comn)e législateur, il lui aruive de parler cette langue. créant le poste de procureur général auprès du sé,rai, il dit " vouloir empêcher qu'on joue aux cartes avec les lois en faisant des combinaisons de couleurs o . Le procureur sera

*sonæil ,.

Historien nul au point de vue de I'art, ir ne manque pas de sens historique. Il décrit mal les événements, rnais il en comprend bien le sens et Ia portée. Il res commente avec justesse, même dans ses causeries épistol.ires avec catherine àù parait le plus grand abandon. Évidernment ir se rend un compte très exact de ce qu'il fait et de ce qui Iui arrive. II a I'imagination natureller'ent incli.ée au grand et même à I'énorme, très orientale sur ce point encore. Dans les clernières années il médite une reconstruction du colosse de Rhodes, entre l(ronstadt et Kronsloot, une tour immense à cheval sur le détroit, qui donnerait passage en bas aux plus grands navires et porterait en haut une fortcresse et un phà.e. on en coûrmence déjà les fondations en r-tzr (l) . Il est exalté fréq'emment, épique ou traSJiclue, avec des saillies d,excentricité et des taches de grossièreté qui ont clérouté de tr.èsbons juges. Je trouve des traits shakespearie's dans quelques-unes de ses inspirations. En 1697, au momerrt où so'dépa.t pour le premier tour d'Europe est retardé par la clécouyerte du complot de Tsikler, percevant u' Iien rle solidarité criminelle entre Ie pr'ése't et Ie passé, il fait déterrer le cadavre d'Ivan Miloslavski, mis au tornbeau clepuis clouze ans, cléjii rongé par les vers. on en amène les clébris à préobraje.rskoié sur un traîneau attelé de douze porcs, et on les place dans un celcrreil ouvert sous l'échaJaud, où Tsililer et son complice, sokovni'e, doivent mourir lentement, clépiécés, taillés en (l)
Gor,rnor,

t. X, p. hp6.

lL8

L'HOMME.

petits morceaux. A chaque coup de couteau, le san6 des suppti.iét coulera en cascade vengeresse sur ce qui reste de I'en,re*i détesté, arraché à la paix de la mort pour subir les tragiques représailles de son vainqueur (l). En 1723, Préobramoins hideux, mais totrt aussi iu"rt oie ooit t n autre spectacle, étr"rrg". Pierre y fait brûler sa maison de bois, qu'on a rétablie voyagé ' pnr' *", ordres sur son ancien emplacement, car elle avait Les habitations, à cette époque, font partie du mobilier dans ce pays si voisin encore de la vie nomade. Incendie commé*orotit et symbolique. C'est dans cette maison - il en lhit la que Pierre û concu le projet confidence au duc de Holstein de son terrible duel, maintenant terminé, avec le Suéclois, et, tout à la joie de la paix enfin conquise, il veut eff'acet jusqu'à ce souverrir. d*, angoisses passées. Mais, pour donner plus de solennité à la démonstration pacifique, il imagine d'en relever l'éclat par un f'eu d'artifice; il allume les solives h moitié po.r.rie, de sa cabane avec des Chandelles romaines et en fait il"-b., Ie toit en girandoles multicolores, battant lui-même clu tambour pendant toute la durée de I'autodafé (2). par moments, méme dans une sphère de conceptions et de sentiments beaucoup plus élevée,' il semble monter sans ef'fort et planer de niveau avec la grande élite historique d'àmes au haut vol et à large envergure. En 1712., Étienne Iavorski, le moine petit-russien qu'il a {ait venir de Kief à à Moscou pour en laire un évêque, le prend publiquement abanrlui époux les partie dutt tlD sel'Inon, fulminant contre àonnent leurs femmes et les hommes qui ne resPectetrt pas raPpol't est les jeùnes. Il y a clime de lèse-majesté, et un contente d'éct'ire adressé en ce sens au souverain. Pierre se té[roins. u devaut tête, puis à tête en en marge : o D'abord durrs Un l1o' Et, comme lavorski parle de se retirel le pat'iarche nastère, il s'y oppose, mais se fait envoyef Par avec lcs règle rnet en le de tonstantinople une dispense qui
(f.) Julrrlou;sxr, 'lfdnroires,
TRIÀLoF'

p' I12;

Gonnox' Journal' & mars L697; Ous'

(2) Bnncnotz, Biischings lLl', t' XXI, p' 202'

t. III, P'29'

TRAIlS

INTEI,LECTT]ELS.

fte

exigences du carême orthodoxe(l). Un fanatique tente de l'assassiner en lui tirant successivement deux coups de pistolet pendant son sommeil. L'arme ayant raté chaque fois, I'homrne est pris d'épouvante et réveille le Tsar pour lui dire ce qui est

arrivé. Dieu a dû I'envoyer pour donner au monarque un signe miraculeux de sa protection. uTuez-moi maintenantr, n On ne tue pas les envoyés o , répond Pierre tranajoute-t-il. quillement, et il laisse partir I'assassin (2). L'anecdote n'est peut-étre pas très authentique, et je ne vois pas trop Pierre laissant échapper ainsi un bon régal judiciaire avec enquéte, recherche des complices et séances dans Ia chambre de guestion. Passe pour lavorski, seul en cause notoirement. Mais, probablement inventée de toutes pièces ou tout au moins arrangée, I'aventure correspond à une attitude qui est bien celle du souverain, dans sa dernière manrère surtout. Je I'apercois très souvent se donnant dans les circonstances les plus variées des apparences d'esprit supérieur, tles airs de philosophie hautirine à l'égard de sa propre personne. VenantàVarsovie après sa désastreuse campagne du Pruth, comme on Ie complinrente sur son heureux retour : ( Mon bonheur, réplique-t-il, consiste en ce gu€, au lieu de cent coups de bâton, je n'en ai recu que cinquante. u Puis, comme se parlant à luimêrne : a Je stris venu, j'ai vu, j'ai vaincll. . .r II se reprend : ,. Pa s tant! pas tant ! ', Niéplouief, un de ses élèves favoris, arrive en retard à un rendez-vous matinal qu'il lui a donné dans un atelier de constructions navales. Le Tsar est déjà là. Niéplouief d C'est s'excuse : il s'est attardé dans la nuit chez des amis. bien I tu es pardonné, parce que tu as dit la vérité, et puis u , ici Pierre semble faire un retour sur lui-même en appliquant a quel homme n'est-il à I'incident un proverbe du pays, pas le petit-fils d'une grand'mère ? , (Kto babié nié unouh) (3). Ces façons de penser, de parler et d'agir sont-elles sporrtanées, naturelles chez lui? Correspondent-elles réellement
(r) Sor,ovrer, t. XVI, p. 394. (2) Gor,rxor, t. X, p. {76.
(a) NrÉpr.ournr, Mémoires, Pétersb., 1893, p. 106.

r50

L'HOM

ÙIE.

à des traits innés d'esprit ou de caractère ? Ne sont-elles pas plutôt une pose qu'il prend et qu'il lrri arrive de quitter par inadvertance, caprice ou défaillance? Le dotrte est adniissible, tant il les dément souvent et les contredit. [i'aisant son entrée à

Derbent, en 1723, on I'entend rlire: u Alexandre it construit r, cette ville eÉ Pierre la prend. " Sur un des arcs de triontlilrc qui poussent en forêt à Moscou, bien avant Poltava, il fait, au retour de sa campagne persane, commenter ainsi cette con' quête facile :
Struxerat fortis, seil fort,ior hanc cepit urbem.

modeste. A la prise souflletant Ie généreux, il d'être oublie en 1104, Narva, de commandant l{orn, coupable uniquement de s'être trop bien dé^fendu, et faisant jeter à I'eau le cadavre de sa femrne tuée pendant I'assaut (t). I la prise de Wiborg, en 1710, il accorde aux assiégés les honneurs de la guerre, puis, la capitulation signée, il reticnt la garnison prisonnière. Le fait se reproduira à Derpt et à Ri.ga (2). C'est le même homme qui, après la bataille de Twaermynde (juillet 17l4), embrasse le capitaine de frégate Ehrenskôld et se proclame fier d'avoir eu à combattre un tel adversaire. Il exécute loyalement, en 1721, les conditions de la paix signée avec Ia Suède, mais Ia manière dont il a engagé les hostilités a été un modèle de fourberie. En mai 1700, revenant de Voronèje à Nfoscou, il faisait amicalementreproche au résident suédois Knipercron des alarmes dont sa fille, en villégiature à Yoronèje, avait paru pênétrée au sujet de I'imminence d'un conflit entre les deux pays. Il s'était efforcé de la calmer : a Sotte enfant, lui avait-il dit' a comment peux-tu croire que je veuille colnûIencer une $ guerre injuste et rompre une paix que j'ai jurée éternelle ? o Il embrassait I(nipercron devant témoins et lui prodiguait aussi lee protestations les plus rassurantes : u Si le roi de Pol7hL, t. ll, p. 22h.
(f.) LusonrÂD,

Il a oublié évidemment ce jour-là d'être

t. I, p. t7; Aor,rnrrr,n, Hist. milit. de Charlcs XII, Paril, t' III, p 79,89" -

Li.arp Éeritr et t'arresporiio,nae d; Pien'c, r tII. p 99 et { lt.

(2; lor.nvôi,Ilis{.oire dc Pierre le Grand, Pétersb., [8Il'3,

pour la u rendre aux Suédois. " A ce nloment. il avait déjà lié partie avec Auguste contre la Suède, conrbiné le plan d'attaque à frais cornmuns et fait le partage du butin à venir. Le 8 aotrt suivant, ayant reçu d'OukraTntsof, son envoyé à Corrstantinople, la nouvelle de la srgnature de la puix avec Ia Porte gu'il attendait pour lever le masque, il met ses troupes en marche du côté de Narval muis, à la méme heure, son autre ênvoyér le prince Hiiliof, recevant audience de Challes XlI, continue à lui garantir les dispositions pacifiques de son maitre (l). La tendance essentiellement pratigue de son esprit ne laissait pas de le rendre parfois étroit et mesquin. Leibnitz lui proposant d'instituer dans toute l'étendue de son empire des observatoires magnétiques, il fut sur le point de perdre la bonne opinion qu'il s'était faite du grand savant (2). Cela ne I'empêchait pas de s'occuper de Ia découverte du détroit qui portera le nom de Behring : il y avait là une voie cbmmerciale en vue et un bénéfice apparent. I[ était économe jusqu'à la parcimonie. Il se servait des instrurnents de mathématiques qu'il portait constarnrnent sur lui pour évaluer, jour par jour, les brèches faites au fromage qu'on lui servait, et, pour compenser la maigreur <ies appointements qu'il donnait à son chef decuisine, Velten, il imaginait de convertir en pique-niques, à un ducat par tête, les repas auxquels il conviait ses amis (3). Il servait volontiers de parrain, car c'était son goût de se mêler de t,out et de tout le montle; mais le présent qu'il faisait à I'accouchée, en lui donnant I'accolade suivant I'usage du pays, n'allait jamais au delà d'un ducat glissé sous I'oreiller, si c'était Ia femme d''urr of{icier, ou d'un rotrble. si c'était Ia feuune d'un simple soldat (A) . Au pilote Anton Timofiéiev, qui lui sauve lavie en 1694, dans une ternpête essuyée sur lamer
de Charles

II{TEI,I,ECTUEI,S. u Iogne prenait tliga, lui, Pierre, reprendrait la ville
TN

AITS

IIII

III, p. 369; t. lV, 2" partie, p. 159-{61; Fnvrrlr, /ft'st. traduct. rle Jensserr, Brunsrvick, 1,361, t. I, p. 78. (2) B,rnn, Peters l'erdienste un. die Eru,eiteruttg der geographischen Rentriisse, Pétersb., 4.868, p. 56. (3) Scrnnen, t. IlI, p.25tt.
(I.) Ousrnrrr,oF, t.

XII,

(b\ Ibid

r,59

I

'H OtlùtE,

Blanche, il donne trente roubles (l), et c'est t{e sa part un grand effort de générosité. Eh bien, je Ie crois, toujours et partout, parfiaitenreut sincère &yec lui-même et parfaitement naturel dans ses contradictions. Il est naturellement divers, pour des raisons sur lesquelles j'aurai à revenir, et sa constitution comnre sor) éducatiott morale sont très différ'entes de celles dont nous avons ['habi' turJe. N'oublions pas le sol sur lequel il est né, la race h laquelle il appaltient, la tradition dont il procède. llurik, Oleg, saint Vladimir, Sviatopolk et Motroma{ue, ces héros de I'histoire et de la légende I'u$se, sont cle grandes figures assurément, mais qu'il faut se garder cle confondre avec les illustrations historirJues et légendaires du vieux monde euroPéen. Ils s'en distinguent par leur caractère atrtant que par leuls noms. Ils n'ont rien d'un Bayard ou d'un François ["'' Avec leurs rnæurs patliarcales, ils évotluent plutôt I'image morale des rois billliques. Les Russes d'aujourd'hui voudront bien nrr pas vrir dans cette constatation une o[:[ense gratuite, rti urr déni rnjustifié d'esprit chevaleresque en ce qui les colrcerne. Autant vaudlait nier I'instruction très variée ou l'éducation parfaite de beaucoup d'entre eux. Il n'en est pas moins vrai que, du temps de Pierre, la plupart ne savaient pas lire, et que nul chevalier n'ayantjarrrais rompu de lances dans leur patrie, elle a traversé le rnoverr âge sarts rien savoir de la chevalerie, coûlme plus tard la Renaissance, sans savoir grand'chose de I'art grec ou roïnain (2). Elle a Pu, depuis, re{iagner la dis' tance et le temps perdus, trtais elle est restée lon6Lenrps étrangère, cela est certain, à cette brillante et génér'euse école qui, tie Rolancl à fiavard, a t'endu en Occident Ie mot honneur synorlyme tle ln {idelité à la parole donnée; elle a subi, par coutre, I'iufluetrcc de I'empire 6rec, rcceYânt de Iui arts,
(L) Ousrnrrr,oF, t. II, p. 367. (2) . Le souffle chevaleres,lue n'a janrais remué les couches prof.lndes de la Russie.,, (p. prgnr,rNc. La |iissie et la Saint-Siège, p. 189.) l,e chapitre du livre si intéressant du Père PrEnr,luc, intitulé t La Renaissence à Moscou, est absolument coneluant dans mon senr.

TIT A

ITS

IN 1'EI, I,}](]TI] ET,S.

r"53

scfences, tnæurs, yeligion et politique, avec ses traclitions d'astuce et de frautle. Le type légendaire de ln fernme n'a luimême, chez elle, rien d'héroiquement idéal. Ce n'est pas Jeanne d'Arc, corunle en France, la vierge inspirée, pnussant un peuple à la victoire par l'élan de sa foi; ni, comme en Po-

logne, Wanda, la douce martyre, préférant la mort à une union avec un prince étranger dqnt s'off''ense I'instinct nationall c'est Olga, une gaillarde, qui çhasse, bataille, fait le comrnerce, triornphe de ses entlentis autarrt par la ruse que par la forçe, et, I'Empereur greÇ Voulant l'épouser contre son grén éconduit supérieurement ce prétendant. Pierre est de cette lignée, comme l'était Alexandre Newski, cet u Ulysse des saints u , ainsi que I'a appelé Custine (l), prince plus sase que vaillant, modèle de prudence, mais non de générosité ni de bonne foi; et c'es[ pourquoir pèrlant d'un des collaborateurs du 'fsar, I'envoyé français Campredon a Pu écrire en l7?5 : u Il a peu de clroiturg, et c'est I'endroit qui lui avait acquis u lq confiance du cléfunt souverain (2). " Les mêmes contraclictions apparentes se retrouvent chez Pierre en matière de morale courante et de religion. Est-il croyant? On peut en douter encore' tant il met parfois de sans-lhçon à traiter les cérérnontes et les ministres d'un culte qu'il pratique à d'autres tnoments avec ferl'eur. Je I'aperçois auprès du lit de sa sæur n'Iarie qui est à I'agonie, chassant des moines qui viennent se livrer a des pratiques consacrées par la tradition; ils apportent à la moribonde tles mets et des boissons variés, et lui clernandent sur un ton plaintif n si elle * v€ut quitter la vie pour n'y avoir pas abondance de vic" tuailles n . Atr diable ies momeries ! Soit, il s'en tient à la foi sirnple et conclùmne les superstitions. Mtris je vois qu'il a I'habitude de noter les rêves qu'il fait(3), et, dans sa dépêche du 25 mars 1112, I'envoyé anglais Whitwotth parle d'un cornbat victorieusement hvre, en dorrnant, à un tigre, qui a
Russie, t. I, p, 265. (e) 3 nrai 1725. Snonxrx, t. LVIII, p 255. (3) SrÉrrrr,r'sxr, Slouo i Dielo, p. 273 rt suiv.

(r) La

15b

L'HOMME.

fortifié Ie Tsar dans ses dispositions belliqueuses(l). En même temps' convenances, bonnes ou mauvaises mæ'rs, civilité ou décence, tout cela semble pour lui lettre morte. En r7zl,' Iagoujinski. un des parvenus dont il s'est entouré, s,avise de vouloir quitter sa femme, à qui il n'a rien à reprocher et dont il a de grands enfants, pour épouser Ia fille du chancelier Golovkine. comme madame Iagoujinslia d'u'côté et Ie chance lier de I'autre font oppositio' à ce projet, pierre, auquel il agrée parce qu'il rabarsse Ia vieille aristocratie au bénéfice de Ia nouvelle, n'hésite pas à intervenir : la femme est jetée clans un couvent, Ie père mis en demeure de donner son consente_ ment; le Tsar déclare le premier mariage dissous et prend à sa charge les frais du second. voilà Ie cas qu'il fait de Ia familie; on juge de ses égards pour Ie reste (p). A Berrin, en 1718, visitant un cabinet de rnédailles et de statues antiques, son attention est attirée par urre divinité en posture ob*cène, une de celles dont les Romains se plaisaient à décorer les charnbres Il appelle I'ImpÀratrice et lui enjoint de 'uptiales. baiser la figurine; comme eile fait mine de s'en défendre, il lui crie brutalement : u Kop ab ! ,, (Tête à basl) lui donnant à entendre ce c;u'elle risque en cas de désobéissance. Après quoi, il demande au Roi, son hôte, de rui céder cette pièce rare, et aussi plusieurs autres curiosités et encore un cabinet en arnbre qui a coùté des sommes immenses, au dire cle la marg*ave de Baireuth. a copenhague, ayant pareillernent rernarqué une momie dans le musée d'histoire naturelle, il manifeste I'intention de se I'approprier. L'inspecteur royal en réfère à son maitre, qui répond par un refus poli : la mornre est exceptionnellement belle et grande; on n'e' trouye pas de pa..iil" en Allemag'e. Pierre revrent au musée, s'en p."o,l à la rnornie, Iui arrache le nez et Ia mutile cle toutes faio.rr, puis s,en va, disant : o Vous pouvez la garder maintenant (B). , A Drescle,

(l)

Snonrirx,

t. LXI, p. 167.

(2)_Ilépêche tle canrp.edo* du 2p mars Llza. aff. érr. de France. Dor.conoulror, I\Iémoires, t L p. 17. (37 Scnurxn, t. II, p, 15

TNAIïS INTELLECTI'ELS

r55

en l7ll, en quittant I'hôtel del'Anneau d'or, il enlève de ses mains et veut mettre dans ses bagages, malgrê t'opposition des serviteurs, des rideaux de prix que la cour saxonne avait envoyés pour clécorer son appartement. a Dantzick, en lTl6, se trouvant clans une église où un courant d'air froid arrive à I'incommoder, il étend la main sans mot dire, enlève la perruqLre du bourgmestre qui se tient à son côté et s'en

coiffe (l).
Je ne crois pas du tout que le baron de Printzen se soit vu dans Ie cas de grimper au haut d'un mât pour présenter ses lettres de créance au souverain moscovite, celui-ci se trouvant

occupé à accommoder des cordages et ne consentant pas à interrompre sa besogne. Cette autre anecdote, dont le grand Frédéric a régalé voltaire (z), me parait même indiquée pour surprendre I'un des conteurs je ne sais lequel en - en - de M. de printzen flagrant délit de mensong:e. L'arrivée Russie corresponcl àl'année 1700. A cemoment, pétersbourg, où pareille réception lui aurait êté faite, n'existait pas; les constructions navales .'y étaient inaugurées qu'en 110a, époque à laquelle Printzen avait déjà un successeur, dans la personne de l(eyserling. De plus, ayant quitté Berlin le l2 octobre, I'envoyé de l'Électeur de Brandebourg, plus tard premier roi de Prusse, a dû joindre son poste au cæur de I'hiver, c'est-à-dire pendant une saison qui, en Russie, impose un chômage forcé à tous les accommodeurs de cordages travaillant en plein vent. Par contre, Campredon me parait cligne de foi quand, rendant compte d'une audience qu'il a sollicitée du 'fsar en 1721, à I'occasion des négociations pour la paix avec la Suède, il affirme que, pour le recevoir, pierre est venu de I'amirauté en casaque de matelot (B). cette absence de scrupules, ce dédain des règles de conduite usuelles, ce mépris des bienséances se rencontraient
(r) Por,rvoil t. IV, p. 4. r,'anecdote a eu plusieurs versions; voy. scurnnn, t. II, p. 77. (2) Vor,trrRr, OUuures, t. X, p. Z:1.
(3) Dépêche du 14 man 1721.

Aff

Étr, ds Fran*.e.

t56

L',t{ oM IUlt.

pourtant dans le même hornme a'ec le sentiment très profond et leiespect absolu du devoir, de la loi, de la disciplin". po,r"guoi et comment ? sarrs doute parce qu'il convient d'v voir autre chose qu'une négation irréfldchie des fondements nécessaires de tout édifice social. .Avec une part de caprice e[ de fantaisie, à laquelle tient un grand nombre d'inconséquences, un nrobile plus valable y parait. Pierre a entrepris de réf'ormer la vie d'un peuple, auquel les scrupules et les préjugés tenaient lieu, pour une bonne moitié, et ele relig;ion et cle morale. Avec assez de justesse il a vu eû eux I'obstacle principal à tout acheminement dans Ia voie du progr.$s" €t, a\-ec beaucoup de logique, il ne perdra pas une occasion de les prendre à partie. En l699, pilotant sur Ie Don sa flottille de galères, il voit un marin hollnndais qui se délecte avec une {ricassée de tortues pêchées dans la rivière. Il en parle à ses Russes qui poussent des cris d'horreur : pareille nourriture est à leurs yeux un objet de dégoùt et de scandale. Aussitôt il donne des ordres à son cuisinier, et, sous couleur de poulet, fait servir à sa table le plat damnable. cheTne et saltykof, qui y dînèrent, se trouvèrent mal quand, sur un orclre du maitre, on leur présenta le plumage du volatile dont ils avaient cru manser. Pierr-e se sentait appelé à débarrasser la conscience nationale de ces scories gue des siecles d'ignorûnce barbare y avaient déposées. Nlais, poru' opérer avec discernement un triage indispensable, il apportait au travail entrepris trop de fbugue, trop de grossièreté personnelle, et encore, et surtout, trop de passion. II frappait à tort et à travers. Et c'est ainsi que, tout en corrigeant, il dépravait., et ce grand éducateur a été aussi un des plus grands dérnolalisaleurs de I'espèce humaine. avec toute sa grandeur la Russie nioderne lui doit la plupart de ses
vices.



AITS INTELLËCTÛELS.

l5T

HI
Son génie incontestable ne donne pts, si étendue gue sort I'aire où il se meut, l'impression du couP d'æil unique embrassant les vastes esPaces et les grands ensernbles. On dir.ait plutôt, tant il a I'intelligence et la pussion du détail, d'une multitude de petits regards fixés sirnultanément sur autant de petits points. Aussi bien ses idées générales, quand on en découvre chez lui, paraissent toujours un peu vaffues et inconsrstantes, ses desseins et ses cornbinaisons manquent le plus souvent et de justesse et de précision , et, quand il regarde au loin, sa vue est trouble. C'est un myope intellectuel. La création de Saint-Pételsbourg en fournirait, à elle settle, une preuve éloquente. On commence là par I'exécution I les plans viendront après, et I'on arrive à avoir des quartiers sans rUes, des rues Sans issues et un port sans eau. Agir d'abord, sauf à réfléchir plus tard' sans prendre le temps de discuter ni Ies projets, dès qu'ils Paraissent séduisants, ni les rnoJ'ens, dès rlll'on en tlouve i\ portée de sa main, telle est la nranière hnbituelle de cet esprit fulgurant. Son aptittrtle à reconnaître la valeut'des collaborateurs qu'il se donnait, poussée jusqu'à la divination d'après ses panégyristes, est un de ses mérites les plus contestables. Les procédés dont il usait à cet égard, comme de relever la tête des nouveilux srrj -^ts qui se présentaient à son choix en les ernpoignant par les cheveux' et de les resarder un instant dans le blanc des yeux' ces façons sommaires qui font I'adrniration d'un j.tff* aussi sérieux que Sotovief (l), ne sont que potlt' prouver une fois de plus cette
superÊcialité que
déjir corntne l'essence de torttes ses connaissances et cle toutes ses aptitudes.Il n'estpas psycho(L) Etudes, t8'i2, p. 205.

j'ai dénonc,ée

(58

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logue pour un liard. Il trouve chez un maitre d'écote une servante qui lui Plait; il prend.la sen,ante pour maitresse, €D attendant qu'il en fusse une iinpératrice, et il irnagine aussitôt de faire du maître d'école le fondateur de l,'enseignement national. C'est I'histoire de Catherine et de Gluck. [,a fernme roule d'abord dans les camps, se partageant entre les solclats et les officiers de son futur époux. L'homme, humble pasteur dans une bourgade de Livonie, commence par dresser Ies petits Moscovites qui lui sont confiés à I'harmonie des psaumes luthériens. Quand le Tsar s'en aperçoit, il ferme l'école et renvoie Ie maitre, mais I'enseignernent national reste en route. un jour, assistant au lancement d'rrn nouyeauvaisseau, spectacle qui avait toujours pour effet d'exalter sa pensée, pierre se mettait en frais de philosophie historique. Rappelant le chernin parcouru en Europe par la culture civilisatrice, son berceau &rec, puis son épanouissement italien, il en arrivait à exprimer la cq.viction que Ie tour de la Russie était venu. u Espérons, disait-il, que d'ici quelqucs années nolrs serons à . même d'humilier les pays voisins en plaçant le nôtre au plus u haut point de la gloire. n L'idée qu'il se faisait de la civilisation elle-même se trahissait ainsi : c'est celle cl'un fabricant en concurrence avec l'usine d'en face. II était trop peu cultivé pour analvseret comprendre les éléments dont se composait,la supériorité cle ces érnules étrangers qu'il jalousait et prétendait dépasser; il n'en percevait que Ie côté extérieur, et c'est pourguoi il I'estimait au-dessous de son prix. Son intelligence, si vaste et si compréhensive, paraît d'ailleurs bornée et murée d'un côLé, radicalement inaçpessible aux conceptions abstraites ; et c'est pourquoi encore il est très malhabile pour juger un certain enchainement de choses, déduile les conséquences d'un point de départ et errfin remonter des eff'ets. aux causes. Il saisit vitg les avantrges pratiques de la civilisation, mais ne soupconne même pas les prémisses nécessaires de tout travail civilisateur. ll lrri arrive de vouloir bâtir en commençant par le toit ou cle travailler à la fois aux fondations et au faite de

TR.\

ITS II\ TEI,I,EC'TUNT,S.

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l'édifice. D'ôtre un bon charpentier ou même un ingénieur naval passable ne lut a pas suffi Pour met.tre en mouYement orsanrque les forces morales cle son peuple Pour tout tlire, il sernble plus irrgénieux encol'e que vraiment génial. Sa nranrère de gouverner est elle-méme plutôt d'un artisarr qtte d'utt artiste, d'un employé actif que d'ttn hornme d'État. lletnueur extlaordinaire cl'ltornntes et de choses, il fait pleuîe à les manier, d'une dextérité surpretrante, coûlme aussi d'utte merr.eilleuse faculté d'assimilatiou, celle que I'on aperr;oit aujourd'hui eucore, à ul degré rnoindt'e, chez le prernier Russe Yenu) quittant la rive du Don ou il n'a jamais vu une macltine ni une {abrique, et, en quelques semaines passées dans ull centre industriel de I'Occident, se rnettant arr courant des tlernters perfectionnernetrts de l'outil' lage moder.ne et en nesure de les appliquer là-bas. Mais il n'a pas une idée qui sort son bien ProPre, et il fait bon marché de I'originalité chez les autt'es. Il n'essaye nrême Pas de nlettre en æuvre, d'une façon personnelle, les éléments plastiqttes tirés du dehors ou du dedans, dont il fait emploi Pour ses essais de construction politique ou sociâle. II se borne ir un travail de marqueterie et de placage. Bt I'imitation de l'étranger n'est elle-même pas de son invention en Russie, puisque depuis L an le Tcrrible on n'y a lras fait autre chose. Au cottrant d'importation cl'origine polonaise, mince filet d'eau s'in[ilLrant lentement d*1s le sol aricle du pays, il substitue Ie torrelt, la cataracte, I'avalarrche des produits allenrands, hollandlis, anglais, francais, italiens. Travail mécanique, super'ficiel toujours et combiert inintelligent parfois, attaché à la poursuite des fins extérieures, sans aucun souci des possihilités intérieures I travail entrepris avec une inconscience tlop Srarrde cle la nature et de la valetrr intime cles matériaux ottvtés, Porrt' qrte I'objet et le but de I'ouvrage n'échaPPassent pas â I'intelligence et à la conscience du peuple auquel il était inrposé ; truvail lrétérogène, disparate et mal asorti, inutile sur un gland nombre de points, parftiternent nuisible sur d'autresl la flotte hollandaise, I'armée allemande et le gouverrlenlent suédois, les

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]t 118.

mæurs de Versailles et les lagunes d'Amsterdam figurant dans la même série d'emprunts I aucune entente du côté idéal de l'æuvre poursuivie, mais un asservissement constaut à la tyrannie des idées faites. On lui dit que les cnnaux qu'il a fait creuser dans I'ile de Basile (Vassili-Osh'of), le seul coin de terre ferme qu'il possède dans sa nouyelle capitale, sont hors d'usage, trop étroits pour servir à la circulation; sa pr()mière pensée est de courir chez le résident hollandais pour lui dernander un plan d'Amsterdam, et, compas en main, comparer les dimensions ! J'ai dénoncé pourtant en lur un rdéaliste; je ne m'en dédis

pâs; il I'est dans cette portion de lui-même qui échappe aux hasards et aux incohérences de son inspiration journalière; il I'est à sa manière par la subordirration générale de sa pensée et I'immolation constante de sa personne à un but qui n'a rien de matériel et d'immédiatement tangible : la destinée grandiose qu'il croit tlévolue à son pays. Non pas c1u'à travers l'emportement et le tumulte perpétuel de sa carrière, et dans la courte portée de son rayon visuel, ce but ait pris jamais des contours très précis. Le {irnreux testament qui a tant défrayé I'ingéniosité des politiciens n'est, je le montrerai plus tard, qu'une rnystification à laquelle il est resté tout à fait étranger. L'horizon lointain auquel tencl sa course garde à ses yeux, précisément parce qu'il est si lointuin, des aspects inceltains, des lignes confusesr ![uelque chose de flottant entre un canrp en marche rernpli par le ti'acas des armes et nne ruche en activité féconde, un fcryer de vie inclustrielle, intellectuelle, artistique même. Il rôve donc, oui, mais les yeux grands ouverts;donnant satisfaction, même sur ce point, à son esprit positif, ce rêve, ce fantôme de puissance et de gloire, il arrive à l'étreindre presque et à le posséder par la vigueur de sorr ef:fort et l'énergie de sa foi. Il fait plus : cette hallucination du devenir lointain, prodigieux, il en assure la continuité en I'imposarrt à ses sujets; despote sublime, il la {ait errtrer, à coups de bâton et à coups de hache toujours, dans la rnoelle de leurs os. D'un peuple de brutes il fait un peuple d'illurninés. Il laisse

PHYSIONOMIE MORÂLE.

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après lui plus qu'une légende, une leirgion, qui, au rebours des autres religions, se spiritualise, au lieu de se matérialiser dans les consciences naives où elle a été déposée. La Sainte
Russie d'aujourd'hui, pratique comrne lui, brutale comme lui et mystique par-dessus le marché, que I'on voit, Messie polycéphale, disposée à régénérer la vieille Europe en la submergeant, est fille de ses æuvres. Oui, c'est un idéaliste; oui, c'est un rêveurl oui, c'est un grand poète en action, ce bùchelon aux mains calleuses, comlne le sera Napoléon, ce soldat rnathématicren, avec moins d'extra\msance dans les conceptions (je parle de Pierre), une conscience plus judicieuse des possibilités et une prise plus réelle sur I'avenir.

IV

Caractéristique et singulier entre tous, dans cette physionomie qui, vue par certains côtés? apparâît presque difforrne à force de contrastes, est le trait de bouf fbnnerie énorme et

constante, coifl'ant d'un bonnet d'arlequin cette tête impérieuse, mettant une grimace de pitre sur ce masque sévère, et partout, toujours, à travers les vicissitudes d'une carrière si remplie de grands événements et de grancles actions, mêlrrnt le grotesque au sérieux et la farce au drame. Cela conrmence très tôt, à I'aube même du règner par les travestissements que le jeune mattre adopte pour lui-méme et qu'il irnpose à ses amis et à see collaborateurs de la première heure. En l6gb déjà le prince Féodor Rornodanovski joignait au titre de généralissirne celui de roi de PresbouT'g) et, en lui écrivant pour I'entretenir des choses les plus sérieuses, Pierre ne rnanqtrait pas de I'appeler Min Her Kenich. fl signLrit i c De Votre Nlajesté le très obéissant esclave, Knech Piter Kornondor u , ou u Ir Daheleir Kneh r, , ce qui avait un sens intelli6ible pour' lui 9eul. Il annoncait, à tout propos, la résolution de verser jus-

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L'HOMMB.

q .; rï la dernière goutte de son sanrî porrr le service de ee sou-

verrrirr de fantaisie. En même tenrps, Zotof, son ancien précepteur', était créé arcbevêque de I'resbourff, patriarche cles rives de la Iaouza et du Koukoui entier (surnom d'origine incertaine donné au quartier du .t'aubourg at,lemand); Tihon Niliititch Str"echnief devenait Pape; on Iui écrivait : u Très Saint pils 'r et u Yotre Sainteté ,r , €t on exigeait que les rdponses fussent dans le méme style, eussertt-elles le caractère de lettres d'a{rlaires ou de rapports olficiels. Romodanovski adressait les siennes r, à \{onsieur le bombardier Pierre Aléxiéiévitch o, et terminait, de souverain à sujet, par un€ simple for.mule de bienveillarrce. En mai 1703, après la prise de Nieuschanz, Pierre, servant de secrétaire au feld-maréchal Chérémétief, rédigeait de sa rnain un rapport ( au Roi , , c'est-à-dire à Romodanovski, pour lui annoncer que lui et Menchikof avaient été, sauf I'aç'probation de u Sa Nlajesté " , promus par le feld-maréchal au grade de chevaliers de SaintAndré. Et le parti pris est si absolu qu'il survit aux acterrrs de la burlesqtte courédie ; en 1719, Féoclor Romodanovski venant à mourir, titre et privilè6;es de sa royauté imag;inaire passent à son fils Ivan,€t, félicitant liar une lettre de sa main le capitaine Siéniavine d'une victoire remportée sur rner? Pierre se dit assuré de la satislàction qu'en éprouvera a Sl
Nlajesté

Le 3 février 1703, i[ écrità l\[enchikof, en I'appelant umon cæur n , pour lui faire part de I'irrauguration d'un fbrt, construit dans une terre dont il lui a récentment fait présent et baptisé du nom d'Oranienbourg. C'est maintenant llanenbourgr dans le gouvernement de Riazan. Le métropolite de Kief a présidé la cérémonie. Ce prétendu métropolite n'était qu'un des compagnons de plaisir tlu vrai souverain et non pas I'un des moins débauchés, Moussine-Pouchliirre. un plan de la fbrtelesse est joint à la lettre avec I'indication, {hite
comme

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il suit,

des noms dorrnés aux bastions

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Gor.Iror, t. VII, p,26b.

PHYSIONO}IIE }IORALE.

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Pour le baptême, on s'est servi, au ba.çtion numéro un, d'eau-de-vie; au numéro deux, cle lir'o'ade; au nulnér.o trois, de vin du Rhin; au numéro quatle, de biere; ru nunréro cinq,
d'hydromel. Les assistants au nornbre tl'une vingtairr", dorrt les envoyés de Prusse et de Pologne, l(eyserling et Iioenigseck, le marchand anglais Stiles et plusieur.s Nloscovites de marque signent cette lettre en substituant à leurs noms des sobriquets plaisants, et Nlenchikof y r.épond sur un ton très sérieux, car on a Ie Suédois sur les bras et on ne peut pas rire tous les jours, mais non sans remercier son auguste arni pour I'horrneu. qu'il lui a fait e' s'enivr.ant chez rui (l). En 1709, quand il s'agit de célébr.er à Nloscou lavictoire de Poltava, un énorme palais en bois est constr.rrit sur le 'l'sat.it;ine Lougue. Dans la salle d'aurlience Romodanovski prencl place sur un trône, entouré des principaux digrritaires de la cour, et convie les chefs d'ar.rnée victorieux à lui présenter leur rapport sur les pdriptjties et, I'issue heur.euse d.u combat.
(l)
Ecrits et Correspondance, t.

II, p.126.

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Chérémétief s'avance le premier : u Par Ia grâce de Dieu et le borrheur de Votre Majesté Césarienne, j'"i auéanti I'armée u Par la prâce de Dieu et le bonheur de Votre srrédoise. ), N[ajesté Césalienne, répète Nlenchikof à son tour, j'ai capturé,

à Pérévolotchna, le général Loewenllaupt avec son corPs d'armée. , Pierre vient le dernier : ( Par la grâce de Dieu et le bonheur de Yotre Majesté Césarienne, j'ai combattu victorieusement à Poltava avec mon régiment. ,, Tous les trois remettent au faux César les bulletins réglementaires et s'écartent en s'inclinant; après quoi on introduit et fait cléfiler devant lui les prisonniers snédois stupéfaits. Iln banquet, auquel cet étrange substitut du souverain assiste en prenant place stlr une estrade élevée de quelques degrés et recouverte d'un dais,

et en daignant convier à sa table le colonel Pierre Aléxiéiévitch, terrnine la cérémonie (l). pour justifier ces pasquinades, qui, à un moment et dans des circonstances aussi solennels, ont quelque chose de révoltant, or) a essayé cle cliverses intet'prétations : c'est le prirrcipe de la subordination que Pierre aurûit voulu inculquer à ses sujets en paYant d'exemple I c'est Ie souvenir du
dc tous les rangs et de toutes les préséances. Il est possible qu'il ait songé, en effet, à tout cela. On aperçoit chez lui une
miesrnùchest'uoqu'il aurait cherché à anéantir par cette confusion

intuition profonde tle ce qui fait le fbnd de toute discipline : obéir pour être obéi, servir pour être servi. ,r .fe sers... n deptris que je suis dans le service u , sont des expressions c1u'il ernployait constamnlent. Et non moins apparente et con stante était sa préoccupation de rendre flamilier à ses sujets, de nrettre dtrns leurs Yeux et dans leurs âmes I'idéal supérieur auquel il sacrifiait sa vie et auquel tout devait être sacrifié, qui exigeait tout de tout le rnonde et devant qui rien ne pas rnême le Tsar ! Ces arrière-pertsées sont procornptaitr bablls au fond des mises en scène pareilles à celle que je viens de montrer; mais les rnoyeus dont Pierle usait pour Ies
(1") Gonxor,

t. XI, P' 567 et suiv.

PHYSTONOMIE MONÂLE.

t65

faire valoir procédaient directement et uniquement de sa fantaisie, de son goût pour le travestissement, la farce et la mystification, d'une Iicence d'imaginirtion enfin que nul sentirnent de convenance ou de respect et pas rnême le respect de soimême n'était susceptible cle réprimer. Les mascarades étaient fort en honneur à ce moment, ne I'oublions pas, chez ses voisins de I'Occident; et depuis longtemps elles avaient acquis droit de cité en Russie. Ivan le Terrible en raflblait. Pierre n'a fait à cet égard que suivre la mode courante, en I'exagérant, comme le voulait I'espèce de nrégalopsie et de mégalogénésie inhérente à son génie, et, ainsi outrés, les moyens clépassaient notoirement les intentions en se retournant contre elles. Il a fallu la docilité extrême d'un tempérament national plié à toutes les formes du despotisme polrr que I'idée méme de la souveraineté ne sombrât pas au fond des consciences à travers ces épreuves I alors surtout que les déguisements les plus imprévus, les moins justifiables clu souverain allaient jusqu'à ravaler en lui la dignité humaine ellemême au niveau des plus honteuses abjections. En lGgB, au retour de son premier voyage à l'étrangtr, je le vois dans un cortège ou le pseudo-patriarche Zotof , coi['fe d'une mitre sur laquelle est figuré un Bacchus obscène, conduit une troupe de bacchantes débraillées, portant sur leurs têtes, en guise de pampres, des paquets de tabac allumé (l). Je saisis bien là une allusion au monopole dont le marquis de Caermarthen vient de se rendre I'acquéreur, et par conséquent une intention politique ; Ie procédé choisi pour le faire valoir paraîtra choguant. La même année, au lendemain d'un jour d'exécution, cent cinquarrte Strelts_1, ayant expiré la veille dans des supplices e{'frovables, Pierre est encore en gaieté ; il retient à dîner I'envoyé de llrnndebourg qu'il a reçu en auclience de congé, et, au dessert, le régale d'une scène de bouffonnerie, dans laquelle, après avoir distribué ses bénédictions aux assistants avec deux pipes mises en croix, le f'aux patriarche donne le signal des

(l)

Konr, p. 1t5.

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danses. Le tsarévitch Alexis et sa s(Enr Nathalie assistent à ce

divertissernent derrière une tenture que I'on entr'ouvre pour leur en donner le spectacle (1). Yingt ans plus tard, ce seront les mêmes jeux. Pendant le carnaval de 1724, une bande de soixante à soixante-dix individrrs, genlilshommes2 officiers et prêtres, ]' corrtpris le confesseur du 'l'sar Nadajinski, bourgeois et gens du peuple, dont un matelot qui marche la téte en bas en faisant des grirnaces et contorsions burlesques, accompagne le souverain à travers les rues. Ces gens, choisis parmi les plus grands ivrognes et les plus vils débauchés du pays, constituent une confrérie régulière, se réunissant à jours fixes, sous le nom de u concile étranger à la tristesse " (bezpiétchalnyî sobor), et se livrant :\ des orgies qui se prolongent parfois pendant vingt-quatre heures. Des dames étaient conviées parfois à ces réunions, et
les plus hauts fonctionnaires, ministres, généraux, des hommes

de pords et d'âge, étaient fréquemment tenus de prendre part anx plaisirs qu'on t'y donnait. En janvier 1725, uû octogénaire d'illustre famille, Mathieu Golovine, doit Par
ordre figurerdans un cortège, costumé en diable. Comme il s'y ref'use, sur un mot de Pierre, on s'empare de ltri, on le désha-

bille complètement, ot le coiffe d'un bonnet à cornes en carton, et on le tient assis, une heure durant, sur la glace de la Néva. Il en &agne une fièvre chaude et meurt (2). Pas un événement pendant tout le cours du règne qui ne
soit prétexte au retour de scèu.es pareilles, la paix de Nystadt aussi bien que le mariage d'un nain favori. Le nain venant à rnourir, Pierre met des rnasques derrière son cercueil conrme

Tous les nains de Pétersbourg paraissent ainsi en l7 24 à I'enterrement de I'un d'eux, vêtus de noir et suivant un minuscule corbillard attelé de six petits chevaux espagnols. La mêrne annde, penclant une nascarade qui dure huit jours, rléfense est faite aux sénateurs d'ôter leurs masques même dans la salle de leurs
(L) Konn, p. lL8.
(È1 Dor,conuilBoF, Illintuircs,

il en a mis autour de son lit nuptial.

t. I. p. 'l36"

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et pendant les heures consacrées à I'expédition des affaires (l). Pierre a possédé un nombre consrdérable de fous de cour.
séances

Strahlenberg (2) cite une liste dans laquelle figurent des noms illnstres à d'atrtres titres : Zolof , 'Ioulguénief , Chanskoi , Lanine, Chahofskoï, Talakanof, Kirsantiévitch et Ouchakof, le plus apprécié de tous. Ces noms s'expliquent: Flogel, clnns
son histoire cles fous de cour (3) , en distingue dans I'entourage du

Tsar quatre catégories : lo les fbus par infirmité naturelle, dont le souverain se fait un irmusement; 2" les fous par punition, condarnnés à exercer Ia folie pour avoir manqué de sa,gesse dans leurs fonctions antérietrres ; c'est le cas d'Ouchakof, qui, capitaine dans un régirnent de garde et envoyé de Smolensk à Kief avec des dépêches urgentes, arrive la nuit devant la ville, trouve les portes fermées, et, comme on talde à les lui ouvrir, tourne bricle, refait mille kilomètres et vient se plaindre de sa
déconvenue I 3n les fous par simulation, jouant la folie pour échapper à la rnort après avoir été impliqrrés dans quelque complot; Pierre s'avise parfois du stratagèrne, mais ju6e su(fisante la peine que les misérables ont choisie I 4" Ies fous par insuf fisance d'instruction ; envoyant à l'étranger un gland nombre de jeunes gens, Pierre leur demande cornpte à leur retour cles études qu'ils ont dû y faire; ceux qui ne gagnent pas des boules blanches à cet exarnen échappent à des châtiments plus sévères en prer)ant la marotte en rrrain. A l'époqrre du gr.and règne, ces bouffbns attitrés avaierrt aussi, il est vrai, un r.ôle et rrne

impoltance politiques I ils cornulétaient la police du Tsar. A table, ils racontaient à voix harrte et impunément les méfaits de ses ministres, disaient leur-c vols et leurs concrrssions. Pierre les chargeait rnéme parfois d'en tirer vengeance; ils prenaient soin alors cl'enivrer le coupable au milieu d'un banquet, lui cherchaient querelle cJuand il avait suffisamment bu, (l)
Brncuor,z, Bùschings M., t. XXII, p. t+86 et suiv. (2) nas Nordund Oestliche T'heil uon Europa und Asia, Stockholm,
| 7t19,

1730,

p. 235.

(il) Gerchit:lûe det IIu!trttt't t:tt, Li.,grritz,

p, /+09.

168

T,'HOMME.

et le rouaient de coups (1). La liste de strahlenberg ne contient pas les deux noms les plus farne*x de la burlesque et lamentable Iégion : celui du Russe Balahiref et du portugais d'Acosta, uD parent sans doute du célèhre converti tlriel. A ce dernier Pierre a confié les fonctions de directeur général, organisateur des boufFonneries et chef du personnel qui y est employé. Bn l7l3 il l'a créé comte par-dessus le marché et han des Samoyèdes. Cette dernière promotion donrra Iieu à toute une série de céré'ronies burlesques, dans lesquelles figurèrent plusieurs familles de vrais samoyèdes, tirés du fond de la Sibérie pour la circonstance. Déguisé en Samoyède. coiffé d'une paire de bois de cerf immenses et ceint d'un ruban jaune auquel pendait une médaille a\rec le nom d'Actéon gravé sur une de ses {aces, un cuisinier de I'Impératrice y parut aussi. Pierre en faisait occasionnellernent un émule d'Ouchakof et Balakiref, et très fréquemment son souf lre-douleur préféré. Le pauvre diable ayant une femme qui passait pour légère, le Tsar ne manqrrait jamais, dès qu'il le voyait devant témoins, de lur mettre deux de ses doigts audessus du front, en un geste symbolique (2). En elles-mêmes, ces façons de se divertir, si grossières qu'elles semblent, aujotrrd'hui surtout, pourraient échapper à la critique; elles étaient Ia contre-partie naturelle et pour ainsi dire nécessaire d'une existence vouée à un labeur qui, sans elles, etrt excédé la limite des lorces humaines, rnême dans une nature aussi exceptionnellement robuste que celle de Pierre. Le grrand homme y a cherché instinctivement une détente pour ses nerf's surmenés, et, excessif en tout, n'a pas su y éviter les pires excès. On peut juger même qu'il en a racheté le côté déplaisant, cynique ou inhumainr pâr la joyeuse désinvolture et la large bonhomie qu'il y a habituellement appoltées. Un demi-siècle plus tard, ChristianVII de Danemark faisait juger et condamner à mort un comte Brandt qui, pris à partie à raison de ses infbrtunes conju6ales, s'était emporté
(L) Archives du prince Kourakine, t. I, p. 73. (2) Scnunrn, t. lII, p.56; Brncnor,z, Btischings M.rt. XIX, p.87

P

I{YSIONOMI Ii MDHAI,E.

169

jusqu'àlever la nrain sur le souverain. Pierre essuie sans broncher les coups de poing du nraître queux cle 0atherine quand celui-ci, d'trventttre, n'est Pas d'humeur à se I ai sser plaisanter ( I )' On pensera qu'il aurait pu Prendre ses sujets de plaisanterie ailleurs que dans les cuisines. Mlis c'est sa manière. Il n'est pas aristocrate. Très peuple, au contraire, par certains traits de rusticité, deverve humoristique et d'enfantine gaieté qui le rapprochent de la plèbe de tous Ies pays, autant que la tendance ge,ré.al" de son esprit etde son caractère le distingue de l'éiément 1rlébéien local et I'en écarte; très initié par ses prerniers compagnons, les koniouhy, aux mæurs et aux façons poprllaires, et devant en partie à cette initiation sa science des masses et sa maîtrise pour tes gouverner. Je I'ai montré Penclant les fêtes de Noël s'adonnant à la pratique àu slaul':tié (de Christa slauit, louer le Christ), traditionnelle dans les basses classes I chantant les louanges du Seigneur aux poltes des maisons et réclamant les gratifications usuelles. Un jour, Ie plus riche marchand de Moscou, F-iladieF, refuse de {:aire preuve à cette occasion d'une générosité suf$sante I Pierre ame.,te aussitôt tout un quartier devant sa demeure et lui impose une rancon d'un rouble par tête de manilèstant (9). f)rrc part de son génie apparaît 1à, dans cette aptitude à

*"rn,r.rlnfbule,-€rfaisantappelàsesinstinctslesplusbas' Le côté vraiment scâbreux de ces plaisirs et de ces délassements $'accuse, d'autre part, tlans la conlusion volontaile qrre Pierre y a maintenrte entre la folie et la raison, la mascarade et la vie sérieuse. Comtes et patriarches pour rire, bouf{bns et arlequins cumulaient et mêlaient couramment leurs dignités et leurs attribrrtions carnavalesques avec d'autres titres et cl'autres fonctions qui en faislient ou auraient dù en faire des . Zolof était garde des sceaux ! Ivan personnages très

Goloviner c[ui n'entendait rien à la marine, bien qu'il eirt accompagné Pierre en Hollande, était nommé ' pour cette raison, chef de I'amirautd. Le souverain et ses amis y trou'
(r) Bencuor,z, Btischings M,, t,XIX' P, 87. 16'\ I{onr, p. {.01.

Braves

170

L'HOMME.

vaient un agréable préi.exte à quolibets I mais la flotte, qu'il était usuel panni eux de désigner comme la t'amille d'lvan Mihailovitch, en buvant à sa santé, ne s'en portait pas
mieux.
d'excuse pouvant servir à ces comme le point faible nettement se révèlent égurements ; ils jeté trop en dehors des voies communes' d'un esprit strpérieur, que l'éducation, la traclition, le du contrepoids déporrr.vu trop milieu social maintiennent hallituellemetrt dans les natures Ies plus indépendantes, poul garder l'équilibre dans le vide au sein duquel il se rneut et se trace lui-rnême sa voie.

Il n'y a pas de justification ni

v
L'institution publique, officielle, du fàux Patriarcat, à Iaquelle j'ai déjà fait allusion, a-t-elle eu pourbut, corttme on I'a prétendu, de préparer la suppression du vrai? J'y consentirais volontiers I mais combien périlleux encore ce chemin détourné! Pierre ne risquait-il pas d'y laisser, dans quelque ornière, la dignité du clergé tout entier et I'iclée même de la religion? Il ne s'agissait, a-t-on dit, que d'une parodie de la papauté. J'en doute. Je vois Zotot désigné altemativement sous le nom de Knes-paya et de Patriarche. Bt, en mettant à côté de lui le faux César Romodanovski, quel titre, quel rang, quelle {bnction Pierre a't-il cherché à ridiculiser et à avilir'/ J'ainre rnleux croire qu'il a Poursulvi surtout I'amusement d'un esprit prédisposé aux fantaisies et aux excentricités en veltu de certains germes ataviques de despotisme oriental,
de certains vices de constitution et de certaines lacunes d'éducation première. Que des intentions plus sérieuses se soient parfois mêlées, qu'elles aient même servi de point de départ

à cette truculente et licencieuse débauche d'imagination, je o'y veux point, contredire, mais elles ont vite dispalu,

PHYSIONT}ÙI TE MONAT,E

l7t

Ia note vraie, en ce qui concerne du moins I'ideniité morale d. personnage, bien qu'il s'agisse ici d'un successeur donné

l72l: a Le Patriarche dont j'ai parlé ci-dessus et qrr'on appelle ici Knes-?apû est un ivrogne de profession que l" tro. " choisi Iui-'rême pour tourner en ridicule son ci".gé. , voilà
à Zotof. Pour le reste, la discussion reste ouverte. Tourner en ridicule son clergé, Pierre y a-t-il vraiment songé ? Avilir Ie Patriarcat, comme autorité rivale de la sienne, oui,
1l)
Y,ry. l'étrrtle,le M. Iven Nossovrrcu, rlaus r'drrtjquit/ t'trtse,lgzh,lt.7ï5.

ernportées, no]'ées par son flot tumultueux et bourbeux. Ce n'est pas I'avis d'un apologiste récent, assez convaincu pour s'étonner que personne ne se soit avisé, avant lui, de la profoncleur réelle et continue des desseins et des calculs mis ainsi en jeu par le grand souverain. comment n'a-t-on pas vu qu'il s'agissait pour lui de cacher à ses ennemis le secràt des lorces préparées clans I'ombre contre eux et le travail de sa pensée appliqué à leur anéantissement? Ivres pendant Ie jour ou se donnant I'air de l'être, le Knes-papa et son conclave emplol'aient la nuit à un labeur acharné. La correspondance dtr faux pontife avec son diacre (pierre lui-même prenait ce dernier titre) n'était, avec ses divagations apparentes et ses plaisanf eries ord'rières, qu'un artifice crl,ptographique. ainsi àurru la lettre de zotol au Tsar, portant Ia date du 28 février 1697, le cnrnaual avec ses compagnons : Iuachka (l'ivrognerie) et réremlta (la débauche), dont pierre était engagé à1e défier, servaient à indiquer I'astucieuse et servile pologne, airr*i que ses alliés, I'hetman des cosaques et le han des Tatares fl). L'interprétation n'est même pas ingénieuse. Imagine-t-on I)ierre et ses collaborateurs prenant tant de peine, en 1697, pour convaincre suédois ou Polonais de Ia pauvreté de leurs ressources ! Celle-ci n'était que trop apparente à ce moment, et c'est u,e tout autre erreur d'optique qu'irs auraient eu intérêt à produire. Quant à concevoirles nuits labor.iduses d'un zotof , mon imagination s'y refuse absolument. Je lis dans une dépêche de I'en'oyé fra'cais camprerlon, à Ia date du 14 mars

L72

L'HOMME.

peut-être. L'usage a voulu jusqu'à présent que le jour des Rameaux, à Moscou, le Tsar parùt dans une pt'occtssion solennelle, conduisant par la bride la mule du Ptrtriarche. La suprématie du pouvoir ecclésiastiqrre, consacrée Par le rôle prépondérant du patriarche Philarète au côté du Premier des Romanof, s'est ainsi affirmée d'année en année. Pierre remplace la procession par le cortège burlestlue de son Knes-1,apa, monté sur un bæuf et suivi d'une foule de voitures traïnées par des porcs, des ours et cles boucs (f ). L'intentiorl politique est ici manifeste. Mais, manifestemerrt aussi , elle s'obscurcit rapidement et se dégrade à travers les avatars successifs de l'énorme et irrévérencieu.ie parodie, qui ne Perrnettaient à un témoin très avisé, tel que Yockerodt, d'Y apercevoir autre chose que pure détrauche d'esprit et de corps (2). Le phénomène réclame pourtant une autt'e explication. Il a trop d'étendue, de profondeur et de durée Pour que je le suppose émanant d'une inspiration individuelle, si fantaisis[e et licencieuse soit-elle. Et je trouve en effet que I'ironie, la satire, la mise en scène comique ou caricaturale de tous les actes importants de la vie faisaient partie d'une tendance très générale à l'époque qui précècle imrnédiatement l'avènement de Pierre. Peut-être faut-il y voir une contre-partie du courant ascétique dont j'ai parlé, et que j'ai montré aboutissant à la négatron de toutes les manifestations de la vie sociale (3). Quant à la forme palticulière que Pierre donne à cette tendance, ou qu'il contribue peut-être seulement à lui donner, n'a-t-elle pas un lien
mâis de parenté avec les excès auxquels en d'autres tempsr sous I'action de nous retardons ici de cent ans au moins, prétendues influences démoniaques, I'imagination et la passion populaires se sont livrées en d'autres pays? On se rappelle les orgies des subbats nocturnes etdes nresses noires, si répandues en F-rance au colnmencement du dix-septiènre siècle (4).,
(f.) Brnonorz, Bûschings M., t. XIX, p. 128. (2) Vocxnnoor, d'après Flannu,ruu, p. [9. (3) Zlnrrr.Irn, /da des T.sarines, p. 426. (A) Voy. Mlcner,nt, Hist. de France, édit. Flammarion, t. XI, p. 54.

PTIYSIONOMIE MOR

A T,E.

r78

et dont les mystifiantes inventions des occultistes modernes
ne sont gU'un pâle reflet. L'analogie des causes semble confirrner" sur ce point I'analogie des faits. Une révolte, ici et là, de I'esprit et de la chair, que comprime et meurtrit pareilleruent

le train-train orclinaire de la vie et qui, de rnême fâcon, en quête d'un soulagement momentané, s'échappent, se précipitent au dehors du réel, au dehors de la lor, de la religion et de la société. L'étrange est que Pierre ait présidé h ces saturnales. Nlais n'avait-il pas les mêmes besoins, subissnnt la commune loi, consentant lui aussi, et tout le premier, à s'enfermer dans le terrible cercle de fer forgé par ses oukases'l

Je dois, d'ailleurs, en venir aux faits qui paraitront concluants, je pense. L'origine de la mise en scène profanatrice dans laquelle le pape ou patriatehe 'Lotof et ses successeurs ont figuré, remonte, je I'ai dit, au-\ premières années du règne; mais le clécor s'en est développé successivement. Après avoir créé un pontife, Pierre arrivait à lui adjoindre des cardinaux, rur conclave. C'était le vsiécltoutchieiclryî ou Ysiepiianieichyi Sobor, conclave ou concile des plus fous oa des plus it,rognes, une institution fixe, olficielle presgue. Il en conrplétait d'année en annéc I'organisation, inventant, récligeant de sa main statuts et règlements, y travaillant jusqu'h la veille de la bataille de poltava (l)! Comme mernbres, les plus crapuleux de ses compagnons de plaisir, aux(luels il adjoignait tluelques hommes d'esprit sérieux et de rnæurs austères, soit par caprice brutal de tlespote, soit pour mieux avoir ccs derniers clans la main en Ies avilissant. Les élus devaient d'abord se rendre à la maison clu Knes-papa, appelée trraticununr, pour lui pr:ésenter leurs hommages et leurs remelciements. Quatre bègues, concluits par un valet de chambre du Tsar, ieur servaient de trucheruents pour cette cérémonie, au cours de laqtrelle on les revêtait rle la robe rouge qu'ils devaient porter désormais. ainsi accoutr,és, (t) Voy. l'étutle de L
Nosovrrcu. Comp. SrÉurnvsxr., Slous

i Dielo, p. ZSt

L7 t+

L'H

O

U.\IF].

ils pénétraient da's urre saile dite du consistoire, dont tout Ie mobilier .re co'lposait de fntailles r.angées autôur des murs. Au fond, sur un entassement d'objets àmblématiqucs, barr.iques, verres et bouteilles, le trô'e du lhes-papa. IJtt à.n, les cardinaux défilaient devant lui, receyaient un verre d,eau-de_ vie et entendaient cette formule : n Reuerend,issrne, ouvre la bouche, avale ce qu'on te do'ne, et tu nous diras cle belles choses. u Après quoi, tous ayant pris siège s*r les futaiiles, la séance était ouverte et se pr.olon,.;eait penda't de Iongues he'res en un mélarrge de libations et cle quolibets. Le concl.ve se te'ait dans une maison voisine, où I'on se rendait proces. sionnellement, le Knes-p(ry)a ou\rant Ia marche, à chel,al sur un tonneau gue traînaient quatre bæufs. De faux moines I'en_ touraient, Jacobins, cor.deliers. Le froc clu père cailleau, u' cordelier français établi à Moscou, aservi demodèlepourleur dégrrisement. Pierre aurait même voulu avoir le moine ltrimême dans son cortège, et u'* cécré que devant I'opposition énergique du ministre de France. vêtu en matelot holiarrdais, il e' di.igeait habituellement la marche. une galerie spacieuse 6arnie d'étroites couchettes attendait le* *"rrrbres du con_ clave' Dans les ruelles, enco'e des futailles sciées par le milieu et destinées moitié pour les provisions de bouche, moitié pour Ie soulagerne't des besoins naturels. Défense aux prétendus cardinaux de q'itter leurs couchettes avant le terme du conclave. Des conclavistes attachés à chacun d'eux avaient pour mission de les faire boire, de les excrter aux plus folles **truvagances, aux facéties les plus orclurières, et aussi, dit-on, de les faire parler à cæur ouve.t. Le Tsar él-ait lÈr, écoutant, et prenant des .otes sur ses talrlettes. Le conclave durait trois iours et trois nuits. euand on ne s'y occupait pas d'éhre un nouveau Pape, le ternps était enrployé en discussrons portant pal exemple sur la qualité d'un vin déclarej nauvais par I'un
des carclinallx.

En I 714, pour varier la monotonie cle ce prCIsrûmrne, pierre imaginait de marier Ie lines-papa zotof , vieillard de quatrevingt-quatre ans et père '{e fils seryant avec distinctior, d"rrc

PHYSI()r*OMIB MORALE.
I'armée.

lr6

L'un d'eux adressait en vain une supplique au Tsar,

pour que cette honte fùt épargnée à la vieillesse de son père. La fiancée était une noble dame, Anna Pachkof , clui approchait de la soixantaine. D'immerlses préparati['s ftrrent faits pour la célébration de ces noces sans précédent. N'orrblions Pas que Ia guerre du Nord sévit toujours à ce moment avec son cortège lugubre de deuils quotidiens et de sacri{ices épuisant Ies ressources du pays. Bt voici que quatre mois àl'avance ordle était envoyé à tous les seigneurs et dames de la cour de se préparer à jouer un rôle dans la cérémonie en vue et d'envoyer au cltancelier, comte Golovkine, une description détaillée des déguisernents adoptés, afin qu'il ne s'en trouvât pas plus de trois semblables. Figurants et costumes étaienl passés deux fois en revueT te l2 décembre t7l1l et le l5 janvier 1715, par Pierre en personne. I[ écrivait de sa main toutes les instructions et dispositrons ayant trait au cérémonial imaginé pour la circonstance. Au jour fixé, srrr un signal donné par le canon de la lbrteresse de Saint-Pétersbourg, homures et femmes devant laire partre de la mascarade se réttnissaient,les premtet's dans la maison du chancelier, le.s secondes dans celle de la princesse'abbesse 0ar il y avait maitrtenant aussi une princesse-abbesse, maclame Rjevski, u agile et complaisante, mais toujours ivre commère , , ainsi que I'appelle un contempolain. Celle-ci, après sa mort, sera remplacée par la princesse Annstaste Galitsine, fille du prince Prozorovski , une grande arnie de Pierre, traitée par jusqu'à ce qu'il la fasse (buetter puIui comme une sieur, bliquement dans la cour de I'hôtel de la haute police à Préobrajenskoié. Elle sera accusée alors de complicité avec Alexrs, après avoir été chargée de le surveiller et de I'espionner. Elle rerrtrera en grâce en acceptant la succession de madame frjevski (l ) . Le cortège se forme devant le palais du Tsar, et, traversant la l{éva sur. la glace, va joindre, sur l'autre rive, l'église des Saints pierre et Paul, ou un prétre nonagénaite, gtr'on est alki it)
Dor,eonouKoF, ùlémotres,

t. l, p. 7b.

t76

L'HO M M E.

chercher jusqu'à Moscou, attend les mariés à I'autel. En tête vient Romodanovski, le faux César', en roi Dauitl, portant une lyre recouverte d'une peau d.'ours. Quatre ours sont attelés à son traineau, et un cinquième se tient derrière, en guise de valet. Frappés à tour de bras sur tout le parcours, ces animaux poussent des cris affreux. Sur leur traîneau très élevé, les mariés, qui suivent, entourés de Cupidons, ont par devant, sur Ie siège du cocher, un cerf porteur d'énormes cornes, et un

bouc par derrière. Le faux Patriarche a endossé Ie costume pontifical. Tout ce qu'il y a de grand dans Ia capitale, mrnrstres, aristocratie, corps diplomatique, le prince Nlenchikof, l'amiral comte Apraxine, le général Bruce, le comte Vitzthum, envoyé d'Auguste II, en bourgmestres de Hambourg jouant de la vielle; le chancelier, les princes Jacques et Grégoire Dolgorouki, les princes Pierre et Dimitri Galitsine, en Chinois iouant du chalumeau; le résident de I'Empereur, Pleyer, Ie ministre de Hanovre Weber, le résident de Hollande, de Bie, en pâtres allemands jouant de la cornenuse, sont là, quelques-uns honteux et contraints, mais Pierre n'en a cure. Quelgues seigneurs, Michel Glebof, Pierre et Nikita Hitrof, ont éLé dispensés de paraitle avec un instrument de rnusigue, rr pilfcê que leur vieillesse trop avancée les rend incau pables de se servir cle leurs mains , . hfais ils ont dûr faire acte de présence. Le Tsarevitch, en chtrsseur, joue du cor. Catherine est en Finlandaise avec huit dames de sa suite; Ia vieilltr tsarine Marfa, verve du tsar [idcdor, €r Polonaise; la princesse d'Ost-Friesland en vieux costume allemand, toutes jouant du chalurneau. Pierre, en matelot cornme à I'ordinaire, bat du tambour. Vénitiens tirant des sons aigus de leurs sifflets, sauvages clu Honduras agitant des lances, Polonais raclant des violons, Kalmouks pincant la balal.al'k.a (guitare russe) , paJsans norvtjgiens, prsteurs luthériens,, moines, évêques cntlroliques coiflis de cornes de cerf, raskolniks, pêcheurs de baleines, Àrméniens, Japonais, Lapons, Toungouses I'entourerrt d'une foule Ïrigarrée et tapageuse. Le bruit des instruments, les cris des our'.s, le son des cloches

PHYSIONOMIE MORALE.

L77

qu'en février (l). J'aurais mauvaise grâce pourtant à oublier un détail : re jour même clu mariage, .nt.u ra mascarade et Ie banquet, Pierre' sans ôter son costume de materot, trouvait le -oy"o de donner audience au comte vitzthum, auquer, après l,avoir entretenu de matières fort graves, ir remettoit ,rrru rettre pour son maitre, datée de ce mêrne jour et ayant trait aux afririres de Pologne. II recevait aussi Bassewit z et luiparlait des af,faires du duc de Holstein (2). Le trait est admirabre à coup sûrr, mais ce que les circonstances crans resquelres je Ie t.o,rrre pracé ont de révoltant n'en paraît pas diminué. zotot venantà mourir en I717, pierre compose pour l,érection de son su vorum e, où ir insistant particulièrement sur la vérifi"catiorr'du sexe du candidat, d'après I'usage étabri à Rome depuis ra fameuse papesse Jeanne. N'oublions pas encore q,r'à ce moment il attend re retour de son fils Alexis et s'appréte à commencer re terrible procès qui jettera une ombre si douloureuse sur les dernières a'nées de sa vie- Il,'y paraît pas. Le candidats,appeile pierre lvanovitcb Boutourrine. Ir a porté jusqu'à présent re titre c|archevéque de pétersbourg, d".r* re diocès" au, ivrognes, des goinfres et des appartient à une des prus iilustres |all"r. Il milles du pays. pierre *'uJt ,érurvé cette fois ie rôre de protodiacre dans Ia réunion du concraue, dont res membres vont

mises en branle dans toutes les égrises, les excramations de milliers de spectateurs se confondent en une infernale caco_ phonie. Et les spectateurs crient : n Le patriarche (rù) se n marie ! Vivent le patriarche et sa femme ! n Un banquet, tournant à I'orgie, comme on ir.nagi'e, crôture Ia cérémonie, des octogénaires mal à I'aise s,r, l*,r.* jambes y faisant office d'échansons. La Iëte continue re lendemain et se proronge jus-

",iïi iï,;,r"ïffiJ *,J,ï.î,,:ï#.î"::

(4') Gor,rxor, r.

vr, p. 2zg-2g0.
t"" février

ilii;i;Ïslrourg'

génér7{5- archives de r" n"yu. no-"Ëuoo" ov,.xrémoires,

Letrre de de Bie au secréraire des Ét"t.

(2) Gor,rxor, ibid,

t2

178

I,'HOM}IE.

chercher leurs brrlletins de vote entre les mains de la princesse,abbesse, en lui baisant les seins. Ces bulletins étaient figurés par des æufs... Je passe suf des détails irnpossibles à reproduire, ou insipides (l). Quelques mois après, le malheureux Alexis agonise sous le fbuet dans les chamtrres de question, et cependant je vois son père s'attablant avec le nouveau Knes-papa, u le Patriarche ou plutôt la pasquinarle du Patriar( che l , comrne I'appelle Vockerodt, et présidant à des scènes de crapuleuse et réprrgnante débauche ; u Par une Ptlante u force le Patriarche s'dtant à la fin trop rempli le ventre, en u fit du haut de son trône une liqtride déclrarse sur les perru( ques et habits de ceux qui étarent au pied de sa table, ce qui n divertit la comptgnie à merveille (2). ' Bn 1720, oil imilgine de faire épouser à Boutourline la veuve de Zotof, et voilà Pierre en frais encore de drôleries, d'obscénités et de profanations inédites. Un lit est dressé à I'intérieur d'une pyramide qu'on a élevée en l7l4 devant le palais du Sénat, en commémoration d'une rencontre heureuse uo". les Suédois. Il faut bafouer jusqu'à Ia victoire, jusqu'au sans versé pour la défense du pays, jusqu'à sa propre gloirel On couche les mariés après les avoir retrdtts ivres morts et on les fhit boire encore dans des verres dont la fbrme ntême est un outrage à la pudeurl puis, par des ouvertures pratitluées dans les parois de la pyranricle, on donne à [a lbule Ie spectacle que Louis XV se donnait, dit-on, au tttariage de ses enfunts. Le lendemain, le nouveau Knes-pa7ra inaugule son pontificat en distribuant des bénédictions , à la ntanière des prêtes russes, à un cortège de mtrsque.s qui viennent le visiter dans sa demeure (:l). Ce pontificat est de courte durée, et, à la date clu l0 septembre 1723, je lis dans une dépêche de campredon : r< f,â a cérémonie d'installation du nouYeau Patriarche se fera à
SrÉrrrrvsxr, ,S/ouo i Dielo, p. 28f et suiv.l Sfirnnnn, t' II, p' t63' (Z) n"t^tion attribuée par Herrnrann à Marrlefeltl, envol'é de Prusse, T nrai Lfilj. prtrr. cl. Gros.te u,,cl der T'sateuitch Ale.tei, Leipzig, [880, p. 211. j1720' Aff (B) DépAche cle la Vie, résident fi'ancais, Pétersbo_urg, & octobre

(l)

ér.

âe France. Bnncuor.z, Bùschings 1l1.ot. XIX,

p' L27'

PHYSIONOMIE MORALE.

L7g

., Moscou. Le lieu du conclave est une petite île voisine de u Préobrajenski, où il y a une maison de paysan. Les préu tendus cardinaux s'y assembleront le jour qui leur sera indiu qué I on les {"era boire pendant vingt-quatre heures du vin n et de I'earr-de-vie sans leur permettre de dormir, et, après a cette belle préparation, ils nommeront leur patriarch. (i). , Il ne peut y avoir deux manières de jrrger ces turpit.des et ces aberrations. on peut différer seulement sur la laçon de les expliquer. Je m'en tiens à celle que j'ai indiquée déjà. Pierre est Ie représentant d'une société en voie de formation, dans laquelle les prémisses historiques et son i'itiative personnelle ont introduit et maintiennent des ferments dive.s et op_ posés; dans laquelle il n'y a rien de stable, de consacré, rien de sacré aussi par conséquent. Depuis Ivan le Terrible, tous les hommes marguants y ont été des excentriques, des sa,ntodouryt selon le terme expressif de la langue clu pays, le trait s'expliq'ant par I'absence d'un fonds *o-*u. de cultu'e nationale. Pierre en est aussr; mastoclonte humain, il a, mora_ Iement, les proportions colossales et monstrueuses de la flore et de la làune antédiluviennes. Des forces et des instincts élémentaires s'agitent en lui. Il est I'hornme primitif, touff'u comme une forêt vierge, abondant de sève et divers à I'in_ f i, I'homme non singularisé encore par un long travail de sélection, en un typu particulier de I'espèce humaine; ne ressenrblant à persorlne et évoquant Ies ressemblances les plus disparates, puissant et capricieux, tragique et bouffon, parent de Louis xI et cousin de Falstaff. Tros plébéien aussi, je I'ai dit, très voisin des bas-fonds, d'ou lentement émerge autour de lui une élite sociale, choisissant ses collaborateurs et ses amis dansla foule des petites gens, s'occupant de son nrénage comme un boutiquier, battant sa femrrru ,o*-u un paysan, et cherchant ses plaisirs où la fbule a coutume de Ies trouver. Ajoutons dars son esprit Ie he.rt constant d'idées e" d'inspirations souvent cont'adictoires, mais aboutissant
6é-

({) Aff.

érr. de Fr.ancc.

ItO

L'HOMIIE.

néralementà unparti pris de bouleversement et de nivellement universelr; dans sa volonté la conscience du plus absolu pouvoir sur les hommes et les choses qu'homme ait jamais possédé ; dsns son âme, enfin, ce besoin, dont j'ai parlé, il'échappées violentes hors du réel, le réel devenunt à la longue insupportable méme pour un homrne comme lui, et ce côté de sa physionornie *or"i" paraïtra, je pense, écluiré d'un jour sufÊsant'

CHA PI

TRE

III

IDÉES, PRINCIPES ET PROCÉDÉS DE EOUVERNEMENT.
I.
procédée mnémotechniques. ceo idées sont surtout obsegsion des choses de l'occident. Insuffisance de certairres .otione essentielles. Justice, religion, morale. Incohérence intel_ abondance d'idées.
des suggcstions.

II. conceltiou généraledu rôle du aouverain. Principes contradictoires s'y trouvent ùelce. abnégation -qui - du pîincipeinclivi_ duelle..et absorption de Ia vie Introduction social - ses conséquences exrrêmes. dans I'organisation do. p1r': et"orrr,r,o.r". adoption de Le premier seruiteur di r;Etat. pi"""u faitabando"ï rui"rd";;;;rr". amassées solde de 11. r-.. prédécesseu Le patrinroine des Rornanof. Pierre Mihailol, -_ Son livre de dé1,e - La 866 roubles par an. il reverE de la rnédaille. Fantaisie et clespotisure. Le serviteur lève la rnain sur le mtitre. III. Causes de cette contradictio Caractère révolutionnaire de la réforme. Adjonction d'élérnents asiatiquee. Régirne terroriste aggravé par leur influence. Solidarités historiq,rur. _ -L,a"b'itraire et t,in_ quisition. Le dilettante -tortionnaire. Erpà.,nage universsl. ,, 1r, langues. ' La chancellerie secrète et-les tiburrno"* ,1" ra conventi Durée {" "-" régime,_et docilité.du paye à le subir. _ Appropriarion aux mæu.s locales. Le système àe-l" roenace perpétuell;: _ Uré"otions -.Iy.. somrnaires. La cloubina. Sous la hache ,lo bo,rr"àu Les désertions. P-é.nalités pour les réprimer. La marque. _ La mise hors la loi. _ Insuffisance de ces meoures. Sauve-goi-p"rr-t général. _ ( près du Tsar, près de la rnorr.' g"ond", fu,ii[er. _ Les parvenus. _ Ils sont une surcharge ^fr::réisrne,des à l'oppression d-u systèrne. Le fa'oritisnre. traditione ancestrales - et reur infruenee- Les Leur rôle dans rs réforme Eur 8a portée.

lectuelle..- Esprit utilitaire.

-

I
En parlant des dons inteilect'els du srand Réformateur, j'ai dû cléjà les rnontrer en action, car chez lui toutest action; il me reste pourtant à les faire voir plus directement aux prises avec les réalités de la vie et Ia pratique du gouvernement. Pierre a plus d'une idée par jour. Les procédés mndmotechniques dont il usait pour assurer contre les défajllances de sa

182

l,'lt0tlM!1.

mémoire le produit quotidien de cette fécondité cérébrale sur lui et témoignent de ,on ubondance' Il portait toujours tirait constamment de sa poche des tablettes qu'il couvrait de vite à son gré, notes rapides. Les tablettes se remplissant trop rl se servait du preurier bout de papier venu' de la moindre à portée de sa place vacante qo'it apefcevâit sur un tlocument main, le contenu n'en eût-il aucun rapport avec I'objetmomur8e d'un mentané de sa préoccupation. c'est ainsi qu'en l'établissement projeté cle I'Académie de rapport "orr"*rnont faisant suite à des notes qui orrt trait à saint-Pétersbourg, main' cette création, À p"rrt lire, tracées également PaI'sa ukraine, en Rounriantsof, ces lignes : (( Il faut expédier à n I'ordre cl'échanger les bæufs qu'il pourra tirer de sa Province (( contr.e des brebis et des moutons, et d'envoyer quelqu'un à u I'étranger pour y aPpfendre les soius à donner à cette sorte

plutôt des suggestions par un venartt directement du dehors, et très peu modiÊées travail intellectuel intérieur, et leur arnplitude n'égale Pas détail' leur nombre. Pierre pense, comme il voit les choses' en le B'core et son esprit est surtout un réflecteur rnerveilleux'
ces idées, à les bien examiner, sont

ud'animaux'commentonlestorrdetcommentonenap. a prête la laine (l)."

miroir en parait blisé en facettes t|op multiples et bizarrement échappent à sa disposées; une partie des objets enviro'uauts perreption,etcesontsouvetrtlesobjetslesplusproches. I'existence de ce Vivant à côté d'un Possochkof, Pierre ignore au penseur ori6inal et prolbnd' Il manqrrart probablement un Allemand' Il po,.ur" philàsoph" diêt'" t"' Hollandais ou ses écrits' uo"it beau adresser au souverain quelqrres-uns de et surPreson traité de la pauvreté et de la richesse, vaste à son nante encyclopédie politiquel mérne se recommander si partiattention dur* ce dolaine-des réalisations pratiques fondateur, le culièrement apprécié de lui. N'était-il pas premrer Le prince Boris Galiç en Russie, a'u,,* fabrique de salpêtre?
(l) litrtnr'rx, P' 170'

PRINCIPES ET FROCÉOAS DE GOUYÈ]RNEMENT.

T83

d'État (t), co'tremaître holla,,dais e' plus pour dresser -un et mettre en mouvement une autre rnachi'e. un peu prus tarcl, à Londres, il a, pour le même objet, pris l'avis d'un .."1é*i"*tique protestant. Les aro).ernopreva de Francis Lee (2) contiennent des traces de cette consultation, et, à côté d'une dissertation profonde sur le plan de I'arche cle Nod, quelques lecteurs y ont découvert le principe des futurs colrèges administratifs, dont le grand homme fera la cheville ouirière de son gouvernement. Invariablement, le foyer de son miroir apparaît tour'é du côté de I'occident. Les Mémoires d'osterroorrrr, ercore inérlits, contien'ent bien, parait-il, cette boutade attril,ruée au gran(l honrme : u L'Europe nous est nécessaire po.r quelqrres clizaines d'années; après cela, nous lui tournerons Ie dos (3). Je n'ai pas été à rnême de contrôler " la citation; mais, fût-elle exacte, elle ne rne g:arantirait pas I'a.thenticité du propos. sau[r vérification, j'inclinerais ptutot à reconv naître la marque d'un slavophile moclerne. L'actio. , chez cet honrme toujours en mouvement, précédant souvent la pensc;e, ou tout au moins Ia suivant imnrédia_ ternent, il a plus encore des procécrés à lui que des idées. Qrrelques notions essentielles lui font défaut absolument, en matiere de justice par exempre. En 1715, des vaisseaux horIandais sont brûlés par ses marins, qui res prennent pour des vaisseaux suédois- Ir décrare que c'est à r; suècre de payer Ie dommage' parce que Ia chosl s'est passée dans r. oàirinugu
(3) Archive
(f.) Scner,rEut, La -Bussie et (2) Londres, LT52.
ruEre, I.BZI*,
les

en 1799. Pierre rr'a que faire cle son savoir et de ses talents : pendunt son premie' séjour à la Haye, il s'est adressé au secr'étaire des États généraux, Fagelr pour avoir un homme gui se d'orga'iser et de diriger chez lui une chancellerie .chargeât

sine lui donnait quatorze roubles pour sa découverte, et c'était tout son bé'éficc. eua'cl on s'avisera de lire ses ouvrages, bien après Ia mort de pierre, on Ie mettra en prison et il y mourra. Il ne trouvera un édite'r qu'ur demi-.çiècle plus tard,

pays-Bes, t.I1 p. lZ5_1.g3.

p.

lETg

t8r

L,HOM}TE.
se

d'Helsrn6fors, etqu'Helsingfors est terre suédoise. Etil il obli8e le absolurnent dans son droit. Pour avoir la somme, signer chancelier Piper, son prisonnier depuis Poltava , à

croit

une traite de trente mille écus sur stockholm, et, le 8oujeter le signavernement suédois s'opposant au Payement, il fait

taire dans une casemate, où, âgé de soixante-dix ans et maladeo le mtrl]reuteux meurt I'année suivante (l).J'ai dit déjà ce que de confusion ses façons d'agiront d'inconséquence etindiquent de confes' dans son esprit en mrtière de religion. Les regisyes Yoltaire, sion, dont Catherine fera plus tard mystère devant réfracles sont de son invention, et aussi les pénalités pour de ses tai'es. Il chante au lutrin dans les é'lises, et chacune moins pas ne dure victoires y est célébrée par un service qui de faire bonne de cinq h.or*r. On en met sept Pour Poltava l-ofit qu'il fréquené8lises les mesure au Dieu des armées. Dans tait plus habituellement, des troncs étaient placés Pour resurpris en cueillir les arnendes qu'il infligeait aux assistants dormant, ou flaSrant délit d'attitude inconvenante, causant un et au couveilt de Saint-Alexandre Nevski on a conservé réciaux réservait car.uan de fer que la sévérité du souverain la messe atdivistes. Au prochain dimanche, ils entendaient (2)' temple tachés par le cou à un des piliers du le fai. A d,autres moments ses paroles et ses actes méme Il s'entourait saient passer pour inclinant au protestantisme' des discuseux de cah,i'istesit de luthériens, errtamait avec fort cornprosions dogmatiqtres où son orthodrtxie paraissait qui eentaient mise, et écoutait avec recueillemetrt des sermons

lel.agotd,unelieue.Uneordonnance,rendueenlT06avec le libre exercice de son aveu, accord.ait à tous les prote.stants leurculte.MaisTheinerapubliéunesériedepiècestémoi-

qui' soit avant' soit même après cette 6nant des espérances sujet de la possibilité décie ion, ont été nourries à Rome au rnoments il nrrivait au cl'une réunion des deux Églises, et par envers les Jésuites' souverain de se montrer accueillant mêrne (f-) Brncuot'2, Bùschings-M', t' XIX' P' 67' izi S""""rn, t. III, P' 238'

Moscou, mais encore à pétersbou'g et à arhangel. Irs y restent jusgu'eu 17lg. puis, brusquement, nouvel ordre d,expulsion. Qu'est-il arrivé ? une brouille avec la cour de viennen protectrice naturelle des fils de Loyola. Ne pouvant atteinclre I'Bmpereur, Pierre passe sa corère sur ses protégés. Tous ses principes de religi'n ct de politique sont à i'a'enant (l). Et les Juifs? A l'égarcl de ceux-ci, il semble bien y avoir eu parti pris de sa part. Il ne les pouvait so'ffrir. Il n'L' vo'lait dans son empire à aucu'prix. Mais quoi? J'aperçois urr Meyer dans son entorrrase, d'or.igine très autherrtiqïe, lequel, u-.r"" son beau-frère, L'ps, le sert dans diverses opératic,ns ayant trait aux fina'ces et aux fournitures de I'armée. Je r.etrouve ce traitant à ses côtés jusque dans les séances du sénat, sié8eant à sa droite, entouré de prévenances et cl'égards (p). Par-dessus tout et e' tout, il est utilitaire, et c,est ai'si qu'en matière de morale ses opinions comme sa lig'e de cond'ite abo'r.issent le plus habituellement au cy.ir*" tique. L'infanticide est puni de rnort par sa légisiatiorr, lrro*"i, le législateur s'étonne que charres-e,rirrt uit appiiq,re la rnêrne peine à I'adultère : n Est-ce qu'il ayait trop dà r,rjlt, (B)?,, Un jour qu'il est à vichnyi-vorotcrrorr, dan* i, gourrernement de Novgorodr pour une inspection de canau* construction, il "r, apercoit, dans la foule, une jeune fille dont Ie joli visage et I'attitude embarrassée le frappenten même temps. tl t'oppull*; elle vient, mais toute honteuse et se cachant la figure dol,, lu, mains. Il parle de la marierl d'autres jeunes filles qui sont là
(1) Gor,rxor, VII:_p^. 237, hBL; (2) Stnrxr,ln, p. 333 (3) Ibid

PRINCIPES ET PROCÉOÉS I)E GOUVERNEMENT. I85 Il cornmencait, à vrai diren par les mettre dehors, en 16gg; et en t698, à vienne, il exprimait à reur égard des opinions peu avantageuses. u L'Empereur, I'entendait_on dire, ne peut ig'orer que ces gens-là sont prus riches que rui; pourta.t pendant sa dernière guerre avec les Turcs il n'en a tiré ni un Itornme ni un sol ! , Cela n'empêche pas que, huit ans plus tard, je voie les Pères en possession d'un .ottag* non seulement à

Wronn, Dernières Anecdotesrp. B4g.

186

L'HO MrlI E.

éclatent de

rire. Que veut dire cela? On lui explique que la mllheureuse s'est oubliée avec un olTicier allemand qrri lui a laissé un enfant sur les bras. Le Srand cnme! Vertement, il gourmande les rieuses, dernande à voir I'enf'ant, et se réjouit d'avoir ert lui, un jour, un bon soldnt. Il enrbrasse la rrrère et lui laisseune poignée de roubles avec Iu prornesse de la revoir (l). Il donne dir nrille ducats au président de son collè6e de commerce. Tolstoi, et un ordre d'expulsion pour I'aider
à se

délaire

d'une courtisanc italiennel mais, Pour qtle I'argent ne soit pas tout à fait perdu, il irrragine une négociation secrète que
la belle sera chargée d'anrorcer à Vienrre et à Rome (2)'

II
Il a, ie lnai montré, utte conception générale de son rôle et

de ses devoirs. colnrne cles droits qrri en f<rnt partie

I mnis in-

consciemment encore disent radicalement, sans qrr'il S'en soucie ou s'en doute mêtne. Il palt de I'abnégation inclividuelle Ia plrrs absolue au bénéfice de I'intérêt commun, Jlour aboutir à I'absorption la plus colnplète de la communauté par un ntoi exorbitant. Laissant Louis XIV bieu loin derrière lrri, ce n'est prs seulentent I'Ë,tat avec le Souuer"ain, mais la vie nationale tout entière, passée, présente et firture, qrr'il prétend identifier avec la sienne. Il croit fermernent que le renouveau intellectuel et économique auquel il pr'éside, mais qul procède de causes antérietrres et indépendalltes en partie de son action, est son oeuvre Person' nelle, sa création, sa chose, n'ayant en dehors de lui ni raison ni même possibilité d'être. Satts doute il croit aussi au prolon-

il y mêle deux principes

qui se contre-

gement de cette æuvre par delà le terme probable de son existence; il ne travaille même que pour ce devenirl mais, au
(1.) Srrtur.rn, p. 233. (l) Depecbe de Campredon du 17 août

t722. Att.6tr.

de Fraaco

pnINC tpEs ET pRocÉnÉs DE coUvEHNEMENT.

rBz

fond, il ne l'imagïnepas sans sa participation. De là son indifférence en rnatière dynastique. Ce n'est pas Ie déluge qu'il vort après lui, c'est presque le néant. Ses droits et ses devoirs, comme il les comprend, sont en Russre une nouveauté. L'org;anisation tout entière du pays, \-re politique comprise, a reposé jusqu'à lui sur I'idée de famille. Le tsar Alexis, son père, n'était encore que le chef rl'une race et d'une maison. Pas de société I aucun soupçon de droits et de devoirs réciproqrres. C'est la notion et la manière d'être orientale. Pierre arrive de I'Occident, portant dans son bugage un princilte social qu'il lait valoir avec son parti pris d'outrance habituel. Il se proclame le premier serviteur de son pays et pousse cette idée jusqu'à des conséquences extrêmes et bizarres. En 1709, il écrit au feld-maréchal Chérémétief, lui demandant son apprri auprès da Souuerain, c'està-dire de Romodanovski , porrr le grade de contre-amiral, plaidant sa cause avec humilité, exposant ses états de service. Err 17I4, il reçoit et accueille sans regirrrber une réponse négative du collège de I'Amilauté, auquel il s'est adressé pour monter à un grade supérieur. Err 1723, étant à Revel avec sa flotte, il se fait donner un certificat de médecin pour obtenir du grand anriral la permi.ssion de coucher à terre (l). S'étant fait bâtir une maison de campasne pr'ès de Revel ,Catharinenthal (la vallée de Catherine), i[ s'étonne, à la première visite qu'il y fait, cl'en trouver le parc désert. Inragine-t-on qu'il a fait travailler tant de monde et dépensé tant d'ur6ent pour lui seul? Le lenclemain, les habitants de Revel apprerlnent par la voix du crieur public que Ie parc est à eux, et qu'ils peuvent s'y promener à Ieur aise (2). Aussitôt après son avènenrent, il a fait deux parts des biens très considér'al-rles amassés par son père et son grand-père. A la faveur des privilèges et monopoles attribués au Souverain, le tsar Alexis était arlivé à posséder jusqu'à lo)734 diessiatines de terre cultivée et b0,000
M., t.XXI, p. 281. (2) $curnm, t. lII, p.

,{)

Sronsrn,

t. XXV, p.'1521 Golrxor, t. Y, p.252; Brncyor"z, Diischingt
65.

t88

r,'HC)MME.

un revenu de 200,000 roubles. Pierre n'en fl rien voulu garder pour lui; faisant abandon à l'Étnt de toute cette richesse, il rre s'est réservé que le modeste héritage des Romanof : 800 âmes dans le gouvernenrent de Novgorod (t). Aux revenus de ce dornaine, il n'a ajouté que les appointements ordinaires correspondant aux gracles successivernent occupés par lui dans I'armée ou dans la flotte. Des recus avec sa
marsons avec

signlture ont été conservés, qui portent quittance d'une somme de 366 roubles, montant de son traitement annuel en qualité de maître charpentier. Nous ovons aussi son livre de compl.es, assez peu régulièrement tenu, mais abondant en détails curieux : a En 1705, gagné 366 roubles pour mon travail aux u chantiers de Voronèje et 4O roubles pour mon service comme u capitaine. Bn 1706 : 156 roubles en tout, touchés à Kief. a En 1707, traitement de colonel touché à Grodno : 460 rouu bles. __Dépenses : en 1707, donné à Vilna pourun monasr, tère, 150 roublesl pour des étoffes achetéesetrcetternêrne o ville, 39 roubles; à Anisia Kirillovna Pour un vêternent, u 26 roubles ; au prince Georges Chahofskoi pour un vêtement, u 4l roubles ; à I'aide de camp Barténief pour une course tr'ès u nécessaire, 50 roubles (2)... u Visitant un jour les forges d'Istié, dans le gouvernement de Riazan, il se mêlait aux ouvriers, travaillait pendant plusieurs heures le marteau à la mtrin, puis (uisait son calcul: il avait gagné 18 altines (monnaie de 3 copecks) pour autant de pouds de fonte sur lesquels s'était exercée la vigueul de ses bras ; il touchait I'argent et annoncait avec satisFaction qu'à son retour à Nloscou il irait aux riady (sorte de bazar) et y ernploierait son gain àr I'achat d'une paire de souliers, car celle qu'il avait aux pieds était hors d'usage (3). Cette attitude est touchante et imposante à la fois ; mais elle a son revers. Il y entrait d'abord beaucoup de {àntaisie, et Ie grand homme s'en rendait bien cornpte. En 1713, il écrivait d'Helsingfors à Catherine : a Le 6 de ce mois, I'amiral (l) Krnsovtrcv, Les qrandes fottunes en, Russie, Pétersb., l'885' p. 27. (2) Calrinet, s. I, l. 6h. Ecrits et Correspondance, t. III, P. 3[.
(3) Nrnror, p. 55.

PRINCIPES ET PROCÉOÉS DE GO{TVERNEMENT. I89

n m'â élevé au gracle de général , ce dont je félicite aussi s madame la générale. chose étrange ! j'ai reçu le ran6 de ( contre-amiral pendant une camPûgne dans les steppes, et u voici que je deviens général alors que je suis en mer (1). , L'histoire, contée par Nartof, de sa rencontre avec Romodanovski sur le chemin de Préobrajenskoié met plaisarnment en lurnière cette perpétuelle équivoque, qu'il lui plaisait de maintenir entre la réalité et la fiction de son ran8 et de son rôle. Pierre en modeste cabriolet, à son ordinaire, salue le faux souverain, en lui donnant son titre : n Mein gntidiger Her Kaisenr , mais en oubliant de se découvrir. Romodanovski, en grand équipage, entouré d'une suite nombreuse, précédé à'rrr courrier qui écarte la foule à grands coups de fouet et à grands cris : u Rangez-vous ! chapeau bas ! u PASSe comme une iro*b. en lançant au vrai souverain un regard de colère' IJne heure après, il mande chez lui Pierre Mihaîlof, €t, sans se lever ni le faire asseoir, I'interpelle brutalement : u Depuis ?n quand s'avise-t-il de ne pas ôter son chapeau en le saluant

réplique

((

Piàrre (2). Bt sa Majesli n'insiste pas. Il lui souvient à la 5"rr5 âo,rte de certaine lettre reçue de Pierre Mihatlof , suite d'une plainte de Jacclues Bruce, et commençant Par ces mots : " Bèie féroce \zrier /), iusqu'à quand continueras-tu à (( maltraiter ainsi les gens? Il m'en arrive jusqu'ici (Pierre est n alors en Hollûnde) que tu as estropiés ! Renonce à ton intir, mité trop grande avec luachka (l'ivrognerie); elle donne à r< cêuX qrri s'y laissent aller lo S" ' d'un imbécile (3)' " Mais r]oici qni est beatrcoup plus grave : toute cette fausse humilité et toute la très réelle abnégation qui s'y joint n'empêchent point que le même homme ne soit, vis-à-vis de ce pu,rpt" rnéme qu'il prétend servir, l)our lequel il se dépouille uoqrr"l il fait le sacrifice entier de sa vie, d'être, dis-je, non "t (t)
r.
Co,'resq.' édit. de 1861, P. 34'

Je n'ai pAS reconnu Yotre Maiesté

SoUS Son

costume tatafe u I

(2) Nrnror, p. 93.
,31 Co"""rpo-,rdn,r""r III, P 95.

22 décernbre [697, t' I, p' 228' Comp' Ousrnrtr'or'

t90

L'HOMME.

pas seulement le plus exigeant, ce qui pourrait se justifier encore, mais le plus arbitraire des despotes. Évidenrment, services et sacrifice sont rapJrortés par lui à cet idéal supérieur et infiniment exigeant dont tout le monde relève avec lui ; encore devrait-il terrir compte des défauts naturels d'aptitude. des faiblesses, des insuffisances, des incapacités individuelles. Il n'en admet aucune. Quiconque ne prend pas clans le rang Ia pface qu'on lui indique et n'y accomplit pas Ia tâche qu'on lui assigne est traître, relaps et, comme tel, mis hors Ia loi. A+-il des biens, on les met sous séquestre, car,, n'étant hon à rien, il ne doit rien posséder. on lui accorde sur le revenu une pension nlimentaire I Ie reste passe à ses parents, et une sirnple déclaration de ces derniers, présentée au Sénat et homologuée par lui, suffit porrr opérer le transfert. Est-il en àge de se marier, on lui déf'e'd de prendre femme, car ses enfants lui resseml-rleraient sans doute, et l'État n'a que faire de pareilles recrues (l). En décenrbre l1oa, pierre passe luimême, à Moscou, I'inspection de son personnel disponible, boîars , stolnilis , duorianines et autr.es titulaires d'un tchine quelconque. A crît.é de chaque nom il inscrit de sa main une attribution d'enrploi (g). si Ie fonctionnaire ne répond pas aux exigences de la fonction ou s'y clérobe, c'est la mort civile, à morns que ce ne soit I'autre. sa tâche remplie, le tâcheron est-il libre au moins? No' pas ! car le plincipe en vertu duquel il a été réquisitionné le réclame tout entier; il veut son corps et son âme, toutes ses pensées, toutes ses occupntions et jusqu'à ses plaisirs. Et c'est ici que [a conf usion entre I'idée et I'homme qui la représente aJlparait tout entière avec ses consétluences. Il r'y a qu'un l-rut et qu'un chernin porrr y arriverl le Tsar marche en avarrt, et il faut le suivre. Il faut faire ce qu'il fait, penser cornrne il pense, croire ce qu'il croit et s'amuser quand et cornrrre il s'amuse. Il faut se passer de ponts pour traver.ser la Néva, pûrce qu'il aime à làire cette traversée en bateau. Il faut se
(f.) Oukase du 6 décernbre L722. GoLnor, t. IX, p. (2) Gonxor, t. II, p. 513.
S3.

PRINCIPES ET PROCÉDÉS DE GOUVERNEMENT. I9I
Couper la barbe Parce qu'il a la sienne rare. Il faut s'enivrer s'il s'enivre, se costumer en cardinal ou en sirrge si cela lui ilgrée, bafouer Dieu et ses saints si la fantaisie lui en prend,

sauf à Passer sept heures en dévotions Ie lendemnin. En cas de résistance, de ddlàillance, ou sirnplement de ddfaut de compréhension, si les forces trahissent I'effort, si I'éccntrrement I'emporte srrr la volonté d'obéir ou si I'esprit simplernent n'arrive pas à saisir Ia consigne' c'est Ie bâton, le fouet ou la re haclre. Le préte n<lu serutteur lève la main sur le rnaitre, et frappe ou le tue. En mars L704, Ie plince Alexis Bariatinski reçoit le fouet sur la place publique pour avoir soustrait à I'inspection quelqucs recrues qu'il devait amener I rltais la même année, Grégoire Kamynirre subit la même peine [)our avoir refusé de prendre Pûrt aux réjouissances du slaulénte (l)'

ITI

La contradiction est flagrante, mais elle s'explique. Pierre est un réfbrmateur violent; sa réforme a un caractère révolrrtionrraire ; par suite, son Souvertlement participe des conditions d'existence et d'action qui, dans tous les pays et à toutes les époques, ont été inséparables de l'état politique et sociirl ainsi déterntiné. D'autre part, ce gouveruetuerlt reste aussi, quoi qu'il en irit, tribtrtaire, dans une certaine mesure, des errements du passé : histoire, traditiolls, mæurs. Pielre luimême en a conscience. Sur un des arcs de triomplle dressés à lloscou ert 1721, à I'occasion de la paix avec Ia Suède,l'effigie du'fsar régnant est accolée à celle d'lvau le Terrible. Une inspiration du duc de Holstein. [,'oncle aPProuYe le ncveu et saisit cette occasion pour revendiquer une solitlarité historiqtre que ses facons d'être et de làire afÊrrnent, en effet, à tout (l)
Jnr,r.reouJsKIr

IIIémoires, p,2tl't+ et 925.

r9t
instant

L'II

OM M E.

Les principes ont beau différer, la pratique donne à chaque pas un démenti à la théorie. La théorie, c'est parfois le libéralisme le plus accentué ; la pratique, c'est presque toujours le despotisme, l'arbitraire, I'inquisition, la te*eur. oui, ce Souvernement est terroriste, comme le sera celui de Robespierre, comme I'a été celui de Cromwell, avec un cachet particulier de férocité dérivant de ses orifiines asiatiques. En t69 l, le malheureux associé politique de sophie, Basile Galitsine, est I'objet, dans son lointain et terrible exil, d'une nouvelle poursuite criminelle. Un tcherniets (rnoine) a entendu I'ex-régent annoncer la mort prochaine du Tsar ; mis à la question à plu-

(l).

sa dénonciation. La preuve finit par établir que le moine fait le voyage de Iarensk, où celui-ci se trouve interné ; il a tout inve nté ot bezoumiar par égarement d'esprit, espèce de folie aussi commune sous le règne d'I'an que sous celui de pierre, ébranlement cérébral particulier produit par Ia hantise perpétuelle du tribunal de haute police et des chambres de torture. Le système est dans la tradition nationale. un proverbe du pays en contient la consécration et I'apologie ; u Le knoute n'est pas un ante, mais il apprend à dire Ia vérité ! , pierre en a la conviction; inquisiteur passiouné lui-même, clilettante de I'art monstrueux, réglant par des notes manuscrites Ia marche des interrogatoires, y intervenant souvent personnellement et entrant alors dans les plus petits détails, appuyant sur chaque mot, épiant les moindres gestes. Il fait venir à son palais, pour I'interroger, ur simple ;oaillier, soupçonné d'un détournernent de bijoux, le soumet à deux reprises et pendant une herrre chaque fois au supplice combiné de I'estrapade et du knoute, et, le soir, conte gaiernent au cluc de Holstein les péripéties de Ia séance (2). Ayant à ses ordres une ârmée d'enq,rèt"o.* et d'espions, il supplée à leur zèle, écoutant aux portes, circulant entre les tables, dans les banquets, quand les libations
semble faite; pourtant,l'enquéte n'a jamais vu I'exilé, n'a jamais
(1) Sreruus, p. 217. (2) SrÉurnvsur, L'impératrice Catherinc I, péûcrrb., l.gg4, p. lll.

sieurs reprises,

il a maintenu

PTTINCIPES ET PROCÉNÉS DE GOUVERNBMENT. {03 des fonctionnaires ou des eh,efs militaires soustrait, pu" l'Ëroi-

obligatoires ont échauffé res têtes et délié les langues. auprès

gnement à sa surveillance personnelle, il place des commissaires, agents de contrôle, avec lesquers ii corruspond directement et dont les pouvoirs sont fort étendus. chargé de réprimer une révolte à Astrahan, Ie feld-maréchal chereÀetief a auprès de lui, dans ce rôle, un simpre sergent de la garde, chtchépotief ; le baron de schleinitz, ministre à pa's, est surveilld par un expéditionnaire de ses bureaux, Iourine (l). on reconnaît le procédé. ce sera, à près d'un siècJe de distance, I'histoire de tsellegarde, Dubois ut o"l^as, représentant Ia Convention au camp cle Dumouriez. Les révolutions se suivent et se ressemblent. pour un contemporain, auteur d,e Mémoires, I'histoire d'une année du grand règne se bornait à peu près à une énumération de supplices (2). L'arrestation d'un inculpé en errtraînait dix, ',ringi, cent autres. on commence par mettre I'homme à la torture pour lui faire ddsigner ses complices; il dit des noms, au hasard Ie plus souventl quand il n'en trouve plus, on lui met sur la téte une sorte de cagoule en toile grossière et on Ie promène dans Ies rues, en quête des passants qu'il pourra désigner au bourreau. un cri retentit alors, plus sinistre que I'appel n Au feu ! , et fait un désert des quartie6 popul"* , ,, La langue ! la Iangue ! , Le poprrlaire désignait I'agent "i"ri involontaire, mais docile habituellement, de cette chasse aux i'culpations. Et c'est un sauve-qui-peut général (B). Les dénonciations abondaient ; une série d'oukases y a pourvu, offrant des encouragements et des primes aux dénonciateurs et nrenacant des pltrs terribles chàtiments ceux qui, en posscssion d'un renseigrrement intéressant Ia sùreté du Tsar o,, de I'F)mpire, hésiteraient à le fournir (.4). La prime habituelle

(l)

f6 avrif '1719; I

p,'ars 'L7Lr; pbaorir et 2b octobre r7r.5; janvier (4) L* novembre 2b 170.5; 26 septer'l-rre, 24 déceurbre rz16 ; 1.6 et {g avril tt tz , rg janvier .r.z l.g :t^
février er 22

(2) Jror,renouJsKr, p. 26. (3) Lbid., p. ZZt*. Nore de I'éditeur.

Gor,rxor, t. VIII, p. 406.

juillet t720 rg février Lzz,t; Ll. janvier llza.
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I{ME,

Ia faiétait de dix roubles, mais des circonstances spécrales Err 1722, sur saierrt monter à un taux beaucoup plus élevé. contenant sacs une place de Moscou, à côté d'une lanterne, dix suivant un chactrn cent roubles étaient déposés, le contenu' dénoncerait avis affiché au même lieu, devant revenir à qui des l'auteur d'un pamphlet contre le Tsar ramassé dans une étaient charge et une églises du Kreml. Une dotation en terres e* proei, outre promises au dénonciateur. Le premier venu, Parole : mot à (mot i dielo Sloao : nonçant la formule consacrée souPçon et action), et en attestant ainsi la connaissance ou le une d'un fait justiciable de la haute police, pouvait provoquer instruction criurinelle. Bt il ne lui fallait pas Srand'chose Pour justifier la prévention : un mot imprudent' moins que cela aux encofe. un paysan était mis à la torture, puis condamné salué travaux forcés I perpétuité, pour avoir, en état d'ivresse, le méme subissait autre le Tsar d'une façort inaccotttumée. ÏJn sort pour n'avoir pas su que le Tsar prenait maintenant le titre d'Empereur. Un prétre a parlé de la maladie du souverain et aux galères par.u admettre la possibilité de sa mort : envoyé tonneau de un sur cave' sa dans vu en Sibérie. {Jne lËmnre a bièr'e, des lettres tracées par une main inconnue et en une la Iangue inconnue I interrogée, elle n'a pas su en indiquer à étant femme autre sigiification : morte sous le knoute. IJne désI'àglise a troublé I'olfice par des cris et des mouvements orào.rrér; elle est aveugle et p'obablement épileptique, mais
des mise à la question. un étucliant pris de vin a prononcé narines les parolcs -ul*orrnoDtes : trente couPs de knoute, des do' arrachées, puis les travaux fbrcés à perpétuité. Je cite se' chancellerie la de cuments officiels, Ies procès-verbaux crète (t), êt, sauf le krloute, je risquerais de les conf<lndre et les Saintavec ceux des triburlaux présidés par les Couthon

scandale peut-être aussi a-t-elle voulu clélibérément causer du

:

Just.

de Pierre n'est sans doute pas tout à fait étran8er aux idées
Sloao

(l) SrÉurrvslr,

i

Dîelo, P'

5l'

PNTNCIPES ET PROCÉDÉS DE GOTIVERNEMENT. I95

cas où Ia rigueur est indispe.sable de ceux où elle ne |est pas. Mais r,étonnement de Dolgorouki prouve combien re pa.ti pris de la rigueur prévaut dans le régime. ce régime dure autant que Ie règne de pierre. comment peut-il être suppo'té si longtemps? Ii est supporté parce qu,il correspond aux n'æurs du pays. Tout re moncle en est .à*plice. Aucun sentiment de réprobation ne s,attache, clans Ie public, à I'acte ou à ra personne d'un délateur. un siècre et demi plus tard, cet état cr'âme subsistera encore à peu près intact. Les vers les plus populaires peut_être du pù* pàp.,_ lni'e des poètes nationaux raconte.t Ia course à travers la steppe d'un cosaque po.tant une dénonciation au Tsar (r)!

d'user d'indul6ence avec ceux des participants à l,insurrection de Boulavine qui se seront ,ou*ir. Dorgorourri s,étonnant, Ie Tsar insiste : il faut savoir distinguer l"*

clémence. En cela il se montre supérieur aux révolutionnaires du iype commun, et en cela aussi iijustifie |idée que je me suis faite de son caractère. En I 70g, il recommande

à nolgorouki

IV un trait caractéristique de Ia manière de faire du grand Réformateur est qu'ir a co'starnment Ia menace à Ia bouche. Niépl'uief, envoyé comme résident à constantinople, r,appeile en prenant congé de lui du nom de n père "; il linturr#pt , n Je serai un père pour toi si tu te conduis bien, sinon un justicie. impitoyable (z)- , II donne des ordres au générar Repnine pour empêcher I'entrée à Riga des bois yena't de porogne, et il ajoute : u si une seule bùche passe, je re jure sur Dieu, vous aurez la tête coupée (B). , Bt sa -"rrutu n,est pas un arti({) Poucnn.^e, portat,a, chant r", oEuuresrédit. de t. III, p. rtg. (2) Cor.rxor, t. VIII, p. L?tZ. 'ggz, (3) I9 rrrai {Z()j-r. E"r.it, et Correspondancert. III, p. Ji6

t96

L'HO}TMII.

à son amivinnius, fice de rhétorique. Quand, en 1696, il écrit u que ce qu'il : DitesJui négligent à propos d'un "or*urpondant je Ie lui ajouterai sur Ie dos (l) ", ne mettra pas il, tu papier.,

onsaitquiln'usepascl,trnemétaplrore.l'rèsfréquemment à se

il fait venir

il a dans son cabinet les fonctionnaires dont les plus infimes' et leur plaindre, les plus haut placés comme volée de sa cloubina' témoigne son mécontentement par urre Le souverain tenait c,était cl'ailleurs trn traitement cle faveur. restassent secrètes' alors i\ ce que la faute comme la punition serviteurs intimes, L,exécutio,, ,,'".l,"it pour témoins qrre des
telsqueNartof,etlespatientss'appliquaientàsecomposert rien de ce qui venait en sortant, un rnaintien qui n'annonçàt ils étaient invités à dîner cle se passer. GéLrérulernent aussi également que la doubina pour l" jour même' \Iais il arrivait de quelclue collège a-dfonctionnât en public, dans les bureaux le souvet'ain se dérninistratif, o. -o-" dlns Ia rue. Parfois

la correcLion extrac|argeait sur un tiers clu soin d'administrer était chargé une en jodi."iuiru; c'était alors pour celui qui d'untitié. Le capitaine siéniavine a grande preuve d'estime

"t

capttrrédeuxvaisseauxsuédois,lespremiersquisoien|,tombés

enmainsruSSeS;ilestdevenudecechefgrandfavoridu : n vous dinerez dernain moment. Pierre le nrande et lrri clit vous lui chercherez querelle penclant le repas 'i chez un tel, de u €t vous lui donn etez', en rna présence' cinquante coups rcannebiencrlrtrlltés.nVoilàunlrornnlepunietrtnautt.c r\ la r'inclicte souverairre, récompensé par u,,e pa.ticipation

juge très glorieuse (9)' Pendant que Ie souverain éviderulnent perse, wolynski, un autre f u'ori du jo.r, est l'u .**pugne de tente irnpériale et assailli' accosté un soir atrx aborils de la par une volée de c0ups. Sorrclairr, SanS exPlicatiolr prdalablel ^l'ob.",trité et une ressenblance l:ortuite I'ont le Tsar s'arrête; coltente de dire induit.,, "rr"o*: il y a rnaldonne. il[ais il se mériteras un jour ou ttantluillement: " C*ta ne fait rien' tu n'atrras qu'à r'e ., l'autre ce que tu as lecu aujourcl'lnri I tu e" '.-I' ]'' ?0' ('1) t5 juillet 1696 tfcrit s et Correspond 'tt' [33' poi'tla'par Ie p'it"e Grlrrslsn' Paris' t8ti2' p'
(2)
Xlérttoàr"",,

pRINCIpES ET pnocenÉs r)E GouvpnNEltENT. toz

o faire souvenir alors que c'est payé.

, Bt l'occasion
(l).

d'un

règlement de compte ne tarde guère, en effet

cité s'est créée cle crainte et de méfiance uniyerselle, qui."nd la vie vrainent intolérable à ceux qui en font partie. cornme il observe tout le monde, tout le monde I'observe et s'observe,
(L) Scurnon, t. III, p. ;i2. (2) It);d., t. I, p. 15.

L'irascibilité du maître et ses emportements habituels jouent certainement un rôle dans c"s exécutions sommaires, mais il y entre aussi une part de système et de volonté réfléchie. Pénétrant inopinémentun jour dans la cabine d'un capitai'e de vaisseau, Pierre voit entre ses rnains un livre ouvert que l'olficier essaye en vain de soustraire à son attention; il regarde la page et y lit tout hiurt cet aphor.isme : r, Le Russe ., €st comlne Ia morue, s'il n'est battu souvent, on n'en fait a rien cle bon. , Il sourit et sort en disant : o Vous faites deq .c lectures utilesl c'est bien, vous aurez de I'avancement(q)., La doubina n'est, je I'ai dit, que pour ceux q.e I'on aime et que I'on tient à épargner. Les autles relèvent d'une justice distributive autrêment armée. L'unifo.nité des peines est un des traits caractéristiques de la législation crimin"ll" d,, terlps. Le législateur ne mesu'e pas sa .sévérité a' degré de culpufiIité que les fautes à réprirner peuvent a'oir en elles-'rêrnes, mais simplement à I'intér'êt que leur répression prése*te à ses yeux. or, cet intérêt, qui est celui de l'État, n'aclmetti-rnt pour ainsi dire pas de gradation, les pei.es n'en comportent pas davantage. Les ouliirses et règlements d'ordre civil confondent leurs rigue'rs avec celles des règlements militaires. La mort pour le soldat qui, rnarchant à I'assarrt, poussera d.es r, cris sauvages r ou s'arrétera pour ramassel. un blessd, u fût_ce son propre père , , êt la molt pour le ilerc de bureau qtri n'expédiera pas une af{aire da.s le temps prescrit par la loi (B). La mort, la mort presque toujours ! vers la fin du rè6ne, dans I'entoural;e du Tsar, une récipro-

Grand, et

(3) Iicritr et corl'e.rpondanee de pierre, t. III, p. la loi pénale, p. 2SB et suiv.

T7

; Frlrnpor, pierre

re

I9S

L'HOMME.

du môme ærl soupçonneux et inquiet. Il cache ses moindres projets, et tous I'imitent. Pas d'affaire, négociation diplomatique ou autre, qu'on ne cherche à entourer d'un mystère impénétrable. On ne se parle qo'à I'oreille' On ne s'écrit qu'à mots couverts. En février 1723, à une réunion chez le prince Dolgorouki, Ostermann aborde Campredon, I'attire insensiblenrent et avec milLe précautions dans I'encoignure d'une fenêtre : il a à I'entretenir de la part du Tsar. Campredon est tout oreilles, mais, brusquement, la confidence attendue s'arrête sur les lèvres du chancelier, Il n'en sort plus que des croit-il' paroles insignifiantes. Un tiers s'est trop approché, le Survient le Tsar elr Personne. Familièrement, il fait asseoir ministre de France à son côté, lui procligue force compliments I mais I'envoyé essayant d'entrer en matière, iI fait semblant de ne pas i'errt"r,Jru, couvre sa voix par des exclamatio's : br,ryurri*s, puis le quitte sur ces mots jetés dans un murmure avec ve115. u Il n Je vais donner dàs ordres pour qu'on traite avec le duc Élisabeth s'agit du maliage de la grande-duchesse de chartrur, ut le premier rendez-vous qu'ostermann donne six par la suite à Campredon, Pour en causer avec lui' est à heures du matin 1i) t on a plus de chance ainsi d'éviter les
indiscrets. Deux années plus tôt, au milieu des négociations engagées

en décembre liet pont la garantie de sa succession, les enlagoutrevues du Tsar avec Campredon avaient eu lieu chez jinski, à I'insu d'ostermann. Bt, pour commencer' Pierre déclarait vouloir être éclairci sur un point d'une importance en capitale pour lui, quoique entièrement étranger à I'affaire personsuivi et entamé il a cours. Pendant son séjour à Paris, nellement d'autre, nàgo*iations ; le secret en a été trahi; comment et par qui? Campredon était mis en demeure d'en-

voyeruncourrierauRégentPouravoirpromptementune avait soin réporrre à ce sujet. suivant son habitude, le Régent d'Àngleterre' roi d. ,o**oniq,ràr la dépéche de son agent au
(f)
Depêch* dr Con'prr'luu l'Év' l;23 Afl' étr' do lirou"c' 'hi l?

PRINCIPUS E'r' T)ITOCÉ|)ÉS DE GOUVF]RNEMEN'T.

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qui, sans s'émouvoir, écrivait en marse : u Tout ceci me peru suade que les ministres du Tsar, qui cherchent à se détruire, u orrt trouvé le moyen de lui inspirer des soupçons sur u quelques-uns d'entre eux, et qu'il meurt d'envie d'avoir .. un prétexte pour les faire empaler au plus tôt. Je crois a que c'est I'unique objet de sa curiosité. , Bt plus loin : u ceci me co'firme que le Tsar veut faire empaler queln qu'un (l). " Iln fait singulier, c'est que toute la rigueur des pénalités mises en jeu par I'implacable justicier pour assurer cette universalité de seruice qu'il entendait imposer à ses sujets, rê parvenait pas à prévenir les désertions très nombreuses et qui allaient en grandissant. Il avait beau riposter par un redoublement de sévérité. Pour le service militaire, un règlement de la chancellerie de guerre a introduit, en 17lz,l'usage de marquer les recrues, ainsi que des forçats. une légende a été même créée à ce propos, d'après laquelle, contempteur des anciennes croyances, le Tsar aurait imposé ainsi à ses soldats le signe de I'A'téchrist. La marque adoptée était, en effet, une croix dessinée sur la main gauche par un procédé de tatouage : le dessin piqué sur la peau et reco'yert d'une pincée de poudre qu'on fait flamber. Il est à remarquer qu'unu luttru de Pierre faisant allusion à cette mesure barbare est remplie d'autre part de prescriptions témoignant de Ia plus g.u.rdu sollicitude pour le bien-être des pauvres tatoués pendant les étapes qu'ils ont à faire pour gagner les lieux de dépôt (z). Le génie pratigue du Réformateur s'accuse d.ans cette contradiction. Il lui suggéraitr pour I'utilisation des forces humaines disponibles, I'emploi des méthodes les plus saines et propres à lui en assurer le rendement le plus élevé; seulement son esprit outrancier Ie poussait â en abuser. En ce qui concerne le service civil, Ia rlésertion, je I'ai dit déjà, était punie d'infamie et de mise hors la loi. u Si, dit un oulcase publié en L7ZZ, ru quel{u'un vole un de ces déserteurs, le blesse ou le tue, Ie
(L) Dépêche de Campredon, 2L décembre [Zgl (2) Archive russe; {873. p 206t et PZ}G

2OO
rr

L'HOMME.

fait ne peut donner lieu à âucune poursuite. , Les noms des our-Iar.us ainsi créés étaient portés à la connaissance du public par voie d'affichage sur des potences. une moitié de i*,rrc biens était promise à qui les appréhenderait au corps' u I'homme opérant la capture fùt-il un serlt du capturé " ; I'autre moitié revenait au Trésor (1). Et les désertions ne s'arrêtaient pas encore ! n Près du Tsar, près de la rnort n , dit ur) ProYerbe du pays On aime mieux se mettre à l'abri n'importe comment La pré' sence dans I'entourage de Pierre des parvenus de basse extrac' tion en si grand nornbre, Menchikof, Loukirre, Troiékourof' vlaclimiror, suuief, Pospiélof, s'explique aussi, en dehors de ses préférences personnelles, par le sauve-qui-peut général des gru.rd., familles (2). Et le rôle de ces parvenns dans le syst*-. politique dont ils faisaient partie intégrantt en constituait encore une a88l'avation sensible. Le gouvernement personnel de Fierre est souvent la plus dure, la plus obsédante, la pltls inquiétante des réalités, mais il devient souvent aussi rrne simple fiction, et I'on ne gag-ne pas au change. Le Tsar ne peut de travail et d'énergie qu'il Fas;quelque dépense prodigieuse lurr" et quelque mouvement qu'il se donne, tout voir par ses yeux et tout tenir clans la main. Quand il est absento retenu à I'armée, en vQyage à l'étran8er, ou en course à travers I'immensité de ses provilrces, le pouvoir passe aux mains des Merrchikof ; ils en usent à leur façon, en mésusent la plupart du temps, sont appelés périodiquement à rendre des comptes que le bourreau est souvent chargé de régler I ntais, vivant tout le monde du jour au lendemain, dans I'angoisse "out*. commune et I'universel eflarernent, ils proÊtent largement cles brèves heures de licence dont ils disposent et augmentent enI'efcore ainsi le poitls déjà si lourd et l'étreinte si brutale de froyable *".hirr" appelée à les broyer tôt ou tard. Le favori' tisme, qui a coûté à la Russie tant d'or, de larmes et de san$r n'est certes pas une création de Pierre I rnais c'est encore un

(t) Gonxor, t. IX, P.&8. iZl V"y. à ce sujet Stnrul,rnnsnor P' 238 et suiv'

PRINOIPES ET PROCÉIITTS I)F] GOT]VTiRNI]MIINT.
Iegs du passé

2OT

qu'il n'a pas su réprrdier, dont il a consaeré, au contraire, et développé la tradition. t{éritier et conl.inuateur des traditions ancestrales, il I'est, à certains égards, jusclue dans Ie domaine du rdgime économique si entièrement bouleversé en apparence par lui. Il a eu beau renoncer au svstème des monopoles et des privileges régaliens qui faisaient de ses prédécesseurs les premiers marchands du pays. En septembre l7lB, ayant à se faire envoyer une somme d'argent de Lubech à Pétersbourg, il recommandait de compléter Ie chargement de Ia galiote qui devait en opérer le transport avec des marchandises que I'on pourrait reverrdre à bon compte à Pétersbourg (l). C'est tout à fait clans la note des anciens maitres du Kreml, grancls accapareurs de bénéfices en tout genre et ne rnéprisant pas les petits profits. A Ia mascarade qui fait partie des fêtes de la paix données à l{oscou en l7zz, je vois un Neptune barbu qui a un rôle très particulier : les sujets fidèles du Tsar sont invités à attacher des ducats d'or aux poils de cette barbe symbolique. destinée à tomber sous les ciseaux d'un barbier, Iequel sera Pierre lui-même. un capitaine de Ia garde accompagné cl'un sclibe suit à travers les rues la prornenade du dieu marin, et tient registre des ducats offerts et des noms des donateurs (2). Il n'y a pas jusqu'à son art s'pér'ieur de mise en scène qui ne tienne par un côté à I'esprit des temps passés. u Lorsqu'on ( a reûrPorté le plus léger avantage,,, observe en lT00 Ie résident hollandais Yan der llulst, ( on en fait ici un tel bruit a qu'il sernble qu'on vient de renverser le monde entier. u Salves de canon, feux d'artificer promotions extraordi'aires d'afficiers. distributions cle récompenses se suivaient sans interruption pendant Ia plus désastreuse période de la giuerre suédoise. sans doute on cherchait par là, et dans un but louable, à donner le chan8e à I'opinion pour la défenclre contre Ie découragement, peut-être aussi à se donner du
(1) Golrnon, r. V, p. 536. (2) Bnnctrotz, Rûu:hin,gs M., t. XX, p.
BBE.

202

L'H

O Ùr

ME.

cæur à soi-même1 mais c'est tout à fait la marrière de Sophie, c'est toutà fait I'esprit oriental. Invité en l?05 à Ia table du

Tsar, I'envoyé anglais Whitworth est mis en présence d'un soldat russe mutilé, à ce qu'il prétendr par les Suédois, avec quarante-quatre compagnons, prisonniers comme lui. Pierre en prend texte pour déclamer longtemps sur la barbarie de ses adversaires, dépassant de beaucoup celle qu'ils prêtent à la nation dont il est le chef. Jamais prisonnier suédois n'a été traité de la sorte en Russie ! Les quarante-cinq mutilés seront répartis entre ses régiments pour servir d'avertissement aux camarades, qui sauront ainsi ce qu'ils ont à attendre d'un ennemi déloyal. Le coup porte à faux, Whitwolth demeurant convaincu qu'on s'est moqué de lui (l), d'autant qu'il n'arien compris, comme de rais<ln, au récit fait en russe par Ie soldat; mais le trait est de la pure école byzantine. Et c'est tout cela, en partie, toutes ces attaches intimes et fortes à l'âme et à la chair de son peuple, à son passé et son présent, qui ont permis à Pierre d'entrer dans sa vie d'une façon si profonde et si durable. Plus logique, moins influencé par I'air du pays, son despotisme eùt exercé une action plus courte. Ce sont les contradictions du Réformateur qui ont fait un peu la portée de sa réforme.
(t)
Dépêche du 2 mai 1705. SrcnxIx,

t. XXXIX, p.

79.

CFIA

PITRB IV

TRAITS INTIMES.

L La maisonnette de Saint-Pétersbourg. .l,e diner du pilote. Katia. Palais et maisons de catrpagne. Le- tilleul de Strielna. - Péterhof. Le lever. Tsarskoïe-Sielo. Revel. II. La iournée du grand hornme. Travail matinal. A table. Rel)as intirnes et dinere de cérémonie. - * Ce que - Pierre mange et ce <1u'il boit. Luxe de La cuisine de Catherine. - cabriolet cour et simplicité domestique. Les carrosse$ de Nlenchikof et le Les du Tsar. Rusticité et habitudes sordides. Comrnent il s'habille. blattes. - III. Divertissenrents. - Ni chasseur ni joueur. Son plaisir - I'eau. Navigation hivernale. - en mer. favori : sur I'out Pi:tersbourg - et Lisette. Le rôle politique d'une chienne. Les bêtes. Finette IV. En - rnargrave de Baireuth. Au faubourg société. alleUne rencontre avec la mand. - Corupagnons de plaisils. Le coucher. L'oreiller du Tsar. - d'un favori. Entourage intirne. Les dienchtchiks. Le mariage Mademoiaelle llatviéief. -

I
En novembre 1703, le premier vaisseau marchand, une galiote hollandaise venant du Vriesland avec un chargement de sel et de vin, pénétrait dans I'embouchure de la Néva. Un
banquet fut ofl''ert au câpitaine dans la maison du gouverneur
de Pétersbourg ; on le combla de présents, lui et ses hommes ( l) ; mais auparavant il dut accepter I'hospitalité du pilote, qui avait Buidé son entrée dans le port. Il dîna avec lui et sa femme dans une humble maisonnette baignée par le fleuve, fut régalé d'un menu national agrémenté de quelques friandises empruntées à son propre pays, et, au dessert, ne voulut pas demeurer en reste de politesse et de générosité : il tira de

(l)

Ous'lnr.rr-ûF,

t. lV, l'' parrie, p.

25P.

zÛh
sa sacoche

L'HOMME.

un fromage onctueux; puis une pièce de toile, et les olfrit à la maîtresse du logis, en lui demandant la permission de I'embrasser. Laisse-toi faire, Katia, dit le pilote; Ia toile est bonne, et tu en auras des chemises comme jamais dans ta jeunesse tu n'as imngind en rnettrd srlr le dos. A ce mornent, le Hollandais entendit une porte s'ouvrir derrière lui, se retourna et {jaillit tomber à la renverse : un honrme était sur Ie seuil, un grand personnage évidetrtment, cbarnarré d'or, constellé de décorations, et il s'inclinait jtrsqu'à terre en répondant aux paroles de bienvenue gue lui adressait l'époux de I(atia. J'ai peur que cette histoire ne soit pasvraie; elledevrait en tout cas être reportée à une date postérieure : en 1703, Ctrtherine ne semble pas avoir pris place encore au {byer de son lutur mari. I\lais, à cela près, le récit est vraisernblable; il place bien Pierre iutime dans son cadre familier. Piloter des vaisseaux, hollandais ou autres, en accueillir les capitaines à su table, et les mystifier par la simplicité de son entourilse et de sesallures, a toujours été dans ses habitudes. Quant à la

maisonnette du quai de la Ni:va, oD peut la voir encore à Saint-Pétersbourg. Elle a dté construite Par des ouvriers hollandais sur Ie modèle de celles que le voyageur de 1697 nvait vues à Zaandam. Une charpente de troncs d'arbres sommaire ment équarris supporte une toittrre basse, où les bardeaux en bois résineux ont renrplacé lcs belles tuiles rouges de lti-bas. Un rez-de-chaussée surmonté d'un grenier comprend deux charnbres de proportions modestes, séparées Par un étroit couloir, et une cuisine. Sept fenêtres en torrt. L'extérleur est peint dans le goùt hollarrdais en rouge et en vert. r\u sommet du toit et aux deux angles, on aperçoit un sttPplénrent de décoration militaire : un mortier et des bonrbes enflammées, le tout en bois; à I'intérieur, de la toiie blanche sur les murs et des bouquets de fleurs peints sur I'encadrement des portes et des fenêtres. La pièce rle droite servait de salle de travail et de salon de réception ; celle

ÎRAITS INTIMES.
de gatrche, de salle à manger et de chambre à eorrcher (I). Une chapelle est établie aujourd'hui dans cette dernièr'e, et les ficlèles viennent y prier et y allumer des cierges devant une image du Sauveur, arr bas de larluelle Élisabeth a tracé les plenrrères parolcs dt Pater. J'y ai toujours vu une fbule compacte. Dans I'autre pièce on a réuni quelques souvenirs : meubles en bois, façonrrés par le grand homme et, hélas ! embellis en 1850, une armoire, deux cornmodes, une tlble, nn escabeau sur lequel il avait coutume de s'asseoir devant sa polte pour prendre le frais et regarder son pavillon flottant en face sur les remparts de la Pétropat,loushain. krié1,ostr. des ustensiles encore, des outils dont il s'est servi., Mesurant dix-huit mètres sur six à peine, si peu spacieuse et si peu luxueuse, la rnaisonnette était chère h son maïtre. Quand il crut devoir la cluitter pour se loger dans un palais, très modeste encore, ainsi que je I'ai dit, il la regretta. S'il aimait d'aillerrrs à bâtir dss villes, il ne se plaisait guère à y habiter. En 1708, il en vint a se chercher une résidence plus charnl-rétre dans les envirorrs peu séduisants de la capitale de son choix. Il commcnca par jeter son dévolu sur rur endroit écrrrté au bord de la Strielna, petite rivière aux eûux fraîches et rapides; s y constrrrisit en une saison, mettant lui-mème la main à la besotlne, un logis plus conforlable cléjà, avec deux salles et huit chambres : Catherine était là maintenant, et les enlhnts venaierrt. Il n'en reste plus aucune trace. Mais on voit ù côté un énorme tilleul, dans les branches cluquel un berceau était établi; on y montait par un escalier, et Pierre y allait fumer et boire clu thé dans des tasses hollandaises, en faisant charrter un santouar l'apporté aussi de Hollanrle, car cet ustensile, nationalisé depuis et répandu en Europe sous son rlom pittoresque (2), est venir de lii-bas avec le reste. On n'a I'ait en Ru-csie qu'y substituer le charrlrlirge par la blaise, plus économiclue, au chauf{àge par I'esprit-de-vin pratiqné dans le pays
(L) RouluexovsKr! f,a ntai.çott de Pierre, l)étersb., t89l; llourrrr, Description topoqraplique dc Saint-Pétct'sborcg, PétersJr. , l7ig. l2) Santouar veut. dire ep russe : gui bout tout seul.
'OÉ

206

L'H OMME.

d'origine. Voisinant avec le tilleul, des chênes majestueux portent le nom de nourrissons du Tsar (Piétrouskité Pitomrsy). Il les a plantés. Il a fait pousser aussi, avec de la graine par lui recueillie dans les montagnes du Hartz, les pins qui, non loin de là, ombragent les abords du château. tar il y eut aussi un château dans cet ermitage baptisé du nom de Strielna. Catherine devenant impératrice, il avait fallu pourvoir aux exigences nouvelles de sa situation, loger une cour. Mais alors Pierre avait soudain pris en dégoùt sa villégiature. Elle devenait trop peuplée et trop brul'ante. Il s'en clébarrassa en en faisant cacleau à sa fille, la grancle-duchesse Anne (l7ZZ), et s'en fut à Péterhof (l). Hélas ! la cour impériale et les courtisans I'y suivirent. Péterhof à son tour vit s'élever un palais de plus en plus somptueux, avec un parc à Ia francaise et des fontaines imitées de Versailles. Du moins Pierre se ref'usa à y Ioger lui-même; il eut à proximité sa maison hollandaise, qui porte aujourd'hui encore ce nom. Très simple toujours, éloignée quand rnême, elle aussi, de la rusticité première, parée d'un peu de luxe flamand. La charnbre à coucher, fort étroite, a, sur ses murs blancs, un revêtement de carreaux en terre cuite, proprement vernis; le plancher est couvert d'une toile cirée à fleurs, et la cheminée s'embellit avec les plus magnifiques échantillons de porcelaine de Delft. De son lit, Pierre pouvait apercevoir Klonsloot, et y compter les bâtiments de sa flotte. En quelques pas il gngnait un petit port, d'où sa chaloupe le conduisait par un canal jusqu'ir I'embouchure de la Néva. Les habitudes nomades du Tsar aidant, ses maisons de campagne se multiplièrent. Il en eut une à Tsarskoie-Sielo, en bois cornme les autres, avec six chambres qu'il partagea parfbis avec Catherine. Une légende assez suspecte veut que le nom de cette localité, rendue plus tard si célèbre, vienne d'une dame Sarri, chez laquelle Pierre serait venu de temps à autre boire du lait. Saari-mo7s, nom firrnois clu lieu, voulant dire : u village supérieur ,r ou a cxhaussé ,, , semble fournir
1,889,

(L) Prr,rrur, Le p. 210.

passé

oultlié des enuirons de Saint-Pétersbourg, Pér,ersbourg,

TRATTS

II{TTMES,

2O7

lrne étymologie plus certaine. A Revel, une maisonnette, en bois encore, précéda le lourd et disgracieux palais construrt, vers la fin du règne. Pierre évita autant qu'il put le palais. La maisonnette, qui s'est conservée, contient une chambre à coucher, une chambre de bain (bania), une salle à manger et une cuisine. Dans la chambre à coucher, on voit un lit Pour deux, passablement étroit, avec, à son pied, une sorte d'es' tratle, ou s'allongeaient trois dienchtchr.Ës (ordonnances) veilIarnt sur le sommeil des maîtres.

II
Pierre n'a pas été, on le sait, un grand dormeur. Je le trouve habituellement levé à cinq heures; une ou deux heures plus tôt si les a{"faites pressent, s'il y a un conseil secret à tenir, un courrier à expédier promptement, ou un ambassadeur en partance àr munir d'un supplément d'instructions. En quittant le lit, le Tsar se promène pendant une demr-heure dans sa chambre, vêtu d'une robe de charnbre courte qui laisse ses jambes nues à découvert et coiffé d'un bonnet de coton blanc garni de rubans verts. Il rumine sans doute à ce moment et prépare dans sa tête le travail de la journée. Quand il a fini, son secrétaire, N'Iakarof, entre et lui fait lecture des rapports quotidiens présentés par les chefs de service. Puis il déjeune rapidement, copreusement tout de mérne, et sort à pied, s'il fait beau, ou dans un cabriolet très simplement attelé d'un cheval. Il va aux chantiers de la nrarine, visite les bâtiments en construction, puis, invarrablentent, fait aboutir ses cour-ces à I'Amirauté. A ce nrornent il avale un verre d'eau-de-vie, manse un craquelin en guise de zakouslta, et travaille erlcore jusqu'à une heure, c'est-à-dire jusqu'au dîner. Dans Ie petit palais qu'entoure aujourd'hui le jardin d'été de Saint-Pétersbourg, la crrisine avoisine la salle à manger, âvec rrn guichet

908

L'HOMME.

de comrnunication pour le passage des plats. Pierre ne souffrait pas, en effet, Ia présence à table de nombreux domestigues? et ce trait est bien hollandais encore. Quand il mangeait en tête-à-tête avec sa femrne, cas le plus habituel, le service

était fait par un seul pase choisi parmi les plus jeunes et par Ia fernme de chambre la plus affidée de I'Impératrice. Si la table s'augmentait de quelques convives, le chef de cuisine Velten présentait lui-méme les plats avec I'aide d'rrn ou deux dienchtchiks. Enfin, Ie dessert .servi et une bouteille ayant été placée devant chaque convive, ordre était donné à tous de se retirer (l). Ces dîners sont sans cérémonie. On n'en donne jamais d'autres clans la maison du Tsar. T,es jours de gala, on dîne chez Menchikof, qui préside alors des repas somptueux, où figurent deux cents services préparés par des cuisiniers français, ayec une prc,f,.rsion de vaisselle d'or et de porcelaine de prix. Le grand palais d'été a deux salles à manger : une au rez-dechaussée, une autre au premier étage, et aussi deux cuisines attenantes. Pierre a trouvé moyen, en l714, de s'occuper avec un soin méticuleux de I'aménagemettt de ces cuisines. Il les a voulues assez spacieuses, relativement, et garnies de carreaux de faience sur les murs. trfitr, disait-ilr ![ue la haziatka (mattresse de maison) 1'fût à son aise pour surveiller le fourneau et préparer, à I'occasion, des plats de sa façon (9). Sans être elle Passe pour s'être plutôt occupée de la un cordon bleu, Catherine a Iessive dans la maison de ses anciens maitr€s, des talents culinaires. Pierre, lui, est très gros manseur. En octobre 1712, à Berlin, il soupe chez le prince royal. après avoir soupé déjà chez son chancelier, Golovkine, et mange de grand appdtit aux deux tablcs. Racontant le second de ces rePas, le ministre du roi de Pologne, Manteuffel, fait l'éloge du Tsar, qui n s'est surpnssé r, cfl.I' n il n'a ni rerté, ni P..., ni ne s'est curé les dents, au moins je ne I'ai vu ni entendu , . Et, pour donner

([) S'reeurru, p. {.091 N,rnror, p. 54.
(2) Gorrror, t. Y, p. 570, note.

TRÀITS
sale

TNTIMES.

209 assez

ia main à la Reine, ii s'est même ganté, n d'un gant

(l),.
bois

Le Tsar porte avec lui son couvert : une cuiller en

avec une garniture d'ivoire et le couteau et Ia fourchette eû fer avec des manches en os vert. Il affectionne les mets simples dtr pays ,le chtchi, le kuclta, le pain ne mange jarnais de 'oir, plats sucrés ni de poissons, son estomac ne s'en accomrnorlant Pas. Les jours de grand jeûrne, il se nouruit de fruits et de farineux. Pendant les trois dernières années de sa vie, cédant aux instances de ses médecins, il s'interclit de temps en temps I'usi.rge ou tout au moins I'abus du vin. De Ià une réputation de sobriété, dont quelques voyageurs venus en Russie à cette épot1ue, Lans, entre autres r clui accompagna le souverain pendant la campngne de Perse, se sont faits les propagateurs. Il boit alors du liislyié-chtchi (kvass aigrelet), aromatisé avec

du baume d'Angleterre, mais ne résiste pas à Ia tentation d'y ajouter quelque$ verres d'eau-de-vie. ces périodes d'abstinence sont d'ail[eurs courtes I vite il retourne à ses habitucles, évitant seulement le mélange des borssons alcoolisées, s'en tenant aux vins du Médoc et de Cahors. Err dernier lieu, sur les conseils d' médecin écossais Eresliins, qui Ie soigne pour une diarrhée, il adopte le vin de l'Ërmitage (Z). Le service de ses écuries n'est pas compliqué. Je vois clans les remises du palais deux carrosses à quatrc places pour I'hnPératrice, le cabriolet, que nous connaissons déjàr pour I'Empereur, et c'est tout. Ce cabriolet était peint en rouse et très bas; un petit traineau le remplacait en hiver. Jamais pierre ne monte dans un carrosse, si ce n'est. cluand il s'agit cle làire honneur à quelque hôte de distinction; et alors ce sont les équipages cle llenchihof qui servent. Le favori en avait de superbes. Même quand il sortait seul, six chevaux habillés de barnais en velours cramoisi avec des ornements en argent et en or le trainlient dans une voiture toute dorée en lbrlne d'éventail; ses arrnes étaient sur ies panneaux, une courorlne
(L) Lettre au comte Flemming, Snonxrx, t. KX, p. 59.

(2) Srrnur.rx, p. 272 et suiv.

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de prince r'esplendissait a\r sommet; des coureurs et des laquais en riche livr'ée allaient devant, des pâSes et cles musiciens venaient derrière, vêtus de velours, charnarrés d'or I six gentilshomrnes de chanrbre se tenaient aux portières, et un piqrret de dragons complétait Ie cortège (l). Pierre reste étranger à tout ce luxe. Son costume habif.uel, quand il ne revét pas I'uniforme, est presque celui d'un paysan ; en été, un caf'tan de gros drap sombre de la fabrique de Ser-

dioukof protégée par lui, un gilet de taffetas, des bas de laine habituellement reprisés comme on sait, de gros souliers à semelles épaisses, talons très hauts et boucles en acier ou en cuivre; sur la tête un chapeau de feutre à trois cornes ou une casquette de velours. Bn hiver, la casquette était remplacée par un bonnet en peau de mouton I les souliers par des bottes molles en peau de cerf, poil en dehors; le cnftan recevait une doublure de fourrures : zibeline sur Ie devant, petit-gris au dos et à I'intérieur des manches. L'unifbrme, qu'il ne porte qu'en campagne, est celui de colonel du régiment de garde Preobrajenski : habit en drap vert de Hollande peu fin, doublé de tafi'etas de mêrne couleur (qri parait de nuance bleue aujourd'hui), avec un mince galon d'or en bordure et de grands boutons de cuivre I veste en très Srosse peau de daim. Le chapeau est sans galon, l'épée a garde de cuivre sans dorure avec un fourreau noir, le col de simple cuir noir. Pierr.e aimait pourtant le linge blanc et fin, comme on en fabriquait en Hollancle, et c'était [e seul point sur lequel il consentît à transiger avec son parti pris de simplicité, auquel des idées d'économie inspirées de très hautr peut-on croire, n'étaient pas étrangères. QuandCatherine étale devantlui le superbe costume de couronnement dont j'ai parlé déjà, il a un mouvement de colère, et son geste ernporté, saisissant et secouant l'étof l'e brodée d'argent, en fait tomber à terre quelques paillettes. ft6gn1ds, Katinka, dit-il alors, on va balayer cela, et c'est presque la soide d'un de mes grenadiers (2) !
(L; Pmrnr, p. i379.
(,2) rbid.

T}II.ITS INTI}TES.

2r,r

La Hollande n'a pas réussi à lui communiquer ses goùts et ses traclitions de propreté et tl'orclre domestique. A Berlin, en I 7 I B, la Preine faisait dérneubler la maison \f onb1o,, qui lui était destinée, et la pr'écaution ne se trouvait pas inutile. Le logis lui-mênre était presque à rebàtir après son dépaLt. u La désolation de Jérusalem y régnait, , , dit la margrave de Baireutlr. En un détail seulement, ses répugnances
instinctives s'accordtrient mal avec les sordides accoutumances par lesquelles I'Orient voisin se perpétuait dans son intérieur:

il avait I'horreur de certains parasites: i[ui, alors comme aujourd'hui, hélas ! pullulaient trop {rréquemment dans les
La vue d'une blatte (cafard) le faisait presque défaillir. un ol{'icier, chez lequel il s'estinvité à diner, Iui en morrtre une, qu'il a, croyant ainsi être agréable à son
demeures rnoscovites.

hôte, clouée au mur en un endroit apparent. Pierre se lève cle table, tombe sur le malheureux officier à grands coups de sa doubina, et prend la porte.

III
ses plaisi's sont comme ses goùts. ooyvoit peu d'élégance. n'ainre pas la chasse, à I'encontre de ses ancêtLes, grands tueurs d'ours et de loups, fauconniers passionnés. Cet,te irnage de la suerre offense son esp'it pratique. II n'airne la vraie tuerre, ou;rlrrtôt ne s'y rési,gne que pour les profits qu'on err ;leuttirer. Unc fois pourtant, iru délnrt de son règne, on I'entraine à une chasse au lévrier I mais il fait ses conditions : il ne veut ni piqueurs ni valets de chiens {igrrrernt en tiers dans lir partie. on obéit, et c'est un manvais tour qu'il joue à se$ arnis, en se donnant Ia joie de leur faire serrlir le côté conventionnel cle leur divertissernent. Piqueurs et valets renvoyris, les chiens sont en révolution, se jetant err.tre les jambes cles chevaux? tilant sur leurs laisses de façon à désarçonner les cavaliers; err un instant la moitié cle la compagnie est par terre, et

Il

2L'

L'HOMME.

la chasse prend fin duns une conftlsion générale. C'est Pierre qui propose le lendemain de recommencer, et les chasseurs pris au piège qui s'v refusent, très maltraités d'ailleurs pour la plupart, obligés de garder Ie lit (t). ll déteste les cartes, flmusement de filous, dit-il. Dans ses arrnées de terre et de mer, défense est làite, sous les peines les plus sévères, de perdre plus d'un roublc pnr soirée. Quelquefois, pour complaire à des marins étrangers. ses hôtes, il consent à faire une partie de grauias hollandais. Il joue volontiers et bien aux échecs. Il fume et prise. a l(oppenbrûgge, en 1697, il fait échange de tabatières avec tr'Électrice de .Branclebourg. Son plaisir par excellence, sa passion mâîtresse, -_ c'est d'être sur I'eau. A Pétersbourg, quand la Néva était déjà aux trois qrrarts prise, n'y restàt-il que cent pieds carrés d'élément liquide, il s'obstinait à y naviguer dans la prernière barque venue. Souvent aussi, au plus fort de I'hiver, il faisait pratiquer dans les glaces un étroit chenal et s'y livrait à son sport favori (2). En 1706, arrivant dans sa capitale, il trouve les rues submergées et deux pieds d'eau dans les chambres où il doit loger; il bat des mains comrne un enfant (3). Il ne se sent vraiment à son aise qu'à trord d'un navire quelconque. Pour ]e faire coucher ii terre, quand un port est à proximité, il faut une maladie grave. Bncore prétend-il mieux se soigner en prenant Ia mer, et à ltiga, en 17:13, sous le coup d'une violente attaque de fièvre tierce qui I'a d'abord engagé à dé' barquer, il fait porter son lit à bord d'une fr'égate, y surmonte son mal et attribue sa guérison à cet expédient' Vers la fin, rnême pour sa sieste de l'après-ditter, il va s'étendre au {bnd .d'une barque qtr'habituellernent il trouve partout à sa disposition. Tous les habitants de Snint-PéLersbourg étaient <l'ailleurs pourvus, à son exemple et par ses soins, de moyens de locomotion aquatique. Aux f'otrctionnaires clc preinier l rng, il a
(r) Gor.rxon, t. I, p. 28. (2) PvtlIcr, p.:]79.
(3) Archive rus$e, 1875,

t. ll,

P. h7

TRÀITS INTIMES.

21.3

tchine.ll a écrit de sa main un règlement pour I'usage cle ces bâtiments. a des jours fixés d'ava'ce, Ie pavillon du tsu" ayant été hissé aux quatre coins de la ville, la flottille entière clevait,
sotrs peine d'une fbrte amende polrr les absents, se réunirdan.s le vorsi'age de la forteresse. Au signal do''é par une salve de

attribué un yacht avec deux chalotrpes à douze et quatre rames ; des embarcations moins importantes aux autres, suivant leur

canons, on partait, I'amiral Apraxine ouvrant Ia marche sur. la chaloupe du Tsar suivait, Pierre, en costu*re blanc de matelot, tenant le gouvernail. Catherine I'accompagnait habituellenrent. euelques_ rnes des eml;.r'cations, richement décorées, avaient des musi_ ciens à bord. on allait ainsi à strielna, à péterhof, à oranienbaum,, où un banquet attendait les proureneurs (l). comme le sera la grande catherine plus tarcl, pierre est un grand arni des bêtes, des chiens en particulier. En 170g, un pauvre prêtre de campague, du nom de Kozlo'ski, est nris à la torture au Préobrajenski prtltcr.e pour avoir tenu cles Propos inconvena'ts sur Ia personne du Tsarl dr-.s ténoins I'ont Lntendu recontant qu'il avait vu le souverain à lfoscou embrasser une chie'ne (2). Le fait est reconnu pour exact; I'in{.'ort'né pope a eu la malechance de passer dans une rlre a* moment oir Ia chienne favorite clu Tsar, Finette, se précipitait dans Ia voiture de son maître et frottait son museau à ses moustaches, sa's qu'il t'y opposât. Finette, apperde Lisette par q.elques contemporains, qui ont sans doute fâit confusion avec une junrent très en fàveur, elle aussi, a'ait pour concurrent un gros clogue danois, qui figure, emparllé, pannr les souvenirs pieusement conservés dans la galerie clu palais d'lriver. La jume't, nn cadeau du shah de perse, petite de taille, mais avec des muscles d'acier, partage cet honneur. pierre l,a mo'tée à Poltava. Finette pa,cse pour avoir,ioué à un moment un rôle politique. Défense ayant été faite, ,à,,, p"i,,e crc nrort, de pré-senter des placets au Tsar, les amis d'un fonction'aire (l) Pnuer t p. 2L0.
son 1'acht pavoisé de rou.ge et de blanc;
(2) Documents de Ia chanceilerie
sectète

de préobrajertskoïéra. rz0g.

Ll"h

L'HOMME.

condamné au suppliee du knoute pour prévarication s'avisèrent d'attacher au collier clu Sracieux animal un appel ingénieusement rédi6é à la clémence du souverain. Le succès ayant couronné le stratagème, I'exemple fut suivi, mais Pierre eut vite fait de décourager les imitateurs (t).

IV

Le grand homme prend souvent ses plaisirs et ses distractions en assez mauvaise compasnie; il est vrai qu'il n'a guère
les usages de la bonne. La margrave de Baireuth est uue affreuse

.o**èr. et la plus nréchante langue du dix-huitième siècle; il doit y avoir cependant une part de vérité dans Ie récit assez
casion de la

ptoisarri qu'elle fait de sa rencontre avec le Tsar pendant le séjo,r, d,, *o,ro"rain à Berlin, en lTl8. Pierre avait eu déjà I'oc-

voir cinq années auParavant I en la reconnaissant, il se précipite, la saisit à bras-le-corps et lui écorche le visage avec des baisers furieux. Elle se débat, le flappe au visage, il ne làche pas prise. EIIe se plaint, on lui dit d'en prendre son perrti, et elie se résigne, mais se vense en daubant surla com-

p"gr"

u *"ru"ttes allemandes, qui faisaient les fonctions de darnes, n de femmes de chamb;e, de cuisinières et de blanchisseuses' a Presque toutes ces créatures Portaient chacune un enfant u richement vêttr sur leurs bras, et lorsqu'on leur demanclait u si c'étaient les leurs, elles répopdaient en faisant des salat< rnalecs à la russienne : a Le Tsar m'a {ait l'honneur de me u {"aire cet enfant. I
D'un ordre relativernentrelevé, par rapport au niveau social de la vieille llloscovie, les habitudes et les intimités contractées

du brutal monarc;ue et sur sa suite : u Elle avait avec elle tc quatre cents soi-disant dames. C'étaientr pourla plupart, des

{l) Scnnnan, r. III,

P.

?9t

TRAITS INTIÙ18S.

rt$

par Pierre au faubourg allemand rt'ortt pas été Pour lui donner le ton des cours et des cercles élégants de I'Occident. Or rl n'abandonna jamais ces anciettnes fréguentations. Bn janvier 1723, se trouvant à Moscou, il partage ses soirées entre sa vreille amie, Ia femme du maître de poste Fndenbrecht, chez laquelle il se fait apporter à marrger et à boire, le docteur Bidlau, I'apothicaire Gregorir les rnarchands Tatnsen, liotrau et À[e1'er, sans oublier mademoiselle Ammon, qui entre dans sa seizième année et chez laquelle on danse jusqu'à cinq heures du matin (l). Et c'est encore une société de choix. Le 24 mars 1706, jour de Pâques, écrivant à Menchikof, Pierre fait signer et apostiller sa lettre par les amis qu'il a réunis autour de lui en ce jour solennel, et je trouve dans ce cérracle intime un simple soldat, deux dienchtchiÉ.s, un paYsan enfin qui, ne sachant pas écrire, rernplace sa signature Par une croix, en y faisant ajouter cette mention u qu'il a reçu la rr permission de s'euivler pelrdant trois jours (2) " . Pierre ne couche jamais seul I habituellement Catherine partage son lit; il est rare qu'il y introduise une maitresse. Il se met au lit pour donnir. Il est settsuel, mais point voluptueux, et il expédie ses alnours comme ses autres affaires, à la hâte. J'ai expliqué plus haut (p. ll4) sa répugnance pour Ie sommeil solitaire, €t, au défaut cle sa {"emme, il prend pour cornpaflnon de nuit le premier dienclttcltile venu, qui a pour consigne de se tenir bien coi, sous peine d'être roué de coups. Pierre a généralement le réveil mauvais. Bn campagne, à I'heure de Ia sieste, il tait coucher urr de ces dienclp tchiks par terre et se sert de son ventre en guise d'oreiller : ['homme doit être à jeun ou n'avoir pas la digestion laborieuse, car) au moindre urouvement, le Tsar se relèvera d'un bond et I'assornmera (3). Cela n'empêche qu'il ne soit, au fond, très indulgent en ce flul concerne son service personnel. Nartof nous a conté I'his({) BrRcuor,z, I)ûschings
16)\

II., t. XXI, p. 183.

Gorrxor, t.

(3) Sr'urnÉù,

lII, p. 94. r. ll, p, Sl.

216

T,'[{OMME.

toire de certaines arlnoires imaginées par le souveraln pour y mettre sous clef, avec leurs lits, ses ordonnances qui, arr mépris d'ordres et de menaces réitérés, per-*istaient à ptrsser les nuits clehors, coulant le guilledorr. II gar.dait les clefs sous son oreiller et se levait passé minrrit pour inspect.er, en cornpa6nie de NartoF, le dortoir cellulaire de son inventisn. Il trouve rrne nuit toutes les cellules vides. Stupéfaction et colère terrible : n Les coqrrins ont donc des ailes ! Je les leur couper;ri dernain ( ùvec ma doultina. , Le jour venu et les coupafules puraissant devant lui, il se contente pourtant de leurpromettre, en cas de récidive, une prison mieux gardée et moins confortable (l). son personnel domestique se cornposait de six d.ienchtchilts, au nombre desqnels on voit un Taticlrtchel:, un orloi:, un Boutourline, un Souvorofl deux courrier.s pour les messa8es lointains; un valet de chambre, polouboiarof I un secrétaire, Nfakarof, et deux sous-secrétaires : Tcher.lcassof et pamiatine. Nartof en faisait aussi partie, en qualité d'auxiliaire clu 'l'sal polrr son tlavail de tourneur en ivoire et en bois, aurluel il donnait fréquernrnent phrsieurs heures par jour. Tout ce monde fait exception r\ Ia règle générale, {ui veut que les pcr.sonnes ayant alïirire arr souverain de près ou de loin le ditestent autant qu'elles le craignent. Tou.;ours comrne la granrle Catherine plus tard, Pierre le Grancl est adoré de ses sen,iteurs intimes. Il erl va autrement avec ses collaborateuls qui sont aussr habituellemerrt ses favoris, mais, sau| Menchikof, ne conservent pas longtemps ce dernier titre. Pour ceux-ci, des phases de condescendance, de faiblesse même poussée à I'extrême, alroutissent invariablenrent à de brtrsques changements cl'hulneuret à de terribles retours de fortune. pendant que cela vir bien, rls sont de vrais enfants gâtés; pierre prend soin de leur santé et de leu'' bien-être avec une sollicitude de tous les
(l) Mémoit'es, p. i)6 La partie personnelle des souvenirs de Nartof rnérite une certaine créancel le restc e"rt rrne postérieure n'ayant que la -corrrpilation yalrrlrr, tris équivoque en général, des diverses sources anecdoliques auxquelles
elle a été puiséc.

TR,\I'I'S IN'TIM]1S.
jours I

217

pauYre.

il s'occuPe mênre de les marier. euand la catastrophe du malheureux Alexis a mis en faveur u' cres sbires char6é, de Ia ctrpture du Tsarévitch, Alexa.clre Ro'rniantsof, un boïar oflre à ce dernier sa filleassez richement dotée. Fils d,un petit gerrtilhornrne du gouvernement de I(ostroma, Roumiantsof est As-tu vu Ia fille?

lui demande pierre.

Non, on dit qu'elle n'est pas srrtte. C'ssf quelque chose I mais je veux la voir. Il le soir à une réunion o,i ro je'ne personne doit se 'a trouver, se la fait rnontrer aussitôt qu'il est e'tré, hausse les épaules, dit en se parrant à rui-rnême, nrais très haut : u l{itchémou nte byuate ! o pas de ca !) torrrne les talons et P.end la porte. Le lendemain, en apcrce'.'t lioumiantsof, il rdpète . ,, l{ttch_émou rtie ltyuate ! n pui, ajoute : u Je te trou_ rr verai autre chose, etpas prus tar.d quu soirl sois là à cinrl "à u he'res. ,, Bxact au rendez-vous et invitd par le Tsar à pren_ dre place avec lui dans son cabriofet, no'*iontsof n,esî p* nrédiocrenrent maison u" ïJ";1îï "" oPulents sujets de I'Empire. pierre airo..le familièrement le comte en I'embrassant, et, à brûle_pourpoint : Tu as une fille à mar.ier; r,oici le mari. sans autre prélirninaires, madernoiselre Matviéief devient macia're Rou'ria'tsorr. a en croire certains témoignages, elle aurait été déjrï à dix-neuf ans Ia maître.re d,, ,oor,"r"in, et urre rnaîtresse L'ayantsurprise peude temps auprr.a]'r.1"q:. vant en flagra'tdérit d'infidérité, pierre u,r."it choisi *oy"r, de constitucrun gardien à sa vertutrop "" fragire, non sans avoir préalirlrlernent administré à la belle ,r,r" ,otide correct io^ tnonu propria (,1). I\fais les chapitres s'ivants renseig'eront mieux re lecteur sur ce qu'il est pos.sible historiquement cl'apercevoir de certain ou de probable dals ce coin obscur d" .or. i'tiruité.

;Ëïilililî:

;"ffiiï,rr:$i j:

(L) Prr,rrrr, La tieille llfoscourp.

bg.

LIVRE II
L'EN TO
U

RAGE

CHAPITRB PREMIBR
coLLABOAATEURS, AMIS ET FÂVORIS.

I.

Romodanovski. _ Le Prince-César. - Le bureau de la haute police. favoris. - Rouge de Moscou. l,a vieille Russie. Un ours faisanI ollice Place - Souplesse orierrtale' _. -La et férocité. Loyauté, énergie maitre d'hôtel. de - pauvre capiraine et un beau solclat. I-e llenchiLof. Un Chérémétief. Inclilférenca ile Pierre pour les pI'oLe menin du'lsar. garçon pâtissier. Profusion de tlevient prince. AtexacltÀa pos q,ri circulent à ce sujet - f,s chef rniliAbus de pouvoir. Ou)nipotence. iitres et tle fonetionE. taire. L'adrninistrateur. Qualiti's et défauts. - L'apologie du vol. de collaborateurs II. Les Derrri-disgr'âce. L'irrdulgence de Pierre lassée. Golovine. - Arniral sans être rrtarin et ministre tles alfaires second plan. - être diplomate. Apraxine et Varirrs russes et étrangers. étrangères sans .._ Tolstoi. - l,s tliplorrrate Golovkine. Cruys. Politiciens et policierE. - Les dieiruliels rurrl g.and seigreur de la nouvelle -école : [Joris Kourakirre. du Tsar: confeseeur Le Tatichtchef. Néplouief et de g.air,le ,nr.q.,". Narlajinski. Un -match avec le secrétaire tle I'al,rbé [Jubois. - lIl' Les - secontl ordre. Les Jui[s polonais. n faiseurs u de Chafirof. -Iagoujinslii, TJne création du nouveau régirrre-t les pr1 ltslcht'hiks. Les Viesselevski. Le prernier éconornist,e russe : Possochkof. - La Koulbatof , Solovief. tV. Collaborateurs étran{ïera. Lornonossof ftrr.tune dee Dérnidof.- besogne, urais restent Chérénrétief et dans I'ourbre. lls font 6ouvent toute la Le Juif portugais-: Qs[s1mnnn. Jac<1ues Bruce. Ogitvy. Vinniue. - uniforme des bril- Aboutissernent Dàvier. - Un rnaitre -de poliie bâtouné. Villebois.- Un lantes carrières. La culbute finale.-Les Franç.ris.
drarne dans

L'aristocratie et l'élément populaire.

L'école

d,es

diéiatiels.

-

Les grands

Le nègre;

Perryr Fergurlon. Les Anglais. -De unancêtrede PÀuchkine: Abraharn [Iannibal.-V. Bilan génétal.

- de I'Impératrics. le lit
utilités.

sive des grandeurs rivales.
greud Allemacd.

Comparres et

La personnalité tlu grand Iiéforrnateur est excluPieme et Leibnitz. -. Le rôle posthume du

-

COI,LABORATEURS" AMIS ET ITÂVO

RTS

2[9

T

o Notre Tsar est presque seul, lui dixième, à tirer en haut; des millions d'individus tirent en bas. , Bn peignant ainsi, dans son langage imagé, I'isolement de Pierre et les dif6cultés qu'il rencontre pour faire prévaloir sa réforme, Possochkof exagère bien un peu. L'avènement même du grand Réformateur a été, je I'ai montré, le triomphe d'un parti; ses premières tentatives révolutionnaires lui ont été é6alement inspirées par son entourage, et, depuis, il se serait certes trouvé impuissant à accomplir en vingt ans le travail de plusieurs siècles sans une somme assez considérable d'intelligences et d'éner6ies lui prêtant leur concours. Le sol qu'il frappe de son pied dominateur et qu'il arrose de la sueur cle son front se montre fertile, âu contraire, €r capacités disponibles, grossières sans doute, ntais vaillantes. Après les ouvriers de la première heure, les Lefort et les Narychkine, d'autres surgissent, étrangers ou indigènes, ni grantls capitaines sans doute ni politiques très profonds, mais hommes d'action comme lui; comme lui sommairement et superficiellement instruits, mais susceptibles de développer, dans les directions les plus diverses, une fbrce d'initiative, une abondance de ressource$, une puissance d'effort remarquables. Quand il lui en manque dans le camp cle la vieille aristocratie, et c'est bientôt [e cas (alarmée par la hardiesse de ses mesures, suffoquée par la rudesse de ses manières, essoufflée par Ia rapidité vertigineuse de ses allures, la vieille aristocratie demeurant en aruière ou se dérobant), il descend plus bas, jusqu'aux plus profondes couches populaires, et, en échange d'un Nlatviéief ou d'un Troubetzkoï, y trouve un Démidof ou un lagoujinski. Une école se forme ainsi autour de lui d'hommes ,l'h1tat portant une marque spéciale, prototypes des d#icliels

290

L'n 0 M [,18.

(faiseurs) d'une époque plus récente, tour à tour soltlats,diplomates ou écononristes, sans spécialité définie, un peu dilettantes, sans préjrrgés et sans scrupules, sans peur sinon sans

reproche, malchant devanI eu.x. sans regarder en arrièr'e, touiours préts à tailler dans le vif, merveilleusement plrpres à faire vite toutes les besognes et à endosser hardirnent toutes les responsabilités. Ils sont comme Pien.e les veut et corrrrne il faut r1u'ils soient pour ce qu'ils ont à faire ensemble. Il ne leur demande pas, et il a raison, d'étre des pa.angons de verttr. En lT22rCampledon mande au cardinal Ilubois : n J'ai n I'honneur de représenter à votre Érninence que, si elle ne u joint pas à des pour.oirs les moyens de distribuer de l'argerrt ( aux ministres lusses, il ne faut pas espérer de réussir, n quelque avantage que le Tsar puisse trouvel dans une o alliance avec la France: pârce que si ses ministres n'1,trouc vent pas le leur particulier, leurs rntrigues et inimitiés r, secrètes feront échouer les négociations les pltrs utiles et les n plus glorieuses à leur maître. Je vois tous les jours des n expériences de cette vérité (l). , Ces ministres s'apliellent Bruce et ostermann, et les e.rpù'iences, peut-étre très réelles, dont l'envoyé lrancais se prévaut à leur égard, n'empêchent pas que I'année d'avant, à Nystadt, il.* aient renchéri sur Pierre lui-même pour la défense de ses intérêts, et obtenu des conditions de paix qu'il n'osait se prornettre. 'frois hommes clans tout ce personnel contemporain du 6rand règne sont à tirer hors pair : Romodanovski, Clrtii'émritief et Menchikof. Les deux premiers ont joui serrls d'un privilège refusé à catheline elle-même : de pi.nétrer à toute heure chez le souverain sans se laire annoncer. En les congécliant, Pierre les reconduisait jusqu'à la porte de son cabinet. De toutes les fhmilles princières issues de Rourik, atrcune, dans les plemières a'nées du dix-huitième siècle, n'égalait en inflrrerrce et situation acquise ce[e des Romodanovski. Au siècle d'avant, elle nc comptait pourtant encore que parmi les
(L) âbjuillet 1722. AIf . êtr,

COI,I,.\BORITET]RS, .,\I.TIS ET

FAVORIS.

22',

familles de second rang, yenant après les Tcherkaski, Troubetzlioï, Galitsine, Repnine, Ouroussof, thér'émétief, Saltikof, et sur un pied d'égalité avec les Kourakine, Dolgorouki, Yolkonski, Lobanof (1). Ranreau cadet d'une des branches cadettes de la grande rnuison du chef normand, celle des princes de Starodoub, elle a tiré son nom, au quinzième siècle, de la terre de RomoclanoÊ, dans le gouvernemenl de Vladimir. Elle s'est poussée depuis au premier rang par une attribution en quelque sorte héréditaire d'emploi, qui, ailleurs, ne lui eùt pas constitué un titre de gloire. Lors de la création par le tsar Alexis d'un bureau de haute police à PréobrajenskoTé, avec cachots souterrains et chambres de question, la direction en a été confiée au prince Georges (ou louri) Ivanovitch Romodanovslii. Son fils, après sa mort, est devenu trtulaire du poste et I'a transmis encore à son héritier. Ce fils de Georges lvanovitch est Ie Prince-César que I'on connaît déjà. C'est en 1694, scmble-t-il, et en récompense de la victoire rempor,.Lée par lui srrr le faux roi de Pologne figuré pal Bouto'r'line,, que Pierre â eu I'idée de I'aflubler de ce titre. Ce n'était, qrr'une plaisanterie, mais on sait comrnent le plaisant et Ie sér'ieux se sont mêlés tlirns les fantaisies dugrand homme. Il est plus difficile d'inragirrcr comment I'homme quc paraît être le prince Féodor louliévitch a pu se prêter, sa vie durant, à cette comédie. Il n'a rien d'un bouffon, ni I'hurneur folâtre, ni la docilité. Peut-être, avec la naiveté cl'un barbare, ne s'est-il pas avisé de la réalité injurieuse et dégradante, si apparente pourtant sous la dérision cle sa maieste. Àux yeux de Pierre, il a évidemment repr'ésenté une transaction suprêrne avec le régirne condamné par lui. C'est pour cela que le Réfornrateur tolère ses moustachcs et son cnstume tatare ou polonais I mais, en rnême ternps que Pierle élève et consacre au culte dLr passé cette espèce d'idole conrmémortrtive et expiatoire, il bafbue et honnit en elle et ce passé détesté et tout ce (l)
KolocurrrrNE. n[timoires,lrétersbourg, L881,, p. 25 et suiv.

6rs6)

I,'HOMME.

qu'il parvient à y associer d'idées et de souvenirs offensants pour lui : le vieux l(reml de lVloscou et la PomPe serni-asiatiqne des Tsars , €x - vassaux du grand Han, dont le lourd appareil a pesé sur ses jeunes irntrées ; la vieille Burg de Vienne et la

il a arrssi senti le poicls à une s'ur la scène du monde. jamais de ses débuts oubliée, heure, C'est tout cela qu'il entend totrrner en risée et précipiter dans le néant. Le personnage choisi pour ce rôle équivoque a ses mérites. Placé, en apparence du moins, au-dessus cle toute atteinte, il se met très réellement au-clessus de tout soupcon. Il est à toute épreuve : loyal , probe et implacable, cceur de roche et main de fer. Au milieu cle toutes les intrigtres, de toutes les bassesses, de toutes les avidités qui se clonnent carrière dans I'entourage du Souverain, il reste droit, huutain, pur, et, une émettte venant à gronder à Nfoscou, il l'arrête net avec un expédient de sa façon : deux cents émeutiers pris dans la foule et suspendus par les côtes à des crochets de fer sur Ia Place Rouge, ainsi bien nomrnée, de I'antique capitale. Il a des cachots et des instruments de torture jusque dans sa propre maison, et Pierrer c[ui est alors en Hollande, venant à Iui reprocher un abus de son terrible pouvoir, comrnis en état d'ivresse, il répond vertement : u C'est à ceux qtri ont des o loisirs et vont les employer en Pays étrangers de {i'équenter n Iuachka,' nous autres avons rnieux à faire que d'ingurgiter " du vin; nous nous lauons tou.ç les jours dans du sang (l). " IJn certain genre de souplesse rt'est pourtant pas tout à fait étranger à son caractère : il tient de trop près à I'Orient. Il lui arrive bien de contralier Ie Souverain à la dérobée, parfbis mêrne cle le fronder ouvertement, et, €r 1713, écrivant ;i I'amiral Aplaxirte , le volontair"e despote semble ne plrrs savoir corilrnent se tirer d'affaire avec u ce diable d'homme qui n'agit qu'à sa guise , . Romodanovski a I'air de prendre très au sérieux sa souveraineté et de n'entendre Pas raillerie à
majesté des Césals romaitrs, dont

(l)

Écrits et Correspondancede

Pwre, t. I, p. 22ô-et

671'

COLI,ABONATEUNS. AMIS ET FAVORIS. ce suiet. Chérérnétief, en

228

de Poltava,

lui annoncant le gain de la bataille I'appelle Sei"e et Yone Maicsté. On ne pénètre dans

la cour de son palais gu'à pied et chapeau bas; Pierre luimême laisse son cabriolet à la porte. On se prosterne jusqu'à terre en I'abordant. Il a un luxe de monargue asiatique et des
fantaisies personnelles à I'avenant. Sa suite, quand il va à la chasse, se compose de cinq cents personnes, et les visii.errrs de tout rang qui se présentent chez lui sont tenus de vider en entrant un énorme verue d'eau-de-vle grossière assaisonnée de poivre, {u'un ours apprivoisé leur sert en ûrognant. Si on fait nrine de refuser, I'ours lâche le plateau et empoigne Ie visiteur (l). Mais le même homme n'a garde d'oublier que le parvenu Menchikof est grand amateur de poissons, et il prend soin de lui envoyer les meilleurs produits de son vivier, en même temps que des barils de vin et d'hydromel au dienclttchik Pospiélof, grand ivrogne et grand favori du Tsar (2). Chérémétief est, lui aussi à sa manière, un représentant du passé. A Narva, il perd la téte, comme tout Ie monde; à Pol-

tava, il fait bravement son devoir, comme tout Ie moncle ; dans son testament, rédigé en 1718, il confie son âme pécheresse au Tsar (3), et ce trait le peint tout entier. Il est sirnple,
candide et ignorant. Qtrel grade aviez-vous avant de venir ici ? demande-t-il à un sous-of ficier qui arrive d'Allernagne. Capitaine d'armes. - /,'y71, cela ne veut-il pas dire pauvre en allemand ? Vous étiez dans votre pays un pauvre capitaine; eh bien, vous serez capitaine chez nous et riche par-dessus Ie marché (A). Nlais c'est un superbe soldat; toujours le prenrier au feu,

gardant sa tranquille sérénité sous les balles, adoré de

ses

hommes. Dans les rues de N'loscou, s'il aperçoit qrrelque ofÊcier ayant servi sous ses ordres, il ne mangue prs de descendre
Hurnor, La tomtesse Goloukme et son ternps, p. Z6 et ruiv. (2) DorconouKoF, I\Iémoires, t. I, p. 55. (3) Archive russe, 1875, t. I, p. 86. (4) Bnuce , Mémoires, Londres, 1782, p. ll8.
(1.)

22!t

L'H

OM

ME.

de son carrosse, aussi cloré que celui de Menchikof, pour serrer la main clu vieur compafrnon. Le c(Èrrf sur la main, généreux et hospitalier, nonrlissant une armée de mendiants et tenant table ouverte de cinquante couverts tous les jouls, il oflie à la vue un des derniers spécimens de I'ancien boiar
rnoscovite, dans ce que le type a eu de sympathique. Alexandre Danilovitch Menchikoli en pelsonnifie un trutre, bien différent. Il ouvre en Russie la série des grands parvenus, créatures du caprice souverain. Une légende veut que clans sa jeunesse il ait été garçon pàtissier. Son diplôme de prince le fait descendre tl'une ancienne famille lithuanienne. A la

rigueur, les deux versions peuvent s'accorder. Le fils d'un petit gentillâtre des environs de Smolensk a pu vendre des gàteaux clans les rues de Moscou ; un chevalier de Saint-Louis
en vendaitbien à Versailles du temps de Sterne

(l).

Son père,

en tout cas, n'a pas franchi le grade de caporal dans le régiment Préobrajenskr, et il y débutait lui-même aux environs

cle 1698 cornme sergent. Peut-être cumulait-il à ce rnornent cet emploi avec le colportage des pirogui. N[ême dans les régiments de nouvelle forrnation mis sur pied par Pierre, les traclitions léguées par les Sn"eltsy ont longtemps perpétué un

élément d'industrialisme fort curieux. \Iais à cette époque dé.ià [e jeune homrne passait pour être très avant dans les bonnes grâces du Tsar, qui se servait pour le désigner du dinrintrtif caressant d' Ale t'achlta et lui prodiguait en public des trirnoignages d'une tcndresse presque passionnée (2). On se souvient clu rtile que cles rapports, tl'ailleurs contestés, lur fbut jouer dans une scène de violence cltez le général Cheine, où Pierre a eu besoiu cl'étre rappelé à la raison (3). L'orig-ine cle sa faveur est attribuée par tl'autres récits à une intervention autrernent salutaile et imporûante darrs la destinée du souveririn. Se renclant à cliner chez un bo'far, Pierre est accosté par le ytrojniL; sa figure lui plaît, et il I'emmène, le faisant
(l\; Sentintetûal Jourttel,. (,lhapitle du pâtissier. (2) Voy. Solovrnn, t. XIV, p.267. (3) Voy. ci-dessur, p. 128.

COLLANORATEURS, AMIS ET FAVORIS.
se

225

tenrr derrière sa chaise pendant le repas. A un moment, alors qu'il étend Ia main pour se servir d'un plat, un geste du pâtissier et des paroles prnnoncées à voix basse arrêtent le Tsar. Quelques heures auparavant, le pit'ojnik a pénétré dans les cuisines du boiar et a surpris les apprêts d'une tentative d'empoisonnement. Le plat servi séance tenante à un chien prouve Ia réalité de l'attentat, le boiar et ses complices sont arrêtés, et Aletachha a débuté dans sa carrière prestigieuse (l ). Né en 1673, une année avant Pierre, grand, hien lait, avec un visage agréable, il se distinsue de son maître et de la plupart des Russes, ses contemporains, pâr un grand souci cle propreté et même d'élégance personnelle. Le rôle représentatif qui lui échoit plus tard tient, dans une certaine mesure, à cette particularité. Il n'a pourtant aucune éducution. Il ne saura jamais ni lire ni écrire et apprendra serrlement à signer son nom (9). S'il faut en croile Catherine II, qui a eu les moyens d'être bien renseignée, il ne serait pas arrivé davantage à posséder .. une idée claire sur quoi que ce soit (e) ', . l\Iais à I'exemple de Pierre, bien que d'une manière très inférieure, il s'approprie des notions sommaires sur toutes choses, en y comprenant les façons du grand monde. Il est I'omhre du génial souverain. Il I'accompasne sous les murs d'Azof et pnrtage sa tente ; il Ie suit à l'étranger et participe à ses études ; il prend part à la répression des Streltsy et se vante, dit-on, d'avoir abattu de sa main vingt têtes de rebelles; après s'être laissé couper la barbe par Pierre lui-même, il làit office cte perruquier auprès des membles de la municipalité de Moscou, et les amène ainsi accommodés devant le Tsar, symbolisant sa coopération {:uture à l'æuvre du grLrnd règne. Dès I'année t 700 il paraît exercer dans la maison du souverain les lbnctions de (t)
Bnucc, trIénrcïres, p. 76.

(2) Les exertrples cités par Orrsrnrlr,oF, t. IV, p. 210, à I'appui d'une assertion contt aire, tle sigrratures auxquelles le favori aurait ajouté dcs apostilles conrrne u:i,'/ (a leçu), <'u .,trittial i spisal.ria (a reçtr et fait réponse) , ne sont pas c(,ncluants. Le rérrro\;nage de Catherine I'cst liien dnvantal;e. Voy. aussi lis'rpopr Riorlr',tphie, Archive r'u$se, t875, t. II, p. 56J; Kolnrrrsl, Arclrivesrt. l, p,26.
(13)

l,ettre à Grirnm du 20 janvier 1776 (sliornik).

IF

22$

I,'HOM],lIJ.

maiordome, et avoir pris dans son cæur une place tout à Fait à part. En lui écrivant, Pierre I'appelle : ntin Het"z.enskind (enfant de mon cæur), nin be.ster hrtnt (mon meillcur. ami), ou nrêrne min Bruder, qualificatifs dont il ne s'est 3arnais servi pour personne d'autre. Les réponses du favori sont d'un ton également fâmilier, et, détail significatif, il n'ajoute aucune formule de respect à sa signature, alors que Chérémétief lrri, mêrne signe t Naitltosliëdnieichyî. rab tuoi (1" dernier de vos
esclaves) (I ) .

L'opinion générale des contemporains veut que cette liaison ne soit pns de simple anritié, Pierre montrant d'ailleurs une indiflér'ence singrrlière pour ce genre d'irnputations. En 1702. un capitaine d'armes du régiment Préobrajenski, convaincu cle s'être laissé aller à des propos très libres sur ce thème scabreux, est simplement renvoyé dans une garnison éloignée, et le fait se repro(luit à plusieurs reprises (2). Le favori a pourtant pour maîtresses les deux sæurs Arsénief, Daria et Barbe, demoiselles de cour de la tsarevna Nathalie, scnur préfér'ée du souverain, auxqueiles il écrit en commun : elles jugent à propos de faire épargrre de sentimerrts jaloux. Il finira par épousel I'aînée, vis-à-vis de laquelle Pien'e semble avoir eu des obligal"ions personnelles d'un caractère énigmatique. En conduisant Daria à I'autel, Menchikof obéila à une sorte de mise en denreure de la part de son atrguste ami, inspirée, celle-ci, par des scrnpules mystérieux, un cas de conscience inexpliqué. Confrrs et noyé d'omble, un coin de la vie intime du héros transparirtt là, uvec des dessous louches et des promiscuités étrauges, qui sollicitent et découragent les
investigations.

En 170:], les deux amis sont nommés le méme jour chevaliers de Saint-André, .. quoique indignes D i alïirme Pierre dans urre lettre à r\praxine (3). Puis la graude lëerie du tâvoritisrne commence pour Aleracltlta. Bn 1706,
(2) Archive ruEôe, !,8f5, (3) tb;d.

il devient prince

({) Ecrits et Carrespondance de Pierre, L lI, p. 236.

t III, p. 780-782.

COLI,ABORATEURS, AMIS ET FAVORIS,

q6ra

du Saint-Empire I I'année suiva'te, après sa victoire sur Ie géndral suédoi,. Ilardefeltlt (ri It:rlisz,lB octobre r 70{i), il prend le rang de prince lusse souvt:r'airt (uladiétielnyi roussÈti Ktriaz), arr titre de duc d'I.jora, irvec toute I'Ingrie comrne aponage iréréditaire; il est aussi comte de Doubrovna, de Gorki et de pot<:hep, souverain hér'éditaire d'oranienbaum et de Batourine, généralissirne, mernbre du conseil supérieur, maréchal de l'Ernlrire, président du collège de la guerre, amiral du parillon rouge, gouverneur général de saint-Pétersbour5;, lieutenantcolonel du régirnent Préobrajenski, lieutenant-colonel cles trois régiments des gardes du corps, capitaine de la compagnie des bombardiers, chevalier des ordres de Saint-André, de Saint-Alexandre, de l'É,léphant, de I'Aigle blanc, de I'Aigle noir. .. II n'est pas satisfait. En lrIl, il négocie avec Ia duchesse douailière de Courlande Ie rachat de son titre et de son duché, se croit près de réussir I'anrrée suivante et se fait doj \ pr.éter serment par les fbnctionnaires du pays (t). Forcé de remettre à un autre temps une prise de possession définitive qui olTusque la Pologne, il n'y renonce pas, et se venge sul les seigneurs polonais en les forcant à lui céder à vil prix des domaines immenses. Il ajoute ainsi à ses splendeurs une richesse énorme. En Ulirline il fait marché avec ilIazepoa pour le district entier de Potchep, et s'empare des biens clui y appartiennent aux olficiers cosaques. un poteau à ses arnes dressé dans un village équivarrt à un title de proPriété; au besoin il y ajorrte une potence. Il a recours aussi à de.s spéculations, gri, fondées sur la rnise en vuleur de son potrvoir plesque absolu, ne peuvent êtle rlue lucratives. Avec Tolstoï, avec le Juif cbafirof, il crée des fabriques qu'il dote de pr,ivilèges arbitraires (2) . son pouvoir n'est limité que par les repentir.s pér.iodiques du souverain, suivis dc nresures de répression contre les arbus
(t)
flave.
Dépêche de

de Bie aux États généraux, P6 avril lzl2. archives de
Les grandes

id,

(2) K^nno"rcca,

fortunes, p.:120 et suiv.

228

L'HOMME.

commis; à part cela, la dictature qu'il exerce est, dans un sens, pltrs entière que celle de Pierre, car le favori ne la lirnite luimême par aucune considération d'ordre supérieur. A en croire, d'ailleurs, le rtisiclent impérial l)leyer, il en arrivait, à contremander les ordres du Tsur ; err sa présence il maltraitait le tsarevitch, le prenait par les cheverrx et le jetait à terre; les tsarévny se prosternaient devant lui (l). Que vaut I'homme et que fait-il pour être et avoir tout cela ? Au pornt de vue militaire, il ne faut lui demander ni science ni même bravoure. u Sans expérience, savoir, ni coura8e u, dit Whitworth (2). Mais il montre de I'endurance dans la nrauvaise fortune, de l'élan dans le succès, de l'énergie toujours. u Actif, entreprenant u, dit Campredorl, en ajoutant : u Peu discret, enclin au mensonse, fera pour de I'argent tout ce qu'on vouclm (3). " Le bizarre rnélange cl'esplit sérieur et cle prérilité, qui paraît clans la manière d'être et de laire de Pierre, s'accllse égalemenL chez son alter ego en traits presque aussi saillants. En aoùt 1708, au passage de la Bérézina et à la veille d'une rencontre que cherchent les Suédois et qu'il essaye d'éviter, je le trouve occupé d'utte livrée nouvelle pour des domestiques allemands qu'il envoie à sa fernrne. Il semble attacherà ce cléttil une importance énortne. Pendant qu'iI n,esure les galons et dessine les basques, Charles XII rnanæuvl'e de façorr à rendre la bataille inévitlble. L'issue n'en est pourtant pas aussi clésastreuse pour Ies troupes russes que I'on aurait pu s'y attendre. Elles soutiennent Ie choc avec uue fermc'té qui déjà pr'ésage les victoires futures. Le favori s'est ressaisi. Patiornkine sera plus tard de cette école. A Poltava, vingt-quatre heures sont perdues par lui avertt la poursuite, {ui, succédant de plus près à la déroute tles Suérlois, aurait infailliblcment mis Charles entre ses ntitins avec les débris de I'atrnée vtrincue. Quand iÏ arrive à rejoirrdi'e Loewenhaupt sur les bortls du Dniéper, le Iloi a eu le temps
({) Ousrnrrlop, t. IV, 2" p., p. 61.?, 623, 656.
l6)\

l)épêche du

t7 sept. 1708. Snonum, t. L, p. 64.

(3)

3 mai L725. Aff. étr. de France.

cor,LABoRATET'RS, AMIS ET FAVORtS.

2?"9

de gagner I'autre rive, et le favori, n'ayant avec lui qu'un gros détachement de cavalerie, se trouve en assez mauvaise posture. Son heureuse étoile et son aurlace I'aiclent à se tirer de

ce mauvais pas : il fait comme si toute I'armée victorietrse marchait sur ses talons I les vaincus, démoralisés, s'en laissent
irnposer, et Loeweuhaupt capitule. Cornme administrateur, ses talents servent surtout à I'en-

richir. Il vole elfrontément, et impunément Ia plupart du temps. Bn 1714, il est vrai, I'excès de ses ddprédationsanrène une enquête qui se prolorrge indéfiniment. Nfais il est retors I il exhibe de vieux comptes qui le rendent de son côté créaucier
rlu Trésor l)our des somrnes plus fortes que celles qu'on lui rdclame, et quand, au bout de quatre années, une dénonciation nouvelle le trouve à court d'arguments, il se rend auprès de Pierre et lui tient à peu près ce langage : u Bnquêteurs et dénonciateurs ne savent ni ce qu'ils disent, a ni ce qu'ils font. Ils s'ernbarrassent de vétilles. S'ils prén tendent qualifier cle vol I'attribrrtion que j'ai pu faire r\ rnon a ûsâgc personnel de sommes dont j'ai eu,la disposition, ils u sont loin de conrpte. oui, j'ai volé les cent mille roubles dont n parle Nie,ganovski; j'ai volé bien autre chose ! Je ne sarrrais u moi-mêrne dire combien. après Poltava j'ai trour'é dans le ,. çarr)p suédois des sornmes considérables, j'en ai distrait pour .. rnoi vingt mille et quelques écus I votre intendant tr(our,, batof, homme probe, m'a remis à diverses reprises d'autres a sorrûrûs puisées dans votre caisse, argent monnavé et .. lingots; à Lubeck, je rne suis làit donner cinq mille ducats I ', à Humbourg, le double; dans le N{eclclembourg et les pos( sessions suédoises d Allcnragne, douze rnille thalers; à ,, Dantzi8, vingt mille. J'en oublie. J'ai usé à ma {'acon de u I'arrtorité que vous m'avez donnée. J'ai fait en grand ce clue u d'autres autour cle vous font en petit. Si j'ai eu tort, j'uurr rais dù être averli plus tôt... r Pierre fut désarnré. Il se senlait complice. LJne fbis de plrrs il passa l'éponge. NIais les clénorrciations se multipliaient. Un crédit de 21,000 roubles avait été assigné en lZ06 pour une

230

r,'HoltME.

remonte .le chevaux de guerre; il avaiL dispral'u; le voleur justice était toujours Ie même. Le cas relevait cette {ois de la fortcses de militaire; elle condamnait Ie favori h la privation tions et gracles. Pierre faisait grâce. L'enquête continuait; les cl'autres enquétes se greffuient sur elle, provoquées par prdvarications do *enio impérial en Pologne, en Pomdlanie, il avait àun* le gouvernement de Saint-Pétersbourg, partoutoù

la main, et il n'était guère de plovrnce ni de département lasser' adnrinistratif qui lui échappàt. Le Tsarfinisstrit par s'en souverain L'avidité i1satiable de son ami menaçait de créer au Revel ,'Lotof des difficultés diplornatiques. Le gouverneur de les marétait accusé par le résident hollandais de Pressurer le prodtril chands cle son pays, en partageilnt avec l\Ienchiko[: favori se le pour de ses exactio*s. Les sentiments du maître disParelroirlissaient d'année en tnttée1 I'ancienne familiarité
',

un.iour, raissait peu à peu de leurs relations. Pierre en venait voleur dans utr ûlouvetnent cle colère, à menacer I'incorrigible
de

la tête entrer en cortume de pâtissier portant une manne sur L'e u et criant ; n Je venrls d'es piroguz's cuits au lbur' Il riait' conI'apprri traitre avait plus d'une corde à son arc' I[ avait été sa stant, invariablemerrt fidèle, de catherine. Elle avait l'af'fection aussi Pasmaïtresse, et s'en sourrenuit. ll exploitait le petit {''emme, seconde sa de fils le sionnée du Tsar pour souPierre Pétrovitcn; it avait soin, pendant les absences du n trésor du verain, de lui envoyer {réquemment des nouvelles répétant sans prix u , racontant comment il jouait au soldat, ,r, ,nttr, s'extasiaut sur ses gentillesses- Mais surtout il restait I'honnél'homme de La situation, celui sur leqlel, en mettaut compter sûrement teté fiors de cause, Pierre pouvait le plus un esprit cle pour Ie seconder ou le suppléer Par une vigueur' qui ne ressources de résolution et cl'initiative, une abondance un corPs $e démentaient jamais. Envoyé en Finlande avec Pieffe est absent' d'armée, Apraxine risque d'y mourir de faim. marclrands Le Sénut appelé à intervenir ne décide rien. Lcs est vitle' [Ienref'usent rJe rien livrer sans ar$ent, et le trésor

lui faire reprendre son ancien état. Le soir, il Ie vol'ait

coLLARoRtl'EURS, AMIS Er, t'aVoRIS. 231 chikofidonne I'orclre d'enfoncer les portes cles magasins, fait main basse sur les provisions qu'il y trouve et les à Abo. "rrooi* on crie â I'accalla.ement; les sénateurs, intéressés dans le commerce du lrlé, fbnt mine de vouloir arrêter le favori. Il tie't tête à I'orage. et, au retour d* Tsar, n'a pas de peine, cette f'ois, à se justifier. son coup d'État o ,u.rol les troupes de Finlancle. Il a'ait enfin pour lui I'indignité cle ses accusateurs. r,,un cl'errx, Itou'llatof, étaitconvainc'cle lraude lui-nrême, en l7pl, et condamné au pavement cl'une amende. Il se soutient ai.si jusqu'à la fi', de plus en pl*s menacé, mais su'naseant toujorrrs. En l7zg, catherine prerlart pour Ia vingtièrue I'ois Ia défe'se de son protégé, pierre I'inter.r.ornpt brusquement : n I\Ienchikol'est ver*r a'monde comme il viî; n sa mère l'i a donné le jour dans le péclré, et il mourra dans u Ia friponnerie I s'il ne s'amencre, il aura la tête coupée. u L,ancienne tendresse a vécu. son esprit mênre, qui tant de fois a fbrcé I'indulgence du Ts.r en l'égayant, ne sert le f.ar.ori Plus comme par le passé. E'trant dans le palais du fastueu-x parven', Pierre en voit les murs nus, les ,ulor* démeuble*. ç1,r" veut dire cctte désolation? J'ai dù vendre te'tu'es et meubles pour payer les amendes qui m'ont été inrposées. Eh bie', rachetez ce que vous avez vendul sinon, je croublerai les amendes. Le cha'me est rorrpu. on enrève à Me'chii<of Ia présiclerrce clu collège de la {Tuerre; on rui reprencl 1b,000 âmes 'olées dans les anciens domaines cle NlazePpa (l). La mort de pierre le trouve dans une derni-disgrâce. II en -sort à l,ayènement de catherine pour retrouver. rne situation et un pouvoir encore a5yr.rrdis, farre rnorrter à sa fille les marches âu trône, puis, à la de ce triourphe suPrême, voir crouler sa fortune et finir'eille ses jours en exil avec quelques copeclis par jour pour
biographie Bssreor, loc. cit.; Sor,ovrrr, t, xvl, .(l) !:oy. pour sa et Gor.rxor, t. ttI, p. t+Of et suiv. I NrnroF, h7 et suirr; poss"ï,r,, 1t, ,. i, '.281 p. 545 et suiv.
srriv. 1

212

L'HOMME,

vivre. Cette second,e moitié de sa carrière sort de mon cadre actuel; j'aurai peut-être I'occasion d'y l'evenir' à ce strjet, ce collaQuoi qo'o., ait pu irnaginer et avancer borateur n'est pas une grande intelligence; c'e::t une force, qu'il serait malséant cle méconnaître ou de cléprécier. N[ise entre les mains cle Pierre au service de la plus puissante volonté que I'histoire moderne ait connue avattt Napoléon, précipitée dott une Poussée f'ormidable à travers I'immeuse steppe incrrlte qu'est alors la Russie et ernployée r\ son défrichenrent' elle a sa valeur; elle lenverse les obstacles, brise les résistandes ces I c'est un fleuve intpétueux irux eaux troubles, charrialt de la {ange' Sermes féconds dans Hautain, brutal, cupide et féroce, I'honrrne n'était pas ainrable ni aimé. Quand, en 1706, sa maison de Moscou brùlait, toutc la ville était en allégresse (l). Pielre ne s'en érnut pas' II a eu toujours des préféI'etlces secrètes Pour ceux de ses serviteurs qui, en dehors de ltri, ne Pouvaient compter sur rien ni sur Personne.

II
J'arrive aux collirborateurs de seconcl plan. Quelques-ulls intéappartiennent r\ la vieille noblesse; ce ne sont pas les plus ,àrrontr. A'pelé, après Ia mort de Lefort, à la direction de l'amirauté et à celle du Bureau des envoyés étrangers (Posolsl'époque, kot Prihaze),le ministère des aftirires étran6ères de Il rri diplomate. marin F-éodor Aléxiéiévitch Golovine n'est ni nrarie son frère, Alexis, à une sæur de Nlenchikof; il a pou'r mignon lagoujinski, dont Pierre à son tour appréciera les q.rllitér; il porte majestueusement le com.,o,s) signe distinctif i* ,n charge : c'est tout son rnérite. Apraxirre, clui lui s'ccède doit en I70{i comme grand amiral, est plus sérieux déjà' mais
(L) Archive
russe,

{875,2" l', P'&9 (EssIpor)'

coLLAR(l rtal'BtrRS, .tMIS E.f l..Av() R ts.
encore une bonne

233

part de sa supériorité et de ses strecès à la présence, dans les bureaux de la marine, clu Norvégien cruys. Aussr jalouse-t-il ce rival subaltelne et saisit nvec un horrteux enrpressement, en 17I3, I'occasicln de s'en débarrasser. A Ia suite de Ia perte d'un rravire causée par un signal mal interprété, un conseil de guerre, présidd par Ie grand arniral, condamne à mort l'étranger. Pas chevaleresque no' plus ce chef d'une famille dont certains généalogistes contestent, à vrai dire, les prétentions aristocratiques ! Ayant eu sa peine commuée par Pierre en exil perpétuel, Cruys en revient avant peu : depuis son départ tout est allé de travers à I'Amirauté. La direction du Posolskoi Prihaze, avec le titre de chancelier, échoit après Golovine à Gabriel lvn'ovitch Golovki'e; encore une nullité décorative. Inaugurant un svstème auquel catherine II donnera un plus grand cléveloppement, pierre séparait
volontiers Ie tit.e de la fbnction, ce qui Iui permettaitde satisfai.e plrrs facilement son goùt polrr les favoris cle basse extraction. liérluisant le ministre titulaire à un rôle de fi6;uration, il se trouvait pour le service effectif de sa politique extérieure, des ostermann et des ltrgoujinski. compagnon d'enfance du souverain, plus tard un de ses compafTnons de plaisir et cle déb.uche les plus habituels, son pare't aussi par les Narychkine, Gabriel Ivanovitclt avait encore à son actiliune grande aptitucle â Prenrl'e le to, drr maître, arrquel il écrivait dans une lettre officielle : r, Votre Nlajesté a daigrré fâire mention de ma goutte rc comûl€ venant de I'abus des plaisirs de \rénus;.je cl,-,is à Votre n N{ajesté de Iui faire cornaître la vér'ité à cet égard, qui est que n le mal provient plutôt chez moi d'un excès de boisson. , comme probité, il était au niveau commu' : il passait l)or. recevoir une pension de l\lazeppa, ot, en décenrbre tita, Pierre lui faisait reproche, en plein sénart, rles fraudes qu'il était convaincu d'avoir commises dans les fournitures de I'arrnée, en concurrence avec i\[errc]rikof (f ). La vieille a.istucratie avait rnieux gue cela à ofï'ir à pierre, (l)
Lte Bie aux États génér'auxr gr. déce'rbre lTLr+. archivee de

la Flave.

2:3tt'

l,tH o II rr E

r, farrt mettre urre pierre dans sâ poche pour lui casser les u derrts avant qrr'il soit trop tard. ,r Et cet autre, avec une caresse sur le li'orrt du redorrtable politicien : u O tête, tête, si u je.e te savais si lrabile, il y a lonl;te*rps que je t'aurais fait ( corrl)er. ' Diplornate à Vienne et à Constarrtinople, argousin anx trorrsses du mallreurenx Alexis, Tolstol gaiine par rles services, lronteux quelquefbis, muis toujours mettarrt en lumiere des ressources rernilrrluables, le cordon bleu, un siège au sénat et de vastes dornaines. On ne lui cassera les dents qrr'a1lrès la mort de Pierre : à quatre-vingt-derrx ans, entraîrré clarrs rrrr conflit al'ec Nlenchil<of, il f'era conrraissnnce, lui arrssi, 1r'ec les anrertrrrnes de I'exil et avec les rivages inhospituliers de la mer I3lanche ( I ). Dans les rangs de I'aristocratie, Boris Ivanovitch l(ourakine est, au seuil du dix-huitième siècle, la lrremière et rléjà très séduisante incrrnation du diplomute russe grand seignerrr., grre l'liurope a connrr delluis I nrsé comnre un Or.ierrtal,souple comme un sluve, épris de littérature comnle un intinre de I'hôtel de Rambouillet et passionné pour torrtes les rilégrrnces comme un habitué de Versailles. Entré clans la Farnille du Tsar par son mnriage avec Xénia Laporrhine, sæur de la première f'emme de Pierre, il sart, pendant qtr'il en est temps, tirer parti de cel-te parenté et la faire oublier après. Représentant la Rrrssie à Londres d'abord, arrprès de la reine Anne, puis au Hanovre.auprès du futurroi d'Angleterre,à puris errfinsous la Rtigence et pendirnt les prernières années du règue de Lorris XV, très jeune d'àg'e et d'expérience h ses débuts, n'a pas cinqrratrte ans à sa mort en 1127, on le voit -il très erlbarrassé parfbis de sa personne comn)e-diplomnte, mais galclant son rang comme grand seigneut, sotrtenAnt celui de son pays et corrvrant ses rnaltclresses par un mélange de fierté et de grâce qui ne se dément jamais. (l) Nit Poror, Étud"
sur Tolstoi, Ancienne et nouueile "Ërrssre, lgi5.

au point de vue de I'intelligence tout au moins. Tolstoi, qrri en est, justifie ce proPos drr Tsar : u Quand on a af lirire à lui, il

COI,LABORATETTRS, ÀMIS ET FAVORIS.

2:II-I

Je dois me borner dans mon éntrmérntion. La personnalité la plus intéressante du groupe apparait en ce llasile Niliititch

Toii*lrt"lteÊ, qui a fait souclte d hornrlles remuitnts comme lui et clont la famille rernottte à Rourik ptrr les princes de Srnolensk. Celui-ci est le ciieiatiel pirr excellence, le meilleur élève aussi de Pierre-et d'une école dirigée h Nloscou Par un b'rancitis. En en softant, il fit partie avec Niéplouief d'une troupe de jeunes Sens envoyés par l)ierre à l'étranser potrr Y acllever leur éducation. Quelqrres-uns, et de ce nonrbre NiéPIorrief luimême, étaient déjà mariés. Par Revel, coperrlragrre, Hambourg, ils gngnèrent Amsterclarn et y trouvèrent trrute utre colonie d'étudinrtts t'usses. Vingt'sept d'entre euK furent alors expédiés à Verrise, où ils devaient prerrdt'e service sur les flot" tes cle lu République. Niéplorrief purticipa ainsi à tttre expétlition dans I'ile de Corforr. Sur torrt le littoral de ln Nléditerranée et nrême de I'Atlantique., de Cntlix à Gênes' on trouvait alors de ces étrrdinnts npprentis d'origine moscovite. Des rgents spéciaux, Bdklénrichef Porrr le sucl de I'Europe, le prince lvan Lvof pour la Hollande et un dcs ZoLof pour la France, étaient charger a" surveiller et de diriger lerrrs travaux et leurs pérégrinations. Au retour, Pierre les attendait dans son calrinet, et à six heures du matin, une chatrdelle à la rnain' car on était erl plein hiver et le soleil n'avait Pas paru, il vérifiuit sur une carte leurs connarssallces en matière de géographie, les secouant ntdement si l'épreuve tre tournait pas à leuravantage et leur montrant ses mains callerrses, a qu'il a voulues ainsi pour donner I'exemPle à tous (l) " . Niéplouref se pr.épLrra de la sorte 5 sspvir son Pays tour t\ tour cornme diplonrute en Turquie, chef tl'atlrninistration en Petite-Russie, dilectetrr des mines dans I'Oural. Tatichtchef I'emporte sur lui en variété d'aptitutles' apl)roprintion facile de ses facultés à tous les emplois, activité infntigable. Élèr'e modèle, il passe sa vie à réciter une leçon bien apprise : toujours en mouvement à l'exemple du maitre et touchant à tout, (l)
NrÉnr,,rrrur, Illtintofi'es, p. L03; PrÉxensrr, tra science et lu littérature en
.Burrie.

p. lt*l-lt&'

236

L'HOMME.

guerre, diplomatie, finances, administration, scîence, indus' trie; colnme lui ardent au travail et pénétré du sentiment de .sa responsabilité ; comrne lui sans cesse agissnnt et poussant les autres à I'action, tuisant table rase du passé et créaut l'avenir I comnre lui rtniversel, strperficiel et minutieux; comme lui tenant à I'Oricnt par tles liens encore intirnes, mais tournant délibérérrtent son visage et sorr esprit du côté opposé. Il assiste en 1704 à la prise de Narva, et en l7l l, àccolnpagnant Pierre sur la roul.e fhtale qui doit les conduire au bord du Pruth, il se livre à des recherches et des fbuilles archéologrques Pouf découvrir la tombe d'Igor, ce fils légendaire de Rourik. Reprenant ensuite le chemin de l'étranger, il fait un séjour de plusieurs anuées à Berlin, Breslau et Dresde, appliqué à de nouvelles études, occuPé de se composer une bibliothèque. tJn peu plus tard je le retrouve faisant office de diplontate au congrès des ïles d'Aland. Puis le voici cartographe, engagé dans une vaste erttreprise, dont Ia composition d'un atlas général de la Russie est I'objet. l\{ais à quelque temps de Ià, partant pour sa campagne de Perse, Pierre recort comme lecture de voyage une u Chlonique de Nlourom ' ,, qui pt'rte la signature du dieiatnel .. Tatichtchel: se revèle historien. Ce n'est pas assez. On a besoin de lui dans I'Oural, où la recherche des mines de cuivre se Poursuit sans un succès décisif' ll part, signale des vices choquants dans I'administration locale, dénonce I'oppression dont les peuplades indigènes ont à soufi frir du fait des agents du pouvoir central, fonde laville cl'Ekatielinebourg, clestinée à un avenir si important dans Ie développernent de I'industrie rninièr'e, inaugure des écoles Poplrlaires et trouve du temps Pour apprendre le francais avec le secours d'une gramruaire, qu'il s'est Procurée l)endant son séjour à Aland ! Jeune encore à la mort cle Pierre, il continuera à payer de sa Personne sur les champs d'action les plus divers, et, à sa mort, il laissera une æuvre littéraire considérable, dont Muller s'est faitl'éditeur: troisvolumes d'Histoire de Russre, complétés plus tard par deux autres, gràce à une découverte de

COLLABORATEI}RS, AMIS ET

FAVORIS.

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tonuniinde le pope pour Ie leudemain. il rend le demier soupir'à I'heure prévue, pendant qu'on I'administre (l). c'est la g;loire et le bonheur si'6;ulier de pierre d'avoir eu un hornme de cette valeur et de cette trempe rnorale clans son errtourage? en même ternps qu'un zotot ou un Nadajinski, ce corri"esserrr i-lulluel il baisait la main en sortant de la rnesse et dorrrrait des nasalcles I'irrstant d'après (2), et qu'il s'occupait à Paris de ntatc/ter avec un secrétaire en soutale de Drrbois, buveurrenornrné. Au botrt d'une heure, I'abbé roulait sous la tuble, et Pierre se jctait au cou du vainqueur, le félicitant cl'avoir n sauvé I'honne.r' cle la Ilussre , . ce t{adajinski laisse une {irrtune inonne; d'autres que lui ont heur.eusernent aidé Piclle à faire celle de la Russie.

Pogodine; un dictionnaire encyclopédique conduit jusqu'à la lettle Z. oEuvre vivement attaquée par les historiens du dixhuitieme siècle, schlôzer en tête, fort réhabilitée depuis. I[ rr'échappe d'aillerrrs pas à Ia loi commune, bâtonn é en 1722 par son maitre à la suite d'uile plainte portée contr.e ses concussions par Nikita Demidof, mourant en exil comme les autres, pltrs stoïquement toutefois. A soixante-dix ans, sentant sa fin approcher, il monte à cheval, se rend ii l'église paroissiale, entend Ia messe, va au cirnetièrer J rnarque sa place et

III
Par son caractôre trutant que par son ori6,;ine, Tatichtchcf occni,€ uilrl 1l[acc'a Part dlrrrs la cuté,.1oriedcs n liriseurs, ooiltenrlrolains rlu 1;r'and re\1;ne . Fils d'un rniritre cl'école organisLe au service rie lu corruntrnauté lut.hérienne cle NIoscou, Ingoujinski débrrte par I'ernirloi de cireur de bottes. curnulri a'ec
(l) Nil l)onon, 'l'atit'htchef ct .lon l'rlttt'ietute et nouuc'le /lrz.csie, t8î5, (2) Pôr,r,xrrz, I\Iéntoires,
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te?rr.p.ç;

llesrou;ul--Rrou,rrrxs, Eturle ,lano

79 |

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r-1,

p.

66

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L'HO

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d'uutres fonctions, au sujet desquelles la décence, dit Weber, !rri intcrdit de s'expliquer (l). C'est ainsi qu'il donne .lu comte

Golovine, I'un de ses rnaitres, I'idde de le placer arrpr'ès de Pien.e pour baltrncer la laveur de Nlerrchikof. Le nouveûu venu a une srrpériorité sur Ie favori : voleur corllme lui, il ne fait pas mystère de ses rapines et y met arrssi plus de tnesure. Le souverain parlant devant lui de faire pendre tous les concussionnaires, il a la répliqtre célèbre : Votre Majesté veut clonc rester .sans suiets ! Ficlèle aussi à sa mauière, rl ne trahit pas lu catrse dont son protecterrr I'a {'ait charnl)ron; iI corrrbat résolrtutertt Menchikof et ne craittt pirs d'elltrer en lutte ouverte avec Catherine elle-rnême, comlne protectrice du favori. Son courage est au-dessus de ses tulents, qui p:rraissent médiocres' et lui vaut seul la place dc plocurerrr général, ou il làit prerrve' en efll'et, de beaucoup d'énergie et d'une sévérité poul les luiblesses cl'autrui égale à I'indulgence qu'il réclame pour les siertnes. NIais, entaltré pal lui dans son omnipotence, le favori allril sa revanche, €t, Pierre disparu, Iagoujinskr serû vu en état câr il pratic;tre totttes les débauçhss- se cotrcltant cl'ivresse sur un cercueil fermô de la veille, lacérant avec ses ongles le clrap funéruire et évoquartt l'ombre vengeresse du grtrnd mort' Comme lui, 0hafirof (l)ierre Pavlovitch)est d'ori1;ine p'lonolithrrarrienne, tnais uvec des antécéclences pltrs lointaines et plus cornpliquées. Iltabli à Olcha, datts la province de Smolensk, son grand-père s'rppelaiL Clrufr, portait le surtrom de Cltaïa

ou C'hrri'ouchha, très corl)mun aujorrld'lttri ell('ol'e panni ses corrgénères, et tenait cet eûlploi de falitor (courtier) qrrr, Pour la plupart cles gentilshonrmes rurattx du pays, reste un comentourafie farnilier. Il portait Jrtéruent irrdispertsatrle rle leur lussi la l<lnguc houp;lcl,urcle crrtsseuse,, rtnrlbt'me révélateur de ses att.r'ibutiorrs et tle sa race. Pierre Pavlovitclt n'a plus la houlrpelaucle? mtis garde tous les autres traits distirrctifs du typ*. Le Tsur I'a pris clans la boutique d'un marchund de
(f,) H. Hnnnnexs, Peter d.
Grosse und d.er

Tsareuitch 'llexet, 1880, p. L78.

coLL.\IioP'ATllURSt

ÀlIls

ET

FÀYOltIS'

2:i9

à Golovkine' qili en avait l\[oscou, et l'a dOnné comlne adjoint Le Jrrif de ltolog'e besoi. pour le service cle sa "or*L*pontlttnce' Après Poltava,, Goi'rvliirre ou d,ailleurs est aisé'rent p,rlygloite. e' grade avec lrri, vit'edevenant chancelier, sorl secontl monte t1u'il était rtal;rrèr'e' cha.celier maintenant, {e commis drapier tles relatinns erlérierrres' Iit rl y

En réulité, il a la direction ses t'trleDts de corrrticr brille! Dans l'affaire périlleuse clu Pruth, vontjusqu,aumiracleetsauvent,otrpelrS'enf.aut,le.l.srrret Il s'e$t enrichi, ce|a ra Silll$ son empire. Le voici au pinacle.

dire;ilestdevenubarorl'cotnmer|eraison;etilarrrarié : à urr Dolgocinq de
ses

filles aux premiers seignetrrs du pays

rouki,àtrnGolovine,àunGirgariue'àttnllovarrski'àrtn Soltrtioflsoudain'uncollPtlevent,ettouts'efibndre.Nlertle pietl avec -": tilli"-.:l chikolj, auquel iI a coupé I'telbe sous convotl'e le chancelier Golovkine, dont il a trolt ouvel'ternettt

tlui a convoilé la la succession; ostermnrln, rltl ilutt'e Parvenu de Pierre pour sienne, ont profité cl'une absence prolougée je le retrouve sur conspirer sa perte' Le l5 févlier 179:]' biltert et n les valets du l,éclra|aucl, |a tète dé1à posée sut'le touclte [a terre avec s(]n lronrreau ftri tirapt les piecls Pour qrr'il sec.titairede l)ierre a'rive gros ve'tre (t) ". tl .rié"l,oppe. un etl lln ti tenrps avec une lettre de gr'àce conlllluatrt sa peine de la lett.e **il peïpéttrel. Il va au Sé'at pnut l'e.tér'iner'e.t recoit, fâ. €t, u tremblant enc<rre, la rnort clans les yerrx,, ' serrements cle muiu conte un térnoin, Ies félicitations et les ses collègrres, qui I'orrt cottdarttné des mernbres de l'Assernblée, pour ne Pas alleren ir l'ununimité! ll s'arrange, bien entendu, et y atteutl patierusibérie, se fait "*p.i*o,*er à NovS;orotl, aussitôt après sa liment la mort de Pierrer [)ouf retrouver drr collè1;e tle berté, rentrer arrx a(:{ili|es colnmc président cle nouet rel'uire sa fortune confistluée, au moyen

commerce veatlx trlrfics. Israélite lraptieé' Une sæur de son père a épousé un autre fait souche à son tour d'une {ui, sous url rlolll t{'"rnpror.t,

(l)

BrlscÀfn gs

M.,t. X\I, p'

4'95: Sor'ovtcr''

t' XVIII' p" l'l*1"

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L'HOMME.

farnille de faiseurs très en vue dans I'histoire diplomatique du règne : les Viesselovski Une catégorie particulière de dtëiatiels est évoquée autour du R élfo rmateur par I'institution des pryb y lc ht c hi ks, a gents spéci a ux du fisc, inventeurs de res$ources nouvelles à son profit Çtrybylé: bénéfice). Kourbatof en est le repr'ésentant le plus érnirren{. Nouvelle en Russie et même en Europe, sa {igure est déjà torrt à fait celle du financier moderne, âpre au gain, muis préoccupé pourtant d'une juste pondération des exigences fiscales. Pierre lui-rnême ne sait pas toujours se mettre au niveau de cet avocat de formules économiques savantes, et le sacrifie un jour à la rancune de Romodanovski, le farouche inquisiteur, tlont l(ourbatof réprouve les excès sanguinaires. L'homme n'est pas sans reproche assurément, et, relégué à Arharrgel dans le poste eff'acé de vice-gouverneur, il arrive prrrfois à justifier sa disgrâce I il n'en apparait pas moins comme une victirne de ce cornbat entre deux mondes, deux conceptions de l'État et cleux corrsciences de la vie sociale, où le grand souverain luimême n'a pas toujours su gurcler le bon côté. D'une manière plus saillante encoreet plus dramatique, elle s'accrrse, cette lutte, dans I'histoire du malhcureux Joseph Aléxiéiévitch Solovief, fils d'un marchand arhangelois, dont Pierre firit cl'abord un directeur de douanes, puis son agent commercial et son banquier en Hollande. Enveloppé, en 1711 , dans la disgrâce cl'un frère qui occupe un modeste ernploi dans la maison de l\fenchilrof, Solovief, dorrt les opérations ont pris un développcrnrent considérable, est poursuivi , extradé, livré à la charrcellerie secrète, puis reconrru irrnocent. Mais il a etr les bras et les jarulles brisés clans les chumbles dc question, et ses capitaux, un million de roubles environ, ont disparu. Solovief n'est qrr'un manant; Possochkof, qui en est un autre, met plaisammeut et tristemcnt cn lunrière la condition comrnune des gens de sa classe, dans leurs rapports avec les puissants du jour. Voici comrnent il corrte ses dérnêlés avec le prince Dimitri Mihailovitch Galitsine, dont il a sollicité,

COLLABOR,{TEI]RS, AMIS ET FAVORIS.

2I!T

en 17I9, I'autorisation pour l'établissement d'une brandevinerie. A ce moment, possesseur de quelque bien et de rela_ f ,ions inlluentes, associé de Kourbatof pour diverses entreprises rnclustrielles, le Montesquieu russe est devenu déjà une manière de personnase. Il n'y paraît pas à Ia réponse que lui vaut son placet. Sans autre explication, onlui met la main atr collet et on le jette en prison. ll s'étonne, se larnente, fi.it, au b'ut dehuitjou's, par se rappetrer au souvenir distrait clu boïar : u Pourquoi suis-je en prison? pourquoi diable cet homrne est-il en prison ? u deruande Galitsirre. Et, conrme on ne sait que lui répondre , il signe un ordre d'élar_
6isseurent.

solidaire. Grand partisan des réformes inaugurées par pierre_ il I'est aussi des moyens vi'lents mis en æuvre par le Réformateur pour en assurer' .le succès. volontiers, il renchérirait encore sur leur âpre irnPlacabilité. Théoricie' de l'école écorromique, dont les prybylchtchzÉs, I(ourbatof en tête, sont les applicate.rs pratiques, il i'cli'erait à mettre au service cles idejes corrrmurres I'intransigeance, la précipitatio', I'outrance chères à tous les sectaires. sa destinée est aussi celle dont ses pareils font habituellernent I'expérie'ce. Le sol natal en jachère, couvert de ronces, réclame, croit-il, I'emploi ciu fer et tlu feu' et Ia terrible déf icheuse, gu'il co.tribue à mettre en ntouver'e.t, Ie broie en passant. Àfais comrne't n'rlrive-t-rl pas, même temporairerne't, à se rapp.ocher de pie*e, alor.s qu'il le côtoie e' quelque sorte, d'un bout à r'autre de sa c.r'.ière, par le solitaire e|rort d'unepe'sée si évitler'me't puisée aux nrêmes sourccs d'inspiration? A cet égard, son cas est spécial : il tient boutique d'idées, et llierre a le parti pris de lirire ailleurs que parmi les siens provision cle cette denrée. Car, d'autre part, la tendance générale du règne est égalitaire, on le sait, et le grand homme n'eût pas répugné à faire d'un Iti

I'e'rploi de ces procédés sor'rnaires, dans le'répris hautain tles droits individuels, I'esprit de la vieille Russie s"accorde, je I'ai montr'é déjà, avec les tendances révolutionnaires de I'esprit nouveau. Et possochkof lui-même en est
Dans

2ttz

T,'TIOMME.

moujik son collaborateur, voire son compagrron. La fortune contemporaine des Demidof en fournit la preuve. On en connaît les débuts légendaires, I'anecdote, suspecte, du pistoletavec la marque célèbre alors de Kuchenreiter, confié aux mains de I'ouvrier de Toula, qui se charge d'y faire une r'éparation, et le colloque du Tsar avec le jeune armurier : Ah ! si nous étions capables de fabriquer de paLn Tsen. ! armes reilles La belle affaire ! L'enlruntnn. (avec un iuron et un souJ'flet). Fais I'ouvrage Tsen Ln cl'abord, brigand, et vante-toi après! Regarde bien d'abord,, batiouchka, ce que tu L'enuunrnn. as à voir. Ce pistolet que ttr adrnires est de ma laçon. Voici l'autre. L'armurier s'appelait alors Antoufief. Son père, Demid Grigoriévitcb, paysan tle la couronne et maréchal ferrant au village de Parchrmo, dans le district d'.\lexine, province de '['oula, est venu vers 1650 s'établir au chef-lieu. Le fils, l\ikita, approchait de la qualantaine en l6g1l, date attribuée à cette prernière rencontre avec le souverain, dont Ia richesse proverbiale des Dernidof et le développement actuel de I'industrie minéralurgique en Russie passent pour être soltis (l). Il était nrarié, et, après lui avoir {ait ses excuses, Piet're, dit-orr encore, s'est invité à cliner chez sa {'emme. Le repas fnt gai, ct une concession de terrains dans le voisinage de Toula pour I'exploitation du minerai de fer en paya l'écot. Ce n'était qu'un commencement. Avec le temps, les mines de I'Oural seront ouvertes à I'activité et à I'esprit d'entreprise de Nikita et de son fiis Akinfy (Hyacinthe). Bn 1707, Nikita recevait le droit de noblesse personnelle sous le nom de Demidof, puis en 1720, la noblesse héréditaire; mais il gardait ses vêtements de paysan, et, tout en le traitant avec les plus grands égards, Pierre continuait à I'appeler du sobriquet familier et rustique de DénridytcÀ. L'homme ne se faisait pas
(L) Archive russe, L878, t. Il, p. 420; Krnnovnca, Les grandes fortunes, p. [03 et aurv.

COI,LABORATEUIIS, AMIS ET

FAVORIS.

zh:'

seulement apprécier comme industriel et brasseur d,affaires hors pair, comme fondateur de vingt usines : à Chouralinsk, Yierchniétagilsk, Nijniétagilsk; un naturel gai et jovial, rrn tour cl'esprit satirique et mordant en faisaiànt un émule cle Lefort. il mourut à Toula, en 1725, à l'âge de soixante_huit ans, Iaissant une fortune immense et, chosl prorJig;icuse Jr.rrr Ie lieu et l'époque, unique presque? une répuiat;o., de probité intacte. L'industrie russe a plus lieu de se glorifier de cet ancêtre que la marine russe de celui qu'il u ptu a piene de lui attribuer en Ia personne de Golovine. Un autre nom de paysan se présente ici sous ma plurne, un des plus grands noms de I'histoire rnoderne en Russie, disputé à la littérature par sc]e1ce, mais rappelant aussi d;_ p;;"_ fa suites et des conquétes industrietes. Br disant de Lonronossof que, histolien, rhétoricien, mécanicien, chirniste, minéralogiste, artiste et poète, il a été la première uniuersité t.usse, Pouchkine n'a pas dit encore assez. Né en l7ll, l,ornonossof n'est pas, par Ia pér,iode active de sa vie, contemporairr du grand règne; il lui appartient pourtant; il en est l,issue directe et le fruit savoureux; il en-personnifie le génie tout entier avec ses vertus civilisatricer, ,es lacone, et ,î, dictions. Nullement oublieux de sou origine, "ort.u_ ,,"n foiru.t o,, titre de gloire au contraire, il n'en est pas relenu cle louer, clans I'æuvre du Rélbrmateur, jusqu,à laloi du ,u"oug", do.rt elle a augmenté la rigueur, ei de réclamer, lui puyrTr,r', i"u, cents àmes paysannes pour Ie service _ à perpét"itË _ i,.ro" usiue fondée par ses soirrs. Fils du peuple, il ,re ,e ,o,roiurrt des chants, des cérémonies et des légende, poputoi.". q,r" comme d'une chose lointaine, aya.t vé-cu, ,t,,rr, àt.r.et p"l;_ ment historique. U'e des formes lesplus prolb'des 1", plu, expressives de la poésie nationale, les t1,itnes, do't "t les clébris demeurent aujourd''ui e'core perceptiÉles clans ""rtu;n", f.o_ vinces du Nord, a échappé entièrernent à ce poète. Il n,avait d'oreille et d'ârne que pour la poésie classique de l,Occident, âvec ses lormes propres, bientôt .rrr,arrrrées : l,ode, Ie pane_ gyrique, le poèrne héroique, la tragédie, l'épitre aian"tiq,.".

2lit+

L'HOMME.

Homme de lettres ou homme de science, il était bien près de considérer son activité dtrns cette voie double comme un emploi au service clu Tsar, la tâche d'un fonctionnaire. L'espèce de réquisitionnement et d'enrégimenteruent universel, auxquels le système inauguré par Pierre a abouti dans le tlornaine des consciences et des énergies individuelles, s'accuse ti ttne manière saillante dans ce tlait. Lomonossof n'en tient pas moins une place considérable dans I'æuvre de transformation générale et précipitée dont la Russie moderne est sortie. Il ajnute une poussée puissante et dé{initive à I'elïort colossal qui a ressoudé les anneaux cl'une chaîne brisée au treizièrne srècle et rattaché ainsi son PaYS au patrimoine intellectuel des peuples civilisés (l).

IV

Les colloborateurs étrangers de Pierre sont pour la plupart des sous-ortlres, en apPareuce du moins. Ils fbnt souvent toute la besogne, mais restent au seconcl plan. Pierre était incapable de commettre la faute dont I'impératrice -{nne assutuerir plus tard l'écrasante responsabilité' en mettant son pays directe-

ment sous la coupe d'un Bûhreu. Lui rtjgnant, I'Écossais Ogilvv peut bien tlresser les plans des b.rtailles, gui finissent par mettre en échec la fortune de Charles XlI, mais c'est Cirérénrétieli qui les Sâgne. Écossais, Allernands ou Hollanclais, ils s'assimilent, d'ailleurs, au milieu local, se russifient avec une f'acilité protligieuse. Ce sol ltouvartt ct émitreruttrent perméable allsollle rapidernent tout ce qu'ils apportent d'originalité native' !'ils, né en llussie, d'uIr éInigré hoilandais, André Vinnius ne se distingue plus guèr'e de son entoul'ilge mobcovite que Par ulle
(l) llrrLrrrsKl, 01atériuttr prtur la biographte tle {'onton"stof, P'itersb', L865' LruiNsrrr, M. I'.; Louoro5sep, Élu,1e biographique, I'étersb', 1864'

COI, I,ABORATETJRS, A MIS

ET FAVORIS.

2b6
sa

de la poudre; mais por.rr_emplir ses poches il le vaut, à peu de chose près. Et ses énrules, dans cette immigration tor,r.rltouor" d'aventuriers exotiques à laquelle pierre ouvre les portes, ap_ pa'tie''e't généralement à la méme école. rls <rnt 1", tu.u, plofessionnelles. Les germes cle corruption et d,avilissement déposés dans la conscience nationale pn. lu conquête tatare n'ont.{'ait que se développer à leur corràct. Jacques Bruce, gui passe à la cour pour un chi.L'Écossais nListe et un astronome de génie t, tu ville pour un sor.cier, "t n'a r,ien d'un Nervlon ou d'un Lavoisier, *ui, b"ur"oup de parties d'rrn simple filou. Des procès sans nombr", porr* ubo, de pouvoir, détournements de fonds, f'raudes dans les fournitur.es de son département, _ il est 6;rantl maître de l,trrtilIerie, le ruettent aux prises avec la justice du .fsar. Le Tsar fi.nit to.u.jours par pardonner. Le ,uooi. tlrr irri6;and a un caractôre d'auto-didactisme et de dilettantisrne qui, aux ycux de Pierre, constituait une sécluction irrésistible et qui, agu.a atr milieu local, avait son ptix. Une légend "r', e était crééeouîo.r" de la lumière que I'on vol.ait lrriller pendant les longues nurts d'hiver aux f'enétres de son laboratoire de ra Tour"sorhor4. T,es découvertes astronomiques qu,il y faisait participaient sJr_ tout de I'astrologie, et son fameux calendrier pul,lie en lTll ressemblait à un conte bleu; rnais Bruce organisait et dirigeait del de navigation, cl'attillcrie, de génie militaire; il 31o.les présidait Ie collège des Nlanufactures et celui des Ntines; il irrspirait la correspondance .scientifigue que piere se donnait l'irir d'err{r.etenir avec Leibnitz, el, au traité de Nystadt, il se montrait diplomate de grande ressource. Ainsi sont-ils presque tous : bons à tout faire; faisant mé-. Ot":i"ï"-"rleaucoup de choses utiles; brillantsurtout par des tlunlités de finesse et d'énergre. A Ni'sladt, Bruce, auguel son succès vaut le titre cle cornte et le grade de maréchal, apourcollègue Ostermann, un West,

liLt":t il a épousé ses habirud", mo".ol"r. fUi"r*'q* chikof, il s'ente'd à fondre cles canons et à fabriquer

éducation supérieure I il professe la religion du pays ; il parle

tnt"o-

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L'H o )I )I B.

phalien, auquel deux années de sejour à I'Université d'Iéna font aussi une réputation de savant' Campredon établit ainsi qu'il suit, en 1725, le bilan de ses capacités : n Sait I'alleu *u,r,l, I'italien et le français, et se rend par là indispenu sable; à part cela, sa principale habileté consiste dans Ia a chicane, i. s,rbtilité et la dissimulation' ' Il ne lui enfallait de Chapas davantage Pour recueillir, en 1723, la succession firof et clevenir vice-chancelier dans un pays où Ie chancelier s'appelait Golovkine. Campredon oublie toutefois une remarPour quutrt" puissance de tlavail à I'actif de ce mercenaire' maître' son à fiatter les instincts de méliance qu'il connaissait Ostermann chi[trait et déchitïrait lui-même ses dépêches, Passans sant des journées et des nuits entières à cette besogne' sortir, sans quitter une légendaire robe de chambre en velours qu'il portera encore le l8 janvier 1144, en montant roufTe, à I'Jchafauà, comme y est monté son prédécesseur' Gracié comme lui, il finira ses jours en exil' A côté de Cbafirof, Juif polonais, j'apercois la silhouette falote du Juit portugais Devier' Pieme a ramassé celui-ci en naHollande, ou if l'a troul'é, en 1697, mousse à bord d'un vire marchand. En 1705, je le vois officier de la Garde; en t709, général de camp. En t7l l, songeant à se marier al-antug"orÀ"ott, il jette sorr clévolu sur une sæur de Menchikof' oi"ittu et laide. A sa denlande, qu'il prend pour un outrage' le I'infavori répond par un ordre donné à ses valets de fouetter la solent. Crois jàurs plus tard, le petit Juif' conduit à I'autel de ce comment, sait on ne fiancée d" ,ori clroix. Il s'est tiré, sauve' et' mauvais pas, la peau très endomma6ée, mais la vie justice' tout sanglant, est allé porter plainte au Tsar, qui a {àit drolatique et de Ses qualîtds d'astuce. àe ,o,'pl"tte, d'humeur ,eroilité à toute épreuve, ne le défendent d'ailleurs pas contre En l7l8' je de nouvelles clisgrâces. Il a une peau prédestinée' le retrouve Premrer titulaire du poste, nouvellement créé à cette qualité' Pétersb'ourg, cle maitre de police générale, et, en Pierre dans une tournée d'inspectiorr à travers """o-pu6.r*"nt à 1", ruu, àe la capitale t-'ln pont endonrmagé (Pierre consent

cot,LÀuottÀTEUnS,.tMls ET I'AV(_)tits

2tii

avoir des ponts pour la traversée cles canarrx multiples dont il a sillo.né sa ville) arréte la voiture drr Tsar. On descend; on envoie chercher de quoi réparer le dégât. pierre se met lui_ même à la besogne; puis, le travail achevé, sans mot dire, il quitte ses outils, prend sadoubïna et administre une maîtresse à son maître de police. etrand il a {i.i, il regagne sa voi'olée tule, invite Devier à y reprendre sa place _ u Sadis, brat, (Prends place, frère) et revient tra.quillement à une co'versation interrompue- par I'incident. D'autres co.ps attendelrt encore ce dos couturé de cicatrices I en I 727, après la mort dc Pierre, Nfenchikofy iuscrira en sillons sanglants sa vengea.ce de beau-frère malgré lui. Au bas d'un décret à I'exil 'ouant Ie maître de police disgracié, il ajoutera cette apostille: n Bit knout,onte, (Faire donner le knottte) (l). On remarquera I'aboutissement unilbrme et monotone de toutes ces brillantes destinées: la curbute finale inévitable. ori. au-dessus de mesquines rancunes et indivicluelles, 'evanches quelque haute vindicte historique semble s'affirmer. pareils tous, sans foi ni loi, sans autre principe et règle de conduite que leur ambition et leur intérêt, d'ou qu'ils viennent et qtrclque chemin qu'ils prennent, ils arriueni au même abîme. iis vie'ne.t de partout. [,'Oldenbourgeois NIiinich, qrri commence sa prodigieuse carrière cornrne co.'structeur du carral de Ladoga, coudoie, dans I'aventureux trorrPeau, le ge'tilhomme bas b.eton François Guillernotte de villebois, clui a débuté e' France comme contrebanrlier. Les mémoires de ce dernier, remplis d'extravagances etde mensonges avérés (2), n'o{hent, soit pour I'histoire de pierre, soit pour la sienne propre, qr'une source de très douteuse valeur. Ayant, s'it falÀitl'en croire, sauvé d'un nauÊrage le navire q'i a co'duit le Tsar de Hollande en Angleterre et déterminé ainsi le souverain moscovite, u qui aimaitles gerrs extraordinaires r, à réclamer ses , ('1) Cuour.rusr^t, Esguisses htstor.igue", p. 77; LouneroF, Xlsn6gTapTierdans le Journal de I'lixposition polytechnique d,e Moscottr lgT2, n" gg. " p
(2) Pulrliés avec des orniqsions
p.ar_11 letyue rétrosltsçsiys,l)" série, t. XVIII. 351 et suiv. Le naauscrrt est à la Brbliothèq.e nationale de paris.

2L8

I,'HOMMA.

services, Villebois est devenu aussitôt aide de camp et capitaine de vaisseau de bas officier qu'il était auparavant. Je ne me chargerais pas de raconter après lui et avec le mérne détail I'avertule qui, cleux années plus tard, lui vaut une conclam-

nation aux galères ; comment, envoyé, pal' un temps très floid, de Strelna à l(r'onstadf avec un message cle Pierre pour sa {'emme, et a1'ant bu en route beatrcoup d'eau-de-vie porrr ce réchauffer, il s'est trouvé, en pénétrant dans la chambre à coucber de I'hnpératrice, surplis par un brusque changeme rrt de ternpér'ature, au point d'en avoir la téte troubléc I comment, en y voyant un lit défait et une fèmrne à demi nue et belle, à ce qui lui parut, tlans le lit, il a perdu le gouvernement de ses sens et le contrôle de ses actions, et quelles ont été, malgr'é
les cris de la souveraine et la présence de ses darnes d'honneur dans une chambre voisine, les conséquences de cet égarement.

Catherine aurait eu à sou(fi'ir, dans cette circonstattce, non ;eulement de I'outrage en lui-même, mais d'un excès qui s'y ;erait rencontré, à raison de particularités physiologiques établissant un trait de ressemblance entre l'ex-contrebandier et un roi galant hornme, notre contempolain. Quartt à Pierre, bien que I'intervention d'un chinrrgien eût été rendue nécessaile pour répaler les dégâts ainsi occasionnés, il aurait envisagé la catasttophe assez philosophirluement : u Cet animal a
ag^i inconsciemment, il est donc innocent; il faut pourtant un exemplei qu'on Ie mette à la chaîne pendant dcux atts. ,, La chaîne est le seul point de certitude historique tlans tout ce récit. Villebois ne senble pourtant pas I'avoir portée plus de six moisl gracié au bout cle ce ternps, marié méme par les

fille de I'ancien pasteur ainsi aux deux souverains pal un rattaché et llarienbourg, de lien intime. Sous le règne d'Élisabeth, on le voitcontre-antiritl et commrndant du polt de Kronstadt. Deux autres Français de bonne maison, André et Adrien de Brigny, figulent rlans I'armée du Tsar à côté de ce flibustier; rnais aussi braves que dépourvus de I'esprit d'intri6ue nécessaile pour s'y faire valoir, ils végètent dans des postes infésoins du Tsar â mademoiselle Glùck,

CO1,I,ÀBORÀTEURS, ÀMIS E1

I,'AVORIS.

2!I.g

rieurs. Très exigeants, peu accommodants, dépourvus de souplesse, les An6lais sont en minorité dans cette foule bigarrée d'étranl;ers, dont Pielre prétend se servir pour inoculer à son peuple le vaccin de la cultute occidentale. Le célèbre Perry, en1;agé comû)e irigénieur et J:ientôt découragé, n'y c:oucloie que i)endant quelques années son ( compagnon d'inti.rrtrrne , . Fargrvarson, On a appelé celui-ci à diriger une école de nrathéuratiqucs, et il n'arrive pas à obtenir un copeckpour ses services (I). Mais à part cela, aucun mélange n'y manque.

v découvrirez jusrlu'à un nègre. Né vers 1696, enlevé de son pays à l'âge de sept ans et amené à Constantinopie, où, en 1705, le cornte Tolstoi, amLrassadeur du Tsar, en fhit I'acqtrisition, ce natul.el de la côte d'Aflique, voué à une destinée singr-rlièrement mouvementée, conservera toute sa vie dans Ies yeux une vision douloureuse : sa scrur bien-aimée, Lagane, se jetant à Ia mer et suivant longternps, longtemps, à Ia nage le vaisseau qui I'emporta. Il a reçu sur les bords clu Bosphore le surnom d'Ibrahim; en 1707, pendant le séjour du Tsar à Vilna, on le baptise, pierre lui sen'ant de parrain et la reine de Pologne de marraine, et il s'appellera désormais Abraham Pétrovitch Hannibal . Il débute conlme page du souverain, fait, en cette qualité, une connaissance irrtinre avec la doul.tina, mais gagne la fâveur du maîtle, autant par sn gentillesse que prr sou intelligence singulièrement ér'eillée. C'est un négrillon prodige. En l7lG, on décide de I'envoyer à Paris pour compléter son éducation. Il a déjà bcaucoup travaillé, et, prenant aussitôt du service dans I'arnrée francaise, il s'y fait npprécier. Il gagne le glade cle lieutenant pendant la campagne de 1720 contre les Espagnols, oir il recoiI une blessure à la tête. Revenu à Paris, il se voit entour'é d'une certaine célébrité1 les salons le recher.. clrerrt, et il y fait, palait-il, des conquêtes. Nlars ses goùt* sérieux l'éloignent de la vie frivole; il entre à l'école des irrgénieurs et n'en solt, en 1726, avec le rang de capitaine,
Vous

({)
t718.

Pnnnv,

Etat present de Ia Aussie, p. 957 (édit. frarrçarse), Aursrerdanr,

250

L'HO\[ME.

lent, très loyal, très probe et très avare. Après Ia mort de Pierre, il a maille à partir avec Menchikof comme tout le moncle, est exilé cornme à peu près tout le monde, et ne revient de Sibérie que sous le règne cl'Élisabeth, pour deve'ir général en chef et mourir en l7gl, à l'â6e de quatre_vingttreize ans (l). Son nom et son histoire ont acquis, depuis, une illustration norrvelle dans les lettres russes : il a été I'arrr.ère_6r.and_père
materuel de Pouchkine.

que pour revenir en Russie, y trouver une place de lieutenant dans la compagnie de borrrbarcriers clont pierre a été le crref et se marier. Sa I'emme, fille d'un négociant grec, très belle personne, accouche d'une fille blonde; il I'oblige à prendre le voile, fait élever avec soin la petite polyxène, Ia marie, la dote, mais ne veut jamlis la voir. Il est très jaloux, très vio_

v
Au fond, tout cet entourage d'étrangers ou d'indigènes n'est guèr'e conrposé que d'utilités et de comparses. pas un nom vrairnent grand et pas une grantle figure n'en ressortent. Le personnage de I'acteur pr.incipal et son rôle ont tenu peut-être trop de place sur la scène pour qu'il en fùt autrement. Je me sens s6nfir.mé dans cette opinion par ce que je vois des rela-

tions du souverain avec le seul homm" à ,"- propre mesur.e il lui soit arrivé de frayer au milieu du mont.le européen conternporain. J'ai déjà eu I'occasion de mentionner les premières tentatives de Leibnitz auprès du souverain et les espérances qui s'y rattachaient rlans so' imagination cre (l) Huuc, Aussische Giinstling_e,Tiibingen, Lg'g, p. IBb; B*rrrcu_Ka'r'NsKr, -i;v; Dictionnaire biographilue; D. i. 1yr*Jr, î,,"yciàp. 1e.ric., Lg3g,-r. p. 289; l,oscûruor, Archive russe, {g6rr, p. leO, iSf; Oooroorr"", to pr"^;ar" J:o.":".d". A. !lattrtibal, Antiquiré po,,"n,.,n", "urr.i lgZZ, t. XVllI, p. 6g;
avec lequel
Genéalogie des Pouchkine et ies Hannibsl, Oùu.uresrt

V, p

ïlt

leair a, tstZj'

COLLAI]ORATI]TTRS, AùIIS ET

savant enthousiaste. blir, n'a porté de bonheur ont paru amoindris.

}'AVORIS' 25I Ce commerce, quaud il est arnvé à l'étani à I'un rri à I'autle : tous
deux y

A partir du gour où, en traversant I'Allerna11ne, Pierre s'est révélé à I'Europe, Leibnitz semble en proie à une véritable monomanie. Il ne parle pltrs que de la llussie et de son Tsarl il s'agite et fbrme des projets sans nombre' moitrs raisonnables les uns clue les autres et tendant tous à un seul but: se Iâire connaitre et apgrrécier du souverain. Il y a une explication naturelle à cette fièr're. Le grand savant, on ne l'ignore pas, se réclamait d'une orir;ine slave, d'une contrnunauté ancienne de nom et d'illustration avec la lamille polonaise des corntes Lubieniecki. Dans une note atrtobioglrrphitlue, il insérait ces lignes : n Leibnitiot'utn, siue Lubenecziorum, nomen slauonicum, familia in Polonia. u Brouillé avec la ville de Leipzig' il publiait à son adresse cette protestation : n Que I'Allemagne n soit moins fière I ce n'est Pas un 6énie exclusivement aller mand que j'apportais en naissant; c'était le génie de la race < slave qui s'éveillait en moi dans la patrie de la scolastique. n A I'entendre, c'est à ce lien de consanguinité lointaine qu'il aurait aussi fait appel en abordant Pierre à Torgau en l7 I I : o Notre point de clépart est commun, Sire, lui aurait-il dit. n Slaves tous deux, apllartenant à cette race dont personne ne c, peut encore prévoir les destinées, tous deux aussi nous ( sommes initiateurs de siècles à venir...(t)." La conversation tournait court, malheuleusement, et la suite des relations ainsi nouées s'égarait sur des terrains beaucoup moins élevés' En t697, méditant un plan de campagne scientifique dans le Nord, Leibnitz demeurait encore à la hauteur voulue; il en descend précisément en l?11, occupé principalenrent à ce rnoment de se lhire agréer comme représentant du Tsar à ltr cour du Hanovre. Le 6oùt de Ia diplomatie est une fuibiesse
poiorr"ir" . Kraj n i1896, n" 3î2), confirme, il'après les donuées four'ies par iles la réalité de cette origine qrre les éditeurs allemands tles papiers -Ol|rruresde fun,ille,
à conlelter.

(t) ûne lettre du

comte Jean Lrrbienieçki, publiée récelrurent Par la Revue

du grand savant, KlopP, Guhrauer, Pertz, rr'ont eux-rrrêtles pas songé

252
chez

L'HOMME,

fois le titre de conseiller intime et un cadeau de cinq cents ducats, et s'en contente jusq.'en 1714, époque à ltrquelle,ne vacance du poste diplomatique ri Vieune le rend à ses ag,ita_ tions. En 1716, je le vois aux eans de pyrmont, où il a rejoint Ie souverain moscovite, une liasse de mérnoires miscie'tifiques, rni-politiques dans une rnai', dans l,autre u' appareil en bois pour le bras d. Tsar, qui so.ffre d'une attaclue de paralysie locale; rappelant sa pension, qui n'a jamais Zte payée et u dont le bruit pourtant s'est répanclu dans toute I'E,r'ope , , multipliant les témoignages d'acimiration et de dévouement, insupPortablement qué'ra'de*r et invraisemblablement pite*x. .Ie vois aussi pierre toujorrrs p'esque irr<lifférent au rayonnement de cette vaste intelligence, qui semble ne pas parvenir ti prendre contact avec Ia sienne (l). euelques mois après, Leibnitz est mort. La tradition lui a attribué une part consrclérable dans l'établisser'ent de I'.dministration collégiale en Russie. une lettre do't le contenu a servi effectivement de base à cette orga'isation, a passé longtemps pour être sortie de sa plume. Rien n'est rnoins prouvé. L'original , conservé aux urchives de Moscou, n'est pas de sa mli.. Ses autres écrits a.thentiques n'en font aucune mertio'. Trois autr.es pièces du nrê^re cios_
tr'oucunn

avaDce en âge. Et le voici multipriant démarches et intrigues, harcelant Ie ministre de pierre à vie'ne, baron urbich, àbsédant le duc Antoine-ulrich de wolfenbiittel, dont la petitefille vient d'être fiancée au tsar'évitch Alexis. La p.omes.e.l,,rn tcline et d'une pension est tout le bénéfrce qu'ir retire de ces efforts. L'effet s'en faisant attendre, il revient à la charge en 1712, à Carlsbad, of{iant à la lois ses bo.s offices pour un accomrnodement de Ia Russie avec l'autriche, glob" ,rr"'' Tsar, gnétiqrre du monde, confectionné à I'intertion du et un instrument pour projeter des fortifica[ions. Il entprlrte cette

lui, on le sait encore, qui s'accent.e à mesure gu'il

des sciences moralcs et politiques, 1874,

(l) Voy. Ia préface àu Recueil de Guerrier, pétersb., lgZB, p. pB. Comp. * crnrrr. Pien'e le Grand et Leibnitz. (comptos àe I'Acadénr'ie
juin.) ""odu,

coLr,aBoRATEuRs, aMIS ET

FAVORIS.

253

sier, qu'on lui a également attribuées' ne sont pas de lui certainement. ll est égalernent demeuré étrarrger, quoi gu'on en ait dit, à la fondation de I'Académie des sciences tle Pétersbourg. Pour organiser et diliger cet établissemertt, Pielre a songé à un autre Allemarrd, Christian Wolff, mais s'est heurté de ce côté à un refus. Cet émule de Leibnitz trouvait le climat cle Saint-Pétersbourg trop froid et les fonctions de directeur d'Académie insuffisamment rétribuées. Il se prononçait d'ailleurs pour le rernplacement de I'Acaclémie Par une Université. u Berlin a son Académie des sciences ' , disait-il; " il n'y manque que des savants (l). , Se dérobant lui-même, il s'est contenté de recommander au Tsar quelques-uns de ses amis, Bernouilli, Biil{inger, [lartini, ôlite Iaboriettse, sinon transcencendante, dont le berceau de la science en Russie s'est trouvé entouré à son grarrd avantage. C'est un rapport de F'ick, personnage obscur, ancietr secrétairc d'un prince alleurtrud, gui a servi de base au plurr dôIir.ritivernent adopté par Pierre poul son Académie. Les projets de Leibnitz allaient beaucoup trop loin poul lui, dépassaient la por.tée clc sorr regard et probablement aussi la mesure des possibilités, eu égard au temps et au rnilieu. En réalité, Pierre n'a adopté aucune des vues très lirrges, trop larges, du grand savant. Absolbé jusqu'en l7l6 par les préoccupatiorrs de srr lutte avec ltr Suède, il n'a prêté à toutes ses propositions qu'une oreille distraite. Un sentblant d'intimité intellectuelle et cle correspoudance scientiÉique entretenue avec Ie concours de Br'rrce lui a suffi. Ileut-êtle aussi s'est-il senti indisposé et rnis en gatde contre ce collaborateur pal ce qu'il a aPerçu d'équiyoque et de peu digne clans son attitucle. Le courtisan et le solliciteul ont masqué à ses yeux l'hornme génial. Le gland semeur d'idées que fut Leibnitz rr'a pourtant pas passé en vain dans lc sillon tt'acé par la chal'rue clu grand lléfolrnirteur; le grain jeté t\ poignée Par sa main prodigue a bien paru emporté par lc vent et égaré duns I'espace ; il se il)
sctctrce cl de la

Briefe von Christian \À'orr.r', I)étersLouri;, 1860; Prnr,rnsx4 Histoire de la litterature en Ru'sie, t. I, p. 33.

25t+

L'HOMI{E.

retrouvera en bonne place. Dans les travaux accomplis beaucoup plus tard, sous les auspices du gouvernement russe, poru' l'étude des langues slaves, j'en reconnais la trace féconde, et dans ses recherches sur le magnétisme terrestre poursuivies à travers la Russie jusque dans I'Asie centrale, Alexandre Humboldt se réclamera de cet illustre prédécesseur. L'action des hommes de I'envergure morale d'un Leibnttz ou d'uu Pierre le Grand ne se mesure pas aux limites de leur vie.

CTIAPITRE II
LES FEMMES.
Maitresse du Roi et maitresse du Tsar. Le donjuanisme de Pierre. Un - Un oncle entreprenant. -L'ensouverain peu soucieux des convenances. - Brutalité et cvnisrne. - Débautourage féurinin. La princesse - L'autre face Galitsine, che et bestialité. tle ces relations avec le nronde férninin. - mariage. Eudoxie Lapouhine. II. Le début. Le lune de La uriel. - mal as5611i. La séparation Un ménage Les dissentiments. - recluse. - Le cloitre. Le roman de la Le nrajor Glebof. Correspondance arnou- de I'anrant. Le chàtireuse. L'enquête. Le procès. Le supplice {iatherinejalouse. rnent de I'anrante. En prison. l,a revanche tl,Eu_ doxie. IIl. La- prernière favorite. - Anna -\[ons. - Les prodigalités de Pierre. - Trornpé! Les consolali6ns. l,e gynécée de Menchikof. .* Les - favori. - Les denroiselles Arséuief. sæurs du - Catherine Vassilevska. - d'honneur. lV- Les rlernoiselles Madarrre Tchernichof. Eudoxie n -la - ÉIauriltoD. bataille n. llarie Nlatviéief. - 1-etem eI haren. llarie - d'anatornie au pied - hourreau. Un cours - de I'échafaud. La L'arrrant et le - : \Iarie Kantémir. Triornpbe dernière rivale de Catherine tle l'épouse -et de la souveraine. tJne aruie, La Polonaise. - Madarue Sieniarvska. V. Le - rlans la vie - dans Ia destinée de lr - feurrue rôle des ferrrnes rle Pierre et son rôle russe. L'esprit russe âu clix-septièrrrc siècle. La haine de lû feurrnc. Le génie national et les inflrrences Causes-et effets. étrarrgères. L'Orient - courant ascétique. et Byzance. Le La vie de famille. Le lDariafe. Le domostroi. llæurs barbares. - Fernrne sacrifiée, horlrrre avili. Le - lmcourant émaucipat.cur. La réforure de Pieme. Ses défaillaagsg. - Un Rédempteun. portance de son æuvre.

-

I Lr Ror. Ah! mon frère, j'apprends que vous auss; . vous avez une maîtresse.
Ln Tsen.
chose I mais
. ne me coùtent pils J). {irand'-la vôtre vous coûte des millions d'écus que vous
.

trIon fr'ère, mes

..

.

poumiez mieux employer. La scène se passe en 1716,

à Copenhague, où prerre

est

256

L'HOMME.

renu visiter son bon allié, Ie roi de Danemark; elle nous est contée dans un grave document diplonatique (l); elle semble,
à première vne, donner une irlée juste de la place que l'éter_ rrel fér'inin a te,ue dans la vie du grand Réformateur. Il est trop occupé, trop grossier aussi, pour (aire un amant digne de ce norn' ou même simplement un époux co'venable. Il fixe ri un copeck pour trois qccol.ades le prix des faveurs que les belles de Péte.sbourg lccordent à ses soldats et donne u' ducat à

Catlrelirre, la future Impératrice, après une prernière en_ trevue (2). Non pas qu'il soit tout à fait incapable de goùter tluns la compagnie du beau sexe des charmes plus délicats. N'oubliorrs pâs r{ue la societé .féntinine est encore en Russie u'e rle ses créations. La présence rJes dames.ux réunions de ]a ,\loboda en a coustitué pour lui le premier et le plus puissant attrait. En 1693, un soir de gala chezLefort, deux d'entre les belles invitées s'avisa't de qurtter la féte à la dérobée, il les lirit ramener de force par ses soldats (B). En lT0l, les soins tlonnésàsa r'arine le retenant à Vororrèje, un gr.and 'aissante de ces clirmes viennent I'y rejoindre pour les fêtes de 'ombre l)iitlrres, et il leur fait I'accueil le plus gracieux. eueltlues_ nnes se trouvant indisposées, il retarde 6alamment son retour ii \Ioscou (zl). Si, pour faire l'intérét historiclue de ce chapitre, il n'y avait pourtant que le souvenir de pareilles galantlries, je n'hdsiterais pas à le supprimer, prr lespect pour la f'emme et pour I'histoire. ll y a autr.e chose. Darrs urre figure cornrne celle de Pierre, d'une cornplexité morale si grantle, chacltre coi' devient un nid à surprises. L'appar.ence extérieure avec laquelle il se présente de ce côté n)est, en dépit cle sa sociabi_ lité, guc celle d'un rrrstre et d'un débauché cynique. Il rr'a, dans I'amour, ni le souci de la dignité férninine, ni r'ême cel'i de la sicnne propre, et il rnirnque trop cle tenrre poul avoir Ie souci des con!/enances. Vol'ez cette anecdote contée par le (l) Dépèt:he de Loss à Manteuffel, CopenhaJ;ue, l& aorirtTt6; Saonrrx.t. \X,
p. 62. (2) Ducros, Mémoires (edit. tle l8B9), p. 615. (3) Konr, p.77. (4) Ousrnrer.on, t. IV, 2, par.tie, p. 5b5, 562.

LES FEMMES,

25'T

baron de Pôllnitz sur Ie séjour du souverain à Magdebour6, en l7l7 : c Q61p16e le Roi (de prusse) avait ordonné qu'on lui ( re'dit tous les honneu.s imaginables, les dirférents coilèges " d'État furent Ie conrplirn"nà" corps, leurs présicre"nts ( portant la parole. M. de Cocce;i,"., frère du grand chancelier, n à la tête de celui de Ia Régence, étant venu-saluer le Tsar, le a trouva appuyé sur deux dames russes et promenant ses u mains sur leurs seins, ce qu'il continua faire i pendant ( gu on le haranguait (l). , Et cette autre, décrivanf sa ren_ contre à Berlin avec Ia duchesse de Mecklembourg, sa nièce : u Le Tsar courut au-devant de la pri'cerse, I'eÀbrassa tenu clrernent, et Ia conduisit dans une chambre où, I'ayant co'_ u chée sur un canapé, sans fermer la porte et sans considérau tion pour ceux qui étaient demeurés dans I'antrchambre, n ni même pour le duc de Mecklembourg, il agit de mtrnière u à faire juger que rien n'imposait àsa passion (g). pôllnitz, " qui dit tenir ces renseignerne'ts de deux témoins ocuraires et du Roi lui-nréme, y ajorrte des détails non moins expressils sur I'attitude du grand hornrne dans ses rapports habituels avec le personnel férninin de sa cour : La princesse Galitsine lui n servait de doura ou de fblle... " C'était à qui la tonrmenteu rait. Co'rme elle mangeuit souvent avec le Tsar, ce prince u luijetaità la tête les restes deson assiette. Il la f'aisaii ( pour lui donner des croquignoles. , A en croire lever d,autres témoignages, la princesse aurait d'ailleurs justifié, dans une ce.taine mesure' I'ignorninie de ces traitements par des vices hooteux. Une relatiorr de I'envoyé prussien Mardefeld met crrrieusement en carrse, à ce pr.opos,les duchesses de Fra,ce et les pages dont, elles font leur agrriment, en les félicitant dc s'en contenter. La princesse u'avatt de je ne me page; lias hrnarderai pas à rdpéter cornment, au dire de ltardet.eld, elle Ie rernpluçait (3).
D'apr.ès
(2) rbid.

Nartof, témoin génér,alement assez sùr pour
II, p. 6b.

les

(L) Mémoires 1.79L, t.

ç.!) I{onnnrnx, peter d,. Grosse und d. Tsaréuith Alexei,p. 20g.

]r

258
choses de

L'IIoMME.

I'intimité du Tsar, Pierre fut 6rand atnateur de co'

tillon, mais jamais pour plus d'une demi-heure' Fuire violence aux femmes n"était pas dans ses habitudes, ûtais aussi, jetant communément son dévolu sur de simplesservantes, il trouvait peu de rebelles. I\artof cite' entre autres, une blanchisseuse' Bruce met cependunt en scène' de façon plus dlamatique, la fille d'un murchand étranger de Nloscou, réduite, pour échapper aux e.treprises amoureuses du souverain, à fuir la maiso' à" r", parents et à se cacher dans une tbrêt (l)' Un des documents publiés par le prince Galitsine montre le Tsar aux prises,

en Hollande, avec un jardinier qur se serait servi de son ràteau pour éloigner le souverain d'une ouvrière dont il gênait le travail. Ces rustiques amours ont passé même pour lui avoir Iégué les getmes cl'une maladie qui, insuf&samment guérie, hâtera sa mort (2). Mais madame Tchernichof a été aussi mise en cause à ce propos, et une dépêche de Campredon eng:rge nettement sa responsabilité, en parlant d'une indisposition que Catherine elle-même aurait contractée, en 1725, après après avoir partagé le lit tle son rnari. Etrcore ces détails qu'on m excusera de rappeler, iu crois être ici pour tout dire, ces traits répugnants ne vont pas au plus bas' Nous descen' dons quelques degrés avec Menchikof, et Ie favori n'était pas seul ! Bergholz parle en termes peu équivoques d'un ex-lieu' tenant, joli garçon, que Ie Tsar a auprès de lui ç zu seinent Plaisir " (3). En lT22rlepeintre saxon Dannenhauer est chargé pa| le souverain de faire le portrait d'un de ses dienchtchik, en ie peignant tout nu (A). Viltebois s'étend sur les o accès de u fureur amolrreuse , du Tsar, dans lesquels n tout sexe lui u devient inclifférent o. Daus sa dépéche du 6 mars 1710, I'env<lyé danois, Juel, dernande à son maitre s'il ne consentirait pas à anoblir un de ses sujets qui est auprès de Nfenchihof et qui, ayant unejotie frgurer pourrait rendre des services en
(r) Mérnoiresrp.93.
(2) Grr,rrstxr;, trIémoires, P. 127. (3) Btischîngs M., t. XIX, P. 95.

(tt) Ibid.,

t. IX' p'

556'

I,ES FE.IIMES.

259

dégoût. Il se peut que là même, à un détour inattendu de son clonjuanisme brutirl ou orclurier, il arrive à forcer rnieux encore que not,re admiration.

suivre le personnagejusque dans cette peu attrayante carrière d'amoureux, dût notre aclmilation y ,Àb."" cà et Ià dans le

tent pourpeu; il faut aller arr delti; il faut fouiller l,enre et la chair, en sonder les moinclres plis et replis, et pour cela, sans plus insister sur des écarts par trop scabre.rx, il faut

dante en aspects divers et en contrastes, Ies appalences comp_

très haut lieu (I). Cet autre trait échappe donc au cloute. u Il faut qtre Sa Maiesté ait clans le co.ps une lé,gion de dé_ ( mons de Juxure u , dit en parlant du *ouue"uin un des médecins qui le soignent dans sa dernière maladie (p). ùIais / Jl a autre çhose, et, clans une physiorro-ie si abon-

II
Le début de cette carrière est banal : un mariage précoce, quelques années d'assez bon ménage, puis l,attiéclissement progressif du nid conjugal. On se uoit ,u.".rr"nt, sitôt la lune de miel passée, le Tsar étant presque toujours en voyage I rnais on s'écrit des lettres assez te'àrer, o,i n" forrt meme pas ,tOfurrt Ies sobriquets caressants chers aux amants . Lopourikn (petite patte) est celui que pierre recoit et accepte de bon cæur. Il ne sel'a pas le dernier à Ie porter. Deux errf,rrrts viennent aussi, Alexandre, mort en bas âge, puis l,autre, né sous une mau_ vaise étoile, Alexis. Les choses se gâtent après la mort de "\atlralie, en 16g4. A ce moment, marié d"p,ri, cinq ans déjà, Pie.r'e n'a pas été sans contracter, à la Slottodo o,, quelques liaisonsextraconjugales; rnaisil y a rnis une "ill"rrir, certaine retenue. F.ils respectueux, iI a eu, en Nathalie, une mère vigilante. Cette influence est remplacée maintenant par celle de
(1.) Archives de Copenh,,6rre.

(2) Yru.raors, Mèmoùes.

2OO

L'HOMME.

Lefort, et en même temps deux figures férninines se détachent du groupe de,c beautés, peu farouches sans cloute les unes et les autres, dont le jeune souverain s'est trouvé entouré dans les réunions du Faubourg, et montent comme des étoiles à I'horizon du nouveau règne: deux bourgeoises, la fille de I'orfèvre tsôtticher, puis celle du né6ociant en vin }Ions Des dissentiments d'ordre politique contribuaient aussi à rompre la bonne harmonie entre les deux époux : Eudoxre tenait à'une famille de conselvateurs farouches; inclinant à faire oppositionau nouveau régime qui comrtrençait ddjà de s'esquisser' ses parents, les Lapouhine, tombaient en disgrâce, perdaient leurs charges, subissirient toute sorte de mauvais traitements. L'un d'eux, le propre frère de IaTsartne, qur osait insultel le favoli, était bàtonné publicluernent par le Tsan; un itutre étart mis à la torture, et I'on cite des détails att'oces sur les sLrpplices qu'il aurait endur'és : après I'avoir inondé d'esprit-de-vin, Pierre, alfirme-t-on, l'a fait flamber en sa présence. Il est mort en prison, cela est certain (l). Le Tsar partirnt pour son premier tour cl'Eulope, le père d'Budoxie et ses deux frères étaient expédiés dans des provinces éloignées, avec cles charges de gouverneurs qui en faisaient des exilés' Bn vo1'age, Pierle cessait d'écrire à sa femme; et sou(lain, de Lonclres, il chargeait deux de ses confidents, L.-I(. Narychkine et T.-N' Stlechnieli, d'une commission qui expliquait son silence : Eudoxie devait être enga6ée par eux à prendre le voile (2). C'est I'expédient usuel dans les ménag'es rnirl assortis de l'époque, et Pierre senrble y avoir défirritivernent an'été son esprit. Le contact qu'il a pris avec I'Ocoident a décidé du sort de la pauvre abandonnée. Elle appartient à un autre rnonde, condurnné à
disparaitre.

Elle n'est pourtartt Pas sans tgrérnents' Peu jolie sans doute; encore est-il assez difficile d'en juger. Nous inclinerions à teuir catherine elle-rnêmc, sa ltrture rivale, [)our lnr monstre de laideur, sur la foi des port'aits' s'rls doute flattés,
(r)
,lEr,r.{tsorrrsKI,

XIénoires,

p.l0;

Sorovlrn,

t. XIV, p.6'

Anneres.

Ousrnrrr,on,

t. IIl, p. {89.

LES

FEMIIES.

26I

une voitule couverte â deur cheuattr (la chronique insiste sur ce aeto;t, ta
(t)
Lettres de lady llonde at (L41,
as

r.rrr" mer de sang, a ait mis I" piu, petit bout de complicité, éclaté même nrorale. nlais il a nri ;i ; ;; ; :il i,'ô::T,i" li;"":"T :::.î::iïi:ffi :,i1i patrialche en faveur,cle l'épouse lé6;itime, et, après trois semaines. de pourpallers, il t.anch" ie rrn:ucl : sans qu'elle y

l" r:î pér'emptoire' eu'a-t-ejre fait pour' r,ré.it"" un tel arrêt ? eue lui reproclre-t-o'? En effet, il ne se'r'le méme pas qu,elle ait été soupconnée d'une pnrticipation quelconque au_x intrigues poli_ tlans le.quclles ln tru."uno Sop;:" et les aurres sæur,s iq1.-, drr T.ar. sont siuruItariément impliquées'. La .Orroltu des Streltsy, que Piene se dispose à noyer jurr,

rép ons

une tout autre impr"*riàn. EIle n,est pu, orr" ,"U". Qrrand elle repara.it à Ia co.," après la mort de son te*ible époux, elle fait d'une aitorrre vieille, passa'reme.t instluite des clroses 'erfet por.rr,ant I,intér.esser, point étrangère nrôrne aux affaires de I'Etat (l). Sa correspondance avec G[ébof, dont on lira plus loi. q,rulqrres extraits, révèle une ârne tendre, passionnée, ra"h,,rrt ni-"". Intelrectue'ement, elle ressemblait à la généralité des femmes moscovites de l'époqrre, ayant grandi dans le . ftrem : *,,p",,tii;",,se. Là aussi se lequel devait se briser sa destinée. Éviderrrmert elle n,était pas Ia compagne qui convint à pierre, capable de Ie comprendre, de le suivre, de partager. sa vre. du gr.and voJ,age, arnvant ti Nloscou le g6 août - ^1" i*:"r l69lj, à six herrles du soir, pi"r." va trouver quelques amis, Goldon entre autres, puis lait une visite à Ia famille ùIons. Il ne voit pas sa f'emrne. euelques jours après seulement, il con_ sent à la rencorrtrer en lieu tie"r, daru Ia maison du maîtr.e r]1 Vinnius; ce n,est'q.," po,r. lui confirmer la Soste clécision dont il a ,mais r":il"'

gue nous eonnalssons d,elle et qui faisaient apparemment sur Pierre

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d,unc rlanrc anglutsc), 1776.

262

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11'

injurieusement cruauté et I'injustice dtr procédé en paraissant de chez lui' le moindre aggravées dan, .rn p"1'' n':, pour sortir w facre ,J;!rru.r" met to,te t"'e "ooale'ie en mouvement)' et Budoxie nous dirions aujourcl'hrri, enlève la pauvre "oàrrru cloître tle I'Intercession la conduit à Souzdal, oi l"' portes du (Polerouskit Diéuitchyi 1l[onastyr) se ferment
de

la Sainte Vierge sur elle. traitée que celles qur ïrrnocente,, elle était plus sévèrement avec les rebelles ayaient failli. 4,"* '*t'i', dont la connivence Pierre' en les avait été pourtant reconnue, sinon prouvée' un certain train de enfermant aussi, Iaissait une pension et sa femme, elle n'est maison. A sa f'emme, rien. Elle n'est plus son norn' Elle est la nonne fl,r, Trarioe; elle perd jusqu'à domestique' et' pour ne UOlart" I elle n'a auprès d'elle qu'une à faire appel à la charité est fo, *oori. cle foim, elle 'étlttitu Abraham : n Je n'ai pas i* ,u, parents. Elle écrit à son frère manger ; je ne u b"roio de 6rand'chose, mais encore faut-il je votrdrais pouvoir ofn bois ni vin ni eau-de-vie, mais d'une façon u frir..., Le trait estcurieux, mettant en lumière vie I'ancienne séduisants de expressive un des côtés les plus tout n'est encore qrr'un demipatriarcale du pays' Mo"qt'"' de l'hospitalité coutunlière' malheur ; mais ne pas pouooi' exetcer : r ll n'y a rien ici ; voilt\ la suprêrne Jitgta""' EIle continue faire ? . tout est pourri ; .1"iui' que je vous importune ' mais que donnezde grâce nourrissez'moi' n I'entlant que je .ui' un ";", (l)' n s moi èr boiie, donnez des vêtements à la mendiante murs les ans encore Elle a vingt-six ans, et pendant vingt rempli de vie et de passion' de sa cellule de recluse, séiulcre et' quand elle en emprisonneront sa clétre'se et ses révoltes' sera pour aller à une ,orii.o, jeunesse fléttie,cæur meurtri' ce . pire destinée. \ du r a^^_r--:r^ltsarévitchAlexrs le procès l7l8' ^lô en Vingt ans plus tard, Pierre' Parmi les inmet en verve le génie inquisitoriai de dans la voie de la rébellion' fluences qui ont pi po"""'son fils

(l)

Ourrnrrr'or,

t' III, p' {8? et ruir"

CrrurP' Konu'

p' 7['

LES }.'.EMMES.

t63

celle d'Bucloxie lui paraît indiquée. Descente au monastère et enquéte. La haute police lait buisson creux de ce côté, mais sa déconyenue est compensée par une arrtre découverte : toujours innocente politiquement, Eudoxie est soupconnée, puis reconnue coupable d'une liaison criminellement amoureuse avec le major Glébof. Oui, elle a succombé I dans sa déchéance, dans sa misère, elle a cherché une consolation. Envoyé â Souzdal pour une opération de recrutement, Ie major Glébof s'est intéressé à son infortune. EIle soulfrait du {roid dans sa cellule : un envoi de fourrures proroquant une lettre de reconnaissance émue a entrainé une dangereuse intimité. Il est venu pour recevoir ses remerciements, revenu encore, et ils se sont aimés, d'un amour exalté chez elle, fougueux et absorbant tout son être, beaucoup plus réservé chez lui, avec des arrière-pensées équivogues. Très ambitieux probablement, ce jeune homme I escomptant peut-être un retour de fortune lointain, songeant à clranger de carrière, à se pousser dans la politique. Il a aussi à lutter avec des difficultés d'argent. Il est marié enfin de son côté et embarrassé de sa femme. BIle, la pauvre âmante, r.oudrait lui faire quitter le service pour I'avoir plus près d'elle et tout à elle, s'ingéniant pour satisfaire à des besoins et r.emédier à une gêne qu'elle devine, toujours prête à disposer en sa faveur des maigres ressources qu'elle arrache à la parcimonie ou à la pauvreté des siens. eui donc refuserait de lui venir en aide? Voici de I'argent; lui en faut-il plus ? plus encore ? u Où est ton esprit, rnon batko u (forme plus caressante de batioueltka, petit père),1à est aussi . le mien ; où est ta parole, là est ma tête; toujours toute ., dans ta volonté. l Mais, retenu pâr ses devoirs militaires ou conjrrgaux, peutêtre aussi lassé déjà, baileo espace ses visites. Alors ce sont des cris de désespoir, des appels éperdus : quoi ? elle est donc oubliée déjà ? Si vite? Elle n'a donc pas su lui plaire? Elle n,a pas âssez fait pour cela, pas assez arrosé de ses larmes son visage, ses mains et tous les membres de son corps et toutes les jointures de ses pieds et de ses mains ? Elle a un langage

26It'

L'HOMME.

à elle d'un lyrisme

exu.'rérant, où se traduisent des sentiments bizarles et incohérents parfois, mais toujours évidemment sincères, d'un style étrangemeut imagé, où l'Orient mêle sa palette rutilante au coloris rustique du terroir moscovite : n Ma lumière,mon bariouchka,mon âme, ma joie!L'heure n exécrable de la séparation erurait-elle vraiment sonné déjà ? u J'aimerais mieux voir mon àme séparée dtr corps ! O ma n lumière, comment ferais'je pour rester sur la terre séparée u de toi? Comment ferais-je pour rester en vie? Yoici longn temps que mon cæur maudit a pressenti ce moment' Voici u longtemps qu'il a pleuré tout entier. Et le moment est venu, ,, et je souf'fre, et Dieu seul suit corlbien tu m'es cher ! Pourr, c[uoi t'aimé-je tant, mon adoré, que la vie m'est devenrte , indifferente sans toi? Pourquoi, ô mon âme, as-tu eu de la , colère contre moi, oui, de la colère jrrsqu'à ne pas m'écrire? r Porte du moins, ô mon cæur, la bague que je t'ai donncje e et aime-moi un peu' un peu. J'en ai fait faire ule pareille ri pour moi. Mais quoi? C'est toi qui as voulu t'éloig;ner r de moi. Ah ! voici longtemps déjà que j'ai vrr changer ton . iùrnour : pourquoi, ô mon batho? Pourquoi ne viens-tu plus , chez moi? T'est-il arrivé quelque chose? f'a-t-on dit du r mal de moi? O mon trmi, ô ma lLrmière, nta ltoubonka (de t houbit, chérir), aie pitié de moi! Pitié, ô mon seigneur, et r viens me voir demain ! O mon monde entier, mon adoré, . vra lapouehka (on se rappelle ce sobriquet donrré autrefois r par elle à un autre), réponds-moi. Ne me laisse pas rnourir de o chagrin. Je t'ai envoyé une cravater porte-la, ô nrotl âme ' a trr ne portes rien de ce gui vient de moi ! Bst-ce un signe û que je ne te suis pas agréable ?.'. Mars oublier ton amour? à vivre sans toi ! p " je ne saurais ! Je ne saurais continuerlamente de plus en Batko d,emeure insensible, et elle se plus douloureusement; on croirait enteudre Ia plainte continue et monotone d'une bête blessée : n Qui m'a lait ce tort, à moi pauvre ? gui m'a volé mon a trésor? Qui a enlevé la lumière de devant rnes yeux? Pour a qui m'abandonnes-tu ? A qui me livres-tu ? Comment n'as-tu

LES FEMMES.

265

u ainsi orpheline, malireulcuse... , Neuf'de los lettres ont figuré au dossier de I,enquéte. Elles ne sont pas de Ia main d'riudoxie. L'ex-Tsarin" le, a dictées à la nonne l{aptelina, sa confideute, qni. rle son côté, le.s apo_ stillait, en essal'ant d'apitoyc,r l'infiJate sur res souffi.ances cre la nMt'ottcltlta. NIais sur ch.que feuilret |imprudent Gléboir a apposé de sa rnarn un celtificat d,ori.giue : s Lettre de Ia tsa_ rine Eudoxie. , Les deu-r bagrre, pu."ill", ont été aussi retrouvées en possession des coupables. Les clépositions des nonnes et domestiques du monastère, rnterrogés en grand nontirr.c, ont été absolument concruantes : Grébof venart sans cesse crrez lludoxie, de,;our et de nuit; ils s'embrass.ierrt clevant to.t le monde, purs, éloignant les témoins, restaient seuls peudanl de longues heures. Enfin, Eudoxie a tout avoué.

s pas eu pitié de moi? Est-ce possible que tu ne doives plus ( me revenir? Qui, pauvre moi, m'a sépnrde de toit qu,ai-je n fait à ta femme? euel tort lui ai_je causé ? En quor lro,rs aije u offcnsés ? pourquoi, ô chère âme ne m'ayolr pas clit en , u quoi j'ni pu déplaire à ta femnre, et pourquoi I'on.oir écoutée? n Pourquoi m'ayoir abandonnée ? Assurément je ne t,aurais u pas séparé de ta fenrrne ! Et tu l,écoutes ! O ma lumière, r cornnrent ferai-je pour être sans toi ? Comment ferai-je pour r rester dans ce monde ? pourquoi m'as-trr mise dans âette u détresse ? Ai-je été coupable en quelque chose, sans le sa( voir'? Pourquoi ne m'as-tu pas dit ma {àute ? Tu pouvais me u frapper pour me punir, me châtier je ne sais coriment porr u cette faute que je ne connais pas! Au nom de Dieu, ne n m'abandonne pûs ! Arrive ici ! Je meurs d'être sans toi ! u Et quelques jour.s plus tard : a Que ne suis-je rnorte ! eue ne m'as_tu plutôt mise en a terre avec fes mains !... pardonne, pardonne, ô mon âme... ( ne me laisse pas mourir! Je me tuerai !... Envoie-moi. ô ( mon ccnur, enroie_moi la veste que tu aimes à porter. pour_ u quoi m'.s-tu abarrclonnée? Envoie_rnoi ,ro rno.""au de pain u dans leguel tu au.as n.rordu. Co.rme tu m,as abarrdorrué" ! n Comment ai-je pu t'offelser assez pour que tu me Iaisses

266

L'HOMME,

Et Glébof? La légende lui a prêté une attitude héroique ; au milieu cles plrrs atroces tortures, prenant délibérément à sa charge toute espèce d'autres crimes, allant jusqu'à confesser des forfaits imagrnaires, offrant vingt fois sa téte au bourreau, il a refusé jusqu'à la fin de mettre en cause I'honneur de sa coml,lice (l). Hélas ! Ies procès-velbaux de I'enquête conservés aux archives de Moscou (2) disent précisdment Ie contraire : muet sur tous les autres chefs d'accusation, Glébof n'aurait avoué que cela précisément, cette liaison ùrnoureuse, contractée huit ans auparavant. Eudoxie avait alors trente-huit ans. Je me hate de le dire : aveux ou dépositions ne prouvent ici absoluruent rien. Le juge instructeur envoyé par pierre à Souzdal , Skornialiof'-Pissaref, y a fait fouetter cinquante nonnes, dont qrrelques-unes sont mortes sous le fouet. Elles ont dit ce qu'il a voulu leur faire dire. Budoxie et, Glébof ont été interrogés également dans la chambre de question ; les tortures infligées au malheureux officier ont été si etfroytrrrres que sa mise à mort est décidée le 16127 mars 1718, sur I'avis des médecins, alfilnrant qu'ils ne sauraientle prolonger plusde virrgtguntre beures (3). On a parlé, entre autres, d'un cachot pavé avec des pointes en bois très dur, sur lesquelles I'infbrtuné tjtait contraint de marcher pieds nus. Pour I'expiation srrprêrne, Pierle a choisi le pal. Comme il gèle à trente degrés, on couvre le malheuleux d'une pelisse, on le chausse de bottes fourrées et on le coiffe d'rrn bonnet bien cbaud, pour faire durer le srrpplice. Conrrrrencant à trois heures de I'après-midi, il ne prend firr qrre le lendemain à sept heures et demie dusoir @). Le (l) Ar.lrrwvrr,, Anecdotes, 1,745,p, 31, Les relations des diplomates étrangers présents à Moscou, eimple écho de I'opinion en court, sont aussi en ce sens: HI'rrIrnreNN, I eter d, Grocse und d, I'sareuitch Alexei, p. t3b ef 202; dépèr'be de de Bie à Fagel du 2li {718 lArchives de la ltaye); nlenuires 'rars et docuntents, aux Àff, étr de È'rarrce, t. I, p. l"2g et euiv. ; nilànons marzutcrtteç de la Ribluthèquc de Gotha,etc, (2) Publiér en partie par Ousrnruor, t, VI, p.46getsuiv. (37 Dépêche citée rle de tlie. (lt) Austarltche Beschreibu^g der in der rlauptstadt Noscou.,. uolrzogenen

LES }'EMMES.

267

récit d'après lequel Pierre se serait approché du

supplicié ayant dé1à qrrelqu"s hertres de pal, aurait essayé de le confeset n'aurait reçu pour réponse qu'un crachat au ,Ë" "rr"or", visage (l), ne mérite âucune ct'énuce'
Eudcrxie

a la vie sauve; mais on choisit maintenant pour on elle un cloître plus isolé, sur les bords dulacLadoga' où l'entoure d'une surveillance plus étroite' D'après un témoifouet gnage, avant d'y étre enfermée, elle a subi la peine du J., .rr"rto d'un jugement rendu Par une assemblée d'évêques' d'archimandrites et d'autres ecclésiastiques, et exécuté en plein cbapitre par deux moines (2)' A quel sentiment Pierre a-t-il pu obéir en engageant ce {érocc ? procès et surtout en lui irnprintarrt un caractère aussi b., n" I'inrugine pas jaloux de cette épousc r'épu<Iiée' oubliée-et vieillie ro.rr roo voile de nonne' et on le sait si inclrrlgenthabi-

tuellement pour les défaillances de ce genre' pour toutes celles a bien même où sa politique n'est pas intéressée' Or celle-ci parulrorsdecauseencetteaf|aire.Lacorr'espondanced'Eudoxie avec son amant n'a pu, sur ce point. c1u'attester leur parfaite innocence : il n'y est question que d'amour' L'ex-Tsarin" auuit bien cédé à la tentation de reprenclre ses vêtements mondains. et s'était aussi laissé entretenir Par son entourage dans I'espoir d'un retour plus ou moins prochain aux splendeurs d'autrefois ; mais de part et d'autre on n'était pas allé au delà de I'espoir (3)' Eudoxie n'a-t-elle pas été en cette circonstance victime d'une autre jalousie et d'une autre haine? Laissons passer encore sept années : Pierre est mortt et cet événement, que I'on pouvait croire heureux pour la recluse, devient le signal d'une nouvelle aggravation dans
Yoy' encore pour le roman d'Eudoxie et de Glép,,àoxie Xletsoler rurse' 1859' t' XXI' p- 219 Lopo'i'i'te, Éof r SrÉtrrevsxt,
grossen Execution, Riga, 1718.

ÂÀs,

*0"," R""o"i1,1860, t. ixx, p' 559-599;

1859,

t' XXIII' p' 299-300'

(lLtude de Snié1;iref.)

(t)

Glàbof :ureir refueé de livrer le recret; mair il ne fait que

i.", ét"rngères à" F,.o""l rlémoires et docum"t'ts' t' I' p' 129' iij an gi" porl"'lriet d'tt "o'tplot et d'une corucsPondalc;--"n'-ll:u:-U:t ia) n" répéter des on dil

Doreonoîror, t. I, p.32; lady R-oxouu, p' 32'

268

L'HOM\{E.

son sort : on la retire de son couvent, on Ia conduit à Ia forteresse de Schlusselbourg et on la plonge dans un cachot souterain peuplé de rats. Malade, elle n'a pour Ia soigner qu'une vieille naine, qui elle-même a besoin d'étre assisté-e et servie' on la tient là tleux années. eui fait cela? celle qui règne rnaintenant : Catl-rerine première. Et voici peut_être qui répond égalernent à la question gue j'ai posée plus lraot. iu bout de ce temps, nouveau changernent : br.usquement, ainsi gue dans un rêve, la porte du cachot s'ouvre, des personnages en grand costurne paraissent sur le seuil et, s'inclinantjusqu'à terre, invitent la captive à les suivre; guidée po. Lll" ".,*, pénètre dans un appartement luxueusement décoré, qu'on lui dit avoir été préparé pour elle chez re commarrclant dL la forteresse. Pour elle ce lit garni de {i.e toile de Hoila'de, après la paille hurnide du grabat t1u'elle vient cle quitter; pour elle ces ejtoffes précieuses sur le" murs, cette vaisselre d'or., ces dix mille roubles qu'elle trouve dans une cassette, ces gentils_ honrmes de cour qu'elle voit clans son antichambre, c"l Oqui_ prr6es q'i atterrde't ses o'dres... e''est-il arrivé ? catherine Ttremière est morte à son tour, et Ie Tsar qui lui a succécré sous le nom de Pierre II esr.le firs d'arexis, re petit-fils d'Eudoxie. Elle vaà Moscou, Ia pauvre gland'mère, dont les cheveux ont blanchi dans les prisons, pour assister au couronnement cru no.vcau so'verain; elle y par.it prenant Ie pas sur les autres princesses, envir.onnée de pompe, entouréà d'égards. Trop tard! sa vie est brisée, et d'elle-même eile a'croitri "",ri"rr-t elle terminera ses jours en lTBl dans ce Nouorliéuitchyl. Ilonas_ rJ,r, asile des grandes infortunes, où Sophie a vàcu après l'écroulement de ses ambitions. une traclition veut qu'eilà ait fart atrssi séjour à ce mornent dans la résiclencu furniliale de, Lirpouhine, à Sérébrianolé; mais là encore une galerie Ia mettait en communication avec re croître voisin àe saintGeorges (l). Son tombeau est au monastère de Moscou, et sa mérnoire esl restée vivante jusqu'à rros jours dans res lé6en(t)
Archive russe, 1878, p. 6b?.

LEs
des et les chants populaires

rEMMEs.

t69

(l). après toutes ses déchéances et n'a gardé que ce patrimoine de doutoutes ses disgrâces, elle
loureuse sympathie parrni d'humbles àmes, auxquelles les familièrcs. ,grandes souffrances sont

Irl
Pour Pierre, après le premier internement d'Eudoxie, I'heure a sonné de la première favorite en titre' Ànna Mons orr Nlonst ou Munst, donicella Mon'siana, comme l'appelle l(orb, occupe I'emploi' Avant <le venir à Moscou, son père a exercé à llinden la plofession de négociant en vins, ou dejoaillier selon tl'uutres témoigriaSes; la famille est d'origine westphalienne, par conséquerrt, bien qu'elle se soit cherché plus tard des arrcêt,'c's dans les Flandres, en ajoutant purticule et prédicat à son norn : Mons ou Moëns de la Croix (2)' Maitresse de Lefort d'abord, la demoiselle monte rapidement en grade en abandounant le favori pour le mlître; elle prend rang à côté du souver.ûirr jusque dans les cérémonies publiques; elle s'af'fiche et il I'atÏche. Parlain au baptême d'un fils de l"envoyé clanois, il la reiclame comrne marraine (3)' tt fait construire pour elle' <lans le/aul, aurg' ûn élégant palazzo, et les lugubres archives

du Preobrajenski Prikaze ont enregistré les étonneurents' trop lraut térnoignés, du tailleur allernund Flauk devant les splen' detu.s tl'urre chumlrre à coucher qui {aisait le plus bel otDerncrrt de la derueure et qu'ou savait fréqrtentée pnr le Tsar (4)' Iin 1703, non sans regret, à vrai dir'e, et non sans quelques

(l\ Métnotres de l'Acadéaûe des scienceç tle Pétersbourg, 186[, vol' V' liu.'tt. p. 20Û. (U. P,i5""sof') ,2 \I'irorrrrti, t", t'' ttttttes '''*sr, Péte'sl'r'urg' 't8'7&' p' 3' r)abinet do l,iir.r..,.rrton L\\\Vl. l.es,loturrtettts de Ia rrrurri.rpalité tle llinden cotrrervég
dàr)s ce tdrtot)

tltlrnent dtversetlent I'orthographe du lotu'

q;.i1 Konn, p. 8&. (4) N* t243, t258.

270

L'HOMME,

rernords, il lui donne la terre de Doubino, un domaine consi-

dérable, dans Ie district de Kozielsk- Blle est très quémandeuse. A tout instant elle sollicite Ia générosité peu spontanée du souverain par des billets qu'elle fait rédiger Par un secrétaire, les apostillant seulement en mauvais allernand. Et-a va jusqu'à invoquer, dans ses requêtes, un patlonage des moins attendus : c Par I'amour de votre fils Alexis Petrovitclr, donnezmoi cette terre (l). , Alexis, on ne I'oublie pas, est I'enfant d'Eudoxie. Elle y joint par{bis de modestes présents i guatre cttrons et autant d'oranges qu'elle envoie à Azof', au moment du siè6e. Il songe sérieusement à l'épouser, tout en entretenant un commerce équivoque avec une amie de la favorite, Hélène Fademrecht, dont il recoit aussi des lettres adressées : u A mon utrivers, mon petit soleil chéri, mon adoré aux yeux ( noirs et aux sourcils de la même couleur. , Le roman, très banal, durera jusqu'en 1703 et se terminera d'une façon qui ne I'est pas moins : dans la poche de I'envoyé saxon l(ônigsech, qui, entré récernment au service du Tsar, se noie accidentellement au début rle la campagne' on trouve un certain nombre de billets, dont Piere tt'a aucune dilficulté à reconnaitre l'écritule et le style. Il a la naiveté de se fâcher; la donicella Xlottsiana va en prison, s'en tire à fbrce d'insistance et de ronerie, mais ne recouvre la liberté que Pour devenir la maîtresse de I'envoyé prussien I(eyserlin6, qui finira par l'épouserElle a du goùt pour la dip[r-rmatie, et pas assez de retenue pour rnéna1;er sa foltune. Elle revient en Prison, ne consenie de toutes les libéralités du sottvernin que quelques ûlaigres épaves, y compris son portrait, dont elle dé{ènd âprement la possession, fi s471sa des diamants, croit-on. Et la rancune de Pierr'e est lorrgue: en 1707, I'enc1uête ordonnée à raison de cette vulgaire aventure duruit encorer et llonrodanovski gardait sous clel' trente prisonniers qur s'y trouvaiertt implitlués, ils ne savaient tt'op conrtnent, li lui uon plus. Une anrée plus tard, Keyserling, déjà marié, profite d'un mornent ot\ il voit leTsar (f) Voy. Iea ertraite
de cette Correspondance chez Monoovrsrr,

p' [0-11.

LES IIEIIMES,

27I

en gaieté, pour intercéder en [aveur d'un frère de I'ex-favorite,

qur sollicite un emploi. ll tombe mal ; Pierre I'interrompt avec brusquerie, et s'explique avec sa franchise ortlinaire : u J'ai élevé la \fons pour moi, avec I'intention de l'éPouserl

(

u

vous I'avez séduite, gardez-la, mais ne me parIez jarnais ni d'elle, ni des siens. , Le Prussien insistant, À[enclriliof in-

tervient à son tour : n Votre Mons est une p....,; je I'ui eue ( cotnme vous et comme tout le monde I laissez-nous tlann quille avec elle. o La scène, il convient de le dire, se passe à une fête donnée par un seigneur polonais aux environs de Lublin, et on est après souper. Elle a un dénouement fâcheur pour Keyserling : bourré de coups de poing par Pierre et Menchikof, le Prussien est jeté dehors, pr'écipité au bas d'un escalier. Il se plaint; on lui donne tort, et I'affaire se terde sa part (l). mine par des excuses Devenue yeuve en l7l l, Mme Ileyserling survit de quelques années seulement à son mari, non sans avoir inspiré une nouvelle passion i'r un officier suédois du nom de Miller (2). Pierre était un amant rancunier, mais point inconsolable. Menclrikof, qui avait remplacé maintenant Lefort dans son intimité, se montrait tout aussi apte que le Genevois à lui fournir des consolations. Il avuit son personnel férninin, comme I'autre le sien : ses deux sæurs d'abord, Nlarie et Ànne, placées par ses soins auprès de la sæur préférée de I'ierre, Nathalie; puis les deux demoiselles ArssénieÊ, Daria et Barbe, qui alrpartenirient aussi à la cour cle la Tsarevna, une cour ressenrblunt de très près à un harem. Une demoiselle Tolstoï complétait ce troupe, et, à partir de 1703 précisément, une sixième recrue y paraissait, qui devait prendre dans la vie du
1f.) Sronurr, t. XXXIX, p. 410 (dépêches de Whitworth); SrÉvrr.,;xr, L' hnperatrice Catherine, Pétersb , lSli&, p 33 etsuiv. çdépêr'hes deKeyserling\; cssreor, Bio,lraphie de XltncliAof, Archive russc, l8i5; Kostonrnor, Httot,e tusse etLbiographier, Pétersbourg,1881, t. ll, p. 618; Ouslnrrr,on, t. lV, p.145 et est le plus suiv.; Sor.ovrr:r, t. XVI, p. 6l; lady Rorrr:,1u, p. lt. - Kostourarof près de la vérité, bien r1u'il setro,,rpesur la da'e de la rnort. de Kônigseck. (Voy.

l-cttre de ltierre à Aprarine, 17 avril I7A3; Ecrits et Correspondance, t. II, p. 152.) (2) SrÉnrnvsxr, iôdd., p.00.

272

L'HOMME.

$ouverain une place à part et donner à I'histoire si triviale jusqu'à présent de sa jeunesse amouretlse une tournttre inattendue. Le nom de cette fille est entouré d'incertitude cornlne son origine. Les prerniers documents authentiques qui en fasserlt mention I'appellent tantôt Catherine Troubatchof et tantôt Catherine Vassilevska, ou Catherine Mihailof . Menchikof I'a eue d"abord pour maltresse, toutencourtisantDaria Arssénief, alors que Pierre jetait son dévolu sur I'autre sæur, llarbe, dont le {avori comptait faire une Tsarine pour devenit ainsi beau-frère du 'l'sar. Il soignait, dans ce but, l"éducation de la nouvelle favorite : n Atr nom du ciel, écrivait-il à Daria, c engage ta sæur à apprendre sarls cesse le russe et I'allemand; n elle n'a pas de tentps à perdre ! ' Yillebois fait de cette Barbe un laicleron, mais avec beaucoup d'esprit et tout autant de méchanceté. Il raconte ainsi les débuts de sa faveur : dina't avec elle et ses compagnes, Pierre lui dit: uJenecrois ( pas que personne se soit jamais avisé de t'en coÙter, ma .. pauvre Barbe, tant tu es Peu jolie ; mais coûlrne je ne rne n pliris qu'attx exploits extraortlinaires, je ne veux pas que tu c meures sans avoir été troussée. l Et, la culbutant sur un canapé séance telrante, sans nul souci des spectateurs, iljoint I'action à la parole. Les mæurs de tout ce monde permettent tle tenir le récit pour vraisernblable. J'ai déjà indiqué ce qu'on y aperçoit d'équivoque dans les rapports établis entre amartts et amantes ; quelle étrange confusion et cotnmunauté
cle sentimerrts et de liens

intimes I Pierre et Menchilio [j y paraissent à chaque instant substitués l'un à I'autre ou cumulant des droits qu'on pourrait croire exclusifs de tout partage. Sont-ils absents, I'indivision se perpétue en des uressir8es collectifs, or\ tendres ressouveltir.s et appels caressants vont pêle-nréle de i'un à l'autre grortPe, avec les cadeaux qrri y sont fréquemmelit joiDts : cravates, chemises, robes de chambre façonrrées par ces dames. Daria Arssénief ajoute à sa sigrlatur€ i ( l'â sotte ' I Anne Menchikof : u La toute maigre. I Quant à Catherirre, clle met, en 1705 : o Avec deux autres r, ce clui s'explitlue par ce passage de la lettre comrnune ; n Pierre et Paul vous

LES
n

F'EM\!ES.

273

sâluent et demandent votre bénédiction. n pierre et paul sont les enfants qu'elle a déjà du Tsar. En l706,le Tsar réunissnit, toute la compagnie à Narva, où I'on passaii ensemble les fêtes de pàques, puis se faisait suivre par elle à Pétersbourg, d'où il écrivait à Menchikof qu'il était (( au parâdis D avec ces dames. Mais Menchikof, qui se trouvait retenu dans le Sud avec I'armée et qui s'y ennuyait, aurait voulu sa part de paradis : quand pierre quitter.ait Pétersbonrg, il n'aurait que faire, en voyase, de ce gynécée, et. ferait bien, alors, de I'envoyer à son ami. pierre en décidait autrement I trainarrt après lui toute la petite troupe de pétersbourg à Smolensk et de Smolensk à Kief, en aoùt seuleruent il donnait rendez-vous au favori dans cette dernière ville et lui réservait une surprise : Menchikof a promis le mariage à Darin Arssénief, il faut qu'il tienne son engilternent, pierre étant décidé à remplir un jour celui qu'il a pris, de son côté, à l'égard de Ia nrère des u deux autres u . Àu favori de s'exécuter le prernier, et on ne quittera pas Kie[ que ce ne soit fait. Après la cérérnonie, il y avait partage du bien comnlun : Pierre, reprentrnt le chemin de pétersbourg, emmenait avec lui C*therine V.ssilevska et Anisia TolstoT; Menchikol'restart à Kief avec sa femrne, sa sællr Anne et sa belle-sæur Barbe (l).

TY

Catherine Vassilevska a dtoit à un chapitre à part de ce livre; on m'en vo'd'ait de la confo'dr.e, da's celui-ci, avec les rraîtresses d'un jour qui sont encore légion da's l'histoire irrtime du grand hornme. Méme après son rnariage et son éléva_ tion au trône, l'éluc aura à lutter tous les jours avec cles rivales, dont quelques-unes la menaceront jusque dans son rang
(1)- Essrnor, loc_.-,:ita

3.

III, p. 283, 322,

p 2h4 et suiv. ; Écrits et Corresporulan,,e rle prcrrt, 540.Y20,816, {0J8; Sor.ovrer, t. XVI, p. 68.
tE

27t{

L'H

O

M }I E.

d'épouse et de souveraine. Ce sera, en 1706' pendantle séjour du Tra. à Hanrbourg, la fille d'un pasteur luthérien, à laquelle, son pere refusant de Ia livrer, on promettra le maria8e et la

répucliation de Catherine. Chafirof aura déjà reçu I'ordle tltr pr.éparer le contrat. Malheuteusement pour elle, la trop confiunte fiancée consentira à un acornpte sur les joies de I'hyménée tlevant que les flambeaux soient allumés, et on Ia congédiera aussitôt avec mille ducats (l). ce sel.a er)core I'héroïne d'une ftrntaisie moins passagèrer ![ui, croit-on, a approché de très près le t|iomphe définitif et le raug suprênre' !'ille d'un cles prenriers partisans de Pierre, quoique d'une farnille dévouée à soplrie, famille ancienne et partageant ayec les Tatichtchef une illustre origine, Eudoxie Rjevski était ietée dirns le lit drr Tsar'alors qu'el[e n'avait pui qrrinze ans. A seize ans, Pierre la nraliait à Tchernichof , un officier. en quête cl'avancement, et la gardnit. Elle avait de lui quatre filles et trois fils; du moins passait-il pour étre le père de ces enl'ants; rnais les rncÊurs de vivandière qu'on attribuait à la mère renclaient cette attribution de paternité plus que douteuse, en compromettant les charrces de la favorite. Elle n'arrivait, s'il faut e' croire la chro'ique scandaleuse, qu'à provoquer I'ordre célèbre n d'aller fouetter Eudoxie ', donné à son mari par son amant, malacle et soupçonrrant la belle d'y être pour quelque chose. Pierre I'appelait communément : Audotia bor baba, Errdoxie n la bataille o . Sa mère est la fâmeuse Princesse Abbesse (2). Son cas ne serait guère intér'essant en lui-méme, s'il était isolé. Malheureusernent, et c'est là qu'il {àutprendre I'intérêt, tort triste, de cette page d'histoire, sa figure légendaire est également typique; elle représente une époque et une société' son aventure est ri peu près celle de Nlarie Matviéief', fille d'un des plus grands seigneurs du ternps. J'ai dit (p' 212) cornrnent celle-ci est devenue la femme d'un lioumiantsof. Aussi belle
f

[)

Relation du comte Rabutin, envoyé de I'Empereur, Bûschinqs
lTlémoires,

trl'' t' X'l'

rr. 490.

(2) Dor.conortxor,

r. I,

p'

175'

LES FE\fÙIEs,

27-a

qu'Eudoxie Rjevski, plus aimabre, très spi.tueile et charrnante de tous points, Xlalie lIatr"iéief a pris place, comme elle, parmi les clemoiselles de cour de I'hnpér.atrice. Ce lang, si honorable aujourd'hui, constituait ulo., prerqu€ une au déshonneur. L'entourage féminin de caiheri,,e 'ocation avait rernplacé celui de Nathalie. On ne voyait plus d.e tërent dans les palais itnpériaux; le lrarent restait, rrrr legs "Àrnu ciu passe orie.tal. Les maris débonnaires faisaient ,.rit" u,r" pères complaisants. Au moment de la mort de pierre, ma_ dame Rourniantsof sera encore enceirrte d'un fils, {ui de_ viendra le héros du l'utur grand règne, le géndral victorieu* de Catherine II, et en qui tout le rnonde reconnaitra le sang du grand Tsar. La postérité illégitime de pierre équi'aut en nombre à celle de Louis XIV. peut-étre la lé6errde y a_t_elle rnis cluelque e-xa_ gérrrtio'. La bâtardise des trois firs cle rnadame strngonof, pour ne paller gue cle ceux_là, n'est pas une certitude histo_ rique. La mère, née Novossiltsof, n,a été qu,une compatne d'orgie, d'humeur plaisrrute et buyant sec. l{ous revenons à r'histoi.e comm'ne avec [[ar.re Hamirtorr, encore une demoiselre de cour. II va sars dire que re ronarr à tournure se'timentale, où I'i'ragi.ation de q,,elques éc'i_ vains s'est égarée à sa suite, n'est qu'un ronran. tille parait avoir été une créature assez vulgaire, et p.ierre ,," ,,"r't pn* démenti en lui parlant d'amour à sa facon. On sait déjà qu,rrne branche de la grande famille écossaise, rrr.ale cle" Douilas, s,est établie en Russie, à une époque pr.écédant, croit-on, lu éniig'atio'du dix-septièure siècre, et rer'ontant ainsi 6r.anc.le à Ivarr le Terrible. Apparentée à plusieurs grandes lamilles .1" p"],r; elle parait déjà à peu pr'ès russifiée b-ien avant l,ar.è'ement rl, 'fsar réformateur. petite_fille d',\.rtamon Matviéief , le père adoptif de Nathalie Narychkine, l\,[arie Harnilton va à ]a à<rur comme ses pareilles, et, assez jolie, partage leur destinée. Nlais elle n'inspire à pierue qo'.r.r" purrior, à". plu, éphémères. Llulbutée entre deux portes et abanclonnée aussitJt, elle se consof e avec les dienchtchiks du lsar, crevient grosse à orusieur.s

276

I.'HOM

NTR.

reprises et

attacner un de ces arnant$ trop volages, le jeune Orlof, un assez triste personnage qui la rnaltraite et la rançonne, elle vole I'argent de I'hupérutrice et ses bijoux. UD hasard amène la découverte de tous ces crimes petits et grands. Un document de quelque importance est égaré dans le cabinet du Tsar; le sorrpçon tombe sur Orlof, qrri en a eu corlnaissartce et a passé la nuit clehors' ïIis en pr'ésence tlu souverain et interrogé, il se trouble, imagine qu"on en veut à sa liaison avec la [laruilton' tombe à genoux, en criant : l/inouat / (pardon) et confesse tout, Iarcins clont il a profité et infanticides dont il a eu connaisslnce. Enqrréte et procès. L'irr{brtunée Nlarie y est convairrcue , en plus, d'avoir tenu des propos malveillants sur le compte de Ia souveraine, en plaisantant I'aspect trop flertri de son visage' Crime capital ! Catheline, cluoi qu'orr en ait dit, firit preuve, cette lbis, tl'un âssez borl cirractère. Elle intercède potrr la coupable et I'ait agir. rnêtne en sa fûverrr la tsarine Prascovie, dont le crédit est considérable et dont I'intervention a d'autant pl[s cle poids qu'on la sait Peu tlisposée habituellemerrt à I'iD{.lgencc. Dans l'esprit de la vieille Russie, I'infanticide est uû crinte tr'ès accessible uux circonstarrces atténuantes, et la tsarirre Prascor-ie est' à beaucoul't d'égar<ls, une Ilusse de vieille roche. fr{ais le souver.aiû se montt'e iDexorable: n Il ne r-eut être ni Saoul ni Ahab, en violant la loi divine par excès de bonté. u A-t-il un si grand respect des lois divines?Jecrors bien qu'il s'en moque I mtis il irnagine qu'on lui a volé plusieurs soldats, et c'est une faute impardorrnable à ses yenx. Après avoir subi plusierrrs fois la question en présence du Tsar, et avoir Iefïsé ju*qrr'ir la firr de livrer le nom de son corrrPlice. alors que celui-ci n'a sonSé qrr'à s'innocenter err la chargeaill -_ pâs blillartt, cet ancêtt'c cles l:utrrrs favoris de la grnnde Uatherine I "- llarie Harnilton nronte à l'échalaud, le l4 rrrars l7 19, ( en l'obc dc soie blarrclr<: i;rllnie. tle rullarrs noirs ', raconte Staehlin. Llrand arnateur. tles rnrncs eû scène tlréàtrales, Pierre n'est srrls doute iras resté étranger ir ce dernier artifice de fuuèbre cotluetterie. ll a le courage d'assister au supplice, et,

fait disparaitre ses enfants.

Pour

s

r,Es
comme

r'fiMMES

277

tion de la
c.rtr erin

défhiliante; puis il s'écarte : c'est Ie sig'ai. eua'd elle relève f" ,ei", l" bo.r*eau a rem'racé le Tsar. scherer ajoute des crétairs atroces : reparait quand la bache u fujt -*oo æul,re; il ranrasse le ]lsar Ia tête sarrgiante qui a rouré aans la Lioue et, tranq.ilre'rent. con)rDei)ce un cours d'a.ato'rie, inditluant, o.r* noriutant, l" rrom_br.e et la qualité cles or6;a,es qrre le ler a atteints, insistant sur la section de la colc,rrrr" .*,"rtélr,.ale. eurnd it o n'i, lt approche ses lèvres des lèv.es brê'ries qui o't e' de rui jaiis d'aut.es laisse retomber Ia tête, lait Ie signe cle la 'aisers, croi-r et s'en va (l). Je doute fort que ltenchjkof ait jugé à propos, ainsi qu,on l,a aili'né' d'irrter'eni. d.ns la orir* Lr"iugerre't er ra conclarnna-

jouer rrn rôle. Il ernbrasse Ia condamnée au pied de liéchufuurl, l.exhorte à p.i"", la soutient dans ses b"as, pendunt qu,elle s,incline,

il

ne peut être passif nulle part, cl,y

d. Tçaxivit,'h ,llexei, p.2{)Z: fIoRr,ov.l.b!.F, Let /,etnmes r.r""o, p. bZ; S,ucncn. t. lI, p. 2i2. Le récir de L,bo,rirshi çT"ur, or"trirlu;;.;r;, e rc.l esr u.e reuvre d,ima_ ginatiorr.

reuse. La Livouieurle couronnée a eu à peu dl t"orp, .1""1à une alerte plus sérieuse. Je lis clans une dépéche du Cn*1rr."don, du 8 juin l7Z2 : u La Tsarine appr,éhencle que si Ia princesse accorrche d'un fils, le Tsar, à la sollicitation tlu prince de Valuchie, ne répudie sa l.emme pour épouser sa maîtr'csse (2). r Il s'agit cle &farie Kantémir. Allié.de pierre pendant la malbeureuse carnpague cle lT l I contre les Trrrcs, le prince Diruitri I(antérnir u.r,iit purdu ,u so uve'a i rr eté au trai td du prutrr. FIospi tarisé à saint-pét er-srrourg, il s'y no'forrdait en attc,,r.ant la qu,on lui avait Iâit espér,er'. t\ssez longtemps sa "o-p".r.ol.ion fille senrbla lui en promettre une. Au rnoment du ddpart de pierre pour la "o,rrpogn" cl" (I) Sreurtvsxr, Slouo t Djelo, p. lg5; ruç'r. rriT{. t. III, p. ,r6b; Gor,rnoi, t. vi, Konoalxor, Étucle àana l,Antiquité p. ôs, ro.,"or"neF.. Notice sur re souliebniL (oo.e\ c;rvan iassilévitch;-H""ir,l*ii*".rr. Gror.ce unt! (l) 'lflaires étrangèrea

e,," o,",iiil::. i:ï"'ï:i3"::';;, l"u-Ï:ili:: J:

mirihe,

de France.

178
Perse,

l.'H

t)]IltË'

durait deen lT22rcette nouvelle intri6ue afiroureuse proche d'un dénoueÛlent puis pltrsienrs années et paraissait accompagnèrent -le fatal pour Catherine' Les detrx {'emrnes : elle Àstraban à s'arrêter de obligée Tsar. Mai: Marie fut ne s"en trouvait que ui.i, grorr". La confianc" tlË t"' paltisatls Pétrovitch (tzl9)' Ca' {brtifiîe. Après la mort du petit Pierre hér'itier;

faire son therine rr'avait plus cle fils àont Pierre pùt Kantémir lui err donnait unn si, au retour de son expétlition' la pas à se débarrasser on estin.,aitgénéralemànt qu'il n'hésiterait la première' A en de fait de sa secotrde femme "o-L" il avait s'arranSèrent Pour Scherer (l), les amis de Catherine "roir" ce péril: Pierre, en ret'enant' trouva sa mirîtresse au écarter jours en danger' lit après ut" f"r,,," couche qui mettait ses compromettre failli iott'"rin" triomphait, et le roman qui avait les autles à Ia avec destiné sa fortune pa'ais'ait rlésorrnais du souset'ain' utt <'omntôme fin vulgaire' Petr lvatlt Ia mort des Roumiantso[r' s'offrait' plaisant, émule ctes Tclrernichof et o de la princesse to.ujours comme épouseur, c pour la forme ' ambitieuses (2)' courtisée, mais déchie de ses espérances victorieusement de toutes La fortune de la Livonienne sort solennel la met hors de toute les épreuves; un couronnement le mariage, l'épouse. 8aratteinte. I:'{rû)ânte réhabilitée par la souveraine associée à dienne vigilarrte du foyer conjugal' I'emporte.dé.finitivement tous les honneurs dt '""g st'prônr"' cohue féminine' ou les cette dans et se fait une plnce i' pa"-t les filles de lairds écossais etles servantes ,l'u,,b"'g" coi'doi""t j *ltu pri,,"" rru, mol dn-ialaques' Et voict Ol " I uu-l? respectée' et Jus' chaste ef,rcore moins attendue : l'amie qui ! Celle dans ce bourbiet qu'à cette fleur délicate éclosant par excellence' la grande parait dans ce rôle est la séductrice Latine pal l'éducation' J'ai cltnre polonnir", st*" par le sang' de Jaworow en compagnie déjà montré rtiur* J# le' ja"lù' heures employées de madame Sieuiawsha (p' lt9): lon6ues promenades sur commun à ln construàtion d'u're barque'

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27tt

I'eau etcarrseries : une iclylle. Femme du grand général de la couronne, un partisan résolu d'Auguste contre Leszczynslii, Élisabeth Sieniau'ska, née princesse Lubomirska, passe dans la vie tuntrr]tueuse clu conquérant brutal en dri{iant la mé<lisance. Pien'e goùte en elle moins sa beauté, assez médiocre, gue son esprit, qtri est rare. ll se plaît clans sa société. Il écoute ses conseils, qui sont par.fois embarrassants, car elle tient pour Leszczynski, contre le protégé du Tsal et contre son plopr.e mari. Il I'entretient du dessein qu'il a folmé de congidier tous ]es officiers étrangers en6agés à son service, et elle s'ar.rse de lui faire Ia leçon en renvoyant le chef allemand d'rrn orchestre de mrrsiciens polonais, qui aussilôt donne à enterrclre des sons suffis*mrnent discordants Porr'bl.sser jusqu't\ I',reille peu sensible du Tsar. Il parle derant elle cle faire un désert des provinces, russes ou polonaises, que Cbarles XII aur.a à traverser pour arriver à \loscou, et elle I'interrornpt en Jur contant I'histoile d'un gentilhonrme qui, pour punir sa f'emrne, a imaginé de se faile eunuque (l). lllle est charmante, et il subit soncharme, lasciné, clornpté, ennobli en sa prejserrcc, et comme transfiguré au contuct de cette nature pure et fine, caressante et ferme.

v
Le rôle joué par les femmes dans la vie de pierre a donc été considéraltle et assez divers I mais arrtre're't importanl, au point de vue historique, apparait le rôle qu'il a joué lui-méme clans la destinée de la femme russe en génér.al. Et pour faile au grand hornrne une mesure équitable, il faut sommairerne't le rappeler ici. Dans son château de Kolornenskoie, aux environs dc NIoscou, le tsar Alexis recevait un jour en audience de 6ranrl appa-

iI)

Sr.rnnrrr, p.

tt9

et suiv-

r,'HoMl{E' tso rat I'ambassadeur d'une purssance étrungère' IJne

porte

entle-bâillée, derrière laquelle se laissaient entendre un mururure de voix douces et un bruissement d'étoffes soYeuses' attir.a I'attention du diplomate. La cérémonie avait des spectatrices in'r'isibles, des habitantes du térem mystétieux, que la curiosité entraînait à une demi-violation de leur consigne' Soudniu, la porte céda à une violente poussée' et une belle brune, accompasnée d'un petit garçon se cachant dans ses jrrpes, parut et disparut aussitôt, confuse et rougissante' au nrilieu de I'eflârernent général des courtisatrs. La belle brune était la tsarine Nathalie, et le petit garçon, àgé de trois ans, et déjà impétueux dans ses mouvements atr point d'enfoncer Ies portes entr'ouvertes, devait un jour 1âire crouler les murs rnêmes dutërem. On a vu plus tard un présage dans cette scène
pittoresque

(l).

t 'e*prit russe au dix-septiènre srècle est tourné à la défiance et presque à la haine de la fernrne' Les proverbes populaires elr témoignent : < Les cheveux de la I'ernme sont longs, son u errtentlement est court. .. L'esprit de la feÙrnre est comrne ( une maison sans toit... ll faut fuir la beauté cle Ia femne ( comme Noé a fui le déluge... [,e cheval tloit étre concluit par * le mots, la fernme par Ia rnenace" ' La femme gue l'on voit ,, est de cuivre, celle que I'on ne voit pas est d'or"' ' Les historiells russes moclernes inclinent à reconnaître dans à la c<: trait la rnarqtre d'une origine étrangère et contraire fenclance naturelle du génie national. celui-ci selait porlé plutôt à proclamer l'é6alité des sexes' En fait, la législation à nrsse actuelle, aussi bien que les mæurs du pavs, répugnent les et les lois dans I'espèce de sujétion qui s'est perpétuée .or-t,r-u, occidentales. En dehors de toute stipulation contincttrelle, la femme nrariée reste, ert Russie, naîtresse de sa fortune. Les iclées ayarrt cours avant I'avènernent de Piel'le, le aitrsi clue les institutiorrs et lcs coutunres correspondantes, du issues tét.ent'y compris, seraient cl'inportatiorr byzantine,
(l)
Ousrnruor: t.

I,

P.

l0

et 261'.

LES FEMMES
grand courant d'ascétisme religieux, monacal, qui a laissé sur le développement intellectuel et moral clu pays rrne empreinte

'SI

du scandale, par une conception religieuse de la vie grri t;t à faire du cloître un idéal , la {'açon cle vivre la"bo,r_ plus agréable à Dieu. si le tëren n'est pas venu direct"-".ri d" Byzance comme forme, il en est venu certainement comme idée(l). Telle est Ia thèse. Quoi qu'il faille en penser, la prison est une prison, et sévèrement gardée. La femme, la jeune fille surtout v sonl. vrai_ ment captives. Elles végètent, privées d'air et de lumière, err des charnbres dont I'appare'ce tient de la cellule et du cacrrot, do*t les petites fenêtres o't d'épais riclearrx et clo.t les portes ont des cadenas. Pas d'iss'es inrlépe'da.tes : pour sortir., il faut passer par la charnbre du père ou du mari, qui met les clefs dans sa poche ou sous son oreiller. Les iouls de grnnde réception, quand les convives sont ri table "i qu" les ( piroqu; ronds , ont fait leul apparition, Ia fem're du maîLre de la maison se laisse voir perrclant quelques insta'ts sur le seuil du gy'écée. Les hornmes se rèvent alors e[ vort l'ernb'asser. Milis elle se retire aussitôt. euant aux 6lles 'on rna.iées, nul .egard d'homme ne doit pénétrer j'sqrr'à elles avtrut le rnariage, et les épouseu's ne font pas exceptiorr. On éyrouse sa's a'oir vu, salls étre vu aussi. Les fiancailles ressemblert au jeu de la r'ain chaude. Il y a bien I'interyention de la snrotrihchïtsn, lu v.yeuse. c'est d'ordin.ire une llarente du prétendant, Elle ex.nri.e la fia.cée, et fait son rappor.t. \Iais elle n'.grt qu'au bé'éIice clu futrrr. De savoir comrnent ce f.tnr lr.ri-r'ê're est fait cclrnpr.e parmi les curiosités qu'une jeune fille doit s'interdire. En lui apprenart qu'on oo l" *".ier, son père lui montre un fouet, emblème de I'autorité grr'il ra transmettr.e à l'époux. C'est tout ce qu,elle en aperçoit
Z.rrrer,rrin, Yie priaée_Ce" tsarines _-{[) Ilist. de Ruesie, t. II, p. L7E.
,,usses,

si forte. Le térem n'est pas le lmrem. Le confinem"rri du lu femme dans cette prison procède d''n sentiment très différent, dicté non par Ia jalousie, mais pa' Ia crainte du péchd et

p, g3 et

euiv.

I

Kosror,rnor,

282

L'HOMM [t.

avant d'aller à I'autel. Il est d'usage que le chef de la frrmille en fasse à cc moment un dernier et le fiancé un premier emploi . L'épousée se rend à l'église, couyerte d'un voile épais, et silencieuse. Pas un geste, pas une parole, sauf pour réporr-

dle au prêtre. Pour la première fois alors, l'époux entend le son de sa voix. Au repas qui suit la cérérnonie, un rideau sépare encore le couple. Après le plemiel service seulement, la vie conju,gale doit commencer pour la mariée. Les filles de la noce la conduisent alors dans la chrlnbre nuptiale, la désbabillent et la mettent au lit. Puis on attentl que le marié soit suffisamment ivre. Quand ils le voient en point, les garçons de la noce lui font prendre le même chemin, portant des flambeaux qu'ils déposent autour du lit, dans des tonneaux renrplis de froment, d'orge et d'avoine. Le lit est dressé sur des gerbes de seigle. C'est I'instant solennel. La rrraliée va enfin se montrer à visage découvert. Pour souhaitel Ia bienvenue à son nouveau maître, elle se lève, s'ent'eloppe cl'une simarre fourrée de martre, fait quelques pas au-devant de lui, respectueusement inclinée, puis laisse tomltet son voile... Il se peut qu'elle soit bossue, infirme ou très laide, alors que celrri qui I'a choisie a cru épousel' une beauté. A supposer même que Ia ( voyeuse , ait fait consciencieusernent son devoir, elle a eu chance d'être trompée' d'avoir été mise erl présence d'une autre jeune fille. Le cas n'estpas rare. L'époux m1'stifié n'a alors d'autre ressource que d'engagel séance tenante la conrpagne mal assortie à le cléltarrasser de sa Personne en prenant le voile. NIais, ayant la vue troublée par le vin, il peut bien n'y pas regarder de si près, et c'est poru' cela qu'à tout hasard on I'a fait boire. Il ne s'apercevra que plri" tard de sa mésaventure, et alors il y aura rnariage consommé et acceptation cle sa part du fait accompli. Que sera ce mariage, on Ie devine, La chronique scandaleuse et judiciaire du ternps abonde etr rerrseignements à cet égald : maris quittaut le foyer conjugal et cherchant euxmêmes refuge dans la paix du cloitre I femmes poussées à bout par les mauvai: traitenrents et s'armant du fer ou du

LES FEMMES.
poison pour secouer un joug insupportable.

283

La peine prévue pour ce dernier cas de crirninelles représailles, si terrible qu'elle soit, ne parvient pas, semble-t-il , à en prévenir Ia
fréquence, tant on la voit souvent figurée srrr les gravules de l'époque. C'est l'enterrement à mi-corps jusqu"à ce que rnort s'ensuive, les condarnnées attendant parfois clixjours la fin de leur supplice, torturées par la faim et la soif, déjà rongées par les vers (l). S'il n'y a pas eu de fi'aude ni de déception, si l'époux derneure satisfait, il renvoie le lendernarn aux parents de l'épousée la chemise nuptiale. On en fait urre exposition pour les parents et les trmis de la famille. Dans le peuple, le spectacle est même public, et la rnarieuse, la suaha, étencl sous ses pieds le linge hyurénéen pour exécuter un pas de danse en chantant un air d'allégresse. Si la chemise ne se trouve pas, d'aventure, en l'état requis, les jeunes gens vont barbouiller avec du goudron la porte du domicile conjugal, puis entraînent le couple arr dehors, et, après I'avoir attelé à une cltarrette, le promènent à travers le villa5e au milieu des quolibets et des injures (2). Tout cela fait partie d'un état social dont le pope Sylvestre, confident d'Ivan le Terrible pendant les premières années de sorr r'ègne, a, sinon écrit, du moins rédigé défiriitivement le code; tout cela tient au Domostr"oi (c'est le titre de I'ouvrage), ou en dérive (3) ; tout cela, d'origine tatare, byzantine ou indigène, porte une malque ccrtaine et cornrnune : la barbarie. La femme y parait sacrifiée et I'homrne avili. Pour se distraire de leur claustlation, les dames de haut lang se parent comrne, des châsses, se peignent comnre des icones, se mettent d.r
chez Ilusrru,rr;, I'eter d. G;.osse, p, 98 113 rorir tZlT). (?,t ()r,e,1s165, I'oyage, Arnsterdanr, L72i,p.236-2t+tt; Kons,

(1) Voy. les illustrations du livre de Korb; voy. atssi la relation de \{ek.r

Koroortrurr,r, XItnoùcs. p. 167 et suiv.; Jlnrorsor, I/rst. de la ciuihs. et firrssfe, Paris, 1858, t. I, p. 4t0t Bniir;nrun, Die Fraucn-Fraqe tn Russland.
Reuue russc,
ques parties du

p.

210 et suiv.;

i. I\', p. 106 ct suiv. (à) D'apràs ,\[. Nnxn.rssor (Sur I'origine r)u Donostrot, ]Ioscou, lB72), quellivre seuleurent peuvent être attribuées à sylvestre. Le rnanulcrit

o'a été publié qu'en 1849 par f;olonv^sroF

zEb

I,'H (I MME.

blanc et du rouge jusque dans les yeux, et s'enivrent. Qrrand, en 1630, une ambassade vient à Copenhague, négocier le mariage de Ia prirrcesse Irène, fille du tsar l{ichel F'éodorovitch, avec le prince de Danemarh, les envoyés lont valoir cette particularité que Ia Tsarevna ne boit pas d'eau-de-uie. L déf'aut de parure, la fernme du peuple & aussi la boisson. Et ces épouses sont égalemelt des urèr'es ! C'est tout cela que Piene se propose de faire disparaitre. Et d'y avoir réussi aurait sufÊ à sa gloire. Avant lui, il est vrai, une brèche, qui va en s'élurgissant, était faite déjâ dans la tradition. Le second rnariaJ;e, quelque peu rornanesque, d'Alexis indique un flux cl'idées norrvelles et de sentiments nouveaux. Auprès de cet époux qu'elle a personnellemerrt conrluis par sa beauté et sa grâce, Nathatie n'est plus la Tsarine d'autrefois, figée en une pose hiér'atique, isolée dans un pompeux ennui. Elle prend part, dans une certailre me$ure, à la vie extérieure de son rnari ; elle I'accompa{ïne parfois à la chasse i elle assiste à des spectacles qrre des acteurs étlangers, attirés par [fatviéief . viennentdonner dans les murs étonnés du vieux Kreml. Il lui arrive métne de sortiravec le 'l'sal en voiture découverte, et c'est presque une r'évolution ! Sous le règne du faible et maladif successeur d'Alexis, le courant émancipateur s'accentua encore. Les Tsarevny, sæurs de Féodor, ne se faisaient pas faute de mettre à plofit la débiIité de sor) gouvernement, et le désarroi général qui en résultait. Enûn, Sophie arrive au pouvoir et inn.rgure l'ère de lu i;ynécocratie dar.rs ce pays d'esclarage férninin. Pierre Êera plus et mieux. Il essave, drr moirr;. Par ses oukases sur le rnaliage, il s'attaque en bas, dans le peuple, à des abus de pouvoir et des vices d'organisation domestique intolérables Lcs noces, tlarrs la conclusion des mariages, ont, jusqu'ici, suivi conrrnunément les liancailles à I'intervalle de quelques jours, de quelques heures parfbis; il sépare les deux actes par un délai d'au moins six semaines, pour donrrer aux futtrrs époux le temps de faire connaissance. Le rernècle n'est satts doute pas d'une e{ficacité absolue et immédiate ; il y a quclques

is5 dizaines d'années encore , le roman de N{ierniko r, Dans res foréts, signalait une survie des traditions anciennes se perpétuant, à cet é6ard, dans certains milieux, avec une ténacité désespérante. Un immense progrès a été réalisé pourtant. Dans la législation a'térieure à pie'e, un droit de j.stice, _ de justice basse, tout au moins, dtait formellement à 'er:onnu I'homme, père ou époux, sur-la femme, fille ou épouse. pour se soustraire à ses conséquences, une grancle dame, la pri.cesse Saltykof, née Dolgorouki, belle_scnur de la tsarine prarco_ vie, était amenée, après un long martyre, battue, torturée par le froid et la faim, à se réfugier dans la maison de son pèie. une enquête constatait qu'elle y était aruivée à demi morte, le corps couvert oe plaies. pourtant, son mari, son bourreau, la réclamant, tout ce qu'elle pouvait obtenir, après un long procès, était la permission de s'enterrer pour re restant cle si vie dans un cloître (l). On imagine cornment les choses se pnssaierrt dans les classes inférieures. c'est sur ce point aussi que la résistance de I'ancien r'é6ime se mont'e ra plus Ibrte. La t'adition autoritai.e, despotique, est si profonclérnent enracinée cluns les mæurs du pays que pierre lui_méme n,ose y por_ ter atteinte directe'rent; il a l'air mérne de ra consac.".'pu" c-ertaines de ses dispositions (lois de mars-octobre l7 l6) ; _oi, I'esprit nouveau qu'il porte avec lui et répand autour de lui v est tellement contraire-que peu à peu I'inique loi *u p""r"rit', devient caduque, puis dispar.ait cle la législation écrite.-Le 6uod Zakonou n'en fhit plus rnention, et, reicemrnent, la Cour de cassation a pu, par urr arrêt décisif, la proclarner. abolie à tout jamais (2). En halrt, au sein des classes supérieures de la socic;té, pierre prend, Pour iri'si dire, Ia ferlrne llar la main, I'i't'otl.it tlarrs le cercle de la vie commune, mondaine ou sociale, et y rrrarrlue sa place. ll q.'elle figure clésor.mais dans l"r réuoio.rr, 'eut v dép[oy.rrt ses charr'es, causil't, ditnsant, faisa't de lo _urigrr". Dès le rnois de décenbre 1704, Iloscou .r.oit cette clrose inatt'11

LUS

MMES.

l ,'rlttHlovrsrp, p. I33. (2) f s69. Affaire iokolowshi.

286

L'H OMME.

tendue et énorme : des jeunes filles figurant dans un cortège qui traverse les rues à I'occasion d'une réjouissance publique' Bllcs jettent des fleurs et chantent des cantates (l). Le Réformateur songea méme à faire pour les filles de ses boiars ce qu'il faisait pour leuns fils : les envoyer à l'étranger pour y achever lerrr' éducation. Il dut recrrler devarrt I'opposition des parents, trop violente sur ce point. Du rnoins se préoccupait-il de leur assurer le bénéfice d'une instruction quelconqÛe) prêchant d'exemple ici encote : ses filles, Anne et É'lisabeth, avaient une institutrice française ; il assistait par{bis à leurs

leçons;

aussi, un air coiff'ures copiées ler-rrs et robes leurs européen, jusque dans s'r des rnodèles parisiens. Sa bellc-sæur Prascovie critiquant ces innovations, il appelait sa maison " I'asile des sots et des pauvres d'espril r, et finissait par I'errtraîner à sa suite' Cette veuYe du tsar Iïan est arrivée ainsi à personnifrer, dans I'histoire cle la femrne russe' un type transitoire, produit direct de la rtiforme. Elle donne des maitres français à ses filles, travaille elle-même avec urr précepteur allemanrl, mais avec le cost[rne russe elle garde des instincts sauYa8es. Blle bat ses delroiselles d'honneur, et, pour tirer d'un serviteur I'aveu d'une peccadille, eile lui fait arroser la tête avec une bouteille d'eauâe-roi" qu'elle a toujours dans sa voiture, y met le feu, puis frappe le m[lheureux avec sa canne sur ]es horrrbles plaies que la flamme lui a faites (2). pierre avart trop dc chemin devant lui dans cette vore Pour atteindre l,ri-même le but qu'il s'était snns doute proposé' Pour tout dire encole, rl n'était pas précisément, avec sa rudesse native et sa dépravalioD, le guide c1u'rl y aulait fallu. Il s'oubliait en route, perdait de vue le terme de sa cotrr'se, et ses écarts étaient ici {irnestes. Après avoir créé des salons et en avoirouvert les portes aux recluses du térent, il v étalait trop fréquernment à leurs yeux des mæurs de corps de garde' La ph1'sionomie rrrorale de la femme russe gardera longtemps la

il veillait à ce qu'elles prissent, elles

(1) Gorrror, t. lI, P.512. (21 SrÉttu"r*,, Lu tsarine Prascouie, P.

l5l.

I,ES

FEMMES.

287

trace de cette initiation à la vie sociale due à cet initiateur (l). Mais l'æuvre tout entière du 6rand homme est solidair.e tlu mêrne reprocl're, ![ui en réduit assurément le mérite et la gloire. En rér'olte plus ou rnoins légitime aujourd'hui encore,

et ailleurs même qu'en Russie, contre les injustices et les cruautés plus ou rnoins réelles de sa destinée, le monde féminin n'en est pas moins tenu de le compter parmi ses rédempteurs les plus elficaces, comme la civilisation, r'n génér'al , parmi ses ouvriers les plus puissants. Ce cynique et ce brutal a vu dans la fernme autre chose que de la chair. à plaisir. ll a eu de son rôle, dans Ia famille et dans la société, une corrception su(fistrmment haute pour paraître rappro<,hée de I'idéal rnoderne. Et voilà de quoi racheter.bien des fautes, quand même il n'aurait pas eu dans son entourage féminin celle dont je vais parler maintenant.
,l) Voy. f'étude de M. Novosti, L872, n'L52.
N...,
La fenune îusse au temps de Piene

le

Grand,

CHAPIT'II

II tII

CÂlHERINE.
Lafaurille Les origines' La prise de Marienbourg. L'anir,ée en Russie' - dc l{en- Dans'le camp de chéréuretief.-Dan6 la maison tlu pasterrr Gliick. mère àe iétrouchla' Catheriire Troubatchof. chii.uf. - Le gynécée. ' -La ll' Jggguleat des coudevielt souveraine' Le ruar.ugel --

- de Baireqth' Carnpre-l'gx-3s1v3nte ls l;av61 de l)ôllnitz. lx 6a1g1ave ternporaiûs, Nijolie ni distinguée' =- Tern<1o.. Les porraits de la galerie Romanof. influsngs $6n d'officier. l'emme pérarlent éne"giqu", esprit érluilibré. char,teuse et la dourpteuse. * Leur correspondance' sur [tierre. --La L'intiurité conjugale. -- Le rôle politique de la souveraine. - ses bienfaits --i Trafit, d'r'lluence. - Nuages ir I'horizon dor'estirlue. et ses écarts. Marche ascendantc de sa fbrtune' à les dissiper. 11[. (J11]rcrine parvient -Le posElle irnpose sa faruille' 1,u ,,,;1s de l'l'éritier. \lort d'Alexis. cordonnier' Le La fille de joie de Revel' tilton de la route tle l1i11a. I]e couronnetlent. f,g 561pms[. Tous corntes et grands seigneurs. - L'hécrinrinclle, IJne liaison I'altirne. dc Au borcl ritage ile la coo"onn". - et menaces. l',éco.cilia- Le supplice. Epreuves Le à6a,nbellan M{lns - en profite catherine délinitive et Pierre victoire de ùfort tion douteuse. - mois IJne reine IIn règne de seize reparait. l,a servante mal. d'opérette.

I
En jrrillet. 1702, au début de lu guerre suédorse, le génér'al Chérémétief, cbargé d'occuper la Livonie et de s'y établir solidement, a mis le siège devant Nfarienbourg. Au bout de quelques semirines de vaillnnte défense, la ville est à toute extrérnlté, et le commandant a r'ésolu de se faire sauter avec la lorteresse. II convoque guelques-uns des hallitants et leur fhit pirrt en secret de sa décisiorl , les ellgageallt à décamper au plus tôt, s'ils ne vertlent Partager son sort et celui de sa troupe. Le pasteul luthérien de I'endroit est au nombre des avertis. Il part avec sa femme, ses enfants et sa servânte) emPortant

C,{THRR|NE.

,89

pourtoutbagage une bible slavonne, qui, espère_t_il, lui servira rle sauf-conduit auprès des assiég;eants. Arrêté aux avant-postes, il brandit son livre, fait valoir ses talents de polyglottc en err r.écitant quelques passages, s'offre comme interprète. C'estbien; on I'e'verra à Moscou avec sa famille. llais cette filte ? chérémétief a jeté un coup d'æil sur la servante, et I'a trouvée iolie. une blonde plantureuse. Il sourit. La filre restera n,, carrip, ut les régiments n'en sero't pas fâclrés. pierre n'a pas "rr"o." songé, comme il y amivera plus tard, à proscrire le beau sexe du milieu de ses armées. L'assaut es[ pour demain, et, en attenclant, on peut se divertir'n peu. voici la nouvelle à table avec 'enue les compagnons qu'on vient cle lui donner. Blle est gaie, d,hu_ meur point faloucbe, et on lui Êait gland accr,reil. Les joueurs de hautbois entament urr air'. on danser. sorrdain rrrre explo'a sron formidable fâit chavirer Ies danseurs, coupe la ritourn jre, et laisse la servante pâmée d'clfroi dans les bras d'un dragon. Le comrnandant de Mar.ie'bourg s'est tenu parole, et c,est ainsi, avec ce bruit de tonuerre et cette étreinte de soldat, que Catherine premïère {àit son entrée dans I'histoire de Russie. La servante, c'est elle (l). Elle ne s'appelle pas encore Catherine à ce moment. et on ne sait pas au juste quel nom elle porte, ni cl'ori elle vierrt. ni comment elle s'est trouvée à l{arienbourg. Dans I'histoire comme dans la légende, elle a plusieurs familles et plusieurs pays. Documents plus ou moins artthentiques et traditions plus ou moins dignes de crédit ne s'accordent, à son sujet, qrre jans l'a{{irmation génér'ale de ra plus procligieuse ,t"*i;,re" qrr'une fernme ait janrais vécu. Ce n'est plus le rornan d,une Iml,iratricel c'est un conte des Milte et une Nuits. Je vais essaylr.,le dire non pas ce qui est sùr, il n'y a presque rien de .û., _ mais ce qui estau moins probable dans cette aventure unique. EIle est née dans un bourg livonien. Livonie polooairu,
Ousrntrr,on,

1877. vol. 18.

(l) Wxren, Mémoires clu règ.ne del'impératrice Cotlterine, {ZpB, p. 60b_0l8; t. IV, p, [28 et suiv.; Gaor, lttude sur les origines d.e l,ittt],cratricq catherine, dans les lï{énzoires de f acaiémie des scicrces2" s"iru-t';i".-,ù-)-,
re

290

L'HOMME.

Livonie srrédoise. on ne sait; bour8 de Vychki'Oziero aux environs clc tiiga. bourg de Rin8en dans I'arrondissement de Derpt, le Iourief d'aujourd'hui, on doute (l )' Bn l7 l8' le li octobre, jout anniversaire de la prise de Notebourg, ville suédoise, Pierre écrira à celle qui est devenue sa ferrture : s Katërinouchka. salut! salut à I'occasion du jour heureux bien auquel la Russie a pris pied sur ?os terres' ' Elle semble plus retrorrvés frères et.sæurs pourtant tenir à la Pologne' Ses turd ,'opp"llent Skovorochtchenko ou Skovorotski, dont par sans tloute, on a fait Skovronski (9)' Une famille "uphonie, jmigrés peut-étre, de simples pâYsnns en tout cas' ayant fui' d' le pays peut-Jn .oppor"r, la loi du servage trop dure dans a dixElle douce' natot, porrr Ln chercher ailleurs une plus croit-ort' sept arrc et elle est orpheline' Sa mère a appartenu' a fait sa en qui à un noble livonien du nom d'Alvendhal, maîtresse. EIle est le fruit de cette liaison, peut-étre passagèr'e. naturel Ses père et rnèr'e légitimes étant morts, son père Ie pasI'aba.t.lor.nunt, elle a été recueillie, encore enfant' par teur GIùck. Iille a appris le catéchisme' mais point I'alphabet' a Plus tard elle saura seulement signer son nom' Elle grandi rendle dans cette maison d'asile, arrivant avec l'àge à se les enfants' utile, participant aux soins du ménage, gardant elle a aidé à les Gltici< ayant'des élèves étrangers chez lui, tard qu'elle leur plus servir. ôeu* d'entre eux raconteront EIle aura toufaisait habituellement des beurrébs trop petites'

sous jours le goùt de l'économie' Très libérale de bonne heure Un gentilhomme in uotr""ropport, clisent certains témoignages' lithuanien, du nom de Tiesenhausen, d'autres pensionnaires aurait du pasteur, Passent pour avoir eu ses faveurs' Elle serait morte même accouché, à cette époque, d'une fille' qui le siège' son avant temps de au bout de quelques mois' Peu à ces irrégularités maitre aurait jugé à Propos de couper court
Une étude, publiée en 1857 ùansleWestermann'sillustrirte d" p.ot""' que Catherine est née ) Riga' dans la farnille Bailendih' pt.ir" "frj", " dont des"end I'auteurr -M' Iversen' (2) ÀnssÉrrcr, Règne de CatherLne, t' 1,p' 7h-75; AsrnÉrnr' Les reptésen' après Pierrc -l*' Pétersbours' f870' p' 5' é .;:;;'î;;;;;t

(l)

Monatschrift'

"o"Ru,'i"

CATHERINE.
de conduite en Ia mariant. Le mar.i, ou Ie fiancé,

297

il y a encore incertitude, un traban suédois, du nom de I(ruse, dispar.aît après la prise de Ia ville, prisonnier, lui aussi, des Russes et envoyé tru loin, ou, d'après une version plus accréditée, ayarrt échappé à la catastrophc, grâce à une dislocation de troupes qui I'a fait aller avec son régiment du côté de Riga, avant ou
(l). En attendant, elle fait les délices du corps d'armée russe engagé dans Ia campagne de Livonie, maîtresse d'un bas olfi_ cier d'abord, qui la bat, puis du général en chef lui_même, qui s'en lasse vite. cornment arrive-t-elle dans la maison de I\Ienchikof, c'est encore un point sur lequel les témoignages varient. D'aucuns veulent que le favori I'ait d'abord ".rgn["" à son service pour- blanchir ses chemises. Dans une de ses
sion

ratrice, retrouvera plus tard sa trace et lui serviru ,r.r" pàr_

après la consommation du mariage. Catherine, duve.rue impé_

lettres à Pierre, elle semble, alors qu'elle est déjà devenue sa femme, faire allusion à ce trait de son passé : u Bien que yous 4 ayez sans doute auprès de vous d'autres branchisseuses, n I'ancienne ne vous oublie pas. r pjslye réplique, d'ailleurs, galamment : n Vous vous trompez; vous pensez sans doute à o Chafirof, qui confond ses ar'ours avec les soins à donner à . son linge; je ne suis pas ainsi fait, et du reste je deviens r vieux. r Le certain est qu'elle a commencé par occuper a'près de son nouveau protecteur une situation assez inférieure. En mars 1706, mandant à sa sæur Anne et aux deux dernoiselles Arssé.ief de venir le rejoindre à Witebsk, pour les fëtes de Pâques, Menchikof prévoit qu'elles pourront être retenues d'obéir à son væu par Ia crainte des ma,,vaises routes: en ce cas, il les prie de lui envoyer clu moins Catherine Trott^ batchof avec deux autres filres (9). Le nom àe Trottbatchor est ({) Ansrinrer, Archive russe, lg7b, t. II. n. g40. (2) oustrialofse refuse à admettre qu'ir .'^girre dans cette rettre de ra future Impératrice,, invoquaot le térnoign-age'd" Goi,lor, uo cli"e d",loul I,"*;";;;;;;
authentiques,

aurait porté le nom de cathet ine"vuiireuna jusqu'au rror,ent de sa conversion à puis celui de Carhe.i,,e" .\ tixiéiéuna; urais pierre tui_mème, li_::,Ti:",g*:que, arnsr que d'autres contemporains dans des docurnents absorurnent

,9,

L'HOMMT.

peut-être une allusion au mari ou au fiancé de la belle, trouba

voulant dire trompette en russe. Pourtant un événement considérable a déjà tlaversé, à cette époque, I'exrstence de celle dont on dispose aussi cavnlièrement : Pierre I'a aperçue et n'est pas resté indifférent à ses charmes. Cette preurière rencontre a fait encore I'objet de récits divers. Se trouvant chez Menchikofi après la plise de Narva, le Tsar s'étonne de I'air de propreté qui parlit autour du favori et sur sa petsonne. Comment fait-il pour avoit utre maison aussi bien tenue et du linge frais sur le corps ? Pour toute réponse, Menchikof ouvre une porter et le souverain apercoit une belle fille, en tablier, une éponge à Ia rnain, sautant de chaise en chaise et de fenêtre en fenêtre et frottant vigoureusement les carreaux (l). Le tableau est piquant; il n'y a qu'un malheur : Narva est prise en aoùt 1704, et, à cette date, Catherine a été grosse au moins une fbis déjà du fait de Pierre. Au mois de mat's de I'année suivante, elle a un fils de lui, Ie peti| Pietrouchka, dont Pierre parle dans une de ses lett,res ; huit mois après, elle en a derrx (2). Ces enfants sont chers au 6,rand homrne, puisqu'il a une pensée à leur donnerau milieu des terribles soucis qui I'absorbent à ce mornent. La mère sernble lui être encore passalllenrent indifférente. On a épilogué de façon variée sur les circonstances qui ont acconrpu6né son Passate de la mlison du favori darrs celle du Tsrr. On les a dramatisées ingénieusetnelt. Après un accorcl entre les detrx amis et une cession lbrmelle de droits, Catherine, en s'installant dans sa nouvelle detlteut'et y aurait apefçu des bijoux rnagnifiques. Aussitôt, fondant en larmes, elle trurait interrogé son r)ouveatt protecteur : Q"i a mis ici ces Palures? Si elles viennent de l'autre, ie n'en veux garcler que cette petite bague ; si elles sont de vous
I'ont désignée sous des nonis tlifférents et très divers. L'argument n'a conséquernmentaucunc valerrr. (OusrnIÂLoF' t. IV, 2"partie, p. 329; comq, Ecr;ts et Correspondattce de Pîene, t. III' p. 8l{i.) (.1'1 IIIénoûrc et tlocumenl:z t. I' p. l{i3 et suiv' Aff. étr. rle |rance. u 12) \'oy. plus haut la letlre où elle sigrrc: catherinc t't tleurautresr, en octobre 1705; voy. aussi : Écrits et Corresyondance, t. lll, p.283.

CATHF]F"INE.

203

amant. Or', pendant les années qui suivent jen'aperçoi, uir",,o chan6ement sensible dans l'hrrmble et équivoque situation qu'elle continue à occuper parmi ses corrlpagnul; do gynécée commull, dont Pie.re et Nlerrchikof font, tour à tour ou ensemble, leur amusernent. Elie est tantôt avecreTsirr et tantôtavec le favori. A Pétersbourg, elle lrabite açec toutes ces dames la maison de Menchiliof. Etle reste la maîtresse obscure et complaisante. Pie.'e en a d'autres, sans qu'elle s'avise de trouyer à y redire. Elle lait mênre volontiers du proxénétisme, s,ingé_ niant à excuser les défauts et jusqu'aux i.ficrélités de ses riîales, compensant I'inégalité cle lerrrs rrumeurs par sa.,;aietéinartérable. C'est ainsi que, peu à peu et ,ur., q,r;il y paraisse, elle entre de plus en plus avant dans Ie c.,rr d,, ,ouo"."io et sur_ tout da's ses habitrrdes; elre s'y instalre, s'y rbrtitie, devient indispensable. Un moment, en 1706, il a I,air de craindre gu,elle ne lui écha1)pe, comme la Àfons. Il cornmence à se pr.éoccuper de.s inconvénients que peut avoir, à ce point de ooe, lu pro_ nriscuité dans laqrrelle lui et llenchikof ont p,.ésent .jusqu,à co'fondu leurs plaisirs et leurs droits. ll laisse ,roi" d'oLrcrr.e, inquiétudes de conscienee, qui peuvent bien n'élre que des éveils inconscients de jalousie. Il a plaisarrté sans do'te longtcllrps et te,u pour non a'e'ue Ia pronresse de mariage faite pa.le lavori à Anne Arssénief; ir l'estime valable maintenant et sacleie, et il écrit à son altet" ego : K pour Dieu, pour mon n ânre, rappelez-vous votre sernrent et soyez-y ficlèle (l). " I\Ienchiliof s'exécute, et pierre liritcommà lui, mais b""o"oop plus tard. Dès à présent, il est vrai, Catherinepasse po,rr,,rri"

elle aussi désirrtéressée et I.i aussi prodigue. La scèie est d'ailleurs placée, comrne de raison, à I'e(poque où un clouble lie. familial a rattacbé Ia beile LivoniÀnnu à son aug.ste

comment avez-vous pu penser que vous en aviez besoin pour me plaire ? Les choses se sont passées vraisemblablement avec beaucoup plus de simplicité. Difficilenent pourrais-je me les imaginer,

(l)

Arcbive russe, 1825,

t. II,

p. ZttE

29h
à

L'H o lI \I E.

lui par un mariage secret' A partir de 1709, elle ne le quitte plus. En Pologne, en Allemagne' accomPagnant Ie Tsar, elle est traitée presque à I'é6al d'une souveraine' Deux autres
enfants, deux filles, viennent resserrer encore les liens qui I'at-

tachent à son amant. Mais officiellement elle n'est toujours que la favorite. Err janvier 1708, quittant Moscou Pour requi ioindre son armée et prendre part à une camPasne u : par Si trillet ce laisse Pierre décisive, ,'urrno.r"" comnle . la volonté de Dieu il m'arrivait un acciclent, ordre de re( mettre les 3,000 roubles qui se trouvent dans la maison de * Menchikof à Catherine Yassilevska et àsa fille' - Ptrnn(l)'' IIs ne sont pas encore très loin, lui et elle, du ducat cle la première nuit. Quand et comment en est-il venu définitivemelrt à cette résolution impossible en apParence, extrat'agante, folle, de faire de cette fille une épouse plus ou moins légitime et une Impératrice? En l7l l, a-t-on dit, après la campagne du Pruth. ?ar son dévouement de tous les instants, sa vaillance, sa présence d'esprit aux heures critiques, Catherine a vaincu alors ses dernières hésitations. Il a été conquis, en même temps qu'il apercevait le moYen de rendre excusable aux yeux d" ,oo pe"ple le choix d'une telle compasne et d'une telle ,oor""uio". Un désastre irréparable ' une honte ineffaçable ont été épargnés à I'armée russe et à son chef par I'intervention de I'ex-servante. En la conduisant à I'autel, en ceignant son front du diadème impérial, Pierre ne fera qu'acquiti"" oou dette commurre. [l le dira très haut dans un manifeste adressé à ses sujets et à I'EuroPe. Ce n'est, hélas ! encore qu une hypothèse ingénieuse, avec laquelle les faits et les dates sont en contradiction. Très contesté et très contestable. le rôle libérateur joué par Catherine sur les bords du fleuve moldavien, où I'armée russe s'est laissé cerner par les Turcs et les Tatares, correspond au mois de juin t7f l. A cette époque, Pierre a depuis sir mois reconnu
(L) Arehiucruss.,tl9Tlt, r. lI, P
58.

CATrrodlNE-.

295

la Livonrenne comme sa femme. Son fils, Àlexis, séjournant alors en Allemagne, en a eu la nouvelle dès les premiers jours de rnai, et a écrit à sa belle-mà'e û.ne lettre de félicitations (l). Le grand Réformateur n'était pas homme à chercher des excuses plus ou moins valables à ses décisions et à ses actes. Pltrs tarrl, il est vrai, dix ans plus tard, au moment du couronnement de I'ancienne servante, il jugera à propos d'évoquer Ie souvenir, déjà lointarn, du péril conjuré en 1711, grâce à son concours. lIais il s'agira alors pour lui, a-t-on pu croire, d'indiquer le sens et la portée de cette cérémonie inusitée, où, en I'absence d'héritier de la couronne, iI voudra faire voir une sorte d'investiture de son hérita6e; il s'agira de garantir, après sa mortrl'exécution d'une volonté qui, lui vivant, n'a de comptes à rendre à personne. C'est aussi à ce moment que se place la publication du manifeste auquel j'ai fait allusion plus haut. Pierre aurait consenti à y compter avec ceux qui lui survivront. Je dois ajouter que le fait méme du mariage a été nié (2). Mais à cet égard nous possédons un témoignage suffisamment probant dans la dépêche de I'envoyé anglais Whitworth, écrivant de Moscou, le 20 février (2 mars) l1l2 : u Hier le Tsar a publiquement célébr'é son mariage avec sa u femme Catherine Aléxiéievna. L'hiver dernier, deux heures a âvâût son départ de Moscou, il a fait venir I'Impératrice u douairière, sa sæur, la tsarevna Nathalie, et deux autres u demi-sæurs, auxquelles il a déclaré que cette darne était son (, épouse et qu'elles devaientla respecter en cette qualité. Elles u devaient aussi, au cas où il lui arriverait malheur pendant u la campagne à venir, lui remettre le rang, priviléges et leveu nus habituellement attribués aux autres douairières, car u elle était sa véritable femme, bien qu'il n'ait pas eu le temps ,, d'âccomplir Ia cérémonie conformément auK usages du pays, r ce Qui serait lait le plus tôt possible. . . Maintenant les prépas ratifs ont duré quatre ou cinq jours, aprèsquoi, le l8 cou(l)
Oustnrelon, t. YI, p.312; Juer, En Reise

til

Rusland, Copenhague, t89;),

p.422.
(2) Dor.conouxor, Mémotres,

t. I,

p. 38,

296

L'HONTME.

tr rant, M. Kikine, un des chefs cle I'arnirarrté, et le lieute( nant général Iagoujinski, cleu-r personnes jouissnnt d'une ( Srande faveur, ont été envolés pour invitet la cornpagnie à n l'ancien mariage de Sa Majesté (car ce sont les termcs dont . ils ont recu l'ordre dr: se servir). Le Tsar a été marié en sa n gualité de contre-amirll, et, pour cette raison, les officiers * de sa flotte ont été appelés à jouer les premiers rôles dans la s cérémonie, à I'exclusion des rninistres et des r.eprésentants de o la noblesse. Le vice-anriral Cruys et un contre-anriral ont paru ( comme parrains, et l'lmpératrice douairière et la femnre clu n vice-amiral comme urarrairres. Les propres filles de I'impé( ratrice Catherine ont- fait office de dernoiselles d'honneur, o àgées I'une de cinq, I'uutre de trois ans... Le mariage a été u célébré en particuli er (,oriuately), à septheures du mat,in, dans n une petite chrrpelle appartenant au prince \Ienchiliof. Il n'y ( a eu cl'autres assistants que ceux qui étaient obligés de se a trouver présents, à raison de leurs emplois (l). " Il y a eu poultant, dans la journée, dit Whitworth, grande réception au palais, diner cle gala, bal et leu d'artifice. Le résident hollandais, de Rie, parle, de son côté, d'une féte clorrnée à cette occasion par le plince h'fenchiliof (2). La cérénronie a recu ainsi un carrrctère suffisanl de publicité Les mobiles auxquels Pierre a obéi, ainsi que la progression d'itlées et de seutirnents; qui I'ont conduit au dénouenrent extraordinaire de son ronlan) me sernblent d'autre part suffisarnrrrent indiqués .lans le docunrent angiais, si on le lapproche de ceux que j'ai cités précéderument. Il a eu sorrci rrotoirement d'assurer I'avenir de sa compagne et celui de ses enlirnts, etil s'est faitde ses devoirs, àcet égard, une idée d'année en arrnée plusgrande, à mesure sans doute que glandissaieut son alTèction pour eux, $a tendrcsse et son estirne pour elle. Avant la campagne de l?08, conme avant celle de t7ll, il a cherché simplement à se rnettre en rè6le ilyec sil couscience, sans se préoccuper de I'eiï'et à produire. La prernièr'e fois, un
(l-) Record-Office, à Londres. (2) Dépôche du 5 rnars 1.712. Archives de la Llaye.

CATHI]IiINE.

2gI

don de 3,000 roubles lui a paru suÊfisant; la seconden il a cru devoir aller jusqu'aux bénéfices d'un mariagc putatif. puis, se jugeant sans doute engagé, il a (après auoi. eocore laissé passer une année et subi vraisemblablement quelque obsession, aussi bien de la part de Catherine elle-mérne que de la part de quelques-unes des personnes mises dans [a confidencu de ce drame intime, parmi lesquelles la Livonienne a bien su trou_ verdes amis) , il a, dis-je, fait honneur à sa parole, sans don_ ner toutefois à I'événement un 6rand éclat. On a obserr'é que nulle autoritd ecclésiastique n'ayant rompu _ la prernière union de Pierre avec Eudo^xie, et celle-ci denreurant en vie, ces secondes noces se sont trouvées entachées d'une nullité radicale. J'en conviens, mais Catherine n,en passe pas moins pour dùment rnariée. Voyons ce gue le rnonde contemporain pense et dit cle cette nouvelle Impératnce

II
Le baron de Prillnitz, qui la voit en JTl7, en faitleportrait suivant : u La Czarine était à la fleur de son âge, et n'avait rien qui u témoignât qu'elle pùt avoir. été belle. Èlle était grande et ( puissante, extrémement brune, et I'aurait paru davanta6e, c si Ie rouge et le blanc, dont elle se masquait, n'eussJnt u éclai.ci I'ombre de son teint. ses manières n'avaierrt rien u de cléplaisnnt, et I'on était tenté de les trouver bonnes lors_ ,, qu'on pensait à I'origine de cette princesse. Il est certain {, que si clle avait eu une personne raisonnable auprès d,elle, u elle se serait lbrmée, ayant un grnnd désir de bie., fnir" r mais il n'y avait peut-être rien de plus ridiclrle que les; u dames de sa suite. On disait q,re le Tsar, prince extran ordinaire en tout, avait trouvé plaisir à les choisir telles. r afin de moltifier. d'autres dames de sa cotrr, plus dignes n cl'ét.e procl.ites... on pou'rait dire que si cetie p"inc"esse

298

L'HOMME

r n'avait pas tous les charmes du sexe, elle en avait la dou( ceur... Pendant le séjour qu'elle fit à Berlin, elle témoigna
n de grandes dêférences pour la Reine et fit connaître que sa c haute fortune ne lui faisait pas or-rblier la différence qu'il y n avait entre cette princesse et elle. tr La margrave de Baireuth, dont les souvenirs sont postérieurs d'une année, montre, comme on peut s'y attendre, moins d'indulgence : n La Czarine était petite et ramassée, fort basanée, et u n'avait ni air, ni gràce. Il suffrsait de la voir pour deriner n sa basse extraction. On I'aurait prise, à son affublement, .. pour une comédienne allemande' Son habit avait été acheté u à la friperie; il était à I'antique et fort chargé d'argent et ,, de crasse. Le devant de son corps de jupe était orné de n pierreries. Le dessin en était singulier : c'était un aigle n double, dont les plumes étaient garnies du plus petit carat a et tout monté (sæ). Elle avait une douzaine d'ordres et s autant de portraits de saints et de reliques attachés tout le n long du parement de son habit, de façon que lorsqu'elle n marchait, on aurait cru entendre un mulet' , l\{ais la margraye est une vipère. Campredonr qui n'est pas un modèle d'indulgerrce, accorde pourtant à la Tsaline de Ia pénétration et de I'esprit politique. Si elle n'a pas sauvé I'armée pendant la campagne du Pruth, elle a eu Ie même mérite pendant celle de Perse. L'aventure, comme il la conte, ne montre pas Pierre sous un jour très flatteur. Pendant les grandes chaleurs, le Tsar dorrnait à ses troupes I'oldre de se mettre en marche, puis s'endormait. Au réveil, il trouvait parfois qlre pas un homme n'avait bougé, et u demandant qui n avait été le général qui donnait des contre-ordres : C'esl, o moi, disait cette princesse en se présentant, parce que Yos c gens seraient crevés de chaleur et de soif (l). , J'ai dit que les portraits de la Livonienne conservés à Ia galerie Romanof du palais d'Hiver ne fournissent aucun ren({) 6janviert723 Aff.
étr. deFrsnce.

CÀTHEIIINE.

299

seignement sur les cbarmes gui ont fait sa fortune. La beauté n'y paraît pas, et pas davantage la distinction. Un gros risage, rond et commun, un nez vilainement retroussé, des yeux à f]eur de tête, une gorge opulente, I'aspect général d'une servante d'auberge allemande. La vue de ses souliers, conservés preusement à Peterhof, inspirera à la comtesse de ChoiseulGorrlfier cette réflexion que la Tsarine a vécu dans ce monde sur un bon pieti (l). L'histoire doit chercher ailleurs le secret de sa destinée. Cette maritorne d'apparence peu séduisante a possédé un tenrpérament physique dont la vigueur, la résistance à la fatigue ont égalé presque ce que nous avons vu, à cet égard, chez Piene lui-même, et un tempérament rnoral bearrcoup mieux équilibré. De 1104à 1723, elle donnait à son aurant devenu son mari onze enfants, morts Ia plupart en bas âge, et ces grossesses multiples passaient presque inapercues, ne I'empéchaient pas de suivr.e le souverain dans toutes ses pérégrinations. Blle est [avraie l'emme d'officier, pahodnaîa oftserskaia jéna, selon I'expression locale, capable de faire campagne, coucher sur la dure, habiter une tente etaccomplir à cheval double et triple étape. Elle se rase la tête pendant la campagne de Perse et se coiffe avec le bonnet d'un grenadier. Elle passe des revues; elle parcourt les rangs avantle combat, distribuant des paroles réconfortantes et des rasades d'eau-devie. Une balle qui frappe un des homnres de sa suite ne l'émeut pas (2). Après la mort de Pierre, les escadres combinées de I'Angleterre et du Danemark menacaut Revel, elle parlera de s'embarr;uer sur un bâtiment de sa flotte pour les repousser. EIle n'était pas sans coquetterie ; elle teignait en noir ses cheveux qu'elle avait naturellement blonds, pour mieux faire ressortir l'éclat de son teint qui était fort vif; elle interdi-.ait aux dames de sa cour d'imiter ses toilettes; elle dansait à merveille, et exécutait en virtuose les pirouettes Ies plus compliquées, surtout quand elle avait le Tsar lui-même pour par-

(t)

Rémintscences, L862,

p,

31t0.

(2) Pvr,rror, Le passé oublté, p. LltL; trIénrotes et documents des Aff. étr. France, t II, p. {{9.

de

3OO

L'H OMME.

tenaire. Àvec les autres danseurs, elle se contentait généralement d'indiquer les pas. Son caractère est un mélange de féminité fort subtile et d'énergie presqrre masculine. Blle savait être aimable avec ceux qui l'approchaient et s'entendait aussi à réprinrer les sauvages emportements de Pierre. La bassesse de son exiraction ne lui causait aucun enrbarras I elle s'en souvenait et en parlait volontiers avec ceux tlui I'avaient connue at'ant son élévation, avec un précepteul allemand ernployé par Glûck à l'époque où elle servait dans la maison du pasteur (l), avec \N'hitworth, qui se vante peut-être en tilinnaut à entendre qu'il l'avait approchée de très près, rnais qu'elle invite un jour à danser, en lui demandant n s'il n'a pas oublié la Katiërinoucltka d'autrelbis (2) ". L'influence, tr'ès considcjrable, qu'elle ererçait sur son mari, tenait en partie, d'après les coutenrpolains, au Jlouvoir qu'elle avait de le calmer dans ses moments d'irritation nerveuse, qu'accompagnaient des nranx de tête intolérables. Tour à tour abattu ou furibond, il semblait alors côtover la folie, et tout Ie monde fuyait sa présence. EIIe I'abordait sans crainte, I'interpellait dans un langage à elle, fait de câlinerie et de fermeté, et sa voix agissait déjà sur lui d'uue {acon apaisante. Blic lui prenait ensuite la tête et doucement le caressait en passant les doigts dans ses cheveux. Bierrtôt il s'assoupissait, reposant sur son sein. Elle demeurait alors iurmobile pendant deux ou trois heures, attendant I'efl'et bienfaisant du sommeil. Àu réveil, il était Irais et dispos. Elle s'appliquait aussi à réprimer les excès de toute nature a'uxquels il se livrait, les orgies de nuit, la boisson. En sep tenrbre 1724, le lancement d'un navile servant de prétexte, comme d'habitude, à un banquet intenninable, elle va à la porte de la cabine où Pierre s'est enflermé avec ses intimes pour s'eniyrer à son aise, et lui crie : n Pora domoi, batiouchha., (Il est ternps de rentrer, petit pere.) Il obéit, et s'en va avec elle (3).

(t)

Core, Trauels, t785, t. I, p. 5t{.,

(2) Wutrrvonr:g, An au:ount of fiussia, Londrer, [77[, préface, p. rx.. (3) Lûschings M., r. XXII, p. 492.

cr

T

HEnlNE.

80t

EIle paraît vraiment aimante et dévouée, bien que la mise en scène quelque peu théâtrale cle sa douleur, après la mort du grand homme, jette une oûrbre sur lu sincérité de ses sentiments. Yillebois parle de derrx Ànglais qui, pendant six sernaines, s'en dorrnent journellement le spectacle clans la r:hapelle ou est exposé le corps du défunt, et lui-même déclare y avoir ressenti Ie mêrne genre d'érnotion qu'à une représentation d'Andromaque. Ce qui n'empéche pas la Tsarine de revencliquer en même temps l'héritage du Tsar avec une grande vigtreur et une entière présence d'esprit. L'affectron de Pierre est moins suspecte ; de trame un peu grossière, mais solide. Les lettres qu'il lui adresse pendant les rat'es mornents où ils sont séparés, expriment avec une sincérit<! évidente I'attachement plofond d.tuieillard, comme il s'appelle volontiers, pour sâ Ktrtierinoucltka, pour I' n amie de son crpur, (rlroulr serdeclmt'oukii) (src) , pour la ruère du clrer Chichenka (le petit Pierre).Un tour gai et plaisant y est habituel. Pas de glancles phrases I des nrots sinrples venant du cæur. Pas de passi<-rn ; de Ia tenclresse. Pas de {'lamme I une chaleur douce et égale. Jamais une note discordaute, et toujours le désir de retlouver le plrrs vite possible la femrne aimée et plus eDcore I'amie, la compagne, auprès de laquelle on se trouve bien. Il lui tarde de la rejoindre, écrit-il en 1708, parce que c'est triste sans elle, et qu'il n'y & personne pour soigner son linge. Elle inragine, dans sa réponse, qu'il doit étre bien rnal pei41né en son absence. Il réplique qu'elle a devine juste ; mais elle n'a qu'à venir, on trouvera bien un vieux peigne pour rentettre les choses en ordre. En attenclaut, il lui envoie une boucle de ses cheveux. Comme jadis, les cadeaux accolnpa1;nent fréquemment ses lettres : une ûtorltre achetée à Dresde en l7ll, des clentelles de Nfalines en lTlT, un renard et derrx paires de colombes venant du golÊe de Finlande. En 1723, écrivant de l{ronstadt, il s'excuse de ne rien en'!-oyer' : il n'a pas d'argent. De passage à Anvers, il expédie un paquet couvelt de cacbets à ses armes et adressé à Sa lllajeste lq tsarine Catherine Alériéieuna. La boitc ouyerte, la mère de

802

L'HOMME.

Chichenka n'y trouve qu'un bout de papier avec ces mots en majuscules: r l" avril l1l1 ., Catherirre a aussi de meuus présents à envoyer, des boissons le plus souvent, des fruits, un gilet chaud. En t719, Pierre termine une de ses lettres en exprimant l'espoir que cet été sera Ie dernier qu'ils quront passé loin I'un de I'autre. A quelque temps de là, il lui envoie un bouquet de fleurs séchées avec une coupure cle journal, où se trouve rapportée I'histoire d'rrn corrllle cle vieillards avant atteint, le muri cent vingt-six ans et la f'emrne cent vingt-crnq ans. En 17211, arrivant à Saint-Pétersbour6; en été et n'y trouvant pas Catherine, qui est à une des résidences de campagne, à PéterhoI ou à Revel, il fait aussitôt partir un yacht qui doit la rarnener, et il lui écrit : u Quand je suis s entré dans mon appartement, j'ai voulu me sauver de suite : n tout est si vide sans toi ! u Eile semble, à dire vrai, égalemerrt affectée de son absence. Bn juiliet l1l4,la princesse Galitsirrc, qui est auprès d'elle à Revel, adresse au souverain ce billet expressif : u Sire, mon n cher batiouchha, nous désirons votre retour auprès de nous ( au plus tôt, et, si Votre Majesté tarde, en vérrté mon exrss tence deviendra difficile. La Tsarine ne daigne jamais u s'endormir avant trois heures du matin, et je me tiens toun jours inséparablement auprès de Sa Nfajesté, et l(irillovna, u debout auprès de son lit, sommeille. La Tsarine daigne u dire de temps à autre ' fi6l6yphka(petite tante), tu dors? " Elle réporrd : - Non, je ne dors pas ; je regarde nres panu toufles. Bt Maïa va et vient dans la charnbre et fait son lit u au milieu de la chambre, et Matréna parcourt les chambres ( et se querelle avec tout le monde, et Krestianovna se tient n derrière la chaise et regarde la Tsarine. 'fon arrivée me u délivrera de la chambre à coucher (l). , De la première époque de leur liaison, il n'y a de conservées que les lettres adressées en commun par le souyerain à elle et à Anisia I(irillovna Tolstoi, à laquelle il donnait le surnom de (L) Cabinet de Prerre, c. II, l. 20,

CÀTHER

INE

303

r tante u . Catherine était la u mère , . Il écrivaiL : Illuder, en hollandais, en employant des lettres russes. Elle garde ce surnom jusqu'en l7l l, époque à laquelle les termes dont Pierre se sert pour la désigner deviennent de plus en plus'familiers, affectueux et personnels : Katiérinouchka, Herzensfreurtdchen, elc. Elle ne s'enhardira à I'imiter, à cet égard, que beaucoup plus tard, continuant jusqu'en l 7 1 8 à lui donnet tle laMajesté ; après quoi il devient lui aussi sonHerzensfreundchen, sorbatiouchka, ou plus simplement : metn Freund (mon ami). Une fois, elle va jusqu'à contrefaire ses façons badines, et adresse sa lettre o à Son Excellence, le très illustre et très u éminent Prince-Général, Inspecteur général et cavalier du r compas et de Ia hache couronnés u 1en allemand) . Cette corespondance n'a jamais été publiée intégralement, et n'a pu l'être ; elle contient une part d'érotisme trop grossier, Pierre s'y aventurant sans scrupule et Catherine I'y suivant sans embarras, jusqu'à des cynismes de pensée et de langage qui défient I'impression : u Si vous étiez auprès moi, je vous ferais bien vite un aufie Chicltenl;a ,, écrit-elle dans un des mbrnents de séparation. C'est le ton: rnais les expressrons ont
souvent beaucoup moins de réserve (l). En l721tt pour I'anniversaire de sor.r mariage, qu'il célébrait

à ûfoscou, Pierre composait lui-mêrne le feu d'artifice qui devait être tiré sous les f'enétres de I'Impératrice. On y voyait leurs chiffres entrelacés dans un cæur que surmoutait une
couronne et entouraient les emblèmes de I'amour. Une figure ailée qui représentait Cupidon porteur d'une torche avec ses autres attributs, moins le bandeau, traversait I'espace et allait allumer les fusées. Le Cupidon qui paraît habituellement en tiers dans le commerce des deux amants n'a guère d'ailes; mais leur tenclresse, Pour terre à terre qu'elle soit et mêrne fangeuse par errdroits, n'en présente pas moins un aspect sympathique et touchant. Un air de bonhomie lustique et savoureuse la pénètre. Àprès la paix de Nystadt, Pierre plaisaute sa

(t) Vo)'. à ce sujet SIÉuIrvsu, L'ntptiratrice
Pcieirs ,1. Grossen

Catherine, p' 89; IlnÛcxnrn, Briefruechsel mit Cathurine (Raumers Taschenbuch, 5" série)

304.

L'HO]' ME.

femme sur son otigine livonienne : u Aux termes du traité je dois rendre au roi de Suède tous les prrsonniers; je ne sais ce qui adviendra de toi. , Elle lui baise la urain et répond ; n Je suis votre servante, Iaites ce que vous voudrez I je ne crois ( Je vais pourtant pas que vous $oyez disposé à me rendre. ' tâcher, réplique-t-il, de m'entendle avec le Roi (l). Cornnre 'r détail, I'anecdote est peut-être dans Ia fiction; comme fond, elle est certainernent dans la vérité de leurs relations. Cutherine pourtant sernble bien y avoir rnis de son côté plus de malice et un peu d'astuce féminine. On veut que, pendunt un séjour en commun à Rig.r, elle se soit arran6ée pour. montrer au souverain, sur url vieux parchemin tiré des archives de laville, une prophétie d'après laquelle les Russes ne devaierrt prendre possession du pays qu'après un éyénement qui a passé pour improbable : un Tsar'épousant une Livonienne. Souvent aussr je la vois attirnnt son attention sur ce que rien ne lui a réussi avant qu'il I'ait connue. Depuis, il a nralcbé de succès en succès. Elle entlait là dans la réalité historique, et le fait plus que la prophétie était de nature à faire impression sur I'esprit du rude btrtailleur. Non, certes, il ne voulait pas rendre sa conquête de Marienbourg! lille avait mille façons de se rendfe agréable, utile, indispensuble. Cornme par le passé, elle suivait, d'un æil point laloux, mais vigilant, les caprices amoureux du maître, attentive seulement à en prévenir les conséquences trop Sraves, intervenant au bon moment. Nartof cite I'aventure d'une blanune payse auprès de Iachisseuse originaire de Narver souverain les du sont assiduités devenues à un moment quelle assez inquiétantes. Pierre {bt surpris de trorrver un jour cctte fille dans I'appartement de I'Impératlice. Il fit mine de ne pas la connaître. D'où venait-elle ? Et Catherine de répontlre trancluillement : r On m'a tant vanté sa beauté et son esprit que je me suis décidée à la prendre à mon service, s&ns vous consulter. , Il ne répondit rnot et chercha ailleurs de nouvelles distractions. ({) Oustnuror, t. IY, p. 1.81.

CATHERIT.iE.

30'

Avec cela arrcune prétention d'intervenir dans les affaires de l'État, nul esprit d'iutrigrre. u Pour ce qui est de la Tsarine, n écrit Campredon en mars 1721, quoique le Tsar ait toujours ( pour elle beaucoup de complaisance et une grande tenn dresse pour les princesses, ses filles, elle n'a aucun poutoir ( par rapport aux affaires, dont elle ne se méle point. Elle a met toute son application à se conserver les bonnes gràces u du Tsar, à le ddtourner autant gu'elle peut des excès de n vin et autres débauches, qui ont beaucorrp affaibli sa santé, <r et à modérer sa colère lorsqu'elle est prête à éclater contre o quelqu'un. o Son intervention dans la catastrophe du Pruth, à la supposer réelle, a été un accident isolé. Sa correspondance avec son mari prouve qu'elle était au courant de ses préoccupntions, mais très en gros. Il s'adresse à elle pour des cornmissions de peu d'importance, un achat de vin et cle fromage pour des présents qu'il veut faire, un embauchalle cl'artistes et d'artisans à opérer à l'étranger. Sorrvent il lui parle srlr un ton de coufidence, mnis toujortrs clatrs un orclre d'idées générales, sans entrer dans le détftil. En l7l 2, il lui écrit : n Nous a solTlûr€sr Dieu merci, bien portants, rnais c'est une vie clure I n je ne puis faire grand'clrose avec ma main ganche, et la n droite doit tenir à la fois une épée et une plumel or tu sais n sur combien de persoùlles je puis compter pour m'aider. o Elle a su se faire une prrt et assumer nn office, dontle choix inrlique chez cette paysanne un instinct merveilleux de sa situtrtion. Le cliploniate flançais y fait allusion dans Ie texte que je viens de citer. Elle a compris qu'à côté du grand Réformateur jouant à outrance son r'ôle de jtrsticier irrrplacable, il y avait un rôle accessoire et nécessaire de pitié et de rniséricorde; que celui-ci étaitbien pour elle, I'humble serve al'aut connu toutes les misères de Ia vie i !Ju'en le prenant, en obtenant le plrrs de paldons qu'elle pouruait pour. les âutres, elle se ferait plus facilernent pardonner son élévation; 11u'errfirr, au milieu des rancunes et des huines soulevées autour drr sour erain par I'æuvre violente de la réforme, uu cercle de sympa20

3C6

L'H

O \T },{ T,l.

thies reconrraislia'tes environnant la souveraiue pourrait un joul la protéger. contre un retour de fortune et lui servir d'usile.
Elle en a eu besoin et elle y a trouvé nrieux qu'un abri après la mort de Pierre. Comme Lefort jadis, mais avec bien plus d'esprit de suite et de tact, elle intervenait sans cesse dans Ie conflit sanglaut

que l'æuvre par lui poursuivie ouvrait entre le Tsar et ses sujets, et que la hache, la potence ou le knoute étaient appelés à trancher de jour en jour. Pierre en trrrivait à lui cacher parfois les chàtiments qu'il ordonnait (l). Nlalheureusemcrrt, elle ne sut pas se contenter, prraît-il, du bénéfice à longue éc:héarrce que cette ligne de conduite lui prornettait. Avec le temps elle en vint à lui demander des profits plus imrnédiats. Blle imagina, ou on lui fit entendre, qu'elle avait besoin d'asseoir sa fortune sur une base pécunilire solide. Elle crut, ou on la persuada, qu'il lui fâudrait un jour de I'argent, beaucoup d'ar. gent, pour payer les concours nécessaires, prér.enir les détâitlances probables. Et elle se mit alors à r.anconner sa clientèle. Potrr frapper à sa porte avec chance d'échapper à I'exil ou à la mort, il fallut se préscnter un sac à Ia main. Elle amassa ainsi de gros capitaux, qu'à I'imitation et sans cloute sur le conseil de Menchikof, elle plaça à Àmsterdam et à Hambourg sous des noms supposés (2). Ce manège n'échappa pus lorrgtemps à l.r clairvoyance de Pierre, et la découverte qu'il en fit ne fut probablement pas étrangère aux nuages qui, vers la fin, obscurcirent la sérénité de I'horizon conjugal. En lTlg, Catherine s'entremettait pour sauver de Ia potence le prince Gagarine, qui s'était rendu coupable de concussions inormes, comrrre Souverneur général de la Sibérie. Elle tirait de lui des sommes considérables, et en employaitune partie à corronrpre le prince Volkonski, chargé de l'enquéte, vieux soldat mutilé, que son passé glorieux ne défendait pas contre ce genre de tentations. Arrété à son tour., Volkonski alléguait, pour sa dél'ense, qu'il aurait craint, en r.el)oussant les avances de la
(1.) Âffrrres étr. de France; XIémoires et docutnents, t. lI, p, {.:lg. (2) BuschingsM., t. XI, p. 481 er suiv.; Scucnun, t. IV, p. 6i.

CÀTHEnINE.

307

Tsarine, de la brouiller avec Ie Tsar. La réplique qu'on attribue à Piene est bien dans son caractère et dans son style : Inrbécile ! tu ne nous aurais pas brouillés; j'aurais seulement adnrinistré à ma femme une bonne correction conjugale; elle I'aula, et toi, tu seras pendu (l).

III
La fin tragique de la querelle qui met Ie Tsar aux prises avec son fils aîné est pour la belle-mère du malheureux Alexis
gineuse où s'est acheminé son destin. Il est naturel aussi gu'on lui ait attribué une part, plus ou moins directe, dans la préparation de ce dénouernent. J'aurai à revenir sur ce point. C'est son fils à elle gui devient ainsi I'héritier présomptiI de la couronne, et c'est un lien de plus entre elle et le père de cet enfarrt. Elle en arrive à lui imposer, dans une d<:taine mesure, sa lirmille tenue à l'écart jusqu'à présent, son obscure {'arnille de serfs lithuaniens. Un hasard, paraît-il, lui vient en aide à cet égard. Sur Ia route de pétersbàurgà Riga un postillon maltraité par un voyageur protestait, se réclamant d'une auguste parenté. On I'arrêtait, on prévenait le Tsar; il ordon_ nait une enquête et se trouvait inopinément en possession de toute une tribu de beaux-frères et de belles-sæurs, de neveux et de nièces. catherine les avait un peu trop fhcilement oubliés. Le postillon, Féodor Skovronski, était son frère ainé. Marié à une paysanne, il en avait trois fils et trois filles. Un autre lrère, encore célibataire, était employé aux travaux des champs. L'aînée des sæurs s'appelait Catherine; la cadette, auiourd'hui élevée sur le tr'ône sous ce nom, ayantautrefois portJ oelui de llarthe. Cette Catherine exercait, dit-on, à Revel un métier
(L) Dor.aonouxor, Mémoires, t. I, p. 83.

une victoire suprênre, une brusque poussée vers la cime verti.

308

L'HOMME.

infâme. IJne troisième sæur' Anne, était la femme d'un honnête serf, Michel-.Ioachim; une quatrième avait épousé ulr paysan libéré, Simon-Henri, qui s'était établi à Revel comme cordonnier. lierre fit venir le postillon à Pétersbourg, le mit en présence de sa sæur, dans la maison du dienchtchik 0hépiélof, et, après constatation de son identité' le renvoya àla campagne avec une pension. Il prit des mesures pour assurer aux urrs et auxautres de ces parents une existence modeste, et s'arrangea de façon à ne plus en entendreparler. La belle-sæurde Revel, trop compromettante, fut mise sous clef- Catherine devra attendre la mort du Tsar pour en lhire davantage. Ex-postillon, ex-cordonnier, paysans et paysannes paraîtront alors à Pétersbourg méconnaissables sous des noms, des titres et des costumes d'apparat. Simon-Henri deviendra le comte Simon Léontiévitch Hendrikof. Michel-Joachim s'appellera le conrte [Iichel Efimovitch Efirnovski; et ainsi de suite. Tous richement dotés(l). Uncomte Skovronski fera glande figure souslerègne d'Élisabeth et mariera sa fille à un prince Sapieha, d'une illustre famille polonaise très conuue en France. En attertdant, la fortune de Catherine continue sa ntarche ascendartte. Le 23 décembre 1721, un vote drr Sénat et, du Synode réunis lui conf'ère le titre d'Irnpératrice. Deux atrttôe" plus tard , c'est le couronnement de I'arrcienne serrânte décidé par Pierre lui-même. La cérérnonie est ulle Ilouveauté en Russie, et les circonstances lui attribuent en orttle une portèe considérable. Il n'y a dans I'histoire clu pays qrr'lrn précédent ti cet égard : le cotrrontrement de [Iatirra Mniszecl'r avant son mariage avec Dimitri. Mais il s'agissait alors de consacrer prévetrtivement les droits de I'altièr'e fiiie drr nagnat polonais, que Ia politique un moment victorieuse cles Waza prélc'ndait irnposer à la Russie. Soutenu par les arnces de la llépubiique, comme et parcc qrre époux de Nlalina, Dimitri ne venait qu'en seconde ligne. Depuis, les Tsariles n'ont été que les épouses des Tsars, sans aucune inYcstiture (l)
Kenxovrrcs, [,es grandes

foflunet ett '8assie, p' {79'

CATHNRINE.

309

ni préro6ative politiques. l{ais la mort de I'unique héritier de la couronne a soulevé, en 17I9, la question successorale. Elle est à l'ordre du jour pendant les années suivantes. Après la paix de Nvstadt(1721) qui donne des loisirs au souverain, elle prend un instant la première place dans ses préoccupations. Par ses ordres, Chafirof et Osternrann ont à ce sujet plusieurs entretiens secrets avec Campredon, auquel ils proposent une alliance avec la F-rance, sur la base de la garantie de la succession du trône dernandée à cette puissance. Au profit de qui? Campredon imaginait que Pieue avait en vue sa fille aîoée, à laquelle il aurait voulu fâire épouser un de ses sujets et de ses parents, un Narychkine par exernple. Chafirof le confirmait dans cette opinion (l). Dans le public les suppositions les plus diverses circulaient à ce sujet, jusqu'au couronnement. A ce moment, la nouveauté de l'événement sembla, aux yeux du plus grand nombre, trancherla question en faveur de Catherirre. Campredon lui-même partagea cet avis (2). La couronne, commandée exprès, dépasse en magnificence toutes celles qui ont servi aux anciens Tsars. Ornée de diantants et de perles, avec un énorme rubis au sornmet, elle pèse quatre livres, et on en évalue le prix à un million et demi de roubles. Elle est l'æuvre d'un joaillier russe de Saint-Pétersbourg. La robe de I'Lnpératrice n'a pu être confectionnée clans la nouvelle capitale. Blle vient de Paris et coùte quatre mille roubles. Pierre dépose lui-même la couronne sur la tête de sa {èmme. Agenouillée devant I'autel, Oatherine pleure et veut embrasser les genoux du Tsar. il Ia relèr'e en souriant et lui renret le globe, emblème de la souveraineté (dierjaaa); mais rl garde le sceptre, insigne du pouvoir. En sortant de l'église, I'Impératrice monte dans un carrosse, de provenance parisienne comrne Ia robe, tout en dorures et en peintures et surrnonté d'une couronne impériale (3).
(1) Dépêches de Campredon des 29 octobre,LZ de France. (2) Dépèche du 26 rnai 1724.
',8) Busching',4t.,

et2L novembre {72:1. Aff.

crr.

t. XXII, p, hL7, h6ùi Gor,rxor, t. X, p 6[.

3TO

L'HOMME.

La cérémonie a eu lieu le 7/19 mai I-t24. Ane demi-année après, rrir drame se joue au palais d'Hiver, qui met la souveraine ointe et couronnée au bord d'trn abîme. Àu retour d'une excursion à Revel, Pierre tl été averti d'une intimité suspecte gui depuis quelque temps déjà s'est étal'rlie entre Catherine et un chambellan de son service. II est étrange que l'avertissement ne lui soit pas venu plus tôt, cat, au dire de témoins di6nes de foi, la liaison de I'Impératrice avec le jeune et beau William llons était publique depuis longtemps (l)' Pour savoir à quoi s'en tenir, Pierre n'aurait même eu besoin que de consulter, par I'entremise de son cabinet noir, la correspondance du chambellan. Il y aurait trouvé des lettres si6;nées par les plus grands Personnages du pays, ministres, ambassadeurs, évêques, tous s'adressant à ce jeune homme sur un ton qui indiquait clairement la place qu'ils lui assignaient dans la maisol du souvelain (2). Mais la politique inquisitoriale du grancl homme porte à cette heure ses derniers fruits, Ia conséquence et la peine de ses excès : I'univel'sel espionnage a engendré I'universelle mise en déflense contre Ies espions' Comme on est gardé, on se garde, et, pour avoir voulu trop bien savoir ce qui se pa$se chez les autres' Pierre en est venu à ignorer ce qui se passe chez lui. Ce Mons est un frère de I'ancienne favorite- Il appartient à la lignée des aventuriers de 6rand air et de haut vol, dont Lefbrt a été I'ancêtre historique en Russie. Très sommairement instruit, mais intelligent, adroit, joyeux compagnon et poète à ses beures. Très superstitieux, il portait aux doigts quatre bagues, d'or pur, de plomb, de fer et de cuivre, qui lui servaient de talismans : Ia bague d'or était potrr I'amour' Une autre de ses sæurs, lIodeste(en russe : IlLatréna), était mariée à Béodor Nikolaidvitclr Balk, d'une branche de I'ancienne maison livonienne des Balcken, établie depuis I650 en Russie Ce Balk avait le grade de général'major et les fonctions de aussi poussée très Souverneur de Riga, et sa femme s'était
(()
C,tr,rPnr'nox, dépèche du

I

dêeernlrre

{79lt" A{f' étr' de France'

(2) Sltrurevsxt, L'impératrice Cathetine' p 109.

f:Â'tHEïïliiE.

:llt

a\-a.t dans la faveur de Catlreri'e, dar.e à portrait depuis le corll.orll)enlent et confidente irrtrme. Elle soignait la fortune de son frère et arrangeait les rendez-vous. Mais son rôle ne s,ar,rêtait pas là. Avec une madame louchliof, Anna Féodorovna, autre gr.rrde favorite de I'Impérat'ice, avec la princesse Anne de Couriande et quelques dames encore, elle était arrivée à constituer une espèce de camarilla, tripotant, intriguant et errtourant peu à peu le souverain d'u'e marée de sable mouya't, i'flrrences occultes et obsc'r'es machinations, dans raquelle, affaiblie par la malaclie qui le ruinait, énervée par les obsessions qui I'entouraient, son énergie paraissait comme enlizée. William Mons était I'àrne de cette coterie, prenant lui-mêrne le nom d'une femme pour conespondre avec une madame Soltl'kof, qui en faisait partie (l). C'est l'ère de la gynécocratie qui déjà commence. L'inquisiteur et le justicier sorrt ainsi simultanément et pareillement mis e' délaut chez Pierre. Il a longtenirs ig*or.é ce qu'il lui irnportait tant de savoir, et, méme préve'u, il ne saura pas frapper et se faire justice à lui-même de Ia plus imparrlou_ nable des iljures. L'ayertissement lui vient cl'une source anonyme. On a imaginé à ce propos un guet-apens préparé tie long.e main : catherine s'o'bliarrt par un beau clair cle l*ne au fond cl'un berceatr de son parc, devant lequel madane Balk monte la garde, et Pierre venant I'y surprendre (Z). Il est reg.ettable que cette mise en scène ne puisse s'accorder a'ec le calendrier, et qu'il faille, historiquernent, la placer en no_ ueml,re, par dix degrés de froid, probablement ! D'après les documents officiels de la chancellerie secrète, Pielre a été mis au fait le 5 novembre. Il fit arrêter le dénonciateur', vite reconnu, un subalterne de I'entourage de Nlons, rnena personrrellement une enquéte rapide dans la chambre de torture de la forteresse Saints Pierre et Paul; mais, contre I'attente générale, il n'agit pas avec la rapidité foudroyante qui était dans ses habitudes. Son honneur et sa vie même sont en ({)
(2)
Monnovrsor, p. 130.
JcsEp."-n,

r IY, p

78.

312

L'H

O

][

1[ E.

jen, car la dénonciation a parlé d'rrn complot et d'un attentat en préparation, et il a I'air d'hésiter; il <,lissinrule sa colerel on dirait qtr'il cherche, lui I'irnpatient et I'impulsif'par ercellence, à gagner du terups! Le 90 novertrble, il lentle au palais, sans rien laisser paraitre sur son visage cle ses im1-rressions, soupe avec I'Impér'atrice comrne à I'ordinaire, s'entletient longuernent et farnilièrementavec Nlons et finit par le rassuler, ltri et tout le monde. D'assez bonne hertrc seuletnent il se dit fatigué, dernande I'heure. Catherine consulte sa montre à répétition le cadeau envoyé de Dresde * et répontl : Neuf heures. Il a alors un mouvemeut bnrsque, le prernier', 1;r'errcl Ia montre, ouvre le boîtier, dotrne trois tours anx aiguilles, et de ce ton qu'on lui a si longtemps connu et qui n'arirnet pas de réplique : u Vous vous tr'ourpez; il est minuit, et tout le monde doit allel se coucher. , Le lion s'est letrouvé, avec son rugissement et sa glilÏe conltlte à tout 1-ruissarrte, le doruirrateur commandtrnt au ternps
et à tous. On se sépara, et quelques instants après 1\[orrs

était arrété

tlans sa cltatnbre, l)ierre s'iustituarrt, tlit-on, lui-nêrne son geôlier et sou juge d'instluction. nlais dans les interrogatoires qu'il Iui fraisait subir le norn de Catherine n'était pts prononcé. Délibérémeut, il la rnettait hors de cause. L'enquête a pelmis cle faire valoir contre I'ilrculpé d'autres chef's d'accusation, abLrs d'influcnce et trafit:s crimirlels tlarrs lescluels l\Iatréna Balli était aussi implirltrée. Deux jouls de suite, le li] et le l4 rrovernbre, par la voix d'un clieul parcourant les lues de St'rint-Pételsborrrg, les dortneurs de pot"-tle-vin furent inrités à en faire cléclaration, sous peine des châtinrents les plus sévères. ùlais hlons lui-rnêrne y suppléait' Comrtre Glébof, il passt plus tald pour avoir stoiquemetlt mis à couvelt I'honrreur rle sa maitt'esse, en prodiguant les autres aveux. L'héro'isrne, à le supposer réel, n'etrt pas été de très bon aloi : même sous le re\gne de Pierre, on ristluait moins à passer pour concussionrraire que pour le rival du Tsar. La {in atrocc clc Glébof en avait lburni la preuve. Et le beau William ne parait

CATHI]RINE.

3tE

avoir eu rien d'un héros. A en croire les procès-verblux

de

ses interrogi'rtoires, mis en pr'ésence du Tsnr après son arresta-

tion, il a commencé par s'évanouir; il a avoué ensuite tout ce r1u'on a voulu. Il faut, en efl'et, qu'on n'ait pas eu de peine à lc corrfesser, puisque, détail significtrtif, il n'a pas été mis à Ia question. Qrrant à mactame Balk, après avoir montré d'abord
quelque résistnnce, elle a faibli au premier coup de knoute. Nlons fut clécapité le 28 novembre 1724. Au rapport du résident saxon) Pierre est a[é le voil avant l'exécution, pour lui exprirner le reglet c1u'il avait à se sépaler de lui. Le jeune hornrue sut du moirrs faire bonne figure sur l'échafaud. Comme y réussila plus tard un autre gouven)ement de tellerrr, le grand règne a appris aux hornrnes à mourir. Le rét:it d'apr'ès lcquel il aurait dernandé au borrrreau de letiler de sa poche un portrait encadré de diarnants, en lui rlisant de galrlel le cadre et de détruire l'image, celle de Catherin.i(l), -- est de notoire et mr.rladroite invention. Les llrisonniers titaient vraisemblablemelrt lbuillés dans les prisons clu ternps. Maclarne Balk reçnt onze coups de knoute, n'en mourut pas, ce qui proule r1u'elle avait la vie dule, fut enloyée err Sibérie à perpétuité, et en revint après la rnort de I)ierre. Il n'y avait rien cle perpétuel à cette époc1ue. Du ntomelt qu'ort empor'lait la vie sauve, on avait glande charrce de rernonter' du fbnd iles abimes les plus profonds. Sur des poteaux entourant le lieu de I'expiation, une parlcarte fut affichée avec les noms de tous les clients auxquels Nlons et sir sæur avaient eu affaire. La hiér'alchie entière du tchine y était représentée, ave'c le grand charrcelier Golovkirre en tête. Le prince \[enchikof, Ie duc cle Flolsteirr et la tsarine Pra.covie Féoclorovna y figulaient aussi (2) ! Oathelile urontra, au milieu de cette épreuve, une vaillance qui a rluelque chose de terrifiant. Le jour de l'erécrrtion, elle affectait la plus grande gaieté. Le soir, elle faisait venir les princesses accrompagnées de leul maitl"e de clanse et étudiait avec elles des pas de rnenuet. rVais je lis dans une dépéche de ({)
Onusensrorrn, Der rusçtsche (2) llonoovrscn, p. 48-Ir9.
floJÊ:

llanbourg, [857, p.68,

,à,"11
Carrpredon

L'H o MME.

r autlnt qu'il lui est possible, on Ie voit peint sur son visage... r en sorte que tout le monde est attentif sur ce qui pourra lui ( arriver (l). " Il lui arriva ce jour méme une surprise assez pénible : un
ouliase de la main du Tsar, aclressé à tous les collèges, leur défendit, à raison de I'abus qui en avait été fait sazs Ia cortnaissance de Ia souueraine, de recevoir â l'âr,enir aucun ordre ou recommandation de sa part. En même temps, les bureaux a1'ant Ia gestion de sa fortune personnelle furent frappés d'in_

;

u

Quoique cette princesse dissimule son chagrin

terdit; on y mit

les scellés, sous prétexte d'un contrôle adrninistlatrf à exercer, et elle se trouva tellement gênée que pour

donner mille ducats à un dienchrchik, Vassili pétrovitch, qui arait pour le moment I'oreille du l'sar, elle dut avoir recours
aux dames de son entourage (2). Autre clésa6rément Ie lendernain. Le Tsar, raconte_t-on, sortit en traineau avec sa f'emme, et on vit le couple impérial

prsser â côté de l'écha{aud où le corps de Morrs était encore exposé. La robe de I'Impératrice frôla Ie cadavre. Catheri,e ne détourna pas la téte et continua à sourire. pierre i'sista alors : par ses ordres Ia téte du srrpplicié fut mise dans un bocal rempli d'esprit-de-vin et placée en éviclence dans I'appartement de I'Impératrice. Blle s'accommoda de ce terrible voisinage et corrserva son calme. Vainement il s'emportait. D'un coup de poing, raconte-t-on encore, il br.isait en sa préseuce une superbe glace de Venise. Ainsi ferai-je de toi et des tiens ! Elle répliquait sans paraître émue : Vsus venez de détruire un des ornements de votre demeure; en a-t-elle plus de charme ? Elle le domptait et le maltrisait ainsi; mais les relations demeulaient extrêmement tendues. Le lg décembre 1724, Letblt note dans sa dépêche : a L'on ne parle presque plus (l)
lrereur,

Pétersbour6, 0 <Iécembre
)

(2) Bùschîngs,4t., r. XI, p, Lg|. (Relation de Raburin. envoyé de I'Em-

l72tt. Af[. étr.

cA'flthlnlNE.

tr5

n ensemble, I'on ne mange plus ensemble, ni ne couche ensemn ble. u En méme temps, Nlarie l(antémir rentrait en scène de façon à attirer. I'attention 8énérale. Pierre allait la voir tous les lours. Et c'est à ce moment, croit-on, qu'il sut Ia vérité 'ur ce qui s'était passé à Astrahan, où, on se le rappelle, les t'spérances de la princesse et perrt-être celles de son amant araient été anéanties Par une lausse couche suspecte' Le rlédecin qui soiS;uait lar jeune fille, un Grec du nom de Palilialt'r, avait été soudoyé. Par qui ? La réponse vint d'elle-méme sur les lèvres cle l'époux outraSé. Dans I'opinion générale, Catherine était perdue' Villebois parle d'un procès à la Henri VIII que Pierre aurtrit médité' Il temporisait seulement pour assurer préalablemerrt le sort des enfarrts nés de l'épouse infidèle. Il pressait le mariage de sa fille ainée, Anne, avec le duc de Holstein. Des tentatives avaient été faites pour unir la seconde, Élisabeth, à un prince francris, ou même au roi de France en Personne. Nlais précisénrent ce projet, qui paraissait prendle tournure et gardait d'irrésistibles séductions, fournissait aussi pour [a défense de Catberine un ar{ïument tout-puissant. 'Iolstoï et Osterrnann, en pourparlers avec Campredon, le laisaielrt valoir avec autorité : difficilernent le roi de France portvaitétre engagé à épouser la fille d'une seconde Anne de Boleyn (l)! L'heureuse étoile dela Livonienne devait Ênir par I'emporter. Le l6 janvier 1725, un conlmencement de réconciliation était observé entre les époux, assez maussade encore de Ia part de Pierle et peut-être simulé, mais pourtant significatif. Lefort écrit : u La Tsarine a f'ait un long et ampleFzssla rémissron de ses " fatt (génttflexion) près du Tsar pour u fautes I la conversation dura près de trois heures, et I'on ( soupa pourtant ensemble, après quoi l'on se sépara. u lloins d'un mois après, Pierre n'était plus, emportant dans la tombe le secret de sa rancune et d'une venteance peut-être (t) voy. pour tout cet épisoile : Sor,ovrrr, t. XvIlI, p' 245; ScarnBn, t' lY, p. 18 et suiv.l Saonurx, t. III, p. 90 (Lefort) i Buschinqs llf., t. XI, p. &90 ot iuiv r,Rabutia); Vrr.lnrorr, Mémoires. (Manuecrit de ta Bibliotbèque uatiouale.)

3fd
gfardée

L,HOMME,

en réserve et préparée dans I'ombre. Je n'ai pas à dire ici cornment catherine sut niettre à profit cet événeme't au point de vue politique. Sa conduiteprivéene justifia que trop, par la suite, les jalouses préoccupations qui avaient "rrrpo1_ sonné les derniers jours du 6rand homme. Après vingt années d'un effort continu, d'un contrôle incessant de toutes ses facultés' co'ceutrées et tendues avec à peine queklues défailrances
y eut chez elle à ce moment, peut-on supposer, une brusque détente du ressort moral, en mênte ter'ps qu'un ressaut d'instincts longtemps comprimés : sensualité grossière, goùts de débauche vulgaire, basses inclinations de I'esprit et de la chair'. Après avoir ta't fait pour mettre son mari e, garde cont.e les orgies nocturnes, c'est elle maintenant qui en perpéluera la tradition, s'enivrant jusqu'à neuf heures dn matin avec ses amants d'une nuit, Loewenwalde, Devier, le comte Sapieha. Son règne, qui, heureusement. pour l* Russie, n'a que seize mois de durée, équivaudra à rrne mise en coupe du pouvoir souverain au profit de }fenchikof et des favoris de passa6e lui en disputant tour à tour les miettes. Et la compagne dévouée, secourable, héroTqrre parfois du grand Tsal ne sera plus guère, à cette heure, qu'une héroïne d'o1rérette, une paysanne qu'une aventure invrai.sernblable a pltcée sur Ie trôue et qui s'y divertit à sa facon. vers un but unique enfin atteint,

il

TROISTÈMB PARTIE
L'OEUVRE

LIVRE PREMIER
LA LUTTE

A

L'EXTÉRIEUR.

- GUERITI! ET DIPI,O}IATIE.

CHAPITRE I'ItEXIIER
Dri NARVA a PoLrAva I. Double prograrnrne traditionnel
comnrencc par le dehors. prises conquérantes entre

(l?00-1709).

1)ierre de politique iutérieure et extérieure. Osr:illation séculaire des arnbitious et des entreLa défection de I'Errrpereul le Sud et le Nord. l,'entrevrrc tle Rawa. engage P.erre à choisir le Nord courtne poilt d'attaque. pls116 s6 La quadruple alliance. - Pathul. Liais(in avec Auguste. décide à faire cause couunurle avec la Sate et le Danemark contre Ia Suède. Le traité de Préobramais attcnd la signature de sa paix avec la Turguie. - u1s11hs sur Narva. lla jenskcrïe. lss aeavglles de Uonstantrutrple. - Charles \II.-La II. f)étresse fuite de Prerre. - Le désastre. L'arrivée de - ltri tlonue lc En s',r\'âncant en -[)olofine, Charles et pusillanirnité du Tsar. Nouveeur teurps de se ressaisir et cinrente sou alliarrcc avcc Auguste. - et pretrtiers Pré' suc' de Rirzé. n-6g1's.tttt revers Entrevue de 6Juerre. i;aratifs u l,a tlef tle la trrcr. u de la Neva. Pierre à I'erubou,'hrrre <'ès. Pierle s'établrt en Ingrre et -en Livorric, Arrgrrste perd la PétersbotrrlJ.

IIl. Ùarrrpagnc tliplonratirluo Préparatifs prrur la lutte décisive. l,e prince (Jalitsine .i Vtentre. -A la recherche d'rure rnétlietiorl. Dirrrrtri Galrtsrrre à Cunstantirrople Le prince f{,rtvil,icf .\ [a IIaye et à Paris. u l,'erru tulque. , d'alliarrce à llerliu. La t',rrrràrc el la iiégoci,rtiol Ârverl llorn. Triorrrphe du Suédois sur le l,ivoniett. fin tlc l)atkul. -l)rrplicitô tlrl,lorrrntitlrre. [làtarll( Altr.rrrstatll. - La défection d',lrrgrrstc. tlc Kalrsz. -Jgn111!1'4s tles rleux sortveraius ponr olttcurr une Pair selparée. F)nvoyés et érrrisArrrore rlc Koenig.r,rarclt dans le carrlp tle Charles XII. l)ierre reste Résultat négattf. sùrrcf {le Pierrr: tlaÙs les cours crrroPriIDues. <lans scs ft,vers, JV, l)lan ll se rl,i,'rtle h corrrltntLre scrrl rrr f.rcc <le Charlc". Yastes collrltinaisotrs. P1g1;11gy )Iazcppa. de r'.,rrrp,,grre de Charle., obst;rt ir:. ls5 h[6i1a11ons du ]rt'ttttun, - lletartl tlans la rnarche de Loen'errV. Mùf( L( t)cr slrective d'une tarupague d'hii'er. hurrpt - L'été sc l)asse. - de Loewen- vcrs le 8ud. - lislsilg de Flolovtchine. Désastre dc Oharles Pologne.

tl8
haupt à Liesna.

L'OEUVRE.

La famine. Mazeppa prend parti. Trop tard! - ou inourir. _ L'Ukraine lui échappe. Siège tle poltava. Il faut y entrer - sLrédo;se, charles - est blessé. Déuroralisation rle l'arr'ée pierre augurente ses chances de victoire. La rencontls. La défaite des Suédois.-_ Ses
conséquences.

-

- du passé et la Russie Les ruines de I'avenir.

I
Héritier et continuateur, incomparablement supérieur assurément, mais incomplet à certains égard.s, de prédécesseurs dont on a trop oublié le mérite, Pierre a reçu d'eux l'héritage d'un double plogramrne : de réformes à I'intérieur et d'expansion au dehors. C'est par Ie dehors qu'il a corr)mencé. Dans la distribution de matières adoptée pour cette partie de monlivre je n'ai pou,'tant pas obéi, on s'en cloutera, à une simple préoccupation d'exactitude chronologigue. La plupart des grandes réformes qui ont donné à la Russie du dix-huitième siècle .rne physionomie nouvelle âu point de vue politique, économique et social, sont contemporaines des dernières années du règne; Ieur irnportance n'en prime pas ûloins, âux yelrx de l'histor.ien, et la victoile de Poltava et méme Ia conquéte de la Baltiqne, et la minutie des dates compte ici pour peu. J'ai dù m'inspirer d'une autre considération. Je ne crois pas du tout que les rétbrmes de Pierre aient eu, ainsi qu'on I'a souvent avancé, pour condition préalable et nécessaire cette longue suite de combats et de négociations qui jusqu'en l72l ont presque entièrernent absorbé I'activité du Réfor.mateur; je crois par contre, et je m'appliquerai à le pr"ouver, qu'elles en ont procédé, ainsi qu'une conséquence indirecte, mais fatale, ou2 si I'on aime mieux, providentielle. Autrement dit, les réformes, pour étre, n'ont pas réclamé la guerre; mais Ia guere, pour subsister, a réclamé les rélbrmes, et j'ai mis simplement la charrue derrière les bæufs. De 1693 à 1698, en Hollande et en Angleterre, comme à Yoronèjeou àArhangel, Pierre s'est occupé surtout de devenir

DE NARVA A

POT,TAVÀ.

3T9

un homme de mer accompli, pilote, charllentier et ar"tilltrur. Pourquoi? Parce que cela I'amusait, d'aborcl. Ceci est notoire. Il a joué au marin et au soldat. Peu à peu des itlées plus sérieuses, la conscience des traditious ancestt'ales et cles devoils par elles imposés se sont associées à ce divertissement, et la réalité a fini par I'empolter sur la fantaisie. Mais la réalité alors, c'est la guerre. De 1700 à 1709, il s'agit pour lui de vaincre ou de rnourir en combattant Charles XII, et il ne peut étre question tl'autre chose. De 1709 à 1721, il devra lutter encore, sans trêve ni répit, autant pour conquénir une paix avantageuse que pour se tirer des difficultés et des périls nouveaur dans lesquels un excès de présomption et de confiance l'auta pr'écipité. Seulement, voici ce qui arrive alors : en suivant cette voie, après s'y être engagé très à la lé6ère, Ie souverain a été amené à solliciter de son pays un concours qui dépasse de bearrcoup ses ressources disponibles, celles que sa consti trrlion présente, politique, économique et sociale, le mette à mêrue de fournir. Surchargées d'un côté, minées de I'autre par l'énorure poids qu'on leur a imposé et l'énorme e{'fort qu'on a exigé d'elles, les vieilles assises de l'édifice moscovite se rompent et s'eftbrrdrent. Un vide se produit, qur veut ét.re comblé sur I'heure et n'importe comment, la guerre n'atterrdnrrt pas I et le batailleur devient organisateur, rél'orrnateur par conséquent, presque inconsciemrnent et pres(lue malgré lrri. Ses r'élblmes sont des munitions improvisées, dont il charge ses canons, quancl le parc d'artillerie a été épuisé. J'insisterai plus tard sur ce point de vue, qui est capital pour I'intelligence de son æuvre. N'ayant aucune compétence en matière d'art militaire, je ne rne donrrelai pas le ridicule d'entreprenclre un talrleau cornplet ou uue critiquc raisonnée cles canrpagnes qrri, cle 1700 à 1721, orrt lait perdre ir la Suècle et gagner à la Russie lerrr situltion européenne. Aussi bien le cadre de cet ourlage ne s'y prêtcltrit pas. J'essayerai uniquernerrt de déga6er le sens historique des événernents, d'nilleurs tr'ès universellement connus, qui out marqué cette époque erl m'en servant pour

320

L'OEUVRE.

mieux mettre en lumière ce qui fait le seul objet de mon étude: la physionomie du grand honrme esquissée dans les pages précédentes et celle de son règne dont j'aborde maintenant I'examen. Il semble que ce soit à Vienne seulement, en 16g8, que Pierre ait conçu I'idée de s'attaqucr à la Suède. JusqueJà ses velléités guerrières avaient pris plutôt la direction du sud. Il en voulait toujours au Turc seul; mais à Vienne, I'Empereur dont il escomptait le concours s'est clérobé, et aussitôt I'esprit mobile du jeune Tsar a fait volte-face. Ne lui faut-il pas une guerre de toute facon et n'importe où pour employer sa jeune armée? Les convoitises et les instincts belliqueux de ses prédécesseurs ont d'ailleurs toujours oscillé et pivoté ainsi du sud au nord, sollicités tour à tour par la mer Noire, la Baltique ou les provinces limitrophes de Ia Pologne. Poussée cle croissance naturelle chez un peuple jeune et fbrt, bien inutilement idéalisée depuis et dogmatisée sous les apparences d'une æuvre d'unifcation. Tous les peuples, il est vrai, ont de tout temps prétendu ainsi à desreprises de patrimoine national aux frais de leurs voisins, et I'heureuse étoile de Pierre voulut qu'il restât encole à cet égard dans une certaine mesure de justice, de logique et de vérité. Absorbé et bientôt épuisé par I'effort immense que va exiger de lui Ia guere en6agée au nord, il négligera ou laissera péricliter au sud et même à I'ouest une bonne part du legs d'ambition conquérante r.ecueilli dans la succession d'Alexisl et, en restant sur les positions déjà conquises clu côté de la Pologne, en reculant du côté de la Turquie, il exercera arr noLd-ouest, en matièrc d,e reprises, la revendication relativement la plus justifiahle. Au nord-ouest, de I'embouchure de la Narva (ou Narova) ii celle de la Siestra, le littoral maritime arrosé par la Voksa, la Néva, la Ijora, la Louga, a fait réellement un joul partic inté5;rante du patrimoine russe; il a formé un des cinq arrondissements (piatinyl du territoire cle l[ovgorod ; il demeure couvert de villcs p<-rrtant rlcs norns slaves : Iioréla, Oriéchek, Ladoga. Koporié, Iamy, Ivangrocl . C'est en l6l6 seulement que le tsar

DE NARVA Â POI,TAVÂ.

321,

l{ichel Féodorovitch, aux prises avec Gustave-Adolphe, a difinitivement abandonné le rivage de la mer pour 6;alder Novgorod. Nlais I'espoir de regagner le terrain perdu est, resté si vivace dans Ie cæur cles siens, que sous le r'ègne d'Àlexis, après une tentative infructueuse du côté de la Litonie, le bo'iur Ordine-Nachtchokine s'est occupé , à liolieuhausen sur lt Dvina, de construire un certain nombre de bâtiments de Suerre destinés à la conquête de Riga (l). De ces précéclelts histoliques Pierre arlra urr sentiment confus, mais puissant. Il le prouve par Ia direction qu'il fait prendre à ses armées, après avoir jeté le gant à la Suède. Il s'égarera'ensuite en route,
cédera à des errtrainements irr'éfléchis, maisreviendra toujrlrrrs

au but indiqui par la tradition : I'accès à la mer, un port sur. la l3Lrltique, uneJenêtre outterle sur l'Europe. Son enLrevue à Rawa avec Auguste lI {ixe défirritivernent I'aimant dans sa boussole un moment désorientée . Les yacta conuenta signés par le roi de Pologne à son lvènement au trône I'obligent. lui aussi, à reverrdiquer contre Ia Suètle des ten'itoires ayant ancienrrentent appartenu à la Itépublique. ()n est à peu près sirr d'avoir le Danemark avee soi : le traité tle Roeskilde (1658) irnposé à Frédéric III pèse à ses successeurs, et le Holstein, proie olïerte âux convoitises après la mort de Christiarr-Albelt (1694), rnen&ce, depuis ce ternps, de mettre aux prises les voisins. Le Brandebourg s'annonce aussi colnrne rrn allié probableI en s'ttnissant avec la Frarrce de Louis XIV et de rnadame de Maintenon, la Suède a bien abarrdonné, au pro6t de la Prusse, son rôle historiclue en Allemague I rnais elle y a conservé pied ; elle y deureure une rivale, et à I(ærrii;sbetg déjà I'Élec'teur s'est off'er.t. Persorrnellement, d'ailleurs, Auguste exerce sur Pierre une séduction, clui proulerait à elle seule ce que I'apprenti charpentier a conservé encore de naïveté, d'inexpérience et de légèreté puérile dans son esprit à peirre dégrossi. Gland, beau, lbrt, adroit à tous les exercices du corps, chasseur, buveur et coureur de cotillons infatigable, (l) Vrr.srr:ur:rt,
1'rcicis d'une hisloire de la

flottc russe, t. I, p.7.
2L

422

I,'OEUVRE-

ce souverain royalement débauché lui plaît et lui impose. Facilement il lui accordera du 6énie par-dessus le marché, et inclinera à lier sa fortune à ln sierrne. Au bout de quatre jours passés à banqueter sans intelluption, ils ont partagé les dépouilles de Ia Suède et fait échange, en attendant, d'arnes e[ de vêtements. Le Tsar paraîtra, quelgrres sernaines plus tard, à I\Ioscou, poltant sur ses tlpaules la veste et à son côté l'épée du roi cle Pologne (l). On ne s'est pourtant arr:êté encore à aucun
plan déterminé d'alliance et de campagne I les deux amis et alliés futurs sont pour le moment trop occupés chez eux pour commencel de conrir des aventures au dehors. Ses Polonais ingouverni'rbles donnent de la tablature à Auguste, qui n'en a pas fini avec les paltisans du prince de 0onti, et Pierre a des têtes à couper : les Streltsy ont choisi ce moment pour se révolter. L'appel âux armes décisif ne vierrdla ni de I'un ni de I'autre I ni I'un ni I'autre n'aura le mérite de donner corps à la triple et quadruple coalition qui, à deux ans de là, dlcssera devunt

I'éprle de Charles XII -*on appareil lorrnidable. Ceci sera l'æuvre d'un Suédois, d'un sujet de la Suècle tout au moins. L'entrel'ue de llarva a eu lieu en août I en octobre 1698, Jean Reirrlrold PatLul entre en scène. Né vels l[i60 en prison (à la suile cle la livraison de Wolmar aux Polonais, son père était arr'êté à cette époque avec sâ mère et incarcér'é à Stockholm sous I'inculpation de haute traltison), ce gentilhomrne liyonien senrl-rle marrlué dès le berceau pour une tragique destinée. Esprit hardi et anrbitieux, nature ardente et passionnée, il a, du lcste, tous les l.rtits d'rur héros de drame. Une rivalité d'arnour I'a mis de bonrrc heure aux prises avec le Souverneur suédois de sa province. Helmersen. Peu de ternps après, sa rancune personnelle y aidant sans doute, il s'est I'ait le chumpion de I'aristocratie livorriertne coutrc les entreprises de Charlcs Xl. Il est <le ceux qrri habillcrrt leurs passions et se font illusion sur'la sincér'ité clu déûuiselnerlt. Poursuivi et condamné à mort par contunrace en 1090, il a cherché un refu6e eu

([)

Ousrnur,or, t.

III,

p. Û22.

DE NÂIiVA

A

POI,TAVÂ.

323

Suisseo à Prangins, d'ou Flernmin6, le ministre favori d'Augtrste, I'a attiré à \rarsovie. Il y est arrivé {rvec son plan de coalition tout dressé, mettant en ligne contre la Suède le I3ranrlcbourg, le Darreutarli, la Russie et la Pologne, et offrant à cette tlernière la Livonie pour llrix de son concours. La Rrrssie ilura sa part dans les autres plovinces du littoral, et le Livonien s'est aJrpliqué à circonscrire rninutieusement cette part. Il se défie et se défiera toujours de cette alliée, recomnandant n de bien lui lier les mains pour qu'elle ne dévore pas Ie morceau cuit pal nous (l) , . Auguste se laisse aisémerrt entraîner; Frédéric I\r de Danemark, les veux fixés sur le Holstein, n'attend qu'un encouragement I on achète le primat de Pologne, Radziejorvski, avec cent mille ducats, et le plat est mis en feu. Un article secret clu traité, signel llar Patkul alI nom de la noblesse de son pays, garantit à Auguste et à ses hér'itiers la possession de la Livonie, mérne pour le cas où ils cesseraient de régner en Pologne. Radziejowski ne voit pas cet atticle (2). Le général saxon Karlowicz est envoyé à Moscou pour lier partie définitivement avec Ie Tsai, et Patkul I'accomprrgne sous un faux nom. Ils se rencontrent avec les arnbassadeurs du nouveau roi de Suède, Charles XII, gui sont venus demander la confirrnation de la paix de Iialdis (1660). l)ierre a fait bon accueil à ces derniers, laissant cependant enterrdre quelques plaintes, formulées officiellement pour la première fois, au sujet de mauvais traitements infligés à ses arnbassadcurs lors de leur passase à lliga. Il en est évidemment ii chercher un prétexte cle rupture, et n'attend plus pour lever le nlasque que de s'être mis à couyert du côté de la Turquie. Signé le 26 janvier 1699, en dépit des efforts de I'envoyé f'r'ancais Ohateuuneuf, Ie traité de Iiarlowitz, en réconciliant la Porte avec I'Empire et la Pologne, n'a abouti, pour ltr Ilussie, qu'à un alrnisticc de deux ans. {Jn plénipotentiaile du Tsar, Oukrnintsof, est chargé d'en poursuivre à Constantinople la

(L) Patkuls Bericlûe, Berlin, 18,r2. Brn:our,r.ro ùIénoires 7 avril [699. (2) Szursxr, Histoite de lologne, t. I\', p. lû9.

du

1""

janvier

et

32b

L'OEUVnE.

conyersion en une paix dé{initive. Le I I novembre lGO$, confiant dans le résultat de cette négociation, Pierre attire les ministres de Pologne et de Danemark dans sa petite maison tle Préoblajenskoïe et y signe avec eux un traité secret d'alliance offensive et défensive, Auguste n'y figulant, d'ailleurs, que comme É,lecteur de Saxe I rnais il continue à caresser les Suédois. Oukraïntsof tarde à en finir. Au commencement de 1700, fidèles aux en{ïâSements qu'ils viennent de prendre, Àuguste et Frédéric entrent en campagnel Pierre, si engagé qu'il soit à en faire autant, ne s'en émeut pas, ne bouge pas. Frédéric est battu, menacé dans sa capitale : tant pis pour ltri. Auguste, après avoir enlevé Dûnamùnde, échoue devant Riga : tirnt mieux; Riga sera pour les Russes. {Jn autre général saxon, Laugen, accourt à Moscou : le Tsar écoute paisiblement ses récriminations ; il agira dès que les nouvelles de Constautinople I'auront permis. Les négociations sont en bonne voie, et il se mettra prochainement en mesure d'attaquer les Suédois du côté de Pskof, ainsi qu'il I'a promis. Patkul a beaucoup insisté sur ce dernier point, et Pierre s'est gardé de le contredire. C'est entendu : il ne touchera pas à la Livonie (l). Iirrfrn, le 8 aoùt 1700, un courrier d'Ouhraintsof arrive avec la dépéche désirée : la paix est siguée, et, ce rnéme jour, les troupes du Tsat reçoivent leur ordre de malche. Seulernent, ce n'est pas du côté de Pskof qu'il les dirige ; elles vorrt sur Narva, droit au cæur du pays livonien ! Dans son manifeste de guerre, Pierre s'étentl avec urre impudence superbe sur les griefs dont son passase à Riga l'a armé. l'rois semaines plus tard, son envoyé en Hollande, SIatviéief, qui n'aura pas eu le temps d'être averti, continuera encore à donner aux Étatr généraux I'assulance rlue Ie Tsar ne songe pas à rnettre l'épée à la main pour tirel vengeance des avanies infligées à ses antbassadeurs (2). ll se trouve main1l) Ousrnrrror, t. III, p. 375-377 t Van rler llulst, résideut de I{ollauile à Itroscou, au greffier des Etats généraur, 3 aotit-7 septerlbre f700. (Archiver tle la Flale.) (2) )Iémoires du 2 septenbre :1700. (Ârchises de la t{aye.)

DE NARVA À POI,TAVA.

3I5

tenant que le Tsar lui-mêrne a été insulté, en dépit de son incognito, et le Tsar se met en campagne pour venger les injures de Pierre Itfibailof ! L'armée clestinée à mettre le siège devant Narva comprend tlois divisions de formation nouvelle sous les ordres des généraux Golovine, Weyde et Repnine, avec 10,500 Cosaques et tluelques troupes irrégulières : 63,520 hommes en tout. La division de Repnine, 10,834 hommes, et les Cosaques de la Petite-Rrrssie restent en route, ce qui réduit I'effectif disponible à 110,000 homrnes environ (l). Mais Charles XII ne porrrra, de son côté, amener avec Iui au secours de la ville que 5,300 honrmes d'infanterie et 3,130 chevaux. Encore, obligée de traverser, depuis Wesernberg jusqu'rru la cavalerie de Chérérnétief se sera avancée, un pays <:omplèternent devasté, séparée de son camp eu colonne lolante et portant sur elle par conséquent ses vivres et ses munitions, cette troupe, mise après une suite de marches forcées en présence d'un ennemi cinq fois supérieur en nombre, se trouvera dans un état
d'épuisement complet (2).

Piene ne s'attenclait pas à trouver le roi de Suède en Livonie. Il le ju5;eait suffisamment occupé ailletrrs par le roi
cle Danemark; il iguorait la paix de Travendal, déjà imposée à cet allié, signée le jour méme où I'armée russe s'est mise en mouvement. ll est parti gaiernent à la tête de sa compagnie de bonrbardiers, comptant sur un succès facile. En arrivant devant la ville le 23 septembre, il est tout surpris de voir qu'elle thit mine de se déferrdre sérieusernent. C'est un siège en règle qui s'annonce, et quand, après un mois de pr'éparatifs, ses batteries ouvrent enfin le feu, l'effet en est nul. Les pièces sont mauvaises et erlcore plus rnal serlies. Un second mois se passe dans l'attente d'un événement ht'ureux : offre de capitulation, arrivée de Repnine. Ce qui arrive, dans la nuit du l7 au 18 novembre, c'est la nouvelle que le roi de Suède sera là dans vin6t-quatre heures.

(l)

(2) H.rssnr,

Or:srnr,rr.on, t. IY, p. 9. Geschichte der Sta(!t .Itu u,e,

I)orpat, t8i8, p.

{ll.

39ii

L'OE UV RE.

Cette nuit mérne, Pierre quilte son cûmP, abandonnant le comrnandement au prince tle Croy. Des arguruents invoqués par le sourerair, f,u par ses apolo_ 6istes pour justifier cette désertion sans exemple, pas un, rne

semble-t-il, ne tient debout. Nécessité d'u'e entrevue avec le roi de Pologne, désir de hâter la marche de llep'ine, torrt
cela est piteux. char8és par Auguste de suivre les oPératiorr"

militaires en Livonie, les 6énéraux Langen et Hallart expliqueront gravement, da's leurs rapports, que le Tsar a d* aller à Nloscou pour .ecevoir I'envoyé turc, qui doit arriverdans quatre mois ! L'envoyé de I'Empere'r,-pleyer, estplus sérieux e. disant que le souverain a obéi aux instances de ses conscillers, qui ont jugé qu'il y avait trop de danger pour lui à rester (1). Et, e'parlant de ces conseillers, mi'istres et géné_ raux, Hallart lui-méme ne se gêne pas pour déclarer d,r,rs som rude langa6e de soldat u gu'ils ont autant de cæur qu une grenouille de poil auventre (2) ,. Déconcertée par la résist:rnce inattendue Xu'on lui a opposée, mal outillée pour la vaincle, mal commanclée, mal carnpée et mal nourrie, l'armée russe se trouvait, à ce moment, dans un état de démoralisation très avancé. L'arrivée de Charles y a mis la panique, et le moral de Pierre, si impressionnable, s'e'est ressenti. L'instructio. qu'il laisse au prince de Crov indique su(fisamment le désordre de son esprit. Il y met deux recomrnandations : I'une, d'attend'e, po'r tenter un assaut, I'arrivée des mu'itio's d'ar.tillerie qui font défaut I I'trutre, d'essryer de prendre Ja ville aucnl L'aniuée du roi de Suède, sur la marche duquel il sait à guoi s'en teuir, puisqu'elle Ie fait fuir (:)) ! Comme général, Ie prince Cbarles-Eugène de Croy n'est pas Ie premier venu. Ayant servi quinze années dans les armées tle I'Empereur, gagné Ie grade de lieutenant-feld-maréchal sous les ordres de Charles de Lorraine, pris part, eu 1 6g3, à la déli'rance de Vienne -"ous Sobieski, il a de I'expérience et de
(l) Olsrnrnor, t. IV, p. 3!. (2) Hilnnunrx, Geschichte Rtrslands, t. IV, p. l16,
P.

(3) Ocsrrrrrr.er, t. I\',

)lj,

DE NARVA

A POLT,{VÀ.

327

I'autorité; mais il vient d'arriver au carnp russe avec ulle
nrission du roi de Pologrre; il ne sait rien de I'armée qu'on Iui rnet entre les rnains; il n'en cortrtait pas les chefs; il rre parle

pas leur la,ngue. D'avoir accepté ce comtuandement est la seule faute que I'on puisse mettre à sa charge ; il I'expiera en mourant deu-x années plus tard à Revel, captif et dénué de
tout.

La foudroyante rapidité avec lnqrrelle Charles s'est débarrassé sous les mrrrs de Copenhague rlu plus faible de ses trois adtersair'es, aurait rnoins surptis l)ierre, si le jeune souvclain s"était nrieux rendu cornpte cles conditions duns lesquelles lui et ses alliés ont engagé une lutte si disproportionnée en apparence, à leur avantage. I-e roi Fréderic a compté sans lespuissances garantes du récerrt traité d'Altona, qui a mis le Holstein à courert, sans les troupes du Lunebourg et du llanovre, qui ont aussitôt secouru Tænin6en, sans la flotte tnglo-hollundaise, qui, en forçant la sienne à se mettre à I'abri sous les nrurs de Copenhague, a permis au roi de Suètle de traverser

trunrltrillement le Zund et de débarquer ert Zélande. ll a compté aussi, et de cela on petrt I'absoudre, sans cette révélation qui bientôt va remplir l'-Europe entière d'étorrnernent et d'elfroi : la forturre et le g-éuie militaire de Charles XII ! Né en tG82, dix années après Pierre, tueul d'ours à seize ans, soldat à dix-liuit, éperdu de gloile, de conrbat et de carnage, Charles est le dernier représentant de cette race d'hommes qui, du scizièrne au dix-selitième siècle, ont tenu I'Errrope centrale clans leur étreinte de fer I troupe farouche de batailleurs ayant mis I'Allemagne et l'Italie à feu et à sang, trainé Ieur sabre de ville en ville et de hrrmeau en hameau, conrbattu sans tr'éve ni merci, vécu pour la guerre et de la Suerre, vieilli et expiré sous le harnais dans une atmosphère rie massacre, le corps criblé de blessures, les mains souillées de [orfaits abominables, I'àme haute pourtant et sereine. Au seuil d'urre époclue nouvelle, il incarne encol'e et magnifie superbenrent I'autre, qui, pour le bonheur de I'humanité, disparaitra arec lui. Le comte de Guiscard, qui le suitdrnscette

328

I,'OE UV R E.

première camplgne en qualité d'envoyé du roi rle l.-rance, en fait ce portrait : u Le roi de Suède est de belle taille, plus grand que moi n de presque toute la téte. Il a la physionomie très belle, de u beaux yeux, un beau teint, le visa8e long et un parler un ( peu gras. Il polte une petite perruque, dont les cheveux u sont noués par clerlière dans une bourse. Il n'a qu'un col u de cravate, un justaucorps fort étroit de drap tout uni, les o manches étloites comrne celles de nos vestes, un petit ceint, turon dessus son justaucorps, avec une épée d'uue longueur s et d'une Brosseur extraordinaires, et des souliers quasi tout r plats, ce gui fait un hal,rillement fort J.rizarre pourun prince u de son âge (l). u Description trop sommaire et trop extérieure. Celle de I'envové anglais Stepner., que je relève à quelques anrrées de k\. paraîtra lllus expressive : u C'est un grarrd u et bien fait monarqne, mais assez ntall,ropre. Les manières a sont plus nrst.iques qu'on ne saurait I'irnaginer dans un u jerrne homnre. Afin que I'extérieur de ses quartiers n'en s démentit I'iutérieur, il a choisi le lieu le plus sale de la u Saxe et une des pltrs tnstes maisons. L'enclroit le plus ( propre et net est la cour devant la maison, ou chacun doit s rnettre pied à terre en clescendant cle cheval où I'on s'enu fonce dans la boue jusqu'aux genoux. C'est là où sont ses ( prol)res chelaux, qui à peiue ont des licous avec des sacs s au lieu de couver"tures de cheval et sans râtelier ou crèche. u lls ont le poil hérissé, Ie ventre rond, la croupe large et les ( queues mal entretellues avec le crin inégal. L'écuyer qui en u a le soin ne 1-rarait pas mieux couvert ni mieux nourri que u les chevaux. ll y en â un de ceux-ci toujours sellé pour le ( n)onalque, qui saute dessus et coult constamment tout seul ( et fiùlope avtnt qn'aucun autre Puisse le suivre. Il fnit paru fois dix ou douze milles d'Allemagne en ull jour, qui sont c quarante-huit ou cinquante rnilles cl'Angleterre, et cela r, même en hiver, se crottant avec tle Ia boue comûre un pos(t)
I)épècLe du L9 août 1699,

(,\ff. étr. tle France.

-

Suède.)

DE NARvA A POI,TAVA.

329

est bleu, avecdes boutons de cuivre jatrrre, justaucorps renversés par devant et llar' derrière u les bouts drr ( pour rnotttrer sa reste et ses culottes de pearr qui sou\'ent r sont fort grasses... Il porte un crèpe noir pour cl'avate'

r tillon. Son lrabit

mais le collet cle son surtout boutonné si haut qu'on ne n peut pas savoir s'il y en â uû. Lit chemise et ses poignets tr sont olclinairelrrent fort salesr et il ne polte ni mancbettes u ni gants qu'à cheval. Ses mains sont cle la nlême couleur ( qrre ses poignets, de solte qu'à peine peut-on les distinguer. u Ses cheveux sottt tl'un brtru clair, fort gras et courts, et il ( ne le,s peigne jarnais qu'avcc les doiS-ts. Il s'assied sans la u moindre cér'émonie sur quelclue chaise qu'il trouve dans la u cltarnbre à dîner... Il nralrge vite, ne reste jamais à table ( après un quart d'heute et ne tlit pas un rnot pendarrt le ,r lcpas... La petite bière est sa seule liquetrt'... Il rr'a poirrt " de tlrap ni de ciel de lit ; le rtrême matelas c1u'il a dessotrs u lui sert de couverture, le tournant <lessrrs lui... Il a à côté u de son lit une fort belle bible dorée, tlui est la seule chose ( qui ait qrrelque apparence dans son équipage (l). " La silhouette, cette fois, se dessine bien, sau't'age, austère et forruirlable. Le débrlquement en Zélantle a été un coup d'audace juvénile, et Guiscard, tout en jrrgeant l'entreprise téntér'aire, rr'en a pas détourné le monarquer se jetant même à I'eau avec lui pour alrordcr plus rapitlemertt la côte : Votrc Xlajesté ne voudra pas (lue je qrritte sa cour à son plrrs bean jour ! Lir descente en Livonie, ori le mauvais ternps a empêché tle conduire une ptrrtie des réginents, passe aux yeux même cle I'intrépicle diplomate poul un trait de folie. u Il est fort ,, à craindre que le Roi n'v survive pâs r , écrit-il (2). Pour arriver sous Narva ayec ses lruit mille hommes, [lharles doit, après avoir traversé un désert, fi'anchir, à Pyha'ioggi , ttne vallée étroite coupée par un ruisseau, r1ui, si elle est fortifiée. (() l,rrrrnnrv. llI'imoit es,la llavc. t721" t IY. p. .138. (2) 2 n,rverllrre 170t), de Rcvel. (.\ff. tltr de l"rance. Suède.\

r

330

L'OETTV

ItE.

l'arr'étera net. Gorclon y songe. Pierre ne l'écoute pas, et au delnier rnornent seulernent y envoie Chérérnétief, qui trouve les Suéclois débouchant dans la vallée, reçoit quelques volées

de mitraille et se replie en désordre. La folie tr triomphé. l\Inis Charles, en avançant, continue à jouer glos jeu. Les soldats sont exténués ; les chevaux n'ont pas mangé depuis deux jours (l). Itien ne I'arrête. Le voici devant l{alva. A peine arrivé, il forme ses Suédois cn colonles d'uttatlue, conduit lui-même une des colonnes, est favorisé pal une bourrasllue qui jette des pacluets de neige clans les yeux de ses aclversaires, pénètre dans leur camp et s'en trouve maitre au bout d'une demi-heure. Les deux ré6,irnents de garde y font seuls quelque résistance. Le reste fuit, ou se laisse prendre. Qrrelques Russes se noient dlns la Narva. * S'il y avait eu de t la glace sur le fleuye, dira Char'les avec hunreur, je ne sais u si nous aurions réussi à tuer un seul houtttle. o Le désastre est courplet. Plus d'armée, plus d'artillerie et même plus cl'honneur et plus de sortlerain. L'honneur cloule au rnilieu cles huées rle I'Europe qui raluent cette défaite sans combtrt, et le sou'r'eruin a fui ! I'r'ojets de conquéte, rêves d'e-rpansion européenne et cle navigation sut' les mers du Nord, idées de gloire et de mission civilisatrice, tout s'évanouit, tout s'efforrdre autour de Pierre. Et il s'al{aisse luirnêrne sous ces ruines accumulées. ll continue à fuir. Les Suédois ne sont-ils pas à ses trousses ? Il pleure et il veut traiter; traiter sur-le-champ à n'importe quel prix ! Il adresse des appels éplorés aux États généraux de Hollande, à I'Angleterre, à I'Empereur, sollicitunt leur médiation (2). Ilais qu'il est prompt à se ressaisir ! Il relève la tête, et, à travers le brouillard doré que son éducation incomplète, son infatuation de souverain semi-oriental encore, sort ine-xpérience, ontmis devant ses yeux, il voit, dans la déchirure de cette grande catastroplte et de cette terlible leçon, il touclie
t, IY, p. l8l.

(l) S.rnrurv, Die Feld;iige Karls XII, Leipzig: 1881, p. 551 Ot'srntrror, (!) Or:srrrrlon, t. IV,
p. 7?.

DE enfin

N

{ttv,\ a

I'or.T

\vÀ.

331

la réalité. I[ r'oit ce rJu'il a ii faire pour devenir ce Non plus jotrer au solclat ou au matelot, s'offrir la cométlie de la puissalce et de ln gloire et s'y douner en spectacle, et courir tlevant soi à I'aventule et prétcndre ne compter ni avec I'espace ni avec le tenrps ; mais travailler pour de borr, marcher pas à pas, ûtesur.er I'ef'folt de chaque iour, calculer la besogne de cbaque lentlemirirr, larsser rnirrir le {i'uit avant rl'étentlre la main pour Ie cueillir, étle patient, attendre, pelsévérer ! Il fera tout cela, et il trouvera en luinrêrne et au d.hols de lui deqrroi exécuter ce programme. La lace fbrte, dure à la souffrance et à Ia peirle, dont il est, four-

- être. qu'il veut

nila avec lui le nécessair.e, le fonds inépuisable de dévouements

à toute épreuve, de sacr.ifices dépensés sans compter. Après dix arrndes anéanties, il en mettra en ligne dix autres. A quel prix , n'importe ! Son peuple Ie suivra et s'irnmolern à ses côtés jusqu'au derniel homnre, jusqu'au derniel morceau de pain arraché aux bouches afftrrnées. Avant un rnois le {:uyard de Nan'a alrpar(ierrrlrrr à uu passé dispar.u, oublié, presrlne inuarsenrblal-rle. Le futur vainqueur de P<.,ltava a paru.

II
De I'armée mise en campa{îne, il lui reste environ vir-rgttrois nrille homrnes : le corps de Chérémétief, dont la cavalerie a pu s'écbapper, la division de fleprrine. Il orrlonne de nouvelles levées. Poul retr<-ruver des cantlus, il plend ies cloches des églises (l). Le clcr.gé a beau criel au sacri [è1;e ! ll n'y a plus en lui trace de faiblesse. Il cornnranrle ; il agit ; il va et lient, secouant les uns, redressant les autres, cornlnunirlrrant à tous un peu de son énelgie retrenrpée tlans le nralheur. Il cherche aussi, trop h<lrnme de Byzance toujouls pour y re-

(l)

Sor.ovrrr. t.

LI\'. p

317

232

L'OEUV RE.

noncer, à donner le charrge à I'opinion publique. llavtiéief sera chargé d'arranger à sa façonr pour les lecteurs cle la Gazette de HolLande et ceux des mémoires qu'il adresse aux États 5;énéraux, la bataille de Nalva et ses conséquences. Entourés dans le carnp russe par des forces supérieures, les Suéclois ont été umenés à capituler i {uelques officiers russes ont voulu alors 1,rrésenter leurs hommages au roi cle Suède, qui en a traîtreusement profité pour s'emptrer de leurs per,sonr)es (t). L'Europe ne fera qu'en rire ; mais cette prétendue capitulationr ![ue les Suédois sont accusés d'avoir violée, servira plus tard de prétexte à Pierre pour en violer d'autres, consenties par lui-mème (2). A Vienne, le cornte l(aunitz sourit aussi en eutendant le prince Galitsine lui expliquer {lue ( le Tsar n'a pas besoin de prour-er sa gloire nrilitaire par des victoires u ; mais, interlogé par le rice-chancelier sur les conditions que son nraitre voudrait obtenir de son adversaire victorieux, le diplomate russe n'hésite pas à réclamer la plus grande partie de la Livonie, avec Nar,va, Ivangrod, liolyvan, Iioporié, Derpt (3), et I'avenir prouvera qu'il ne clemande pas trop ! L'avenir rre tarde pas méme beaucoup à récornpenser un si beau courage. Pour commencer, Charles XII a renoncé à poursuivre irrrmédiatenrent elr llussie I'avirntage obtenu. Pierle I'a vu avec délices s'enfoncer dans les plaines de la Polo6ne. La détermination du roi de Suède, contraire, dit-on, à I'avis de ses génératrx, a été vivement critiquée. Guiscrrd la trouvait parfaitement justifiée, en tant que le Roi ne s'était pas encol'e délrarrassé d'Auguste, au molell d'une paix que celui-ci se rnontrait l.out clisposé à négocier par I'entremise de Guiscarrl lui-ruême. trlais à cet égartl Chnrles derneurait sourd aux lernontrânces et aux supplications du cliplomate f:rançais. I'ourquoi ? u ll craignait de nranquer d'ennemis , , répond Guiscard(a). Et, conrme il ne pouvait s'avancer en Russie en tour(!,) L.sronnrv, t. I, p. 963. (2) Ib;d., t. VI, p. 2{i8. (4) Dépêr:he du l'" juin 1701. (Àff. étr
(B) On.srnr.rror', t.

lv,

p.

8&.

de France.

-

Suèile.)

DE NARVÀ A
ûant le dos

POI,TA\'Â.

333

Saxous et aux Polonais, il a voulu d'aborrl' et il a eu laison sans doute, assurer de ce côté sa ligne de tetlaite et ses voies de commuttication. Il rafrfermissait ainsi lui-rnérne et cimentait à nouveau une alliance que les détaites commulles avaient déjà ébraulée. Repoussé par lui, Auguste se rejette dans les bras de Pierre, et en février 1 70 1 le château de Birzé, ploche de Dùnubourg, voit le 'fsar et le roi de Pologne réunis pouf un

lux

nouveau pacte, qui scellera leur commune destinée. Propriété de la jeune femme du comte palatin de Neubourg, née princesse lladziwill, ce château, aujourd'hui en ruine, est

à ce nroment encore une très opulente demeure. Les deux alliés commencent par y renou't'eler les plaisirs de Rarva. Battu dans la journée comme artilletrr'(v. plus haut, p. 88), Pierre prend sa revanche au banquet du soir : Auguste s'y enivre tellement qu'il n'y a pas mo)'en de le réveiller le lendernain et rle le ntettre sur pied à I'heure de la messe. Pierre v ya seul. Il assiste avec recueillernent 3u sslviçs- catholirlue sf s'infsçtns, comtrre de raison, puisqu'on est en Pologne
trouve d'ailleurs nloven de causer politique même à table, tout en continuant le concours d'adresse et de force inaui;uré par le tir à la cible. S'apercevant qu'une assiette d'argent qu'il a devant lui n'est pas proPre, Augusl.e la jette derrièr'e lui, après I'avoir roulée dans ses doigts cornrne une feuille de papier'. Pierre l'imitant aussitôt, tout le service rnenace d'y passer I rnais le Tsar s'arrête Ie ptemier sur cette réflexion qu'il firudrait songer à en laire autant avec l'épée du roi de Suède (l), et le quatrième jour il finit par eutrer el rvratière avec le vice-chaucelier de Pologne, Szczulia, au sujet de la coopération de la République dals la campagne f'uture. Orr rre s'entend pas sur les conditions, et la Républirlue reste horr cle cause ; mais I'alliance personnelle des deux souverains est confirmée le 26 février.
1l) Nrnror, ,5'ouuelir, p. 26.
avec sa curiosité ordinaire, des détails liturgiques. Puis, Auguste ayantcuvé son vin, I'orgie recommence et dure tlois jours. On

-

33!(

L'OEUYRE.

L'année I70l sera encol"e tltrre pout' Pierre. La jonction opérée entre son armée, rernise tant bien que rnal srrr pied, et I'armée saxonne d'Arrguste n'aborrtit qrr'à une cléfaite commune et complète sous les murs de Itiga(3 juillet). En juin, le l(r'eml de }loscou brirle. Les bureaux (prikazes) ayec lèurs archives, les rnal;asins d'approvisionnement, les palais deviennent la proie des flarnrnes. Les cloches tombent de la tour d'lvtrn Ie Grand; la plus Srosse, pesant 128,000 kilos, se brise dans la chute (t). Nlais, au cæur de I'hiver, Chérémétief réussit à surprendre Schlippenbach avec des forces supér'ieures et le bat à Erestfer (29 décembre). On imagine I'allégresse de Pierre et la déhauche de manifestations triomphales à laquelle il se livre. Et il ne se contentera pas d'exhiber à Moscort, au milieu d'une pornpe renouvelée des Romains, les rares prisonniers suédois qui lui sont tombés entre les mains. Son esprit utilitaire le pousse encore à en tirer un autre parti, et Corndlius de Bruyn, qui a eu le tenrps de se familiariser avec les rnæurs tlu pays, raconte tranquillement qu'après avoir vendu les captifs à trois et quatre florins par téte, on erl a élevé le prix jusqu'à vingt et trente florins. Les étrangers eux-mêmes se sont décidés à en acheter et font concurrence sur le marché (2). Le l8 juillet 1702, nouvelle victoire de Chérérnétief sur Sclrlippenbach. Trente mille Russes ont eu raison de huit rnille Suédois. t,e bulletin publié par Pierre veut que cinq mille cinq cents de ces derniers soient restés sur le chanrp de bataille, Chérclmétief n'a1'ant perdu que quatre cents hommes (3). Ce rapport met aussi I'Europe en gaieté, mais les Livoniens ont cessé de rire. Volmar et n[arienbourg tombent aux mains du vainqueur, qui ravage horriblement la contrée. Les Russes n'ont pas encore appris à faire autrement la guerre, et Pierre sarrs doute n'en est pas venu à imaginer que cette contrée tloive un jour étre sienne. II est, du leste, absolbé aiileurs. Ses anciennes préoccupations et ses anciens travers d'esprit

(l)

Ousrnur,or, t. IV, p. 99. 12) l'o1,ager, Amsterdarn, {718, (:l) So"ovrr.r, t. XIV, p. 34ô.

t. I, p. 52.

DE

N..

IRYÀ A POLTA\-A.

335

ont momentarrément pris le <lcssus, et il laisse pareillenrent Aprir-rine stlvir.en Inglie, sur les lrords rle la Néva, à la place nrcrne où sera sa I'utule capitale, pendant qu'il poursuit à
Alharrgel Ia construction de quelqr.res méchantes balques. En
septembre seulement, clrassé pal les glaces qui déjà envahisserrt le port septentrional, il reviendra à I'ouest et y letrouvera sa toie Le voici sur le lac de Ladogn. Il y ayrpelle à lui Chéré-

mritief, et le but qu'il va poursuilre mainterrant pendant de lorr6ues années se fixe enfin dans sa mouvante pensée : il met le sicge der.ant Notebourg, où il ne trouve qu'une garnison de qrratre cent cinquante hommes, et, le ll décembre t702, il rebaptise la pe(ite lbrteresse, qui a capitrl6, d'trn nom noltveau et symbolique : Schlùsselbourg, clef de la mer! La prise de Niensclrantz, à I'embouclnu'e nrême de la Nér,a, suit, en avril 1703. C'est un succès personnel pourle capitaine de bombardiers, Pierre [filrailof, qui y a fait jouer ses batteries. Le mois d'après, I'artilleur redeviendra marin et donnera à la Russie sa première victoire navalc : les deux régimerrts de garde, embarqués sur une trentaine dc r:haloupes, entourent deux petits bàtinrents suédois qui, ignorant Ia capture de Nienschantz, se sont aventrlrés dans sorr voisinage, les prennent et é6orgenl les équipages. Une joie folle, enfantine, se traduit duns les lettres adressées par le vainqueur à ses amis (l). Et on ne peut nier qu'il ait raison de se réjouir : il a reconquis I'estuaire historique qui, au neuvième siècle, a donné passage aux premiers War.e6s en route vers Ie sud, vers le ciel de la Gr'èce, et, le l6 mai) sur un des îlots voisins, des maisons de bois s'élèvent, qui se multiplieront, se transforrneront en palais et s'appelleront : Pétersbourg ! Charlcs XII ne s'est grrère inquiété de ces conquétes et de ces créations. * Qu'il fbnde des villes, nous en aurons davantage à prerrdre. , l)ierre et sorr armée n'ont e1 et n'auront arnsi af1âile de ce côté qu'à de petits clétachements, épars et conlrne sac|ifiés d'irvance. Ils en profitent pour pousser leurs
(1,) Sor,orrr,r,

t. XIV, p.

Str?.

336

L'OEUV RE.

ûïantages, s'étendant et se fortifiatrt aussi bien en tngrre r1u'en

Livonie. Iin juillet 1704, Pierre assisl.e à la plise de Derpt; en aoùt, il plend sa revauclte de Narva en ernportant la ville après un assaut meurtlier, et déjà, en novetnbre 1703, à I'embouchure de la Néva, un hôte impatiemrnerlt attendu a paru: un bâtiment de commerce étranger, avec url chargernerlt d'eau-de-vie et de sel. Le gouverneur de Piterbwg, [Ienchikof, a oflert au capitaine un banquet et un présent de cinq cerrts florius. trente écus à chacun des matelots (l). Charles XII s'attarde en Pologne, oti par contre les affaires vontde rnal en pis pour Auguste. Une diète réunie en février 1704 à Varsovie a proclamé sa déchéance. Après Ia cantlitlature de Jacques Sollieski, écartée Par un guet-apens darrs lequelle roi détrôné a faittomberle fils dulibér'ateur de Yienrre, Charles a fuit prévaloir celle de Stanislas Leszczynski. Il est le maitre. Et s'il ne s'occupe pas Pour le moment de la liussie et de son souverain, celui-ci comrnence à s'inquiéter des conséqueuces que cette prise de possession en Pologne et en Saxe pourra avoir pour lui. Évidemment 0harles finira par revenir sur ses pas, et utle rencontre de Chérénrétielj avec T,orvenhaupt à Hemauerthorf, en Courlarrde (15 juittet 1705), rnet en évidence ce fait que, sauf le cas d'une disproportion énorme des lbrces engagées de purt e[ d'atrtre, I'armée russe est encole hols d'état de suppolter le choc d'une troupe suédoise bien commandée. lllessé glièvernent lui-nréme, Chérérnétief laisse cette fois sur le carreau toute son infarrterie (2). Que lâire alors? Travailler encore' accroitre ses ressources et son expérience; les Chérémétief se morttrartt atr-dessous tle leur tâche, demander à l'étranger des générattr, des instructeurs, des techniciens; puis patienter toujours, estlrtivet'totrte rent'ontre hasaldeuse; essaYer aussi d'obtenir la paix elr 8ardant une part du terrain conquisl rté6<-'c'ier. Les années 17051707 sont remplies pour Pierre : au dedans Pal' urr imrnense
i2, Ao""o.o"u, Ilist. nrilitaire de Clrurles X//- Paris, 17!41 , t' II, p' 522; ûrornt,lt-oF, t. lV' p. 876.
(L\
Ga:ette dc )foscott, 15 décernbre l'70i].

DE NARVÀ

A POI,TAVÂ.

337

effort d'organisation militaire et énonomique, au dehors par
une campagne diplornatique ardemment poursuivie aux quatre

coins de I'Europe. Je reviendrai sur la première partie de ce rude labeur; je n'ai que quelques mots à dire ici de la
seconde.

III
La tâche de Ia diplomatie russe demeurait fort ingrate encore à ce nroment. I,es cabinets européens en étaient toujours au point où les avait mis en l T00 la honteuse défuite de Narva.

A Vienne, le prince Pierre Galitsine, abreuvé de dégoùts, demantlait son rappel comme une délivrance. Matviéief, qui criait misère à la Haye, n'ayant que deux mille roubles pax an pour y fàire figure d'ambassadeur, était chargé de négocier un emprunt en échange d'un corps d'armée contre la France. On lui demandait si les troupes qu'il avait à ofirir o étaient celles qui avaient fait capituler le roi de Suède , . Les Hollandais, gens pratiques et avisés, vol,aient d'ailleurs d'un mauvais æil les nouveaux établissernents de la Russie sur la Baltique. En 1705, Matviéief risquait un voyage à Paris, où Ie Tsar n'avait, depuis 1703, qu'un résident sans caractère, postnikof. Il avouait nalvement qu'on ne le prenait pas au sérieux (l). Dimitri Galitsine poursuivait depuis l70l à Constantinople Ia confirmation du traité négocié par Ouklalntsof, réclamant en surplus Ia libre navigation de la mer Noire. Hélas ! les Turcs ne voulaient méme pas admettre I'arrivée des envoyés russes à Stamboul par la voie d'eau, leur eaul Ils acceptaient pourtant, pour la première fois, la permanence d'un ministre russe à Andrinople I mais Pierre TolstoÏ, appelé à occuper le poste, essayait en vain de les engager à une diversion du côté
(1.) Sorovrrr,

t. XY, p. 4&'60.
22

388

I,'OEÛYRE.

de I'Allernagne. Du moins Pierre sùreté de ce côté.

était-il momentanérnent

en

A la fin de t705, il songeait à conqrrérir le troisièrne allié, dont Patkul avait fait état pour lui dans ses combinaisous. Et il envoyait le Livonien à Berlin. La poésie s'est emparée de ce personnage énigrnatique et troublant; une tragédie de Gutzkow a fait cle ceLandjunker un charnpion héroï,1ue de la nationalité lettonne; l'histoire ne nre paraît pas avoir réussi encore à lui rendre justice entrère (l). A son entt'ée en scène, Fatkul apparaît bien comme le défcnseur des droits de son pays, ou du moins des droits dc'sa caste, contre les entreprises de Charles XI l rnars il a I'air dé;à de jouer un rôle plutôt que de remplir un mandat. On ne voit pas les tnandants. Il truite llien avec Au5,uste iltl nom de la noblesse livonieune, mais son plein pouvoir rre semble pas très ré6ulier, et dans son exil il reste isolé. A I'apogée de sa conrte liirtune politit;ue, il 6ardera tous les dehors d'un aventurier. Une fatalite pèse d'ailleurs surson entreprise : l'ap'pel à la Pologne faisait paltie de la tradition de son pays; mais en l'état présent de la République, divisée, déchirée en [arnbeaux par les factions contt'aires, on ne pouvait art'iver à elle qu'en passant par le chef qu'elle venait de se donner, et ce chef était I'hornrne le plus vil peut-être, sous des dehors séduisants, le plus corrotllPu de toute I'liurope. Le moral de Patliul, qui n'est pa" d'rtne trelnpe sullérieure, ne devait pas résister à ce corrtact, et sa missiou s'en ressentira aussi, défigurée bientôt et dégradée. Le patliote deviendt'a urr vulgaire intrigant, et ia défense tle la Livonie aboutira entre ses mains au plus otlieux trafic des intérêts vitaux du pays.
(t) Voy. cep. Fônsten, Die Hofe und,Cabtnette -Etu"opa's, vol. III, et I.rnocuàwsxr,"Poriuls Au\gang (Neues Archiw fur Sachsisclrc G.), qui me paraissent e'ètre le 1,lus approchés de la vérrté historique' Liornp' Br'nnortt"t't, Joh. k. u. Patl"uls Berichte; Ottov. Wrnxtcn, l)er I'iul'rndct I' R' u' t atlul; d. Srlnncs' Liul. Antuort, 1869; Fr. Brustursn, Aus baltis' her Vorzeit, t. VI, 18i0; Otto Srocnex, L R. Putkul; C. St:tlrHnr,*, Aeber F' b-' C'cl'on's Carl XII (t)otttttg. Gel, Anz.. [883); E. Borrrtrrs, I'etbnittenç Plun, etc', I883; C. Scutnnns, Pat|ul und Leùttitz çXlitth. aus. d., livl. G, vol' 13, f88'l) ' G' llrirrrc, 1. ti. u. Patkul (Nordische Aundschau, vol. lll, f885); H. v. Bnurvxcx, PatLuliana (Mittheil. a. d.,livl. G, vol. 14, f886).

DE NÀRVA Â de

POI,IAVÀ.

339

L'époque se prêtait, hélas ! à ces transmutations. L'histoire Patk'l est à peu près celle cre Goertz et ceile de struensee. Le Livonren n'avait méme pas les qualités de son nouvel emploi. Tlop peu maître de ses nerfsl inquiet et impatient, violent et sarcastique; super.ficiel enfin et frivole, rnalgré beaucoup d'esprit et de savoir. Incapable de gouverner sa langue et encore moins sa plurne, il indisposait les seigneurs polonais qu'il traitait avec dédain et se mettait mal a'ec les généraux et les ministres saxons, sur lesquels il rejetait, à coups de brochrrres copieusement répanduer, lu ,urponsabilité de fa.tes 1re'so'nelles, ou tout au moins coûrmu'es. Incapabre aussi, ajouterai-je pour I'honneur de sa mémoire, d'entrer en_ tier-ement dans le personnage qu'il se laissait entrainer à jouer, if allait, en 1704, à Berlin avec un projet cle partage d", p.o_ vinces polonaises, au bénéfice de la pr.usse et de la Russie, et, Ia même année, dans une leti.e ach'essée au chancerier Golovine, se réclamait violernment de la tradition nationale contre la Russie et, au plofit de la pologne (l). Il tombait ainsi dans le vide. Confident d'Auguste, rlont il faisait profession de mé priser le caractère, et conseillel intime de pierre, dont le despotisme " lui déplaisait, tlisait-il, infinirnenf u , rl se débattait e.tre D'esde et Moscou dans un enclrevétre'rent inextricable de rnachinations et de te'tatives plus hasardeuses les unes que les autres. Il conspirait, en I 203, la chute du chancelier saxon comte Beichlingen, et, le ministre t.rnbé, il n'avait réussi qu'à se faire qrielques ennenris de plus. Il commandait, en 17011, les troupes auxiliaires d. Tsar cantonnées en Saxe, et ne parvenait qu'à se faire hattre avec elles sous les murs cle Thorn. Il se laissait envoyer à tserlin pour y négocier une alliance, et, revenu les mains vicles, il entarnait ,,r" lor.".po,r_ dance avec les nrinistres p.ussiens pour ler,rr apprendre ,1u'il " r, était las des affaires du r.oi de polog.e, et qu'il inclinait tr u faire sa paix avec le roi de Suède (Z) , . Enfin, quand il
Zursxr, t. IV, p. 28b. (2) Ârchives de Dresde z Docunent.ç cûtce,nant tarrestqtio, du général patkul, 1.35L6; Archivee de Copenhaliue : Relatiotts de'Jessen, _
l70B
5.

(l)

3110

L'OEIIVRE.

avait assez de ces allées et venues' et quand il s'était aPerçu que, ne menant à rien, elles avaient creusé un abime sous ses preds, écæuré et menacé, il restait à Dresde, parce qu'il voulait y épouser une belle veuve, la comtesse d'Einsiedel, née Sophie de Rumohr, le plus riche parti de la Saxe. Pour la seconde fois une femme intervenait dans sa destinée d'une manière funeste, et la précipitait vers sa fin. L'annonce de ce mariage attise la jalousie et la haine de ses ennemis. Le 15 décernbre 1705, usant des pouvoirs clui lui ont été conférés par Pierre, sans les dépasser, ntttis en s'avancant jusqu'à une limite donteuse, Patkul si3ne, avec le comte Stratmann, une convention qui met à la solde de I'Empereur le corps russe auxiliaire demeurant sous ses ordres. Le traité n'avait rien de contraire aux intérêts du roi de Pologne: I'Empereur s'y engageait à ne jamais reconnaître Stanislas du vivant d'Atrguste, à soutenir méme en Pologne le parti saxon' et les troupes dont il s'agissait mouraient de faim en Saxe' N'importe; on profite du pr'étexte que peut fortrnir l'interprétation des pouvoirs dont se pr'é'r'aut PatLul, et, quatre jours après la srgnature, le u commissaire du Tsar u est arrêté' Pierre intervient pour sa défense, mais mollernentl MenchikoÊqrri le conseille a été 6agné par les ministres saxons (l)' De longs mois se passent en pourparlers, protestations discrètes du côté du Tsar, plus violentes du côté de Patkul et aJrpuyées encore par des brochures qu'il trouve moyen de publier et de répandre du fond de sa prison, et, au bout de ce tenlps, Auguste, battu toujours, traqué, réduit au désespoir sur le ten'ain mrlitaire par Charles, supérieurenrent attaqué sur le terrain diplornatique Par un prisonnier suédois, Arved Horn' se laisse aruener, le 24 septernbre 1706, à signer la paix ignominieuse d'Altranstadt, dont le onzième article stipule la livraison de Patkul. on a prété au roi de Pologne I'intention cle faire évader le prisonnier apr'ès la signature du traité' Supposition tr.op génér'euse. Les archives de Dresde sont nruettes
(|.) Hennruexn
Geschrclttc .âusslands,

t. IY, p. lOt'

DE NARVA
à cet égard. On

À POLTAVA.

}I+L

n'y voit, comme indication, ![u'un billet du souverain ordonnant de rerlrettre à la comtesse Einsiedel la

bague de fiançaillestrouvée sur le prisonnier. Celui-ci estdonc bien condamné dans I'esprit du Roi. lln vain Ie grand trésorier de Pologne, Przebendowski, ose lui rappeler qu'à la paix de Karlowitz les Turcs eux-mémes ont refirsé delivrer ltakoczy(l)l La conduite d'Auguste en cette occasion est digue de sa vie

farrt encore quatre coups de hache (P). La diplornatie a ainsi mal servi la fortune de pierre, et le tliomphe d'Arved Horn sur Patkul, consommé par la défection d'Auguste, a jeté ses armées dans une situation périlleuse.

il

entière; celle de Pierre jette une tache d'ornbre sur sa 6loire. Livré aux Suédois, dans la nuit du b au 6 avril 1707, trainé quelque temps à la suite de Clrarles XII, puis ju6é par un conseil de guerre et condamné à rnort, Patkul subit le l0 octobre, à Kazirnierz en Pologne, le supplice de la roue. Il est frappé quinze fois avec une roue non f'errée par un paysan qui fâit olfice de bourreau, et on I'entend toujours crier : " Jésus ! Jésus! ,' Après quatre autres coups, ses gémrssementscessent, mais il a encore assez de forces pour se trainer jusqu'à un billot posé là pour l'exécution d'un autre condanrné, en murmurant . ,, Kopf ab! , (Coupez la tête!) Le colonel Waldow, qui communde I'exécution, fâit droit à cette demande supréme, mais

Au commencement de t 706, enfermées dans Gr.odno,



l\Ienchiliof et Ogilvy se disputent le commandement, elles ont risqué déjà d'y rester prisonnières de Charles. Une débâcle subite du Niemen, en empêchant le roi de Suède de franchir le fleuve, a seule perrnis aux Russes d'opérer une retraite précipitée, non saus abandonner leur artillerie et leurs bagtrges. Avant évité cette fois encore de partager la fortune de ses troupes, Pielre a fait tirer le canon à l(ronslot pour cette victoire (3) ! En octobre, il est vrai, une victoire plus réelle a (l)
Archives ile Dresde, 1.36L7
.

(2) Pathult Beri,:hte, t. III, p. 300; Fônsren, Die flo./e, t. BLAD, t. I, p. 408; T'heatntm Europættttt, {207, p. 281. (3) Ousrnruor, t. I\ , p. 475.

III, p. 404; Luxo-

3b2

L'OEUVIIE'

relevé le prestige de ses armes et a paru couronner d'un premier succès son alliance avec le roi de Pologne. Ignorant ce qrri s'est passé à Altranstadt cinq jours auparavant et traînant à sa suite I'allié fëlon, qui dérobe sa trahison, nfenchikof' a hattu avec lui sous les murs de I(alisz le corps suédois de Mar-

defeldt. Mais aussitôt la nouvelle de la défection transpire' Pierre reste seul en firce de son I'ecloutablc adversaire, auquel les troupes de Menchikof sont loirr de pouvoir tenir téte' Dans ses relations avec le roi de Pologne, le Tsar a notoirement manqué de clairvoyance d'abotd et ensuite de tact' Depuis plusieurs années déjà le charme qui rrnissait ces deux hommes si peu faits pour s'entendre a cessé d'opérer' Pierre a entrevu tout ce que I'autre cachait de misère morale sous ses dehors brillants, et Atrguste s'estaper'çu qu'en accePtant comme prix de son alliance un subside annuel, porté en 1703 à 300,000 roubles, il a fait un marché de dupe' Deux jours après la signature du traité qui lui a assuré cette rétributiorr (12 octobre), 0harles s'emparait d'Elbing etlevait sur cette seule prise une contribution de 200,000 écus ! Encore le subside, très irrégulièreilreDt payé toujours, a firri par ne Pas l'être du tout.
Pierle manque d'argent. Aussi, dès I'année 1702, avec sa légèreté et sa fourberie coutumières, auguste s'est jeté dans la voie des négociations isolées. En janvier, son ancienne maîtresse, Aurore de l(oenigsmark, mère du grand Maurice, a paru dans le carnp cle charles XII, sur la frontière de la courlande et de la Samogitie. EIle en a été, il est vrai, pour les frais de son voya8e, le héros s'étant obstinément refusé à une entrevue, et elle a dû se consoler en rimant ces vers :
r D'oir vient, jeune Roi, qu'avec tant de mérite Vous aYez Peu de vrai bonheur"' u

Àprès quoi, toujours en versr elle s'est trouvée dans le cas de ProcliSuer ses consolations à auguste lui-nrême, I'assurant que I'arnitié d'un roi aussi vertueux que celui de Suède valait plus que la couronne de Pologne (l)'
(L) Lrnrnnnrv, t. IV, P. 292'

DE NARVA À POI,TAVA.

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Pierre n'a pas ignoré cette tentative suivie de plusieurs autres, et il ne s'est pas interdit de les inriter de son côté. En Pologne, après avoir offet la couronne à Jacques Sobieski, il s'est rejeté sur Rakoczy, ayec lequel ses plénipotentiaires sont allés jusqrr'à signer un traité en règle (l). Puis, par I'entrernise de la Hollande et, celle-ci se <lérobant, par celle de I'Angleterre, il a essayé de se procurer une paix séparée avec le Suédois. En 1706, Nfatviéief a passé de la Llave à Londres avec mission de corrompre Slarlbolorrgh et Godolfin. Le premier refusant les offres d'argent, par défiance peut-être de la solvabilité du Tsar, etmanifestantdes préférences pour une dotution en terres, on lui a donrré à choisir Kiei, Vladimir, ou la Sibérie avec un revenu galanti de 50,000 écus. On s'est séparé sur les conditions réclanrées par Pierre pour la paix : I'embouchure de la Néva et le littoral adjacerrt. Le tour de la France est alors venu, puis celui de I'Autriche. A Versailles, Desalliers, un agent que la France entretient en 'Irausilvanie; à Vienne, Ie baron Henri Huisser), ull ancien précepteur du tsarevitch Alexis, se sont entremis, offrant, I'un toute une armée à employer au gré drr Roi Très Chrétien, I'autre un corps de Cosaques contre les insurgés hongrois. \lais partout les exigences du Tsaront paru excessives, et d'ailleurs Ia pers p ective d'un conta ct entre les Cosaq u es et les voisins serbes de la Hongrie a médiocrement enchanté I'Empereur. Denx autres dénrarches simultanées à Berlirr. où I'env<,vé de Pierre, Ismailof, a tenté la vertu du comte'Wartemberg oo"t rn" promessede 100,000 écus, et à CopenhagueT oùil s'esttrouvci chargé d'offrir Narva et Derpt aux Danois, n'ont pas mieux
réussi (2).

Mais en se remuant et en se compromettant ainsi, à I'exemple de son allié, dans cette série de négociations parallèlenrent dérogatoires à l'alliance, Pierre a prétendu galder I'alliance et I'tllié et en escompter les avantages. Altranstadt le surprencl et le prend au dépourvu. Il rachète I'erreur en prenant vite son parti et en adoptant
(L) Archives Kourakine, r. V, p. xvtl et LIt. (2) Sor.ovrer', t. XV, p. 198 r:r suiv.

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L'ôEITV

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celui qui doit, infailliblement,lui assurer lavictoire définitive. Il évacue la Pologne; il sc replie, et, activant encore les préparatifs que le long séjour de Charles en Saxe lui a permis de pousser vigoureusement, il se résout à n'accepter le cornbat que chez lui, sur son terrain et à son heure. II s'arme d'une patience nouvelle. Il attendra encore I il usera son adversaire; reculant toujours et faisant le vide derrière lui, il le forcera à s'enfoncer dans Ie déserrt des plaines systématiquement dévastées, à courir Ia redoutable épreuve, qui toujours a fait reculer les anciens adversaires de la Moscovie, Turcs, Tatares et Polonais : un hivernage au cæur du pûys russe. La partie supréme s'engage, dans laquelle le Tsar aura, selon son expression, dix Russes à jouer contre un Suédois, avec le temps,, I'espace, la faim et le t:roid pour alliés.

lv
Dharles, le plus tacilurne des grands capitaines, n'a revélé à

personne le secret de I'inspiration qui, en janvier 1708. l'a enga6é à entrer dans le jeu de son atlversaire par une rnarche nouvelle sur Grodno. Au cours de I'arrnée précédente, il avait, dirns ses quartiers de Saxe, paru I'arbitre de I'Burope. \raincue à Hochstaeclt et à Ramillies, la I'rance tournait vers lui des regards suppliants, et le chef de la coalition victorieuse, tlarlborough, venait en solliciteur dans son camp. 1l est peu probable que le grand capitaine ait voulu rnettre à profit une révolt.e de Baclrkils, dont Piene s'est trouvé embarrassé à ce moment. Err fér'rier 1708, ils sont à trente verstes de Kazan ! Mais Kazan est loin, et Pierre a des ressources multiples de ce côté. Il réussit à mettre ces révoltés trux prises avec leurs voisins kalnroukes. Il est t<-rut aussi heureux sur le Don, ori presque simultanément un nouveau Razine a paru. llrr 1707, le prince Georges Dolgoroulii, envoyé là-bas pour arrêter une émigration inquiétante des po-

DE NARV,\ A POI,TAVA.

3tt'\

pulations locales, fuyant vers le Zaporojié,cet Éden caché derrière les cataractes du Dnieper, s'est heurté en octobre à une troupe de Cosagues commandée yrar un nommé Boulavine, et a péri avec sa troupe. Mais les divisés a'ssitôt aPrès, 'ainqrreurs, se sont laissé battre en détail. Boulavine s'est brûlé la cervelle(l). Charles a prétendu peut-être se donner à Grodno une base d'opérations, pour une pointe qu'il porrsserait, le printemps venu, a* nord, du côté des rrou'elles conguétes du Tsar.. pierre semble avoir adopté cette suppositiorr, ir en juger par les ordles qu'il adonnés à ce rn.ment pour mettre la Livo'ie et I'Ingrie à I'abri en en achevant la dér'astation. Et ces mérnes ordres - entrger le roi de Suède à abandonrrer ont pu son plenrier dessein pour un autre, dont I'appr.éciation reste un objet de con_ troverse entre spécialistes, mais dont la grandeur.'e saur.ait etre niée- contre les alliés que la nature met à la disposition du Tsar en Russie, Charles venait préciséme.t tl'e' t'ouver u., lui aussi, dans le pays même : celui-ci s'appelait NIazeppa. La carrière aventureuse du hetman, drame historiqrre et drame intime, est trop connue, depuis son ave.ture avec le pan F-albowski, si naivement contée par pasek, jusqu,à son roman avec Matréna l(otchoubey mélé arrx de'rières et tragiques péripéties de sa vie, pour que je veuille m'en Iaire ici le narrateur', mêr'e succinct. La petite-rtussie traverse à ce moment une crise douloureuse, consrirluence de l,ceuvre é'ra.cipatrice de chmiel.içki, dont I'interventio'de Ia Russie a faussé le principe. Les anciens seigneurs polouais, oppresseurs du pays. ont clté remplacés par les Cosaques, opprimant à leur tour la populatio' incligène, frondant leurs chefs. Hetmans et rniliciens sont en tlésaccord ouvert, Ies uns travrrillant à augurc'ter leur autorité, rêr-ant de pouvoir héréditaire, les autres délendant leur a'cienne co.stitution démocraticlue. La guerre suédoise a augmenté les embarras de Mazeppa. Iintre les exigences du Tsar, qui veut avoir des cosaques s,rr to,,,s ios champs de bataille de la Polog'e, de Ia lrussie et de la Livonie,
(L) Sor,ovrcr, t. XV, p. 259.

UT6

L'OEUV RE.

et la résistance des Cosaques, qui veulent rester chez eux, le voici très mal à I'aise. Gentilhonrme polonais de naissance,
élevé par les Jésuites, ayant servi le roi de l)ologne Jean-Casimir et prêté serrnent au Sultan, il n'a aucune raison de faire à Pierre le sacrifice de ses intérêts, voire de sa vie. L'approche de CharlesXll le met dans la crainte d'être abandonné ptrr les siens, livré aux Polonais? cornme son prédécesseur, Nalivaiko. Bn 1705 encore il a décliné les offres de l,eszczynshi, non sans

- que lui-rnérne par un mari férocement jaloux (au traitée rapport de Pasek, le pan Falbowshi, en rentrant chez sa feurrne pal la f'enêtre que Mazeppa avait laissée ouverte au
dé1rart, I'a aborclée ( avec des éperons attachés aux genoux pour [a circonstance u ), Mme Falbowska a été remplacée nombre de fois. La princesse Dolska a fait mine d'abord cle plaider unirluement la cause de Leszczl'nski, à laquelle elle

rappeler au Tsar que cette tentation, lronnêtement repoussée, était la guanième (1). Depuis, il a réfléchi. Les plaintes rle ses Cosaques ont augmenté. Pierre ne s'est-il pas avisé de vouloil enyoyer deux de leurs régiments en Plusse, pour yapprendre I'exercice à I'allemande ! Invité par le prirrce Wisniowieçlii, un magnat polonais de la Wolhynie, à servir de par.rain à sa fille, Mazeppa s'est Iié dans sa maison ayec la mère du pr.ince, remariée à un prince Dolski. L'âge Prohopovitch lui donne cinquante-quatre ans, Engel soixante et Nordbèrg soixantessl2s n'a pas éteint son ardeur. N[rne Falbowska, aussi mal-

auririt voulu concilier I'appui duTsar.. Puis elle a démasclué son jeu : il s'agissait de soutenir Leszczynski et son protecteur victorieux, même contre Pierre. Mtrzeppa commenca par s'emporter contre la u baba , (vieille commère) ; mais elle était l"ernme de ressources I des propos qu'elle laissa tomber négligernrnent Iui firent dresser I'oreille. Étant à Léopol. elle s'était rencontrée avec les généraux russes Chérémétief et Roenne, et leur avait entendu prédire la prochaine déposition du hetman, son remplacement par Menchikof. La suppo-

(l)

Sor.urrut, t. XV, 1r. 28$.

fiE N,\ttvÀ Â r'oLTAVÀ.

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sition n'avait rien d'invraisemblable pour Mazeppa; l'idée d'introdrrire en Ukraine le lbnctionnarisme nrsse hantait, il le savait, I'esprit des collaborateurs de pierre. S'étant enivré un jour à I(ief, le fhvori lui-mérne en laissait transpirer quelque chose, et il prerrait déjà le pli de disposer des régiments cosaques sans pr'évenir le hetman. Derrière Ia princesse
Dolska est venu le Jésuite Zalenslii, porte-parole de Leszczynski et de Charles, et Muzeppa n'a plus dit mot au Tsar de ce nouveau tentateur.

On sait conrment une dernrère rntrigue amoureuse met Pierre au fait des pourpallers qui s'en6agent de ce côté. Un chef cosaque, Kotchoubey, dont Mazeppa a séduit la fille, croit venger son honneur par une dénonciation. Malheureusement pour lui, il n'appor.te pas des preuves suffisantes; confiant dans les bontés qu'il n'a cessé de témoigner au hetman, s'obstinant d'ailleurs à voir en lui le représentant de son autorité aux prises avec I'insubordination traclitionnelle des Cosaques, le Tsal se laisse douner le clrange par ses protestations et lui livre le dénonciateur. Vingt fois dénoncé depuis vingt ans, Mazeppa a toujours réussi à se justifier ! Il fait décapiter l(otchoubey et son confident lshra; mais il reste inquiet, redoutant un retour possible du péril conjuré. L'apparition de Charles sur les frontières de la Russie le pousse à prendre parti définitiveorent. Au prinlemps de 1708, ses émissaires palaissent à Radochkovitsé, au sud-est de Grodno, où Charles a établi son quartier général (l). Profiter des dispositions du hetman pour pénétrer au crFrlr de la Russie en s'appuyant sur les riches provinces du Snc{ ; soulever, avec I'aicle de l{azeppa, Cosaques du Don, Tatares d'Astrahan, et peut-être les Turcs eux-mêmes, et prendre ainsi la puissance moscovite à revers ; forcer alors pierre dans
ses derniers retranchements, à l\{oscou ou mênre au delà, pendant clue le général Luebecher, qui est en Finlande arec un corps de quatorze mille honrmes, foncera sur I'Ingrie et sur

(l)

Arr:bives de Moscou. Affaires de la petite-Russie, 1708.

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Pétersbourg, et que les partisans polonais de Leszezvnski joints aux Suédois du général l(rassow tiendront la Pologne, telle semble être à cette heure décisive la conception à laquelle s'arrête le roi de Suède (l) Elle est prrissante incontestablement I mais un premier obstacle lui fait ichec. &lazeppa ne s'est pas livré sans conditions, et Charles l'a trouvé trop exigeant. Consentant à abandonner à la Pologne I'Ukraine et la Russie l3lancbe. aux Suédois les forteresses de Mgline, Starodoub et NovgorodSiévierski, mais réclamnnt pour lui Polotoli, Yitebsh et la Courlarrde éfigée en fief, le hetman a fait traîner les négociations. En méme temps, s'apercer-ant qu'il n'est pas en no[rbre suf'fisant pour aller de I'avant, Charles s'est décidé à appeler à lui Loewenharrl-rt. qui est en Livonie. Ce général doit lui amener seize rnille hommes et des mrrnitions. Mais le héros suédois a mal làit son compte avec le temps et la distance. Des jours précieux, les bons jour.s de la saison, se passerout avant qu'il ait pu être obéi, et pour la première fois I'incertitude et I'irr'ésolution paraissent dans son esprit, comrnuniquées aussitôt à ses coopérateurs. Aussitôt Loeweuharrpt se rnontre rnoins rapide qu'à I'orclinaire, Luebeker agit mollement, et Mazeppa revient à son double jeu, préparant prudernmeut ses Cosaqtres à un soulèr'ement lu nom des anciennes coutumes, privilèges nationaux et lois de l'Église auxquels les réfbrmes de Pierre ont porté atteinte, {brtifiant sa résidence de Batourine et y étrblissant de vastes magasins, mais continuant à faire sa cour au Tsar, jusqu'à revêtir le costume allemand, {lerttant les instincts despotiques du souverain avec des projets qui vont à I'arréantissement des derniers vestiges de l'indépcndauce locale et acceptant des cadeaux de Menchiliof (9). llt l'été passe ainsi, annoncant ulle calnpàgne d'hiver, et I'abirle se creuse, où déjà Pielre a plongé son regalcl aigu.
Srnauw, p. 238. (2) Escr..r,, Geschichte der Ukraine, Halle, 1796, p. 30,3 et suiv ; Pnoxoroatrcu, Histoit'e de Ptete le Gran(I (en russe), p. 178 et suiv.

(l)

T}E NARVA

À POI,TAVÀ.

34ù

v
Charles ne se décide à quitter Radochkovitsé qu'en juin, se dirigeant à I'est strr llorissot", où il f'ranchira la Bérézina' Le 3 juillet, Chérémétief et Menchikof essayent de I'arrêter au
passage de la petite rivière de Bibitch, près de Holovtchine' lUne manærrvre de nrrit et une attaque folle à la baïonnette

concluite par le Roi lui assurent une fois de plus la victoire' Mohilef ouvre ses portes au lainqueur I mais Charles doit y faire séjourr per'dle du temps encore en attendani Loewenhaupt. Il se remet en marche au commencement d'aorit, prononçant son mouvement vers le sud, et déjà ses soldats trouvent I'un des alliés de Pierre en flce d'eux : pour manger, ils sont réduits à cueillir des épis qu'ils font moudre entre deux pierres. Les maladies commencent à éclaircir leurs rangs' ( coml)attues, disent les farouches troupiers, par trois méu decins : I'eau-de-vie, l'ail et la mort u . Loewenhaupt est maintenant à Chklof, séparé de I'armée d'invasion par deux cours d'eau, la Soja et le Dniéper, erltre lesquels Pierre a pris position. Après avoir réussi à passer le Dniéper sans encombre, le général suédois est rejoint à Liesna (9 octobre) par des forces trois fois supét'ieures, et le lendemain Pierre peut envoyer à ses alnis un bulletin' de victoire complète : ,. Huit mrlle cinq cents hommes tués sur place, sans Parler de ceux que les Kalmouks ont poursnivis clans les forêts; sept cents prisonniers ! , A ce compte, Loervenhatlpt, qrri tl'a [)rr ensager qLre onze mille hommes en tout, serait resté sans troupes. Il en amèneril ellcore six mille sept cents à Charles, après trne marche de flanc tlrri passe Pour une rnerveille au jugement des connaissetrrs; rrrais, n'ayitnt pu trouver de ltont sur lû Soja, il devra abandorlller toute son artillerie, tous ses bagages, et c'est une troupe d'affamés qu'il introduira dans un camp assiégé Par la famine.

350

{,'oEUvRE.

De mauvaises nouvelles arnvaient en même temps de I'Ingrie, où Luebeker s'est fait l-lattre, peldarrt, lui aussi, ses
bagages et trois mille homrnes de tr'rrpes excelle.tes, et Charles

était dtlconcerté au point, assure-t-on, de confesser à son quartier-maître Gyllenlilook qrr'il allait au hasard, n'avant plusdu plan (l). Arrivant le 22 octobre à Mokochirre. sur la Desna, à I'entrée de I'Ukraine, il croit y rencontrernlazeppa;
mais le vieux chef manque au rendez-vous, voulant temporiser encore, esguiver une rés<llution décisive. pour le pousser à la prendre, iI faut I'intervention des Cosaques de son entourage qu'effraye Ia perspective de I'entrée des llusses en Ukraine à la suite des Suédors. Mieux vaut se joindre à ceux-ci pour

balrer le chemin à ceux-là. L'un d'errx, Voinarovski, envové par le hetman auprès de Menchikof', est revenu avec des nouvelles terrrfiantes : il a entendu des officiers allernands de l'état-major du fàvori dire, en parlant de Mazeppa et des siens : ,' Que Dieu ait pitié de ces 6ens; demain ils aru'ont les u fers aux pieds. , En entenclant ce rapport, [lazeprpa u bonu dit comrne un ouragan r, court à Batourine pour y donner I'alarnre, puis, traversalt la Desna, il rejoint I'arrnée suécloise. Trop tard ! Au milieu des tergiversations et des démarches équivoques du hetrnan, les sentirnents populaires, dont Iui et Challes ont fait état pour provoquer uu mouvement insurrectionnel, se sont égarés et ont perdu toute consistance. Mazeppa n'a avec lui qu'rrrre troupe de deux millefidèles; pas assez mêrne;rour couvrir Batourine, ou peu de jours plus tald l\Ienchiko{j le devancera, enlevant ainsi à l'armée suédoise son dernier espoir de ravitaillement. Avec les forteresses tle Starodoub et Novgorod-Siérielski, qui tiennent leurs portes fern.rées, I'Ukraine tout entière échappe au chef transfu6e et à ses nouveaux alliés. On le pend en elfigie et on Ie traîne dans les rues de GlrxrhoÊ err présence de Pierr.e I un autre hetrnan, Shoropadski, est nornrné à sa place, et I'hiver arrive, un hiver terrible, qui fait rnorrril les oiseaux de lroid.
(l)
LurinrI,ro,

t. II, p, 49.

DE NÀRVA

A POI,T,A.VA.

35 I

Au commencement de 1709, les eff'ectifs de Charles ont fondu à vin,gt mrlle homrnes à peine' Sans oser erlcore I'aborder, les Russes I'entottrent d'un cet'cle de jour en jour 1,lus étroit, enlevant les postes avancés, cotrpant les lignes de communication. Pour se donner de I'air, le rtli de Suède est poussé à se mettre en carnPilsne dès le mois de iatrvier. Il perd inutilement mille hotumes et quarartte-huit o{ficiers l)otrr prendre Wespjik) une bicoqrte (6 janvier). A ce moment, Xlazeppa considère déjà la partie cotntne perdue, et, chercharrt une fois de plus à se retourner, il offre à Pielre de livrer Charles, moyennant la rcstitution de sa charge. Marché conclu. llalheuretrsemenl, trne lettre du vierrx traître adressée simultanémentàLeszczynski tornbe entre les mains duTsar et le 1'ait reculer : I'homrne olfre trop peu de sur,:té décidérnent (1). Au rnois de tnars, I'approche des Suédois s'avitnctrtrt sur Pr,ltava décide les Cosaques du Zaporojié à se joindre à eux. lIais ce n'est qu'un soulèvement partiel; à coulls d'exécutions militaires énergiqueruent opérées par Menchikof et de manifestes corttre les étrangers hérétiques, c gui nient les dogmes de la vraie religion et crachent sur l"image de la sainte Vielge,, Pierre en a Pronlptement raison. La prise de Poltava reste la suprême ressource tle Cbarles. Il faut y entrer ou rrrorrrir de fairn. La ville est rnal lbrtifiée ; mais I'armée des assiégeants n'est plus celle qui a combattu sous les murs de Narva. Elle a trop longtemps joui des gras quartiers de la Saxe et de la l'ologne pour suppolter l'épreuve de cette catlll)a8ne d'elfi'ovable rnisère. Arant d'avoir cornbatttr sérieusement, elle est, c<lttttne a été l'armée russe sous l{arva, vaincue par la tléuroralisation' llérne dans l'état-major et dans I'entourage intirue de Clrirrles, Ia confiance dans son génie et dans son étoile a disparu. Ses meilleurs généraux, Rehnskôld, Gyllerrkrook, 'otl chancelier, Piper, hlazeppa lui-mème se prononcent contre la prolongrrtion d'un sie\ge qui rnenace de trainer. Ohalles s'obstine:

(l)

Sorovrnr, t. XV, p. 36{.

35J ( votre avis,je

L'oEUvnE.

a Si Dieu m'envovait un de ses antes pour m'engageràsuivre ne l'écouterais pas (l). ' Une erreur indéracinable, fruit des trop làciles victoires du début, le porte à estimel au-dessous de leur valeur réelle les forces qui lui sont opposées. Il ne sait, ne veut rien savoir de la nouvelle Russie, colosse dressé sur ses pieds, que Pierre est parvenu errfin à mettre en face de lui. D'aucuns veulent encole que Mazeppa l'ait fortifié dans sa résolution fatale, révant de conquérir dans Poltava un apanage personnel, un autre Batourine (2).
Peut-être enfin Ia retraite est-elle déjà devenue impossible.

Pierre hésite longtemps à intervenir, toujours défiant, acharné à nmltiplier ses ressources, à augmenter ses chances
victoire. Du côté rnéme de ses adversaires, tout y contribue : à la fin de juin, ils ont épuisé leurs munitions et restent sans artillerie, presque sans armes à feu d'aucune espèce, réduits à con'rbattre à I'arme blanche. A la veille du combat décisif, ils se trouvent sans commandement : au cours d'une reconnaissânce sur les bords de la Volskla, qui sépare les armées en présence, toujours téméraire et s'exposant sans nécessité, Charles a été atteint par une balle. n Ce n'est qu'au pied r , a-t-il dit en souriant et en continuant I'examen du terrain. Mais en rentrtrnt au camp il s'est évanoui, et aussitôt, escoulptant I'eIfet moral de I'accident, Pierre se décide à franchir la Vorskla. En eff'et, Ie bruit s'est ré1:andrr dans le camp suédois que le Roi, jugeant la situation désespérée, a volontairerucnt cherché la mort (3). Dix jours pourtant se passent encore dans I'attente d'une attaque qrre Ies Russes n'osent risquer, etc'est Charles qui à la fin prend les devants, annoncaut à ses 6énéraux le 26 juin (7 juillet) au soir qu'on livrera bataille le lendemain. Toujours très souffrant, il abanclonne le commandement à Rehnskôld, un rucle soldat, rnai5 un chef de valeur contestée, u'ayant pas la confiance de I'arrnée et n cachant, dit Lundblad, son délaut
de (1) Fnrxur, t. ll, p. L58.
(2) Lunmr,m, l II, p. {04. (è) Iltd.,p, L'18.

DE NA1IVA A POLTÂVÀ.
de connaissances et d'aptitudes stratégiques sous un

353

front tou' jours sombre et un regard farouche u ' Après l'événement, il *era accusé de trahisoD. C'est I'histoire commune des vaincus. La vérité semble être que le mutisme habituel de charles, son parti pris de ne jamais rien conûer à personne de ses projets àt du 1ut dispositions de combat, ont enlevé peu à peu à ses lieutenants tout esprit d'initiative. Lui présent, ils sont sans voix et comme sans pensée. Rehnskôld ne fait que rugir et s'emporter contre tout le monde' Et Pierre, cependant' ne néglige rien pour s'assurer le gain de la journée, jusqu'à ."nlêti, un de ses meilleurs ré6irnents, celui de Nov6orod, du drap grossi er (sierniaga) réservé aux nouvelles recrues, pour donner ainsi le change à I'ennemi; stratagème qui n'a aucun succès d'ailleurs : abordé au début de la bataille par Rehnsk<ild, le régiment sera taillé en pièces (l)' Il c'rnfie le centre de son armée à chérémétief, I'aile droite au général Rônne, la gauche à Menclrikof, I'artillerie à Bruce, et s'efface' à son ordinaire, en prenant le commandement d'un réSiurent' Nlais ce n'est qu'un cléguisement. Bn réalité, il combtrt partout au Premier rang, parcourant le champ de bataille, se prodrgrrant' IJ'e balle trat'erse son chapeau; une autret dit-on, le frappe en pleine poitrine. Elle est miraculeusement arrêtée Par une or, grl.niu de pierres précieuses, qu'il porte habituel"n "rolt lement. Un don des moines du mont Athos au tsar Féodor' cette croix, oir se laisse ïoir en effet la trace d'un projectile,
est corrservée au monastère Ouspienski, à Moscou'

Incapable de se terrir à cheval, se faisant porter sur une litière qtre les boulets nrettent en miettes, puis sur un brancard irnprovisé avec des lances entre-croisée., Charles resle égal u Irri-rnême comme héroisme et mépris souverain de la mort. Ntais il n,est Plus qu'un étendard vivant, sublime et inutile. Le chef a disparu. Le combat n'est qu'une mèlée furieuse, ou autour de lui, llrivés de I'usage de leurs armes, de direction, d'espoir de vaincre, enveloppés bientôt, écrasés sous le nombre, il) G,uror, t, XI'
P.

2Ù2
j!3

35h

L'OETJY RE.

table les prisonniers de marque et buvarrt à Ia santé n de ses maîtres dans I'arf de la gue.r,e , . Les Suédois grrr sont encore treize mirle ont le loisir de s'arréter ,,,, momJ't dans leur camp, où, appelant à lui Loewenbaupt, Charles laisse tomber de ses lèvres pour la prenrière tbis de sa vie une demande d'avis : u eue faire? , Brirler les four8ons, rnettre les fantassins sur les chevaux d'attelage et battre à ,utraite du côté du Duiéper, tel est le parti auquel s,aruête le 6énéral. Rejoint Ie B0 juin seulemenf à pérévolotchrra, sur les bords du fleuve , il capitule, ses soldats refusant de se battte ; mais Ie Roi a eu le ternps de passer sur l,autr.e bord. D_eux barques jointes ensemble portent sa voitule, quelques officiers et le trésor de 6uerue amassé en Saxe. Ma_
à sa Luuorr,ro, t. II, p. {32. Biographie de Stanislas poniatouski, posen, {.gg0 (en pol:Q) t. la1"*":t: uars), I,

tant

tombent aux rnains des vainq,ruurs. La joie de ceux-ci.est si grarrde qu'ils en oublient de pour_ suivre les vaincus. Ils cor'mencent par festoyer', pierre invi-

rendu encore, iJ nrourra en l7lg, ia nrêrne année gue son maître, à l'â6e dequarante-derrx ans (I). pon:.rtorvski, le père du f'utur roi de pologne ..ui a fait ra canrpagne en amateur, charles n'ayant pas vouruprenclre des troupes poronaises avec lui à raison de leur indiscipline, rallie un escad'o,,r du col,nel Ho'n po'r' .cel'vir d'escorte au Roi et recoit dix-sept bailes dans stln cafelan de cuir en couvrant sa retruite (2). t.e f.eid_ maréchal Rehnskôld, le chancelier piper. avec torrte sa chanceller.ie. plus cle cent cinq.ante officiers er deux milre sordats

quitte le charnp de bataille, hissé sur un vieux cheval, gueson père montait déjà. Appelé BrandkleVper (Court u,, fuuj pur"" qu'il devait tor{ours étre sellé Po.r re cas d'.n i'cendie e,, ville, ce cheval suivra [e hér.os vaincu en Turrl.ie; pris par les Tru'cs à Bender, rendu au Roi, repris en lTl5 à Stralsund
et

les glorieux débris d'une cles plus aclrnirable:: armées qui furent jarnais ne luttent un moment que pour ne pas abln_ donner leur roi. Au bout de deux heures Charles lui_mêrne

(l)

p.26.

DE NARVA

A POI,TAVÀ.

355

zeppa a trouvé aussi une barque pour lui et y a mis deux barils d'or (l). A l(ief, ou Pierre se rend en quittant poltava, urr service solerrnel d'actions de 6râces est cérébré en l'église de sainteSophie, et,6lorifiantla victoire obten.e, un moine petit_.rssierr, Iréofan Prokopovitch, a une belle envolée d'éloqrience : n En entendant parler de ce qui est amivd, nos voisrns diront : n ce u n'est pas dans une terre étrangère, mais dans qrrelque ruer r pro6onde que I'armée et la puissance suédoises * ,oit a turées; elles ont plon6é et disparu comme le plomb"u"rr_ dans u I'eau. u La Suède de Gustave-Adolphe a disparu, en effet. Charles XII ne sera bientôt à Be'der qu'.n chevalier d'aventure. L'i'tlépendance cosa(lue a vécu également. Son dernier trop fallacieux représentarlt mourrr queklues mois plus tard en Turquie, de désespoir, diront les sources russes; d'un poison qu'il s'adrninistrera lui-même, croiront Ies historiens suédois. pierre ayant proposé de l'échanger contre piper, le poison est vrai.ern_ blable (2). Morte en{in la cause de Leszczynski, qui nc sera relevée plus tard par la F.r.ance qu'au bénétce de la F-rirnce seule, et ddjà morte avec elle Ia polo6ne elle-même, ctrdaçre sur lequel les vautours s'abirttront avant peu. Sur toutes ces ruines la puissance I'usse, son hégérrronie ,ian* le Nor.d, sa nouvelle situation en Europe, s'érèvent, destinées mainte'art à grandir de jour en jour, immen$es, dérnesurées. L.Europe est corrvrée aux fétes qni accompagnent quelques mois plus tard la rentrée des vai,queu.s ù Moscou. Les iàée", res tracritions, les lbrmes européennes y partag;e1t leur triornphe, se.vant de par'ure aux t.ophées de la victoire. pierre ,o,r, l*, tra;ts d'He.cule dornptant une Junon suédoise arr mirieu d'u' cortege de illars, de F'uries et de lraunes, y sy'rbolise l,alliance russe avec la civilisation gréco-iatine .re l'ôccident. i,a !Ioscovre orientale et asiatique cornpte, elle aussi, parmi les rnorts.
(:l) Sor,ovrer, t. XV, p.378. (2) Ibid., t. XvI, p. i2.

CHAPITRE
}E LA BALTIQUE A LA

II
CASPIENNE.

La politique d'ex' La vjctoire de Poltava ne clonne pas la paix à la Russie' Les alliances euroàu panslavisme' o"foittt Les rur*ioo universelle. Ses r.aladresses et ses liévues' - un se La diplorratie du Tsar' ;;;;".. à i.u"i"ti"", à I'orrlest, Pierre perd de vue le suil' - Lutte diplornatique artuments L€s I'e"'pn"te' XiI ch""l"" é.""i""iJ"pr".

ùon irrraginé par Prerre' euerre est àé,.1o"ée. - Il. Plan de caurpague La nrart'he sur Iassy' p"tsé'.Ju leçoni tles cornPte tient ne Il il;;;. Pas - comtrlune tuec p11gu1 Oh"'I"'' -- Une autre Ukraine et un autre Mazeppa' - Oomnrunications coupées par les Tatars' L'arrnée russe est enveloppée Nouvefle f" Tsar sur les bo;-ds du pruth' - Situation désespéré-e' trône au plus du ^u"" succession La Sénat. au àaiuill*r"" de Pierre. - La lettre - Le rôle de Catherine' Les docur'ent' du douteuse Aulhenticité il;;.
^sonores'

-

-ol-a

consent à traiter' ;i:;;"" - cle la future Tsarine' - Le salnt' - Le vizirÂbandon tI'Azof' inespérées' ilirft*"t"" du bakchiz. - Corrrlitions de ses consoler alarmes et à se n""utf,it"a" de Pierre à se rernettfe de ses * l'e triornphede I'olrstinrttion'[,es uacquisitionsincoutparal'le5r ' nertes. Lll'itles I(lI prisounier' - III' Le cont'ours dcs .le'Be.d"' ' L]à"n""tf".re" * Rivalités et querelles' Pierre d'obtenir la paix uu""l" Soèd"' ifià, -"^;;';ig; avec I'Anglete'e ","nu"fr" _ rapprochernent de 1"riu,,u". d" Strolrord. La conquète de agit seul' il clue quand heureux prusïe. n'est Pierre et la - la.Prusse"- l'a - Ses victoires en Àllemagne n-e. pr,ofitent qu'à ir ni"f""a". à Stralsund' a" Stettin et le traité de séquestre' - Charlæ-XII rcparait "ri." l-i'"",ta" en scène de Goertz' - La prise de Wisrnar' - Pigl1s a encore en Scirnre t"oouillé pour Ie roi tlc Prurse' - Projet d"expé'[ition "trsso-danoise ïîe,t,"ir"^"on navale I Cope'rhague' - Pierre cot'trtande les escarlrcs reuL'expéde la Russie' ni.. ào t,ut"t,ark, de la Èiotl'urtle, àe I'Angleterre et à Pierre' -Son interprentl s'en On - Irritation ;i;; ";-;t; pu. .léf...tt rl'entente' colère rrniverselle. i""ii"" a"". les affaire" allemandes soulève lala et de couler du Tsar à"-irftgt"r"..". - Projet de s'ernparer -de perst'tne <le Gocrtz' - IY L'irlée dégoirt' en ' ses alliés Pierre prend .or française "."ù.", .de tl'entente séparée entre la Russie et tn Suècle' - Origine Proiet Pierre. * voyage en !-rance - Entrevue secrètc la France et la [)r'usse """ira'àr.:ur"'.aauir ,o"" C"""rr- - Traite il'Àmsterdarn ent"ela Russie, (tc La 'rort congrès rl'Àland' Le fraucaise' ruérliation la de î"*pt"ii"" V' Reprise 7 Goelu' de Supplice négociations' Charles KII coupe court aux Les ltloYe trs de coeri"" "à1,t"-ti"..'à Alu.tl' - 116t1t1't""" cles Suétlois' intervient en faveur de" L'Àngleterre Suècle en russe cition. diplouratique Iltervetttiou -pescente inellicaee. navale Dénonstration Suédois. -cle - La ioie du iriourphe' Le i" il;;"". - - CamPredon' - Paix de Nystadt' - Russies' dq' bénéfice Le les dJ toot"t ottf""uo" .À'^i'^i"' ïî.." t*f"t"r. -

NE T-A BÀT,TTOTTE A LA CASPIENNE'
la paix.

A\7

VI' La frontière orientale' - La route des En fluerre encore. tentatives de ce côté' -- Le sy-stème des premières dcs Inr,i".è. i;â;;: -- Nouuelies tentatives urilitaires et diplornatiques du côté de p"tii, p"q""". i" p""J", l- Volyrrki. -l,a gpx6ds expérlition d,e-L722.- Pierre la conduiten Intervention de la Ret'aite forcée' ;;.;;;". - La' p"ise de Dàrbe't' - provisoire' Entente -- l'cs Arrréniens réclament ï'orq,.i" et de I'Angleterre. - clientèle chrétienne d'Orient' Eng61g un essai l" o"otection du Tmr' - La Ji"l"h",oin"-"tt vers I'Extrème-Orient' - L'expédition de Madagascar'- Les * les lirnites naturelles cle la puissance colonisatrice en Russie'
directions et La mort de Pieme y ramène ses héritiers'

La victoire de Poltava a entouré Pierre,

son armée et son

peuple d'un ravonnement de gloire' dont l'éclat se prolongera o" i"ltr du 6rand rè*ne et du siècle; le vainqueur n'en retire pas Ie bénéfice auquel avec raison il semblait attacher le plrrs de prix : la paix. Pour I'obtenir, il lui faudra encore douze années àe temps et une dépense proportionnée d'efforts et de sacrific", ,rnrro"alrx. De ceci, Pieme ltli-même, les lacunesde sou intelli8ence et les défaillances de sorr caractère Paraissent respartie. Sa ligne de conduite est toute ponsables en

firande tracée à ce moment; logiqrrementT nalurellenrent, impérietrsernent, elle s'impose à sa voloDté. A cléfaut d'entente possible avec le vaincu, il dt_'it poursuivre et consolider ses avanta8es) achever la conquête de la Livonie, prendre pied en Finlande' et, ayant ainsi r,etiré cle la lutte tout le bénéfice qu'il Pouvait s'en promettre, ne s'inquiéter et ne s'ernbarrasser d'autt'e chose, ni de son allié saxon qui I'a trahi, nr de son allié dirnois qui le prenier a abandonné le combat' La lo6ique, la nutrrre des ch'ses, I'em'ire cles circolstances cèdent, dans sou esPrit, à la proussée d'iDstincts irréfléchis qu'il est inhabile à même salrs rln touïerner. Sans motif plausible, assurément à corPsperdrr le voicilancé desseirr netlement conçu etarrété, dans une crrrrière cl'aventures, dans un élan tl'expansion universelle, ou la Russie n'auta que faire dc le suivrc à cette heure, où lui-même ne sera visiblement guidé que Per un

358

L'OEUVpE.

besoin aveugle et inconscient de mouvement, d'emploi et d'abus de sa force. Le littoral oriental de la Baltique ne lui suffit pas; il mettra la main sur le Mecklembourg. Il prétendra régenter Ia Pologne et y faire régner I'ordre en défendant la constitution anarchique du pays. Il préludera à la politique slavophile et nanslaviste de I'avenir, en attirant Serbes et [Ionténégrins à I'ombre de son protectorat et en leur envoyant des livres et des prof'esseurs à sa solde, alors que ces professeurs seraient mieux employés à Moscou, où i[ n'y a ni écoles ni argent pour en entretenir. Il risquera, à ce jeu, de perdre, sur les bords du Pruth, tout le fruit de ses efforts et de ses succès, et plus encore, d'y précipiter sa fortune tout entière et celle de son peuple dans un al,rirne plus profond que celui ou Charles XII a en6louti la sienne. A peine échappé par un miracle à cette catastrophe, il r.ecornmencera; sans aucune nécessité, toujours poussé par le seul désir de paraître, de faire figure en Europe, de s'v méler de tout et d'y frayer avec tout le monde, il s'engagera à fond dans un dédale d'intrigues louches et de combinaisons équivoques, négociant, marchandant, politiquant àtort et à travers, au risque encore de sombrer dans ce bourbier, ou il ne fera. dix années durant, que piétiner sur place, entrc llerlin, Copenhague et Amsterdam, aux prises avec des ambitions, des convoitises rivales maladroitement mises en éveil. Pour se mouvoir et se faire valoir sur le vaste échiquier où iI hasardera ainsi sa nouvelle puissance rnilitaire et sa diplomatie fraîchement européanisée, tout lui flrit défaut, et une entente suffisante des intérêts divers qui s'y agitent, et la routine des affailes, et le tact et Ia mesure. Partout, à chaque pas, il heurtera des obstacles, se prendra à des chausse-trapes, plorrgera dans des bas-fonds, qu'il ne saura ni apercevoil ui éviter, tout étonné d'être broLrillé avec le roi d'Angleterre alors qu'il s'est allié avec l'électeur de Hanovre, d'avoir ofl fensé I'Autriche alors qu'en aidant la Prusse à faire sorr pré carré au détriment de la Suède il a cru servir les intérêts allemands. Il mariera sa 6lle à Dantzick, pour faire plaisir à ses

DE I,A BAI,TIQUI] A I,A

CASPIENNE

359

amis de Pologne, prélèvera sur la ville, à cette occaston, une contribution de cent cinquante mille écus et se montrera surpris qu'elle soit moins sensible à I'honneur qu'il lui fait qu'à I'argent qu'il lui prend. Il interviendradans les querel'les entre catholiques polonais, uniates et orthodoxes, et ne réussira qu'à ameuter les moines orthodoxes eux-mêmes contre son comrnis-

saire Routlakovskr, qu'ils battront et jetteront en prison au cri de : u Sus aux Moscovites(l)!, Au moment où iI obsédera la Hollande pour en tirer un emprunt, le contre-amiral Cruys, commandant une de ses escadres, brûlera en rade d'Helsingfors cinq vaisseaux marchands hollandais, massacrant une partie des équipages et enlevant le reste. On s'expliquera : la faute est aux Suédois, qui tienrrent Helsingfbrs et dont I'artillerie trop forte n'a pas permis à I'amilal de rien tenter contre eux. Alors, pour ne pas se retirer sans un fait d'almes à son actif, il a tapé sur les Hollandais (:)) ! Les ministres du Tsar, ses envoyés dans les cours étran6ères, sont à la méme hauteur, passant, du jour au lendemain, d'uu excès cl'obséquiosité à un excès d'arrogance. Je lis darrs le jorrrnal du résident danois en l7l0 : u La victoireatellement c enflé les cæurs des gens d'ici qu'ils ne se connaissent plus; u ils ne songent qu'à recevoir des honneurs sans en rerrdre (3). o Et on les voit barbotant à I'envi, eux aussi, dans le bourbier, coureurs professionnels d'aventures pour la plupart, sans passé, sans école, tirés cle l'écurie ou de I'office comme Menchikof et lagoujinski, ou, comme Kourakine, arrachés aux doucenrs de Ia vie patriarcale, aux habitudes da dornostoî et d.u térem. Ils multiplient les bévues, les maladresses et les incon6ruités, encourant ici la prison pour dettes, se faisant ailleurs jeter à la porte comme des valets, mais réussissant partout à compliqur:r encore l'écheveau dont ils tiennent les fils. L'histoire politique du rè6ne, depuis le trioruphe de Poltava ([)
Sorovrar,

t. XVIII, p. 86.

LTLB et 31" janvier LTLlt; Dépêche de de Bie à Fagel, 14 octobre 1713. Archives de la Haye. (3) Archivee de I'Etat I Copenbague

(2) trIémott'es de Kourakine out Etats généraux, 7 aottt

360

l,'otsIl v Rll,

jusqu'à la paix de Nystadt, c'est le chaos et le gâchis. La fbrtune de la Rtrssie, Ia patience htlro'iqrre de son peuple et, il faut le dire aussi, la persévérance et la vigueur ds 3on chefl finiront par s'v faire jour; mais la trouée coûte cher, et eile est si inutile ! De Kief, ou il s'est rendrr après Poltava' Pierre va en Pologne, où les grands seignetrrs du pavs, le hetnran Sielriawski en tête, lui font un triomphant accueil, comlne au défenseur victolierrx de la liberté polonaise ! En octobre, il se rencontre à Thorn avec Auguste, gui depuis longternps déjà est un repenti . Le roi félon n'a pas attendrr la défaite suprérne de Charles pour chercher à se raccomrnotler avec son adversaire. Après une peu glorieuse équipée, qui I'a concluit, lui et son fils NTarrrice' sotrt les rnurs de Lille, en nlercenaires strivant un corPs de ueutmille homnres loué aux alliés contre la lrance, il s'est ravisé. Il a envoyé le 6énéral Goltz à Pétersbourg, attiré le roi de Danemark, Frédéric IV, à Dresdr:, {âit en Personne le voyage de Berlin; au comrnencement de'irrillet 1709, il s'est retrouvé en possedsion de trois alliés. L'alliance avec la Russie' défensive et offersive contre la Suède, lui a garanti Ie trôrre de Pologne, en rnême temps qu'un brevet du Pape le ddlivrait des obli6ations contractées à Altranstadt, y compris le devoir d'obtiissance envers Leszczvnski (l). Celui-ci a dû suivre, depuis, la fortune des armes suédoises, se retirant en Poruéranie avec le corps d'armée de Iirassow. A.insi la quadrnple collition, ce rêve de Patkul, est rnairrtenant mise sur pied. Porrr Ia curée. Et Pierle en est devenu naturellement le chef. A Thorn métne, le I)anernark lui o{'fi'e une alliance directe, par I'entrcmise d'un envoyé extraoldinaire, le comte de Rantzau. Cette alliance, le ministre du Tsar à Copenliague, Dolgorouki, la sollicitait. naguère moyennant de {brts subsides : trois ceut mille écus comme entrée de jeu, cent mille p,rur les anttées suivantes et des malériarrx porrr la flotte, des matelots, d'autres avantages encore ! Il n'est plus
ç1) Hcnnuexs, G R., t. bourg, 4880, t. II, p.950.

lV, p. 217: Bou'rrrcrn,

Gcsclichte.9a'rens, Ham-

question enchéri sur le malclté européen. n Je n'ai donné rien, ni un hornnre, ni un sol , , écrit Dolgorouki en octobre, ell annoncant la signature du traitcj i l). Sur le terrairr des opérations militaires, Pierre marche aussi r,l'atrord de succès en srrccès. ttiga, tlu'il assiège lui-même en novernbre, et où il lance de ses rnains les trois premières bornbes, résiste, il est vrai I rnais, I'année suivanten en iuin, \\'iborg, attaquée simultanément par terre et Pâr mer, le Tsar faisant office cette fois de vice-amiral, est amenée à capituler, et, en juillet, Chérérnétief frnit par emporter aussi Ri6a. I(ex' holm, Pernau, Arensberg, Revel ouvrent tout' à tour leurs portes ou sont emportées d'assaul; la Carélie, la l,ivonie, l'Estbonie sont conquises, et la Corrrlande s'olTle d'elle-méme aux conquérants : le duc ré6;narrt, F'rédéric-Guillaunre, sollicite la main d'une des nièces du'fsar, Anna lvanovtra. llais sorrdain des nouvelles alalmantes an'irertt drt sud. En Turquie, )a diplonratie de Chnrles a battu celle de'l'olstoï, à coups d'argunrents sonores. Après la mort de IIazeppa, le g,rand vair.rcrr s'est trouvé riche: Voïnarovr'"ki lui a prêté quatre-vingt nille ducats, prrisés dans les barils qui ont suivi le hetman dans sa fnrte . cent rnille écus lui sont encore venus du Holstein; deux cent nritle d'un emprunt consenti par les frèr'es Cotrk, de la (-lornpal;nie anglaise dn [.,evant; quatre cent mille du grarrd vizir Nurrran-liuplioli. ll a pu armel ainsi convcnablement ses deux agents, Poniatorvski et Neu6el.rauer, rrn transfuge celui-ci , ancien précepteur d'Alexis" poussé à la désertion par les rnauvais traiternents. Le ministre du Tsar, réclamant ia livraison ou tout au rnoins I'alrestation du roi de Suède, n'a trouvé, lui, que vingt mille ducats et quelques pearrr de zibeline pour tenter la vertu du mufti ! Tolstoï finitpar risquer un ultimi'rtum, et aussitôt la Bueme est décitlée, le 20 novembre 1710, en séance solennelle du divan. Le ministre russe se voit prisonnier aux Sept-Tours.

CÂSPIENNE. 86I de tout cela maintenant. L'amitié de la Russie a
DE LÀ BALTIQIJI] A I,A

([)

Sor,ovrnr,

t. XV, p. 391

362

L'OE tJV

R

E.

Danois ont déjà été mis à nouveau hors cle combat, après une défaite c-omplète qui leur a coûté six mille homnres (février I z I 0), et I'Angleterre en a pro6té pour renouveler des tentatives faites antérieurement en vue d'un accommodement entre eux et la Suède. Or Pierre n'a même pas pour le moment de ministre a Londres : Matviéief en a été chassd par ses créanciers, après une algarade fort compromettante fiuillet I T0g). Au printemps de 1710, le prince Kourakine a bien réussi à lier partie avic I'élecleur de Hanovre, Georges-Louis, porrr un traité d,alliance défensive; mais ce traité, par lequel l" ira" s'est interdit d,atta_ quer les suédois en Alremagne en tant gu'ils n'y attaqueraient pas eux-mêmes ses allirjs, passe pourune demi-trahison (l). Les sujets polonais d'Auguste ne sorrt pas mieux satisfaits des nouvelles liaisons de leur Roi avec le vainqr,eur cle poltavâ. ,tu conmencement de l?ll, Wollowicz viendra à Nloscou se plaind.e en leur nom des exactions et violences dont ils ont à souffrir de la part des armées russes. II réclamera I'évacuation imrnédiate des troupes cantonndes dans le pÉrys, une indem_ nité pour Ies excès commis, la restitution de la Livonie et des territoires polonais en Ukraine, en Lithuanie, sur la rive droite du Dniéper (2). Tout cela constitue un état de choses plein de périls, et c,est tout cela gu'il faut laisser derrière son d.os, au nord et à I'ouest de I'Europer pour faire front au sud. Très marhabile à a;rercevoir Ies choses de loin, pierre les voit très bien de près, et, dcvant cet horizon subitement assombri, son àme se trouble une lois de plus et parait en détresse. euittant pétersborrrg en avril t7l l, il se préoccupe d'assurer le sort cle Catherinu uid"* enfants gu'il a d'elle, et Apraxine, qui se trouve sur le Don, lui écrivant pour réclamer des instructions, il répond (24 avr.ii (L) Sor.ovrcn, t, IVt, p. 62. i2) Archiver de Moscou, pologne, {?l{.

Tout entier à ses combinaisons de haute politique, dont I'Europe centrale est le tbéâtre, pierre n a pas p.A"" ""';;;. et se trouve fbrta'dépourvu pour le parer. Les alliés aorrf it s'est enrbarrassé ne pourront rui être d'aucun secours. Les

DE I,A BALTIQL]E A I,A

ITll) que,

u malade

CÀSPIENNE 368 et désespéré, il n'a pas d'ordre à lui

donner (I) , . C'est dans cette disposition d'esprit qu'il engagera la campagne de Nloldavie, où ce sera à son tour de faire I'expérience d'une guerre ofFensive dans un pals mal connur avec des ressources insuffisantes et contre un adversaire estimé au dessous de sa valeur.

II
Le plan de campagne auquel il s'arrête, cette fois,
est

sorti, parait-il , de son insiriratiotl personnelle. On pettt, sarls être 6rand clerc en la matière, ell aPercevoir le vice capital. [,es prédécesseurs du grand homme savaient bien ce qu'ils faisaient tlnand, après s'être engagés à faire cause commune contre le Turc avec les Polonais ou les Impériaux, ils s'en prenaient invariablement aux Tatars seuls. Déltris encore redoutable de la grande puissance mongole, le hhanat de la Crirnée constituait, à cette heure, I'avant-6arde des armées ottomanes, et cette avant-garde était ainsi placée que, barrant d'un côté, à I'est, le chemin de Constantinople, elle devait, soliderrent établie et contme embusquée dans sa forteresse naturelle du Péréliopr prendre infailliblement à revers I'envahisseur, qui s'avancerait par la route de I'ouest, à travers les provinces danubiennes, et lui couper ses communications et sa ligne de retlaite. La grarrde ilatherine le comprendra plus tard en s'acharnant à la destrnction du Khanat, et Pierre lui-même semblait I'avoir compris en attaquant la Turquie du côté d''\zof, où il avait sa ligne de retraite assurée par la voie fltrviale. Mais I'attaque par Azof réclamerait le concours d'unr.r .0otte, etcelle qui a été construite pour cet objet, à Voronèje, y est immobilisée par I'insuf{isance des forrds d'eau. C'est donc

(l)

Sorovrun,

t. XVI, p.7[.

38L

L'OELVRE.

pâr Iassy qu'il prendra, comptant sur. les hospodars de la Mol_ davie et de lavalaclrie, I(antérnir et Brancovan, et sur les ressources de leurs provinces, comme Charles a compté sur Mazeppir et su. I'uliraine. Il er''rène une armée de q'arante-cinq mille hornmes enviro' et trn carnp immense, peuplé de bo.ches in'tiles. catheri'e I'acconrpagne avec un gvnécée nombre*x, et la plupart des officiers, les étrangers surtout, o't avec eux leurs f'emnres et leurs enfants. ces clames tienrrront des réunions guotidiennes chez la future Tsarine, où l'on oubliera les soucis de la guerre (l). lls ne se laisseront pas oublier longtemps. Kantémir recoit ses hôtes à bras o'verts, nrais n'a pas de quoi les nourrir.. Brancovan se rnontre hésitant d'abord, puis prend parti pour les Turcs. Les magasins d'approvisionne*rent dont p,erre a ordonné la constitution sont restés à l'ét't de projet, a* milierr de la précipitation de sa marche, et il ne peut plus être ques_ tion de rega6'erà cet égarrl le ternps perdu : les Tatars orri fuit leur olÏice en paraissa't srrr les derrières des R'sses; res comm'nicatio's a'ec le Nord sont coupées. on parle a* Tsar d'un dépôt de vivres et de rnunitions fornré par les Turcs à rlraïla, sur le Séret, et, déjà rnoins préoccupé de comblttre que cle fai.e rnanger ses trorrpes, il larrce de ce côté le général R,inn* avec un corps de cavalerie, lui donnant rendez-vous srrr le Prulh, dont il suivra lui-rneme le cours dans Ia mênre direction- Une autre rencontre, inévitable, imprévue pour lui seul, cilr sorl état-major I'a pressentie, dit-on, et annoncée, I'attend avarrt celleJà. Le Ti l8 jrrillet l T 1 l, arr soir, son armée, réduite à trente-huit mille homrnes environ par le départ cle Rônne, se trouve entourée par les Turcs et les Tatars, qui oc_ ctrPe't les deux ri'es tlu f)euve, avec des forces cinq oir sept Ibis srrpérieu'es et une nornbreuse artillerie établie -*ur le, hauteu's. Nulle retraite possible. pas d'autre issue aPparente que la mort ou la captivité. A en croire un témoin. Pierre irurait songé cette {bis encore
(f.) ISusrr on Lvox, Mémoires, Àursterdarn,

lil6, t. l, p.85.

DE I,A BALTIOUE À LÂ

CASPIENNE.

36i

à sauver sa Personne du désastre, s'âdressant à un Cosaque' Ivan Nekulcze, qui, pensait-il, pourrait le faire Passer àvec Catherine à travers les hgnes ennemies (l)' D'autres témoi' et concordants ceux'ci' quoique égaleSna6es, fort nombreux rnent contredits, Ie rnontrent Iivré au désespoir et à ttne prostration ruorale cornplète, s'enfetmant dans sa tetlte' ne votrlant et laissant à plus donner auctln ordre ni recevoir aucun avis, 'Oatherine le soin des tentatives suprémes polrr le salut comrnun (9). On conrrait eufin la fatneuse lettre que le souverain heures trapasse pour avoir adressée au Sénat pendant ces
6iques

n Je vous annonce que' sans faute de notre part, mals seuu lement à raison de fausses nouvelles r.ecues, moi et toute ( mon armée. nous avons été enfel'més Par tll)e artnée turque r sept f.,is plus forte, de manière que tous les chernins pour ( nos a[)l)rovisionnements sotrt coupés, et t1ue, salls 1ln secollrs . *pe"iài de Dieu, je ne peux plivoir autre chose qu'trne complète ou (lue je tomberai entre les nrains oes " déioit" plus à n .furcs. si cette clernière chose arrive, vous n'aurez r me r'etar\-{\er comlne votre Tsar et rnaître, ni exécuter ce que u je vous comma,tderai rnême par écrit de ma main, tant que parrni vous; rnais si je p<lris et " i" ,ru serai pas en lrerùonne * q,r" oorrs rec"viez des nouvelles certaines de ma mort' choin ,iru", parmi volrs utl plus digne que moi Pour me succéder' ' Bien qu'on lui ait donné place, postérieurement, parmi les docunrents officiels, I'authenticité de cet écrit n'est rien moins que certaine (3). L'ori6inal n'existe pas' Comrnerrt aurait-il àirpu",r? La prernière édition collnue du texte se renco'tre (l) Korcnor;srn su.t, Fraqmenr rirës des Àrchiueç moldo-ualarluet' p' 61'r*99 r x[étnoires' p' /r&; Ilousst'r (Ncsteiij l;;t' T'o"l'' t' li p' ^Bnt'ce' (iesc'/rit'lrte d' ostttattischen Zrrxrrscs, I61 liI, p' t. ; xlétnoit uo.irlrtoy), -À";,'t"r,"i. , "", Lr liut',ovc' Vo.7'qor, t' II, p' {9; }funrrs' Jot*nal' \, p. L'24; i. f U,'p. 157. ilu,oi* s'en raPporte à la Ch.roni1u.e. cotttctnporuine'. loy' -1u1si à ."1J, la lertre ,fu baro,i liorf da.e le 1lullctitr du biblrcphile, 15 ian"u 186 [. vier et ttoutelle llzssie, 1976, t. III, fa; vry. l,étuclc de tsiélof clans I'ancienne p.'1ôt. nin;,1.nt le pour et le contrc, Sor'ovInr- (t' xVI, p' 89 et suiv') n'ose eo
Prononcer'

366

L,OEUVRE,

i'vraisembla'ces encore : dans plusieurs autres rettres, écrit'es à qrrelrlues jours de là et authentiques avec certitude, Pierre ne fera .'cune r'eution cre cette épitre rl'une impor.tance si capitale. Dans I'une d,elles il parlera avec franchise des fuutes qui t'orrt jeté, lui et son armée, dans une situatiorr
désespérée

sonfier à le marier pour assurer l. successioo d, trône ! Mais re choix du " plus digne , , frxé dans les rangs des sénateurs, alors gue les collaborateurs prélërés du Tsar, Apraxine, Golovkine, i\lenchikof, ne font pas partie de cette assernblée ? Mais d,autres

I'em1-rorte-pièce, de trauctrer les questions multiples qru ,u captivité prér'ue ou sâ dispar.ition peuvent soulever. Mais l'oubli de I'héritier naturel, à un moment où sa bro'ire avec .llexis est loin d'étre consommée ? Il vient précisérnent de

qui s'en est rapporté à un récit oral de chérérnétief. La rédaction crr Recueil à", Lois (pornote Sobranié ZaÈ.onou, lV, ?lZ) a été notoirement puisde à cette source. Le style est bien de pierre, et aussi la fhçon radicale, à

dans les anecdotes de Staehlin,

(l).

Quant au rôle attribué à catherine, nous sommes réduits i) choisir errtre le tér norgnase assez suspect de pieme lui_même et celui de quelques acteuls secondaires d.u drame dans les deux camp-r. Ceux-ci iguorent généralernent qu'elle y ait fi6uré d'une ma'ière active. poniatowski dit simplerne,rt gue pàrr" a risqué I'envoi d'un parlementaire au camp turc (2). Brasey de Lyon, qui s'est trouvé dans les ran6s de l,armée russË commebrigldier, et clont la Iemme, très appr,éci,ôe et u clégus_ tée , dans I'entourage du Tsar, ou .uppo.iJe \Veber, o upiroché de près à ce moure't ltr ruture Tsarine, clonne des déiails préci : u Sa &Iajesté Czalieune (pielr.e), le générai .Ianus, le u lieutena.t gé'éral b.ron d'osten et le ferd-marécbal (ché,, rémétief) eurent une lorrgue coni'érence en particulier. Ils ( s€ rapprochèrent tous du gérrérar baro' cl'Lrallart, qui était
._,(t) Wrrnnnc, Etude
Ousrnrrr,or, Étude dans l,Annuaire d.e I'Acatlémîe des science.s, l-gbg; àansl,Atrci.ennc et ttouuelle liassie, [gI5, t. III, p. CS6 (2) lle.lation adressée à Leszczynski. Aff. étr. .le h.,:arrce, lI"*. "r*;", "iDo"-. ili;;); Il, p. L2l.

t.

DE I-À BAI,TIOI]E A 1,À

CASPIENNE.

967

0 dans son cal.rosse à cause tle sa blessure, et là, entre le car( rosse du général et celui de la baronne d'Osten, ou était ( rnirdame Bouche(femme d'un général-major), il fut convenu a que Ie felcl-maréchal écrirait une lettre au grarrd vizir pour u l.,i demander une trêve (t). u Le journal de Hallart, confirmé par celui du ministre danois, Juel, qui a recueilli le témoignage du général (2), est formel dans le même sens' dépouillée D'up"Js Juel, il est faux rnéme que Catherine se soit ,1" ,", pierreries pour coopérer à la séductiorl du vizir'; elle s'est bornée à les distribuer tlux officiers de la garde, esPérarrt les mettre ainsi à I'abri, et les a réclamés ensuite' De fhçon ou d'autre, la catastrophe est conjurée' Après vizir irvoir renvoyé salrs réponse un prernier parlernerrtaiterle Tsar' consent à traiter. Chufirof va lui polter, de Ia part du cleux tles t-les contlitions en raPPort avec la position respective la Turarrnées : reddition de toutes les places conquises sur à la Livopie de rpie tlans les guerre; pr'écédentes, restitution tu S.,ad" et màme des autres pavs clu litto'al, à I'exception de l'Ingrie et de Pétersbourg (pour l)étersbourg, Piene consent' s'il ie faut, à céder Pskol', d'autles villes même au cæur de la de guerre' Ruiisie l); rétablissement de Leszczynski, indemnité préserrts arr Sultan. Il revient et rapporte la paix presque Pour ,,ie,, , l'ubondon d'Azof, [a rJestruction de quelques fortins voi' sins,l'enga6errrent de ne plus se mélel des affaires de Pologrre, le libre retout'du roi de Suède dans ses États' D'après Hantmer, qui a consulré les soutces turques' Ia valeur du bahcliz teçu i cette occasion par le vizir et paltagé avec le liiaia, n'a mêrne pas dépas;é 200,000 roubles (3) ! L'historien allernaDtl croit à I'interventiorr de taLlret.irre et à I'ei't'et ploduit par Èes diarnants. [Jne bague ayant appaltenu à la f'utrrre f'sitriDe a été retrouvée plus tard dans les elTets tlu hiaia' i\lais le vizir et Ie liraia pouvaient tout prerrdre, Pier're, sa fentrrre et son
armée
(

!

IlIémou'es, t. I, P. 79 et suiv. Juur,, I'oyaget (lopeuhague, 1893, p' 422' (3) Geschictite-rJ. Osnrnnisclten âeicÀs, Pesth, [828,

t)

t' VlI, p' [57'

808

L'oEITVBE.

L'événement ne peut s'expliquer que par I'histoire générale des guerres conduites par les Turcs. Ces Ottomans y paraissent toujours pressés de rentrer chez eux et disposés à se contenter du moindre avantage pour échapper à la nécessité du plus grand effort. Leurs troupes d'élite, janissaires en tête, sont capricieuses et indisciplinées. Dans la circonstance pr'ésente, elles imaginent bien que le vainqueur de Poltava voudra vendre cher sa vie ou sa liberté, et Chafirof, par son attitude et son langage, les confirme dans cette opinion. Puisé à l'école byzantiue. développé à l'école du malheur, I'art d'eu imposel est traditionnel en Russie' Peu soucieuses alors d'un triornphe plus complet que celui t1u'elles peuvent obtenir sans coup fërir, très indit'férentes au sort de Leszczunski ou de Challes XII, ces troupes se montrent mal disposées à combatlr'e, et, sachrrrrt ce qu'il en coùte de les contrarier, le vizir srrit leur inclinrtion. La paix est signée (l). Pierre sera merveilleusement prompt, comlne toujours, à se remettre des alarmes passées et à reprendre confiance dans I'avenir. Écrivant le jour rnême à Apraxine, il dit bien n'avoir jarnais été en si lhcheuse posture u depuis qu'il a commencé u de servir r , mâis en ajoutant aussitôt que u les pertes éprou' r vées d'un côté serviront à fbrtifier les acguisitions incontpau rables conservées ailleurs u . En mérne temps il n'aura garde de renoncer aux ressources que Ia nrtruvaise foi pourra lui olfrir, pour corriger Ies rigueurs de la lrortune. Ordonnant de raser Taganrog, il recommandera de ne pas toucher aux fondations, ( car les circonstances peuvelrt changer , , et il ne voudra pas enteudre parler de livrer Àzof ou d'évacuer la Pologne avant que Charles XII ait quitté la Turquie' En vain lui fera-t-on observer que Ia Porte n'a pris aucun el)Sagement à cet égnrcl. Chafirof et Ie fils de Chérémétief , qu'il a dù envover à Constantinople en qualité d'otages, se trouYeront dans une situation périlleuse; il n'err aura sure, et, en octobre 1712, il les laissera ernprisonncraux Sept-Tours' er) compagnie de TolstoÏ lui-

([)

Sor.,rvrur,

t. XVl, P

l0&.

DE LÀ BALTIQUE À LÀ

CASPTENNE.

36,

même. Il ne cédera à moitié gue devant Ia menace - hostilités, - abandonnant arors Azof, directe d'une reprise des consentant à une nouvelle rectification de la frontière réclamée par les Turcs, mais s'obstinant à leur donner Ie change par de faux rapports sur le nombre d'hommes qu'il maintient clans le voisinage de Yarsovie et obtenant en fin de compte ce à quoi il tenait le plus : sur son re{'us de quitter Benrler, Charles, après la folle équipée que I'on sait, est enlevé et enfermé au château de Timo'rtach, propri été du sultan dans le voisinage de Demotica. L'hér'oique batailreur a perdu dans I'ai'enture quatre doigts, un bout cl'o.eille, un bÀt de nez, et la possibilité de continuer en Turquie sa propagand.e belliqueuse.

III
Piene se croit maintenant en mesure de terminer promptement sa guerre avec ltr Suècle. L'épuisement de son pays,-le désordre de ses finances lui en font une nécessité irrrpà.ilor".

demander la garantie de ses conq.étes sur la suède en"échange d'un secours corrtre la France. orr fait un accueil assez rroid à son ambassadeur; Ia conduite des alliés en poméranie n,a pas été pour enga{îer les gens à faire cause commune avec eux ! Et I'année se termine par une défirite complète de I'armée saxo-danoise, qui a suivi dans le Mecklenrtourg Ie
2t+

Il compt.e malheureusement sans les alliés qu'il s'esi donnés. En septembre 17 12, le siège de Stralsund, entrepris i) frais communs, n'a abouti qu'à soulever I'opinion eu.opéenne ; Russes, Danois et Saxons y ont passé leur temps à se quereller et à dévaster le pays environnant. La fin d"-la 6.r"..e cle la succession d'Bspagne faisant craindre une intervention de I'Angleterre, de la llollande et de l'autriche dans les a{'rhi'es du Nord, Pierre envoie le prince Kourakine à la Haye, pour

370

L'OEUV RE.

dernier corps suédois tenant encore camPagne sous Stenboch. L'année suivante n'est pas meilleure. IJn rlpprochement entre I'Angleterre et la Ftance se dessirrant au congrès d'{Jtrecht, Pierre va à Hanovre, pour engaget l'Électeur dans ses intéréts. Il n'en tire que de bonnes paroles. Il se rabat sur la Prusse, où le roi Frédéric Iu'vient de mourir. La Prusse a suivi jusqu'à présent un système que I'on pourrait r'ésumer ainsi : ne rien laire, mais tâcher d'obtenir quantl même quelque chose; laisser les autres se battre et profiter de Ia bagarre pour s'adjuger une part du butin. EIle s'est laissé offrir Iilbing, sans donner autre chose en échange que d'assez vagues promesses. Pour aller plus loin, elle ne demandait pas moins qu'une anticipation précoce sur I'tæuvre du grand Frédéric : le partage immédiat de la Pologne (1)' IJne visite au nouveau roi Frécléric-Guillaume met Pierre à même de se convaincre que le changement de règne n'a modifié en rien, de ce côté, les principes politiques. De retour à Pétersbourg, en mars 1713, il se décide à frapper personnellement un grand coup' en attaquant la Finlande, u cette mère nourricière " de la Suède, ainsi qu'il l'appelle (2). L'événement prouvera qu'il est le mieux servi en faisant lui-même ses affaires. Abo, la villc priucipale clu pays, est plise presqtte sans t'ésistatlce en aoùt1 eIr octobre' Apraxine et Michel Galitzine battent les Suédois à'fanrmerfors. \[ais en Allemagne, par contre, la campagne cle l7l3 n'a été heureuse que pour la Prusse, qui n'y a pt'is part qu'avec ses couvoitises. Eniermé à Tônningen, Stenbock a été arnené à capituler le 4 rnai devant Nlenchikof et les alliés, et la reddition de Stettitr s'en est suivie I mais les vainqueurs se disprrtant le bénéfice de la victoire, la Prusse, qui a refusé son artillerie aux assiégeants pour prendre la ville, a consenti génér'euselnent à les mettre d'accord en y introduist'rnt une garnison, eL le truité de sëquestre, qui lui a valu cette aubaine) corrPrend aussi liii;en, Stralsund, Wismar, toute la Poméranie ! En retour, il est vlai,
(f.) Dnovsns, Aeschichte d.er I reussichen Politik.IY'partie, I'" tlivision, p. 34Ù. (2) Lettre à Aprarine, 30 octobre {712. Oabinet, s. Ir l' 14.

DE r,a B-{LrrQuE A r,A
le roi Guillaume s,est déclaré disposé n Ie Tsar et pour ses héritiers (lj u .

CASPIENNE.
n

,7t

à donner son sans pour

rlu duc Ch.rrles_ Frédéric. Fils d'une .*,r, ,1" Charles XII, celui_ci passe actriel_ lernent pour I'héritier présornptif de Ia courorrne de Suède. Mais, en attenclant, les l)alois ont pris possession de son héri_ tage holsteinois, et forb rni.e de Je ga..ler. charles XII semble seul capable désormais. les fe ." e,r lmpêcher. Or, "ri"i ;;; Stralsund un coup de tlréâtre p.o.l..it, rlui est fait pour com_ pliquer encore la tranre clejà si touffu" ,i" ro,rg.r" .rio_ terminable crise du Nord. L,adurinistrateur "uttu de Lubeck est accompagné par son ririnistre 11ui, brusquement, de.r,ient le favori et le conseiller le plus écouté clu héros suédois. Corn_ mcnt et pourquoi, on ne saur.art le dire, car I'homrne n,a rien qui pr i.-ieune en sir faveur. Son aspect est sinistre, et on le croii 1;iuér,alernent coupable ou cajable cles plus abominables lbrjait-s. Avant peu, qtrarrd il sera Àelé aux grandes négocia_

l\'[ais, en novembre, Charles reparaît inopinément dans Il y est rejoint pa" I'administrateur àe Lubeck, gé_ rant du duché de Holstein penclantla minor.ité
Stralsund.

Neuschlot, qui a consommé la corrquête de la F.inlarrd", il but en personne Ia flotte suédoise le 2b juillet, entre Uelsin6[o.s et Abo, fait prisonnier le corrtre_amiral Brenskôl,l , ,T"_pere des iles d'Aland, et, revenant dans n son paradis u sysç (rn nouvearr déploierrrerrt de pompes triomphales, il reçoit en_récornpense le grade de vice_ami.al confér.é par le Sénat.

mer, et la fortune continue à lui soulir"i ,tp,.è* lu pr*"

de cette compensation, le Danemark a protesté, réclamé des garanties contre les ambitioo, p.,rrriurr'r"', holsteinoises ou russes, et térnoigné de sa mauvaise h.me*r en se refusant à un arrangement avec le Hanovre, par lequel, après Ia mort de la reine Anne et l,avènement au trône d,An_ gleterre de l'électeur Georges, pierre a espéré se concilier I'appui de cette der.nière puissance. En 1714, ]e Tsar est seul à tenir campagne sur terre et sur

Peu satisfait

j"

([) Sorovrcr, t. XVII,

p. 2É.

szt

L'OEUVnE.

tions destinées à pacifier I'Europe, Châteauneuf, le ministle de France à Ia Haye' gémira d'avoir à traiter ( avec un homme dont la loyauté peut être suspectée avec beaucoup u de raison ,. Stanhope le traitera de n fripon I et I'accusera d'être vendu à I'Erupereur' Àntipatbique et suspecl à tout Ie monde, il éveillera partout la méfiance et I'eff|or.

Il

s'appelle le baron de Gærtz. au commencement de I 7 15, les affaires des alliés paraissent un moment prendre meilleure tournure. Le Danettla|k consentant à céder au Hanovre Brême et Verden, et la Prusse {àila sant mine d'accepter la médiation de la France entre elle et arrx Ia guerre Suède, le roi Georges a été amené à déclarer tout se avunt peu ftIiris Hanovre' cle électeur Suétlois comme avisé s'est Danemark brouille à nouveau et va de travers. Le de réclamer la cooPér'ation de Ia flotte anglaise, que I'Électerrr n'à pu ni voulu promettre, et la flotte anglaise restant dans ses ports, I'armée danoise reste dans ses quartiers' En mai, la Prusse accède à l'alliance, mais c'est pour mettre la main sur stralsund, d'où charles XII s'évade avant la capitulation (12 décembre). Grand méconteltement de Pierre qui, retenu en Pologne, n'a pas pris part au siège' Il prétend se rattraper en établissant en allenta8ne sa nièce, catherine lva,routu, qu'il mariera au duc de Mecklembourg, Challes-Léopold, et qu'il dotera avec des villes rnecklembourgeoises, Wismar et \Marnenùnde, en les rept'enant aux suédois. EIr av|il t 716, wismar cnpitule, en e{Tet, clevarrt les alliés I nliris cettx-ci ref'usent d'y laisser entrer Repnine qui commande lc colps russe. Irncore une fois Pierre a travaillé pour le roi de
Prusse.

Une compensation flatteuse Pour son amour-proPle lui est réservée orrlou* de l'été suivant' Atr mois d'aoùt, à bord d'u.

navire de sa construction, l'Ingermanland,
r.ade

Passe en levue les escadres russe, danoise, hollanclaise et anglaise, rérrnies erl

il

de copenhague sous son coiltrnarrclernertt. L'A116leterre et la Hollancle ne sont là que Polrr la parade, nrais on s'est entendu pour une action commuDe des flottes rus$e et tlanoise

DE LÀ BAI,TIQI'E Â LA CASPTENNE.

Elg

vouloir envoyerà I'anriral Nor'is, qui conrmantrait ses baiimerrt, dans les eaux danoises, I'ordle de s'emparer de ra personne du sorrverain russe et de coule. ,on er"odre (l). Sianhope, chargé de la commission, prétendit en référer au* outres ministres, ses collègues, etdonna au souverain le temps de se calnrer'I nrais Pierre prit ses alliés en dégoùt. Ir ordonnu à ses trouPes d'évacuer le Danc'rark sur Rostock, chérémétieÊs'établ:ssant dans le Nlecklembourg avec le gros de ses troupes, et il s'en fut à Arnsterclam, où Gær.tz I'aitirait, ouvrant àeroant ses yeux des horizons nouyeaux.
(n) {ï-")-, tlist.,of England, L vrer, t. XVII, p. 6,L.

en Scanie, et la présence des deux autres flottesr {uoique purement démonstrative, n'en est pas moins faite pouràorro"" aux alliés un puissant appui rnoral. L'entente c-esre"a, _alheureusement, au moment précis ou la coopération effective devra cornmencer" De part et d'autre on se soupçonne et on s'accuse cle desseins étrangers à I'entreprir" p.oj"té". pierre a heau déplo;.er tout son esprit d'initiative et toute son énergie, courant à stralsund pour hâter l'arrivée des transports dariois qui font défaut, risquant des reconnaissances périileuses sous le feu des batteries ennemies. Sa chaloupe piirrrrrrr, est per_ , cée par un boulet. Le mois de septembre arrive avant qo,on ait bougé, et l'état-major russe est unanime alors à déciarer qu'il y a lieu de remettre l'expédition à i'été prochain.Aussitôt c'est un tolle général parmi les ailiés : pierre a jeté le masque; il s'est entendu ayec les Suédois pour un partage de la pomé_ ranie et du Mecklembourg ! Il n'est venu en Allernagne que pour cela ! Peut-être mérue en veut_il à Coperrbag.r" t iu tale est mise en état de défense. Les bourgeoi, ,1" la "opi_ ,rijle reçoivent une distriLrution d'armes. Le ÈIanovre, clui a vu d,u. æil jaloux I'installation d'une pl-incesse r.usse en terre alreau point d'ofÊrir au Tsar |ailiance de |Angleterre et la 'a'de, coopération effective de la flotte anglaise en échange d,une renonciation de sa part au mariage mecklembourg"eois, se montre le plus irrité. Le roi Georges alla, affirme_t_on", jusqu,à

I, p. JB8;

DhoysEN, loc.

cit.,p.

(74

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Ministre du duc de Holstein avant d'être celui de charles, maître de Gcertz a essayé d'abord de sauver. les intérêts de son du la crise où ils paraissaient devoir sornbrer aYec la fortune roi de Suède. I1 a négocié avec la Prusse, le Hanovre et le roi de Pologne: pour s'assurer une part dans les dépouilles du de Holgrand oiirr"o, avec le Tsar pour faire épouser au duc le trône srrr ensuite ,t"in .rrr" princesse moscovite et le placer et de Suède. Il a trahi ainsi par anticipation son maître futur réputation rnauvaise n'a ga6né à ces démarches que la plus diplJm'atiqne de I'Europe. C'est pourtant avec une sincérité q,r", 1", alliés l'éconduisant et les Danois occupant le "oti""" le Holstein sans opposition d'aucune part, il s'est rejeté sur Holhéros suédois retour de Turquie' Chercher le salrrt du le réduire cela' stein dans le triomlthe de ce dernier; pour nombre de ses ennemis' isoler le Danemark, jeter le préten' dant dans les jambes de Georges de Hanovre et traiter alors en directement avec le Tsar, avec la Pnrsse mêrne, si possillle' auquel il se servant de la médiation {rançaise, tel est le plan
s'es

arrêté maintenant. En arrivant en Hollande, où Gærtz séjourne depuis le mois
{.

demai|716,Pierren'estpaséloignédepréter'l'oreilleàses du suggestions. [,e médecin Jcossu's Ereskins' un partisan

l'a trap.iiundunt que Gærtz a réussi à placer auprès du Tsar' il vaillé en ce sens. Quant au concours de la France' parait dégager I'idée assuré : le plan de Gærtz ne fait, au fond, que du 13 avril celui rnaitresse du clernier traité franco-suédois' dans 1715. La France s'y est engagée à appuyer Charles XII transbaltique domaine ses efforts pour la rjcupération de son Ainsi et le duc de Holstein-Gottorp dans ses réclamations' francaise qu'on l'a fait observer. I'idée de Gærtz est de marque

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0Âtjt, IENNE.

375

et de bonne marque : Louis XIV et Torcy (l) Il s'est agi pour Ie 6rand Roi et J)orlr son ministre de sauver d',rn" .uirre àorrrplète un système d'alliances qrri, perdant des siècles, a gararrti à la France sa sitrralion dans l'E'rope centrale en présÀce de I'Empire. L'affaiblissernent de la Trrrguie et de ra Éologne, Ies coups por.tés à la Suède par la llussie, ont sapé cet édifice à la base. L'idée de le reconstruire avec d'arrtres matéria.x, en s'ad'essant à la Russie elle-même , n'est pas mrrre et aura besoin de beaucoup de temps encol,e pour triompher de I'es_ prit de routine et d'un attachement plus légitime à de vieilles et respectables traditions. L'idée de Gærtz est, en attendant, un pis aller assez sortable. Du mois de jLrillet au mois de novembre 1716, la Have devient un centre de négociations extrêmement actives. Gært", le nrinistre tle Suède à paris, baron Sparre, le général Rancli, un Suédois qui sert Ia Hesse, poniatowski, I'arni cltjvoué dc Clrarles XII, s'abouchent avec l(ouraliine, avec Dubois que le R:gent a expédié de paris, avec le pensionnaire Fleinsius (Z). Pierre est de plus en plus mal disposé pour ses alliés d'Alle_ magne. Catherine, gui devait Ie suivre à Amster.dam, a dù s'amêter à Wesel, où elle met au monde le 2 janvier tTlT un enfant, le tsarévitch paul, qui ne vit que qoulqu", jours. Cette malherrreuse issue de ses coucrres est attribuJe pa*o., -ari aux mauvais traitements qu'elle a eu à subir en traversant le Hanovre. On est allé jusqu'à battre son cocher! Dubois, malheureusement, est venu en Hollarrde ayant tout autre chose en tête quc de seconder Gærtz. Louis XIV n'est plus; la directio* de la p'olitique {rançaise a échappé à de Torcy, et le Ré6ent a envoyé Dubois pour rencontrer Stanhope et s'entendre uvec l'.\ngleterre sur un objet auquel il sirbordonnera pendant quelque ternps toutes les autres considérations et combinai_ sons politiques : la succession convortée du grand Roi !

(t)

(2) unrurec<,
tiotrs erttre

Rusrie et les pay^s_[]as, la Haye, {Sgl, p. Ilussie et les Pays-Bas, t. III, p. 823 et suiv.

S_vvoror, loc. cit., t8g5, p. 4Lg. Recherches Ja^ r"s archîues ruçser

la

pour |Hictoite des reralg2; Scre"ronn, Z,

.376

L'Ôll,ov

R

E.

L'échecde Gcprtz tient à cette coïncidence fatale. La France se dérobant, Pierre tente un ra;lplochemetlt avec I'Angletelre. Mais en {ëvrier I7 17,le rninistre de la Suède à Londres, Gyllenborg, est arrôté sous prévelrtion d'entente avec Ie prétendant, et le résident russe, Viesselovski' se trouve impliqué dans I'accusation. Il se justifie tant bien que mal, et le Tsar dépêche l(ourakiue:) sa rescousse, avecl'offre d"un traité de commerce avantageux, comme préliminaile d'une alliance politique I mais aussitôt on réclame de l'envoyé un autre préliminaire : l'évacuation du Mecklembourg. Pien'e est forcé de reconnaitre qu'il n'y a rien à faire pour lui de cc côté : le roi d'Angleterre et l'électeur de [Ianovre s'entendent pout le repousser de I'Allernagne et de la Baltique. Il se rabat rle nouveau sur laFrance, et, au mois de urars 1717, il se tlc:cide àv tenter personnellcrnent la fortune' Des avis favorables lui sont arrivés de Berlin : la Prusse paraît disposée à s'entremettre pour une eutetrte et même à y participer. Je parlerai plus loin avec quelque détail du séjour <lrr Isar sur les bords cle la Seine et -du succès qtr'y rencontreront ses tentLrtives diplomatiques personnelles' Il sera médiocre. Pourtant, en revenant à Amsterdam de Paris, où ils auront accompagné le souverain, ses ministres, Golovkine. Chafir'of' et Kourakine, signeront, avec CItâteauneul'pourlaFrance et Cnyphausen pourla Prusse, un traité, dont le trait essentiel consistera dans I'acceptation de la médiation française Pour mettre firr à la guerre du Nord. Et c'est encore I'idée de Gærtz qui tliomphera ainsi' Le diplornate antipathique a conquis les sympatbies personnelles du Tsar. Pierre consent à le voir en secret au cbâteau de Loo et y entre de plain-1,ied dans ses projets' Le chargeant de ces propositions pour une paix séparée avec Charles, il prend l'engagement de ne pas agir avant trois mois, et c'est ar.ec des passeports du souverain russe que Gærtz va à Revel, pour rejoindre de là son maître en Suède' Les conséquences de ce nouvel imbroglio diplomatique se développeront rapidement. au comrnencement de janvier 1718, I'attention du monde politique à Pétersbourg est éveillée par le

DE LA BÀLTIQU_u A LÂ casptENNFl

.

377

départ inopiné du général Bruce, grand maître de I'artillerie, et du conseiller de chancellerie Ostermann. Où vont-ils? Le pré-

sident hollandais, de Bie, observe que Br'ce a fait emballer " des habits nouyeaux et ricbes et de la vaisselle d'argent,. Comme on le sait très économe, ce luxe a paru suspect, et les (( Bros mots et emportements r nysç lesquels Ostermann a répondu aux questions discr'ètes du résident de Hanovre \\teber, affirnant qu'il se rnet en route pour une tournée d,inspection, ne le rassurent poirrt (l). En mai I'Ilurope entière sait à quoi s'en tenir : Bruce et Ostermann pour Ia Russie, Gcnrtz et Gvllenborg pour la suède, se sont réunis à Aland pour traiter de la paix. Pour couper court aux querelles de préséance, on a abattu une cloison séparant deux pièces et placé la table des conférences au milieu, moitié dans une ch.mbre, moitié dans I'autre. Il sera plus difficile de s'ente'dre sur I'objet de la ré'nion. Gærtz réclamanr. le st(tttt quo ante, I'abandon de toutes les conq'êtes faites sur la suède, et pierre ne consenta'tqu'à évacuer laFinlande, on est loi'decomrrte. Il est vrai que le Tsar se montrait très large par. ailleuls, offrant tous les éq'iralents que la s*ède voudrait pre.dre sur Ies possessions allemandes du roi d'Angleterre, à charge porrr ellc, bien entenrl', de s'e' assurer Ia possession. slais il I'y aiderait; il apPuic'ait rnême au Lrcsri' la ctruse du pr'ér.crrd,r,i en r\rrglcterre. Les suédois par'aissa,t râire peu de cas de ces a'arrta6es, il recomma'd.it à ses plénipotentiaires d'essayer de la c.rruptio'. G1'lle'borg rr'était p's homme sans cloutl à rcfuse. urr lot de Jro..es terres e' Russie. rlais o'lui tlit que les IIa'ovrie's o't de leur côté cor.ro'rp' le mirristre suédois D'Iillcr' II en est n^Tvement outré (p). Des hruirs qui circule't sirnulta'dnrcut snr un soulèvement popuraire provoqué e' Russie Pa. le Procès du tsarévitch Alexis, I'obstination cle ch.rle" xlI, dont les espér'ances sont ainsi réveillées, la cli(ficulté de'eprerdre Stettin à la prusse, gue le roi cle Suètie ne veut plus aba'dor'rer, met{.ent à ure entente raltide un ob(1) De Bie à Fleinsius,
21 janv. {Z{8. Ârchives de la Have. (2) Lettre à Kourakine du gZ sept. l7l.8. Arehives KooàIino, t.

I, p.4.

3T8

L'OEUVRE.

stacle plus sérieux, et la catastrophe de Frederikshald survient, coupant court aux négociations. Charles est tué (I0 décembre l7l8) . Accusé de connivence avec la Russie au détriment des intérêts suédois, emprisonné et mis en jugement par les ordres d'Ulrique-Éléonore: qui, mariée au prince héritier de Hesse-Cassel, Frédéric, prend la succession de son frère, Gceltz monte à l'échafaud. La grande crise du Nord entre dans une phase nouvelle.

v
On se remet à négocier à Aland, le baron Lrlienstaedt y remplacant Gærtz, et Pierre y envoyant Iagoujinski avec des propositiorrs plus engageantes, qui vont jusqu'à l'abandon de la Livonie. Comme elles ne suffisent pas encorer des moyens extrêmes de coercition sont mis en æuvre par le Tsar : en .juiliet 1719, une énorrne flotte russe, 30 vaisseaux, 130 galères, 100 petits bâtiments, opère une descente sur Ia côte suédoise, et, pénétrant à I'intérieur du pays, le général-major Lascy y brùle cent trente-cinq villages, des moulins, des magasins, des usines sans nombre. Un parti de Cosaques s'avance à une lieue et denrie de la capitale. Mais l'ombre héroïque de Charles plarre sur sa patrie. Le gouv€rnement et le peuple résistent vaillamment à I'épreuve. Ostermann se présentant à Stockholm en parlementaire, le prince de Hesse-Cassel et le présiclent du Sénat, Kronhelm, lui déclarent qu'ils sont prêts à faciliter le débarqrrement des troupes russes, en vue d'une rencorrtre décisive qui viderait le débat. Brême et Werden, cédés enfin au Hanovre, ont gagné en méme ternps à Ulrique-Éléonore I'appui de I'Angleterre. La cour de Vienne, brouillée avec celle de Pétersbourg par I'affâire du tsarévitch Alexis, accentue ses anciennes dispositions, qui sont en faveur de Ia Suède, par jalousie de Ia Prusse. En juin 1720, I'influence du cabinet de Londres vaut à la Suède sa réconciliation avec le Danemark.

DE LÀ I}ALTIQUE A LA OASPIENNE.

379

moyennant une indemnité de six cent mille ducats et la cession du péage du Zund, contre la remise de toutes les conquétes danoises en Poméranie et en Norvège. A la Haye, l(ourakine est rédùit à rechercher I'appur de l;Bspa6ne! Et Ie résiclent français La Vie écrit de Pétersbourg : u Les mouvements inquiets du Tsar, joints aux transports u dont il est possédé, sont une marque de la violence des u passions dont il est a6ité... Les fonctions de la nature sont n interrompues par une insornnie qui ne lui laisse aucun repos, a et ceux qui sont auprès de sa personne font courir le bruit ( que les spectres en sont la cause, voulant couvrir le sujet de n ses inquiétudes, qui n'est que trop visible (l). u Ce sujet si apparent, c'est le résultat de vingt années d'efforts que Pierre voit compromis par la défer-tion des alliés irnpludernment associés à sa fortune victorieuse et ne songearrt qu'à lui disputer le prix de ses victoires; et c'est l'âme

et c'est la chail de tout un peuple , épuist! , mis à bout de forces par cette Suerl'e interminuble, qui crrent dans les al'fres nocturnes du souyerain. Voilà à quoi I'ont arnené ses liaisons avec les grandes puissances européennes, ses essais de politique à grande allure en leurcompagnie, ettout I'attirail d'une
dipk-,rnatie de grand apparat emprunté à leurs trrrditions I Les grandes puissances, heureusement pour lui, ont plus le désir de lui faire payer cher son imprudence et sa présomption que les moyens d'v réussir. En nrai 1790, uneescadre anglaise commandée par Norris est arrivée en vue dc Revel avec une attitude menacante. Elle a opéré sa jonction avec la llotte suédoise, mais, après quelques tentatives d'intimiclation, elle n'a fait qne brùler we isba e[ une bania (bain) construites par des ouvriers dans un îlot voisin. Pendant ce temps, un détachement russe condtrit par le brigadier Nlengden a opéré une nouvelle descente en Srrède, incendiant mille vinl;t-six maisons de paysans. n C'est une perte sensible, écrit à ce sujet Menn chikof, que celle que les deux flottes réunies ont causée à

it)

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juiu t7l9 ,A,ff étr

de France

ï80 L'OEUVR!:. ( Votre Majesté dans l'île de Nargenl mais, tout bien consir déré, on peut en faire son deuil, abandonnant I'e.ràa à la
o flotte suédoise etla bania à I'anglaise. , C'est maintenant le tour de la Irrauce d'entrer en scène I mais son intervention plus elficace s'exercera d'une nrauière toute pacifique et dans un sens également salutuire pour les intérêts des deux pays également assoifés de paix. Elle aboutit en avril 1721, à une nouyelle réunion de plénipoteltiaires russes et suédois à Nystadt. Campredon, {ui a fait réceurrnent le voyage de Saint-Pétersbourg à Stockholm avec I'assentitnent do Tsar, leur a préparé les voies. Du côté de la Suède on ne s'obstine plus 6uère qu'à écarter du comprouris le duc de Holstein, avec lequel Pierre a pris encore des engagements téméraires. Ce prince est bien devenu, depuis la mort de son oncle, I'héritier légitime de la couronrre de Suède, et Pielre a eu I'idée de faire valoir et d'exploiter au profit de la politique russe ses droits méconnus. Challes-Frédéric est venu en juin 1720 à Pétersbourg sur une invitation du 'fsar, y a reçu I'accueil le plus flatteur, et la main de la tsarevna Anne, fille de Pierre, lui a été prornise, o['['erte presque. Catherine, affirme-t-on, lui a déclaré pr.rbliqrremen{, u qu'elle serait heur:euse de devenir la belle-mère d'un prince dont elle aurait pu être la mjette, si la fortrine n'avait pas trahi la
Suètle

(l)"

.

En matière de promesses, il est vrai, lestraditions de I'école byzarrtine aussi bierr que celles de l'école occidentale rnettent le souverain lusse fort à I'aise, et il jettera lestement par-dessus bord le mnlireureux duc, ses droits, ses ambitions et ses espérances. Le 3 septernbre l79l , un courrier arlive à Wiborg, apportant au Tsar la nouvelle de la signature de la paix. La Livonie, I'Rsthonie, I'Ingrie, unepartie de la 0altriie avec Wiborg, une partie de la Finlande, sont acqtrises défiui-

tivement à Ia Russie, moyennant une indernnité de derrx millions d'écus. La Pologne du côté de la Russie, l'Angleterle (t)
Sorovrrr, t. XVII, p.269.

DE LA BALTIOT'E A I, (:ASPIENNE.

IET

du côté de la Suède, sont comprises dans le traité. II n'y est pas question du duc de Holstein. La grande ér'olution de la puissance moscovite, la fin de la période orie.tale et cortinentale dans son histoire, re corrrmencement d'une périorle occidentale et maritime sont con_ sonrmés. L'Europe politique s'est accrue décidément d'un facteur, qui comptera de plus en plus dans ses futures destinées. Et Pierre est arrivé au terme de son rude labeur, de son te.rible apprentissage. Il peut savourer les acclamations tle son peuple, qui, surmené, extérrué et épouvanté en der.nier lieu. I'a suivi g'and même jusqu'au bout et partage nraintenant sa joie débordante, son immense soulagement. Il revient aussitôt à Pétersbourg, remontant la Néva et faisant contin'ellement sonner les fanfares, tirer les trois canons de son vacht. La fbule accourt au débarcaclère de la Troïtsa. Elle apercoit deloin Ie Tsar, deboutà I'avant du navire, a8itantun mouchoir et criant : n'Iir! fuIir! ([,a paix!) Il saute à terre, leste et bon_ dissant, comme a.x jours de son adolescence, et corrrt aussitôt à l'église de la Trinité, ou un ser'ice de grâces est célébré Perrdant ce temps, sur la place devant le temple, une estrade de bois s'est dressée rapidement; on y a amerré des tonneaux de bièr'e et d'eau-de.vie; Pierre y monte, après avoir payé son tribut de reconnaissarrce à Dieu, parle en telmes érnus du grand événement, et, r-idant un verue d'eau-de-r.ie, donne le signal des libations triornphales (l). Les officiers de la rnarine vierrnent le co.rplirnenter, et Ie prient d'accepter re gr.tJe d'ar'iral, qui est conrne une consécration du nouveau r.ôle et de le norrvelle place conquise pour le pays et pour son chef dans la llaltique. Il consent de bonne grâce. Le Sénat, à son tour', lui fait hornrnage de trois titres nouveaux : ( père de Iû Pirtrie Pierre le Grancl Ernpereur. , Il hésite cette 1bis. ses préclécesseurs et lui-nrô're o't déjà été tentés à ce sujet. Dès le seizième siècle, la prétention de {aire recorrnaitr.e dans le mot tsar' rrn équiv.lent de Césat" o. cle Kaiser est née en (l)
Cuourrnsxr, Récits historiquee, p. Bl et suiv

382

L'OEUVRE.

Russie, en même temps que la tendance à répudierles origines

asiatiques d'une puissance inclinant à s'européaniser. .\yant servi primitivenrent à désigner les princes tatars de l(asatr, ce mot correspond au sa," Persan, au sl)'anglais etau sare frauçais, avec une valeur analogue. Dans un traité conclu entre I'ernpereur Nlaximilien et le grand-duc Vassili Ivanovitch, le titre impérial a été, un peu par rnégarde, attribuéauprince mosco-

vite.

Depuis, on a toujouts vécu sur cette équivoquel mais en l7l t Kourakine en était encore réduit à gratter, dans les lettres adressées à son maîtle par la reirre Anne, le qualiûcatif s tsarienne r accolé àh Majesté du vainqueur de Poltava. Pierre a paru assez indilTérerrt .iusqu'à présent à cette revendication et plutôt hostile, exprirni'rnt par un mot énergique et pil"tolesque la raison de ses répugnances intimes : u Ca sent le moisi. ' Il cède maintenant, mais avec une restriction : il sera Entpereur de toutes les Russdes etnon Empereur d'Orient, ainsi qu'on I'aurait voulu. Et il ne se dissimule pas les difficultés qu'il trouvera à faire agréer en Europe ce nouveau Personnage. Bn efl'et, la France et la Hollande sont seules d'aborcl à vouloir le recon-

naitre. f,a Suède n'y consent qu'en 1723; la Turquie, clix années plus tard; I'Angleterre et l'Autriche, en L742; la France et f 'Espague, en 114b, et la Polo6ne, la plus directeruent intér'essée, en 17611 seulemeut, à I'avènement de Poniatowski
et à la veille du premier Partage-

La fiassle de toutes les Russies, englobant les provirrccs conquises depuis cinq siècles à la civilisation européenne par I'hé6émonie polonaise, fera alors définitivement son entrée dans I'histoire. du nouveau titre, '\ la lëte qui accompagne la proclamatiou le nouvel Empereur tire de sa main le feu d'altifice, l'altiste charl;é de ce soin ayant été trouvé ivre mort' Il l,oit lui-méme copieusernent et s'arrnrse plus que tous ses sujets enserltblel\Iais le leudernarin, tôt levé comme à I'ortlinaire, il se renrettra au travail. Pour lui lt paix ue veut pas dirc le lepos' A côté, au- dessus rnême rles avantages matériels, clui en corrstitnent le bénéfice imrnédiat, il ententl en retirer Pour son peuple

DE LA BALTIQUE À LA

CASPTENNE

883

un bénéÊce moral, d'une portée plus lointaine, mais indéfinie. Il veut que cette lutte de vingt trnnées ait été surtout une école, à triple et cruelle durée d'études , , ainsi qu'il en parle dans une des lettres udressées comme à I'ordinaire à ses arnis pour. leur annoncer I'heureux événement. Et savoir n'est rien; il lautprofiter, et sur I'heur"e, dece qu'on a applis. Quoi? Repaltir en guerre? Pourquoi pas? Comrne il ne se sent pas las lur-même, il en viendra vite à méconnaitre la lassitucle des siens. Et voici qu'une nouvelle entreprise militaite le tente,
<r

avec des horizorrs encore plrrs étendrrs que ceuxque la ( fenêtre ouverte sur I'Europe , du côté de la Baltique a mis dr:vant ses

yeux. A le suivre, l'historien lui-mêrne se sent presque
hout d'baleine.

à

YI

En luttant grour reculer les limites de son empire et de son rnflueuce du côté de I'Occident, Pierre n'a pas perdu tle vue sa 1r'ontière orientale. Dès 169 1, le bourgmestre d'Amsterdam, Nicolas \4/itsen, a attiré son attention, par I'errtrernise du résiderit bollandais à \Ioscou, surl'importance des relations comrnetciales à établir entre la Russie et la Perse. En tGg2, le volage du Dauois Ishrand en Chile a fait époque pour ll connaissauce de ce pays. Urr des collabolateurs les plus dtlvoués de Pierre pour la construction des vaisseaux et des cauilllx, I'Arglais.lohn Pemy, s'est appliqué de son côté à étudier. le littor.ul de la Caspienne, ou, depnis le milieu du dix-septième siècle déjà, Astrahan est devenu un entrepôt impoltant pour le comrnerce de I'Arménie et de Ia Perse. Des tentatives lenouvelées à plusieurs reprises pourconqr:érir le nrarché de Péliin, ou à la mêrne époque une église russe a été lbndée, n'ont I)as donné, il est vrai, de résultat. Envoyé là-bas comme ambassadeur', en l7l 9, le colonel lsmailof s'est heurté à I'opposition

384
des ,Iésuites

L'OEUVRE.

plus solidement établis sur place (l). Mais cette déconvenue n'a eu pour effet que de fortifier Pierre dans le dessein de se frayer par ailleurs une route vels I'ExtrêmeOrient. A dé{àut de la Chine, les Indes. La pensée d'y rencontrer I'Angleterre et de lui faire échec n'entre assurément pas encoùe dans son esprit. Il n'a en vue qu'une part à conqrrérir dans I'immense réservoir de nchesses où presque toutes les puissances européennes ont trour'é à se pourvoir. Il visera d'abord Khiva et Boukhara, premières étapes sur le chemin de I'Oxus qui le conduira à Delhi, d'où les Anglais n'ont pas encore chassé le Grand Mogol. Les marchands russes avaient déjà exploré cette voie. Après la malheureuse ctmpagne de I 7 I l, la tentation de se pousser de ce côté, de regagner à I'est, sur la Caspienne, le terrain perdu au sud, sur la mer Noire, 'l est devenue plus pressante' Itrn 713, les rapports d'un ltodia turkrnène attiréà N{oscou ont excité encore les convoitises du souverain : il v avait de I'or à trouver sur les bords de l'AmouDaria (Oxus), et ce fleuve, qui se jetait autrefois dars la Caspienne et que les Khiviens passaient pour avoir détourné dans la mer cl'Aral par peur des Russes, pouvait être ramené à son cours prirnitif. La guerre de Suède a fait obstacle à une expédition cle quelque importance; mais Pieme n'a pu y tenir et a inatrgnré Ie sysl"ème des petits paguets, qui, fatal plus tard à d'autres conquérants de pays exotiques, ne Ie servira pas mieux. Un premier et très faible détachement, mis en campagne enlTllt sous la conduite de I'Allemand Bergholz, a pris le chemin de la Sibérie, l'a trouvé barré par les Iialmouks et a battu en retraite. En l7l?, Ie prince Alexandre Bekovitch Tcherkaski, mieux équipé avec quatre mille hommes cl'irrftnterie et deux mille Cosaques, a pénétré jusqu'à Iihiva. négociant et se battant tour à tour, mais a fini par être massacré avec tout son monde (2). (l) Bmn, Peters Verdienste undîe Eruciterunq ler qeographischcn Kentnisse Reitraqe ntr licnla iss rI. Àass. r\aiclrs, Pétersbourg,'[879, t. XYI, p. t2-:i;i. (2) Enrvrnos (H. Sutherland), Russian projccts agaittst fntliu, Londres, 1885,
p. {-30.

DË LA T]ALTIQUE A I,A

CASPIENNE

385

i'lus

heureuses ont été d"autres tentatives sirn'lta'érnent

envoyé à la cour du Schah, en est reyerru avec un troltg de con)rnerce et un projet d'expédition sur une grantle échelle. Nommé gouverneur d'Astrahan en 1720, il n'a cessé de prôner et de préparer cette campagne. C'est elle qui, au lendemain de la paix de Nystadt, remet pierre en activité belligueuse et I'a*ache aux douceurs de son ( paradis , . A ce moment Ia situation de la perse sernble d,ailleurs appeler d'elle-même une intelvention armée. après les Lesgues-et les I{az1'koumyks, dont les incursions dans le pays au courant tle I'année r72l y ont ruiné les comptoirs russes et causé à un seul marchand, Iévreinof, une perte de cent soixante_dix mille roubles, les Afgans pé'ètrent jusqu'à Ispahan. Si la Russie ne se hâte, elle sera clevancée par la Turquie, qui arrnonce I'intention de rétablir I'ordre chez ses voisins. Et pierre prend son parti : pour utiliser ces circonstances propices et réi.'ondre aux appels énergiques de son gouverneur d'Asirahan il rnettra sur pred toute une armée, et il la corrd.uira en per_
sonne.

faites du côté de la Perse. Bn l7 rb, Artérni pétrovitch volvuslii.

Le l3 mai 1722, il quitte Moscou, accompagné de TolstoT, d'Apraxine et de I'inséparable catherine; re l g juillet, il pre'cl. la rner à astrahan, avec vingt-trois rnille homrnes d'infanierie. Sa cavalerie, forte de neuf mille chevaux, ira par terre, suivie par une nuée de troupes irrégrrlières, vin6t mille Cosaques, vingt mille Kalrnouks, trente mille Tatares. Le rendez_vou,c est dans la direction de Derbent. eue prétend faire re Tsar avec cette armée de cent rnille hommes? Ses projets sont restés à l'état d'érrigme. Très probablement, en prenant le co.t.e-pied des ancie'nes démonstrations militaires à trop faible effectif, il s'est laissé une fois de plus emporter par sa ver.\.e. Une fois de plus aussi il a laissé voir ce fonds d,étrau5;e légè_ reté gui s'allie chez lui aux plus solides qualité.* du carac_ tère et de I'esprit. Le 2B aoùt, a;très une rencontre peu meur_ trière avec les trouPes du sultan d'outemich, rl fait une entrée triornphale à Derlient, ou les sénateurs lui envoient leurs féli-

g86

L'oEUVRE'

sur les pas citations, en I'engageant n à marcher en avant Àlexandre est obligé de d,Àlexandre , . Mais aussitôt le nouvel années plus tôt' ses tourner court' Comme en Nloldavie onze d'approvisoldats risquent de mourir de faim' Les transports ont subsistance leur à ,iooo"-"rri qui devaient pourvoir

jours sa cavasonrbré en traversant la Caspienne' En quelques chevaux lerie est démontée par I'absence de fourrages; les Derbent" à garnison tombent par milliers' Il luitt" une petite la première pierre I'Agrahan de et pose au ânfluer.t du Soulak portera le nom de Sainte-Croix' et revient pom-

à'nn fort qui et pil"eusement à Astrahan (l)' peusement t son erreur par la Mu,* une fo'is de plus aussi il rachètel'a Revenant miliqo"ii e maîtresse de ,o" 6énie : I'obstination' au cour$ trairement au système des petits paquets' Iançant détached'un de I'année suivante le colonel Chipof à la tête ment qui occupera quelques bourgs persans' le général-major l]akou' conI\fatiouchkine à la tête d.'un autre qui s'emparera de la position à sidéré par l'état-major russe comme la clef de il fait agir en même temps sa diplopr"nd.à dans ces "orrt,é"', Abramof s'ingénie par ses ordres matie. A Ispahan, le colonel vue à expliqtier aux Persans que le Tsar n'a autre chose en le et' révoltées' q,r" à" ieur prêter assistance contre les tribus iz septembre L723,Isman-Bey signe à Pétersbourg' au nom tout le littoral du SÀah, un traité qui abandonne à la Russie Bakou' les provinces convoité de la Caspienne' avec Derbent' échange d'une- vagne en de Ghilan, Marunâ"mn et Astrabadt, Au mois de mai promesse de secours contre les insurgés' déjà à vouloir mettre en de l'année suivante, Pierre en sera il rédigera à valeur et exploiter ces nouvelles acquisitions; détaillée pour I'enl,adresse de Matiouchkine une instruction sucre fruits voi à Pétersbourg des produits locaux : pétrole' '
secs, citrons.

Le Prince Boris C'est aller un Peu troP vite en besogne. 1724, Pour la avril en Mechtcherski, qui se rendra à Ispahan,

(l)

Sorovur, t.

XYIll, P' l+0-50'

DE LA BALTrorrE A LA

CASPIENNE.

387

ratification du traité, sera l'ecu à coups de fusil ! Excitée par I'Angleterre, la Turquie ytlotcste de son côté, exige une évacuation immédiate des territoires occupés, en réclame tout au moins une portion pour elle, demandant à I'envové francaisn marquis de Bonac, de fixel les parts. Appliqué à mettre tout ie monde d'accord, Bonac a rnaille à partir avec le ministre russe Niéplouief, qui I'accuse de trahir lesintérêts de Ia Russie après avoir pris deux mille ducats pour les défendre. Il jette à la porte I'insolent (l). Mais I'obstination doit triompher encore: en juin 1724, un traité de partage est signé à Constantinople, et si les limites qu'il détermine resteront précaires et illusoires, la Russie aura pris définitivement pied dans ces parages, et, de facon ou d'autre, un peu plus tôt ou un peu plus tard, elle arrivera à y faire prévaloir son
influence.

Envoyé à Constantinople pour l'échange des ratifications, Alexandre Rorrmiantsof se croisera en route avec une députation arménienne, allant à Pétersbourg pour solliciter I'appui du Tsar contre la Porte. Déjà! Un mouvement a été créé, qui ne s'arrétera plus, et posé un problème à la solution duquel I'avenir de l'Europe paraîtra lié encore à la {ln du siècle suivant. On pense bien que les députés de 1724 sont reçus à bras ouverts. Avec un sens politique des plus remarquables, Pierre a aussitôt songé à faire de la protection des peuplades chrétiennes du lieu, Arméniens, Géorgiens, la base de son action dans les pays à disputer aux'l'urcs et aux Persans. Hélas!il n'aura pas le temps de développer ce programme. Ses jours sont cr.rmptés désormais, et après lui ses héritiers, compromettant l'.euvre ébauchde, perdront un moment de vue jusqu'à la route des Indes jalonnée de la veille. Les jalons resteront pourtant. La question d'Olient demeurera ouverte dans les termes mêmes que son génie aura improvisds. Il y a mis sa griffe. Jusqu'à sa mort, i[ ne cessera de se préoccuper du sort (l)
Sorovror, t.

XVIII, p. ,i8 et suiv. De Bonac ne parle pae de cet incident

ilans ses rapports

38S

L'OÉIU v RE.

de sa nouvelle clientèle chrétienne. Et en même temps, toujours impatient, ne pouvant se résoudre à attendre, il cherchera, un peu à tâtons, une autre route, trn acheminernent de plus vers I'Orient lointain et mYstérieux' Au cours de I'année 1723, dans le port de Rogerwick, on travaillait avec la plus grande hâte et le plus gland secret à I'armement de deux frégates devant appareiller prochainement pour une destrnation inconnue. Le L2123 décembre' elles metiaient à la voile, essuyaient une bourrasque et étaient obligées de se réfugier dans le port de Revel. Le bruit se répandait alors qu'elles devaient aller à Madagascar pour prendre possession de cette île, qui pendant deux siècles encore sollicitera I'ambition colonisatrice des puissances européennes' Ainsi que beaucoup de ses inspirations, c'est de la Suède que Pierre avait tiré celle-ci. Peu de temps avant sa mort, Charles XII s'était mis en rappolt avec un aventurier du nom de llorgan, fils probablement du célèbre chef de flibustiers anglais, Henri John Morgan (1637'1690), mort à la Jamaïque après une carrière orageuse, au cours de laquelle il s'était emparé de I'isthme de Panama et y avait exercé quelque temps'une autorité despotique. Morgan se faisait fort d'ouvrir aux Suédois I'accès de I'ile, ou, à I'entendre, d'immenses trésors s'offraient à une prise facile. Les pourparlers avaient été repris en I 7 l9 avec la reine lJlrique-Éléonore, et des préparatifs avaient été cornmencés en vue d'une expédition, et c'est alors gue Pierre, mis alr courant par ses a8ents de Stockholm, avait résolu cle devancer ses voisins. Mais, dans son imagination ardente, Madagascar ne devait être, comme Bakou, qu'une étape' Après avoir occupé l'île et y avoir établi le protectorat russe' le commandant de son expédition à lui, I'amiral wilster. devait Poursuivre sa course à i'est jusqu'aux pays fabuleux soumis au sceptre du
Grand Mogol.

n'était qu'un rêve. Avec sa hàte et sa fièvre habituelles, Pierre ne s'est mêrne pas accordé le temps nécessaire pour obtenir les données les plus élémentaires sur sa future conquête. Il n'a pas lu les documents dérobés à son intention
Ce

DE LA BaT,TIQUE A LA

dans la chancellerie digé une lettre pour le Roi qu'il a supposé devoir régner sur I'ile, en lui firisarrt observer que, poul' le rnoment, le protectorat de la llussie valait plus que celui de la Suède. Les Suédors étaient mieux renseignés. Il a fait aussi choix des deux prernières fi'égates venues, sans s'inquiéter si elles se trouraient e' ,dtat cle faire un aussi long ïovaûe. sa colèr'e est exrré're quir'tl il a|pr.encl la rnt*r'aise conduite des deux 1i'agiles bâtirneuts. Ir s'en prend à Wilster et à ses subordonnés; il tempête;il rnenace; il ne veut pas en{.endre parler cl'alrandonner son projet; il imagine des cuilasses de feutre et d'ais, destinées à recorrvrir les bois irnrnergés et à eu corupenser la mauvaise quarité; et il ordonne à I'amiral de se tenir caché à Rogerrvicli sous u' faux norn, en attendant un prochain départ. peines perdues ! Les fr'égates se refuseront décidcment à faire leur devoir, les cuirasses de f'eutre seront introuvables à Revel; au conrrnencernent de L72/t, il est clécidé q'e I'expédition sera remise à'ne .late ultérieure (l). Il n'en sera plus guestion du vivant du 5;rand souverain. Après lui, dégrisée de son ivresse mar.itime, la Russie a dù et a su mieux cornprendre les ressources, directiors et linrites rr.turelles de sa puissarrce colo'isatr.ice. Elle v a trouvé une part suffisamment betle !

CASPIET{NE 38S de Stockholm, et, à tont hasard, il a ré-

(l)

Gr-nrH^r;r.

r'ilîfe, rùars 1891.

t. IX, p. 300 et suiv.; t. X, p.

870 et suiv. I Retue mqritimc

CHAPITRE
L'epOCÉn.
I.

III
FRANCE.

-

EN

finasuns du Tsar Premier projet de voyaûe en I"rance et son avortemenl. - I'rnitiative' * flu La l-rance en prend Tentatives de rapprochenrent. Ïiuplure cornplète des à Paris. Héron. Voyage de ]Iatvi6ief Raluze. Le rapprochernent s'opère -en dehors de la politique. relations- diplomatiques. - Russes en France. Double courant d'érnilJration' Franqais en Russie et - La colonie francaise à Saint-Pétersbourg. - Une étrange paroisse. Le Le cotnte de la llarck' Lefort. Père Cailleau. Reprise des négociations. - situation en Allernagne pousse Pierre à chercher un appui Sa rnauvaise II. L'arrivée à Dunkerque. Le voyage de Paris est décidé, en l'rance. - personnes. {Jn 56uçs1ain L'incognito Ute suite de quatre-vingts du Tsar, - \Iailly-Nesle' Le cornte de exigeant. Les nibulations de M. de Liboy. Le souper La question du cabriolet. Un étrange moile de transport. - à Paris. L'appartement du Louvre. Lln du Tsar à Beauvais. L'arrivée - l'Âcadérnie française. L'hôtel Lesdiguières. - Trois billet de logement à - le Tsar veut recevoir la visite tlu jours d'ernprisonrlement. Avant de sortir, .l)ans les bras du Tsar. Roi. Le cérérnonial. - L'étiquette oul,rliée. - est rendu à la liberté. Curiodu fatouclte. Pierre En touriste. -L'habit Le La soirée de I'Opéra' siti', hurneur ombrageuse et parcirnonie. ÙIécontentement- des princes et iles princesses. Tsar servi par le Régent. -à - tle Rohan. Visite Le Tsar s'hurnanise. llésaventure de la duchesse -Lettre de r,tatlattte de Maintenon. La légende et I'histoire. Saint-Cyr, - Occupations sérieuses et ilivertisseVisites aux-établisserilents scientiliques. l'6 1s16a1 ds Les orgies de Trianon. ments. Le revers de la médaille. - Tsar paye son Le suprêmes' Munificences Fontainebleau. Le départ. - route de Spa. lls sorlt nuls III. P.ésultats politi(lues. écot. Sur la - diplomatique' Le Tsar- est seul à voud'abord. Les exercices de voltige - sérieusernent. Le congrès de la Haye. Un traité platonique. lcir négocier Diplomates Représentation diplornatique insuflisante cle part et d'autre. dvaags5 nouvelles de la Le baron ile Schleinitz et Cellamare. endettes, sa fille en France. Il veut rnarier part du Tsar. Leur raison secrète. ia tsarevna Élisabeth, Louis XV ou le duc de Chartres. - Àccueil réservé Ses raisons, Le silence de Dubois' fait en France à ces ouvertures. - et la Russie une - veut une alliance politique La France Désaccord intime. L'alliance de Absence de terrain pour une entente' alliance de famille.
I'avenir.

-

-

I
Suivant sa prestigieuse apParition en rade de Copenhague, à ]a tête de quatre escadles réunies sous son conmandementt

L'APOGEE.

*

EN

FR.{NCE.

39t

le voyage de Pierre en i'rance marque I'apogée de son rè6ne. Les évérrernents qui viendront après, déceptions politirlues et tristesses domestiques, la rupture avec des alliances trop chère ment payées, le procès du tsarévitch, I'affaire llons, sernblent, en dépit même du triomphe de Nystadt, comme des retours cle fortune. O'estle déclin. Depuis 170I, Pierre n'a pas été une année sans guitter les li'ontières de son enpire, incessammment en course sur les grandes routes de I'Europe, soit pour visiter tour à tour., dans leurs capitales, Ies alliés de son choix, soit pour demauder âux eaux de Carlsbad ou de Pyrrnont le rétablissenrent d'une santé de plus en plus ébranlée. Le chemin de Paris I'a tenté en 1698 déjà, iors de son premier grand voJâge. ll a attendu, essayé mêrne de provoquer une invitation qui n'est pas ve'rue (l). Il s'en est consolé assez facilement. n Le Russe, I'a( t-on entendu dire, a besoin du Hollandais sur mer. de n l'Àllemand sur terre; il n'a que .faire du Francais., Les reiatrons entre les deux pays, très peu développées encorer rr'en ont pas moins subr le contre-coup de la blessure ainsi I-aite à I'amour-propre du souverain rnoscovite, et les inlérêts de la clientèle française dans Ie Nord ont eu également à s'en ressentir. Mais ce résultat a rencontré en France une indifférence au moins égale au dédain professé par le Tsar. La Buerre de la succession d'Espagne y a trop absorbé les esprits. Dans la pensée du Roi Très Chrétien, comme dans I'imagination de la plupart de ses sujets, la Moscovie est restée à l'état de chose lointaine et d'un médiocre intérét; son monarque a conservé une figure de personnage exotique, bizarre, obscur, et en somme peu curieux. Jusqu'en 1716, le nom du vainqueur de poltava n'a même pas paru sur la Iiste des souverains européens imprimée à
Paris
!

A Birzé pourtant, en l70l, Pierre a causé avec I'envoyé
francais qui y a suivi Ie roi de Pologne, et, ainsi entamée avec
(1) Ousrnrrr.on, Ilistoire
de

Pierre le Grand, t.

III, p.

:l_Bb

et &gg.

L'OETT V RE

du Héron, Ia conversation a continué par l'entremise de I'envoyé russe à Ia cour d'Auguste, par le canal de Patkul, par d'autres inlermédiaires encore. Pitr malheur, un tnalentendu gl'ave s'y est accusé aussitdt : à Versarlles, on a clu s'adresser, en I'honorant grandement, à un client notlveitu d'ordre secondaire, peu exi6eant rraturellernentl à une atrtrc' Pologne, plus lointaine, plus barbare et plus susceptillle encere d'être engagée au service du Roi moyennant un rnotlique strlaire accompagné de quelques douceursl à Moscou, on a prétendu traiter d'égal à égal. Une des fbrces essentielles cle la Russie morlerne, je veux dire la haute opinion qu'eli.' a tou.iours eue de son importance et de sa puissance, avant tnêtne de I'avoir justifiée, s'est rnanifestée superbement en cette occasion. Du Héron parlnnt cl'un rapprochement entre les deux colll's, voici la réplique de l'interlocuteur tusse l n L'union et il veut dire u I'alliance intirne entre ces deur héros du siècle n Louis XIV et Pierre sslnisnl assurément un très grand o objet de I'aclmiration -de toute I'Europe (l). , Au lendernain de Narva, le complirnent devait être médiocrement goùté en
France
!

'92

Err 1703, le successeur de du Héron en Pologne, Baluze, a tenté un voïa.[]e â Moscou et en est relenu assez penaud : il s'attendart à recevoir des u ouvertures ,, et on lLri a demandé, sèchement, d'en ftrire. Jusqu'en 1705 la Russie n'a elle-mêrne à Paris qu'un a3,ent strns caractère, Postnikof, que nous connaissons déjà, et que je vois occupé surtout tle tradrrire et

de publier les llulletins des victoires, plus ou moirts authentiques, remportées par son rnaitre sur les Suédois. A vrai clire, les ancierrnes ambassades tnoscovites ont laissé derr-ière elles. sur les bords cle

la Seine, des souvenirs fâcheux. et Mechtcherski, en l6{i7, t des Dolgoroulii Oelle princes failli aboutir à ul conflit strnglunt : ayant eu la prétentron d'introduire en franchise toutc ule carguison de ntarchandises destinées à la vente, les ambassadeurs ont ntis le
(1) Golovine, ministre
de France.
des

Aff. étr., i\ dt lléron,27 décenrlrre 1701. Aff. étr-

L'APOOIIP.

- EN FRANCE.

393

poignard à la main l)our repousser les douaniers du Roi (l). En 1705, nfatviéief r.ient de la ]Iirve à Par'is, mais a tout d'abord à s'escrirner contre les préjugés dontl'opinion y paraît renrplie à l'é6ard des Russes et de leur sourelaln. " Est-il s vrili, Iui demande-t-on, que, pendant son séjour. en llolu larrde, le 'Isar ait brisé son verre en s'apercevant qu'on y ( Sa l\fajesté raÊfble du n avait versé du vin de France? D o vrn de Cfiamptrgne. ' Est-il vrai encore qu'il ait or- " de pendre son fils? u donné un jour à Menchikof ', - u llais ( c'est une histoire datant d'Ivan le Terrible (2) ! , Ces tentatives d'apologie ne rnènent pas bien loin, et le pauvre diplomate a, d'autre part, dans son ba6age, une cornmission peu agr'éable : il s'agit de deux navires rnoscovites capturés par les corsâires de Dunkerque. Rieu à faire de ce côté. On écoute polirnent ses remontrances, comme ses rectifications historiques, mais on garde les navires. Urre nouvelle tentative de rapprochement a lieu après Poltava, et là Pierre prend sa revanche. Les rôles paraissent intervertis; les avances viennerrt maintelant cle la F'rance; au tour du Tsar d'y faire grise mine. Baluze, qui a peine à le rejoindre au milieu de ses courses coutinuelles et qui ne I)irrvient à I'aborder qu'en mai l7ll, à la veille de la campagne du Pruth, avec une offre de médiation entre la Russie et la Suède, reçoit un accuerl ironique : u Le Tsar veut bien de sa u médiation, muis pour I'accommocler avec le Turc seule{( merlt. , On le traite en importun, on l'écarte systématiquement cle la personne du souverain I on le récluit à courir après lui, à la dér'obée, dans les jartlins cle Iau'ororv. Quaud il revient à la charge, au letoul cle Fierre de sa malheureuse campa{;-ne, on lui tourne le dos sans {açon (3). Les événements ont marché. Les puissances a\.ec lesquelles Pierre a tié partie contre la Suède sont précisément celles tlue la guerre cle la succession cl'Espagne a mises aux prises avec
(1)
l6r.\

Aff. étr. de l'rant'c. Jllnoireç et dot,umcnts. Russie, t. III, p. 2l et surv.
SorovIsr. t. X\'. p. î2 Rirluze au lleri, Vrrrrovie,

{l

setrt. l7l

l, ,\ff. étr. tle ["rarrr.e.

39b

L'OEUV RE.

la France. Et Ie désir d'arracher à Ia France I' r arme la plus puissante dont elle clispose en Allemagne, n à savoir l'appui de la Suède, est devenu entre lui et elles le trait d'union natur.el. u Tant qu'on n'aura pas fait cela, écrit Kourakine à ce moment, r rien ne servira de prendre au Roi Arras, tout Arras qu'il a est (l). , Personnellement, Koulakine n'est d'ailleurs nullement antiFrancais. Ses instincts de 6rand seigneur et ses habitudes vite prises d'homme du monde Iui donnent trop de goùt pour Faris et surtout pour Versailles. Simultanément même, il est entré sous main, avec Rakoczy, le chef des insurgés hongrois, clans une négociation assez obscure et passablement louche, dont il a osé ddrober le secret au Tsar, au moyen d'une correspondance chiffrée avec un alphabet spécial. L'objet en est, de nrettre fin à la guerre de Ia succession d'Bspagne aux dépens de I'Autriche, la Russie assumant, au profit de la France, le rôle, déjà ima6iné alors, d'honnéte courtter. En avril 11 12, Rakoczy a paru lui-mérne à Utrecht pour essayer d'y mettre les fers au feu. Hélas! il s'y est rencontré avec un courrier de Chafirof, annoncant, de Constantinople, la conclusion d'une paix avantageuse, u qu'il a réussi à obtenir, malgré les intri( gues de I'envoyé francais, lequel s'est rnontré, pour la lluso sie, pire que les Suédois et les traîtres polonais ou cosaçluej D . Du coupr Kourakine a vu le terrain se dérober sous lui, et n'a pas insisté (2). Insensiblement pourtant et par la force seule des choses, I'abîme ainsi creusé entre les deux pays a tendu à se combler d'année en année. En entrant dans la famille européenne, la Russie a fait, guoi qu'elle en ait pensé, un grand pas pour le Iranchir. Un courant de relations naturelles. inévitables. s'est établi lentement et s'est développé entre les deux peuples, alors même gue les gouvernements restaient séparés. Quelques (l)
Note cle Kourakine pour Saint-John, Londres,

2l

avril-2 mai

t7Ll. Archi-

ves Kourakine,

t, IV, p.

405.

19 Archives Kouraline, t. Vr p, rv, L et suiv., I-71 ct suiv., 1.78, L84,
197, 2r)9.

L'APOGÉE.
Russes sont venus etr

_

EN

FIIANCE.

395

lilance et v ont élu domicile; des Francais en plus grantl ttottrble ont cherché un étalllissetnent en Russie. Po"tniliof déjà a eu cornrnission pour ernllaucher à Paris quelques hommes d'art, architectes, ingénieurs, chirurgiens. Il y a trour'é d'abord beaucoup de difficulté. Les Francais sont erigeants, u dernandent mille écus par an et croient u aller au bout du montle en allant à Nloscou u . lfais peu ii peu le mouyement d'émigration s'est prononcé' Le Bretorl Guillemotte de Villebois, tlont Pierre s'est assuré personnellenrcnt les services en 1698 perrdant son séjour en Flollande; le Gascon Balthazar de l'Osièr'e, qui, eu l695 déjà, a figuré sous Azo[ dans les rangs de I'arrnée moscovite, battent là-bas le rappel au milieu d'une colonie française naissante' Aux sièges de Notelrourg et de Nienschantz je vois encore, dans un rôle très actif, I'o[Iicier de génie Joseph-Gaspard Lambert de Guérin, qui plus tard donnera au Tsar des conseils pour le choix des emplacements sur lesquels Pétersbourg sela bâti (l). Après Poltava, le flot morrtera. Deux architectes françai". Ilerault et de la Squire, seront employés, ert 1712, aux collstructions de la nouvelle capitale. En l715, Pierre mettrn à profit la mort de Louis XIV pour se procurer, à bon cornpte, toute une équipe d'artistes sans emploi : Rastrelli, Legendre, Leblanc, Davalet, Louis Caravaque. La même année, la direction des chantiers de constructions navales établis sur la Nér'a est confiée au baron de Saint-Hilaire. Un comte de Launay parait parmi les gentilshornmes de la chambre du Tsar; sa femme est preruière darne d'honneur des jeunes princesses, {illes du souverain. Une chapelle française est londée à SaintPétersbourg dans I'île de Saint-Basile, et son chapelain, le Père Cailleau, Cordelier, prend le titre d'u aumôniel de la nation française , . Je dois à la vérité de dire que ce que I'on sait de lui et de sa paroisse n'est pas pour en donner une idée très avantageuse. Ce Cordelier est un prêtre relaps, qui, avant de quitter la France, s'y était procuré, par surprise, un brevet
(t)
B,rnrIcu-KruE,\sKI, Recueil historique, lloscou, 1814, p. 66-67.

396

L'OEUYIIE.

d'aumônier dans le régiruent de N{arsrllac et s'était fait chasser pour inconrluite. Je le vois coustlrrrrrrent en querelle avec ses ouailles de Saint-Pétersbour,g. Il veut pénétr.er de frrrce chez Flancois Vasson, forrdeur au selvice du Tsar qui lui a dél'endu sa polte, et madame Vasson lui banant le passage, il la traite cle ,, voleuse r et de ( coureuse d'almées,r, et finit par la rnaltlaitet si lblt qu'elle est obli6ée rlc prentlre le lit. ll lance publiclucment les foudles de I'excommunication sur le peintre 0irraraque et cldclare nul son rnariage avec maclernoiselle Sirnou, parce que les bans en ont été publiés ailleurs qu'à la chapelle dv Va,sili-Osrror'. Il enjoint à la mariée de quitter le lit <'onjirgal, et, sur son ref'us, la poursurt avec ur) recuerl de clrarrsons olrccènes et diffamatoires, qui lbnt I'objet d'un procr\r llolté rlc'r'irrrl la juricliction du consulat franctris. L)au.s sa plaicloirie, ic tjordelier se targue de pouvoir parler sciernmerrt des dis.grâces secrètes de la fille Simon, ( en ayant eu une paru faite expérience alaut son illégal maria{Te (l) ,. Indépendamrment de ces désordres intimes, le sort de la colonie n'est d'ailleurs pas enviable à beaucoup d'égards. Àprès trois années de service, r.éconrpensés par la croix de Saint-Arrdré sarts aucun appoint pécuniair.e, Lambert de G uér.in est récluit à .r'endre tout ce qu'il possède pour échapper à la misère et 1-rayersoD voya1;e de retour en F'rance. En lTlT, il écrirtr au duc rl'Orléaus : u Je me trouve fort herrreux d'étre r sorti sain et sauf des États de ce prince (Pierre I.') et de me a trouver dans le plus florissant royaume de I'univers, où du u pain et de I'eau valent mieux que toute In Moscovie. r Bt son cas n'est pas isolé, car, clans un rapport adlessé en lTlB à Dubois par l'agent commelcial La Vie, je lis ces lignes : a L'état d'un grand rrombre de !'rancais: rlui sont venus s'étan blir en ce pa)'s (en Russie), me parait si tnste que je me r trouve ollligé cl'en infor.ruer V. G. Vin.gt-cinq de ceux clui a étaient aux gages du Tsar ont été congétliés du service, n nonobstant les conventions qu'ils ont {àites à Paris avec le (t)
Dossicrs du (ionsulat de France à Saint-Pétersl-rourg,

juillet tT?('). Âff.6tr.

de France.

L'APOGÉE.

_ I'N F}iÀNi:E.

392

( sieur Lefort, agent de ce Prince... Un plus grand nonrbre " d'autres, qui le sont point à la pave et à qui on s'était . engagé à Paris de fournir des fontls pour les établir, par
n I'inexécution de cette prontesse, se trouvent tlans une grarrtle s rnisère (l). , {Jn officier du nom de La lfotte jugera mênre à propos, en retournant dans son pays, de publier à ce str.jet un u t\vertrssement au puhlic r , qui fera grand bruit (2). llais I'impulsion est donnée, et le nornbre des imrnig.r'ants s'accroît d'année en année daus la nouvelle capitale clu l{old, au point d'v inquiéter les agrents diplomatiques des autres puissances. Le :'ésident hollandais, de Bie, jette des cris tl'alarme (3). A Paris, en nrrime temps, [,efort, un neveu du colnpagnon de jeunesse de Pierre, s'entremet, avec le concolrrs rlu chancelier lrontchartrarn, pour la fbrmation d'une corupagnie de conlmerce franco-russe. L'nflaire somllre malheureusement au moment d'aboutir : I'entremetteur est arrêté pour dettes. A cet égard, une latalité semble poursuivre les rnodestes débuts d'une entente destinée à un si brillant avenir. Lefort a pour successerrt un sieur Hugueton, qui se faisait appeler ba|on d'Odik, et en qui le ministère français découvre en y regarclant tle près un gibier de potence, n un banqueroutier de Londres, ( que le Roi trurait fait pendre avec justice si Ie roi tl'Angleu terre avait eu égard aux instances qui lui ont été faites pour { ravoir ce malheureux, qui avait cherché un asile à Londr.es u . Puis, c'est, du côté de la France cette fors, une interverrtion manquée du conte de La ÀIarck, chargé secrètenent en l7l6 par le duc d'Orléans de rejoindre le Tsar aux eaux de pvrmont et d'éprouver la solidité des engagements qur le lient avec les ennemis du Roi (211. Ce nouveau messager de paix se met e. gra.cls frais de préparatifs diploniatiques, à coups de mémoires? projets préliminaires, etc. Quand il a {ini, Pierre a quitté pyrmorrt. Il sernble qu'en marchant ainsi on n'ait pas grande chauce (l)
Pétersbour11, 3 janvier 1718. Aff. étr. dc lirant.e. 12\ Cologne, L70h.La bru,,hureproyo(lùe de nourLreuses réplirlues €t contre-

repliques. 13' I)ripèchcs des i] et 6 août 1714. lrchir.cs tlc la Haye. (&) Instruction du 1lljuin 17f6. Aff. etr. de l,'rance.

.398

L'OE {rV R E.

de se rencontrer I mais la logique des événements travaille d'elle-même au rapprochement des deux pays; elle triornphe des inconséquences et des défaillances de leur diplomatie. A mesure que I'on découvre mieux en France I'erreur de calcul commise dans I'évaluation du nouveau facteur dont la politique européenne s'est enrichie, Pierre arrive aussi à percevoir plus clairement les inconvénients et les dangers de Ia situatiorr que ses entreprises irréfléchies lui ont faite au cæur de I'Allemagne. Au commencement de 1717, la Prusse, dont il a surtout servi les intérêts, menace d'y abandonner le trop aventureux souverain. Alarmée par la maut'aise tenue d'une coalition, à lnquelle elle n'a pris part, dès le début: ![u'avec de prudentes réserves, inquiétée par les pourparlers du Tsar avec Gærtz. dont elle a eu connaissance, elle a jugé à propos de se mettre à couvert au moyen d'une convention secrète si6née avec la France le l4 septembre 1716. Elle yaaccepté la médiation de cette dernière puissance et s'est engagée à cesser les hostilités, moyennant I'abandon de Stettin. Il ne reste d'autre ressource à Pierre que de suivre son exemple, et le voyage de France est décidé. En février 1717, vingt gentilshommes russes apparrenant aux plus considérables familles du pays, Jérebtso[, Volkonski, Rimski-Korssakof, Ioussoupof, Saltyliof, Pouchkine, Bézobrazof , Bariatinski, Biélossielski, y précèdent leur maître. Ils ont reçu la permission d'entrer dans les gardes-marine du Roi. L'heurs ss{, vsnue pour la Russie et pour son souverain tle faire un nouveau pas, et le plus considérable de tous, dans cette prise de contact avec le monde européen qui est devenu une loi de leur destinée. Catherine ne sera pas du vovage, et ce seul fait indique la portée de l'événemeut. Pierre se sépare rarement de cette compa&ne airnée. Toutes les cours cl'Allema..;ne I'ont vue à ses côtés, et il ne ''est pas soucié de I'eflet qtr'elle a pu y produire. Il juge à propos de ne pas renouveler I'expérience à Paris. Évidenrment il a conscience de devoir s'y trouver au milieu itr'éléments nouveaux de culture et de ratfinement comportant d'autres exigences de décence et de tenue,

L'APOGEE.

_ EIi

F'RÀNCE.

399

{I

La route n'a pas lieu sans encombre. Pierre arrive à Dunkerrlrre, le 2l avril 1717, avec une suite cle cincluante-sept ilcrsonnes. Cet entourage nombreux est pour ses hôtes une grr,:rnière et assez embarrassante surprise. Le Tsar avait prétendu voyager dans le plus strict incognito, et les frais de réception ont été calculés en corrséquence. La fatalité veut encore gue Ies preniels débats entre les ministres de I'auguste voya6eur et M. de Liboy, gentilhomme ordinaire de Ia maison du Roi envoyé à sa rencontre, portent sur une question piteuse de gros sous ! Sa ùIajesté Tsarienne ne consentirait-elle pas à recevoir une somme fixe pour son entretien pendant Ie séjour qu'elle s'est proposé de fàire en France ? On irait jusqu'à quinze cents livres par jour. Cette facon de solder les frais

d'hospitalité est de règle, à cette époque, pour les envovés étran.gers venant en Russie ; la proposition n'a donc en ellernême rien d'inconvenant. Kourakine, pourtant, se récrie et rérluit de Liboy au silence, mais aussi au désespoir, car les créclits du rnalheureux agent sont limités, et il apercoit, dans la maison de Sa Majesté, un coulage énorme. u Sous prétexte u de cleux ou trois assiettes qu'il prépare tous les jours à son ( maitle? le chef de cuisine enlève la valeur d'une table de u huit couverts en viande et rnême en vins ! , Liboy essaye de réaliser une économie u en rompant le souper u . Protestation gérrérale des seigneurs russes et de leurs domesticlues. Et le nombre en augmente; ils sont bientôt quatre-vingts ! Par bonheur, on s'esl. ravisé à Yersailles, et de nouvelles instructions du Régent laissent à son représentant les coudées plus franches. On ne regardera pas à la dépense, pourvu que le Tsar soit content. Mais contenter le Tsar n'est pas chose aisée. De Liboy découvre dans son caractère n des semences de

/l,Ofi

L'OEIlv RE.

vertu ), , mais ( toutes sauva$es t . Il se lève de grand mattn, il a bien dîné, cl irre vels dix lteures, soupe iégèrement quand le souper, it fait tlinel et le mais, erltre à neuf et se couche I urre furieuse consommation d'eau-de-vie d'anis' de bièr'e, de vin, de fruits et de toute espèce de victuailles' a Il a l'oujours ( sous la main deux ou trois assiettes préparées par soÙ cursir nier, abandonne une table somptueusement sen'ie pour c aller manger dans sa chambre, se fait faire de la bière par a un hornme à lui, trouvant détestable celle qu'on lui sert, et u se plaint de tout' , C'est un Gargantua nlaussade' Les seine sont pas lnoins exigeants, a aimant tout Sneurs de sa suite - ce qoi est bon et s'y connaissant u. Guère sauvages déjà ceux-ci, peut-on en conclure. llais le service de la table n'est encore qu'un jeu à côté de celui des transports. Le Tsar prétend aller à Paris en quatre jours, ce qui paraît impossible avec les relais dont on dispose' Kotrrrrkine toise d'un re6ard méprisant les carrosses qu'on rnet à sa clisposition, disant ( qu'on n'a iamais vu un gentilhomme o nronter clans un corbillard u Il veut des berlines. Quaùt au Tsrrr, il déclare soudain ne vouloir s'accomtnoder Di d'un carrosse ni cl'une berline. Il lui fautuncabriolet à deux foues' pareil à ceux dont il se sert à Pétersbourg. on n'en trouve nr à b.rnk".qt" ni à Calars, et, quand on s'est mis sur les tlents pour le satis{âire, il a changé de fantaisie. Liboy arrive à constater avec amertume {u€ c cette petite cour est fort chan( teante, irrésolue et, du trône à l'écurie, fort sujette à la n colère , . Les volontés et les projets de SaMajesté Tsarienne varient d'une heure à I'autre. Nulle possibilité d'arréter un et de régler à l'avance quoi que ce soit' prosramme JCol"ir, ou I'on s'arrête quelques jours, le souverain s'humanise un peu. II passe eu revrle un régiment, visite utr fort, assiste même à une chasse donnée en son honneur, et son humeur devient si charmante que Liboyenarrive à concevoir ries alalmes pour la vertu de Xladame la Présidente, à laquelle incombe le soin de faire ùux voYageurs les hotrueurs de la ville' Mais la question des transports revient sur le tapis et s'ettve-

I,'APOGI'E.
s-ait

_ NN FRANCE.

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n;me au J,oint que Liboy voit déjà le voyage s rompu , . On ne plus du tout combien de temps le Tsar vouclra rester à calais, ni méme s'il se décidera à continuer la route. a ce moment, est déjà au 2 mai, _ Liboy reçoit un coadjuteur de marqtre dans la personne du marquis rie ùtaiily_N"rt". A Paris, on veut que ce jeune seigneur soit allé à la lencontre clu souvel'ain moscovite sans avoir eu pour cela aucune commission ; il a prétexté u ung prérogative ancielne dans sa main son d'aller au-devant des rois étrangers quand ils entrent en ,, France par la Picardie r , et â trouvé moyen, tout ruiné qu'il soit, d'emprunter mille pistoles, pour sauvegarder la tradition. un co.respondant du duc de Lorrainer {ui se fait l'écho de ces propos, y ajoute d'autres traits, où paraissent curieusement les idées quiirvaient cours dans la capitale sur le compte cle i'hôte

qu'on s'aPprêtait à y recevoir : de Mailly prétenâant .o.ter en ca"*osrie avec le Tsar, celui-ci l'en aurait chassé à coups cle poing ; le souverain moscovite aurait répondu à une observation par un souffrlet, etc. (I) Bn réalité, le marquis est régulièrement commissionné par le Régent, et la malignité publique s'est gratuitement egayée aux dépens du jeune homme; son rôle ne s'en troorr" pa, moins ass,:z ingrat. pour commencer, il tombe mal, car clst la Pâque cusse, et la suite du Tsar se trouve empêchée de le recevoir (romme il a pu s'y attendre : elle est ivre morte. Le souverain reste seul debout et à peu près dans son état oldi_ naire, u l,ien gu'il soit sorti incognito à huit heures du soir,. u raconte Liboy, pour aller boire avec ses musiciens logés u dans urr cabaret u . Nlais le cabaret et la compagnie qu'il ya trouvée le disposent mal évidemment à recevoir l""o-plimË,rt du marquis. Même les jours suivants et à jeun, il le trourera trop élégant. A défaut de coups de poing, il lui ddcochera des épigrammes, s'étonnera cle le voir changer de costume tous les jorrrs : n Ce jeune honrme ne peut donc trouver un tailleur pour I'hat,iller à sa guise ? , L'humeur du Tsar s,est, d'ailleur.s,
Vot.

({\-Lettre, de.S.ergent, Bibliothèque nationale, Collection de
O/

4 { rna )uscrrls).

f,orreine.

bo2

L'OEUV RE.

derechef assombrie. Il a manifesté enfin le désir de se remettre en chemin; mais il a fait choix d'un nouveau rnode de locomo' tion; il a imaginé une sorte de brancard, sur lequel sera fixé le corps d'un vieux phaéton trouvé dans un lot deaoitures mises au ,ebot, le tout devant être porté à dos de chevaux' On cherche en vain à lui expliquer qu'il y a danger pour lui à se risquer en cet étrange équipage auquel les attelages ne sont pas dressés. u Les hommes, écrit de Mailly à ce sujet, ordinairement se r mènent par la raison ; mais ceux-ci, si tant est qu'on peut u clonner Ie nom d'homme à qui n'a rien d'humain, ne l'en-

u tendent point du tout. , On ajuste le brancard du mieux que I'on peut; I'essentiel est de partir' Sur ce point, Nlailly renchérit sur Liboy, ajoutant : u .Ie ne sais pas encore si le u Tsar couchera à Botrlogne ou à Montreuil, mais c'est beaua coup qu'il se mette en chemin ; je voudrais de tout mon cætu' u q.r'i1 fùt arrivé à Paris et même qu'il en fiit parti' Quand Son et qu'il y aura resté quelques " Àlturr" Royale I'aura vu, n jours, je suis persuadé, si j'ose le dire, qu'Elle ne sera 1)as * fârhéu d'en êtr-e débarrassée. Les ministres ne parlent pas n français, hors M. le plince Kourakine, que je n'ar point vu u aujourd'hui..., et il n'est pas possrble de faire aucun com( meRtaire sur les grimaces des autres, qui sont en vérité

n d'uneespèceParticulière (l)' " On part donc, le 4 mai' le Tsar descendant de son brancard à I'entrée des villes, qu'il traverse en catrosse) pour rePrenilre aussitôt l'équipage de son choix. Il y est bien placé pour observer le pays qu'il traverse' Tout comme un autre tonug".r* qui le srrivra à un demi - siècle de distance Ltih"r Young * il est frappé par I'air de mrsère des gens tlu peuple qu'il rencontre. Douze ans plus tôt, Matviéief ouail ru"oeilli des impressions très différentes (2)' Les dercette lettre, qui est du 3 mar L7L7, n'a pas été corDprise dansle R.e.cue.tl d.e au séjour de Pierre Ie" en France, que la Société impe d.ocrtnrents se rapPortant ^.urse afait entrer dans le XIXIY" volume de sa grande pulilicariale rl'histoi.e ,ioo, .r, puisant au dépôt des affaires étrargères de France. cette omiasion n'est

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pas la seule.

(2) Sor.ovIrr, t. XVII, p. 88. Corr'p t' \V. p'

71-

L'APOGÉE.

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FRAI{CE.

h03

nières années d'un règne ruineux ont fait leur æuvre depuis. On coucbe à Boulogne et I'on repart Ie lendemain pour cou_

cher à Amiens: mais. à mi-chemin, le Tsar se ravise et pré_ tend pousser jusqu'à Beauvais. Il n'y a pas de relais préparés; on lui en fait I'observation, etil ne répond que par de, injure*. Averti en toute hâte, I'intendant de Beauvais, M. du Berrrage, fait l'impossible pour réunir les soixante chevaux indispeniables. De concert avec I'évêque, il prépare à l'évêché un souper, un concert, une illumination et un feu d'artifrce. ll décore le palais avec les armes du Tsar et sa chambre à coucher ayec les portraits, peu ressemblants, j'imagine, des grandsducs de Nloscovie, ses ancêtres. Soudain on apprend qu'étant monté dans le carrosse du zélé intendant, le Tsar a traversd Ia ville précipitamment, a regrimpé sur son brancard, et s,est arrêté, à un guart de lieue de distance, dans un méchant cabaret, n où il n'a dépensé que dix-huit francs en tout pour son .. repas et celui de ses gens au nombre d'une trentaine, tirant s lui-même de sa poche une serviette dont il s'est servi en guise de nappe, . Le pauvre du Bernage en est réduit à impro"_ viser un bal que sa femme donnera à l'évêché et où on ,u "or,solera de I'absence du Tsar en songeant que les préparatifs faits pour Ie recevoir n'auront pas été absolument peùus (f ). Enfin le l0 mai au soir, le Tsar fait son entrée à paris, escorté par trois cents grenadiers à cheval. on rui a offert |appartement de la Reine mère au Louvre. Il a accepté, et, ju-s_ gu'au dernier moment, on s'est attendu à I'y recevoir. Coipel a été chargé d'y nettoyer peintures et dorures. On y n'i";t tendre, rapporte Sergent, a le beau lit que madame de Main_ tr tenon avait fait faire pour le Roi, qui est la chose d.u monde o la plus riche et la plus magnifique u . On a préparé dans la grande salle du palais deux tables de soixante couverts magnir ûquement servies. Enmême temps le Louvre avant paru trop étroit encore pour y loger toute la suite d.u ro.ro".uirr, on u (l') correspontlance de l'évêgue de Beau'ais et des agents du duc d,orréans aux Âff. érr. de Ê"n,"", mai 1.7t7..'\'o.1,. ;;; p"",i" du voyage : Lpuon;;;;;,," rsy, Hist. de la Aégence, paris, lgip, ,. f, p. lf:1.

LOb

L'OEUVRE.

jugé à propos de réquisitionner

la salle des séances de - 6 mai, par un billet du I'Académie frrrncaise! Prévenue,7e duc d'Antin, intendant des bâtiments royaux, l'illustre compagnie I'a remercié de sa politesse et s'est enrpressée de déruénager dans ia salle voisirre de I'Académie des inscriptions. Blle y restera jusqu'au 2/L (l\. Toutefois, sur I'avis du comte Tolstoi, clui tr devancé son maître dans Ia capitale, on s'est précautiorrné, à tout hasard, d'un autre logis, moins somptueux, à I'bôtel Lesdiguières. Bâtie par Sébastien Zamet, puis achetée arrx héritiers clu célèbre financier par François de Bonne, duc de Lestlignières, cette belle demeure de la rue de la Cerisaie appartenait, à cette époque, au maréchal de Villeroi, qui, logé aux Tuileries, a consenti à la préter. On y a fait aussi une grande dépense de préparatifs, mettant à contribution Ies tapisseries de la Couronne, réquisitionnant encore toutes les maisons de la rue pour des logements supplémentaires (2). Comme s'il s'appliquait à mettre en défaut toutes les prévisions, Pierre, en arrivant, se làit conduire au Louvre, eutre dans Ia salle où on s'imagine qu'il va souper, jette un regald distrait sur le somptueux apparat qu'on y a développé pour lui, deruarrde un morceau de pain et des raves,6oûte de six espèces de r.in, avale deux verres de bière, fait éteindre les bougies dont la profusion offense ses goùts d'économie, et s'en va. Il s'est décidé pour I'hôtel Lesdiguières (3). Il y trouve encore trop beau, trop spacieux surtout, I'appartement qu'on lui a destiné et se fait dtesser un lit de canrp dans une garde-robe. De nouvelles tribulations attendelt ceux qui sont appelés à remplacer maintenant Lil-rov et l\iailly auprès de la personne du souverairr. Saint-Simon dit avoir indiqué au Régent, poul cet of'fice, le maréchal de Tessé, ( comme un homme qui n'avait rien à faire, qui avait fort
t. II, p. 26-29, Aégence, Paris, 1865, p. 269. Une plaque comrnémorative a été placée rôcemrnent au no :l-0 de la rue.
Registres de I'Académie franqaise, 1895,

(l)

(2) Brvrr, Journal de la

(il) Snncnxr, Lettre du lù mai (7[7,

405 - EN FRANCE. ( I'usase et le lanl;age du r'o.de, fort accoutu'ré a'x étr*rr( g'(il's Par ses \.oJ-ages et ses négocirrtions... C'était son r-rat u b.llot. u Pour.t.'t, Ies préfére'ces du Tsar 'ont aussitôb à l'ad.ioint q.'o' a do'.é .u rnaréchal, un colnte cle Verton, rnait.e d'hôtel du Roi, a gilrcon d'esprit fort, d'un certai' u rnonrle, homrne de bonne chère et de grand jeu u. Le Tsar

L'APOGIII,].

donrie de ltr besogne et de la tablature à tous cleux. Pour comrnencer et pendant trois jours, il se fait une prison de I'i'téricur de I'hôtel. orr devine sa cur.iosité devant les merveillcs à peine entrevues de la nouvelle capitale, ses irnpar_ tierces d'homnre si extraorcli.ai'ement remuant et to'jours si pressé' Il se contrai.t, il se lait violerrce : il entencl être d'aborcl visité par Ie Roi. on n'a pas pr'évu cetteprétention. o' I'a totrjou.s conn. beaucoup plus .cconrmodant ou plus insouciant, peu disposé aux {'acons. A Berlin, en lZlp, il a pris clirectement le chemin du château et a .surpris le Roi au lit. A Copenhague, en 1716, il s'est introduit de vive fbrce auprès de Frédéric IV, à tra'er$ une double haie cle courtisans, lui barrant le passage, à raison de l'heure avancée choisie par lui pour cette irrrrrrtion. M.is, da,s I'une et l'autre de.ces capitales, to'tes ses allures ont été à r'avena't, famirières, cav.lières et parfois passablement incongrues (I). Apparernment, il s'est mis en tête I'idée d'une différence proforràe entre ces cours souvent fréquentées par lui et celle qu'il aborde mai,tenant, et il est ici tout à fait différent, très sur. ses gardes, mé_ fiant, méticuleur et rigide observateur d'une étiquette dont il prétend cl'ailleurs dicter les lois. Le lenclemain de son arrivée, Ie Régent vient le compli_ menter. Il fait quelques pas au-clevant clu visiteur, I'embrasse r âv€c un grand air de supériorité u , dit Saint_Simon, lui in_ dique la porte de son cubinetr passe le premier, ( sans autre J " civilité u , et prend siège u auhant bori, . L'errtrevue, qui dure une he're, I(ourahine faisa't office d'interprète, a lieu un samedi; le lundi suivant seulement on

(t)

Sronxrx, t. XX, p. b7-68.

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prend le parti de faire droit aux exigences cle Sa }fajesté Tsarienne en lui envoyant le petit roi. Cette fois il descend jusque clans la cour, reçoit Ie royal enfant à la portièr,e du carLosse gui I'amène et marche de frontaveclui, en preuantla gauche, jusqu'à sa chambre, ou deux fauteuils égaux ontété préparés, celui de droite revenant au Roi. Écbange de compliments pendant un quart d'heure, toujours par I'intermédiaire de. Kourakine; puis le Roi se retire, et alors, dans un brusque mouvement qui lui fait oublier I'étiquette et le rend à sa simplicité naturelle, Pierre saisit I'enfant, le soulève entre ses bras robustes et I'embrasse en I'air. A en croire Saint-Sinron, o le Roi ne fut pas du tout effrayé et se tira très bierr d'afu faire tr , Pierre écrivant de son côté à sa femme : u Je r-ous tr annonce que lundi denrier j'ai eu la visite du petit Roi d'ici, r qui a deux doigts de plus que notre Lucas (un nain favori), r, enfant extrêmement agréable par la taille et la figure et u assezintelligent pour sot) âge. o La visite est rendue le lendemain avec le même cérémonial, minutieusement discuté et réglé à I'avance. Voici le Tsar libre de ses mouvements. Il en profite largement, se mettant aussitôt à courir par la ville en sirnple touriste et dans le plus modeste accoutrement, a vétu, rapporte Buvat, d'un surtout de u bouracan gris assez grossier, tout uni, avec une veste u tl'dtoffè de laine grise, dont les boutons sont de diamants, .( sans cravate et sans manchettes ni dentelles aux poignets de u sa chemise u . Il porte encore : ( une perruque brune à I'es( pi:r6nole, dont il a fait rogner le derrière pour lui avoir paru .( trop longue et sans être poudrée,,... un petit collet à son ( sul'tout, comme celui d'un voyageur, et... un ceinturon r 6iarni d'un galon d'argent par-dessus son surtout, auquel r pend un coutelas à la manière des Orientaux u . Après le départdu sour-elain, ce costume sera quelque temps àla mode, sous le nom d'habit du Tsar ou du Farouche. Il visite les établissements publics et entre dans les boutiques, Érappant partout ceuxqui ont affirire à lui par la familiarité de ses manières, laquelle n'exclut pas un air de grandeur, la brusquerie de ses

L'APOGÉE.

- EN FRANCE.

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aux abords de l'hôtel Lesdiguières, ( pour bayer ', selon I'expression de Saint-Simon, et qui se vort obligée de rentrer chez elle à pied. Le pauvre de Tessé passe son temps à courir après le souverain sans savoir où le trouver. Le l4 mai, Ie Tsar va à I'Opéra, où le Régent lui fait les houneurs de la loge royale. Au cours de la représentation, il demande de la bière et trouve tout naturel que le Régent Ia lui serve se tenant debout avec le plateau à Ia main. ll prend
son temps pour vider le gobelet, demande une serviette quand

mouvements, la curiosité insatiable de son esprit, une humeur ornbrageuse, une absence complète de gêne et une extrême parcimonie. Il sort souvent sans prévenir personne, monte dans le premrer carrosse qui se trouve à sa portée et se fait conduire ori sa fhntaisie I'appelle. Il emmène ainsi un jour à Boulogne l'équipage de madame de Matignon, qui est venue

il a fini et la reçoit de méme ( avec un sourire de politesse et un signe léger de la tête o . Le public, au rapport de SaintSimon, ne laisse pas d'être un peu surpr.is du spectacle. Le
lendemain, se jetant dans un carrosse de louage, il va visiter des ateliers, entre aux Gobelins, accable les ouvriers de questions et leur laisse un écu en partant. A la Ménagerie, le l9 mai, il donne vin6t-cinq sols au fontainier. A Meudon, il gratifie un valet d'un u écu de papier r qui, affirnte Buvat, vient de lui servir pour un usage intime et malpropre. Il paye comptant les commercants qui affluent à I'hôtel Lesdiguières, mais il marcbande beaucoup, et, rprès avoir arrangé ainsi qu'il est dit plus haut une magnifique perruque, chef-d'æuvre du prernier artiste capillaire de Paris, il en donne sept livres et dix sols pour une valeur d'au moins vingt-cinq écus (1). Il n'a lucun éE;ard aux rangs et aux préséances d'autrui, ne s'embarrasse pas plus des princes et princesses du sang, dit encore Saint-Simon, que des premiers seigneurs de la cour, et ne les distingue pas davantage. Les princes se refusant à I'aller voir s'ils ne sont assurés qu'il rendra leur politesse aux prin(1) Snncerr, Letue du t9juin 1717.

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V n E.

cesscs, il leur fait dire tle rester chez eux. Les duchesses de Berry et d'Orléans I'ayant conrplimeuté par leurs écuyers, il consent à les visiter au Luxembourg et au Palais-Royal , mtris toujours ( en montrant beaucoup de supériorité r . Les autles princesses ne I'apercoiverrt gue de loin, ( en voyeusgs u , €t1 parmi les princes, le comte de Toulouse seul lui est présenté, et seulenrent en qualité de grand veneur, à Fontainebleau, où il est chtrgé de le recevo.r. t,e duc du Nlaine à la tête des Suisses, le prince de Soubise r) la tête des gendarmes, figurent bien â une revue à laquelle on le convie et où trois mille carrosses remplis de a voyeurs rr g[ d* ( voyeuses r entourent Ie champ des manceuvres I mais il ne leur fait aucune u honnéteté , r ni à pas un des officiers présents. Le 2l rnai, il va au Grancl Bercy, chez Pajot d'Ons en Bray, directeur de Ia poste, et y passe la journée à examiner de curieuses collections, en compasnie clu célèbre père Sébastien, .lean Truchet de son vrai nom, physicien et mécanicien de ltlnntl mérite. Il traite le savant Carme avec la plus grande drstirrction; rnais la duchesse de Rohan, qui est à sa maison du Petit Belcy et qui accourt pour le voir, sort tout éplorée et se plaint à son mari : à elle non plus Ie Tsar n'a fait &ucune honnêLeté. Eh ! qu'aviez-vous, madarne, à attendre une honnêteté de

- anirnal-là ! réplique le duc, assez haut pour étre cet entendu d'un des seigneurs moscovites qui d'aventure comllrend le francais et qui relève le propos en termes assez vifs (l).

Saint-Simon a vu le souverain chez le duc d'Antin et I'a examiné à son aise, ayant demandé à ne pas être présenté. Il I'a trouvé ( assez parlant, mais toujours comme étant pars tout le maître u . Il a remarqué le tic nerveux qui à un moment contracte ses traits et en altère I'expression. De Tessé lui a dit que I'accident se renouvelait plusieurs fois par jour. La duchesse'd'Antin et ses filles éttrient présentes; mais le Tsar & passa fièrement devant elles u , sans autre civilité qu'un

(l)

Srncnrr, lettre du 29 nai 1.717,

L'APOGÉE.

_ EN FRANCE.

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fut la femme du grand Roi : u La voyant un jour (madame n de Caylus) dans une assenrblée et apprenant qui elle était, n il alla droit à elle, la prit par la marn et la regarda beaun soup (l). Les légendes les plus invraisemblables ne sont ', pas pour étonner I'historien ; l'étonnant est qu'Auger n'ait pas lu cette lettre de madame cle Mainten on comprise don, ,oo recueil .' u En ce moment, _- la lettre est à I'adresse de mao dame de Caylus, M. Gabriel entre et me dit que I\I. Bel- gu'il veut venir n legarde rne nande ici après dîner, si je le r, trouve bon, c'est-à-dire le Tsar. Je n'ai osé dire que non, et n je vais I'attendre dans mon lit. On ne me dlt rien de plus. s Je ne sais s'il faut I'aller recevoir. en cérér'onie; s'il veut
(1.)

léger signe de tête. unportrait de la'fsari'e, très resser'blant, que d'Antin a réussi à se procurer et qu'il a placé au-clessus d'une cheminée, a paru lui faire grand plaisir. Il a dit r\ ce sujet des choses très aimables, et, au fond, so' abse.ce cle courtoisie n'est qu'un restanf de timidité et de sauvagerie, car il s'irrnende peu à peu à cet égard; vel.s la fin de son séjour, allant de maison en maison, accueillant toutes les invitations, il arrivera à se montrer parfait rnême avec les dames. A SaintOrren, chez le duc de Tresmes, où se trouveront un gr.and norntrre cle charmantes n voyeuses r , il oubliera sa u fierté u , se mettra err ir.ars. On lui nonmera I'une d'elles, qui est la marquise de f)éthune, fille de son hôte, etilla priera de se mettre à table avec lui. Paris aura fait son æuvre. Il sera convenable, quoi qu'on en ait dit, sinon très galant, à saint-cyr' avec madame de Maintero'. o. connaît le récit de Saint-Simon, reproduit nombre de fois, devenu classique : I'irruption inopinée dans la chambre, I'exurnen silencieux et brutal. Dans la biographie qu'il a jointe à l'édition des lettres de madarne de Maintenon publiée par Santreau de Marsy, Auger confirme ces détails et veut même que la curiosité et I'irrévérence du Tsar se soient étendues à la nièce de ceile qui

l, ccxrxv.

tÀo

L'OEUVRE.

d yoir la maison, les demoiselles; s'il entrera au chæur; je Le Tsar est arrivé à sept heures du n laisse tout au hasard. c soir. Il s'estassis au chevet de mon lit; il m'a demandé si o j'étais malade. J'ai répondu que oui. ll m'a fait demander {. ce que c'est que mon mal. J'ai répondu : Une grande vieiln lesse avec un tempérament assez faible. Il ne savait que me u dire, et son truchement ne paraissait pas m'entendre. Sa n visite a été fort courte. [l est encore dans la maison, mais n je ne sais où. Il a fait ouvrir le pied de mon lit pour me a voir. Vous croyez bien qu'il en aura été satisfait ( I ) ' " Le t I juin, date à laquelle I'entrevue a lieu, après un mors de séjour à Paris, Pierre n'était plus l'homme des incongruités par trop fortes qu'on lui a gratuitement prêtées en cette circonstance. Assurément, il se trouvait encore mieux à I'aise en dehors des élégances et des cérémonies de cour ou de salon. Tout à fait à son aise aux Invalides, dont iI traitait les hôtes en camarades, goùtant leur soupe et les caressant familièrement. A la Nfonnaie, où I'on frappait devant lui une médaille commémorative de son séjour en France; à I'Imprimerie royale, au Collège des Quatre-Nations' à la Sorbonne, où I'on prenait prétexte de sa présence pour agiter le problème de la réunion des deux Églises; à I'Observatoire, chezle géographe Delisle, chez I'oculiste anglais Woolhouse, qui le faisait assister à une opération de la cataracte, il paraissait en visiteur un peu trop nerveusement et bizarrement curieur, mais intelligent, avide de savoir et suffisamment courtois' Aux docteurs cle la Sorbonne, il répond, poliment et modesternent, qu'il n'est pas assez instruit de la matière par eux traitée, qu'il a assez à faire de gouverner son ernpire et de terminer sa Suerre avec la Suède, mais qu'il sera lteureux de les voir entrer en correspondance, à ce sujet, avec les érêques de son Eglise' I' fait bon accueil au mémoire qu'ils lur remettent ultérieure(f) [{juinLTLTrt.Vrp.205.Voy.aussidansletnèmesensleslllémoiresde Créquy, orr" rrliè"" du uraréchal de Te:sé (t. II, p' 9), d'ure 1u1he1ticité douteuse, il est,.ai. D'après Drrcp,ru (t. XVII, p. 101 et [04), la visite clu
Tsar à Saint-Cyr a éti, discutée et réglée à I'avance dans tous ses ilétails.

-iiorrru-de

L'ÂPOGÉB.

-

EN FRANCE.

t(1,1.

ment et qui provoque, trois années plus tard, une réponse du clergé russe assez curieusel débutant par un panégyrique de Ia Sorbonne, elle se termine pûr une constatation d'impuissance : décapitée par la suppression du Patriarcaf, qps 1'-- prendre forme de Pierre, l'Église russe n'estpas à même de part au débat(l). Les choses d'art intéressent moins le Souverain, et les joyaur de Ia couronne qu'on lui montre au Louvre, et dont on évalue le prix à trente millions, lui font f'aire la grimace : il trouve la $omme mal employée. Le maréchal de Villeroi, qui préside à I'exhibition, lui proposant à ce moment d'aller voir r le plus grand trésor de la France n, il a peine à comprenclre qu'il s'agit du petit roi (9). II va à I'Institut le l g juin seulement, veille de son départ. L'Académie francaise n'ayant pas été prévenue on lui deçait - ses membres bien cela pourtant ! deux ou trois seulement de - Ils lui montrent leur salle rles séances, sont là pour le recevoir. qui a failli servir de dortoir à quelques-uns de ses officiers, lui explitluent l'ordre de leurs travaux, lui {bnt admirer un por,trait du Roi, et c'est tout. Pierre sera mieux traité à I'Académie des sciences, qui se trouvera, elle, au grand cornplet, non sans que je soupçonne le Souverain d'une part de complicité dans l'événement. I,es curiosités du Dictionnaire ne pouvaient avoir pour lui qu'un médiocre attrait. A I'Académie des sciences, il examine la lll.achine à éleuer les eaur de [I. La Fa7e, |'At'bre de llars de NI. Lemery, le Cric de NI. Dalesse, le Canosse de ilf. Le Carnus, et remercie la Compagnie de Ia rdception par urle lettre écrite en russe (3). L,e même jorrr il assiste, dans une lanterne, à l"audience du Parlemenl., qrri se tient en robe ron6;e et en grande cérémonie,
_ (l) Cette réponse, rédigée par le chef du vieux parti ecclésiastique en Russie, Iavorski, n'est parvenue à son athesse q.'indirecternent. officiellenrent, pierre a mis en avant d'autrcs fins de non-recevoir, dont la rédaction a été con6ée au collalrorateur deson ceurre réformatrice tlansle tlonraine de l'É6lise, proÀopovitch. Vov. P. Prnnlrxc, La Sotbonne et lu ,Ruseie,1863, p.50 etsuiv ,.2 Sr.ncerr. 29 rnai 1717.
(3) Bulletin du biblirtphile,lSSg, p. 6ll et suiv.

l+12

L'OEtrV HE.

et ou le duc du Maine et le comte de Toulouse sont empêchés par sa pr<lserrce de faire accueillir leul plotestatiorr contre les décisions des conrrnissaires de la Régence portant atteintr-" à leuls droits (l). Tout cela constitue ull prosramme passablernent chargé, accablant presclue? et, tout en l'épuisant consciencieusenrent, n'err laissant échtppel rucun détail, s'appliquant ir en lirer tout le palti possible, obselvant, procliguaut les tJucstious et bourrant de notes son calepin, cltr'il oulre à tout instant et sans la moindre gêne, où qu'il lui arrive de se trouver, ilrr Louvre, à l'église ou dans la rnc ; en laisunt celtr, Pierre ire s'est pas refusé dalautalJe les distractions, ni les extrava{ïùDces, ni les excès de clébauche qui lui sont coutunriers. I-e côté déplaisant de son séjour Èr Paris s'est trou\'é là. A 'I'rianon, il a seulenrent étonné son ent,ourage francais en se divertissant à I'inoricler avec I'eau des fontaines. llaris à [[ar.ly, il ne s'est pas borné à des 6amirrelies peu dignes d'un souverain. " C'est cct endroit gu'il a choisi ,, raconte un contemporain, ( pour s'en{'ermer :lr;ec une maîtresse qu'il n prise ici et à qur r il a fait toutr:s se$ prouesses dans I'apparternent de madame t, de l\lairrtenon. r II a renvoyé ensuite la {ille avec deux écrrs et s'est vanté derant le duc d'Orléans de son équipée, en se servant cle termes que le conteu'rporain n'ose replorluire qu'en latin : Dirit ei se salutauisse cluetttdam neret?'t'ceilL dectes nocte in ?tne, et, lruic datis pt'o taîLto labore tanuttn duobus nuntnis, tttttc i.llam erclanauisse : Sane, Domine, ut trir ntagnifce, sedparcissime ut intperator ntecunt egisti (2). Le bruit des orgies avec lesquelles il souillait les demeures royales est parvenu jusqu'ti maclame de l\Iaintenon dilns sa retraite profonde. Elle en erltretenait sa nièce : n On vient de me clire qrre le Tsar traîne ( ûvec lui une fille, au graud scrndrle de Versailles, de Tria( non et de Murly (3). , On a été obligé de ftile venir des médecins de Paris à Trianon. A Fontainebleau, le Tsar a peu
({)
llaners, nlétnotræ, Paris, 1863, t.

I, p.2t)7.

(2) Lorvrr.r.r, Xly'ntoirr, Paris, I818, t. ll ,p,2ltL, (3) Lettre citéc plus Laut.

L'APOGÉE.

_ EN FRANCE.

LI,3

deux magnifiques tentures des Gobelins. ll re{use, po.r" ,n" raiso' d'étiquctte encol'e, c une belle épée cle dia'r..ts u . Et il dé*rent, d'une façon inrprévue, les habitrrcles parcirnonieuses qui ont beaucoup contribué à indisposer à son égard I'opinion dela capitale. Je iis dans unelettre deserge't : n f,e u Tsar, à qui on a reproché pendant son séjour ir:i son peu de r, générosité, en a donné des marques écltrtantes le jorrr de

bu et trop mangé. A Petit-Bourg, où il s'est aruété 1,oo. la o* . fait venir deux femmes du villagc pour le 'uit, 'ettor.cr. Se ressenlant de ces incidents, sans doute exagérés l.rar la chronique,l'impression gérrér'ale au départ du sou'erai' r'este ince*taine, mais pl'tôt défavorable. r Je me souviens , , écrira \roltaire dans une de ses lettres, u d'avoir entenclu dire au u ctrrdinal Dubois que le Tsar n'était qu,rrrr ext'avaga.l, rré ( pour être un contremaîtle d'un vaisseau hollauclais (l). " C'est à peu près I'opinion {brmulée par Burnet virrgt ans aupa_ rava.t, penclant Ie séjou' du grand ho.r're à Lo'dres. Si ferme habituelleme't dans ses partis p.s cle blârne ou tle louange, saint-simo' lui-môme se mo'tre hésitant. L'auteur des l\{émoires contredit celui des Acklittons auJournal cle Drr'geau. Plus .spont.'ée, la note des llérnoires paraît aussi plus si.cèr'e et ne tourne pas à l'éloge, et nême da's les -{r&/i_ t,totts, où I'apprét et la conventio' se laissent sentir, u le s o.gies n indécentes r sontrappelées, etsi8naléeaussi (une {brte emc preinte d'ancienne barbarie (2) , . En prenant corrgé du Roi, Pierre n'accepte de sa part que

goùté la chasse à courre I r'ais il a so.pé si bien qu'au retour le drrc d'.\ntin a jugé ir prolros cle Iui lausser compagrrie eu montant dans un autre calrosse. II n'a pas eu lort, car, r.âcorrte Sai't-Simon, le Tsar laissa voir da's le sien qu'il arart tr'P

u son départ; il a donné b0,000 livres pour distribuer au-r n officiers de la bouche qui I'ont se.vi depuis qu'il est e.tré u en l'r'Ance, 30,000 livres pour sa garcle; 80,000 livles potrr o distribuer dans les marru['actures et usines rovales qu'il a
çl) -{ Ctiauvelin, 3 octolrre !760. (2) D.rxcnru, t. XVII. p. 81,
Cort csp.

gén,, t.

LII, p

.t28.

Lrt+

L'OEUVRE.

visitées; sonportrait enrichi de diamants au Roi; un à N[.le c maréchal de Tessé; un à I\f . le duc d'Antin ; un à M. le s maréchal d'Bstrées; un àl\t' de Livry,et un de 6,000 livres * aumaître d'hôtel duRoi qui I'a suivi. Il a donné aussi beau,, coup de médailles d'or et d'argent, où sont les principales n actions de sa vie et de ses batailles. u En somme, il a royalement payé son écot, sans avoir perdu une occasion de signaler la bizar-rerie de son esprit et de son caractère. Les maigres pourboires distribués pendant son séjour yenaient de I'homme privé qu'il prétendait être, tout en oubliant de temps en temps son incognito. Le Souverain s'est retrouvé au départ. Paris, orr I'a vu, s'est gardé de prendre son incognito au sérieux et l'a traité royalement du commencement à la fin. Sur le chemin qu'il prend pour gagner Spa, ou I'attend Catherine, la province l'era de même, rivalisant avec la capitale en ftais d'hospitalité fastueuse. À Reims, ou Pierre ne s'arrête qu'une couple d'heures et ne s'intêresse qu'au fameux évangéliaire slavon, la rnunicipalité dépense 455 livres et l3 sols pour une collation. Il en coùte 4,327livres à la ville de Charleville pour héberger le Souverain pendant une nuit. Un bateau richernent décoré et pavoisé à ses couleurs I'attend .là, sur la Meuse, pour le conduire à Liège, et on v embarque toute une cargaison de victuailles : 170 livres de viande à 5 sols, I chevreuil, 35 poulets ou poules, 6 gros dindons à 30 sols, 83 livres de jambon de Mayence à l0 sols, 200 écrevisses,200 ceufs à 30 sols le cent, I saurnorr de l5 livresà 25 sols I'une, 2 grosses truites, 3 pièces de bière (f) ... Le Régent a poussé, de son côté , la Salanterle 3usqu â .lemander deux portraits du Souverain au pinceau de Rigaud et de Nattier. Restent à exarniner les résultats pratiques de cette prernièr'e et derniere apparition du vainqueur de Poltava parni les splendeurs déclinantes de la monarchie française. (l)
Archives de Châlons.

{

Yoy

Aeuue contemporairte, l'865 çBarthélemy).

L'APOGEfi,

*. EN

FRANCE,

I+r,3

III
I)eux raisons principales s'opposaient à I'alliance politique et commerciale que pierre est venu chercherà paris ile traite de subsides (1b0,000 dcus par trimestre) qui, signé en avril l7l5 liait Ia France à ra suède jusqu'en lTlg; res liaisons ' personnelles du Régent avec le roi d'Angleterre. Des négocia_ tions ont bien été entamées aussitôt après I'arrivée du Tsar. mais le maréchal de Tessé, chargé du te, suivre d" avec le maréchal d'Uxelles, s'apercevait aussitôt "on.""i qu,elles n'avaient d'autre objet, dans la pensée de son 6ouverr,lme.rt, que de n voltiger r et d'amuser Ie Souveruio ïor"ovite jus_ qu'à son départ (l), en même temps qu,elles se.viraierrt à tenir l'Àngleterre en haleine, en rendant son amitié plus sirre, et à inquiéter la Suède, en rendant sa politiq,r" plrrc docile. Pierre avait beau aller de I'avant avec bàaucoop dà résolution et une entière franchise. carrément, il offrait de se substituer à la Suède dans Ie système des alliances gui avait garanti j.squ'à présent l'éguilibre européen. comme elre, il feiait cres diuerstons et toucherait des subsides. C'était bien, mais il con_ venait de s'entendre sur les chiffres, et la discussion traînait pendant des semaines sur ce point préliminaire. euand elle était épuisée, Ia prusse errtrait ur, *"èo", dernandarrt, par l,in_ termédiaire de son ministre, baron de Cnypha,rrurr, â êtr" cornprise dans le traité. C'était parfait encore; on lui accor_ derait Ia garantie de la Francu d" Ia Russie pour la posses"i sion de stettin I mais il convenait de modifier ia rédaciion du projet d'alliance antdrieurement arrêté. pierre aiguillonnait à ses plénipotentiaires et ses secrétair"r, et"l" Régent le :rluv:au laissait faire : il avait recu de Berlin un avis qui Ie metîait en

(l)

Dn TnssÉ, I\Iémoires, paris, ig06,

t. II,

p. Btg.

li'Lti

L'OEU

V TTE.

repos quant aux conséquerlces de cette clépense d'encre' L'instrument arrivarrt ii étre pr.êt et n'attertdarrt pltrs que les sig[atures, on s'apercevait gu'on avait travaillé pour rien : 0u1'phausen n'avait pas de pouvoirs ! Et le Tsar devra partir les nraius yides. Le Régent s'est moqué du souverain moscovite; mais tle Tessé n'était pas sans inquiétudes sur les suites, plus lointaines, de cette déconvenue.Mortifié et clécouragé, le Tsar ne serait-il pas poussé à se jeter dans les bras de I'Ernper.eur ou à traiter ilirectement avec la Suède? Que non pas I La Prusse le tient : c'est le seul coin de terre ferme qui lui reste en AllenlagDe. Bt ce sont les démarches pressantes du Tsar gui, le mois suivaut,

provoqueront Ia réunion d'Amsterdam pour la reprise des na8ocioti.rrrs. Le Régent v consentira : mais, inébranltrble dans sa résolution de ne se pr'êter i\ rien de sérieux, il cbangera seulement de tactique : Cnvphausen a maintenant des pouvoirs, mais la Flance a d'autres prétentions' Quand, I'impétuosité du Tsal y aidant, on alrivera, le 2 septembre, à mettre sur pied un Douîeau traité, avec articles patents et articles ,""rÀt.r, comme il co'vient à un instrument diplomatique auquel ont travaillé les repr'ésentants de trois grandes puissances, on aura réussi t\ s'entendre sur une espérauce, un deslderatutn platonique. Les articles patents comprenrrent I'acceptation de la médiation du Roi pour la paix du Nord, définitive des engtrge-ai, ",t la subordonnant à la rupture Très chrétienne ltajesté ments qui, pour le mornent, lient sa à la $uJde; et les articles secrets stipulent une alliance défensive sur la base des traités de Bade et cl'Utreclrt, rnais en renvoyant à une négociation ultérieure la cléfinition des devoirs devant en résultel pour les alliés' La !rance s'en"é"iproq.re, gogu bi".t à ne pas renouveler, à l'expilation du tet'me, son iruité cte subsides avec la Suède; tnais cet engagemenl étant oral seulement, et les pténipotentiaires du Itoi ayant beaucoup insisté pour qu'il fùt tel, Pierre s'en défiera, et iI n'aura pas

tort.
En somme,

il

n'y aura rierr de fhit, et pas mème un com'

L'ÀPOCÉE.

_ EN

FRANCE.

t+l,Y

régulières entre les deux pays. Le malheur s'attache, de part et d'autre, au choix du persorrnel char,gé d'y pourvoir. piàrre avant e-xprimé Ie désir de voir à r)éte'sbourg, en qualité cl'envoyé français, M. de verton, clont I'humeor àt le tJrnpérarnent lui ont plu, 1!I. de verton est nommé et muni d,insiluctions.

mencement donné à l'étabrissement de relations criprom.tiques

à Paris par Ie baron de Schleirrit"z, que de cruelles épreuves guettent aussi. D'ailleurs, Ie néant du traité du 2 septembre apparaitra bientôt auxyeux de tout Ie uroncle.L'année suivante,en l7lg, pendant que schleinitz lie conve.sir[ion avec cellamare. la France entre avec I'An6leterre, I'Empereur et Ia I_{ollande dans la quadluple alliance contre I'Espag,re, les a[iés se i)romettant assistarrce mutueile jusqu'à la fin cre la g,r".r" ,ru Nord. À Berlin, I'envoyé français, comte de Rotembourd, tfa. vaille à la conclusion d'un t'aité entre la prusse et I'in*reterre, une paix particulière entre la prusse et la Suède cler.,,rt en résulter, mol'enrlant la cession de Stettin. A Stockholm. enfin, Oanrpredon négocie tranquillement le renouvelleorelt du traité de t7t5 ! La Russie et la France se trouvent ainsi ouverternerrt dans des camps opposés. De part et d'autre, il est vrai, on répugne à I'idée d'un état d'hostilité déclarée. On se ,rrénng*,"on échalge même des politesses. pierre songe à Constantlrrople, ou I'envoyé de I'Ernpereur est en train de proposer à la purte une alliance cont'e la Russie, et le Régent, sorrgeant, de son côté, à la possibilité d'une réaiisatio. cres idées de Goertz e' dehors de la France, permet à de Bonac, dont le crédit auprès de la Porte est grand, de prêter rnain_forte au prince Dach_ kof'. Le Tsar dernande au Roi d'étre re parrain de sa filre Nathalie, et le Régent répond à cet acte de courtoisie en clonna't à schleinitz I'asstrrance que carnPrecron sera désavoud.

on I'arréte I ses cr.éanciers Ie concluisent en prison. La représentation des irrtérêts fra*çais sur res bords de la Néva restera confiée à La Vie, qui n,a pas de quoi payer le port de ses lettres ! Bt la Russie esi maintànor.t .*p.e."rrîe*

Il va partir, quand

rr[8

L'OEUVRE'

La découverte de la coÙspiration de cellamare et celle de la corfesponrlance de srrhleirritz dans les Papiers de I'aventureux ministre jetteront à nouveau sur ces relations'un seau d'eau glrrcée. Le Régent sera d'autant plus porté à s'indigner cl'une complicité trssez ofifensante, en e[rf'et, de la part du rninistre que les lllancEuvres de Gærtz ne seront plus à craindre' "orr", Le bourreau y aurâ mis ordre. Pourtant, la paix bientôt rétablie avec I'Bspagne et I'attitude conciliante du Tsar remett|orrt peu à peu les choses sur I'ancien pied. Pierre tient à sortir de son isolement, et' en janvier 1720, Schleftitz en est de nouveau à faire auprès du Régent assaut dc mémoires solticitant la médiation de la France. Il ne réclame plus qu'une déclaration écrite af{ilmant que le Boi n'a aucun engagenent con' traire à I'impartialité désirable chez un médiateur. Nlais le duc d'orléans le prend de très haut : il a dit avoir désavoué ctrmpreclon ; sa parole ne vaut-elle pas toutes les éclitures ? Et le Tsar finit par céder'. Il cède sur tous les poirrts, ruême sur I'adjonction de l'ÀÙgleterre à la rnédiution de la France, bien qu'il ait sur le cæur, de ce côté, cles griefs consi'
dérables (l). cet empressement et ce parti pris de condescendance avaient encore une autre raison, secrète Celle-ci et devant désor-nais

dominer la politique du Souverain dans la suite de ses négociations avec Ie Ré8ent et avec la France. Bn juillet I719, le malheureux La Vie a héroicluement puisé dans son escarcelle trcluée le port d'une dépéche, afin d'envoyer d'ulgence à paris une nouvelle à serrsation : le Tsar s'est mis en téte de faire épouser au Roi sa fille cadette, a très belle et très bien une beauté parl'aitc si Ia " faitl et q'i pourrait passer pour tant soit peu ardeute I ' ( couleuï de ses cheveux n'était pas ayait d'abord Pierle Élisabeth. la princesse de Il s'agissait .ongé"pot, elle à un petit-fils du roi d'Angleterre (2)' Éconduit il s'est rejeté, avec sa promptitude et sa passion ,t" "Ote, "" ordinaires, sur I'idée d'une alliance française. Nlais voici gue (l) Lettre du Tsar au duc d'Olléans, 29 rl'ri 1720' Aff' étr' i2) e""hiu"t du prince Kourakine' t' ll, p {21'

L'APOGÉE.

- EN FnANCE.

IÛLg

l.rluerre I'ont mis ses liaisons avec cellamare, scrirei.itz est u"",,r'é pu" Ie liégent d'avoir trahi le secret des né8ociations arrxq*ettes it a plis part. On ne trajtera plus avec tù. ft est ralrpelé, ,nais ne peut partir; comrne de Verton, il est retenu po,:*", creiarr_ ciers et, ayant engagé toute sa lbltune dans les spéculations de Law, précipité bientôt u à Ia clernière extrémité de mi_ sère (l)u. Pierre se trouve réduit aux bons offices de La Vie. Et les conficlences du pauvre agent comurercial rencontrent à ve.sailles un accueir assez frais. Il farrdrait que re Tsar commençât par fai'e su paix avec la suède. Le Tsar ne derna'cle pas mieux ; il accepte Ie concours de Campredon, rlui , au printemps de r72r, fait Ia na'r'ette e*tre stockrrorm et pétersbourg. Mais quand I'aclroit diplomute a mené à bien sa mis_ sion pacificatrice, après y avoir enrlrloyé toutes ses ressources, baisernains p'odigués au Tsar et distributions de clucats annoncées à I'oreille de.ses ministres (Z), le traité de fVy*tuJt signé, Dubois, qui a pris Ia clirecti.n àe la politiq,r" f..urr'""ir", met en avant une autre exigc,nce : avant ,l,"rrtru" plus avant en matière, Ia France prétend fnire accepter à la Russie sa médiatron po.r la réconcilie' avec I'Angl"i*r.", C,est nant la grarde aflaire du Régent et de Jon 'rairte_ ministre. Soit. on en causeta; mais le Tsar a, de son côte, un autre st,jet de conversation qu'il brûle d'envie de mettre sur le tapis] sals conrment s'y prenclr.e. On clevine lequel. Ses projets, à lavoir la vérité, se sont mor'fiés. D,lgorouki, qui a ,empluË., S"trtui_ nitz à Paris' s'est raissé dire gue re nui etuit erguga àr rrue princesse espagnole. soit e'core; Ia France est assez riche en prilces pour qu'une Tsarer.na y tr.oure, de toutes lhçorrr, .,,a parti sor.table. En novem're lT2l, I,ingé'ieux Tolstoï croit enfin avoir imaginé urr nroyen pour e'tarner l,errt.etien. Avec un air de canderrr, il met sous les yeux de Campreclon un numér.o d,e la Gazette de llolkntde, o.ù se trouve annoncée la
(11

sa diplomatie se trouve désemparée ir nouveau sur les bords de la seine : à pein. tirel cre Ia Jâ"huore posture darrs

(2) lilt"":y Dépêcbe de Campredon du

à-Dubois, tB août L7?.1. Aff. étr. de France. gB rnars f zSt ii'f. é,". ,lu

F""rr"..

420

L'OEITV n E.

nominntion du marqrris de Belle-Isle comme ambassadeur extraor.linaire dtr lioi à Pétersbourg' avec tnission tl'y dernander la fille ainée du Tsal porrr le rluc de Chartres (l)'-Campredon sait assez sorr métiel pour lle Pas se méprendre sur la portée de cette fatrsse nouvelle ainsi conlmuniquée ; mais il
demeure quelque lieu interloqué devant l'étendne des conrbirraisons qui, dans la pensée tlu Tsar, se rattachent à ce nouleau projet : ofh'e de Ia part de la llussie de galantir, u le cas existant u , la I'enonciation du roi d'Espagne à hr couronne cle France en {âverrr du Ré5;ent ; denande de gatautie réciproque pour le règlement de la succession du trôtre en f{trssie au

profit de la fttture dtrchesse de Chartt'es ; élection, en atten' dant mieux, du duc de {)hartres à la corrlorrrre de Pologne.-.
était cotrteuu et beaucotrp cl'autres choses enLrore Tout cela dans un rnérnoire rédigé en ianvier" 1722. et pour la retnise duquel au cabinet cle Versailles, I'intervention trop o{rficielle de Dolgorouki puraissartt t'isquée, on avtlit recolrrs r'r I'infortuné Schleinitz tiré de sorr clérrtretnent, pour la cir'coustance, rno,venuant quelques rnilliels de loubles (2)- Oarrrprerlorl était tequis, de son côté, d'exposer ces offres et demaucles, et de solliciter des instructions pour y répondre' Les instructions se feront attendre; mais c'est à tort, croirais-je volontiers, qu'on a fait un crime à Dubois du silence dans letluel il se serait enfelrné à ce tnornent penclarrt cle longs

mois. On s'est plu à mettre en coIrflt, à ce propos, le t'ardinal rninistre et sorr représentant à la cour de Rtrssie : celui-ci désespéré d'un retard qui compronret le succès de ses légociations et les intér'its cle son pays; celtri-L) absorbé par des préoccupations personnclles qui le rendent indi[[rél ent aux autres. On a draruatisé I'incitlent avec 'les défails pittoresques : quinze lourrters se succédarrt strr la loute de Saint-Pétet'sbortrg à Paris et attendunt en vain ieur réexpédition darrs les untichambres
(1) Dépêche de Carnpre,lon d,r 2'r noveurbre 1721. {2) XIémoire reruio p.rr Schlciritz le l0 février 1722. Instructrons secri'tes adressécs à cet aç{ent en décenrbre J.721, Aff. étr' de l"fucc.'Rtrsste, t. Ll,
p. r.20.)

I,'ÂPOGÉE.

* EN FRANCE.

LzI

à. Versailles comportait, à cette époqrre, une dépense cle cinq à six mille livres, et à ce privé de ,er- uppoiu_ -omÀnt, tements qui se sont trouvés en retard Jepuis urr" urrrju, l" diplomate fr.ancars avait sur{.out des raisons d,éconornie pour s'enfermer chez lui. pour le service des dépéches ,,xtraàrdi_ naires entre les deux capitales un ,eul coipl" de court.iet.s, voyageant de conserye pour plus de sécurité, a étd employd pendant toute la durée de sa mission. Le marguis-de lJonac. de son côté, n'a pas eu à prendre conseil d" ,ào patriotisme seul et de sa perspicacité pour suppléer à Constantinople par action personnelle aux défaillances tle la diplonra_ ,une tie fra'caise s,r les bords de la Néva; il n,a fait en rorrr,r," qu'obéir à des instructions très précises, anciennes déjà, mais constarnment renouvelées jusqu'en janvier 17Z,J (Z). En der._ nier lierr, après avoir envoyéà Canipredon, à la fn de 172:\, des ordres engageant à I'extérieur la politiquu frur,"uir" .lur,, une voie nouvelle et hérissde de difficultOs, ie carclirral n,a pu se laisser absorber en 1I24, ainsi qu'on I'en a accusé, pn" l'u* soucis de son gouvernement intériàur et de sa situatirrrr persi,nrrelle, jusqu'au point cle laisser son agent, ltendant prèsà,u, an, sans instructions nouvelles : it était mort! Le carrljnal a laissé en eflrer sans répons e, pend.ant sir mois
entre antres : Veno^rr,, Lotis XV et lt[isabetlr, paris. {gS2,, p 64_65. (2) Inst.ucti"n i de llo.ac du 6 jan'ior tzg'. r.,ifl"r," dc rle Bonac à Drrliois du 5 janvier l72il. Aftaires eti,arrgèr,es de tr,rance
çTurquie, vol. ôb).

de Yersailles; le vailla't campredon e'fermé dans sa maiso' et y contrefaisant le malade de Bonac, enfin, à Constantino_ I ple, intervenant de sa propre initiative dans les clémêlés de la Russie et de Ia Turquie, pour sauver I'avenir compromis d,une alliance inestimable (l). La scierrce historique en France a des démêlés séculaires avec le goulerr)ement àe la Régence, où il serait peut-étre malséant à urr écrivain étranger diintervenir, er contredisa.t des historiens qui sont ses maîtres. Ir peut Iui être permis cependant de laisser parler les faits. Campredon n a pas envoyé qrrinze courriers au cardjnal Dubois i it eût été bien empéchél Le voJvage d'un courriercle pétersbourg "n

(t) \'oy.

rt22

L'OEUVRE.

au juste, aussi bien les ddpêobes de Campredon que les mémoires du baron de Schleinitz et ceux du prince Dolgorouki. Mais ce long silence n'a pas suiui, ainsi qu'on I'a imaginé, I'envoi de ses premières instructions relatives aux ouvertures diplomatiques d'un caractère si exceptionnel qtri lui sont parvenues à ce moment par diverses voies de la part du Tsar; il aprécédé cet envoi, ef, à ce nxortent' il a été parfaitement justifié. L'incident se place entre le printemps et I'automne de L122. Ayant fail. sa paix avec la Suède, Pieme a modifié brusquement ses vues sur I'alliance française. Il n'y apercevait jusqu'à prdsent qu'un expédient de guerre; il en fait maintenant la base de tout un éditice politique darrs lequel, aux deux extrémités de I'Europe, Ia Pologne et l'Espagne sont comprises. Et il a irnaginé de couronner cet édifice Par un pacte de famille, un maria6e prestigieux. Au fond même toute la constructiou n'a été projetée que Pour ce couronnement. Là-dessus, ayant lancé cette fusée, il a quitté sa capitale, s'engageant dans une expédition passablement aventureuse à issue problématique. Il a fait sa campatne de Perse. Son absence a duré six mois. Le silence de Dubois a duré autant. J'incline à penser que le cardinal a pris dans la circonstance le meilleur parti, et j'ajoute que Campredon en a lui'même jugé ainsi. Et il n'a pas multiplié des courriers introuvables, et il ne s'est pas impatienté, si ce n'est d'être laissé sans argent; mais ses goùts assez prononcés de dépense et de faste en ont seuls souffert. Au mois d'octobre 1722, on apprenait à la fois à Versailles le succès relatif de I'expédition de Perse, la probabilitd d'un conflit nouveau entre la Russie et la Turquie et I'envoi à Yienne d'Iagoujinski, qu'on supposait chargé d'une négociation importante. Àussitôt Dubois jugeait le moment venu de parler, et, si distrait qu'il ait pu être par la crise gue sa lutte avec Yilleroy a déchaînée simultanément dans le Souvernement de la-Régence, iI arriaait à temps. Partis de Versailles le 25 octobre 1722 , les deux uniques courriers en emploi, Massip et Puylaurent, étaient rendus à ï\{oscou le 5 déceurbre

L'AII()GÉE. _ EN FIiANCE,

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avant le départ même d'Iagoujinski. Les sachalt en route, Campredon n'attendait même pas leur arrivée pour interpeller" ce derniel sur le mode plaisarrt. Le diplomate russe venait de se débarrasser de sa fenrme en la forçant à entrer dans un cloître. " Allait-il à Vienne pour y chercher une autre ,. J'aimerais mieux la chercfuer à Ptrris, répo'liaison? )) dait lagoujinski sur le rnême ton, mais vou$ nous avez fait u Attendez encore quelques jours. o tlop attendre. r - Puylaurent apportaient tout ce que l'envové Et Massip avec français pouvait souhaiter : des ordres précis, conrme ceux que Bonac avait reçus, de I'ar6ent pour se restaurer, de I'argent encore pour les distributions à faire. Ce qu'on lui donnart était très suffisant et ce qu'on lui ordonnait <itait en somme assez raisonnable. On n'errtenclait pas à Velsailles confondre les af{irires : I'a)liance fi'anco-russe en était une, et le mariage du duc de Chartres avec la Tsarevna une autre. La première roulait sur une question de subsides à payer par la France et de services à rendre par la Russie : n On irait en Fr.ance jusqu'à quatre cent mille écus par an; Ia Russie irait-elle jusqu'à la promesse ferme d'un corps d'armée pour le cas d'une guerl'e en Allemagne? u La seconde alïaire était une question de conyenances : si I'apport de la princesse Élisabeth devait consis{.er dans la couronne de Pologne, il fallait que cet apport fùt réalisé. Pour les conditions accessoires on serait coulant. On consentirait même à Ia reconnaissance du titr.e impérial récemnrent revendiqué par le Tsar, mais non pas, dvidemment, sans réclamer le prix de cette concession qui serait
grande.

Et voilà, semble-t-il, une négociation mise sur un bon pied. Pourquoi n'aboutira-t-elle pas? Conrment méme subira-t-elle un nouveau retard, assez considér'able? En r.érité, le carclinal n'y sera pour rien. Les clifficultés viendrorrt d'abord de I'organisation du gouvernement russe et des habitudes de sa diplomatie, dont j'ai déjà dit quelques mots. Cette diplomatie n'agit que dans I'ombre et n'avance c1u'à tâtons. Chaque entre. tien est entouré d'un luxe de précautions qui entrave singu

lût$

L'OBIIVRE.

lièrement Ia marche des affaires. Les ministres, inquiets, tou jours sur le qui-vive, sont inabordables dans leurs cabinets. Pour leur parler à la dérobée, il faut accepter des rendez-vous jusque dans le café de.s Quane Frégates fréquenté par les matelots! Le Tsar, défiant, ombrageux, a besoin d'un prétexte pour convier un diplomate étranger à un entretien et masquer airrsi le véritable obiet de I'entrevue. En lévrier 1723 seulement, il profitera de la notificatirin de Ia mort de [[adame, dont Campredon se trouve chargé, pour attirer celui-ci dans sa maison de Préobrajenskoïé, et dellière des portes soigneusement closes, Catherine servant d'interprète, lui parler à cæur ouvert. Et alors on s'apercevra gu'on n'est plus cl'accord sur rien. A cheval sur ses irrstructions qui n'auront pas varié et ne varieront plus, même après la disparition de Dubois, même après la mort du llégent et I'avènement au-x affaires du duc de Bourbon. Campredon restera attaché aux principes qui avaient palu promettre une entente {hcile; les idées du souvelain russe auront {ait tlu chemin. Il entendra toujours marier sa fille en France et la lotir en Pologne, où il suffilait u d'une nouvelle maîtresse spilituelle eI tourùante, qu'on procurerait au roi régnant, pou,r provoquer la vacarrce du trône r ; mâis, dans ses discours comrne dans ses actions, il semblera prendre le contrepiect d'une alliarrce politique errtre les cleux pa1's. Tantôt il parlera d'une rupture avec la Turquie, à laquelle il voudlait reprendre Azof; tantôt ii paraîtra mécliter une expéditiorr en Suècle pour v installer le duc de Holstein à la faveur d'un soulèvcment populaire. Il sera questiorr rnême d'une descente de trolipes lusses en Angleteue avec le prétendant (l)! Et en aoùl 1723, au lendemain de la rnort de Dubois, en prenant la direction des relations extérieures, le nouveau secrétaire d'État, de Nforville o en sera réduit à écrire à Campledon : u Yos dépêches font connaître de 1-rlus en plus I'impossibilité u qu'il y a de traiter avec le Tsal justp'à ce qn'il ait fixé ses r projets et ses idées... Il faut attendre que le temps et le."

([)

Sor,ovrrq,

t. XVlll' p. l:]1.

L,ÀPOGJJE,

_ EN F.RANCE.

contribué, met le Tsar en joie. nn sortant de l;Aglire où un Te Deum a été chanté, il embrasse l,envoyé francais et lui fait entendre des paroles pleines de promess€s : u gsus avez été n torùours un ange de paix pourmoi; je ( et vous allez vous en apercevoir. , Enne suis pas rrn in6rat, elfet, quelq.r"* jir,", après, la porte de la légation francaise est prise d,urru,ri pu" les ministres du Tsar, qui portent des visages épanouis ; le souverain a cédé sur tous les points, mê're sur l,aclmission de I'Angleterre a' traité à signer avec ra France, ce qui a constitrré jusgu'ri présent ,rr, principaux écueils de Ia négociation. L'alliarrce est fàite. _d": Hélas! ce n'est qu'une raussejoie. {Jh nouleau temps d'arrêt se produit d'ahord avant l,échange des signatures. Jusqu'à la fin de no'embre, Pie*e et son entourage sont tellement altsorJtés par I'alfaire l\.[ons qu,il ,r,y n po, rr1()yen tle lesaborcler'. D'ailleu.s, pour rencorltrer ostermann, Campredon_a chaque fois à Ia vie ,r;;;;r;;';; "ir,,.r". Néva: pas de pont, et le fleuve "" des glaces! Bt ;;;r; "ha.rie les communications sont rétablies et qu,.n"""orr{é.",r.J;;;; être réunie, il se trouye qu'il n,y u à"or" rien de fait. Le Tsar a de nouveau changé d,avis et ne veut plus entendre p"r.;; de comprendre I'Angleterre clans le traité. eu,est_il arlivé? Une très simple : envoyé à paris pour remplacer llose Dol_ gorouki, I(ourakine s'est plu à t;on nour"uu porte, et, pour y rester, il s'est attribué succès diprornatiqu", i-uginai.url ^des qui ont provoqué les effueion, .1,, *ou.,"rain russe euvers cam_ l.redon et ses dispositiorrs conciliantes. Il est olte j.,.qu,J Ioi donner I'espoir d'un mariage possible de la Tsarevna avec Louis XV en personne, qui ,e veut plus de son E;p;_

occûsions perrnettent de juger si le Roi peut avec sûreté u prendre des engagements avec ce p.irrce et les exécun ter. , L'attente sera yaine jusqu'à la mort de pierre. On ne fera plus que 1riétiner s,rr plu"". A un mornent, Oampredon pourra se cioire près d'obte'ir g.in de cause. A' cornrnencement <l'aott Li2rt,la nouvelle d'un règlement pacifique de ses dif_ férends avec Ia T.r.q'ie, aurlue"l cle Bonac a puissamment

(

L25

h26

L'OEUYRE.

enole(l). Depuis, il a fallu déchanter. Pressé de s'expliquer, Iiourakine a dir avouer que le maliage de la princesse même avec un des princes du sang paraissait aux ministres français ( un objet trop éloigné D Pour le mêler à la négociation présente.

Le sort cle cette négociation est dès lors absolument déciclé' Elle ne pataitra reprendre quelque apparence de vie et d'espérance après I'avènement de Catherine I'", que pour retomber aussitôt dans le néant. Le traité restera sans signattlre et la tsarevna Élisabeth sans époux. Pour devenir une réalité, I'alliance prématurément rêvée aura besoin de se préparer les voies à travers un siècle et demi encore d'épreuves et de bouleversements profonds sur toute l'étenclue du continent européen. L'avortement des tentatives hasardées au seuil du dixJruitième siècle pour la faire aboutir me paraît s'expliquer et se justifier, sans qu'il soit nécessaire d'en rendre resPonsa' bles, soit en France, soiten Russie, des gouvernements qui ont d'autres comptes à régler avec l'histoire. On n'est pas arrivé à s'entendre, d'abord parce qu'on avait trop de chemin à faile, et ensuile irarce que, marchant en aPParence à cette entente, on s'est tourné le dos en réalité depuis le commencement jus' qu'à la fin. On a cornmencé par dif{érer dans la volonté même de contracter une liaison, Pierre étant seul pendant quelque temps à la désirer sérieusement. Puis, le désir étant devenu commun, I'un des SouYernements a demandé une chose à sa réalisation et I'autre Souvernement une autre : la France une alliance politique et Pierre une alliance de famille I toutes deux souhaitables pour celui-là seul gui avaitconçu le souhait. France Qu'on ait répugné ici à introduire dans le lit des rois de clandeset tardif mariage la frlle naturelle, légitimée par un tin, d'une ancienne blanchisseuse, Pour ne Pas dire pis; qu'on se soit médiocrement soucié là-bas de reprendre pour un modique salaire le harnais d'un servage politique usé sur le cou de Ia clientèle polonaise et suédoise, nous ne saurions vrai-

([)

Sor,ovrnr,

t

X.VIII, P. 126

L'ÂPOGÉE.

_

I.]N

FRANCE.

42r

ment en être surpris ni offusqués. Le terrain marqué par la destinée pour Ia rencontre des deux peuples et liuniàn de leurs intéréts n'existait pas; il n'a été préparé que par un cataclysme récent, dont le système entier a", g*o.rp"ments européens a subi le contre_coup.

LIV trE

lt

LÀ T,UTTE A L'IN1'ÉRIEUR. _ LES RÉFORMES'

CLIA
LE NOUV}}\I] RIiGIITE. -

PITRE PllE[[IER
LA FIN DES STRIILTSY.
P1i1BP5196gN6'.

-

Les r6forrles et la culttrre oril. Le nouueau réginte. Question préalabie. - et occi(lentarrx. Origines du Sl.ruophiles ginale de la vicille Moscovic - rérolution. t'ette értlrttion devient uue lnouvernert réforutateur -- Cottlment Ordre tlals lerlrrel Peuvent ètre étutliés les Caractère général tle l'r'uvre. - syrrrbolitlrrcs. ll. La Jin <!es StreltsyTraits résultats par ellc réalrrris. - arurée et la vreille rnilice. ]léccntenterrrcnt l,a nouvelle Ses causes. Pierre en prend préterte Pour-une ceuvre d'erterRévolte^ de celle-ci. llésulchtntltres de torture. nrination. - Enquête colossale. - Quatorze Sa cornplicité n'est pas prouvée' La tsarevna Sophie. tats négatifs. - le voile. Exé<'utions en rlrasse. néantrtoitrs i, prentlre Elle est condarlnée Le La grèue de Moscou. Le justicier suprêrue. Picrre y participe. - et après Poltava. - Péterçbourq. Forteresse Àvant lobnoié miesto. Raisons qui ont tléterrrriné Pierre à v trnnsporter le siè1ie de oucaprtale?- -lll.
3on gouverneurent.

-

Critique et justilicatiou.

-

La tradition nationale'

I
Le nouueau régime. l{es lecteurs russes Ire me pardonneraieut pas si i'aborclais cett,e prartie de mon étude sans touclter'à un problèrne lirninaire, qui, en dehors mérne de la clitique historique proprement dite. demeure, dans leur paJ-s, le thème inépuisable de discussions passionnées : en jctant la Russie tlalrs les bras de la civilisation européenne, Pielle n'û-t-il pas lait violence à

LE NOITVBAÛ RÉGIME.

IÛ29

son histoire, n'a-t-il pas méconnu et négligé des éléments indigènes de culture originale, susceptibles d'un dér-eloppernerrt peut-êtle supérieur et en tout cas plus conflorme au génie

national? C'est le grand débat entre slavophiles et occidentaux. Je crois pouvoir en écarter la question des origines ethniques, qui sernble bien vidée aujould'hui, tornbée à I'orrbli des vieilles querelles. Le Russe a et garde, méme à son corps défendarrt,

pfrl'siolo6iquement une place netlernerrt marquée dans la faurille indo-européenne et moralernent un fonrls de civilisation construit avec les mêmes mrrtériaux. Seulement. des couditions géographiques ethistoriques spéciales ontpu impr.iner à qr.rellues-uns de ces matériaux ull caructère particulier, d'ou viendraient des mcnurs et des ictées différentes, des conceptions et des hahitrrdes à part, en matière de propriété, par exernple, de farnille, de pouvoir sorrverain. Pierre a-t-il fait table rase de torrt cela et a-t-il eu raison d'agir ainsi'/ Le débat entier est mairrtenant là. L'exarnen que j'aborde servira, je I'espère, sinon à le trirncher, du moins â y porter quelque lumière. Une donble constation en sortira aussitôt, révélant, d'une part, l'inconsistance, l'état rudimentaire, embrvonnaire, inorganique, de la plupart des éléurents sur lesquels a polté le travail du Réforruateurl d'autre part, la persistance, au contraire, de certains traits, tantôt demeurarrt intacts sous une apparence de moclification, toute de folme, cle déguisement, tantôt mêrne échap,parit entièrement à l'action de la réfiorme. La table rase n'a pas été aussi complète qu'on s'est plu à I'irnlginer. A beaucoup d'égards, I'ancien régirne avait cessé d'étre viable trien avant Pierre. De deux assises sur lesqrrelles il reposait essentiellenrent,I'orthotlo.vie eL le pouvoir absolu, le santodierjau#, auctrne ne tenait lllus clebout depuis un qualt de siècle, r'uinées, I'une par des vices intirnes d'organisation tenunt à ses origines, I'autre par une exagération de son principe, due err partie ii des cornptititious politiques, rlont Ie règrre <le Pielre lui-rnêrne ne pouffa sortir qu'au moyen d'un coup

h}O

L'OEUVRE.

sur d'État. Depuis la constitution de I'hégémonie moscovite per' la luine tles arrciertnes indépelrdances rivales, le pouvoir le droit alec son'el du souverain a revêtu la forrne orientale' privéàSabase'Plustlesuzel'ainetéàtour.nrrreféodale;un sujets ,ir,rpl" titre de propriété, s'étenclant à la personne des à leur avoir. Nul droit crr dehors de ce droit unique, "o*-" légal de sujet sauf une exception pour l'Église' Pas d'héritage (uottchina)' à sujet; tn" ,i-ple répartition, héréditaire parfois de arbitraire' toujours plrrr" rorro"rrt viagère (pomiestié), mais ào-oi.t", octroyés par le souverain en échange des services aux rentlus. Pas ou presqtle pas de commerce ni d'industrie mains des particuliers I commerce et industrie appartiennent le reste' Son monopole, à peu près universel' au Tsar, "ont*" ne souflre que des intermédiaires' Le souverain achète en viande' frr'rits' gros et ,"o",t-d en détail jusqu'atlx comestibles' iég.,*", (l). Les anciens ducs indépendants, les Ruriliovitchs Viasma' d"" To""r' Iarorlau, Smolensk, Tchernihof' Riaz-rt'

parmi les serRostov, ne forment plus qu'une simple aristocratie cortvertis viteurs du maître commun' faisant face aux paYsans le Sud) tlans libres 1600 (sauf quelqtres Paysans enserfs depuis

d'autres et se vengeant sur eux de leur avilissernent' Pas

sociale' La corporation classes; pas de corporations; pas de vie ancienne de marchande de NovSorod, qui a fait Ia prospérité

la villc, a disparu avec les autres traces d'organisation mongole, culture ,rorm"n,l"s. Pour lutter avec la puissance et de ses procédés I\[oscou lui a lhit ernprunt de ses principes
sa supréllatie cotrtle de gouvernenlent) et, pour faire prévaklir elle a poussé I'application de ces principes

et de

les villes voisines, extlèmes' et procédés jusqu'à leuls couséquences il est' dans le sens Le Tsar n'estdonc ptrs seulementmaître' et de son peuple I le plus absolu ,h trot)p'oprietaù'edu :1" pays de points rnùt)quent *ui, .ott pouvoir et son droit élevés si haut cl'une poussière d'appui : rien qrre le vide au-dessons' ren'rpli pas de h;ér'arsocial' flotiante d'esclaves' Pas de grouPemett (l;
Korouutu'ursu, il'lernoires,

ch' r'

LE NOUVEÂTI IIÉGI\TE.

bïL

chie, pas de lien orga.ique entre ces monades incohér'entes. un va-et-vient livré au hasard, à la poLrssée des instincts élérnentaires. Un grouillernent confus de passions sauvages, d'appétits brutaux, se ruant à I'appât le plus proche, allant de Pierre à sophie et de sophie â pierre, avec I'inconscienre des masses inintelligentes. Le chaos dans le présent et la nrrit dans I'avenir. Quant à l'Église, elle est venue cle Byzance à I(ief. énervée déjà et dégradée, ayant laissé ,a fo.c" morule o. ser' de la décadence grecque, avec I'esprit de sa fbi clue les formes o't absorbée; avec le sens de sa religion confinée à I'appareil d'u.e dévotion encombrante : r'eliques, i',ra6es, formules de prières et jeùnes, et d'une liturgie i,cornpréhensible. Riche bientôt, disposant d'u'e inl.lueuce considérable, grâce au nombre énorme de monastères dorrt elle couvre le pays, mais ne sachant s'en servir qu'à la facon de Rorrre, aux heures marrvaises de la papauté, po.r I'abaissernent intellectuel du peuple, sans jamais, à I'exernple de Rome, travailler à son relèvemenr. économiq.e ou moral. Qua'd elle a voulu, sous le tsar arexis, faire æuvre d'initiative pour une simple réforrne de rituel, sa faiblcsse intime a paru : elle s'est heurtée à la révolte et au schisme. Le raskol a éclaté. Pierre est arrivé au po'voir parun coup d,État; inspirés par Sophie, les Streltsy en tentent .n autre pour Ie Il u "".ru..ru". ai'si de bonne heure la sensation et le vertige de ce néant sur lequel repose sa toute-puissance, et quand, chef d'un gt.ir ,rtl empire, il essayera de faire emploi au clehors des forces dont il le supposera pourvu, méme avarrt Narva, déjà sous les murs d'azof, tout se dérobera sous Iui : ses armées se débanderont en quelques heures, son trésor se videra en quelques jours, ses hnrearrx administratifs paraîtront fourbus. Les prédécesseurs du grand Réfbrmateur ont eu parfaitement conscie'ce "le cette situation, et ils n'ont pas été sans essayer d'y porte' r'emède. r\ l'état d'idées un peu vasues sur. certains points, de tentatives ou de velléités indécises, mais sur. d'autres à l'état méme d'actes décisifs, ils ont esquissé tout un

bgl

L'OELVRE

la protramme de réformes ayarrt pour objet, non' certes' *oàifi"ntion radicale, mais I'amendement du régime existant' d'un établissement son approPriation aux nouvelles exigences Ils y ont ambition' en et politiiue croisrant en importance coniiait uttt""" la réorganisationde la force armée, et' comme le dition cle ce postulat, I'amélioration des finances' dévelop-

pement des ressources économrques du ptrys, I'encouragerrre.nt à donner au commerce extérieur' Ils ont admis la nécessité

et d'un d'une prise de contact plus directe avec l'étranger de appel à son concours. lls ont eu en vue un colnmencement ,Ctor*" sociale par l'émancipation de la classe urbaine et ils mêne par I'affranchissement des serf's' Enfin, avec Nicorre' ont touché à I'É6lise et conséquetnment à I'ensergnement' l'Église derneut'ant la seule éducatrice en fonction' Voici nraintenant Pierre' Que fait-il rJ'autre' de nouueau? est le sien' Rien en réalité, ou pas grand'chose ' Ce prograntme Il en étend un Peu les lignes; il y ajoute la réfurme des mæurs I il modifie la nature des rapports déjà créés avec Ie monde
occidentêl;maisrllaisseintaotes,luiaussi,lesbasesdel'édide vue fice politique dont il a reçu I'héritage, et, au point
ont social, il reste même en arrière de ce que ses prédécesseuls su[Ïisamrnent conçu ou préparé. Son æuvre, on ne s'en est pas ses limites dans â"*uur" relativement restreinte "p".ço, dégàne.ut"r, en dépit de I'universulité apparente de I'ef'fort lirnites' ces dans mêrne i"nre pu, I'ouvrilr; très super'ficielle, ailleurs' un travail de ô'urt prin"ipalement, ainsi que je I'ai dit nouueau' ll replâtrag, it d'e ptoroge, et ce n'est pas un trarail lui' ce sont les été inauguré avaut lui. Ce qui change avec

a

conclitions dans lesquelles ce travail sera désornLris poursuivi. illlelminable Ce qui est nou,neau, c'est d'abord cette guerre

qui pendant virrgt ans irrspitera, dirigela et cornrnandera fou*i"., et dorrt le résultat sela, d'une pirrt, de précipiter la

et,- d'autle marche de I'évolution antérieurernent commencée

part, d'intet'vertir I'ordre naturel des modifications politiques àt sociale, qui en font partie, au gré d'exigences momentanées' les besoins qur ne seront pas néiessairement en rapport avec

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les labitudËs d,esprir, les manies, ,;: génial,-mais bizarre, tient de son éducation, du ,", f.Cq,r*rrto tions à la ,9loboda, de son contact a'ec l,B,rrop., en principes et auxquels il attribuera ", lr;iiirig"." cla

Ies plus urgents de Ia vie nationale.

,#ï:î':"f:iï,ii

ho", de'p.oporiol.avec

nouaeautés sont précisément celles

leur,-0"*ït"iifffi":ïlt:::
t"_pjru_.nt
e

lement bressant er déconcerranr pour quel'euolutzozpacifique de Ia o"ilr" duui"ndra une réuorution" C'est ainsi encore que les mêmes tendances et les mérnes tentatives, qui so's le r.ègne d,Alexis et <le F.éoclor renco'traient à peine quelque résistance, auiveront maintenant a proooq,i", un so.ulèvement, presgue général au début, et nécessitant I'emploi de-moyers de co.rtrî;.rt" ut d" rigueur. procédant de la volouté du souverain, brrrsquem",rt, to,r;o,rs par à-cbups, sans or.dre, sans lien apparent entre elles, Ies ré{brmes torrr_ belont sur ses su.jets comrne Ia grêle ou la fbudre. Talonné par la guerre, entraîné par sa fo,r6,r", halluciné par les horizons entre'us en Allemagn€, en Angleterre et en Hollande, pie're n'aura pas le moyen de coor,loin"" .", Jirporitio.,., ni de faire preuve de réflexion, en les préparant, ni d,user a" p"ri"î"" pour les imposerl il passera ,.r" ,on pays et sur son perrpltr comme un ouragan. II improvisera, ii créera d", et il terrorisera. ".*pjdi"l,t., Mais c'est aussi tout cer., je srris roin de vouroir re contester, gui donnera au mouve,lent ré'orateur, clo't la *ussie rrrorler'e est sortie, I'amplitude-,": la prompfitude que les timides essais d'Arexis et de :..r:", Féodor etaient loin de pouvoirrur communiquer. Bn quelques années pierre fer"a l,ouvrage cle quelques siècles. Reste à savoir si ce saut brusque à travers ,."rn1:" et le temps a été un bien. C,est u do.ri l'étude arir,';" ",ris, êrre prdcéclée,:J::ï"t:ït eux-mêmes, c'est-à_dire des résultat*

personnel du Ré{brmateur, qui irnprirnera un caractère de violence, d,outrance

ses sujets I'aspect Ie plus offensant. C,est enfin lu

qui revétiront aux yeux de
à toutes ses mesures

,-:,Ir"ïï:::îîiiT:;

jiJ:;

obturrt.rr.

ttVt

L'OEUV ILE'

aPnatition Suivre ces résultats, âu fur et à mesure de leur une besogne iu;r'irte et clans I'histoire clu Srand r'ègne, serait Jusqu'à un ne pouvant aboutir qu'à une sensation de chaos' un ordre dédtrns point leur réiisation s'est produite j'ai signalé' La ""ràin terminé par.le grand élément initiateur que joul les ré' g;"rr" a natoreilernent mis d'abord à I'ordle du finatrior*u, militaires, et celles-ci ont provoqtré des mesures économ.iqnes' cières, gui àleurtour ontsollicité cles entreprises de réorgarrisation Muis cei ordre n'a eu rien d'absolu' L'essiri pourrait diffirègne' du même municipale, tenté au clébut examen' à nron dans cilement )r rentrer' Je m'en tiendrai' dégager le l'i-portoo"e relative des objets' Toutefois' pour lequel cet examen cloit champ assez vaste et fort encombré sur je veur po.te, et le mettre en mêrne temps en lurnière' dans I'ensemble de à'abord en distraire quelques traits' qui r'ôle accessoire et très l'æuvre réformatrice n'ont joué qu'uu passé' aux yeux du secondaire, mais qui n'en ànt pas moins et toute la portée ' Le p*nfi", pour en r'*nlf"'*"' I'essence même simpliste' public,ions sa conception des choses uaturellement insipresque Ces traits' ne s'est d'ailleurs tlompé qu'à moitié' d'e'rpression ltès gnifiants en eux-mêmes, ont une valeur régime revêt sa physionomie et son [.nnd"' En eux, le nouueau le plus Iymbole apparent. C'est pour cela qu'ils ont parlé : le dire veux Je fbules' Aioqo"ttrt"nt à I'rmagi"oiiot' des de lacréation des barbes, lJsuppressiondes Stehsy et
"orrpog" Saint-Pétersbourg'

La

fn

des SteltsY.

le jeune En revenant cle sa première tournée en EuroPe' d'Auguste de Tsar s'est montré à ses sujets vêtu de la défroque n'avait pas Pologn", costume des hommes de I'Occident qu'il jours plus portà jorqu à présent sous leurs yeux' Quelques

LE NOUVEAU NÉGI}fE.

h35

tard, àunbanquet donnéparle général Chéïne, rl s,est emparé d'u'e paire de ciseaux et s'esr mis à colrper res des convives. Son fou Tourguénie, I,a ilrité. 'arbes cle Les térnoins cette scène ont pu croire à une "rmple fantaisie de despote. Pierre est presque glabre naturellernent, la barbe moustache chétive.; il a beaucoup "rr", lu bu à la table de Chéi,,e, et il a choisi cette façon cle térnoigner sa gaieté. Non pas ! A quelqrres jours de Ià les coups d" clir"u,r* sont sanctio''és par voie d'orrliase, et c'est une vaste réfrrrr'e norare, inteilectuelre et économique, qui s,est annoncée ainsi par un burlesgue inci_ clent de banquet, entre deux verres de vin t t,en irràiqrrerai plus loin les éléments sérieux. La suppression des streltsy suit de près. Eile esr une conséquertce inafiendue, mais naturelle au fond., la preorièreco.rséquence des projets belliqueux dont l,imaginntion a" ;",,"" Tsar vient de subir, au contact de so l'rrrésistible séd.crion. Sous les -o., me'té la valeur rnililaire de ses miliciens, et cette expér,ience lui a appris que la.force armée qu'il croyait posséder en eux n'en était pas une. Ii aa'no'cé hauteme'talors.inte'tion.e développer les nouyelles formations à I,européenne, dorrt l,excelle'ce relut,ive s'est en rnême tom's afifirmée, *t É" fni." a* ses deux régirnents de.plaisance le noyau d,une organisatiorr nouvelle. Et il a passé Ia frontière "p1,niu*rrrunt pour étudier Ies pri'cipes de cette créatio'. L'alrcic,,ne .Lruée cle la _tïIos_ covie, celle des Strelrsy, se voitainsi corrdarunée à al*puroit* Déjà on Ia roue aux besognes ingrates. Dans les exercices guerriers gui ont préludé à la ca,npal;ne d,Azof, elle a clù to;jr.r.s li,,;ur.er les'ai'cus. Apres lu priru d,Azof, 1", .eg;ro"rt, r1e plaisarice sorrt allés à [Ioscou p_, y faire une entrée triomllhale, r'ecevoir les ovatio's.et J; ri"olp"rrr"s, ta'clis que les Sneltsy derrreur.uierrt..arrs la r.ille pour en rr:f.aire Ies forti{ications. On les humilie, o' "u,,{uiru les ,rr.rltraite avant de les détruire. Ils se révolte'o't. IIn pier.re étant en 'rrirs l6g9, Angleterre, ils ont envoyé, d'rlzof à lloscou, une députation chargée de leurs doléances. Blle est revenue sans avoir recu

a,Trlft,:ii:T"-#:

436

L'OEIIVRE'

t satislaction et en rapportant des nouvelles excitantes lt"tl" enfermée au Diéuits'est livré corps et âmu aux étrangers, et' fait appel à ses chyt Monastyr, sa sæur' la tstrevnl Sophie' contre un partistrns, pour défenclre le trône et I'auteJ "rr"iurrc lettles de I'ex-régente' ,orrou"uiln révolutionnaire et impie' Des dans les régiments' vraies ou supposées, on ne sait, circulerrt environ' est détaclré Un corps d," igt uttry, deux rnille bommes pour garnir du Ia ga.nison d'Azof et envoyé à Viélikié-Louki les camarades' la Ia {ronîiare polonaise. La séptration d'avec à I'autre' exaslongue -nràh" d'une extrérnité de I'empire les Steltsy ont accoupèrànt cette troupe' En temps de paix la io*é d" rester chez eux' Elle est première à se mutiner' Chéine va au-tlevant d'elle Fllle marche sur Nloscou' Le général la rencontre Ie I 7 juin avec des {torces supérieures "i d" "uttott' lui tue qrrelqucs en vlle du monastère de la Résurrection, prisonniers après bonrmes, prend Ie reste, fait pendre quelques semble terminée (l)' les avoir rnis à la question, et I'affaire résout Il n'en est rien. Pierre, prévenu, hâte son retour et se un coup frapper arrssitôt à profiter des circonstances pour vu les Streltsy en travers <lrlcisif. U"p.,is I'eufance il a toujours ses amis; ils o,t .le sa routà : ils ont massacré ses parents et maintenant soutetru contre lui le pouvoir d'une usurpatrice; qui les a cornbat le avant crlcore' parlementant avec Chéine Lefort contre attaques ulls en ié"o,tte, ils ont osé de violentes est assez!, Il et les autres étrangers de son entourage' C'en semence des éterneiles veut en finir et extiiper du sol natal la visions. dont' rér'oltes et noyer dans le sang les sanglantes Il ne se regard' son rempli depuis le berceau, ces hommes ont de quelques pas de quelques coups cle knoute et "oitt"ttt"ru Il va tailler dans le glancl' à sa propre rnesul'e' pendaisons. et clofulé,1 par ChéÏne et L'enquète, sommairement conduite et établie sur un pied Romodanovslci, est ouvelte à nouveau I'histoire humaine : datrs sans précédent, croirais-je volontiers' sont ouvertes au q,,ator"e chambres de torture (zastiënok) Sorovrnr' t' XIV' (l) Archives de l'État à Moscou' Àffaire des Sueltsy;
P' 25tt'

LE NOrrvEAr.r nÉcIME.

extraordinaire, y compris les brasiers au-dessus desquers grés'rera ra chair des patients' L'un d'eux sera mis à ra questiàn sept fois et *"o"u quatre-vingt-dix-neuf coups de knoute, q,,irre pouvant iuffire à tuer un homme. Le lie'tenant_colon*it<""p"i"f ;f;;;;r" d'un coup de couteau à la_gorge pour mettre fin à son supplice; qu'à ,. UË*ri, ur la question continuera. lL:"Uo""l"ndra Des femrres, épouses, sæurs ou parentes ies Strrltsy, r""o.uo**o jl-ur de.compagnie de Soplie, seront interrogées de même. L'une d'elles accouchera o,, .rrii;uu des tourments. L,examen portera principalement sur la 1_rart prise par lu tr"."u.r" ut ses sæurs à la préparation do moro"*ent insurrectionnel. Pierre est convaincu de leur culpabilité; mais il veut des et l'enquête n'en fournit pas. n Elles peuvent bien Lîlt: pour nous ,r écrit naivenrent mourrr , une des p"io""r*"r, uu parlant de guelques servantes qu,on d.oit appliquer à la tor_ ture et dont elle escompte Ie silence. IJn Streletz subit le reçoir trente coups de knoure, esr iliijt,"^"*-* ]'esrrapacle, ur ure ronguenrent, sans qu,on arrive à lui arracher une pu"olu. Iléussit-on à provoquer un demr_aveu, une iudicatjon wague, le patient n'a pas plus tôt repris lraluine, qu,il revient sur ses prerniers dires, ou se raidil à nouveau dans ton mutisnreSophie elle-uréme, interrogée et torturée par f rerre en ner_ sonnez dit-on, reste inflexitle dans ses aA'.,.g't""r. ;;*i. cudette Nlarfa reconnait seulernent avoir fait. par.t à l,ex-ré_ de la prochaine arrivée des Strehsy et de leur désir g:ï: de vorr son gouvernenrent rétabli. De ce côté, le résultat de I'enquéte reste nul. Le texte d,une lettre fort compromettan_te cle Sophie à l,aclresse d":;;;";;; n'est, de .l'ar-eu méme de son eàit"rr. généralernent mieux inspir'é (l), c1u'un morceau fabriqué avec cres rambeaux de dé positions recueillies dans Ie ,ortrénok, incohér.ente, ut p_ir"_ blement suivies de rétractations. Dans sa prison dtt
Nouod,,,

villa'e de préobrajenskoTé et fonctionnent jour et nuit tout I'appareil de géhenne ordinaire et

hE|

avec

(l)

Ousrnrer,or,

t. III, p. l5g.

/r38

L'O!]UV l\E

un a été étroitement surve;llée; uitch)'ï Monastyr,la Tsarevna couIe devant montait la garde détachernent de cent homrnes l"' moylt'de correspondre ve*t. Elle a conservé, il est vrai, avec la a'""i'"t"nir des rapports journaliers conavec le dehors

t", autres princesses et tous ses amis ' "oor, Iexercice d,urre largehospitalité; les services de ra cour tinuer dix-sterlets' deux brochets' delx Iui fournissoi""t to"* It' jJo*' du de harengs' des pàtisseries' barils cle caviar, deux bïrils uierlro (12 litres) d'hydromel''un u beurre d" noi*"ttes r, ull uië.dr1s de bière uiédro de bière a" *o"' quatre :]1i:Ït de boissons' avec un surcroît et comestibles de toutes sortes j;it: u: fête : barils d'eau-de-vie d'anis de provision' P""' i;; à ses vulgaire' Romodanovski a permis et tonneaux d'"a"-d"-oi* dJ' friattdises' dont I'envoi régulier sæurs d'y ajouter """o'" un échange de messages secrets a servi, pense-t-on, à {'aciliter tout temps de I'ex-régente' ils ont eu de partisans aux Quant mendiants
et des
giée' A

"t

Elle

a pu même

monastère avec Ia foule des Ieurs grandes entrées au Moscou une caste privilé-

mendiantes;;t";*P"taientà grands obitielsen accueilcertai""' Oplqo"s del'année,les journellement plusieurs centarnes' laient et en hébergeaient le premier rang
et tenant

nornbre les veuves àu sn.rtïrl. raisani ou se recrutaient habituelleclans cette population f'lottante' en

mouvement de propagande rnent les mécontents (1)' Un concertainement dessiné avec le faveur de I'ex-régente s'est Kondratiéva' efe't""is' Une strelrchiha' Ofimka cours de "u' s'y est''entre autres' activeuve de trois lu'"oîi"'-*iliciens' aPparence de complot Propre' vement employée' Nfais aucune jour' ment dit n'est mise au a servi à exaspérer les L'enquête "';";;'p'oo"e; .elle jeune Tsar' à irernper:"" i"t^"-Ï:O1ili:,lt instincts violents du aux supplices. Avec ptatsrr' a assisté aux interr<]gatoires et (2), ,uoo.',unt en amateur le comme on a cru s,en apercevoir la vue des longues agonies' fu'it"lu"t"" contact d", "hu"' et de la mor[? Je ne Ie crois toute l'âcre saveur àe la do"leur (r) ousrn*r.or:';*lli:
(2) Kosrott'tnont

l"'::**,t.

u, p. 5iri.

LE NOUVEAU RI'4GIME.

L,8g

conternporaine, adnris par
lTavorablernent disposé

hoTé, Pierre lui-méme faisant office de bourrean. Le fait est attesté par un grand nombre de témoins, adopté par l,opinion

pas; avec curiosité plutôt, en homme assoifé de sensations et inexorablenrent appliqué à tout voir par lui-méme et toucher à tout, son ârne s'endurcissant, je leïeux bierr, et son imagrnation s'exaltirnt aussi au milieu de cette orgie de justice sou_ veraine. Le procès terminé, il lui faudra encore des exécutions colossales, des têtes tombant en tas sous la hache du bour_ rean, des forêts de gibets, des hécatombes de vies humairres. Le 30 septembre 16gg, un premier convoi de deux cents condamnés part pour Ie lieu de i'expiation suprême. Ci.rq ront décapités en route, devant la mairon du Tsar,, à préoblajens_

velles exécutions; 205 Ie 12; lttl le lB; I0g le lT; 6b le l8; 106 le 19. Deux cents Strelrsy sorrt penrlus devant les
(1) Konr, p. 84; Guarient chez.Ousrnrer,or, t. III, p. 407; Vocxrnonr (p. p, 2g; yrlr.neots,,.A[.éntoir-es ;,rai;ir,^Sor,ovrnr, t, XIv, p, 2$6: fiosruursop. t, ll. n. bl7. _ L,édirion ,lrr livre tle'K,,.tr, qui le premier a apncli I'atrenti,rr dr I i-u..p. sur ces atrocités, a été détr.uite à la suite .l.,,ne i,rier_ venrion.du Tsar oupiè. d" la cour de vf""".. il"ï" exernplaires. uo" i"",ru"tlo,, ansrais" ;-é;;'p;;;;'"':i,";iii,""".J,,;ï;"uX: servée par la Ribriot'èque tre F-lascati."J;";,"t:.;;;"r""vi d,un des exe-r,,praires rarissitnes cle l'édition ori,qinàle que j,ai a,L I i""""i.irraisance d,un savant Âiblio_ phile russe établi à larir, u. ti"eg'"i.",
Hnnnrrrxrr),

Sur la Place Rouge de Moscou, où les condamnés sont conduits à deux dans un tririneau et tenant des cierges allumés â la main, on les couche par files de cinquante le long d,un tronc d'arbre qui sert de billot. Le I I âctobre il y ; laa nor_

pou" le-.oovelain rdforurateur, i"ifr_ nitz lui-nrême a eu un mouvement cle à ce propos (2). Et pie'e ne se 1io: ! Ir."".h"; il veut que ceux de son entourage en fassent autaut; Galitsine s'y montre malbabile et fait ,oulfri" longtemps ses strppliciés; llenchikof et Romodanovski ,o't plris t:u.,r, les étrangers Lefort et BIomberg, colonel "aïlt_. celui-cr du t^égii"l1 Préobrajenski, se refusent à"l,exécrabl" b;r;;;.

la plupart des hlrtorie", irl. i,

"";:;j:"J:oItfjTîi

-tlj'"uono,un,

q"i;.r,hï

bien agréer, mes remercie-

p. 20.

Lbo
fenêtres

l,,oEIIva E'

-d'entre de Sophie au Nottotliét'itclryù )Nonastyr' e copies d'un placet adle.slé des mains 1""r' du"' eux tenant tire à assez bou compte : déchue la Tsarevna. Elle-même s'en enfet'mée dans une étroite ,Je son rang qu'elle u"uit "o"'"rvé' Marfa Ia rronne Su.zanne' Sa sæur

trois

cellule, elle ne '"'u pl"' q"e dans a Ie rnôrne sort au "oou"n, de I'assornpt\on lousltiensÀr)' ou elle prend le nom de le gouverrrement actuel de Vlad'imir' sous le voile' la pt'emière en1104' trlttrguerite. Elles mourront Ia seconde en 1707' exécrrtions en masse D'auttes enquêtes suivies d'autres cle à Azof et dans divers endroits avaieut lieu simulti"U't""t C'était l-es malheure.irx Stehsy' l'Empire. On t'uqJi fo'toot quelques pentlant une Suerre d'extermination' Suspenclus q"à Pi""" firit à Voronèje de sentaines, à'oi*o" à'on séjorrr et les supplices no'embre à décernbre, les i"terrogatoiresjanvier 1699' On au rtrois de recolllmeltcent à Nloscou même' qui enco.rbrent la pti:",j-:"""]:: enlève par milliers Ies catlarles ou dans les charnps vorsllls' tcntant d'ailleurs de les concluire à u" grand.lit' "t la hacbe travaille ils coutinue.""' tlJ;;;*tit qui' au milieu de la PlaceRouge)nouveau. Et, dans lien"lo' sst' réservé habituellement cette grève sinistle de Moscou' trouvé trop étroit pour la circonstance' au bourreaur mals s'est d'estrie en llriques errtourée d'une sur le /,'rl,iroid *i"'o, "'pn"" des têtes coupées' Ies gibets haie en bois, les ;tq;;t portant demeureront jusqu'en 1727' garnis d" g'npp""hrr-oi""" u"osé de sang a ici un caractère Lelobnoié *;"'"tC" li"o qu'il faut conttlître' car elle à palt, on" hittoi'l'" 'i"tî"tla""' je n'ose dir.e justifiant, et cette cst une .éoélutio.r, "*ptilrrurrt, te"u à.avoir un rôle' et ce rôle orgie sanglTt",.;u fi91" a notn paraisse' L'origine du lui-même, " "'1t'*iCuble qu'il venant de Joùzrrrn' lietr le'-u"" d'uptè' todn" incertai"", est t u'lt"e'' lol' voulant dire fete ;1 ::it" élevé ; slave cl'aprè' l"' la légende veut aussi q'ue un svnonym" o;;;l;;tha' -IJne. I'on voit poindr" là' et ]-::Tt""tète d'Adam oit Ate "ni"r'rée des conceptions et des sentiments bizatre pélange Iitér.Je se rattachent à ce carre&u qui, dans Ia tradition populaire'

LE NOUVEÀIJ R ÉGI}[E.

bI,I

funèbre. C'est un lieu de supplice, rnais c'est aussi un lieu saint. Placé, à l'imitation du rithosu.ote de Jérusalem, devant une des six portes principales qui clonnent accès au Krernl, il a une significatiou r.eligieuse et nationale. C'est là qu,ont été déposées d'abord les reliques et les images saintes ùO"otées à Xloscou; c'est là qu'en des circonstances solennelles sout célébrées maintenant encore les cérémonies du culte I c'est là que le Patriarche donne aux fidères sa bénédictio'; c'est là enfin que les oukases les plus importants sont lus et les changernents de règne annoncés au peuple. Ivan Ie Terrible y est venu, en lbbO, pour confesser ses crimes devant ses sujets et implorer leur pardon. Le faux Diniitri v a fait uu_ blier son manifeste d'ar.ènement, et, quelq,r", -oi, plus taid, son cadavre y a été exposé aux r.egards de la foule, ur rrror.1.," sur le visage et urre musette à la main (l). Ainsi, instnrn.rents de supplice et cadavres de suppliciés, tout I'appareil hicleux de la vinriicte hu.rai'e rr'a rierr i"i ,I" "u qui en fait ailleurs un objet de répulsion et cl'horreur; il s'associe aux manifestations les plus augustes cle la vie publique. .{insi égrrlerrrerrt, Pie''e, pa'aissu't en cet endroir. la haclic l la nrain, ue déroge pas à l'élévation de son rang et ne se donne pas davantage un aspect odieuxl il ne fait que coutinuer sa fonction de justicier suprérne. Bourreau, toui Ie monde peut l'être ici à I'occasion. euand la besogne p'esse, on ramasse dans la rue des tra.r-ailleurs supplémentaires pour les sau_ glantes corvées, et on en trouve tant qrr'on veut. Bourreau. Pierre peut le devenir en restant Tsar, comrne ir devie.t ta'rl-rour ou matelot. Il travaille à cela cle ses mains coo,me a. gréemert de ses navires. Perso'ne ne s'en offusque ni ne hri en veut. On l'en louerait plutôt! ces traits so't esse'tiels pour I'intelligence des hommeo et des choses darrs 'rr milieu bistorique, d'où il convient d'dcar,ter fréquemment toute idée d'irrterprétation et de jugement par analogie avec les souvenirs de I'histoire européenne.
(l) Prr,lrir-, Ia
uieille llIoscou,

p.

72, ItL2 et suiv.

I&2

L'OEIJV RE.

Pierre a décidé la suppressiondes ,Streltsy, et il a fait Ie nécessaire pour y arriver. Les moyens employés ont été terribles, mlis la terreur estdepuis longtemps dans son pays un procédé régulier de gouvernement. Les Sneltsy ont disparu, Tous ceux sur lesquels il a mis la rnain à Moscou sont morts ou envoyés dans les contrées les plus éloignées de Ia Sibérie. Leurs femmes et leurs enfauts doivent quitter la capitale. Dél'ense de lerrr donner du travail ou du parn (l). Quoi? condamnés à mourir de faim? Sans doute. Le nom méme de I'odieuse mili:e est pr oscrit. Les miliciens provinciaux, dont la docilité a désarmé la colère du Tsar, sont dégladés au rang de sirnples soldats. Ainsi le vide est {ait de ce côté également, et la création de I'armée nouvelle, pal où Ie nouvel établissenrent de I)ielre doit s'inaugurer et se rerêtir d'un cachet européen, car tel est son point de départ, cette création est devenue non serrlement possiblen mais indispensable à bref délai. Il n'y a plus d,e Streltsy, mais i[ n'y a plus également d'arrnée. Si bien qu'au bout de trois mois Pierre en viendra à s'apercevoir qu'il est allé trop loin et tlop vite, et se verra forcé de rappeler les rnorts à la vie. En 1700, à la bataille de Narva, des régimerrts de Sneltsy figureront parmi les combattants : ce seront les rnjliciens de province, auxquels un oukase du I I septembre 1698 aura enlevé et un oukase du 20 janvier 1699 aura renclu leur organisation et leur nom (2). Bn L702rle Réformateur ordonnera lui-même la fonnation, à Dorogobouj, de quatre régiments de Streltsy moscoviens sur le pied ancien. Bn 1704, nouvel ordre pour le même objet. Ce sont des sacrifices faits à la guerre suécloise. En 1705 seulement, après la rér'olte d'Astrahan, à laquelle les débris des vieilles bandes d'indisr:iplinés prendront part, leur anéantissement conplet et définitif sera résolu. De nouveaux convois de prisonniers sur la route de Nloscou, de nouvelles exécutions par centaincs sar la Place Rouge achèveront I'æuvre d'extermination.
(2) Mrlrouxon, La réforme
(L) Gonno*, Journal, édition anglaiee, p. 193. d,e Pierre le Grand, Pétersb., {892, p. [[1.

LE N'JUVEAU REGI}IE,

I

I'I

Pétersbourg.

La perspective de la grande grrerre du Nord a enga6é Pierre à couvrir la Place Rouge avec les cadavres cle ses miLciens; les
hasards de cette guerre Ie corrduisent à Pétersbourg. Tout d'abord, en jetant le gant. à la Suède, il a visé la Livonie, Narva et Riga. La Livonie, trop bien déflendue, I'a repoussé plus au nord vers I'Ingrie. Et il n'y est allé qu'en rechignant, commençant par y enyoyer Apraxine, qui a fait un désert de

la province facilement conquise. Au bout d'un temps

assez

Iong seulement, et cornme en tâtonnant, le jeune souverain s'orientera de ce côté et fixera son attention et sa convoitise sur I'embouchure de la Néva. Gustave-Adolplre a compris déjà I'importance stratégique de cette position que son successeur présent traite en quantité né6ligeable; il a tenu à en étudier lui-même les abords. En dehors d'une valeur militaire et commerciale, déjà reconlrue, Pierre lui découvrira un channe tout-puissant. Il ne votrdra plLrs quitter Ia contrée. Il s'y sentira chez lui comne nulle part. Il évoquera avec émotion les souvenirs histotiques qui en font une terre russe. Vague ressemblance de ces bas-fonds marécageux avec les basses terres de la Hollande? Rappel d'instincts ancestlaux? On ne sait ce qui l'inspire. Une légende, accréditée par Nestor, veut que les premiers conquérants normands du pays aient eu là leur' porte de sortie pour des excursions poussées à travers la mer des Waregs,leur merrjusqu'à Rome! Et Pierre scmble appliqué à renouer le fil rle la tradition neuf fois séculaire, légendaire lui-mérne et épique dans son rôle de fondateur de ville. Iln récit populaire le représente s'emparant dd la hallebarde d'un de ses soldats et découparrt deux tranches de gazon qu'il met en croix. avec ces mots: o lci doit être une ville. n La

Ltùt

L'OEUVRE

pierre de fondation faisant défaut à cet endroit, le gazon la remplace. Quittant la hallebarde, il prerrrl une bêche et rnaugure les travaux de terrassement. A ce moment, un aigle paraît, planant dans les airs an-dessus du Ts,ar. Un coup de fusil I'abat. Pierre rarnasse I'oiseau blessé,lc met sur son poing et monte dans un canot pour inspecter lq, environs (l). Cela se passe le l6 mai 1703. L'historle ajoute que les prisonniers strédois sont employés par la suite à la continuation des travaux, et y meurent par rnilliers. Les instruments les plus élérnentaires manquent. Faute de brouettes, on porte la terre clans les pans des vêtements! Une forteresse en bois est construite d'abord dans I'ile portant le nom finnois d,e lanni-Saari (ile des Lièvres) : ce sera la future citadelle de Saints Pierr.e et Paul; puis une église en bois é6alement et I'humble maisonnette dont Pierre fera son premier palais. L'année suivante, un temple luthérien, transporté plus tard sur la rive gauche clu fleuve, dans le quartier de la Liteinaïa, s'élève à proximité, ainsi qu'une auberge, ltr fameuse auberge des Quatre Frégates, qui fait longtemps office d'ltôtel de ville, avant de devenir un lieu de
renclez-vous diplomatiques. Enfin un bazar s'ajoute à ce groupe

de constructions modestes, les collaborateurs clu 'l'sar s'étabhssant à I'entour dans des chaumières semblables à Ia sienne.

La ville est créée. Jusqu'à la bataille de Poltava Pierre ne songera cependant pas encore à en faire sa nouvelle capitale. D'y avoir une forteresse et un port lui suffisait. II ne se sentait pas assez maître des pays avoisinant cette conquête, assez sùr d'en conserver- ]a possession, pour vouloir y centraliser son gorrvernement et y fixer sa résidence. Il ne s'arrêtera à cette idée qu'au leudernain de la grande victoire (2). Sa décision a été, de la part des historiens étrangers surtout, I'objet des critiqueri les plus acerbes; jugée sévèrernent et condamnée sans appel. Avant de dire ma pensée à ce sujet, je veux rappeler, ert les
(L) Prr,rær', Le z'ieux Pétersbourg, p. 16 et suiv, (2) Voy. Ba lettre à Apraxine du 9juillet 1709. Cabinet, s. I, 1.28.

LE NOUVEAU RÉGIME.
ré$umant, les consrdérations qu'on a fait valoir pour motiver ce verdict défavorable. La grande victoire, a-t-on dit, a précisément dimrnué I'importance stratégique de Pétersbourg et a rendu son imporlance à peu près nulle comrne port; comnre capitale, l'étal,rlissement a toujours été une folie. Maître indiscutable désormais de tout le littoral de la Baltique, Pierre n'a plus à redouter une attaque des Suédois dans Ie golfe de Finlande : avant de I'aborder de ce côté, ils chercheront à reprendre Narva ou Riga. Si plus tard ils viseront Pétersbourg, ce sera parce que Pétersbourg aura acquis une importance politique que rien ne commandait de lui donner; au contraire; car, point d'attaque excellent, I'endroit se défend mal; il v a impossibilité d'v opérer une coucentration de troupes importante : à quarante lieues à la ronde, la contrée est un désert improductif. En lTgg, Catheline II se plaindra d'y étre trop à proxirnité de la fi.ontière suédoise et trop peu à I'abri d'un coup de main que Gustave III sera bien près de réussir. Yoilà pour le militaire. Au point de vue commercial , Péter.sbourg conmande un systèrrre rle communications fluviales qui a son prix, nrais Riga en colnrrlande un autre, bien supérieur. A une distance égale de l\{oscou et de Pétersbourg, à une distance sensiblement moins grande des centres commerciaux de I'Allemagne, jouissant cl'un climat plus doux, les ports livoniens, esthoniens et courlandais, Ri6a, Libau et Revel, sont, depLris la conquête de c,es provinces, les points de contact rratrrrels de la Russie avec I'Occident. lls le prouvent éloqur-.nrrnent cle rios jours, en augruerrtaut d'anrrée en anrrée ieur lrafic au détr.inrent de pdterslrntu'g, dont le contmet'ce, artificiellement dér.eloppé et soutenu, va en déclinant. Comme port, d'ailleurs, pétcrsbourg est lesté, du vivant de son créatenr, à I'état de projet, ou à peu près. Les établissements malitirnes de picrre ont voyagé cle l(ronslot à I{ronstadt. La Néva jusqu'à son embouchure r'a pas alors plus de huit pieds de profondeur I les vaisseaux construits à Pétersbourg doivent, au rapport de Manstein, être conduits à Kronstadt par des s machiues à câbles r,

,ttt'6

L'OEUVRE.

âvant de recevoir leur armemerlt; une fois éqrripés, ils sont hors d'état cle remonter le fleuve. Le port de I(ronstadt est fermé par les glaces six mois sur douze' et orienté de telle façon que les bâtirnents n'en peuvent sortir que par vent d'est' L'eau y est si peu salée que les bois pourrissent en très peu cle ternps. De plus, les forêts du voisinage ne fourrrissent pas de chéne; on est oblii;é d'en chelcher au delà de I(asan ! Pierre s,est si bien aperçu de tous ces inconvénients qu'il a cherclré et trouvé pour ses chantiers un emplacement plus convenable à Rogerwick, en Esthonie, à quatre lieues de Revel' Seulement, il s'y est heurté à la di{'ficulté de protégel efficacement la rade contre les bourrasques et contre les insultes <le I'ennemi. Il a cru y réussir en farsant il\rallcer dans la mer deux môles construits avec des caissons en bois de sapin garnis de pierres à I'intérieur. Les forêts de la Livonie et cle I'Esthonie y ont passé, et, deux fois emporté par la tempête, I'ouvra,';e a dù êtle abanclonné. A Pétersbourg, d'autre part, la capitale gêne, dès le début, la ville marchande. La présence ..le la cotlr y rerrd la vie cbère et chère par conséqueDt aussi la main-cl',euvre, Srevant de la sorte de fi'ars très considérables les produits d'expoltatiorr, qui, très volulnineux en général , réclament une grande clépense de manutention. Au témoignage d'un résiclent hollandais de l'époque, une maison en llois, bien infér.ieure à la plus misérable chaurnière d'un paysan cles PaysBas, cotrte à Pétersbourg de huit cents à mille florins par an I à Arhangel, un marchand vit cotrveDableÙrent avec le qtrart de cette somrne. Les frais de transport, qui , de l\Ioscou à Arhrngel, {bnt neuf à dix copeclis par poud; de laroslav à Arhangel, cinq à six copecks; de Vologda à Arhalgel, trois à quatre copecks, s'élèvent entre ces mêmes localités et Pétersbourg à dix-huit, vingt et trente copecks' D'ou la résistance des marchands étrar1;ers établis à Arhangel: ![uand on leur dernande de se transporter à Pétersbourg' Pierre y coupe court à sa façon, en intertlisaDt le commerce du chanvre, du lin, des cuirs et ciu blé par la voie d'Arlrangel. Légèrement attérruée en 11 14, sur les instarrces des Etats généraux de la Hollande^

LE NOT]VEÀU NÉGIME.

h47

la prohibition sera maintenue pendant toute la durée du règne' Ou f ztS, le chanvt'e et rluelques autres produits lecoivent la franchise du port d'Arhangcl, mais avec cette restriction que les deux tiers de tous les produits exportés devront être amenés à PéLersbourg. Voilà pour la marine et le commerce' La capitale, elle, est gênée sur les bords de lu Néva par les raisons déjà indiquées et par toutes les autres circonstanccs géographiques, ethnographiques et climatér'iques, qui err font arr.lourcl"hui encore un cléfl au bon sens' Bizarre idée, a-t-on

dii, po.rr un

la capitale de I'empire des Slaves chez les Finnois, contre les Suédois (l); et de centra* Iiser I'administration d'un irnmerrse territoire au point le plus excentrique de ce territoirel et de prétendre se raPprochel de l"Llurope en s'éloignant de la Pologne et de l''\llemagne; et cl'o)-,liger solt monde, lbnctionnaires, cotrr, corps diplonratique, à habiter sous le ciel le moins clément un des coins de terre les plus inhospitaliers r1u'il soit possible de rencontrer.
Russe que de fontler

L'errdrOit est uû rDar'écage. Neua :veul cliI'e u boue r err finnois. Les for'êts roisines ne sont ltantées que parles loups' En 1714, deux solclats en fâction devant la fbnderie de canons sont tlévorés pentlant une nuit d'hirer. Aujourd'hui encore, en sortant de la ville, on entre dans le désert. L'imnrense plaine s'étencl
à perte de vue, sans un clocher, sans un arbre, sans une tête .1" bOtail, sans un signe de yie hurnaine ou nléme arlimale. Nul pâtulage, aucune culture possible' Les légumes, les ft'uits,

le blé même viennent de loirr. La corrtrée est à l'état iDtermédiaire entle Ia mer et Ia terre ferme, et jusclue sous le rè1Jne de Cathenne les inondations demeureront, dans cette capita[e, un accident chronique. Le I I septernbre 1706, Pierre, tirant cle sa poche I'instrument à prendr.e les rnesures qu'il porte toujours ..r, lui, constate qu'il y a viDgt etun pouces d'eau au-dessus du plancher de sa rnaisonnette. Tout autour il voit des hoûtmes, des f.**"r, des enfants t\ cali{burchon surdes clébris de coustruc. tionr charriés par. Ie fleuve. ll {àit part de ses inrpressions à (t)
Cosrrnn, I'a Russie, Paris, [8Ir3,

t' I' p' 20L

hh\

L'OETIVRE.

Mencl ikof en ésivant : u C'est extrêmement amusant ,r , et en datant sa lettre u du paradis (t) . On peut douter qu'il ait " trouvé beaucorrp de compagnon$ pour partager son allégresse.

Facilitées aujourd'hui par l'établissement des voies l:errées, les communications avec la ville étaient, à l'époque du grand règne, non seulement pénibles, mais périlleuses. Allant de Moscou à Pétersbourg en avril 172:), Campredon dépensait rnille deux cents roubles, noyait huit chevaux et une partie de ses bagages, mettait quatre sernaines à franchir la distance et arrivait malade. Pierre lui-mêrne, qui avait devancé le diplcrnate, était obligé de faire à cheval une partie de la route en passant des rivières à la nage ! Bh bien, en dépit de toutes ces considérations, dont je n'entends pas nier le poids, j'incline à penser que pierre a été bien inspiré. Qu'il ait répugné à maintenir sa capitale à Moscou, comment ne pas le comprendle? Dans ce milieu nettement hostile, obstinément réactionnaire aujourd'hui encore, son æuvre n'aurait pu avoir qu'une existence précaire et toujours menacée, à la merci, sinon de son vivant, du moins après sa mort. d'une de ces émeutes populaires, devant lesquelles le pouvoir souverain établi au l{reml s'est si souvent rnontré désarrné. Iln jetant la [{oscovie hors de sa vie passée et hors de ses anciennes fi.ontières, Pierre a dir logiquement vouloir extérior.iser aussi de même le siège de son Souver.nement. L'aspect et le caractère de son nouvel établissement sont d'ailleurs tout à fait d'une formation de marche et de combat, la pointe tournée à I'ouest; la place du chef et de son cheflieu y est marquée en téte cle la colonne. Ceci posé, et le principe admis d'une translation nécessaire de la capitale à I'extrérnité occidentale des nouyelles possessions acrluises à I'empire, I'hrgne a off-ert, pour cet objet, des avantages primant, je crois, tous les inconvénients que j'ar rndiqués plus haut. C'était à ce moment une terre .r'ierge, habitée par une population clairsemée de race finnoise, sans cohésion, san$

(l)

Ousrnruor, t, IV, p. 273.

LE

NOUVEÂTT

RÉGIÙIE.

LLg

par conséquent et aisément assimilable. Pa.tout ailleurs, sur le littoral de la Baltique, en Esthonie, en Carélie, en Courlande, le Suédois chassé, I'Allemand restait, solidement établi, puisant dans le foyer voisin de la culture germanique une force de résistance invincibleaprès près de deux siècles de domination russe, Riga demeure de nos jours une ville allemande. a pétersbourg, Ia Russie est devenue eu'ropéenne et cosmopolite, mais Ia vilre est russe entièrement, et l'élément finnois des environs ne compte
pas.

consistance historique; docile

De ceci, Pierre a eu certainement, sinon la notion claire et raisonnée, du moins I'instinct puissant et sûr, affirmant son génie. Je veux bien d'ailleurs qu'il y ait apporté, à son ordinaire, une part de fantaisie , la velléité enfantine par exemple d'imiter Amsterdam. Etje veux encore qu'il ait manqué de mesure dans l'exécution de son dessein. Deux cent mille ouvriers ont trouvé la mort, dit-on, en travaillant à la construction de Ia nouvelle cité, et les grands seigneurs du pays s'y sont ruinés à bâtir des palais bientôt inhabités. Mais un abîme a été creusé entre le passé condamné et l,avenir voulu par le Réformateur, et, violemment concentrée dans ce nouveau foyer, la vie nationale a reçu, superficiellement d'abord, puis de plus en plus intimement, le cachet occidental, européen, qu'il a prétendu lui imprimer. Moscou conserye aujourd'hui encore un extérieur religieux et presque monacal. Des chapelles arrêtent les passants à tous les coir,s de rue. si affairée qu'elle soit, Ia population ne marche qu'en faisant des signes de croix et des génuflexions devant les images saintes, qui partout sollicitent sa dévotion. pétersbourg a pris et a conservé un air séculier entièrement différent. À Moscou, il étart défendu de faire de la musique prof,ane en public. A pétersbour6r, Pierre a pu faire jouer tous les jours Jes musiciens allemands sur le balcon de son auberge. vers le milieu du siècle, on y verra déjà un théâtre français et un opéra italien, et schlôzer s'apercevra qu'on y célèbre re servùe divin en quatorze langues. La Russie moderne, policée, instruite, rela29

h'O

L'OEUVRE.

tivement émancipée intellectuellement et relativement libé' rale, n'a pu naître et grandir que là. Et Pierre a pu en somme opérer ce singulier déplacement sans faire trop violence aux traditions historiques de son Pays, La capitale y a été nomade de tout temps. Blle a voyagé de Novgotod à I{ief, de Kief à Vladimir et de Vladimir à Moscou. L'étendrre du territoire et I'inconsistance de la vie nationale ont déterminé ce phénomène. D'un bout à I'autre deson évolution séculaire, Ies forces disjointes, éparses, flottantes de la vieille Russie ont laissé leur centre de gravité se déplacer' La création de Pétersbourg n'est ainsi que la résultante d'un problème de dynamique. La lutte contre la Suède, Ia conquéte des provinces baltiques et la conquéte plus importante d'une plnce au sein du monde européen y ont naturellement porté le courant de la vie nationale ar-ec toutes ses éner5ies. Pierre a voulu perpétuer cette direction. J'irrcline à penser qu'il n"a pas eu tort.

CHAPITRB
RHFORNIE ITORALE.

II

_- INITIATION IIiT]]LI,ECTUNLLE.

r. Les mæurs.
Russie.

Les lacunes. Le manque d'élèves. Envoi de jeunes gens à l,étranger. - Résultats - tributaire de l'Eirrope. La Russie reste l,'a""a'rédiocres. dérnie des sciences. La vraie école du grand règne. _ Errcorel,"xcrnple. llI. L'initiatiott intellcctttellc. La rÀngue oàuvelre. Les livres. un - gracomrùencement d'archives et de bibliothèque. Les rrusées. L'entrée - théâtre, _ La tuite. Une école tles heaux-arts, L'art didactigue. Le presse,Apercu général. -

La thèse slavophile. l,es.r,æurs itlr'lli,1'cs dc I'ancien'e La-réalité. Grossièreté et- sanvagerie: f,l b"iga"aage. Trivialité brutale des rnærrrs doniestiques. La boisson. Les-.ixes sa.glantes. - cle pierre, - Le folds Àbsence d'idéal rnoral. _-_ L'rpuvre -oÀl qu'il trouve pour-l'entreprendre. Incohére'ce et mesrluinerie des pre'rières ienprogrès ultérieurs. tatives. La réforme du costurne. La réfornre du - grande réforme calendrier. Tendances libérales du- .ouveiu régime. La ilonrestique. La suppressio' d. fe'ern, où ira ra f,.rne Jn en sortant ? - Ia vie Pierre crée par oukase. - Les asserublées. Insrrff.is.rnce 'rondaine des résultatsobterus au poi't tle vue <Iu cléveloppeurent tle la-soci.rbilité. llotifs' Pierre est trop pelr homme du monrlc lui-mê're. absence d'u'e co.r do''ant Ie ton à la socirlté. * Le ton qui règne cla's l'entouragc d. souverain n'esl. pas celui de Ycrsaillee. Grossièreté.des haLiLuiles qui"s'v'rain- maison de poste. tiennent. Les fêtes .fficielles à la Les bals .lu j.rrdin - réception du corps diplornarirFe péterhof. d'été' une r\ Dissol.t"ion et c'nisnre des r'æurs. Corruptions rrp""1ro.é"r. changernent est surtout -Le superficiel. _- U"g grande révolution ruorale est pourt;t aeconplie. _ L'école de I'exemple. rl. r''enseiq?.ernent. Les étnbli..ements icoraires - et largeur cles pri'cipes - théoritlues. dugrand règne. audace Indécision - et l,ensei_ et pauvreté des applications pratiques. L'enseignernent général gnernent profession.el. Les écoles prir'aires et lei écoles àe hautes étuiles.

I
Les mreurs.

Les écrivains slavophiles {bnt volontiers aujourd'hui des mæurs de I'ancienne Russie un lumi'eux etséduisanttableau.

tt52

L'OEUVRE.

auquel la peinture poussée au noir de la vie contemporarne des peuples occidentaux donne un fond d'ombre vigoureuse. C'est un des derniers refuges d'une thèse qui a éprouvé trop d'embarras à se maintenir sur ses autres terrains de combat. Il est devenu difficile à la longue de revendiquer tous les éléments de culture originale que la Moscovie du seizième ou même du dix-septième siècle aurait dùposséderpourrépondre à I'idéal rêvé par ses adorateurs, lettres, arts, sciences. F-lle ne savait pas lire! Elle triomphait dans la morale. Ayant échappé à la triple corruption du rnoyen âge, de la Renaissance et des temps modernes, elle restait pure. Elle était sainte. C'est à voir. Il est singulier d'abord que, sur le moment, personne, parmi les témoins ou même les participants de cette idylle, n'ait paru avoir conscience de son charme. Le témoignage des étrangers, Olearius, Margeret, Fletcher, peut passer pour suspect; mais que penser de tel passage des Mémoires de Jéliaboujski, auquel j'ai fait allusion déjà et où la chronique courante se résume en un calendrier de procédure cnminelle ? En novembre 1699, le prince Féodor Hotétovski a reçu le knoute sur une des places de Moscou pour avoir vendu un En décembre, seul et méme domaine à plusieurs acheteurs. deux juges de Vladimir, Dimitri Divof et Iakovlef Kolytchef, ont subi Ia peine du fouet pour prévarication. I(olytchef s'est Iaissé corrompre moyennant vingt roubles et une barrique La même année, un gentilhomme du nom d'eau-de-vie. de Zoubof est poursuivi comme voleur de grand chemin. Un voiévode de Tsaritsine, Ivan Barténief, accepte des pots-de-vin et enlève des femmes mariées et des jeunes filles pour en faire ses maitresses. Un prince Ivan Cheïdiakof est convaincu de brigandage et de meurtre (l).
Comp. Kosrournor, ?a(1) JÉr,rraou.rsxr, p. [29, fB0; Konn, p.77-78. ôleau d.e la uie d.omestique et des m<nurs d'u peuple russe aux seiziènte et dix' septième siècles, p.99-1"28; BIÉr,rIrr, Leçons sut'la légtslatton russe' p. L6L et *uiv. ; Gorrsrr, La législatiott et les tnæut"s dans la Âussie du dix-huitième nlcle, p. {7 et suiv.

RÉFoRME

MoRALE.

t.r,E

Le brigandage à main armée était si bien dans les mæurs du temps, que Pierre lui-même, mettant toute son énergie en æuvre pour le réprimer, s'y montrera impuissant. En l7l0 encore, on sera obligé de faire marcher la troupe pour protéger les environs immédiats de la capitale. En lTlg, le Collège de la justice était avisé de la présence, dans les districts de Nov6orod et de Nlojaisk, de bandes de cent à deux cents brigands bien équipés (l). Le résident saxon Lefort écrivait en 1723 : u Une troupe de neuf mille voleurs, dontle chef estuncolonel russien réformé, s'étaient mis en tête de brùler I'Amirauté et les autres places à Pétersbourg, et de massacrer les étrangers. On en a pris trente-six, qui ont été errrpalés et pendus par les côtes... Nous sommes à laveille de quelque extrémité fâcheuse; la misère augmente de jour en jourl les rues sont pleines de 6ens qui cherchent à vendre des enfants. On a fait publier de ne rien donner aux mendiantsl que deviendront-ils, sinon des voleurs de grand chemin (2)? " Ces voleurs armés contre les étrangers sont des représen. tants authentiques de la vieille Russie, et je n'aperçois rien d'idyllique dans leur cas. Les traits saillants, caractéristiques, du passé dont ils ont à se réclamer n'en laissent pas voir davantage. Sauvagerie et grossièreté. Le précepteur allemand du tsarevitch Alexis, Neugebauer, est renvoyé en 1702, parce qu'il s'est avrsé de trouver malséant que son élève vidât le contenu de son assiette dans les plats destinés aux autres convives. Nulle sociabilité au sein de ce peuple, qui, dominé par I'ascétisme byzantin, tient Ia science pour une hérésie, I'art pour un scandale, la musique, le chant, la danse, pour une offense à Dieu. L'amour, même béni par l'église, lui paraît matière à scrupules. S'inspirant de I'esprit da Domostroi, Possochkof recommande aux nouveaux mariés de passer les deux premières nuits en prière r Ia première, pourchasser Ies démonsl la seconder pour honorer les patriarches. Dans la classe aristocratigue, les femmes se morfondent derrière les

(t) Sorovrrr, t. XVI, p. 251. (2) Snonwrx, t. II[, p. 354,360.

L5!û

L OEI]VRE.

portes cadenassée$ drr terent, les honrmes se divertissent avec ;eur clientèle masculine cle pauvres gentilshommes tourà tour caressés et bàtonlés; avec leurs fous, clont les sailligs ont généralement un caractère obscène; leurs balnrs ou scazot-

chnilts, conteurs de légendes absurdesI leurs donn"atchéis,
joueurs deladonva, sorte de guitare, et chanteurs de psahnodies religieuses; plus rarement avec les skontorolti, ou jongleurs, cal ceux-ci sont déjà vus de travers, poursuivis même, I'autorité civile donnant la main à l'autorité ecclésiastique pour la réplessiorr des plaisirs profanes. La vraie distraction du bo'iar comme du paysan est la boisson. Toutes les réunions sont des scèncs d'ivlesse, se terminant par des rixes tumultueuses, sanglantcs parfois (1). Bn haut cornme err bas de l'échelle sociale, absence complète de tout idéal moral, de tout sentiment de respect de soi-

même. d'honneur, de devoir. Les homrnes libres, affirme Korb, font bon narché de la liberté, consentent facilemerrt à clevenir serfs. Le métier tle dénonciateur, dit-il encore, est platiqué dans toutes les classes. Oisiveté, incurie et bassesses. Bnvoyé à Astrahan en 1705 pour la répression d'une révolte, qui menace d'atteindre en se Propageant et de com' prornettre les forces vives clu pays, le meilleur des généraux russes dont Pierre dispose, Chérémétief, s'arrêtait en route à X(asan et n'avait plus qu'une idée : revenir à Nloscou Poul'y passer l'hiver et les lêtes cle Pàques. Il ne se décidait à r.epartir que sous I'ai6uillon de la menace (2). L'honneur, le devoir, l'ambition, Ie courage mône sont aussi choses norrvelles' dont Pierre a eu à proptget'l'enseignement parmi ses sujets. Il s'en vante (3). Il lui a fallu s'employer à arracher de leur esprit et de leur cæur la dégradante leçon du proverbe rrational : r Fuir n'est pas très honorable, mais c'est très sain. , Assuré(t)
tiotzs

ZenrÉlrna, Yie priuée des tsat'ines, p. 397 et suiv.

l Drllrtra,

Conlribu'

i, I'histoit'e du droit

r'r(rre2

p. 560 et suiv.

(2) 0r:srnnr.on, t' I\', 1'. 193' iel Voy. sa conversation avec le dtc de Flolstein, en 1722, rapportée par Blincnor-z (Btischîngs-IIaga;in, t. XX, p. 387)

RÉF0R}IE }IoRALE.

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ment pour y réussir, comme il y réussira en partie, ses procédés de terreur et de justice sommaire, tels que la penrlaison en 1703 sous les murs de Notebourg d'une cornpagnie entière de fuyards, n'auraient pas suffi. Il Iui a été donné de faire valoir un certain fonds moral préexistant dans ces ârnes obscurcies et avilies : Ie fanatisme du foyer, I'endurance, la docilité sans limites, I'abnégation sans bornes. Mais c'est tout. Le reste est son æuvre. Ceite æuvre n'est pas sans reproche. EIle se ressent de tous Ies défauts et de toutes les insuffisances de I'ouvrier. En commençant par Ie coupage des barbes et par la réforme du costume, le Réformateur n'est certes pas allé au plus pressé ni au plus sérieux. Le costume russe de la fin du dix-septième siècle dtait sans doute égalenent incommode et disgracieux. Ses traits distinctifs : I'ampleur et le nombre des vètements superposés, avaient pourtant leur justification dans la nature du climat. Sur la chernise brodée et les larges pantalons rentrés dans les bottes le gentilhomme russe mettait d'abor.d un oupane ou gilet en soie de couleur, puis un ca{:etan ajusté au corps, descendant jusqu'aux genoux et se termjnant en haut pâr un col droit de velours, de satin ou de brocart. Les rnanches, longues et larges, étaient, attachées aux polgnets avec des boutons en pierues plus ou molns précieuses. C'était Ie vêtement d'intérieur. Pour le dehors, il convenait d'y ajouter d'abord une ceinture en tissu persân, puis sur Ie caletan un feriaz, long et large r'étement en velours, sans taille et sans col, boutonné par devarrt de bas en haut avec, toujours, de longues et larges manches . Sur le feriaz venaient en été : l' opacltegne ot oltabegne, large manteau d'étoffe précieuse trainant jusqu'aux talons, avec de longues rnanches et un col carré en I autonrne : l'odnoriadka, vêtement plus chaud en tissu de poil ou de drap; en hiver : la chouba, pelisse garnie de fourrures. La barbe bie.n fournie était un complément naturel de cet accoutrement et également précieux au point de vue climatérique. Quant au point de yue esthétique, il semble qu'il convienne de l'éliminer du débat. Dans tous les temps et sous

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L'OEUVRE.

toutes les latitudes la mode a tendu à s'en affranchir, et les cochers de Pétersbourg arrondissent aujourd'hui encore Ieur taille au nroyen de coussinsr tlui passent pour un appoint dési-

rable de leur beauté spéciale. Ainsi gue la plupart des réformes auxquelles Pierre a attaché son nom, celle dont il est question ici a des antécédents historiques, procédant de l'évolution générale qui, depuis Boris Godounof, a porté la Moscovie d'Orient en Occident. Sous le tsar Alexis, le père du boïar Chérémétief a refusé de bénir son fils, parce qu'il se présentait devant lui le menton rasé, et le patriarche Joachim a dû faire intervenir les foudres de I'excommunication pour arrêter le mouvement. Des idées religieuses paraissent mêlées à cette guestion : dans I'iconographie orthodoxe le Père Éternel comme le Fils sont barbus et point coult vêtus, et dans la crovance populaire appuyée sur I'enseignement ecclésiastique, I'homme fait à I'image de Dieu se rend coupable de sacrilège en portant atteinte à cette ressemblance auguste (l). Le pouvoir civil a dù tenir compte de ces éléments en adoptant une politique de compromis : un oukase d'Alexis a donné raison au Patriarche en ce qui concerne la barbe, mais en l68l le tsar Féodor Aléxiéiévitch a prescrit au personnel masculin de sa cour et de ses bureaux le port d'un vêtement écourté. On peut sourire aujourd'hur de ces controverses I mes lecteurs françars voudront bien pourtant se souvenir que le port de Ia barbe, mis à la mode par François I"" qui a laissé croître la sienne à la suite d'une blessure recue au visa6e, a soulevé un moment, même en France, des disputes passionnées (2).

Pierre tranche Ia question avec son radicalisme coutumier : plus de barbe, et le costume européen, français ou hongrois, pour tout le monde. L'oukase est du 29 aott 1699. Des modèles de vêtements réglementaires sont affichés dans les rues. Les pauvres gens reçoivent licence temporairepour user
(f.) Bousrrrer, Esquisses historiques, t. II, p.216. (2) Fn,ruxr,ru, Journal dtr siège de Paris en 1590, p. 108-t09.

REFORNIE

MORALE.

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leurs vieux habitsl mais, à partir de 1705, tout le monde devra prendre I'uniforme nouyeau, sous peine d'amende et
même de pénalités plus sévères.

Brusquée de la sorte, la réforme devait rencontrer une opposition violente, dans les classes inférieures surtout. Le boïar se montra généralement assez clocile ; il s'était déjà habillé à la polonaise du temps de Dimitri; I'habit à la française le séduisait par ses élégances. En mars 1705, Withworth n'npercevra plus un seul personnage de distinction vêtu à I'ancienne manière. L'homme du peuple rechigna et n'eut pas tout à lcait tort. Sous ce degré de latitude, la culotte courte et les bas découverts sont un non-sens. L'ancien costume russe était, a-t-on dit, un costume de paresseux. Mais c'est le climat même qui fait la paresse des hommes du Nord, en leur imposant I'oisiveté forcée des longs hivernages. En quittant la longue pelisse, ils ont sans doute chance de se montrer plus alertes, mais au risque d'avoir les membres gelés. Pierre luimême mourra d'un refroidissement. Obligé de se séparer de sa barbe, qui lui tenait les joues chaudes pâr quarante degr'és de froid, le pauvre moujtÈ recommande qu'on la mette dans son cercueil, afin qu'il puisse, après sa mort, paraître décemment detant saint Nicolas. Comme beaucoup de superstitions populaires, celle-ci correspondait à un instinct utilitaire parfaitement justifié. Pierre n'en prenait pas souci. En I704, passant à Moscou I'inspection de son personnel de hauts et bas fonctionnaires, il faisait donner le fouet à Ivan Naoumof, qui a reculé devant le rasoir (l). En 1706, le gouverneur d'Astrahan apostait aux portes des églises des soldats chargés de guetter à la sortie les barbes récalcitrantes et de les arracher violemment. En même temps, Ie Tsal s'étant aussi avisé de raccourcir les vêtements féminins, Ies cotillons dépassant la mesure réglementaire éiaient lacérés publiquement, sans aucun égard pour Ia pudeur (2). La barbe est poul Pierre un objet de haine parti-

(t)

Gonron, t.

II, p. 5:13.

(2) Wurrwontu, dépêche du 20 février 1706. Snonnlr, vol. XXXIX, p,2b9.

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L'OEUVRE.

culière et en quelque sorte personnelle. Elle slmbolise à .ses yeu-x toutes les idées, toutes les tratlitions, totis les préjugés qu'il s'est proposé de combattre. Dans les achnonestations qu'il adres.,era au rnalheureux Àlexis, dans le manifeste lancé en l7i8 contre ce fils rebelle, I'expression : les grandes barbes revient à plus;eurs reprises, synon:'me du palti réactionnaire entier qu'il frappe d'invectives vimlentes : u Cela s'entend de ces gens-ià qui sont de mcæurs corrompues ) gttol'unl Deus uenter est. u Il usait de citations latines uu peu au hasard. Si, au cours de son règne, il en viendra à tolérer la conservation de I'apprendice chevelu, moyennant le payement d'un irnpôt, c'est que ses emballas financiers I'obligeront à faire ar'1;ent de tout. Les raskolniks devront verser jtisqu'à cent roubles par an pour ce privilège, en portant ostensiblement des médailles ciu'on leur remettra en échange de la sonnre et où figulera cette inscription : n BoRoDA LICHNAIÀ TIAcora., (La barbe est un embarras inutile). \roilà donc le Russe rasé et vêtu à I'européenne. Le Réformateur s'empresse de lui mettre encole la pipe à la bouche. Dès avant son départ pourl'étranSeI', elr 1697, il a autorisé Ia vente du tabac jusqu'alors prohibcle en Russie, sans s'inqrriéter davantage des pr'éju6és nutionaux offensés par cette nesute. Fenclant son séjour en Angleter're il a traité, on le sait, avec le marquis de Caermarthen pour le monopole de ce cornmerce. ll {ïme; tout le monde doit fumer. Tout cela, on en conviendrir, est assez pâuvle d'imagination, sinon malsain. Or c'est cela qui inaugule I'ceuvre civilisattice du grand homure au point de vue moral. Pierre fera mieux pai la suite; mais il cornlneDce mal, cela est certain, Le 20 décembre 1699, un ouhase est publié ordonnant la réforme du calenclrier. Le calendrier russe demeurait attaché aux traditions byzantines : I'année commençait le l'" septembre, clate hypothétique de la création du monde, I'an 5508 ayant Jésus-Christ. Blle comnlencera désormais à I'européenne, au l" janvier. Ordre à tout le monde d'assister ce jourJà âux services célébrés dans toutes les églises et d'échan-

RÉF.OR}IE IIOI\ALE.

IIô9

ger, à Ia sortie, lcs iélicitations et souhaits usuels. Yoiorltiers le Réformateur serait allé plus loin, en adopta[t le calend|iel grégo|ien; rnais, romaiu et papaiin, celui-ci rencorltrait à cette époque des résistances même en Angleterre, où ii ne
sera admis qu'en 1752. [Iême ainsi réduite, la réfbrme suftit à provoquer de nombreur mécorrtentements : u Dieu a-t-il pu

créer le moncle en hiver? , Pierre ne s'en érneut pas, et il a raison; cette fois il est entré dans Iabonne voie. trl vpe.sistet'a. De cette nouvelle ilnnée 1700 est riaté un ouliùse clui oldoDne la création à l\Ioscou des plemièr'es pharrnacies au nornbre de huit; un autre qui interdit, sous peine du linoute et de Ia déportation, le port de couteaux, jouant trop fréquernrnent un r.ôle néfaste dans les iluerelles dont les rues de lloscou sont journellerneDt le théâtre' L'année suirante, I'esPrit libéral du nouveau rdgime se traduit Par une série cl'ordollnallces faisant délense cle tomber à genoux sur le Passage du 'ouverain; de se découvrir en hivel en passant devant son palais' Enfin en l7û2 c'est la grande réforme domestique : les portes àu terem enfoncées, le mariage entouré de garanties moralisatrices. Pierre étend sur la thrnille russe une mairl 1utélaire et miséricordieuse. En 170&, iI s'attaque à un trt-rit de mceurs odieux: lc suppressiott t'out'rtnlntent prntiquéc cles en{ânts mal conformés ou nés hors maliage- Il favolise la création d'un asile destiné aux Pauvres ailandonnés, dont le métropolite cle Novgorod, Job' prend I'initiative en liÛ6' PIus ttrrcl. en 1715, il inten-ie'ntlra dans ce ciotiloureux pro' blème cl'une façon pltrs tlécisive, en ordor;tliint ltr fondation ,.1,établissements similaires dans toutes les 6rancles villes de i'ernpire. Ceci est excellent, mais fragmentaire encore' incomplet' Pour v mettre une liaison plus hannonique, il laudrait au Réformateur plus de loisir. La guerre le tient toujouls et le rlistlait. Il a fait sortir la f.enrnc àtt tereml c'est parfait, rnats oir ira-t-elle? Il entend bien qu'elle arlle dans le monde' comlnc ses pareilles en F'rirnce ou erl Allernagne ; mais Ia vie rnorldaine n'e*iste pas. Jusqu'en 1718 Pierre sera empêché de

460

L'OBUyRE.

soniger à cette difficulté; à ce moment, la guerre lur tlonnant quelques éclrappées de repos, il la résout à sa façon, par voie d'oukase toujours. Le fait est encore unique dans I'histoire, je

pense. Sous le nom d'assentblées, des réceptions périodiques sont ordonnées dans un certain nombre de maisons privées, et une réglementation précise en arrête l" t"rrrr", le roulelne't et Ies moindres détails. Pierre, on ne l'oublie pas, vient de séjour_ ner en Francel Ies souvenirs gue les salons de paris lui ont laissés I'inspirent et le guident évidemment; mais il y ajoute de son cru. Les assemblées se tiendront de quatre heures de I'après-midi à dix heures du soir. Défense aux maîtres de maison, sous peine d'amende, d'aller à la rencontre de leurs invi_ tés ou de les reconduire. IIs doivent se contenter de préparer, à leur intention, les élénents d'une hospitalité plus ou moins Iuxueuse : lumière, rafraîchissements, jeux. Les invitations ne sont d'ailleurs pas personnelles : une liste générale d'ad_ mission est dressée et le jour de chaque réception publié par Ies soins du maitre de la police à pétersbourg, du co--àrrdant de la ville à Moscou. prohibition des jeux de hasard; un oukase spécial du 28 juin l7l8 interdit les cartes et les dés sous peine du hnoute (l). Une pièce est réserr,ée pour les joueurs d'échecs, et elle doit servir aussi de fumoir; -ois, dan* la pratique, on fume par.tout, pierre en donnant I'exemplel les sacs de peau remplis de tabac traînent sur toutes les tables; les marchands hollandais, la pipe aux dents, circulent au milieu des élégants vêtus à la dernière mode de paris (2). La danse tient la première place dans Ie programme des soirées, et, comme ses sujets et ses sujettes ne savent pas danser, Piene se met en devoir de le leur apprerrdre aussi. Bergholz le donne pour un maltre accompli à cet égard; il exécute les pas en tête des cavaliers, et ceux-ci sont tenus de faire exacte_ ment avec leuls jambes ce qu'il fait avec les siennes. Cela (l) Gorrxon, t. lll, p. ttL. 9) U"y. une description pittoresque Iefragment de son rornanhistoriquJ
l'édition ile {887
d,e ses Olfuures.

Le nègre de pterre le Grand, ool.îVdu

de ces asse'rblées chez pouchkine, dans

RÉFOR}TE

MORALE.

I,6I

la ressemblance n'est pas pour déplaire au souverain. Un article caractéris. tique du règlement relègue dans les antichambres la valetaille, très nombreuse dans toutes les maisons moscovites, en lur défendant I'accès des salons. A part cela, égalité absolue : Ie premier venu est libre d'inviter à danser I'Impératrice elleévoque un peu le champ de manæuvre, mais

même

(l).

Comme toutes les créations de Pierre, celle-ci a eu des débuts

difficiles. A l\foscou surtout. Pierre y arrivant en 1722, pour célébrer la paix de Nystadt, une assemblée est convoquée par oukase spécial, toutes les dames au-dessus de dir ans d'âge étant requises d'y paraître? sous la menace u d'un châtiment terrible , . On ne parvient à en réunir que soixante-dix. A Pétersbourg, au bout de trois ans, I'institution parait acclimatée. Reste à en évaluer le bénéfice. Pierre a poursuivi trois buts principaux : I'initiation de la femme russe à la vie commune du sexe dans ies pays de I'Occident, l'initiation des classes supérieures de la société russe aux formes de sociabilité en usage dans ces pays, enfin la fusron des classes et leur mélarrge avec les éléments étrangers. Ce dernier but, le plus impoltant peut-être à ses yeux, n'a pu être atteint, tous res contemporains en témoignent. Les dames russes s'obstinèrent à ne choisir des danseurs que parmi leurs compatriotes, et elles ne faisaient qu'obéir à cet égard à un mot d'ordre général. Pour atteindre les deux autres buts, il a manqué à Pierre d'être le personnage du rôle qu'il s'est ici imposé, un peu plus homme du monde lui-même, moins matelot et chalpentier. Comme ses pirouettes, on imitait ses manières, et celles-ci n'étaient pas des plus polies ni des plus sociables au point de vue mondain. Dans les intervalles entre les danses. danseurs et danseuses n'ayant rien à se dire se séparaient, et un rnorne silence s'établissait. Pour fondre la glace, le souverain n'imaginait rien de mieux que d'introduire une danse avec des figures obligeant Ies dames à se laisser embrasser par leurs cavaliers sur la
([)
Cxourrnsxr, Récits historiques, p. 39 ; K,rnrovrrca, âéctts, p.210,

tt62

L'OEUVRE,

beaucôup à faire, elles aussi, pour ressemloler à leurs émules des salons parisiens ; elles venaient bien aux assemblées en jupes à cerceaux, rnais elles se noircissaient les clents (2\!
bouclte

(l) ! Ces dames avaient d'ailleurs

A Pétersbourg comme à Paris, la cour était appelée à donner le ton à la société; or Ie ton gui régnait dans I'entourage cle Pierre ei de sa femme ne rappelait Versailles en rien. A un irancpret donné au palais impérial pour le baptéme du fils dc Oatherine, on voyait à la table des homrnes une naine et à Ia tabie des dames un nain sortant tout nus d'un énorme pâté qui remplar:ait le surtorrt du milieu (3). Le 24 rrovembre l'r24, cle la fête de I'Impératrice, Leurs ftIajestés dinant au Sénat avec une nonlbreuse compagnie, clans laquelle figuraient la cluchesse de hleciiienrbourg et la tsarine Prascovie, un sénateul nontait sul la table et la traversait d'un bout à I'autre en rnettan t littér'alement les pieds dans les plats (a) . Dans toutes les grancles fétes de corlr', un rôle important était attribué à six grenadiels cle la galde, porteurs d'un grand baquet d'eau-de-vie de glain lbrtement épicée; avec une cuiller de bois, Pierle en distribuait Ie contenu à tous les assistants, I'enrines cornpr.ises. Jelis clans une dépêche de Campredon clu 8 décembre lTPl : . La dernière lête à I'occasion clu jour de nom cle la Tsarine n fut tr'ès rnagnifique à la rnanière du pays : les dantes y bu.ent ,, beaucottp. , Fierle ne uossédait d'aillcurs pas, nous le savons, de cour proprertreut dite. Uire de ses premières mesures a été I'attribution aux besoins généraux cle l"Etat des crédits aff'ectés antérieurernent à l'entretien du souverain et de sa rnaison. Les rlivers services (âisarrt partie de cel,te maison ont ainsi disparu avec l'lrmée entière des o{ficiers et serviteurs du palais. Ilien rr'ert resté des lr"ois mille chevaux cle luxe, cles quar.ante rnille chevaux de trait que nourrissaient les écuries de ses prédéces-

jour

Iirnltov,tcu, p, 219. II\rynoI', f,a co;nteçse (loloul;ine et son temps, p.89, PYrnirF, Le passé oublîé, p. ?t08. tL' $rÉuIuvsrt, La tsarine Prascouie, p. L69.
fi

REFT}RI[O }IOR-ILE.

463

-qeur$, des trois cents cuisiniers et marrnitons qui préparaient journellement trois mille plats dans leurs cuisines (l). À la fin du règne seulement, quelques nouvelles charges de cour étaient créées sur le pied européen, mais ne fbnctiorrnaient que plusieurs fois par an, les jours de gala. Les jours cle lête orclinaire, rluand il revenait de l'église pour dîner, Ie i'sar était accompagné de ses ministres et d'une foule d',rfficiels de son armée1 mais sa table n'était que de seize couverts. On se bcusculait pour y trouver une place, le souverain disant simplcment à ceux qui s'étaient laissé devancer : u Allez rendre vos iemmes heureuses en dînant avec elles. , Nous savons aussi que Ies grandes récelltions n'avaient jamais iieu au palais, alors rrrêrrre clue Pierre fut trrrivé à en posséder un. Dans les derniers temlrs, la maison de Foste remplaça, pour cet objet, le palais de llenchikof, et, quancl Pierre y avait réuni son moncle, elle prenait I'aspect du pire des cabarets. Bergholz nous fait assister à un banquet, qui s'y donne en rnai 1721, à I'occasion clu lancement d'un navire; vers le milieu du repas, les fernmes ccrnme les homrnes sont ivres. On a rneié de I'eau-de-'r'ie au vin. Le vieil amiral Àpraxine s'inonde de lantres; le prince l{enchiliof roule sous la table I sa femme et sa sceur s'ernploient ri le ranimer. Puis des quereiles éclatent, des soufflets sout échangés; on est obligé d'arrêter un général qui en vient aux mains al.ec un lieutenant (2). Ajoutons qu'au cours de ces orgies, qui se prolongeaient habituellement pendant six heures et plus- on tenait rigoureusement fermées les issues, et I'<in devine Ies conséquences rmmondes et voulues de cette mesure. Le rnépris absolu prol'essé par Pierre pour les questions de décence et de convenance s'affirmait ainsi hautement. En janviel 179)), un deuil de cour étant ordonné à I'occasion de ia molt tiu liégent, à L-r prernière assemblée la plupart des darnes llalaisseDt en robes cle couleur. Elles disent n'en point possécler cl'autles. Pierre les ftritrenvoyer, maisaussitôt après,

I

l'or,r,r'c,i,

flt*,

de

Piene le Grand, t, I, p. 340 et suiv.
<le Caurpredon datée

,2' Buschinqs-Jfagatitr, t. XIX) p. 9l-96. Une dépeche Cu i4 rnars l7!l contient des détails analogues.

L'OEUVNE,

ayant vidé guelgues verres,
danses

il

(l).

donne lui-même Ie signal des

Pendant la belle saison, réceptions et ba'quets, transportés air de kermesses tumultueuses. L'odeur de I'eau-de-vie épicée se répandait jusque dans les rues voisines. Les gros rires des buveurs, les cris des femmes
au Jardin d'été, prenaient un que I'on violentait pour leur faire vider leur ration d'alcool. les chants burlesques des faux cardinaux égayaient des milliers

de spectateurs. On dansait en plein air dans une galerie découverte qui longeait la Néva. Dans les résidences d'été, voisines de Pétersbourg ou de N[oscou, le souverain et son entourage donnaient encore plus librement carrière à la grossièreté de leurs habitudes et de leurs instincts. Lisons ce récit d'un voyage à Péterhof, imposé au corps diplomatique en mai l7l5 : ,, Le g, Ie Tsar alla à Cronslot, où nous le suivimes dans ir une galère; mais une tempête qui s'éleva tout d'un coup .. nous obligea de demeurer à I'ancre deux jours et trois nuits r, dans ce yaisseau découvert, sans feu, sans lit et sans provi_ n sions. Êtant enfin arrivés à péterhof, nous y fùmes régalés n à I'ordinaire, car on nous fit tant boire de vin de Tokay à . dîner, que quand il fallut nous séparer, à peine pouvions_ ! nous nous soutenir. Cela n'empêcha pas que Ia Tsarine ne a présentât encore à chacun de nous un verre d'eau-de_vie u d'elviron une pinte que nous fûmes obligés de boire, ce qui (. ayant achevé de nous {aire perdre la raison, nous nous u abandonnâmes au sommeil , les uns dans les jaldins, les r autres dans le bois, et d'autres enfin de côté et d'autre, sur u la terre. On vint nous éveiller à quatre heures du soir et ( on nous conduisit au château, où le Tsar nous donnr à cha_ ,, cun une hache avec ordre de le suivre. Il nous mena dans n un bois où il marqua une allée de près de cent pas, le long o de la mer, dont il fallait couper les arbres. Il commença le o premier à travailler, et quoique nous fussions peu accoutu(L) Bùschings-trIegazin, t. XXl, p. L9l.

q, f" u blessa légèrement. Le isar ",i"" rro,r, cle ra peine r llue nous aviot "yo.rrremerciés , et on ,o,,, ao,,ïl îîî,fi"";i;11;; ( nous envoya coucher sans sentirne u dormi une heure er demie qu,un n réveiller vers minuit et nous conduire margré nous chez Ie ( prince de Circassie, gui était couchéavec son épouse. II nous " fh]lu.t rester jusqu'à quatre heures du matin à côté de leur lit n à boire du vin et de I'eau_de-vie, en sorte que nous ne savions n plus comment faire pour regagner notre logis. Vers les huit u heures, on nous invlta a aller dZje,rner au château mais, au I u lieu du café ou du thé auquel ,roï, .ro.r, attendions, on nous n présenta de grands verres d'eau_de_vie, après quoi on nous s €nvoya prendre de l.air sur une haute colline, au pied cle ' laquelle 'ous trou'vâmes un paysan avec huit mécha'tes * haride'es' sans se'es ni étriers, et qui toutes ensemble n valaient pas quatre écus. Chacu., 'e ,,"o,pu"u de sa monture, u et, dans cet équipage comique, nous passâmes en r.er.ue n devant Leurs Nlajestés Tsarieïnes, qui étaient aux fené* tres (l). u

( trop d'action, fut

o" ouvrag€ en l'espace de trois heures, à sept que nous éti,'s, n outre Sa lllalesté. Les fumées du vin ,,àturrt suffisar.rment a abattues pendant ce temps_là, il ne nous arriva aucun acciu dent, si ce n'est qu'un ministre,

.. més à un travai,

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poioi d'épouser la fille du souveririn, le duc de Holstein affichait à Pétersbourg, sans que son {ùtur beau_père y trouvàt à redire, une uraitresse en titre dont il protégeait le mari. A beaucoup d'égards, pierre arrivé en réalité, sur ce ',e"st point, qu'à superposer une corruption à une autre, et Ia thèse

Observons encor.e que ces facons sauvages allaient de parr arec une dissolution et un cynisrne de mræurs clont pierre était également le premier à donner. I,exe.rnple. S,r" lo

,"rlti")ii.'ll;i::l:X!';:??:'"";"::"'"'

1725,r'

I, p. r4s. \\'errer représen-

b66

L'OEUVRE'

slavophile trouve de ce che{' une justification par-tielle. De *o-" en ce qui concerne les formes extérieures, il n'a obtenu les qu'un effet de cléguisement propre à flatter son goùt pour pour demeurent Russes *orc"rud", : vêtus à la française' ses la plupart tout aussi rustres qu'ils étaient, en devenant grot"rqr", par-dessus le marché' En 1720, un Capucin français : établi à Nloscou résumait ainsi ses observations à cet égard n Nous commençons un Peu à connaitre le génie de la nation .( moscovite; I'on dit que, depuis vingt ans, Sa Majesté Tsaa rienne les a beaucoup changés ; il est vrai que, comme ils (( ont un esprit subtil , on pourrait encore les humaniser, mais . leur opiniâtreté thit que la plupart aiment mieux demeurer u bêtes t,," d" devenir hommes. Outre cela, ils sont cléfiants n des étrangers, fourbes au suprême clegré et voleurs' Il est o bien vrai qu'on a fait de terribles exécutions, mais toutcela a n'est pas capable de les épouvanter ' Ils tueront un homme .. pour qo"lqo"t sous, ce qui fait qu'on n'est pas sûr en allant ., un peu tard dans les rues (l). ' Le changement était surtout superficiel; à chaque mouvement plus violent de la chair ou de l'esprit, sous I'influence rendu vin ou de la colère, le rnasque tombait : le jour de Ia trée triomphale de Pierre à Moscou, après Ia campagne -de Perse (déàembre 1122), le prince Grégoire Dolgorouki' sénateur et diplomate, et le prince César (Ivan Romodanovski) se prenaient aux cheveux devant une nombreuse compagnie et se btrttaient à couPs de poing pendant une bonne âemi-heure, sarls c1u'on songeât à les séparer' Les étrangers étaient entourés cle respect et cajolés en présence du souverain; clès qu'il avait le dos tourné, on leur anachait leurs perruq*es. L" do" de Holstein lui-même arrivait difficilement a.lAt"odr" la sienne (2). Les idées d'honneur, de probité' de devoir., clont Pierre s'est fait le prollagateur constùnt, érlcrs[ 6'ssf son plus grand mérite devant I'histoire,
6ic1ue,

-

-

(l) Letre du Pèr'e Rotnain tle Pouruentruy i

I'envoyé de France en Pologne'

Àff. 6tr. de F'rance. (2) tsrncuor,z, Bùschings-Magazin, t' XX, p' 589; ' XXI, p' 231'

nÉFoR\tE

MoRÀLE.

t6f

avâlent peine à pénétrer au foncl des consciences, glissant sur les âmes réfractaires comme un vétement mal ajusié. RaPPelé

de I'Oural , où Demidof I'avait dénoncé comme "orr.rrr.iorr_ naire, Tatichtchef lui-rnéme invoquait pour sa défe'se rrne conceptiou du monde moral où ne paraît encore rien cl'européen ; u Porrrquoi replocher en principe à un juge de se n faire payer ses ser'ices par ses crients? La récor'pe'se a est honnête si le jugement I'est aussi (l). u En 1715. on instruisait colossale affaire dc rnalversations découvertes 'ne dans les fou*ritures de I'armée, et les prévenus s'appelaie't : Menchihof ; I'arniral Apraxine; Ie vice-gouverneur de pétersbourg, I(orssakof; le chef de I'amirarrté, Kikine; le pre.rier commissaire du méme département, Siéniavine; le grand maitre de I'artillerie, Bruce; les sénateurs volkonski et r,apouhine ! Le rude travailleur qu'était pierre ne parvenait pas davan. ta6e à vaincre entièrement, chez ses sujets, les habitudes invétérées de paresse, d'inertie physique et morale. Des hommes valides allaient par milliers dans les rues, mendia.t plutôt que de faire æuvre de leurs dix doigts. euelques-uns, se mettant des fers aux pieds, se faisaient passer pour des prisonniers, envoyés dans la rue (suivant une méthode que les pénitenciers de l'époq'e pratiquaient en effet) pour demander leur subsis-

lance à la charité publique. L'oisiveté insouciante, mé'agère d'une misère affreuse, continuaità régner dans les "u*pugir"r. n Quand le pavsan dort, dit possochkof, il faut q,r" ,* rrrniroo brûle pour qu'il se décide à quitter son lit; il ne se dérangera pas pouréteindre celle du voisin. u Aussi les incendies détrui. sant des villages entiers étaient fréquents, et facile aussi Ia besogne des bandes de brigands appliqués à piller ce que le feu épargnait, sans que les habitants s'avisassent de se reunir pour repousser les malfaiteurs. Ceux-ci entraient dans une chaumièrc "hauffaient le moujih et sa tremme pour reur laire dire où ils avaient caché leur argent, enrevaient les meubles.

(l)

lior,ovrrr, t.

XVIII, p. L8g.

46E

L'oEuv

Ê

E'

: les mettaient sur des chariots sr partaient tranquillement les voisins les regardaient faire et ne bougeaient pas' Pour échapper uu ,""ui"" militaire, Ies jettnes gens allaient cherràfrrgu dans les monastèresl d'autres se {aisaient recevoir "h"r les écoles créées par Pierre et s'ingéniaient à n'y rien apdans

prendre. Tout cela n'empêche pas qu'une grande révolution morale n'ait été accomplie. Pierre a jeté dans le sol natal, à la volée' semences de façon irrégulière et quelque peu capricieuse, des il a tout' par-dessus Mais, qui germerortt "t fructifieront' dor,ni aux siens I'exemple d'une vie où des vices lamentables' aux fruit de tares originelles, se sont associés aux plus màles et côté de quel plus nobles vertus, et I'histoire a montré, depuis' penchait Ia balance. Un peuple de cent millions d'hommes a deoetoppé aux veux du vieux monde européen ' surpris' alarmé bientôt, une lbrce dont les éléments ne sont pas' moderne certes, matériels seulement' Cette force, la Russie I'a puisée dans l'àme de son héros' Elle lui doit aussi ses progrès intellectuels, bien que les non sans établissements scolaires du grand règne passent' raison' pour avoir été une grande faillite'

II
L'enseignement-

Grand. A les entendre, le Réformateur aurait même' sur ce point, ramené son paYS en arrière, plutôt que de le pousser en avant, en substituant â I'enseignement uniuersel, pratiqué dans un ensemble très satisfaisant d'écoles primaires ousecondaires et dans I'Académie slavo-grécoJatine de Moscou' un système II d'éducation professionneA, ae;tr discrédité en Occident'

Les slavophiles ont leurs idées, et des idées présomptueuses' Pierre le sur I'enseigiement dont était dotée la Russie d'avant

faudraitvoird'abordcequ'étaientetcesécolesetcetteunûter'

RÉFoRME

IToRALE.

IÂg

sal;të d,e leur enseignement. Les écoles ? II en existait à peine quelques-unes auprès de quelques monastères. L'universalito de

I'enseig*ement? Elle se résumait, je crois bien, dans la lecture des Livres sai'ts, avec à peine des notions élémentaires de géographie et d'histoire. sur la tombe clu Réformateur, Féofa' Propohopovitch, peu suspect de partiarité au détrimerrt de cet enseignement ecclésiastique, rappellera qu'à l,époque où la Russie n'en connaissait pas d'autre, on aurait uo à" tu peine à y trouver un compas / Dans les abécédaires contemporains, j'apercois des exercices par demandes et réponses, qui sont curie*sement révélateurs du niveau intellectuel correspàndant. Demande : u Qu'est-ce que l'élévation du ciel, la largeur de Ia terre, la profondeur de la mer ? , Réponse : u L'él-évation du ciel, c'est le Père; Ia largeur de la terre, c'est le Fils la ; prolbndeur de la mer., c'est Ie Saint-Bsprit. , Demande : * { qui a été donné Ie premier écrit du Christ?,r Réponse : nA l'apôtre Caiphe (src) ! ,, En réalité, la période d'éducatzon n'existait pas pour les hommes russes de ce temps. Le passage de I'enfarr"u à l,âg" adulte s'opérait sans transition. aussi les esprits cons""onierr-tils jusque dans leur maturité quelque chose de la fraîcheur, mais également de Ia naiveté enfantine. J'y aperçois un clair_ obscur d'aube rnatinale, rempli de formes indécises et con_ fuses I un mélange de superstitions paTennes et de légendes clrrétiennes bizarrement défigurées . péroune, Ie dieu d,, torr_ nerre, n'est que remplacé par Ie prophète Éliu ,u, san char qui, roule dans les nuages. phénomènes du monde physique et phenomènes du monde moral passent uniformément pour rro àff"t cle forces mystérieuses et redoutables, devant lesquelles on se sent désarmé, misérablement impuissant (l). c'est à cette conception chimérigue des réarités de Ia vie, où les instincts de fainéantise trouvent leur compte, pierre que entend principalement s'attaquer par r'éducation. ses idées

-

_(l) ZeuÉr,rnn, La société rusçe ar.^t pierre le Gt_and; Essais ltistoriques, lfoscou, 1872, p. 90 er suiv.; Sorovrr:n, llistoire ,!e Russie, r. iiif,'p. lë1.ïi

IùO
personnelles vont très

L'OEUVI]'E

jusqu'au loin dans cette directiou régime de I'instmction obligatoire et glatnite, prôné par Pos'
sochkol:. Le principe est méme consacré par I'ouhase du 28 fé-

vrier l714; mais son application restera bornée i\ une

seule

catégorie d'élèves comprenant les enfants des diaks (employés des bureaux administratifs) et des popes. Le Sénat refuse de s'engager au delà. Prendre au cornmerce et à I'industrie son personnel d'apprentis, n'est-ce pas ruiner Ie commerce et I'industrie? Le Réformateur cède, se contentant de poursuivre cette application restreinte avec sa vigueur et sa rigueur accoutumées : le fils d'undiak, Pierre Ijorine, se refusant à étudier dans une école de mathématiques fbndée à Olonets, un oukase du Tsar Ie renvoie à Pétersbourg, les fers aux pieds (l)' Des écoles, des écoles partout et toute espèce d'écoles, voilà le

mot d'ordre. lfais quelles écoles? A cet égard, malheureusement, la pensée de Pierre reste assez longtemps flottante. Au début, il a semblé prendre parti pour le type pseudo-universel, à ten' dance littéraire, que I'influence polonaise et petite-russienne avait fait prévaloir jusqu'à présent. Au retour de son premier voyase à l'étranger, il songeait encore à étendre simplement le programme de l'Académæ moscovite. Sa rencontre avec Glùch le précipite dans une autre tentative, qui pourtant suit Ia même piste; I'ancien maître de Catherine Troubatchof est bombardé d'emblée directeur d'un établissement ou seront enseignées : la géographie, l'éthique, la politique, la rhétorique latine, la philosophie cartésienne, les langues Srecque' hébraique, syrienne, chaldéenne, française et anglaise, la danse et l'équitation (2) ! Gltick y perd le peu de latin qu'il possède' Et soudain, avec sa brusquerie ordinaire, le Réformateur se retourne; il a trouvé sa voie. Il lui faut des écoles profession' nelles, comme celles qu'il a vues en Allemagne' en Hollande et en Angleterre. ÙIais il ne se donnera Pas le temps d'en développer uh plan général, en commençant par le commerr(l) id
Poron, T'atîchtcheJ et son tentps, p.38. P,Éo^ur*t, La scicace et la littéruture en' Russie,

t' I, p' l'28'

RE['O

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}1O R AI,E.

h7L

cement, c'est-à-dire par les écoles prirnaires et secondaires; il passe d'un coup à I'enscignement supérieur : gérrie, navii;ation, hautes mat.Lrérrratiques. C'est qu'il s'agit puur lui dé.orrnais moins de la cliffusion de l'instruction que efe la préparation des officiers, dont il a besoin pour son armée et pouo" sa {lotte, et ce point de vue utilitaire et gouvernemental prévaudra longtemps dans ses créations. Saint_pétersborrrg aur,. bientôt une Acadérnie navale I Nloscou, urre école de chirurgie militaire, où des professeurs allemands, anglais, siégerJnt dans des chaires richement dot.ées. Il n'v ,rrnrqu"r," q,i" ,le, élèves. Pour aborder l'étrrrle des hautes matheirnatiqïes, il nanquera aux fils àe diolts et de popes, clont ou dispose, de ._u":]r lire et corlpter. ! pierre l lestement grinlpé au sommet de l'échelle sans se préoccuper des échelons i.termédiaires. En l7 llt, il est vrai, un ouliase est publié avec un plan d'écoles provinciales, primaires et secorrrlaires, à créer auprè,. cles évéchés et des monastères I mais, en I7lg, Grégoire SkorniakofPissaref, chargé de la direction de ces étabiissements, mantle tru souverain qu'une seule école, où I'o' est parvenu à réunir vingt-six élèves, a pu être ouverte à Iaroslav. En ly2B, qua_

ou de Moscou; dix-huit reviennent, n,avant pas trouvé d,e*_ ploi. La méme année, il est question de f,rsionner les écoles pro-r'inciales projetées avec les écoles ecclésiastiques qu,un règleinent récernment publié a appelées à la vie; t" Svrroa" r'épo'd qurun seul étabrissement de cette tlernière catËgor.ie existe à Novgorod (I). Aussi l'école des Irogerueurs ne comptet-elle, jusqu'en l7lB, que vingt-trois élèves; à cette epoque, Pierre y introduit d'autolité soixante_dix_sept ju,r.ru, gens choisis parmi les enfànts des serviteurs d,, paiaii u,r*quels leurs savants professeurs ont d'abord à enseigner _
l'alphabet
!

rante-sept professeurs sont envoyés en province de pétersbourg

Le Ré1'ormateur n'est pas sans se rendre compte de la pauvreté des résultats ainsi obtenus I aussi cherche_t_il a y r,rppte"r
(1) PrÉr.rnsxr, t. I, p,
125,

t!72

T,'OEUVRE.

par I'envoi d'un grand nornbre de jeunes sens dans les maisons à'éducation de l'étranger.. Mais là encore des obstacles su'gissent : I'angleterre défend ses établissements contre I',invasion des intrus. L'argent fait défaut; deux jeunes 6ens envoyés à Paris en 1716 et 1717, dont le nègre lbrahirn, y crient misère : à eux cleux ils n'ont pas un écu par jour à dépenser ! La paresse, toujours, s'cn tnêle, etaussi l'inconduite' En 17I7, le prince Repnine adresse une supplique au souverain pour obtenir Ie retour de ses deux fils, qui, au lieu d'apprendre [e métier des armes en Allemagne' ne {"ont que s'y endetter' A Toulon, I'aclministration a dù, à la inême époque, prendre des mesures disciplinaires contre des jeunes Sens russes admis dans le corps cles gardes-marine I au rapport de I'agent Zotof , ils se querellaient, s'injuriaient ( comrne les gens de la plus basse condition ne le font pas ici ' , et en anivaient même à s'entre-tuer ( autrernent qu'en duel o . On a été obligé de leur
enlever leurs éPées (t). En somme. la Russie reste tributaire de I'Europe pour le recrutement de ses états-majors militaires, scientifiques, artistiques ou industriels, et si elle réussit à remplir tant bien clue mal ses casernes, un vide fâcheux subsiste ailleurs dans les cadres ainsi constitués. Pierre ne se décourage pas pourtant I iI continue à aller de I'ai'ant. Après son séjour à Paris, il est hanté par Ie désir de posséder. à Pétersbour8 une académie des
sciences.

il provoque la rédaction, de tous côtés, avec ce recueille qu'il avec les observations
Avec les projets sans nombre dont

qu'il v ajoute de son propre foncls, il arrive à se faire de cette création une idée aussi ambitieuse que mal définie. Elle lui sernble appeler à combler d'un coup tous les vides désespérants et â" l'orgnni*ation scolaire qu'il s'est donné la tâche de tirer du néant, et de la vie intellectuelle qu'il a espéré susciter autour d'elle. [l se rencl bien cornpte, jusqu'à un certain point' de I'insuffisance des matériaux dont il dispose pour mettre (l)
PrÉxrnsxr, t.

I, P. 163'

REFOR}IE MORALE.

4l,t

l'æuvre sur pied, et c'est pourquoi, contre son habitude, il hésite lorrgtemps ; il tàtonne ; il laisse passer les anrrées. En 1724 seulement, une année avant sa mort, il prend partr, à sir façon, avec un trait de plume. Àu bas d'un rapport cle Fick sur la rrécessité de se procurer en Russie des employés capables. il écrit : t Sdtélat aÈadémiou. u (Faire une académie.) Dans les petites villes de province, ir Paris mêrne dans quelques quartiers excentriques, on voit des établissements àr caractèr'e mixte, mi-écho1les, mi-bureaux de tabac, où se ve:rdent concurremment les timbres, les épiceries, les cigares, ies ustensiles de ménage, les journaux et mêrne les livres. C'e"t le type du hazar primitif, auquel les grands rnagasins universels de notre époque semblent revenir par un cir.cuit fréquent clans I'histoire des civilisations. t,a cli[férence est dans la confusion clui règne là et qui est remplacée ici par un classement rnéthodique. L'Académie créée par un oukase de Pierre le Grand est un bazar rudimentaire; on y voit bizarrement jurtaposées et confonclues les trois formes classiques du gymnase allemand, de I'université allemande et de l'Académie francaise.
C'est une école, mais en même temps aussi une société savante et un cénacle artistique. Et, au fond, cette bizarrerie s'explique très bien : comme dans les boutiques, où les paquets de chan-

delle avoisinent les volumes à couyerture jaune, elle correspond à un degré inférieur d.e développement spéciûque. L'Acaclémie établie à Moscou avant I'avènement du Réformateur revêtait pareillement un caractère mi-ecclésiastique, miséculier. L'æuvre n'en a pas moins provoqué des critiques acerbes et en partie justifiées (l). Comme établissement sco(1) Les jugerlents défavorables des diplomates contemporains, pleyeretVockerodt, prrl;liés par Ilerrmanrr, ont donné heu en L87& à une polémigue assez vive, à laguelle l'éurinent slaviste fra'cais, M, Liger, s'est trouvé melé. I)ans le Journal da AIîttistère de I'Instructiott. publique fianvier 1871r, puis tlans la Aeuue t.usse, M. Briichrrer s'était fait le défenseur ile Pierre t't rle ses acadérrriciens. IIn article de )[. Léger publié dans la Aeuue tt.itique (13?Ir., no {&) a appelé l'atention ale t\I. Herrruann sur ce plaidoyer, .ruquel it ajugé à propos de répondre par uno brochure fort agressive 1J. G. vocl"erotlt unr! tler I'rofeisor fur-Russiscie Gescltichtc zrt Dorpat, A. BrùcLner^ l8z4), suivie d'u'e réplique assez verte dans la Reaue russe,1875, t. \'I, p. tl3.

+aq

L'OEUV }TE.

laire, elle n'a jamais fbnctionné séricusement, firute d'unauditoire qui firt en état de strivre les couls professés par des hommes tels que Hetmanrt, Deslisle, liernouilli, abordant les plus hauts problèmes des sciences spéculatives, traitant de ma' thérnatiques transcendarttes, étudiant les antiquités grecques et latines. Corntne société savante, elte a certainement servi les intérêts gdnér'aux de la science et rnême ceux, particuliers, de la Russie. La valeul pratique des recherches d'un Deslisle pour la cartographie russe n'est pas contestable, pas plus que celle cles traraux de Bayer pour l'étude des antiquités grecques et rornaines. Reste à savoir si les 211,912 roubles assignés pour I'entretien de I'institution sur les revenus de l{arva, de Derpt et de tsernau n'auraient pas Pu trouver un meilleur emploi en urr pays et en un temps où le luxe iltellectuel a pu, à bon droit, paraitre hors de saison, et ou, avant d'avoir des livres de science transcendante, on devait sol)ger à avoit des lecteurs porrr cles publications d'ordre beaucoup plus élémentaire. Nlais la vraie école du grand règne, la seule qui n'ait pas failli à son programme et à sa tàche, a été, en fait de savoir comme en fait de morale, celle dont Pierle s'est constitué penclant trente ans le maître enseiguant, cette école dtr grand eriernple, dont j'ai parlé plus hirut ; oui, sa curiosité unll'erselle, sa fièvre de tout apçrrendre, communicative par essence et commutrirluée quand même, dans une certaine mesure, à ses Russes. Et, à part cela, on ne peut nême lui reprocher d'avoir négligé les éléments, les rudiments de cette initiation intellectuelle dont il a voulu être l'ouvrier.

III
L' ini tta ti on
inte llec tue I le,

Et d'abord il a plus fait que d'apprendre à lire à ses sujets ; leur a donné jusqu'à une langue nouvelle, créée de toutes

REF'ORUE \TORALE

+r

D

plèces, ou à peuprès, cornme le reste. En 1700, déjà à,\msterclarn il chargeait le Hollandais Jean 'fessing, aiclé par le polonais Kopieu'slii ou Iiopiewicz (l), d'y fbndei. une typographre russe. [Jn premier lot d'ouvrages traitant de sujets très yariés :

histoire, géographie, linguistique, arithnrétic1ue, art de lt
Buerre, art de la navigation, a été ainsi publié. 'I'raductions ou adaptations pour la plupart, sans aucrule valerlr scientifique, rnais bons ouvrases de vrrigarisation. lln 170?, cette typol;raphie a essaimé, envoyant à l,loscou un corrtpositeur, un imprimeur et un fondeur, porteurs d'un alphabet lusse d'un t,vpe norrveùu. C'est le grujdanshi chrift,l' alphabet civil ,, ainsi " nomrné par opposition au vieil alphabet slavo-serbe conselvé par l'Église. Pierre I'a fait adopter aussitôt poul' une prernière publication, qui est un traité de géométr.ie, et une seconde, qui est rrn manuel de cornpliments, traduit de I'allernand. Suivent des traductions d'ouvrages se rapportant à la science militaire, dont le Tsar lrri-même corrigeait, les épreuves. Cet alphabet nouleau ne suffisait pas à la verve créatrice du Réformateur.. Si, pour les féaux sujets de la reine Victoria, la larrgue gu'ils parlent est volontiers I' u s6gls.is tle la lleine , , le n r.usse clu Tsar , est chose historiquernent beaucoup plus véritlitlue cn Russie. En I 721, Pierre s'est avisé de charger le Sairrt Synode, récemrnent appelé à I'existence, de la tladuction d'une partie dc I'cnuvre de Puffendorf. Une dispute s'est éievée, à ce sujet, au sein de la vénérable assemblée : lui convenait-il cl'emplol,er,

pour Ie tr'avail en vue, I'ancien parler slavon d'église, ou devait-elle adopter le langage courant, devenu très diflérent avec le temps ? Le souver.ain, intervenant dans le clébat, tranche Ie différend d'une lacon imprévue : on ernploiera un Iangage spécral, qui jusqu'à présent n'a guère servi qu'à la chancellerie diplornatique du Tsar et qui se ressent de ses origines cosmopolites, un idiome tout farci de mots étrangers et de néologisûles, un halbutiement de btrbares épelant la cir-ilisation européenne. Ce sera désorrnais la langue olficielle;
(1) Il
a écrit lui-mèrne son norn de rleux rnanières.

l*7 6

t,'flEUYR11.

la langue que parlent et éclivent cent millions d'hommes. De faire traduire Puff'endorf par une réunion d'ecclésiastiques peut passer pour une idée assez singulière ; mais c'est I'habitude de Pierre, on Ie sait, de faire flèche de tout bois pour atteindre le but visé.II lui fâut des livres, et, après s'étre adressé à I'administtateur de son irnprimerie, Polycarpof, poul avoir une histoire de Russie, peu satisfait de I'ouvrage qu'il en a oblenu, il en chargera les employés de sa chancellerie, dont il vient d'adopter et de consacrer la langue. Pour avoir un nusée, il fera appel de rnême au zèle de tous ses sujets et prench'a, sans y regarder de près, tout ce qu'ils lui donnelont en fait de curiosités : veaux à deux têtes ou enfants nral confbrmd's, s'tppliquant en méme temps à les persuader que les u monstres ) ne viennent pas du diable, ainsi qu'ils inclinent à Ie croire. Bt n'est-il pas touchant, au fond, dans son eflbrt, souvent mal calculé, maladroit, portant à faux, mais incessanrment renouvelé, jamais lassé, toujours tetrdu vers ce but rayonnant de lumière et de progrès qu'il a devant les yeux? Et il arrive, après tout ! En 1719, deux officiers de sr flotte, Ivan Iévreinof et Féodor Loujine, partent pout un voyage d'exploration du eôté du Karntchathn; ils sont chargés de cherchel la solution d'un problème posé par Leibnitz : I'Asie et I'Amérique se touchent-elles de ce côté, ou sont-elles séparées par la rner? L'expédition n'a pour résultat qu'une carte des iles l(ouriles ; mais, poursuivant son idée, Pierre revient à Ia charge, en 1725, avec Behring, et lc détroit, qui u immortalisé le nom du hardi explorateur, est clécouvert. Dans les l[émoires de I'Acaclémie de Paris. Delisle I'aîné parle d'une carte de la Caspienne et des provinces limitrophes qui lui a été montrée par Pierre en l7l7 et qui, sans être tout à fait exacte, rectifiait les notions possédées alors en Occident sur ces pays. Bn 1791, trente cartographes travaillant isolément sont occupés déjà dans diverses provinces cle la Russie. Pierre leur a donné une instruction un peu sommaire, à sa manière : u Dans chaque ville on déterminera la latitude au
c'e.ct aujourd'hui

NDI,-O

R}TE ]TOIIALE

moyen du cadran, et on malchera ensuite en droite ligne n dans les diverses directions de Ia rose des vents jusqu'aux u frontières de chaque circonscription. u Ils {bnt quelgue besogne pourtant. Des explorateurs spéciaux sont, en outre, envoyés : le lieutenant Gerber au rrord de la Oaspienne. le docteur lfesserschmidt et Tabbert, un prisonnier suclclois plrrs connu sous le nom de Strahlenberg, en Sibérie; I'Italien [.'lorio Beneveni en Perse, à l(hiva et en Boukharie; le iieutenant Buchholz et le major Liharef sur le cours de I'Irtich. Avec les données ainsi recueillies, le sécrétaire du Sénat, Ivan l(irillof, sera chargé de confectionner un atlas général, auquel il travaillera jusqu'en 1734 et qui est une belle æuvre (l). En l720,les monastères innombrables de I'Empire sont mis en demeure de livrer leurs dépôts cle chartes, de manuscrits et de livres anciens (2). Yoilà un conlmencement d'archives. Des livres enlevés à llittau, au cours de la guerre du Nord, et déposés d'abord au Palais d'été de Saint-Pételsbourg, constrtuent le premier fonds d'une bibliothèque, prodrrit direct de la conquête. Il faut encore un rnusée cl'art; c'est pourquoi, en 1717, Pierre l'ait travailler des artistes à FIorence, Bouacci entre autres, auquel il a comrnandé deux stetues représentant Adam et live. En 1713, il entreprend des achats à Rorne; son agent, I(ologrivof, lui mande qu'il a acquis une Vénus anti!{u€, a plus belle gue celle de }-lorence et mieux conservée u . Il I'a payée 196 ducats seulernent. Une école de beaux-arts s'ajoutera au musée, sin6,ulièr'ernent accouplée avec la chancellerie de I'Arsenal. L'entrée des musées est gratuite. En vain, soulevant une question fréquemment agitée de nos jours, ses conseillers voudraient af{'ecter le produit d'un modique droit d'entrée à I'enlichissement des collections I Pierre prend Ie contre-pied de leur avis : d'après ses ordres, des rafraichissements sont distribués gratuitemerrt aux visiteurs ! L'usage se maintiendra jusque sous le règne d'Anna Ivanovna
(r) Srnuwn, Russische Âeuuc, t. /91 Recucil des lois. 361t3.

(

Vlll, t876.

h78

L,OEUV RE.

et occasiornera une dépense annuelle de 1100 roubles (l). Dans les jardins qui entoulent le Palais d'été, soixante groupes de figures servant d'ornernent aux jeux d'eau racontent au public pétersbourgeois les fables d'Ésope. Le texte des fables est a{fiché auprès. Les figtrres en plomb doré manquent de beauté, nrais l'intention diclactique est excellente. Comrne instrument de propagande intellectuelle, Pierre n'a eu garde d'oublier le théàtre. On sait pett de chose sur I'histoire du théàtre en Russie avant le grand règne. Dans quelques cloîtres de liiel' et de Nfoscou, plus tard à I'hôpital de I'ancienne capitale, des représentations périodiques avaient lieu, s'inspirant cles exemples donnés par les maisons cl'éducation des Jésuites. Comme pièces, des sujets religieux ; comrne acteurs, des séminaristes et des étudiants. Une rnise en scène sommaire et un style très grossier. On en plaisautait au faubourg AIlemand. On racontait que, dans un spectacle {igurant l'Aunonciation, la Vierge répondait à I'Ange : r Est-ce clne ttr me prends pour une c....(2) ? u En L612, année de la naissance de Pierre, Ie théàtre faisait son entrée à la cour. Soumise au joug de I'ascétisme byzantin et aux préceptes du clontoslroi, la première I'emme d'Alexis, la Niloslavsha, avait été hostile aux représentations I la seconde, d'un caractère gai, d'un esprit plus ouvert, leur ouvre les portes du Kreml. La troupe était allemande, mais on atterrdait d'elle qu'elle fît cles élèves russes avec les élèves tles bureaux d'État (poddiatchyrc) qu'on lui donnait en apprentissage. Elle rnettait en scène, avant Racine, I'histoire d'Assuérus et d'Esther, où I'on clécouvrait des allusions à celle cl'Alexis et de Nathalie. La molt d'Alexis et les années troublées qui suivaient coupaient court à ces divertissements. Sophie passe, il est vrai, pour avoir fait jouer, vers 1680, à I'intérieur méme dr terem, des pièces de sa façon, une traduction errtre uutres dt ilIidecrn malgré lui de Nlolière. EIle y aurait rnême paru comme actrice.

(l)

Gorrxor, t, X, p. h2, (2) Hercorn, BeîIagen uum neuuerdnderten Russland, Leipzig, 1770t t, l, p. 399

nÉr'onlrp rroRALE.

Lrg

Le caractère de Ia Régente aussi bien que I'histoire agitée de son Souvernement rendent cette supposition peu .rraisernblable. Peut-étre a-t-on fait confusion avec Ia sæur aînée tle Pierre, Ia tsarevna Nathalie, â6ée de dix-sept ans alors, qui se rér'élera plus tard comnle une vraie femme de théâtre. Ces spectacles gardaient, en tout cas, un cachet d'intimité. Pielrc le fait disparaître. Il transporl,e Ie théâtr.e sur la place At'ttge et y convie le gros public.Il veut aussi avoir une troupe russe jouant des pièces russee, et il y parviendra. En lTl1l, rla.s vaste nraison de Pétersbourg, fraîchement bâtie et 'lre tléjr\ abandonnée, la tsarevna Nathalie installe à demeure cles acteurs indigènes qui jouent la tragédie et la comédie. Elle s'occupe elle-même de Ia mise en scène et de la machinerie, dessine les décors et écrit des pièces, où les allusions politiques à tendance moralisatrice abondent. L'orchestre était tigalement composé de musiciens russes, les batogues remplaçant, il est vrai, fréquemment le bàton du chef, au térnoi. gnase de Weber'. Pjerre est 6rand amateur. de musique, de musique religieuse surtout. Il a possédé un chæur assez bien c rrrrposé cle chanteurs d'église, arrx voix desquels il mélait volontiers la sienne, et il a eu aussi des joueurs de trompette plolanes et cles joueurs de cornemuse polonais. A partir de 1790. il laisser.a jouer fréquemnrent à la cour I'orchestre du duc de l-Iolstein rgui, pour Ia preuière {bis, fera entendre à des oreilles les sonates, solos, trios et concerts des ^lsses maitrcs aliemancls célèbres alors, comme Telemann, Kayser, Havnischen, Scbultz, Fuchs, ou italiens conlme Corelli, Tar_ tini et Porpora.

Le rôle, enfin , et Ia puissance de Ia presse périodique n'échappent pas au regtrrd inquiet du grand homme. Dès I'année 1702, le baron de Huissen était chargé) moyen_ nant finance, d'entretenir de bons rapports entre le Tsar et I'opinion europée'ne. Il traduisait, publiait et répanclait les décisions du souverai* ayant trait à I'orga'isation militair.e de son Enrpire; il engageait les sur-ants de tous pavs à clddier leurs ouvlages à Sa Majesté Tsar.ienne ou même à en écrrre

.(80

L'OEUV RE.

qui fussent à sa louange ; il inondait Ia Hollanrle et I'Alie' rnasne de brochures dans lescluelles, bien avant Poltava, Charles XII était battu et mis en lâcheuse posture; il subventionnait à Leipzig le journal Europaeïsche Fanta, qui leldait consciencieusement au Tsar son algent en compliments et flagorneries. En 1703, a paru à Moscou la première gazette russe, et c'est une aufte fenétre ouvette à I'air et à la lurnière
de I'Occident. Jusqu'à ce moment, le Tsar était seul ou à peu près seul en Russie à savoir ce qui se passait en pays étrtrngers. Les extrarts des gazettes étrangères (I{ourantS') rédigés au bureau des relations extérieures n'étaient destinés qu'au Souverain et à son entourage. Les nouvelles de I'intérieur du pays ne se transmettaient que de bouche ir bouche, défigrurées, semant I'erreur dans les âmes naîres. Le premier nurnér'o de

la nouvelle gazette contient des rellseignements sur le nornbre des canons récemment fondus à Lloscou et sul le nornbre des élèves qui y fr'équentent les écoles de r'éceirte fondation. La presse périodique lusse a aujourd'hui encore beaucoup à faire pour égaler ses modèles occidentaux, et, d'uue rnanière génér'ale, si, pour juger l'æuvre de Pierre dans cette voie, on voulait s'en tenir aux résultats allparents et irnmédiats de son effort, le bénéfice en paraîtrait mince. Quelques traductions assez défectueuses, un mémoire du secrétaire d'État Chafirof sur les motifs qui ont armé le Tsar contre la Suède, rédigé en russe avec des mots français; une cornpilation historique de Pierre l(rekchine I une autre du prilce Hilkof, d'une écriture aussi fâcheuse que celle dont s'est servi Chafirof I une autre de Basile Tatichla meilleure à beaucoup près encore de l'époque est bon poète seul Le lettres' les tchef, voilà pour ile }Iolciat'ie hospodar ce le prince Antioche l{antémir, {ils de clontI'amitié a failli devenir fatale à Pierre. Il a laissé huit saLires en vers syllabiques qui n'ont vu le jour qu'après la mort du grand Tsar. Bn fait de sciences, un traitel médiocre t{'arithrnétique et quelques cartes de géoglaphie. En lait d'art, quelques statues empruntées à I'Italie et trois peintres qui y ont I'ait leur éducation : Nikitine, Merkoulief et Matviéief' Le portrait de

nÉFORME

MOnALE.

48t

Pierre exécuté par ce dernier n'est pas un che[-d'æuvre. L'espace parcouru par le grand initiateur et par son peupte à sa suite ne saulait étre évalué ainsi.Il faut en chercher la mesule tlans des phénomènes d'ordre plus intinre, dans Ie mouvenrent général des esprits et des consciences déterrniné ptrl la rélblme, dans la modification des idées et des sentinents qui en a été la conséquence. Et s'il est besoin absolument de docurnents précis, en voici deux, placés aux deux ertr'émités du règne, comrle des bornes-r'epères : Ie testament cle Possochkof au début, celui de Tatichtchef à Ia fin, aclressés, I'un et I'autre, moins aux héritiels directs des testateurs qu'à leur postér'ité intellectuelle. Possochkof est un admirateur enthousiaste du Réfbrrnateur et de son æuvl'e ; son hornme absolument au point de vue tlt' idées et des plincipes d'ordre gouvernernental et admini i,'.rtif; mais, en ce qui concerne lrr religion de la science, il demeure eneerclé dalrs la vie rnonastique clu quinzième siècle. Tatichtche[: vient après lui, et le cercle parait rompu. Le Russe moclelne est né, tendant l'oreille au vent qui souffle des horizons lointains, ne redoutant pas les courarrts du large, trop enclin plutôt à s'y précipiter, homme rle tous les progrès et mêrne de toutes les audaces, un peu Àrnéricain par Ià et excentrique. Et c'est l'æuvre de Pierre le
Grand.

Détourner les esprits des intéréts religieux en les intiressant aux choses profanes, hurnaines, a été une grande alï-aire. Chose singulière, rnnis s'e-xpliquant par les circonstarrces, le collaborateur qui a le plus fait après Pierre pour cette ér-olution a été un prêtle: Féofan Proliopovitch. Il n'a parlé que dans I'enceinte des églises; il n'a guère écrit que sur des strjets de théologie ou de discipline ccclésiastique, mais il lui est arrivé de mettre des pamphlcts politiques dans s€s s€rmor)s et des satires dans ses règlements spirituels. Il a laTcisé justlu'au saccltloce I Simplement parce tlue le mouvement créé autour de lni, cn c1uête d'une élite à laquelle il pùt se cornmuniquer, est allé, fàute de nrieux, chelcher ce prêtre dans son temple et I'a poussé au dehors. Ce brusgue our'ûSan d'idées al

I18?

r,'o]]Uvn

E.

et tle sensations nouvelles, arrachant les esprits à leur,s habitudes, à leurs préjugés, à leurs sanctuaires, à leurs lits de paresse séculaire, et les jetant pêle-mêle dans le tumulte naissant d'un monde intellectuel et moral en éveil, a fàit la Russie moderne. Bt c'est aussi et surtout l'æuvre rle Pierre le Grand.

CHÀPITRE

RÉFONME ECCLÉSIASTIQUE.

ITT DU
PATRIARCAT.

-

LA

SUPPRESSION

l. L'Église.

Féofan Prokopovitch. La propagande inrcllectuelle et la Le centre- kiovien. Etat précaire de la vieille Eglise moscovite. Itrospérité rrratérielle, avilisserrrent uroral. Le péril du ,'as|ol. J,a réforure s'impose au Réformateur. La nrort- du patriarehe Adlien ouvre les voies. ll. Le Patïtarcat. Institution rl'nu p_artlien teilporaire du trône patriarcal. Étienne lavorski. Pierre s'att:lque d'abortl - du clergé noir. - Révolte àes raiskolnils. aux monastères. Soumission - se laisse entrainer par elle. - Étieor" Iavorski Piene La lutte, trahit sa mission et fraude le gouvernement. Le conflit, I)estruction progressive des vestiges de I'aulorité patriarcale. On se trouve en face du nirant. Nécessité d'une réforure plus radicale. -- IIl. Le Saînt Synotle. Règlenrent Prograurure et panrphlet. ecclésrastique. Mécontentetûent -universel, - réfornrateur. - du Patriarcat. Il n'arrête pas le Suppression Établi..eroeot rlu Saint Synode. Esprit de la réÎonne. Ses résultats.

Éforrne ecclésiastique.

-

-

I
L'Eglise.
Né à Kief en 1681, Féofan Prokopovitch appartient par son origine à Ia sphère d'in{'luences polonaises, par son éducation à l'Église catholique. Il a fait ses premières étucles dans une école uniater puis est allé à Rome. Il en a rapporté la haine du catholicisme, une intelligence ouverte aux idées et aux préoccupations du siècle, à la philosophie, à Ia science, à la politique, et jusqu'à des tendances lLrthér.iennes. Avant d'avoir connu Pierre, simple prof'esserrr de théologie, il se révélera déjà t'r'ondeur, novateur, partisan des initiatives hardies (l). Il (L) PrÉxensxr, t. I, p.481.

I+8lr

L'OEIIV RE.

est dans le mouvement dont Pierre lui-même procède et qui, cléjà, on le voit, a pénétré jusqu'au pied des autels. La physionomie morale de ce prêtle constitue par elle-même une nouveauté en Russie; elle y iustaure le type inconnu jusqu'alors et à peu près disparu aujourd'hui du prélat occidental : instruc-

tion variée: goûts littéraires et artistiqrres, ambition, esprit
d'intrigue, pointe de scepticisme et instincts de sybirrite, rien rr'y manclue. Prohopovitch a une bibliothèque de 30'000 voIumes et tient maison ottverte. Il s'abstient de nrauger de la viande d'un bout de I'année à I'autre I rnais la dépense de sa table comporte par snnée : 11500 saumons' 21,000 lavtrets, I I pouds cle caviar, I I tonneaux de clivers poissons I'umés' etc. Il vit Iargement et fait aussi largement I'aumône. En l72l ' il établit, dtrns une de ses maisons de Saint-Pétet'sbourg, urte école, qui est la meilleure de l'époque. Il écrit pour cet éta' lrlissement une Instt'uction qu'un Jésuite siguerait des deux rnains, et il y fait professer des étraugers qui sont des luthériens. Il tirne cles vers et compose des pièces qu'il fait jouer parles élèves de son école. Sur son lit de mort, en 1736, on i'entendra dire : u O tête, tête, tu t'es enivrée de savoir; ou n iras-tu te reposer maintenant (l)? , Le mouvement qui le porte s'est,, je I'ai incliqué ailleuls, développé en grande paltie dans ce rnilieu polono-petit-russien, kiovien, au sein duquel toute utte génératron d'holnmes t\ I'esprit ouverL et cultivé grandira silnultanétlrent. Pottt sa prol,agarrde intellectuelle conlme pour sa réfbt'nle eccldsiastique, Pierre y puisera ses principales ressortrces et ses prirrcipaux collaborateurs. Avant Proliopovit,ir, Dirnitli, un atrlrc prêtre petit-r'ussien , appelé à l'évêclré cle Rostov, selvitit I'ræuvle du Réirormateur par la parole et. pal Ia plurne' u Vaut-il mieux couPer sa barbe ou lirisser couper sa tête ? u lul demanclc-t-on. Et ii répond : u Votre tête repousselu-t-elle si orr la coupe (2)? " Plus intelliSerrt encore et plus éner';;it1ue, Iréofan f'era d'autre beso6ne ; il sera le bélier dorrt l)ielle
(l)
Tcursrovrrcu, Biogt'apltie de Féofan Prokopouitch, i)étersl:., l,S{ifl.

(2) Sor,ovrrn, t. XV, p. L25-126,

LA nÉ:F()RME EccLÉsIASTteItE.
$e servira pour battr.e

iBF

en brèche la vieille Église moscovite.

C'est une forteresse que la 6rande réforme ne pouvait laisser intacte. Et d'abord, d'elle-mérne et sans qu'on y touchât, elle

menaçait ruine. Prétres et moines, clergé blanc et clergé noir, constituaient dans cette enceinte un monde à part, nombreux, purssant, riche et avili. Les biens étaient immenses. Les monastères possédaient jusqu'à neuf cent mille serfs. Le seul corrvent de Saint-Serge, proche de Moscou, en cornptait quatrevirr6t-douze rnille lui appartenant, et des pêcheries, des rnou_ Iins, des pr.iries, des foréts à perte de vue. Les archirnandrites,

prieurs de ces couvents, portaient des boucles de diamant à leurs souliers f,a vie était grasse partout, scandaleusement luxueuse en beaucoup d'endroits. tl y ayait une grande cle_ mande de prêtres. Le trait caractéristique de la vie de famille en Russie, à cette époque, est I'isolement. On fait bande à part, et corllme on a sa maison, on veut avorr son église, son pr'étre. Si on ne peut nieux faire, on porte dans l,égiise comnrune une image à soi et on ne prle que devant elle. Si on n'a pas de quoi entretenrr un prétle à I'année, on en loue un ou plusie.rs à I'heure pour une cérémonre particulière. Il s,en trouvait sur les places publiques qui s'offraie't aux embau-

l'État, ce clergé occupait une place énornre. De l6lg à 1633, le bisaïeul de Pielre, le patrialchc philar.ète, a gou_ verné Ie pays sous Ie nom de son fils Nfichel, Ie premier cles
Romanof. Le patriarche Nicir*e a [cnu têtc au tsar Àlexis, et, rour Yenir à bout de sa r'ésistancc, le sorrr-crain a ciu 'rcourir arrx chefs des patriarcats rivaux d'Alexandrie et d'Ântioche. L'i'fluence du catholicisr'e a concouru avec la raiblesse d* gouvernement civil pour donner au Souvernement ecclésias_ ticlue un air cle papauté. Mais. j'ai eu I'occasion de le dire r{éjà, nulle vertu, nulle lbrce morale nussi, ne correspondait à cefle situation si élevée. ces prêtres si recherchés 'ratériellement savent encore la pratique drr r.ituel; ils ont oublié le maniement cles âmes. Ils sont trop llierr en chair, trop ignorants aussr. L'Académie slavo-grécoJatine de Moscou compte, en

sheurs. Dans

,s6

L'OEITVR E'

1700, cent cinquante élèves entout, qui n'étudient guère dans un bâtiment qui lui-rnême tient à lleine debout. D'ailleurs, erl consacrant I'indépendance de son Église par la rupture définitive des liens qui la rattachaient au patriarche æcuménique de Constantinople, Godounof lui a rendu, en 1589, url service contestable. Cette Église est autocéphale désormais, mais on peut clire aussi qu'elle est décapitée. son chef, le patriarche àe Moscou, n'a guère conservé qu'une autorité administrative. Le pouvoir spirituel proplement dit lui échappe' Il ne saurait, même par voie d'interorétation, toucher aux questions de foi, de tlogme. celles-ci restent dans le donraine du concile æcuménique, dont la réunion est devenue improbable' Pour ne pas drre impossible. Et, avec la faculté d'abolder ces Proirlè."r, l'Église émancipée a perdu son principe de vie et de rnouvernent. Elle a été condamnée à I'immobilité. Quand elle a voulu en sortir, elle s'est heurtée au raskol. Pour avoir voulu innover rien que dans le domaine restreint des signes extérieurs de la dévotion' des formules de prières, Nicône a souIevé un cri de révolte d'un bout à I'autre du pays' Même corlme organe d'administration, le Patriarcat n'est plus qu'un pouvoir discrédité, battu en brèche' ainsi là encore la réforme s'impose au Réformateur. Évidemrne't, il est bien aise qu'on I'ait mis ainsi en deme.re d'intervenir. Dans le nouvel État qu'il s'occupe de créer, I'héri' tage de Philarète et de Nicône serait trop encornbrant' T'es friquentations du jeune souverain au {aubourg allemand' son séjour en Hollande et en Angletene l'ont mal préparé à accep ter t'idee d'un partage de pouvoir, ou même le principe sco' lastique des deux astres éclairant les peuples d'une lumière indéiendante. Le patriarche Adrien s'avisant de critiquer le traitË par lui signé en Angleterre Pour la ferme cles tabacs' il a une réplique tranchante I c Est-ce que le patriarehe est mon directeur des douanes? n Il mettra pourtant dans cette affaire beaucoup de précaution' Si porté à violenter les volontés, il sembùra ,eculer tlevant le viol des consciences' Il laisserr le pontife sur son lrône, et souflrira patiemment qrt'err

LA nÉporiME u{ljr,)islAsl'IerrE.

\,87

son absence, et même parfois en sa présence, ce souverain 'prrituel se clonne à Moscou I'air de présider au gouvernernent séculier. Mais il accueillera la noulelle rle sa morte €r octobre 1700, comme un bulletin de victoire.

tl
Le Pan'tatcat.
Ce sont les conseils de Kourbatof, croit-on, qui décident le souverain à ne pas donner au défunt de successeul immécliat. L'idée de la suppression du Patriarcat est-elle dès à présent entrée dans son esprit? Cela n'est pas probable. Dépouiller la charge vacante d'une partie de ses attributions, pour la re-

mettre ensuite, réduite, moins pourvue d'honneur et de pouvoir, à un titulaire plus docile; profiter en même ternps de I'absence du maître pour balayer la maison et y faire les réparations urgentes, tel paraît être son plan actuel. Un oukase du 16 décembre 1700 organise une adrninistration provisoire des a(faires ecclésiastiques dans la forme collégiale, avec répaltition des diverses catégories d'affaires entre un certain nombre de bureaux, les plus importantes étant confiées, en principe, à un n gardien temporaire du tr'ône pontifical ,. C'est encore un Petit-Russien qui est appeld à occuper ce poste. Évêque de Riazan et de lloscou, Étienne lavorski est aussi un enlant de l{ief et un élève de.* cjcoJes étrangères. De propos délibéré, Pierre lui retire la direction des rnonastères, confiée à un bureau présidé par un laique, Moussine-pouchliine. C'est de ce côté qu'il trdécidé de donner le premiercoup de balai. Les couvents abritaient une énorme population flottante d'hommes et de f'emmes, dont la plupart n'avaient jamais songé à prononcer des væux. Faux moines et fausses nonrles rlue les hrrsards d'une.r-ie aventureuse, le désir de se

htt

L'oElrv

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E.

soustraire à des devoirs pénibles, ou simplement I'attrait d'une plantuleuse oisiveté ont en6;ages à revêtir le froc, se promenaient d'un monastère à I'auttc, battant entre tenrps les villes et les campa{ines, et donrrant part.out le scandale tle tous les rlérèglements. I)eux rnesures radicales sont aussittit adoptées : recerlsement général du personnel monacal aver: soumission cles entrécs et sorties ultérieures au contrôle du souvcrain; confiscation déguisée des revenus. L'habit ne fera plus lc' moine, et les revcnus, centralist(s au bureiur dorlt ltloussincPouchliine a la direction, seront répartis entle lcs rrrona:tèr'eb arr prolata de leuls hcsoins, le surplus devirnt être attrihué à

I'entretien des bospices. La réforrne a un contre-coup que Pierre rre pr'évor-ait 1las. Laissé à ses proples ruspilatiorrs, Ie clelgé I'eût subie salrs hronclter. Dans le domairre cles choses matérielles, le pour'<-rir' absoiu clu Tsar est de tlarlition pour i'É6;lise elle-rnôrne. Srrr un refrrs de ses prêtres de contrilruer aux fi'ais de sa guerre a'r'ec les Tatars, Ivan Vassilér'itcb en prenait vingt et les faisait combattre avec autant tl'ouls dans urte sorte de cirqtre (l). Pierre n'était pas l-enté cl'aller aussi loin, mais son porte-parole Proliopovitch dénoncait cor)rlle papiste toute pr'étention à I'inclépendance dont prêtres ou moiues se réclartreraien{. visà-r'is tlu Tsar (2). L'appel à la résistance art'ir-e aux moines du dehors. Presqrre abandonnée par eux-rnênres, leur cause est épousée par d'aulres rnécontents, déplacée eu rnéme l.ernps, transportée sur le terrain purement religieux. Ce sont lcs ra.çkoln.iles qui lèvent leth'apearr insur"r'ectionrrel . Pjerre a licu cl'en être étonné . f'e raskal ne Ie torrche ni de près ni de loirr. Il n't(tait pas né quancl, aux environs de 1666, cc soulèverlrertt d'irmes a été provoqué par les entreprises de l{icône, et il est resté très indifférent aux guestions de rituel clui sont le lbrrd de ce gland ddbat. [Jn sentiment de dédlin rnêlé de pitié prévaul clans la façon dont il parle des malheuleu.t sectaires Perséculés par l'É,"rlise officielle. u l'ourqttoi en faire des martyrs?
(r) Glr,lrsrne, nlénoires, Paris, 1862, p.410.
(cr\

Tcursrovlrcn, Bioqraphie d.c ProÀopouitch, p, 29.

LA Rrirôli\u.l titr:flt,ristAsTtetln.

4sp

ils sont trop bétes pour cela (t)! u pour'<1uoi aussi ne pas fhire bon ménage avec eux? Dans les environs d'Olonets, ,u, les bords de la Wyga, à proxiurité d'une usine récenrment créée, on en t.ouve un certain ,ornbre qui, au cours de I'année 1700, fo't nrine de s'établir et de s'organiser en commu'auté reli,,tieuse. u Quel fâcheux voisinage! bonne fortune! - euelle , Qu'ils vicnlrent tralaillel au-x forges; moJ,ennant cela, o1 les laissera plier ii letrr guise 12) . , " Eux-mêlnes, malheureusement, sont beaucoup ruoirrs ac_ r-rnrnrodants. L'anri de Lcfort et tre Gorcror, r''n carviniste, farrtle catliolique, palaît suspect au rigorisrne de leur foi. Évidernmerit il est Ie courplice, *irror. I'auterrr, des in'ovations rr.pies co't'e lesquelles s'insurge Ia co'science cles vrais croyants. Ne serait-il pas I'Antéchrist? D'ailleurs, la défense de la religion est un mot de ralrienrent séduisant et ses défenseurs des alliés précieux. Comme tous les persécutés, ils sont des horrrnres de coulage et arrivent à être des hommes de ra_ leur. Laborieux, éconornes et sobres, relativement instruits ou tout au moins avant appris à lire par amour des textes âpre_ ment discutés, ils gagnent prorrrptement richesse, influencl et prestige; ils soudoient les fonctionnaires, obticn'ent cle ha,tes lrrolections, se jouent de I'ignorance du clergé ofÊciel, de_ 'ien'e.t une puissa'ce. o. Ies recrrerche, or sollicite leur nppui, et leur p.olestation contre la réforme rlu rituel se solida.rise_ainsi peu à perr et se corrlond avec I'opposition universelle d'es'ée contre les réforrnes. Dans la légende qui Iàit de l'ier'e trn fils adrrltd.in de Nicône, cette conrusion se traduil éroc1.e'rrùe.t, et la ca.se des moiues est appelée à e'bénificier. Yoilà dorrc le Ilé{or'rateur obligé de conrbattre res rasrtor,r7.ç. À-[ais co'rmerrt pou.'ait-il le faire sans se so]idariser à son tour avec cette É6^lise officielle, dont il a pr.éte'du d,abord batt.e en brèche les pri'ilèges riva.x cles sier*? Ir v arrivera fa[alernent, quoique à son corps clél'errclant. ll essoyl bien de
ql\
Sor,ovrnn,

V-oy. aursi : Srx'sxr, Le Aoskol er I'Et1lîse,..sre sous pierrc Ic ^(2).Ibi,! l,étersb., 180,'r, p. xll et suiv., Bg7 et srriv. Grar4

t. XVI, p. 2gi.

It0O

L'OEUVRE.

s'en défendre en déplaçant la question. Comme avec les moines, il a d'abord recours avec leuls soutiens, et en 1716 seulement, à un dénolnbrement suivi d'une mesure fiscale : puisque ces gens, tout en ayant de la fbrtune, refusent de participer aux charges communes, car on ne peut réussir à les enrôler ni dans I'armée ni dans I'administration, qu'ils pa1'ent le privilège de faire bande à part; on les imposera au double (t). Naturellement ils refusent, et la lutte s'en&48e. Pierre sera bientôt débordé par elle. Bn septembre 1718, Georges Rjevslii, accompagné du moine Pitiriru, arrcien raskolni[< converti, va à Nijni-Novgorod, un des centres principaux du raskol, et y travaille, knoute en muin, au rétablissement de I'ordre, et, à la méme époque, Étienne Iavorski, suivant I'exemple donné, use des mêmes armes pour réprimer I'hérésie calviniste et luthérienne. En 1717, accusée d'inclinations protestantes, la {'ernme d'un petit employé du bureau des afÊaires provinciales, l{athalie Zinta, recevait quatre-vin gt-cinq coups de knoute en trois lois et n'obtenait la vie sauve qu'en abjurant $es erreurs. D'autres, moins dociles, étaient exécutés, Pierre lui-même signant les sentences (2)! C'était la négation des idées, des principes, des terrdances que le Itéformateur se proposait de faire prévaioir avec I'aide de lavorski en personne ! \[ais le u galdien temporaire du trône pontifical D avait fait peru neuve depuis son exaltation. Souci d'une popularité naissante ou sentiment des responsabilités nouvellement assumées, il inclinait d'année en année à devenir I'homme, non pas seulement de la vieille orthodorie avec son fanatisme étroit et intransigennt, ntais de la vieille [Ioscovie tout entière avec son esprit rebelle à toute idée de progrès. Ne craignait-il pas, en tT12, de prendre le nouveau régime à partie jusque sur Ie terrain de ses rélormes administratives, s'attaquant du haut de la cbaire à I'institution impopulaire des fiscaux! Piene faisait fausse route décidément avec ce comPasnon,
(l\
Recueil d.es |ois, p. 2991, 2996

(2) $,'rr,uvrrr'. t L\/1, p :t02,3llr

LA RÉFORnE ECCLÉSrasTrouE.

rrgr

L'aveu de son erreur, deyant lequel, à son ordinaire, il ne reculait pas, devait aussi préparer à l'Église officielle et à son
che{: de noulrelles destinées.

Et d'abord, même avant I'expérience srrprérne de la campagne commune contre le raskol et les dd'goirts qui en résultaient pour lui, le Réformateur était porté à mettre sa personne et son æuvre eu défense contre ce chef hostile, en r'éduisarrt encore graduellement les attributions et I'autorité déjà amoindries qu'il lui avait départies. Même dans les af'laires dont o' I'i avait laissé Ia direction, Iavor.shi voyait sa compétence limitée d'abord par un couseil d'évêques périodiquement réruri à Moscou" puis par I'ingérence croissante de Moussine-Pouchkine. Avec la création du Sénat, en l7ll, il perdait jusqu'à la dernière ombre de son indépendance. Les
affaires d'Église, comme les autres, étaient désormais soumises à la juridiction suprême de la nouvelle assemblée. Le rempla-

çant du patriarche ne pouvait plus nomnrer un arhtlrei dans
une éparchie sans I'aveu des sénateu's. Essayait-il d'intervenir dans les débats ou on disposait si arbit'airement des intérêts qui lui étaient confiés et d'y faire valoir ses dloits, on le jetait dehors brutalement, et il qrrittait Ia séance en larmes (l). En

1718, soupçonnant son ancien favori de connivence avec Alexis, Pierre lui faisait guitte. NIoscou, le gardait à demeure à Pétersbour& pour avoir I'ræil et la nrair sur lui, et lui donnait un rival dans la personne de prohopovitch, nomrné évêque de Pslcof et investi d'une influence qui va en 6;randissant. En 1720, de I'ancicn pouvoir et de I'arrcien prestige patriarcal il ne restait presque plus rien. Iavorski n'avait rien co.servé. Mais le Réformateur n'était pas sans apefcevoir ce qu'il y avait d'a'ormal dans cet état de choses, dans cette subordination de I'a'torité spirituelle non plus mêrne au sou'erai', Ia tradition byzantine n'y répu6nait pas, m6is à un sim- d.evenu docile ple organe de son gouvernement. Le clergé était sans doute, mais était-ce encore un clergé? Un régiment plrr_
çl)
Orcuevsxr, Le Saînt.\'1.nocle rorrr I'iene le Grcnd, Kief, lgg4, p. g,

It92

L'OEUVIIE"

tôt, assujetti à la méme discipline militaire, avec I'honneur du
drapeau en moins. L'abbé faisait fouetter ses moines, l'évéque faisait I'ouetterses abbés, le gouvernernent dégradait et exilait l'évéque, après lui avoir fait donner le knoute; soumis à ce

régime, tous, supérieurs et inférieuls, du haut en bas de l'échelle, tombaient au mêlne avilissemcnt, à Ia paresse, à l'ignorance, à l'ivrognerie, aux pires vices. On ne pouvait continuer dans cette voie. Il fallait trouver autre chose. Dictée par cette nécessité impérieuse, inspu-ée par les amis de plohopovitch, qui doit une bonne par.tie de son savoir aux théologrens protestants, à Quenstedt et à Gerhard, l'institution presbytérienne du Saint S5node est appelée) en l7Zl, t\ tirer la Russie d'un abîrne où son avenir religieux et moral menace
de sombr.er.

I

II

Le Saint Synode.
Pierre s'en occupait en l7l8 déjà, et on a pu croire que la complicité du clcrgé dans la révolte clu tsarévicth n'a pas
été étrangère à sa détermination ( I ). J'incline :i croire pourtant qu'il a vu les choses de plus haut. L'année suivante, il collaborait avec Prokopovitch à la rédaction d'un Règlentent destiné

à justrfier la nouvelle réforne et à en cléterminer les bases. C'e-*t une pièce curieuse, avec un tablelu piquant des nræurs
ecclésiastrques du ternps, ou la verve satirique de l'évêqrre clc

Psliof s'est donné carrière, en accusant sinultanément urr singulier mélange d'idées et de doctlines puisées arrx quatre coins du nronde religieux, philosophique et politique de l'liur<lpe occidentale. Les avantages de I'autorité collective y sont exposés ayec une grande {bree et une étlange inconscience des argumenl.s qu'on y pourrait trouver contre le pou(f.' trlrnr,rrc,
La Sorbonne et Iu fr.ussie, p. lt7,

LA RÉFOAME ECCLÉSIÂSTIOT'B.

Lgï

voir personnel et individuel du souyerain lui-même. L'inaptitude de Pierre à la conception des idées abstraites n'aurait
pas besoin d'autre preuve. Lu clans une assemblée du Sénat et du concile des évêques réunis, envoyé dans toutes les éparchies pour recevoir. la signature des évéques et des principaux archimandrites, le fitègtement soulève une tempête de colère. On le prend pour ce qu'il

est, c'est-à-dire pour un pamphlet. Les auteurs s'y posent eu médecins des ârnes, et, avant d'indiquer les reme\des dont ils ont fait choix, ils décri'ent le rnal avec une insista'ce terrible. Ils prétendent écarter de [a prétrise la foule des gens sans vocation, qui n'y entrent que par calcul. Les écoles épiscopales, par lesqrrelles les candidats devront passer à I'avenir, et, jusqu'à l'établissernent de celles-ci, des examens sévères clcvant les autorités compétentes? y poltrvoiront. Ces exarneus porteront non pas seulernent sur le savoir, nais encore sur la valeur morale des futurs pasteurs. Le prêtre, selon le vrBu de Pierre et de Prokopovitch, ne doit pas être un mystique ni un exalté. On devra s'assuLer s'il n'a pas de u visions D ou cles s réves troublants u . On interrogera et sondera êvêc uD sgrcroit de rigueur les chapelains domestiques, instruments habituels, dit le Règlement, d'intrigues obscures, créateurs de mariages irréguliers. Qrrt'rnt aux desservants de chapelles ezrle_ tenues par les veuues, ils seront supllrimés purernent et simple_ me.t. Srppression aussi des lieux mirac'leux non recorlnlrs comme tels par le Saint Synocle. Réduction drr casuel, qrri ne de'r'ra être alimenté que par I'of'l'r'arrde libre, et c.'d.m'ati.n cle la n taxe su. la r'ort u : le Règler.ent apJrelle ai'si la rétribution réclarnée pour les prières à I'intention des trépassés, I'usage voulant que ces prièr'es fusse't prolorrgées Perrrltrnt qua.arrte jours. u' impôt prélevé sur les Par.oissiens tlevra seul subverrir aux {rais du culte. t\Iars c'est av clergé noir qve le Règlement s'attaq.e le pl's vigorrrerrseme't : dé{'e.se [)onr les hornrnes cl'entrer clalrs rrn mo'astèr'e avarrt I'tlge de trentc ans; obli8ar.ion pour les moi,es rle sc rtotrl<:sset'et de colrmqlief au moins ggatre fois par anl

Lgtt

L'OEUVRE.

introduction du travail obligatoire tlans tous Ies n'ro'astèresl défense aux moines de visiter les couvents férnirrins et même les maisons privées; défense, d'autre part, aux rronnes de prononcer des yæux définitifs avant I'â6e de cinquante ans, le noviciat prolongé jusqu'à cette époque ne faisant pas obstacle au mariage (l). Le mécontenternent est, cette fois, universel, mais n'arrête pas le Réformateur. La publication du Règlerrrent a lieu Ie 25 janvier 1721, et le ll février suivant, I'inauguration du Collège ecclésiastique, appelé ensuite Saint Synode, par une déférence tardive envers la tradition byzLrntine. Le patriarcat est supprimé. Une assernblée permanente, dans laquelle de simples prétres prennent séance avec les évêques, reçort la garde des intérêts civils et religieux de l'Église, et aussi tous les pouvoirs, législatif, judiciaire, administratif, rrécessaires ii leur gestion sous la haute surveillance d'un délégué du gouvernement. Blle est placée sur un pied d'égalité avec Ie Sénat, au-dessus de tous les autres collègcs et organes d'adrninistration. On n'oublie pas que la substitution des corps administratifs aux chefs d'administration individuels faisait partie, à ce moment, d'un système très en vogue dans les pays occidentaux. En France, les ministres de Louis XIV cédaient la place aux conseils de la Régence, et Pierre revient de Paris. D'autre part, la révolution par lui opérée peut être considérée comme une conséquence de l'évolution progressive, deux fois séculaire déjà, qui a modifié la constitution des Églises orientales. Le Saint Synode est destiné à faire office, dans une certaine mesure, et du Patriarcat supprimé et du Concile absent. Cela est si vrai que les six Églises d'Olient en viendront, I'une après I'autre, à copier leur organisation particulière sur le même
(t) Le Règlement a été publié en rugse dans le Recueil des lois, n" 8718, et nombre de fois dans des traductions alleurandes. Voy. le Catalogue d,es llursica, R. 265-268. J'ai eu entre les rnains un exerrrplaire imprirné À Pétersbourg sous le règne ile Catherine IL Le- paragraphe relatif ttx chattelains des ueuues y eEt supprirrré, tout en restaDt ildiqué dans la table J)lr une rualadresse de I'éditeur.

La

RÉFoR\,IE

ECCLÉsr,rsrrqun

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modèle. llnlin, la réactiorr contre le caractère papiste clont s'est impré6né le Patriarcat s'accuse dans I'esprit clérnocratique, nettement presbytérien, qui préside à I'organisation de I'institution appelée à le remplacer. La plus contestée peut-être des réformes rlu grand règne a reçu, depuis, la double consécration de la clurée à I'intér'ieur et de I'expansion au dehors Je ne prendrai pas sur moi d'en discuter ici la valeur. L'æuvre subsiste; il y a toujours un Saint Synocle à Saint-Pétershourg. A-t-elle répondu à I'attente tle I'ouvrier? t\vec la digrrité, l'indépendance et le pouvoir at-elle rendu ou donné à l'trglise russe le &olrvernement des iirnes et les vertus nécessaires pour I'exercer? Ce sont des questions auxquelles je ne saurars chercher des réponses sans être conduit sur un terrain cle brùlante actualité, dont je me suis interdit I'abord. Le Réforrnateur s'est d'ailleurs préoccupé surtout de faire le nécessaire pour empêcher l'Église d'être, ou de devenir, un ernbar'ras dans le nouvel Btat créé par lui, et, à cet é6ard, on ne peut nier qu'il ait adrnirublement réussi.

CHAPTTRE IV
LA RÉFORMD SOCIAL l.
LE TABLEÂI] DES
RANGS.

rurale. I)eux classes La population de paysaus. Influence de -Asscrvisscrrent et de la législation de Pierre sur leur condition, - et sâ ràncon. La grantleur de la Russie La raison de I'Etat. général. C'est le paysan lII.- La bourgeoisie, lentativcs dc Pierrc pour qui paye. - stériles et inconséquences. Effurts eu colstituer une, Autonourie rrrunicipale e1 lrureaucratie. Noblesse et roturc. Le grand rrryolre, -- Urre
paysatts,

- éconoruique de ce groupe. - en flit une urilitaire, adrninistratif et Pierre noblesse. Nouvelle répartition des charges et privilè11es. Enrégirlentement universel. Le tableau des rangs. Le collectivisme, Il. Les la politique

Lanoblesse. Les classessoci.rles de l'ancienne-Pierrea-t-ilétéunréforruateursocial?Moscovie. Les slouiilyié Lioutli. d'Ivan III. Triple rôle

æuvre de grande portée. -

-

La socialisation de I'Eglise.

I
La
noblesse.

Pierre a-t-il été un réformateur social? On lui a dénié ce titre. On a argué de ce que les changements, d'ailleurs importants, qui se sont produits pendant sorl règne dans la condition des diverses classes sociales n'ont été que des conséquences indirectes, les moins prévues, les moins voulues par{bis de son æuvLe législative. Cet argument ne me touche pas. J'ai dir obseLver, en effet, que la plupart des ré[ormes contelnporaines ont participé de ce caraclèfe en quelque sorte accidentel. Pierre n'a rien changé à la constitution des classes, rien même à la nature de leurs droits e[ de leurs devoirs respectifs; il a simplement modifié la r'épartition cle ces charges et plivilèges. Mais il a aussi, sinon intloduit, du moirls fait prévaloir dans cette réorganisation, d'une mauière énergrigue et définitive,

LÂ RÉFORME SOCIALE.

49r

un principe de haute portée politique et sociale. Sans plus discuter sur les titres, venons aux faits. En remontant au delà de I'invasion mongole, on trouve sur le sol de la vieille Russie la trace de trois classes correspondant vaguement aux divrsions sociales des temps carrovin6iens et mérovingiens en Occident. En haut, Ies miuji oa nota_ bles ont quelque ressemblance avec les rachimbourgs et les bonshommes de cette époque; rls accusent le caractèie mixte et confus de I'aristocratie galro-franque; prus bas, res rioudi |orment ici, comme là-bas les hontînes, un groupe cornpact, comprenant tous les hommes libres du pavs; au derniàr échelon parait Ia populatio. servire. cet air de famiile s'exprique suffisamment par I'origine normande de l,État .,rrru. ï" ;oug *:"Sll I'effacera presque entièrement sous le niveau égali_ taire d'une commune servitude. Dans Ia seconde -oitié" d,.. qurnzième siècle seulement, lentement émelge de ce bas_ fond stérilisé un commencement de vie orgnni,1,re. poursrri_ vant avec une cruelle énergie I'æuvre de I'unificaiion du pays, Ivar. III forme autour de lui un groupement nouveau : la classe des homrnes de service, sloujitytë liottdi, qui sont en mêrne temps les seuls propriétaires fonciers. Le souverain leur. distri_ bue, en elfet, des terres à titre héréditaire t'ob I isati on de le servi r. en tem p s cre paix Nlilitairement, administrati.r,ement et économiq,r*rnàt, gr()upe joue ainsi dans l'État et clans Ia société "" un rôle i_po"_ tant: il fait la guerre; il aide le souverain à gouverner ut il détrent la totalité, ou peu s'en {'aut, du capital social. Nlais jusqu'à I'avènement de pierre ir n'arrive pas à se solirifier en un corps réguliàremeut constitué. Ce n,est ni une caste ni une aristocratie. pierre le prernier s'ayise de lui attribuer un tel caractère, en le décorant d.'un nom à Ia termi'ologie polonaise rhlohrrrrrÏît'ffi""ri"iti::: {.u'à ce- moment Ie groupe a conservé quelque chose d,indé_ cis et de flottant, un aspect embryonnai.u qou cette dénomination elle-même n'a pas réussi à lui faire perdre entière_ ment.

;ïïffiri:t-î:i::

r

1.98

L'olluvn]1'

sloriilyié liottdi' ot duorianié' que la entreprise par réorganisation des services militaires et civils dans les mrPierre affecte tout d'abord' Le service rnilitaire de guerle est convcrti lices provinciales mobilisées en Ùemps L'aristocratie naisur, ,"roi"" perpétuel dans les régiments' L'esprit corponaturel. sante est ainsi détachée de son milieu provintatif, qui commençait à se développer dans les centres
C'est la condition tle ces

cadres des régiments et ciaux, est déplacé, transporté clans les une empreinte spécial"' 1," des corps d'armée, où il reçoit séparés des services milisont même tumps, Ies services civils un double office : taires. Les d'uoria'n# remplissaient auparavant l'épée et faisant foncsoldats à ltr fois et magistrats, portant maintenant' Mais la tion de btrreaucrate*' À "hact'n sa tàche Civile ou militaire' la fonction saisit t-,r"he d"oi"nt plus lourde' plus jusqu'à sa le fonctionnaire à quirrze ans et ne le làche de quinze ans' il sera tenu mort. Ce n'est pas tout' Jusqu'à l'âge étudier'' J" ," p.Up"r", à l'"*"'cer convetablement' ll devra Pierre études' f"i à"rout'd"'u un compte sévère de ses "t "" avoir dans sa noblesse une pépinière d'officiers et de chefs veut recruter les cadres de son armée et de de brrreau. Il entend y -Pour remplir ces Caclres , il aura les son adrninistration. desquels le* dt'orianie hommes de basse condition ' r'is-à-vis l\fais cette concession conserveront ainsi leur prééminence' hiérarchique des groupement faite au principe maintenu d'un F-idèle à aussitôt' s'en écarte classes ,à"iul",, le Réformateur déjà dans les tentatives de réune tendance qui s'est accusée il veut t1ue, dans la réformes antérieures à son avèneÛrent' de I'origine des gracles, le coefficient aristocratique 1rïrittt"tt du mérite ' {Jn par''soit batancé par le coeffrcient démocratique et' en deverrant offi.nrt porrrru ,'é1"o"' au grade d.'officier' mais it deviendra aussi d'o'iony'ze' noble' C'est très beau; autonome "i"r, toute distribution c'est, on n'en peut douter, lafin de qu'un enrégimentement plus a n'y cles éléments sociaux' II les cadres d'une hiérar'universel des unités disponibles dans tableau des rangs publié en c:ltie gouuernemennle' L" fnttt"o* du que I'expression et la consécratiou officielle

l72l n'est

LÂ RÉFOB}IE SOCIAI,E.

hgg

régime ainsi établi. Le service du souverain apparaît maintenant divisé en trois départements : armée, État et cour; mais le personnel des desseryants est un. Il esl uniformé_ ment hiérarchisé au moyen de quatorze classes ou degrés de fonctions (tchine), qui se correspondeut d,un dépJrt*_ ment à I'autre, comme les échelons d.'une triple écheile. Un feld-maréchal, dans Ie militaire, un chanceller, dans le civil, figurent côte à côte au sommet; immédiatement autlessous u' général coudoie un conseilrer intinte, et ainsi de suite, jusqu'au porte-étendard et à I,enregis*ateur de collège pareillement accouplés au bas de I'échafaudage. La gradl_ tion hiérarcbique s'étend aux familles : la f'emm" . IJ ""rrg tlu mari; la fille d'un employé dupremier échelon va de pair, tant qu'ellen'est pas mariée, avec Ia femme d'un employé du quatrième. cette classitcation artificielle n'a évidemment rien de commun avec celles qui se sont spontanérnent développées au sein des a'tres sociétés e.ropéennes. peut-étre est-ce cependant la seule qui convienne au pays où elle a pris naissao"". L"r rorscillers d'Ê,tat actuels et les enregish"ateurs de collège inventés par Pierre ne sont au fond, sous un déguisement allemand ou français, qu'une reproduction des s/ouTiryîé rioudi d'Ivan III. clans Ia prenrière périnde de leur existence. Ce groupement spécial est da's I'histoire, dans la tradition; il est peut-étre aussi dans la chair et dans l'âme t{'un peuple qui, a travers les siècles, s'est montré également, mal disposé à la formation soit d'u'e démocratie libre, soit d'u.e forte aristocr.atie. plutôt que de le laisser aller à Ia débardade, pier.r'e l'enr.éginente; il margue à chacun sa place et son emploi, et, ce fli_ sant, comme principe général, il subordonne l'iclée du crroit et de I'intérêt individ.el ou corporurlf à celle clu drort et cle I'intérët c,llectif , à la loi de l'État. un écrivain lui a attribué. à ce prol)os, le nrér'ite d'une ar-ance d'un siècle prise ,u. .o., ternps (l). Je serais tenté de doubrer ra mesure. sa formule (l)
Frr,reror, Leréforme d.e pierre le Grand et

la

loi

pénale, p.

5i.

5oo

L'OEUVRE'

modelne? Reste n'est-elle pas à peu près celle du collectivisme le à savoir *i, ,'*ifir-unt déjà dans la législation d'Ivan IiI' principe constitue un Progrès' En classant d'ailleurs ainsi et numérottrnt ses duorianié ' lui doivent et peuPierre ne les tient pas quittes de ce qu'ils

ventluidonner"rrl"u,qualitédepropliétairesfonciers'Ilen

l'l?"atl.t arrive à inraginer pour eux rrn rôle bizarre d,intendants du au bénéfice de I'État' C'est le sens Propre de I'oukase ièdinonaslédié' 23 mars l714 sur l'hëritage unipersonnel' le

dontonafaitàtortuneloiirrstituantlremajorat.Avantd'aboril est vrai' des moder cette réfbrme, Pierre s'est préoccupé' lui fournir dèles que les législations étrLurgèr'es pouvaient le soin de à Bruce poo, ,n réalisation. Mais, après avoir confié toute une bibliothèque d'ouvrages traitant de I'orclre "e.,.ri, en France et à Venise' des successions pratiqué en Angleterte' du droit revenu finalement aux éléments plus proches

il

en est

etde la coutume locale'

dans le pays' la les deux formes de propriété qui existaient que les principes qui uottchinet(alleu) etle'pomiéstre (ûef)' ainsi I'autre' C'est comme affectaient la transmission de I'une et de unipersonnel associé cela qu'il a imaginé un droit d'hér'érlité ne Pourra laissel sa à Ia liberté testaruentaire' Le duorianîne sera libre de clroisir terre qu'à un seul cle ses enfants' rnais il c'est I'esprit de parmi eux. Ce u'est pas l'esprit du- majorat; foyer domestidu l'autocratie trarspo''ié jusque dans le cercle de toute laçorl' Pierre que. Et c'estautre chose qtre le lla;orat ses nobles' iest sons doute préoc"upj d" I'appauvrissemerrt de des Êor' et a espéré y reurédier en arrêtant le morcellemerrt au point de vtre de tunes. Il s'en est 1lréoccupé, bieli elrtendu' cle l'intérét de l'Etat' Pour' son intérêt personnel, j" t"t'* dire il préienil être servi' pùsser leur vie clarls se le servir "o-.rt" aucune' et llàl-'r almées ou clilrrs ,"' bt""ut'* sans rétribution à Pétersbourg' les cluorfun)é ont par-desstrs le marché des palais Des i"roin d'étre riches' Or, ils sont généralernent ruinés' chez-tles particuRttril,oritch sont récluits à Ûagner leur pirin dans la majc'rdome de liersl un prince Biélosielshi fait olfice

Il a simpleulent fondu

clirns son ouliase



REFORMB

SÔCIALE.

5Ot

d'obscurs parvenus (l). Le législateur a eu aussi en vue la constitution d,un groupe de cadets de famille, tlans lequel il a aperçu une excellente pépinière de recrues pour le co''.rerce àt I'industrie. Les fils de duorianiri,es déshérités ne dérogeront pas en prenant un métier, et, après sept ans de service dans le militaire, dix ans dans le civil et quinze ans dans le comrnerce ou l,industrie, toujours le service! ils pourront devenir acquéreurs de biens fonciers et rentrer ainsi dans la soi-rrisant caste aristocraticlue clont leur déchéance les a fait sortir. Ceux qui ne voudront rien faire ne pourront rien posséder, et ceux qui ne youdront rien apprendre ne pourront même pas se marier ! Fnfln Pierre a espéré améliorer Ia condition des serfs. plus riches, Ies propriétaires seront plus pitoyables. Tout cela est dans son oukase, et même du, ph.***, sur la u gloire des u familles iilustres , gue le législateur s'est proposé"de protéger'. l\fais, au fond, ce n'est pas de tout cela qrr,ifs'est "gipo,r" l:,'. loi est générale, le régirne de I'hériàg" ,rnip"Jro',,r,ol !i s'aPplique à toutes les formes de Ia propriOtO i,nmobilière, rru domaine d'un cultivateur comme à la boutiqrre d,un d"opi"., et Ilierre s'est préoccupé surtout d'a'oir, à Ia ville co,n,'e à la carnp_agne, des répondants pour Ia rentrée intégrale des im_ pôts et I'acquittement des services que l'État d" tous ses "*rg"* su.iets' Les héritiers uniqrres seront res cotrtrnis princïpaut du Tsar, et sa loi est surtout une loi fiscale. Le succès en est nul . l')ix-ssp1 années plus tard, en rappor_ tant la loi, I'impératlice Anne donnera pour raison de sa déci_ sion que les dispositions en sont demeurées inefficaces l la lDasse des propriétaires fclnciers a r.éussi à éluder par des sub_ terfuges la volonté du législateur. Le régime n,a servi qu,à édifier deux fortunes : celre des princes chérérnetief et celre des princes Kantémir (2). Les ugritubl", majorats du type
(2)

maison d'un marchanrl; un prince Viaziemski gère Ie domaine

({) Krnrovrr.cn, Les grandes fortunes, p. BB.

502

L'OEUV

R

E'

en Russie' anglais n'ont eux-mêmes pas réussi à s'acclimater aujourd'hui en' On"n'en compte gtrère plui d'rtne quarantaine core sur toute l'étendue de I'immense empire'

IT

Les paysans.

rurale En dehors des propriétaires fonciers, la population deux groupes de la Ttussie comprenait, à l'avènement de Pierre' au point principaux de paysans, dont la condition présentait' à" oo" politiclue, juridique et économique, des dif'ferences des hommes profbndes , lei KrestioLrid et les Holopy ' La classe i,'6"rs cultirnant la terre et ne participant pas à ce groupernent maitres : tenclait à disparaître. Les Krestianié avaient deux I'Étatetl"o., p"opriétaires; taillables et corvéables d'un côté d'être vendus et de l'autre, asserui, à perpétuité, susceptibles Holopy' du moins avec ou sans la terre par eux cultivée ' Les (une autre les Holopy Kabalnyié, ou paYstrns hypothécaires pleinement catégolie, celle des Polnf i.t Holopy' ou paysans

urruioir, ayant à peu près disparu à cette époque)' ne devaient la terre rien à l'État et ,rttaient attachés aux propriétaires de sorte d'hypopar eux cultivée que par un lien personnel' une et s'éteipersonnes leurs sur consentie kalrala it Cqo" -la d'aucune aliénables grrorrt à la mort du titulaire' Ils n'étaient cette population de vis-à-vis inçorr. La politique de Pierre par à d"rr* fu"", t directement, il intervient en sa faveur "ri et huma' une série de dispositions concues dans un sens libéral néces' de cts aux nitaire t ,rkoses réduisant les ventes de serfs sité absolue et rendant obliSatoire, dans ces cas' I'aliénation la répresdes familles entières I commissaires spéciaux Polrr sion des abus, etc. (l)' L'action indirecte de son Souverne' (t)
Recueif dcs lois,3294',3770' Années

l7l9 et l72L'

I,Â

REFORMU SO(]IALE.

503

ment et de sa législation apparaît tout autre; elle tend invariablement, d'une part, à confondre les cleu-x caté1;ories de pa)'sans et, d'autre part, à resserrer autour de leur cou le nærrd du servase. Au point de vue politique, la fusion serl opir'ée dès I'an.ée 1705, un oukase ayant étendu à Ia catégorie des Holopy I'obligation du service militaire. Au point d""rru" juridique et économique, le recensement général de lTlg et une série d'oulcases publiés de 1720 à 1722 sur la composition des feuilles de recensement, achèveront Ie travail d\rnification. L'irnpôt foncier étant remplacé à cette époque par Ia capitation, il s'est agi pour le souverain de trouoer te plus grand nombre de têtes ou d,àmes imposables. Commeni le, atteindre ? Les propriétaires fonciers, appelés à jouer le rôle d'intendants fiscaux, de percepteurs responsables de I'impôt nouveau, n'orrt pas voulu et n'ont pu répondre que d,es âmes qu'ils avaient en leur possession, dont ils disposàient pleinement. Ils ont cherché rraturellement à en diminuer le nombre sur les feuilles de recensement. Mais l'État a cherché au contraire à. charger ces feuilles. Une lutte s'est en61agée ainsi, dont l"État ne sortira vainqueur qu'en consentant à se faire conrplice de I'asservissement 6énéral et complet de la masse entière des cultivateurs. Tout paysan rece'sé sera considéré comme asservi à perpétuité à son répondant, gui autremenln'en réponclrait pas, et, peu à peu, tous les p*yruo, y pas. seront (l). ce sera I'*uvre de pierre. EIre était complétée d'abor.d par

?aysentt dana la Pensie russe (Rousshaic MysJ), i.gg6.

une autre série d'orrkases, qui avaient pour objet d'trré1er fexode des paysans fuyant les nouvelle, leur con_ dition' cherchant en foule un refuge a,, "igueu.r-de ,l"ta de la frontière, peuplant les contrées limrtrophe de Ia pologne. Ces oukases étaient autant de verrous mis à la prison de I'universel.re servitude' Puis est venue la création d'une nouvelle catégorie rle serfs. Pour faire marcher les usines que Ie Rélbrmateu, s,occrrpait d'installer, les ouvriers manquaient. Où en prendre ? Les (l) Kr'rourcrrvsxt, La capïtation et son infuence ,ur Ia cottditiott des

5OT

L'OEUVRE'

seuls travailleurs corrnus tlarrs le paVs sont les serfs. Le travail libre n'existepas, Ehbien, les usipes auront leurs serfs coû1me

la terre a les siens. Les industriels recevront le droit de recruter par voie d'achat le personnel qui leur est nécessaire (l)'

Pierre n'est pas un souverain inhumain' La création en l70l de soixnnte hospices établis auprès des églises de &foscou (2) le prouve éloquemment. t[ais Ia raison d'État qu'il représente est une loi dure, féroce môme' Pour toutes les grund"rrrc et toutes les gloires qu'elle promet à la Russie' elle réclame une lourde rancon. C'est le Paysan russe qui en Payeta la plus grande partie jusqu'en l86l '

tII
La
bow'qeoisie.

A en croire cl'ailleurs ses apologistes, Pierre ne se serait pas résigné à amoirtdrir ainsi le programme de réformes à lui légué par ses prédécesseurs' en en retranchant la libération Ia a"" tu pop"lation rurale. Il aurait seulement s'bordonné d'une solution àe ce problème à I'accomplissement préalable antre æuvre : I'drnancipation de la classe urbaine' La ville' relevée de sa misère et de son avilissemettt, affranchirait le villrge..le n'ai nulle part, ni clans les actes ni dans les écrits du grand homme, aperçu trace d'une semblable pensée' Il l)ours'esi assurément donné beaucoup de mal pour créer une rendle gcoisie dans les cités naissantes de son empire et ptlur Autonomie Ëette bourgeoisie digne de sa vocation rraturelle. arlurinistratiye et selJ-gouernmenl anglaie, corps de métiers, il a essayé rnaitrises et jurandes françaises, guildes allemandes' Le succès de tout, à la fois et péle-mêle, suivant son habitutle' ([)
Oukase du L8

janviell72L; voy' RtÉr'lrrs' lfos'n', P
"*[9'

I'es paysans en 'Rzssie'

'\los'

cou, [860, p' 257. 1â; P""^ir", La uieille



RÉFORME

SOCIALE,

505

bureancratique.

n'a pas répondu à son attente. Dans I'histoire du développe_ ment progressif des centles industriels et commerciaux de la Iiussie moderne, son règne a fait époque, sans doute mais, I dir.s les résultats obtenus, r'organisatiln tentée de la classe industrielle et marclrarrde n'a été pour rien. Elle n'a donné gue des mécomptes. Les villes se sont développées par I'effet cles succès politiques et des victoires économiques. conquête de ports et établissement de voies de communicatron nou_ velles, qui ont donné à I'industrie et au commerce du pays une impulsion nouvelle. Darrs les provinces baltiques, pi.r." a trouvé une bourgeoisie locare toute faite. aiileurs ir a perdu sa peirre en cherchant à en tirer une du uéant. Je ne crois pas le génie du peuple russe aussi rebelle à I'esprit co"po"atif qu'on I'a prétendu. Il peut y avoir diverses folme* .1" "o.pu_ rations, etl'artel, ce mode nationar et crérn,cratique c|association si répandu en Russie, en est une au fon.l , plus libre, plus confo'ne aussi au prirrcipe i'itial de corrfraterriité, oi.ié iu,r, lcs corporatiorrs de I'Occident par I'esprit despotique rle R.orne. Je crois, ct I'exemple de pierre est pour confirmer rna tbi, à I'impossibilité de créer des forces sociales par la voie des lois ct des règlements. pierre en a usé inutillment une 6ranrle guantité. Il y a mis d'ailleurs, à 6on orclirraire, b"Jrco,,p d'inconséquence. Après avoir esquissé, en l6gg, unvaste plan d'établissenrent mrr'iciPal autonome, cl'ordre social, il a fini, en 1724, par lui substituer une vulgaire magistrature du type

Il

ne. s'est

si les fornres exotigues, imposées du jour au lentlenrairr à la vie industrielle et commerciale de son pays, étaient un vête_ utent à sa ntesure. Il ne s'est pas apercu que ce vêtement s'était usé déjà sur les épaules de re, voisins d,liurope, qrri s'appr.e\taicnt à le jeter bas, et qu'il habillait son monà"."*" de vieilles guenilles. Tout en prétendu't aussi favoriser le développement de I'intlustrie et du commerce, il n'a pas renoncé à la politiqrre fiscale de ses prédécesseurs, qui alnient envi_ sagé principalement dans la population urbaine un élémeur. taillable et corvéable. II n'a fait qu'aggraver ce régime d,ex_

pas préoccullé aussi de lecorrnaitre

506

L'oE,UV RE.

ploitation inconsidérée (l). Enfin, s'il a voulu, ainsi que je I'ai indiqué plus haut, que sa simili-noblesse de duorianié ne dérogeât pas en se livrant aux occupations de la classe bourgeoise, il a admis aussi que I'inscription d'un membre de cette aristo' cratie dans la classe bourgeoise constituât une peine infamante, une flétrissure, et il est difficile de partager I'enthousiasme que cette idée a inspiré à Yoltaire (2). Pierre a été un réformateur social inconscient. C'est sa meilleure excuse. A la ville comme à la campagne, le grand myoPe n'a fait qu'effleurer, en passant et sans y prendre garde, ou heurter en tâtonnant quelques-uns des grands problèmes dont I'intelligence, dans cette sphère, aurait réclamé de lui un regard autrement compréhensif dans un champ visuel autrement étendu. A un point de vue cependant, mais toujours inconsciemment, indirectement aussi, il a accompli dans cette même sphère une æuvre de grande portée. Il a introduit, ou plutôt il a fait rentrer dans I'organisme social un élément dont I'assimilation peut être considérée comme conduisant à une combinaison plus harmonique de toutes ses parties' L'Église avant lui vivait en marge de la société. Avec ses droits et prilrlèges rivaux de ceux de l'État et analogues aux siens, ses biens immenses aclministrés en dehors de toute tutelle Souvernementale, sa clientèle propre de serviteurs, sa juridiction nullement bornée aux affaires ecclésiastiques, elle constituait un État à part. Pierre, nous Ie savons déjà, a changé tout cela. Lui régnant, prêtres et moines rentrent dans le rang. S'il n'en fait pas des citoyens, iI en fait tout au moins des sujets. C'est un commencement. 'l) Drrrrrrxn, L'administration des uillcs en Aussîe, p. L76, 2) Voy. les réflc.rions à ce sujet de Darnaze de Raynrond dats gon Tableau hirtoriquà, géographique, etc., de la.Ëzssre, 1. I, p. [t9' Paris, L812.

CHAPITRE V
L'oEUvnr scououreur.
I' L'industrie. *
relativ.e.

par;ielle-ent le fruit. _ Ifne erreur capitale' Pierre prétend créer ra vie industrielle et commerciare à coups d'oukases. La doctrine nrercantiliste. Le protectionnisme. _ L,indus*ie de l'État. Pierre fabricant de percare. Àirontioo précaire étabris- trouver un tenain des sements créés. Le créateur finit pourtant par fécond, _ L'indusrrie minière. Il. Le - Pierre. "o^ro"r"". - Le monopo;u "o-,r""ginl. Tendances libéraler de de la glerre I'obligent à y -.Les_exigences renoncer. Retour théorique au ribérarisr'e. Maintien, '_dun, ra i"uti.ou'. - arbirraires. Le port de des procédés Saint-péter.boo"g. L", ;";";*l _ f,es routes, Le comme"c" d". caravanes. _ Le rnarché de Ia perse et rle I'Inde. pierre agriculteu' et forestier. rrr. L'écononie.,rrare. aperçu - éconotiqu", d'ordre général.Double obstacle au progrès morar -et d'L"d"e politique..- LY . Les -fnaytcet. i" budget. et la réaliré. _ -ï'*ppn""."u '[6':rjours les exigences de la gue'e. politique de ààsorganisation er, de brigandage. La revision du catlastre, _ Fàcheux résuliats. _ Encore les expédients. l,e tléficit, Retour à des idées plus oaines, Réf,rrne génédes iurpôts. Renrplacernenr de I'iorpôt foncier par-la capitatioi. _ 1119 Maintien partiel dee ancieng enementE. La faillite. -

Causes gui en compromettent

Idées direc*ices.

Leur grande portée et teur consistancc

I
L'indusnte.
a I'avènement de Pierre, I'industrie russe n'existait pour ainsi dire pas, et il n'y avait en Russie gu'un seul grand coûun€rçant: Ie Tsar. Sousle duumvirat de pierre et d'Ivan, une forte récompense était promise à un capitaine de vaisseau francais pour I'introdtrction dans le pays du papier blanc, du vin et de guelques produits encore qui n'tiuraient pas chance d'y arriver autrement. A la même épogue, le premier en date des économistes russesr Possochkof, écrivait un livre son Testament *

-

.508
dans lequel

L'OEUVRE.

il préconisait le mépris de Ia richesse' Vingt années plus tarcl, ce même auteur rêdigera sur du papier blanc T'raité de la pauuretti et de la richesse, dans J,abriqué ett Russ[e un i"q,r"l il s'i'géniera à déco.vrir les moYens d'augmenter la fortune des particuliers corurne celle dc I'L,tat et ttrett|it en lur'ière, nouitS-ith et avantTurgot, la .rrpériorité du travail à la tâche sur le travarl à la journée. Pierre aura fait son
f€uvre.

cette æuvre est considérable. Par la grandeur de I'effort, la multipticité et I'ingéniosité de; moyens ernPloyés, I'encltaînernent logique des idées directrices, en dépit de quelques incon,éq*".""r, elle mérite une place d'honneur dans I'histoire du ganiat ouvrier. Augmenter Ie bien-être des particuliers touten àécuplant les ressources rle l'État, cr'éer sirnultanérnent de ,ro.ru"ilu, sources d'impôt et de nouvelles sources de production; remplacer les importations étrangères par les produits de I'industrie nationale I stimuler I'activité du peuple et son esprit d'initiative I fol'cer les oisiÊs, rtloines, llonnes' mendiants, à prendre place dans les rangs des classes laborieusesl renrédrerÀ l';n,lit'ft."nce ou rnêrne à I'hostilité de I'adrninis' tral.ion vis-i\-vis des forces productiïes, à I'insu{fisance de la justice, au peu rie dér'eloppement du crédit, à I'absence de la .gcrr.ité ptlbliqrre, à I'inexisterrce d'un tie|s état; faire entt'er enfin la Russie dans le mouvement éconornique contetnporain, il a voulu et tenté tout cela. Le srrccès de sou entreprise s'est trouvé en partie comPromis 1tûr une coTncitlence lâcheuse et par une erreur capitale' La coincitlerrce n été la guerre avec ses consétlrrences et ses exigelces naturelles. c'est elle qui, d'adve|saire résolu des rnorropoles, a rerrdu Pien'e créateur de rttonopoles nouveaux, clitruisûnt d'urre main ce que l'autre édifiait. L'erreur a été sa cfoYirnce à la possibilité de cr.éer la vie commerciale et industrielle, de doter cette cr'éature d'organes upprropriés à ses be' soins, de lui donnef des rtruscles et du sang, puis de gouvernef ser n]ouveurents, de la (aire aller rï rlroite et à gauche, colnnre il créait et faisait rnatlæuvrer des régiruents, à coups d'oukases

L'OBTIVRE ÉCONOUtQUn.

509

rire. La guerre veut de I'argent; ce sont les armées permanentes qui ont donné I'essor, en Occident, àla doctrine mercantiliste, et voilà Pierre enrôlé sous le drapea'de colbert, éper,du*rent. La tradition nationale est, il est vrai, avec colbert, elle aussi. Déjà sous Alexis [Iihailovitch, et probabjement plus tôt, Ies d'oits d'entrée étaient payables à Ia clouane moscouite un dut;ats de Flongrie ou thalers hollandais. pie*e maintient, en I'aggravant, ce système, qui s'est perpétué jusqu'à nos jours. Il irrterdit I'exportation des matières précieuses sans se soucier de ce q'e Bodin ou child ont pu écrire sur le danger de cette p.aticlue. Sa's avoir jamais Iu I(lock, Schr,ôder ou Decker, il va au delà de leur sentinrent, jusqu'à défendre à ses sujets d'ac_ ceptel la monnaie du pays en payernent de leurs marchan_ dises (l). Il croit à la balance du commerce et réussit a en avoir une favorable, privilège que sorr empire conservait récenrrnent encore, en commun avec I'Espagne. D'après NIar. perger, aux environs de lT28 la RrrssieBâgneplusierrrs tonnes d'orpar an dans ses échanges âvec l'étranger (g). Il croit aux bienfaits du protectio.nisme. Maître d'un pays q'i de nos jours encore derneure presgue exclusivemerrt, au point de vue clu colùmerce extérieur, un producteur de matières premières, il interclit I'erport.tion de certains proclrrits de cette espèce, Ia laine p.r exernple, et gr'ève les autres d'un droit de sortie presque p.ohibitit'. En atte'ilant qu'il puisse vêtir son armée entière de drap fabriqué da's le pays, il n'en veut pas d'autre pour ses vétements, et e' rend I'ernploi <ll-rligatoi'e pour les Iivrées (3). un F.arrcais du nom de Nfamoron ayant er-utrti a rloscou une fabrique de bas, défense était faite aux \Iosco'ites
si'cl'e i . tuc, t.

et ri coups de bâton. Les cornpagnies marchandes et industlielles sont, en IGgg, une première tentative de ce genre. Les Hollandais s'en effrayent d'abord et finissent Par en

(l)

Recu"il des lois.27gr, 2sgg, B&&i. comp. r'étude de stieila dans ra firt.rI

\'.

,2,

,lf,rscovr.rrsr:rr.H

13) Sorovrrn,

lirrlu.rsr , t. XVI, p. 203.

P. !,;6.

1721,

p. ZLt.

510

!'OEÛVRE.

de s'approvisionner ailleurs. Des industriels protégés par le Tsar hésitant à convertir en chapeaux le feutre par eux fabriqué, un oukase intervenait pour leur donner du courage ; ils ne pourront vendre leur marchandise qu'en portant au marché un certain nombre de couvre-che{.s sortant de leurs ateliers. Cet assaut de sollicitations, d'arguments persuasifs et coercrtifs, d'assistance morale et pécuniaire n'a pas été, à la longue, sans effet. Des usines surgissaient, quelques-unes subventionnées, d'autres exploitées directement par le souverain, d'autres enfin vivant de leurs propres fessources. L'lmpératrice colll-

rnanditait une fabrique de tulle et une {abrique d'amidon à Ekatierinhof. Pierre, bornant d'abord son initiative à la production d'objets irrtér'essant la marine, toile à voiles, salpêtre, s<rufre, cuirs. armes, arrivait avec le temps et un peu malgré lui à en êtenrlre la sphère. Je le vois fabricant de percale à Pétersbourl;, de papier à Dotrclerhof, de clrap un peu partout. Le {nalheur était que ces établissetnettts ne prospéraient grrère. Le Tsar avait beau vendre sa percale à perte, livrant à cinq copecks I'archine d'étoffe, qui lui en coùtait quatorze- II s'obstinait comme toujours; il renchérissait encore, prétendaut introduire eu même temps clans son pays les industries de luxe. La Bussie aruivait à produire des tapisseries de haute et de basse lisse avant de posséder une filature ! Et, toujours, il ne se bornait pas à stimulcr ; il frappait ! En | 7 18, un oultase interdisait I'emploi du suif pour la préparation des crrirs, oit sous peine de con{iscation le goudron devait être employé et de galères ! Mais, en se démenant de la sorte à tort et à travers, voici qu'il rencontrait un champ aisément f'écondable, d'un rendement immédiat, d'une richcsse énorrne, et aussitôt sa fougue, son emportement) sa verve créatrice produisaient des merveilles' Il mettait Ia mairt sur Ies mines. Sous Alexis tléjà, un Flollantlais et un Danois avaient opéré des fouilles dans les environs de Moscou, construit des usines et fabriqué des canons (l)'
(t) S'roncu, t.II, p. &85,
Historisch- statis tisc he Gemald'e

tl.

âussischen' Reiches, Riga, 1797t

r,'oEUvRE ÉcoNolr

r

enn.

5tt

Pierre s'en rnêlant, I'entreprise prendra des proportions grandioses. Il faut le dire, la guerre ici encore irrspire, guicle et pousse Ie créateur. Décidaut par oukase, dès I'année t697, l'établissernent des forges de Vierhotourié et de Tobolsk, il a uliquement en vue ses besoins militaires; il veut des fïsils et des canonsl mais, une fois lancé, il va. il va, et le prodigieux développement actuel de I'industrie minière en Russie est au bout du chemin. C'est par Ia recherche et I'exploitation du fer rlue le souverarn a débuté; un peu plus tard la fièvre de I'or le saisit, comme on pouvait s'y attendre. Et il se passionne davantage, recueilIant tous les indices, quêtant toutes les pistes. Les expéditions multiples gu'il organise, celle de Békovitch-Tcherkaski du côté de la Perse en 1717, celle de Liharef du côtd de la Sibérie en 1719, demeurent, il est vrai, infructueuses. Jusqu'en 1720 une seule mine d'argent a été mise en activité. Mais, chemin f'hisant, on a découvert du cuivre, du fer toujours et en lT22 de la houille; et trente-six fonderies ont été créées dans le gouvernement de l(asan, trente-neuf dans celui de Nloscou. l,'initiative privée le cas isolé de Démidof mis à part resta longtemps paresseuse. Un oukase publié en lTlg clonne des rndications caractéristiques à cet égard; il déclare libres, accessibles à tous la recherche et I'extraction de toute espèce de métaux sur toute espèce de terres. Les propriétaires de terres métalli{rèr'es n'ont qu'un droit de prior.ité. Tant pis pour eux s'ils tardent à s'en prévaloir. Que s'ils s'avisent de cacher Ia présence d'un gisement exploitable ou d'en empêcher I'exploitation, c'est un crime qui sera puni de mort (l). Bn lTpS le législateur fera un pas de plus; il entend rompre définitivement avec le systèrne du monopole industriel de la couronne. Au règlement élaboré par Ie Collège des Manufactures il joint un rnanifeste conviant les particuliers à se substituer à l'État 1>our I'exploitation des établissements de toute nature cr.éés parlui, ofJi'ant des conditions ayantageuses. Et cette somme
(L) âecueil dzs lois,SLilc.

612

L'OEÛVRr.

d'efforts répétésfinit par donner des résultatsl le mouvement créateur de vie se propâ8e' grandit, et I'industrie nationale devient une réalité.

II
Le conunerce.

histoire est aussi à peu près celle du commerce national' tin montant sur le trône, Pierre a eu 5'rande envie de renoncer aux droits régaliens qui faisarent de lui le plus grand et méme Ie seul grand marchand cle son pays. Mais il a dûr subir la loi de la guerre : il est resté marcharrd pour Sagner de I'argent, et, comme il ne fait rien à moitié, il a augmenté le chiffre de ses affuires au point de monopoliser plus entièrement que par le passé, en I'alrsorbant, la totalité du marché intérieur et extérieur. Bn créant de nouvelles branches de trafic, il n'a fait qu'au6menter la liste des monopoles. Acheteur en gros' vencleur en détâil, il débitait à Moscou jusqu'à du vin de Hongrie (1)! A un motnent, absorbé par les soucis de son gouvelnement et déconcerté par I'irrégularité des revenus qu'il est arrivé à tirer tle cetl.e source, il a imaginé de les affermer. Menchikof a pris les pêcheries d'Arhangel, I'huile de foie de morue et les peaux de phoque. Puis, I'espoir d'une paix prochaine dimintrant ses préoccupations firtancières, Ie souverain est revenu à ses i'cinations nat'relles, qui sont libérales. En I7l7 le cornnrerce du blé a été déclaré libre, et en l7 l9 tous les monopoles ont été supprimés. En même temps le Collège de comtnelce, créé clepuis 1715, a commencé à développer une activité féconde, s'occupant entre autres de I'éducation commerciale de la classe marchande, envoyant par douzaines à l'étranger, en Hollande, en ltalie, de jeunes sujets choisis parmi les fils des gros trafiquants de [loscou, dont le nombre augmentait rapiSon

([) Gorixor, t. YI, P' 326'

L'oEuvRE

ÉcoNorrrgue.

sll

dement. La diplonatie du souverain travaillait de son côté I'extension ties rapports internationaux. La guerre alait entrainé précédemrnent sur ce point d'assez fâcheuses compromissions, la vente par exemple en l7l3 à laville de Lubec, de droits et privilèges abusifs, moyennant une somrne de trente et quelques nille écusl des conventions analogues avec Dantzick et Hambourg. A partir de l7l7, pierre $e rnontrera résolu à rompre avec ces err.ements, et dans ies négociations engagées à cette éporlue avec la France il n'en sera plus question, pas plrrs que dans Ies instructions donnée$ aux consuls simultanérnent établis à Toulon, à Lisbonne, à

à

la tentation de régler un peu arbitrairement les des[inées de ces relations naissantes. L'histoire du port de Saint-Pétersbourg en est la preuve.
ainsi que la bataille en règle livrée par )e grand homme aux nrarchands étralgers ou russes qui s'obstinaient à préférer le port d'Arhangel. Quand il eut épuisé les moyens de persuasion pacifique; quand il fut convaincu que ni Ia création d'un vaste gostinnyî duor (bazar), ni celle d'une magistrature spdciale composée en grande partie d'étrangers, ni enfin Ia peine qu'il s'était donnée pour leur pr.ocurer dans sa nouvelle capitale leur produit préfér'é , le chanut'e, à bon compte et en bonne qualité, ne parvenaient pas à les y attirer, il en appela héroiquement â la tradition ancestrale. Il n'opéra pas directement et rnanu militari le transfert des Arhangelais à Pétersbourgr, comrne le grand duc yassili avait fait des Pscoviens à Moscou ; mais il décréta que les prerniers auraient désormais à vendre ou à acheter leur chanvre à Pétersbourg et non ailleurs (l). La mesure produisit les fruits qu'on en pouvait raisonnablement al,terrdre. La nouvelle capitale n'était encore qu'un entrepôt détestable. La canalisation destinée à réunir le \À'olga à la Néva par le lac de Ladoga restait à l'état de
Sroncu, t. VI, p. j.9 et suil.

Londres. Il succombait bien encore à

(1)Tcnourxor', Description historique du commerce russe, t. yI, p. lgg;

5r.!,

L'OE{'V

R

E.

projet. Indisposé par les manvais traitements qu'on lui avait faii subir, Perry, le grand ingénieur anglais chargé cle I'exé' cution des travaux, les avait abandonnés à leur début' Un second canal imaginé par Pierre pour éviter la navigat'ion périlleuse tlu Ladoga, demeurera inachevé jusqu'en 1732' Iln troisième système basé sur I'utilisation des cours d'eau intermédiaires n'aboutissait qu'à enrichir le meunier Serclioukof, qui en avait eu I'idée et qui profitait d'une conccs' sion qu'on s'était trop hâté de lui accorder pour garnir les rivages de la Tsna et de la chlina de moulins et de cabarets qui n'offraient aucun intérêt pour le port de Pêtersbourg' Ainsi les chanvres et les peaux et les autres marchandises, car depuis t7l7 les deux tiers de tous les produits étaient condamnés à s'y acheminer, y arrivaient péniblement, grer'és de frais de transport énormes, et, n'y trouvant pas de preneurs, s'entassaient' se dépréciaient par le fait de I'encombrement et finissaient par Y pourrir, le chanvre surtout. N'importe ! de gré ou de force Pétersbourg deviendra un port de commerce. En l?14, il n'y est venu encore que seize iairr"urr* de provenance étrangère; il en vient déjà cinquante-trois I'année d'après1 cent dix-neuf en L122; cent quatre-vingTs et 1124 (l). Et Pierre aura jeté les bases d'un système de communications fluviales, que ses héritiers jusqu'à catherine II s'emploieront à achever et à perfectionner, et qui, reliant Ie bassin du volga à ceux de la Néva et de la Dvina, c'est-à-dire la Caspienne à la Baltique et à la mer Blanche, de trois cent deux verstes Broupera sur une étendue canalisée d'eau (2). II se fera là un cours soixante-seize lacs et cent six énorme gaspillage de richesses' de travail et même de vres humaines ; mais la force de la Russie et le secret de sa destinée ont toujours consisté en grarrcle paltie dans la \'olonté et dans le pouvoir de ne pas regarder à la dépense en rue d'un résultat à obtenir. Le bon peuple de moujiks enterrés par
(l) Sroncn, t. \" P.27. i2i S"nor.r"*,o, [';En pire des
Tsars, Pans, t856.

t' IV, p' 673'

L'OEUVRE

ECONOMIQUE.

5r5

dizaines de milliers dans les marais finnois payera cette fois-ci encore sans trop rnurmurer. Pierre n'a pas attaché la même importance et n'a même

apporté aucune attention au développement des communications par voie de terre. Il n'a pas construit de routes. C'est encore aujourd'hui un des côtés {àibles de la Russie au point de vue économiqtre, et les chaussées très insuffrsantes qui y
existent sont entièrement I'ceuvre du corps des ingénieurs créé en 1809 seulement. Le grand homme s'est gardé pourtant de négliger le comrnerce des caravanes, tel que ses ancêtres I'ont

pratiqué. II le pratiquait lui-même, achetant sur pied en Hongrie des récoltes de Tokay, dont il faisait transporter le produit à lloscou sur des centaines de chariots, expédiant en retour dans ce même pays des produits sibériens (l) ; et, en donnant à la Baltique et au commerce de I'Occiderrt le meilleur de sa pensée et de son effort, il ne perdait pas de vue, je I'ai montré ailleurs, sa frorrtière du sud-est et les intérêts commerciaux qui y sollicitaient son initiative. II est probable qu'en atteignant Boukhara il eùt fondé, dès cette éfoque, le commerce de I'Inde. Astrahan recevait déjà des caravanes isolées, qui lui apportaient non seulemcnt des étoffes de soie et de coton fabriquées en Bouliharie, mais
€ncore des produits indiens, pierres précieuses, matières cl'or

et d'argent. Du moins Pierre est-il parvenu à s'emparer clu cours de l'Irtich d'abord dont la possession reculait et assurait contre les Kalmouks et les Kirgizs les frontières de la Sibérie, puis des montagnes du Kolyvan, dont les trésors découverts plus tard rendront vraie la fable grecque sur les mines d'or gardées par les gnomes. En se maintenant à Azof, it eùt de même poursuivi et peut-être obtenu le rétablissement tle I'ancienne route commerciale des Vénitiens et des Génois. Rejeté sur la Caspienne, il a tenté, peut-on croire, de déplacer cette route, en l'orientant par Astrahan sur Pétersbourg. Sa 6rande expédition de lT22,lafondation projetée et commencée {l)
Sroncu,

t. V, p.

37

; Gouxor, t. VI, p.

:}26.

5T6

L'OEUVRE.

d'une grande ville d'entrepôt à I'embouchure de la Koura, où cinq mille hommes, Tatars, Tchéremisses et Tchouvaches, travaillaient au moment de sa mort, semblent bien indiquer une pareille pensée. On peut dire qu'il y entrait une part d'hallucination et même de folie, le calcul raisonné des possibilitésn des distances, des frais de transport n'y figurant assurément pour aucune part. Mais en dépit de la hardiesse exagérée des desseins, de I'oubli auquel les rejetaitbientôtl'insouciance des prochains héritiers, un résultat était obtenu : Ia route arnorcée du marché de Perse et du marché de I'Inde fait partie d'un héritage dont la Russie continue, même de nos jouls à , recueillir, à inventorier et à faire valoir I'actif colossal.

III
L'écononie rurale.

Il aurait manqué à cet homrne presque uniyersel d'étre agriculteur. Il l'a été, et même passionnément. Dans I'histoire de l'économie rurale en Russie, son règne fait époque également. Et il ne se contentait pas d'apprendre à ses paysans à planter les pommes de terre, comme fera plus tard Èràderic; à ceux des environs de Moscou il montrait, outil en main, eomment ils devaient s'y prendre pour couper leur blé; ri ceux des environs de Pétersbollrg, commerrt ils devaient co'f'ectionner learc lapti (souliers d'écorce). Il les tenait pour des écoliers dont il était le magister, et il leur interdisait de porter des semelles à 6ros clous, parce gue cela endom-og"iit 1", planchers ; il fixait Ia large.r de la toile grossière qo,il, fubriquaient dans leurs chaumières. Il admirait en France Ie jardin d'un curé de campa6ne, et, sitôt Levenu en Russie, ,e prenoit à gourmander ses popes : comment n'en avaient_ils pas de pareils ? II s'occupait du choix des graines employées pour le, semences, de l'éleva6e des animaux domestiques, du fumage

L'oEnvRE

Éconourous.

51,7

'des champs, de I'emploi d'instruments et de méthodes de culture perfectionnés. [l essavait d'acclimater la vigne dans le pays

des Cosaques du Don et s'appliquait à en développer la culture dans les environs de Derbent, où il faisait planter des ceps persans et hongrois. En 1712, il établissait les premiers haras.

En 1706, il devenait le premier éleveur de moutons dans les Souvernements actuels de Harkof, de Poltava et lékatierinoslaf, qui en sont peuplés aujourd'hui (1). Il a été aussi le premier forestier de son pays. Le premier il s'employa à protéger les surfaces boisées contre les habitudes de destruction inintelligente invétérées parmi ses sujets. Il avait pour cela, il est vrai, des procéclés qu'un rninistre de I'agriculture aurait peine à imiter actuellement, même en Russie: sur les bords de la Néva et le long du golfe de Finlande, de cinq verstes en cinq verstes, des potences étaient dressées à l'intention des déprédtrteurs. Dans I'enceinte même du Pétersbourg actuel , sur l'emplacement occupé aujourd'hui par la douane, une forêt de sapins s'élevait alors ; comme on s'obstinait à y couper du bois, Pierre ordonnait une rafle, conclarnnait le dixième des délinquants arrêtés à être pendus et faisait donner le knoute
aux autres (2).

D'une manière générale, sur Ie terrain de progrès économique, la bonne volonté du Réformateur a rencontré un
double obstacle : d'ordre moral et d'ordre politique. A la date du 13 mars 1716, un ouliase adlessé au Sénat prononçait Ia peine de mort contre les marchands du pays qui, fidèles à une pratique clont leur clientèle anglaise se plaignait depuis longtemps, introduiraient dans les paquets de chanvre de la mat. chandise détériorée ou même des pierres destinées à en au6mcnter le poids (3). La rnoralisation du commerce et de I'iutlustrie nationale n'en est pas moins restée un problème légr:i' aux temps futurs. A la fin clu lc\gne, les éléments d'activité commerciale et industrielle, suscités, tirés presque du nrjant

(l)

Archive russe, 1873, p. 2288.
de

(2) Sonon, Etude àans le Jounr.al (3) Snonxrx, t. XI, p. 308.

l'agriculture, 1.872

518

L'OEUVRE.

par le grand créateur, demeuraient encore à l'état sauvage. Bn lT22,Bestoujef signale de Stockholm I'arrivée dans cette capi. tale de quelques marchands russes venant d'Abo et de Revel : ils ont apporté un peu de toile grossière, des cuillers en bois, des noisettes, et vendent ces produits dans les rues, sur leurs traineaux, en faisant cuire du cacha en plein vent; ils refusent d'obéir aux injonctions de la police, s'enivrent, se querellent, se battent, et offrent le spectacle honteux d'une saleté repoussante

(l).

L'obstacle politique, c'étaient les finances. Dans l,histoire du grand règne, la politique financière fait une tache d'ombre. De toutes les par.ties de l'æuvre de Pierre, c'est celle qui paraît Ie plus directement inspirée, commandée par Ia Buerre, Elle s'en ressent. BIle n'est pas réformatrice tout d'abord, tant s'en faut; elle est presque toujours franchement détestable. Je ne puis qu'en indiquer sommairement les traits.

IV
Les fnances.
Les ressources pécuniaires dont Pierre disposart à son avènement ne peuvent être mises directement en parallèle avec celles des autres États européens. Au rapport de Golikof, elles ne dépassaient pas 1,750,000 roubles (2). Reposant sur urr budget aussi maigre, I'existence matérielle de l'É,tat russe plenclrait, méme à I'intérieur et indépendamment de tout effort déployé extérieurement, I'apparence d'un problème insoluble, si on ne tenait compte des conditions très spéciales dont elle bénéficiait à cette époque. Et d'abord, à part I'entretien de I'armée, cet État n'avait presque aucune charge à supporter. Il ne payait pas ses serviteurs, leurs services lui étant
(1) Sorovrnr, t. XVIII, p. (2) r. XIII, p. 706.
164,

L'oEUvRE

Éconoulqur'

5t9

dus, en éch4nge des privilèges qu'il leur accordait' ou se trouvant indirectement ,ét"ib,tét par le systèrne dt Korntlùtié' ll n'entretenait pas de routes, les routes n'existant pas' Et ainsi de suite. Voici, par exemple, le bud6Jet des dépenses Pour l'anrrée 1710. Il est instructif à cet égard'
Entretien de

I'armée. l de I'artillerie. n de la flotte. ,r des Sarnisons. Frais de recrutement r d'achat d'arrnes. Service de Ia cliplomatie . ' artilieurs)

l

'252 '525

t'

221 79f) 977 896 30'l)00

44!t 288

84 n'r
l/18 '031

Autres dépenses (y cornpris la solde des maitres

675'775

(l)

Avant I'avènernent de Pierre, en l6'19, une grande et très salutaire réforme a été inaugurée dans cette organisation rudimentaire, par la centralisation des reYenus au bureau du Grand Trésor (Prihaze Balchoi Kazn'y), remplacé en 1699 par l'Hôtel d,e uille. Le grand homme n'arrive que Pour défaire ce qui a été fait- Il est trop pressé pour suivre un Progranrme qui ne lui promet des résultats satisfaisants qu'à longue ichéance. Ayant besoin de beaucoup d'argent et tout de suite' il inrite les fils de famille dans I'embarras. au lieu de continuer à centraliser et à anéantir ainsi progressivement les adrninistrations particulières, locales, qui captent et boivent la richesse nationale, il imagine de nouveaux organes cle captation avec ses bureaur fnanciers de la guerre, chargés de recueillir les impôts créés pour la guerre' Au lieu de chercher à augmenter le renclement des sources de revenu qui existent déjà et qui correspondent aux forces productives du pays, il adopte une politique de brigandage financier, imposant au hasard tout ce qui lui paraît imposable, jusqu'aux barbes de ses sujets; faisant saisir chez les menuisiers les ceruteils en chéne, qui, transportés dans les monastèreÈ, Y seront vendus
(l) Brocn, Lesfnances de la
Russie, Varsovie, '188/+,

t' I, p' 20'

520

L'OETJy uE.

se tiennent les marchés, ont prélevées jusqu'à présent sur les marcha'ds' Bn tr|\rt, il nret la rnain s.rr les auberges. En 1705, il s'attribue le monopole de la vente du sel et du tabac. En 1707, il étend le système à toute une série de prod.its comprenant les principaux articles d'exportation. gntre temps, il a mis à I'essai la refo'te de la rno'naie, conseillée par Kotocirihine, mais n'u réussi qu'à s'appauvrrr en dimr_ nuant de près de moitié la valeur du rouble (l). IJne tentative d'exploitation plus judicieuse des fermes de l'État (oùr'otchnyié slari) Par la créatio', en L10L, d'un bureau spécial établi dans Ia maison de Me'chii< ol (chanceilerie d'Iiora), a rnieux réussi, en por.tant les revenus tirés de cette source cle 299,000 à b69,000 roubles; mais les dépenses avant simultanénent augmenté, ia Pé*rr'ie du T.eisor. est restée la mé're. Entre l'Ilôtet de uille et les nouveaux bureaux de recettes, une lutte s'est enga6ée clès le pr-emier moment, en_ tretenant la confusion et le gaspillage. La 6rande réfnrme adrninistratire et financière de lT0g ne fera qu'apporter clans cet état de choses un nou'el élément de trouble et de désordre. c'est la curée des re'enus orga'isée entre les bureaux. En l7ll, le budget du gouvenrernent de Moscou se trouve en déficit : on lui a attrib*é les re'enus àuprikaze de |artillerie, qui n'a aucun revenu en pr.opre, viyant sur les subsides que doivent lui fournir les autres départements ! Disp'tes. récriminations et confirsion a66ravée. Bn 1710, toujours en Buerre et toujours aux abois, pierre se laisse suggérer le projet d'une revision de l'espèce cle carlastre, ou talrlea'cles maisons habitées et des terres cultivées. sur lequel est btrsé Ie prélèvement de I'impôt pnncipal et traclitionnel, vraimerrt'ational. L'opération dorrrr"-rrr, *",rvais résultat : on trouve, depuis 16Tg, date du dernier recenRecueii tles lois, iïgg, Ig77,20ltt,,20Lb, 2122. Conp. Sroncrr, r. V, p. l-3t; Pnnnv, Present State o,f .Rrrsric, p. plrg; Orstnrer,or, t. lV, 2" pnrtie. r"'"'w' p. 6ttL; Snonurx, r. XXXIX, p. B6l; ùf rrràurior, p. 20&. (L)

guatre fois plus clter, au profit cln Trésor. Bn 1700, il s'empare des taxes que les particuliers, propriétai'es cles places où

5z\ sernent, une dimin,rdon, d'un cinquième dans les propr.iétés imposables. Dans Ie l{ord, la jusqu,à perte va 40pour t00. Le rec'utement et la fuite des contribuabres ont produit cet effet. Pierre n'est pas à court d'expédients pour y remédier, et ce_ tui qu'il adopte est sansdoute àarr* t,"rpr.;t d,, puyr, t,"_piol s'en est perpétuéjusqu'à nos jours """ oir'-à--ri, de ce.taines caté_ gories de contribuables : les présents payeront pour les absents, le procluit globar obtenu en l ti7B clevant continuer à être réa. lisé. llais, évidernment, la mesure n,est pas pour arrêter le courirnt d'émigration, et, en fhit, la srtuation s,aggrave. De l-t04 ï rT0g, si les budgets se sont soldés corrrtaïor"rrt déficit apparent, I'excédànt des clépenses "r, a pu toujours être couyert par les religuats des années précédentes :

L,oEUVRE

Éconolrtqun.

t7{t1 /t702 1.70L ,1,705 1706 1707 1708 1709 Recetter...... 2.S6 B.tb Z.7g '.703 2 Lg Z 6L 2 52 2.Lt 2.02 2.76 Dépcnses..... Z.Zi 2.tt7 g.gtt. J.pL. e.in 2.71 2.L5 2.22 2.7{} milliorrs de roubles (l). NIais, en 1710, le cléficit réel appalaît et va natureller
pru

pubricsserireron,i-l:ï:ïLï:;ïJj;

: ï, I fisant à peine aux exigences au îî:1 tJ gu"_u, on prend le parti de les alrl'ccter exc]u

nt â r, é r ra nse r i,:ffii,

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ï::1ffi :ïI

j::.îjï.Ë,*::

occiclental, et, renoncant cléfinitivement aux procédés cle violence et cle pillage, il essayait, d'une part, cl'trugmerrter les ressources clu pays, et

d'un recours à des p"i.r";p*, plus rationnels et à des pratiques plus sages. Bit-"ntôt apr.ès, son sé,iour en France le mettait plus clirecternent en contact avec les doctrines économiques qui cornmencaient à gouvemer le rnonde

et c,est alors se'le'rent qu'un sentiment .1" dét."rr" parait dans I,ârne tle Pierre, e' même temps que I'idée se faii jour dans ,";;rp;;;

elle-méme colnmence à manquer du nécessaire,

i:;:;;:':"iï,i,):,,";;i;,;:Jîï1î:":.h'fr i;*,îir*';:;,1:
([) llrr,rouxor,
ouvra&e cité, p.

2Bj

522

L'OEUV RE'

générale des tion, au point de vue fiscalr pâr une réforme iurpôts, poursuivie de 1718 à 1722' Il est certain Cette réforme a été diversement appréciée' I'impôt cadastral P:".Iu capitation' en subq.r;"o ""*plaçant (poduornyî) ou Par ,tit.rurrt à I'impôt par maison habitée âme d'habitant (poclrarnp labouré (posochrtyt) I'impôt par au système fiscal de douchrryi), elle a contritué à imprimer sorte antil'État russe le caractère artificiel et en quelque Parmi les contemponational qu'il porte encore aujourd'hui' valeur intangible u L'àme' : rai.rs, Po.sochlof s'en indignait
? et inappréciable, peut'elle être imposée

Depuis' l'éloquent la Russie' Ie comte historien des institutions financières de pernicieuse Dimitri TolstoÏ, a exposé avec force I'influence du pays' économique de l'innovation sur là deu"loppement parr.i les hommes d'État russes, seul à peu près le comte des finances' il est vrai' Ctrncrine, un des meilleurs ministres deux siècles' en a gue la Russie ait possédé: u":o""ul:.de et palpables.de Ia tenté I'apologie' Les résultats immécliats rendement de I'unique impôt réforme parlent en sa faveur' Le que doublé' porté instandirect pËr"n par le Tr'ésor a été plus et les.budgets des dernières tanéurent de 1,8 à 4,6 millions' au point de vue des recettes années du règne sont en progrès d'après Golikof' tout au moins. Celui de rrir se balançait' temps' I'esprit nouveau par 9,776,554 roubles' Et, en même introduitdansl'administrationdesfinancesportaitsesfruits: un créclit de 47 '37 I rouau chapitre des dépenses on aper'çoit pour I'enbl". pà" les écoles; un outre de 35'417 roubles réduisait Le progres se tretien des hôpitau* "t *ui'o"s d'asile' il était beaucoup plu* et pourtant ù peu de chose, en somme' apparent que réel' quant aux dépenses' Soit quant aux recettes, d'abord' soit à constituer une sorte de les budgets ainsi établis continuaient et donnait beaucoup trompell'æil. En réalité, l'État recevait et de donner ; ses revenus pius qu'it n'avait l'air de recevoir 'r'uug*"rrtuient d'une foule cle prestations en nature ou même et de fourrages en argent : fburnitures gratuites de vivres

'

r,'oEnvRE

ricor-orrIqûn.

5zB

s,étant plaints de I'insuffisance de Ieur traitement, Ies clercs (pocliat chyté) du buleau secret de la chancellerie du Sénai rece, vaient, à titre d'augmentation, une assignation sur c les lsys" nus de toutes les afTaires étrangères et de toutes les affaires u de strogonof, à I'exception des marcha'dises d,Arban-

Alexis l\liloslavski, en échange d,une dispense de service militaire (t). De même pou" I", dépenses: en lTlB,

princesse Anastasie Galitzine en avait ainsi une, assignée sur

pour I'entretien des troupes err campagne; demi-tonnes de seigle et demi-tonnes d'avoine livréLs par chaque pa),srn pour I'entretien des services civils pensiorrs poorù puy"rn"r.t ; desquelles Ie Trésor se déchargeaii sr," des particuliers.
La

" gel(2),.
Ainsi

se perpétuaient les errements du passé, et Ietrr maintien, concul'remment avec'apprication incorrrprète et r'alatrroite des méthodes nouvelles, faisait obstacre à une assirniratio* plus avantageuse des bienfaits du nouveau régime. L,entretien de -l'armée, qui demeurait la grande affaiie et la grancle charge du Trésor, continuait au*si à être un objet cle cl"irpute entre I'administration des finances réorganisée iant bi"rr'qoe mal depuis 1708 et les bureaux de la guerre qui en désorganisaient Ie fonctionnement, en prétendant imiter q.ri"re "u passait en Suède. Or, en Suède, Itr population nourrissaiitot ituellement la troupe, moyennant des contrats passés ayec le gouvernement, qui.étaient plutôt un profit qu'une charge pour elle. Ici, I'armée et la population Jtaient _ir", fuiu I'une de I'autre comme un créancier et un débiteur, "., l" gorrr""nement n'intervenant gue pour faire valoir Ia créanJe arec tout le poids de son autorité. Le système avait tous les inconvénients d'un billet de logement perpétuel. Bt toujours la grancle cause, I'insuffisance de l,éclucation morale, s'ajoutait aux autres pour vicier, dans leur principe, les plus sages et les plus habills mesures, et en compromettre

(l') un

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Mémoire de campredo-n, rérrigé à saiut-pétersbours en 1224, contient 'h"

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î xv, pl zr' - R;;;J*'

52h

L'OETJVRE.

l,effet.Lavénalitédesemplol.ésclufiscetlafacilitéqu'elle

oflrait aux contribuables pour s'alléger d'une partie de leurs obligations étaient proverbiales' Je lis dans un docurnent d'n1,]ru."""" très sincère : " S'il se trouve quelqu'un des com ce qui serait un prodige " n',irrair", à l'épreuve cles présents, r en Russie, le ge ntilhomrne a un autre erpédient pour le u surprentlt'e r etl ftrisant - penclant le temps de la revue '

" joinclre plusieuls maisons - *epure". et rernises à leur place en quelques heures' parce * rp'elles sont toutes de poutres de bois assemblées et faciles u à transporter' (l). , En tliz,la cLunpagne de perse aidant, le déficit faisait une rétrpparition mennçante. En 1723, un oukase ordonnait de

ensemble, qui peuvent être ensuite

.uloi",' les tlaitements des ernplor-és ci'r'ils et militaires avec tle" ûrarchandises de sibérie, à dé{aut d'autre rnonnaie; après ces quoi, la urême année, un prélèvement était décrété sur du Trésor' nlôrnes traiternentsr Pour parer aux besoins urgents de I'arles employés devant s'arranger porrr rendre une partie rapport au gent qu'on ne leur avait pa" donué (2)' En Ll2/t' marine' du résident saxon' Lefort, on ne paye ni trottpes' nr crie mile monde ni collèges, u ni qui que ce soit, et tout le corps diplomasère (3) u . Au moment de la mort de Pierle' habitant la les étrangers tique se croit en dalrger avec tous bas peuple du des excès étant à craindre cle la part "upi,ul*, n'ont q,ri ,r',"rrrt de faim et même cle la part des soldats' qui leur soltle depuis seize mois (4) ' p,,, ""ç.t ' Irrrlri.é" par les nécessités de la guerle' accolnnodée confinanstamtrent J ses besoi'rs et à ses exigences' la politique règne a fait banqueroute même à I'armée' dtr
cière
(,1)

Srancl

Mëmore tle CuntPtedon'
Rccueil rles lots, &53?,,l+'-t65'

(6r'

t. III. P 389. (4) nape"U" de Caorpreclon clu 6 février
/a\ Saonrtr,

!725' Aff' étr'

de France'

CHAPIl'RB VI L'cnuvnl poLrrIeuE.
l.
L'attministrat;on, L'esprit et la forure. - expédient n'est. en réalité-qu'un fiscal. _-

*pérlientLa décentralisation ai,,inisr.ative. I I-" Sa,rui.-l ;_:i:l: - spontanérlrent et dericnt L rnsrrtutron se déveroppe un orfane ccirtrarisateuf, Absorption d.s pouvoirs. _ i" "onfo.io, et fjnan"t sis1. Les liscaux. _ Leui-inrpopularité. _-L", """"0f" adrninistratif procureurs. _ Vrces - de ces créations. _. généraux Defaui.l;onité et a,Oqoitll"â. * i".-""ff;g"r.,î d'idée 1;é.nérate présidant à t"r" .;;;;;;;;r. _ Nouveaux éléurenrs 1O:*"." pldthore d'org.rnes adrninistratifs de confusion. et inrfigence tl,aclministr.r._ - police. _ La teurs. II. La rZpression du brigandage. _ Le niveau uroral de la société fait olrstacle a s,eu o,ccupe,..;i;;;;,. ": jî:1: ; ;,:ll sons de son insuccr\s. Le réfiirue politiq* çràu."r "*{iilî,,. l,;:il; - cle.l,æur.rJl,,gt.i_;":;;;;bstacle de la loi. _ La conri'uiré "rii. "r;;;;;.r" à l. cotlification. * Absence de principes juridiques aJir"irt.., _ ip""ro général. "t

f,"r-i"J,"i"* huit

L,autonorlie municipale.

_ Elle

fiouvernerrienrs.

tiiï,,::ïîïi

I
L'Adninistration.

reil, avec ses côtés faibles efses points de force, procède au'ssi directement de pierre. C'est le càuronnement de son æuvre. La réforme générale des institutions faisant partie de son

sance humaine que le monde ait connus. fr"hàiq,r" or;ui;1,r" dans sa structure intime et dans son "t esprit, tout à {âit moderrre et européen tlans son.outillage etson aspect extérieur, cetappa_

Au point de yue,du développenent économique, social, intellectuel, la Russie reste aujourd'hui encore en arrièr.e cle ses yoisins et rivaux de I'Europe occidentale; elle est arri\_ée déjà à constituer un des plusiormidables appareils cle puis-

526

L'OEUVRE'

tle sa puissance gouvernement ou des éléments constitutifs Réformateur' du i'est jamais entr'ée, je I'ai dit, dans la pensée toute la durée de Assez longtemps tnérne et presque pendant sont bornés' de se ef'forts lu go"*r"îu No*dr r""o""i' et ses : ioré, à Ia solution d'un problème relativement très restreint "" une {Iotte capable avoir une armée ctrpable de battre le Suédois' de I'argent pour les cle faire figure da,is les mers du Nord et et irréentretenir. Bntre temps seulement' accidentellement à énergie son et gulièrement, il appliquait son attention i"'"*"."i"" des attributions es'e"tielles de sa souveraineté' simultanépouvoir exécutif, judiciaire, législatif' s'employant les faiblesses ment à en moclifier le caractère et à en corriger insuffrsamment et les vices, arr gré d'une inspiration souvent il réfléchie. Il administ|ait et réformait I'administration ; le ju6eait et organisait cles tribunaux; il légiférait' nous savonso son base de la Souveret, tout eu maintenant à clorrnaient "opi"or"*"nt, lui que despotique et nàerrt le principe personnel é6ards' I'architecture ses origines, il en modifrait, à certains je vais essaver de ertérieirre, d'après un dessin nouveau que déterminer. Il n'y faut pas chercher' bien entendu' des contouls très d"* lignes bien précises' Ici' comme ailleurs' le desfermes "tprocède pu" g'""d' coups de qui s'éparpilsinateur -crayon' cet air d'inlent, vont en zigzitg, ".rnec d"* lacunes' des heurts' It n y faut pa" cohérence dont toute son ceuvre participe. L'élimination même chercher un parti pris de transformation' par des formes- noudes formes anci"nnes et leur remplacement æuvre que le récette velles ne sont, la plupart du temps, dans ' préparant la voie sultat d'un travail spontané d" dé"o-position même; et' aux nouvelles structures organiques' les é-roquant pour rien' L'æuvle dans ce tlavail, la volonté cle I'ouvrier n'est vie quitte les anciens or'est le fruit indirect de la guerre' La hors de service par l'abus qui en est fait' et 6une, éprri*és, mis urgents du moafflue à des organes nouveaux que les besoins désagr:g1lt"tt ment ont fait surgir dans le vide' Atrophie' de I'aumoléculaire d',rn àté, développement correspondant

L'OEUVRE

POI,ITIQUE.

527

première en Russie. Apprendre aux citoyens à agir àr, "o_.rrrn pour la défense des intéréts communs, Ieur désa'pprendre l,iso-

efïet est de produire des combinaisons disparates, rn"I urro"ties, se gênant et se blessant mutuellement. anciennes et nouvelles catégories de fonctionnaires et de bureaux administratifs se superposent et se font concurrence. Vêtus, équipés, titrés à I'européenne, les nouveaux coilaborateurs d" nie""", r:inistres, cha'celiers, conseillers, coudoient res okohritchyîé, krarttchyié, postielnrrchyid de Iancien régime. Les emplois d" derniers, dont I'objet principal était de nourrir I'employé, "us 'e doivent disparaître gue par amortissenrent. Les oiuoi 1rriko"r, font face aux offices de création récente : bureaux de la marine, de I'artillerie, des approvisionnements, des mines, et ceux_ci re paraissent et n'entrent en fonction que par à-coups successifs, sous I'incitation brusque d'une nécessité subitemerrt révélée. L'exécution suit immédiatement l'idée, mais est moins vite suivie de dispositions nécessaires à sa mise en pra_ tique régulière. Enfin, et surtout, Ies créations nouvelles n'empruntent guère aux modèles occidentaux que leurlforme. Elles iaissent l:espr;t de côté. Celui-ci contredirait trop I'essence, l'âme de l,o.ganisme politique, qui subsiste et qur, je viens de le dire, guiAu son principe. C'est ce qu'on n'a, généralement, pas assez colnpris I c'est ce qui paraît avec une clarté d'évideoc" dans l'histoire du premier en date des grands actes législatifs du règne : lbukase du 30 janvier I699 décrétant l'organisation des m]rnicipalités. Des historiens habitueilement plus clairvoyants ont voulu y apercevoir. un essai complet d'autonomie administra_ tile dans le style anglars ou allemand, partant une mesure d'érrorme portée politique, éco'omique et sociare. constituées par' .r'oie d'élection, les nouvelles magistratures, Chamb.es provinciales (Ziem.skîé lzby), Chambre des bourgmestres cle 1\[oscou (Bournisn.sÈaia palata)rauraient été destinées, dans la pensée du législateur, à devenir une école de vie publique, 1rr

I\fais la marche du phénomène est capricieuse, et son

tre, çà et là quelques sutures, et voilà une réforme de plus.

p"Àiu"

51E

I''OEUVRE'

la loi du plus fort" lement, qui les a livrés jusqu'ri présent à de la tyrannie des voivodes affranchir marchands et industriels regarder de or"nrs, telle devait être leur æuYre (1)' A y ""ftoi if est irnpo,sible de faire honneur à Pierre d'trn proprËr, un gru-*" aussi vaste' Et je ne sais mème pas sr ce serait. Ordinecl'Alexis' honnenr. Trente ansplus iat,l" collaborateur en effet' d'y tenté' avait Nachtchokine, étantvoïévode à Pskof' municiPal' avec iiiire prévaloir le prirrcipe du self'goae.ntme'1' ville et char6iés q"i"r^" stal'ostes eio' pn" ies bourgeois de la heurté à la difficl'administrer les intérêts communs' Il s'était I'esprit général du culté d'accommoder cette institutiorr avec du pouroir régime régnant, avec le principe.précisénrent dur-ée éphémère (2)' absolu, et son æuvre n'avart eu qu'une fart de cette expérience' et En 1699, Pierre étail' sans cloute au qu'il a il n'avait d'aucune façon I'idée de la renouveler' Ce à I'anglarse ou à l'alvoulu simplement {âire, <;'aété d'habiller (Prikaznyie Izby-) lemande les anciens bureaux administratifs trouvaient chargés d'adqui existaient dans les villes et qui s'y locale ' mais ceus: du ministrer non les intérêts de la population collecteurs d'impôts plus souuerain.Il entendait 'e donn"" des sa {bi générale' un petr naÏve' énergiques et mieux outillés, et extérieure' de lu dans la vertu du vêtement, de I'apparence du régirne autonorne' lbrme, le poussait à cette contlefaçon dans leur or5;anisal'tais, à purt t" principe électoral introduit une notweauté tion (eti'application de ce principe n'était Pas de tout ressemblaient en Russie), les nouvelles magrstratures là que Pour faire ce que point aux anciennes' Elles n'étaient plus durement. Les intéressés ne s'y faisaient les autres de knoute étaient trompaient pas' Les oJ"t"l"' et les coups au scrutin et pour maintenécessaires pour pousser les électeurs ils continir les élus sur leurs sièges' Et quant a:ux aoiévodes' ils avaient coutume à rosser les bourgnrestres comme
nuèrent de rosser leurs Prédécesseurs'

il)

le Grand'p'506' t' lII, p' 260; Bnucxnnn ' Historre de Pierce Pétersb l'895' p' 160 russe' a'oi' is) Dr',o'ne, Etut;:v;";;"1:li'"i';iu '
Ousrrtlll'on,

I,'OEUVRE

POLITIQI]E.

529

cettr: prétendue grande ærvre n'était qu'un expédient fiscal. La création, en 1708, des huitg'ands centres administratifs appelés gouaernenxents eû était un autre, dérivant de la guerre comme tout en dérivait à cette époque. La création de la flotte de voronèje et l'établissement du port d'azof ont donné naissance à un premier centre militaire et financier la conquête ; de I'Ingrie et de la carélie a déterminé la constitution cl'u' premier gouvernement en pal's conquis, confié à Nlenchikof ; la marche de Charles XII, poussée au cæur de laRussie, a rtentralisé les ressources militaires et financrères de la détr-'nse nationale entre les mains des ,o\'éuode.ç de smolensk et de Kief ; Ia répression des mouvernerts insurrectionnels sur les bords du Yolga a produit la circonscription d'Astrahan : autant d'unités administratives nouvelles. autanl, de noyaux pour la nouvelle organisation mise sur pred à la veille de la baiaille de poltava. celle-ci ne faisait que raccorder et comprdter res élénreuts ainsi préparés, en géuéralisant le type d'administration déve_ loppé dans le gouvernement de I'Ingrie d'après les moclèles suédois. Au point de vue territorial, les huit gouvernements correspondaient aussi, en partie, à d'anciennes circonscriptions militaires et financières, créées pour les besoins locaux, là ,rom méme de gou'e'reur n'étant que la traduction du nom .rsse donné aux chefs de ces circonscriptions, Iesuoi'er t odes ovu condrrcteurs de Ia guerre r . En I6g1l déjà, s'adressant au uoïéuod.e ù, !tthangel, Pierre I'appelait en hollandais: u.tVin IIer. Gttbe,ttot. u La réforme dc l Z08 échappe, sur ce point, aux critiques ,1ui Iui ont été fréquemment adressées, relativement à son canrtltère u accidentel et mécanique r . gsns doute, les arrondis,;ements militaires et ûnancrers préexistants, dont elle a adotrté pour une part la division territoriale, avaient u, ",r*-*êor.rs quelque chose d'artificiel et d'trrbitraire; mais Ihistoire russe n'a pas ctéé d,e prouizces, dans le sens européen du mot, eorrrportant I'idée d'une unité organique. pierce a soudé son æuïre à ce qu'il a trouvé d'organisé tant bien que mal sur le sol mouvant de la patrie. Cette æuvre appelle d'autres reproches, mieux justifiés.
zb

i130
Dans sa conception,

L'OEIIVRE'

tout d'abord' elle a été' je viens-de le qu'un artifice'de clire, moins un instrument de Souvernement résolu des nouvelles trésorerie' En se déclarant l'ùt'ersaire le ministre temporaire des finances dont la défense des prin"tr"""r"r;ptions, Pierre s'est pourvu, Kourbatof' prenait mettaient en cÇ;t régutiàrs de son a<lministration qu'elles admirristrative avec échec. Il tenait pour la centralisation le souverain avait son i'Hôtel de ville comme centre' Mais ville' les revenus ne pouvaient idée : centrtrlisés à I'Hôtel de aux besoins des divers services pumanquer d'y être attlibués représentation ; or il s'était mis blics qui y auraient aussi leur grosse partie pour pré"ii*Ënt en tête d'en détourner Ia plus
uniqrres : I'entretien de la guerre' un besorn et pour uu service

l'Ét"t qu.1 la1'1"":: lsolés, sans autre lien direct "u"" 1t ll les ainsi, les gouvernements I'y aideratellt' .rlrrs maniables r--' avec-le lt:q""*-" i imagirtOs pour cela' Pour cela il a rompu siècle' qui a fait I'unité du pays' dix'septième du centralisateur les avtntages beau prôner devant ses collaborateurs

:l:i'

Et il avait

accessoires

: facilité qu'il prétendait retirel de cette rupture des impôts' La vérité. est de contrôle, perception plus aisée mais en chef militaire' II suivait qu'il agissait ,,oo "i poliiique' il p""rot.,"lles : voyageatt sans cesse' aussi ses "orr.o"ru*"i, gouvernemetlol' :" ,r;nf"."""uit pas la néàssité d'un centre à sa suite' Quant à celui-ci " {inllea't avec ceux de I'auto;;To, il admettait que

concilier les ata"tales de la centralisation savant' en 1708 surtout' pour y nomie locale, il était trop peu les mà-e pas toutd'abord à bien définir songer' tt ,ru 'ong""it ainsi établis' Pour comattributions des organes administratifs répartir territoires et villes entre rnencer'' il se conie"tait de guoi' s.e laissant reprendre par les huits goorr"r""*"nts; après avait I'air de les oublier; il ses préoccuputio"' b"lliqoei'es''il ses dans les camps' la plupart de retenait même uop'a' d" toi' Au généraux' aussi ses nouveaux gouo"'l"t"s, gui étaient qui la fonte des neiges printemps de lzog '"oI"*"tt' pendant de leur remettre les lui donnait ttt p"o-a" repit' ii s'avisait leur recommandant en même états de leurs circon'"'ipiioo"

L'OEUVRE

POLITIQUE.

5ET

faire ce qui les concernait, ni même ce qu'ils avaient à faire au juste, et malheuleusement le souverain pris à partie, inter_ rogé en des monceaux de correspondance officielle, n'était guère en mesure de Ies renseigner. Comment, pour commencer, faire sortir I'administration des finances des bureaux de I'Hôtel de ville, ou elle était, et Ia faire arriver aux bureaux des gouvernements, ou elle devait être? Eux et lui n'en savaient rien. on était obligé d'appeler Kourbatof lui-même en consurtation. comment ensuite concirier les fonctions administratives des gouverneurs avec leur présence permanente à la tête des corps d'armée qu'ils commandaient? On se tirait d,affaire en leur adjoignant des remplacants, sous le nom d.e Landricltters. Comment enfin faire comprendre à ces administrateurs que leur rôle principal était celui de pourvoyeurs de la ""irr" militaire? La contradiction entre le but apparent de la nouvelle organisation et son but réel se révélait ainsi et provoquait, des le début, un conflit aigu. pierre'e pensant qu'à souiirer d.el'argent aux administrations provinciales, et celres-ci croyant devoir défendre les intérêts généraux de reurs adrninistrés, une lutte s'engageait, comme entre mauvais débiteur et créancier exigeant. De part et d'autre, on jouait au plus fin; on usait de subterfuges, ici pour accaparer les disponibilités, là pour les dérober. Pierre avait le dernier mot, bien entendu, url """oorant finalement à ses procédés familiers : un oukase du 6 juin l7l2 retirait simplement au gouvernement de pétersbourg et attribuait à I'amirauté les revenus d'un certain nombre de localités ; le même jour, une somme de dix mille roubles était, prélevée arbitrairement dans Ia caisse cle ce gouvernement pour le pavement d'un arriéré de solde drf aux Francais et Hongrois servant dans l,armée. Et I'expédient

temps de u surveiller de près la rentrée des impôts et tous les intérêts de l'État , . C'était tout ce qu'il leur apprenait de leurs nouveaux devoirs. Bux-mê*rcs, on le devine, avaient des idées peu développées à cet égard, ne sachant en réalité comment s'y prendr"-pou"

53'

L'OEUVRE.

paraissait si bon qu'il se généralisait;

â partir, surtout, de la

traûslation du sénat à Pétersbourg, la caisse locale devient ût en-cas constamrnent mis à contribution. Quant à se conformerautableau des recettes et des dépenses dressé en lTll' personne n'y songe. C'est le chaos absolu' Ajoutons que Pierre a eu I'itlée' en imitantce qu'on lui a dit âtre pratiqué en Suède, cle répartir entre les Bouvelnements I'entretien de ses régiments; ceux-ci farsant constamment campagne, des commissaires délé6ués par les Souverrlements respectifs étaient chargés de pourvoir à leur nourriture et à leur équipement, et voilà un rouage nouveau' et lne complicatioo J" plot dans un mécanisme déjà fort embarrassé.

En définitive, le résultat le plus rmmédiatement sensible de la réforme est la constitution de grasses prébendes, que les favoris du souverain se disputent, dont ils font trafic et dont s'inla possession, chèrernent payée, engage les titulaires à delrriser sur le compte de leurs administrés. S'ilssontdénoncés, ce qui arrive rarentent, car les trafiquants font bonne la manière garde, ils se tirent d'af{aire en ollrant au maitre, à adopté Le système irrrqo", une prime sur leurs déprédations' par Pierre tend, d'ailleurs, à faire de ses Souverneurs une Lanière de fermiers généraux ayant latitude à peu près doientière pour se procurer les ressources sul lesquelles ils vent préiever l'énorme contribution de guerre qu'on réclame d'".r*. Mal conçue et plus mal encore mise en train' la notr' velle organisation ne commencera à revêtir une apparence décente, régulière et systématique, que vers la fin du règne' en profitant alors des bienfaits de la paix et en prenant contact-, dans les provinces baltiques définitivement conquises' (11' avec le système militaire et administratif de la Suède La création du Sénat en lTll est un autre grand pas dans admiIa voie rle l'élimination pro6ressive des anciens or8ûnes nistratifs ou de leur assimilation extérieure au type occidenlL) Yoir pour toute cette partie le tableau si remarquable'.quoique un trop poussé'"n noir. tle M' Milioukof, ouvrage cité, p' 291 et suiv'
Peu

L'OEUVRE

POL|TIoI'E.

533

tal. C'est à tort pourtant qu'on a loué Pierre d'avorr remplacé par la nouvelle assemblée I'ancien Conseil des Boiars, ou Boîarskaia Douma. Si on ne sait rien, en effet, de l'époque à laquelle cc débris suranné du vieil État moscovite a disparLr, on est certain qu'en lTtl il n'existait plus. Il était remplacé déjà, depuis 1700 tout au moins, parle Conseil des ministres, se réunissant dans la Chancellerie intime (Btzjnaia Kantsélaria) et confondu souvent avec elle. Pierre a soustrait, toutefois, dès Ia première heure à Ia compétence de ce conseil et s'est réservé à lui-même un département très important : I'exploitation de tout un ensemble de droits régaliens, qu'il a entendu diriger suivant des vues très personnelles, avec le concours de fonctionnaires spéciaux, les prybytchtchilei. Lu moment de son départ pour la carnpagne du pruth, il ne sait que faire de cette administration, qui a pris un développement considérable, et Ie Sénat n'a tout d'abord pour mission que de I'en décharger. Ce n'est encore qu'un expédient de guerre. L'oukase qui appelle la nouvelle institution à la vre est publié le méme jour que la déclaration de la guerre à la Turquie, et, tout en empruntant à Ia Suède ou à la pologne I'idée générale et le nom de sa création, le créateur la revét ainsi d'un caractère original. Assurément il est loin de prévoir le rôle, autrement important, qu'elle jouera plus
tard. Ce rôle sera, tout naturellement d ailleurs, de suppléer à I'absence des institutions centrales que le travail de décomposition signalé plus haut aura fait disparaitre. La réforme de 1708-1710 n'a rien imaginé pour concilier Ia nouvelle organi sation provinciale avec I'ancienne administration centrarisde à Moscoul elle a contribué seulement à détruire celle-ci. La chancellerie intime est devenue ainsi le seul pouvoir centralisateur et se montre notoirement incapable de suffire à sa tâche. Mais c'est en 1714 seulement que l'on découvre, au sein d.e ta nouvelle assemblée, une commission permanente, chargée apparemment de remédier à cette insufÊsance par I'expédition de celtaines affaires courantes. De l7l I à l7lg. les attribu-

53h

L'oEUVRE'

tions respectives des deux organes, Chancellerie et Sénat, restaient indécises. Ne sachant auquel des deux s'adresser avec leurs rapports ou leurs demandes, les autres pouvoirs publics se tiraient généralement d'affaire en s'abstenant. Les attributions du Sénat n'arrivent à être définies que Peu à peu, à coups d'oukases, qui d'année en année, et quelquefois de mois en mois, les déterminent en les augmentant continuellement. Blles finissent, avant la création des collèges surtout, à s'étendre sur la totalité de I'action gouvernementale : administration proprement dite, justice, police, Iinances, armée, commerce, politique extérieure. Le sénat prend soin des fournitures pour les troupes en campagne; de la vente des marchandises au compte de l'État; de la construction des canailxl du nettoyage des rues à saint-Pétersbourg. Jusqu'à l'établissement du saint synode, et même après, il intervient dans les a{Taires ecclésiastiques. En 1122, 1l poursuit en Pologne une négociation ayant pour objet d'y faire prévaloir I'influence ,,rrr". Il juge enfin, en dernier ressort, au civil et au criminel (l). En 1724' ordonnant que les oukases rendus par I'Assemblée soient imprimés corcurremment avec les siens, Pierre consacrera seulement un pouvoir législatif qu'il lui a reconnu depuis quelques années déjà. It a fait ainsi bon marché'du p*i""ip" de la séparation des pouvoirs, et en somme il n'a âoorre d'européen à son Sénat que le nom. Mais il s'en est excusé vis-à-vis de lui-même par cette considération que tout cela n'est que provisoire. On verra plus tard à arranger les
choses plus régulièrement.

En attendant, les sénateurs 'c ont tout entre les mains I ' C'est I'expression dont le Tsar se sert lui-même' Mais aussi ne les tient-il pas quittes facilement de la besogne et de la respon-

sabilité dont il les a chargés. Ayant beaucoup donné, il exige beaucoup. Reproches, réprimandes' rnenaces pleuvent sur les malheureux délégués de I'autorité souveraine. Il leur écrit : a Ce que vous avez fait là, c'est pour rire, ou Parce que vous

(l)

Ptrnovsxr, Le Sénat

sous

Pierre le Grand, Moscou, L875' p' 92L-298'

L'OEUVRE POLITIOUE.

535

t ayez reçu des uziaùi (pots-de-vin) ; nrais je vous ferai n venir ici (en Ingrie), et vous serez interrogés cl'une autre a manière (l). , Et malheureusement les reproches n'étaient
souvent que trop justifiés. Le résident hollandais de Bie écrrt

rle son côté en novembre l7llt: u Le plus gland rnconvérrient est que toutes les affaires sont renvoyées au Sénat, qui rre décide rien. " Dès la première heure Pierre a jugé nécessaire de compléter sa création par un organe de contrôle. Il a comrnencé par faire assister aux séances de la nouvelle assemblée des officiers d'état-major, chargés à tour de rôle de surveiller ses délibérations ! Puis il a mis sur pied les fscaur. hfais cette fois encore il n'a emprunté à la Suède qu'un nom I la chose qu'il a nise dessous est d'essence tout à fait locale : ayec les connôleurs suédois la politique inquisitoriale du Tsar a fait des espions, au pire sens du mot. Jusqu'en l7l4 nulle dénonciation, fùtelle reconnue fausse et calomnieuse, n'entrainait pour le fscal aucune responsabilité, et il partageait avec le 'frésor Ie produit des amendes qu'il faisait infliger. La voix audacieuse d'Étienne lavolski, tonnant err l7l2 dans la cathédrale de I'Assomption contre I'odieux abus de pouvoir qui se pratiquait ainsi, était nécessaire pour en amener une atténuation tardive. L'oukase du l7 mars l7l4 rendit du moins punissables à I'arenir leg erreurs uolontaires des agents. Un Oher-fscal, ov. contrôleur en chef, était attaché au Sénat. Sa fonction, remplacée en 1722 par celle du procureur général, constituait un progrès réel, en ce qu'elle avait pour effet de raccorder des autorités qui longtemps s'étaient exercées sans aucun lien intime entre elles : le Tsar, le Sénat et les divers pouvoirs exécutifs. Le procureur général, correspondant avec ces derniers par l'intermédiaire des procureurs placés sous ses ot'dres et faisant lui-même I'office d'intermédinire entre le Tsar et le Sénat, sen'it de trait d'union. Pierre asnas doute plis modèle surl'Ombutsman suéd.ois, délégué du (l)
Oukase au Sénat de septernbre

17i1. Archives du ilinistère de Iajustice.

5A6

I,'OEUVRE

siège dans Bouvernement à la Justice' N'ayant pourtant pas de se rapprochait en chef son contr'ôleur la haute assemblée, davtrntage du procureur général français de l'époque, attaché au Parlement. Comme lui, il intervenait d'une manière active tlans I'exercice des attributions qu'il était appelé à surveillerIl avait droit cl'initiative, même législative. Il avait un substitut, qui portait le nom d'Ober-Procouror. Iagoujinski fut le

premier titulaire du poste. Les procureurs, attachés pareillement aux divers pouvoirs comme agrents de contrôle, remplaçèrent aussi avec avantage les fscaur, dont les fonctions s'étaient exercées au dehors, avec un air déplaisant de police secrète' J usqu'en I 7 I I , le Sénat reste en Russie une création bâtarde, mal équilibrée' Il ne préside pas' comme en Suède, au fonctionnement des olganes adrninistratifs, parce que ces organes n'existent pas; il n'est pas constrtué comme là-bas par la réunion des présidents de Collèges, parce qu'il n'y a pas de
ColLèges.

Pierre a apprécié de bonne heure les avantages de la forme collé6iale; il s'enest fait rnême une idée exagérée' Leibnitz lur en vantantle mécanisme, usembiable à celui d'une horloge ', il aurait bien voulu devenir horloger; mars les rouages lui nranquaient. Les anciens Prileazes n'étaient plus que des roues édentées. On ne saitau juste comlnent etquand I'idée de remplacer ces bureaux par des Collèges, précisément, a germé et s'est développée dans son esprit' Il a obéi vraisemblablement sur ce point à une série de suggestions : en 1698 déjà, pendant son séjour en Angleterre, Francis Lee lui présentait, sur sa demande, un plan de gouvernement avec sept Comités ou Collè,7es (l). En 1702, Patkul I'entretenait, dans un mémoire, de l'organisation d'un Gehetmes Kriegs Collegiurn (2)' Bn l7 ll, I'ingénieur saxoû Blùer lui recommandait l'établissement d'un Cotlège des lllines (3) . I\[ais, à ce moment encore, la pen-

(l\

(3) Mruouxor, P. 567.

iZ\ É"/tt d

Proposals qtuen to Peter the Great,'Londres, L752' ciorrespo,rdance de Pierre le Grand, t. II, p' 39-50'

L'OEUYRE
sée

POLITIQUE.

537

du Réformateur demeurait attachée à la destruction incon' sidérée de toutes le-c institutions centralisatrices. En Ii l2 seulement, le mémoire d'un anonyme exposant I'utilité cl'un Collège de Commerce provoquait un revirement dans cette pensée que nous savons si mobile. Avec sa promptitude de décision habituelle, le souverain faisait à ce mémoire une réponse inattendue : c'était I'ouliase nominal du l2 février t712, décrétant la création du Collège en question. Il est vrai que, cette fois, la décision n'était qu'intentionnelle. Jusqu'en 1715, on n'en entendait plus parler. A cette époque' brusquement encore, lir nouvelle institution, qu'on avait essayé d'abord d'organiser à Moscou, réapparaissait à Pétersbourg. Elle avait même déjà un directeur, en la personne de P.-M' Apraxine; mais c'est à peu près tout ce qu'elle possédait. En même temps, pour Ia prenière fois, Ia preuve se laisse voir, dans les cahiers de notes de Pierre, que I'idée le préoccupe et lui est devenue familière. Elle restait encore bien confuse, flottant entre un Bureau (priharc) des mines, w Tribunal attaché au Sénat, qui serait un collège de justice, et un Collège de commerce. Nlais un peu plus tard une note autographe évoque déjà un ensemble organique de six Collèges dans le style suédois (l). Henri Fick, qui se trouvait à ce tnornent au service du Tsar, n'y était sans doute pas étranger. Le premier projet détâillé se rapportant à la matière est peut-être de lui (Z). Ficli allait rnérne en Suède, en décembre I 7 | 5, pour étudier sur place I'organisirtion à copier; mais deux années se Passaient encore sans que rien fùt fait. Pierre voyageait. A la fin de 1712, il recevait, par I'entremise de Boetticher, son résident à Hambourg, les Reflerions iiber des Russisclten Reiches Staats-OEcononie du baron Christian de Luberas, dont Ie fils était employé en Russie, et aussitôt Luberas, â son tour, était chargé de rédiger le projet cléfinitif. De cette manière, ici comme ailleurs, aucune idée générale n'a servi de point de départ ir la réforme en préparation, et les
(L) Snonnrx, t. XI, p. 285, 286. (2) Publié par PrÉxlHstrr dans son Hist. tle I'Ac,rtlëntie
des sciences,

t. I, p' 23.

53E

L'OEUVRE.

aperçus partiels dont elle a procédé sont d'origine étrangère. On s'est mis en route sans trop savoir où I'on allait, et on a élargi son ltorizan, chemin lâisant. La vie pose des problèmes; on charge des étrangers d'en chercher Ia solution; ils élaborent des pl'ojets; Pier.re excelle à en saisir au vol et à en déga6er les traits essentiels; puis c'est le tour de ses collaborateurs russes d'intervenir', en accommodant pratiqueruent ces traits au milieu local. Là-dessus un oukase intervientl trop tôt encore la plupart du tenrps. La nrise en pratique fait dé-

couvrir les défauts de la conception, et Pierre montre toujours beaucoup de sagacité, beaucoup de sincénté aussi à les reconnaitre. On en est quitte pour défaire ce qu'on a fait et pour recommencer sur de nouveaux frais. C'est pourquoi, en dépit de tous Ies oukases, les Collèges seront elrcore, en 1717, à l'état de préparation. On se bornait, cette année, à en déterminer Ie nombre et la qualité, et à en nomrner les présidents. Après quoi une absence prolongée du souverain arrêtait le progrès de l'æuvre. Si Golilio{' (\/[, û5) et Pierre lui-méme dans son Journal font mention àes Collèges comme d'une organisation fonctionnant déjà à cette époque, c'est en parlant des Chancelleries de la guerre, de I'amirauté et. des affaires étrangères, qui déjà ont pris ce nom dans le langage coulant (t). i\Iais la Kamer-Kollegia, ou trésorerie, n'est mise sur pied sérieusement qu'en 1122; les autres Collèges ne font qu'ébaucber leur organisation de 1720 à I7gl. Et pierre luimême restait à peu près étranger à ce travail. En l?22 seulement il s'en mêlait avec quelque détail à propos dv Collège de I'amù'auté, dont il prétendait rédiger persourellernent le règlement. On s'apercevait alors, et qu'il ignorait absolument tout ce qui avait été fait, et que ses idées, suf ce point, demeu_ raient très rudimentaires, puér'iles presque. Le ll mai lTZ2, il rendait un oukase ordonnant la rédaction pour tous les Collèges de règlements copiés sur celui de l'arnirauté. On se bornerait à changer les noms là où, cela parattrait ttécessaire (2\.
(r) \Irr.rotlror, p. 589,
lo\ Recuetl des /ois, no 4008

L OEUVRE POLITIQI'E.

539

Or non seulement les autres collèges avaient déjà leurs règle' ments rédigés, mais le seul d'entre eux, le * collè6e des biens patrimoniaux u (Vottchinnaia Kollegia), qui s'avisait de prendre la volonté du souverain à la lettre, amivait, en I'appliquant, à des coq-à-l'âne risibles. Les résultats de la réforrne ne se sont fait jour que très partiellement du vivant de Pierre. tl en était un irnmédiatement bienfaisant; je veux dire la restauration d.e l'unité de la Trésorerie, que la ruine de la centralisation administrative avait fait disparaitre depuis la création des gouvelnernents. Le rétablissement de l'équilibre buclgétaire, ruiné depuis 1104, suivait de près. Encore ce bienfait était-il aussitôt cornpromis par un prompt retour, dans la pratique des choses, à la tradition nationale qui répugnait, sur ce point, à I'adoption des méthodes de I'Occident. Après avoir genéralisé en principe, on se remettait à spécialiser recettes et dépenses, appliquant telle source de revenu à telle clépense particulière. Et le désordre s'étendait à l'administration. Après avoir subordonné les Collèges au Sénat, on faisait exception pour trois d'entle eux, ceux de la guerre, de la marine et des affaires étrangères, qui recevaient le privilège de correspondre directernent avec le souverain, se plaçant ainsi hiérarchiquement au-dessus de la haute Assemblée. Et la décentralisation r'éapparaissait avec I'indiscipline et le chaos. Ce n'est pas tout, I'organisation des Collèges étaitcornprlétée par I'adjonction desprouinces f.nancières suédoises. C'était parf'ait; seulement ces provinces se trouvaient {àire double emploi avec les gouuerrtements, qui étaient cléjà des circonscriptions à la fois financières et administratives, et qui subsistaient. Les Collèges eux-mêmes faisaient à beaucoup d'égards double emploi avec le Sénat. Il y avait pléthore de rouages maintenant. et en même temps il y avait disette d'hommes pour les farre marcher. Pour garnir lesbureaux multipliés à plaisir, on était réduit à thire état des prisonniers suédois (l)! On s'était in-

(l)

Recuèil des lois, n" 310I.

5&0

L'OEUVRE.

le prince Michel Vlaclirnirovitch Dolgorouki, ne savait
écrire

stallé avec trop de luxe. On avait bâti des palais !lur, comme les maisons de la nouvelle capitale, menacaient, de demeurer vides. On était en peine même pour trouver un nombre suffisant de sénateurs ii figure décente. Un des premiers nommés,

Tous n'avaient aucune expérience des affaires, aucur)e idée nême du véritable objet de leur mandat, aucun souci de le remplir, et la plupart aucune honnêteté. Dirns les Collèges ils perdaient leur temps * s'ss1 un oukase de pierre qui le dit à bavarder ou à s'injulier ( comme les femmes - aux étalages u. Au Sénat, un u qui vendent prince volkonski, un directeur cle la hlonnaie, Apoulrtine, étaient convaincus, en 1715, de concussion et subissaient Ia peine du knoute et du percement de Ia lan6ue avec un fer rouge (g). Et le châtiment infli6é au fonctionnaire indigne n'emportait même pas géuéralement sa mise hors cadre. On eùt été trop embarrassé pour le rernplacer.. En ITZB, Skorniakof-pissaref Jrerdait sa charge de procureur général, ses titres et ses biens; mais, dé6radé au rans de simple soldat, il recevait commission pour la surveillance des travaux du canal de Ladoga. Àinsr qu'trne trrmée, Pierre est arrivé à posséder une administration équipée à I'européenne. Il a trouvé plus facilement des soldats cJue des administrateurs. En empruntant à I'Burope la forme du Collège, le Réfornrateur n'a pas réussi, ni même cherché à en assimiler simultanérnent I'esprit vivifiant, le principe du travail en commun, du partage des responsabilités, o fruit trop exotique pour étre acclimaté en Russie , , a dit récemment encore un écrivain du pays (B) . II n'a fait clue fonder une nouvelle bureauclatie.
(r) Pnrnovsxr, p.50.
{3) I)épèche de rle Bie aux Etats généraux, 26 avril Ihltouror, ouvr. cité, p. 565.

(l)!

pas

t7{5. Archives ile la Haye.

L'OEUVItË, POLTTIQUE.

5tt

II
La police.

Le fond moral sur lequel I'architecte a eu à asseoir

son

æuvre est entré pour une grande par.t dans les vices clui y paraissent. Comme son administration, la police du gr.and homme s'en est ressentie. Le 6r'arrd objet de celle-ci a été la répression tlu brigandage, cette plaie sociale que la grossièreté des n(Eurs) le penchant national à la vie nornade, les troubles politiques du seizièure et du dix-septième siècle ont entletenue et avivée. Or, le souverain avait beau y appliquer des cautérisations au fer rouge; toutes les classes de la société errtlaient sur ce point en lutte avec lui. Bn l6gb, un prince Ouhtomski et deux frères Chérémétief étaient pris, pillant en plein jour une maison de Moscou et massacrant les habrtants (l). tes prédécesseurs de Pierre avaient contribué à augmenter Ie mal en hésitant entre deux méthodes de guérison, tour à tour employées : I'ertrême rigueur et I'ertréme clémence. Les o{Tres de pardon, les prières ménre avaient été mises ir I'essai. Il n'était plus question d'hésitation mainterrant, et l'on devine de quel côté se portait le choix du rnaitle. Urr oukase recommandait de couper le nez iusqu'à /'os aux I-rrigands que I'on jugerait à propos de ne pas pendre; urais un autre ordonnait de pendre sur-le-chanp et sans exception tous ceux sur lesquels on mettrait la main. L'eft-et du remède était désastreux. De I'avis de Possochkof, de l'aveu de pier.r.e luimême, le nombre des réfractaires augmentait. teci était la conséquence du régime général, trop clur, trop exigeant. Ilrigands et Cosaques révoltés n'étaient pour la plupart que cles insurgés. Il y avait des artels de malfaiteurs, comlne ailleurs
(f.) Jnr.raror'.rsxt, p.
19, L2.

5b2

I,'OEUVRN.

A Saint-Pétersbourg, les règlements de la police étaient abondants, minutieux et excessifsl dans un pays ou, depuis des siècles, la mendicité constituait un élément régulier de vie sociale, ils frappaient I'aumône d'une amende et appliquaient la peine du knoute ou des travaux forcés au simple fait de tendre la main dans la rue ! En
des clubs de révolutionnaires.

l7 19, on comptait tous Ies jours cinq ou six personnes fouettées pour cette raison (l). C'est une preuve suffisante que Ia mesure restait sans effet. Également impuissantes étaient celles que la police prenait pour restreindre les incendies, cette autre plaie locale. A Moscou en 1712, les flammes détruisaient en un jour 9 monastères, 86 églises, 35 hospices, 32 bâtiments publics, 4,000 maisons privées, et faisaient 136 victimes (2). La société avait peine à se dégager de l'état sauvage, et le concours prêté à I'administration et à la police par la justice n'était pas fait pour hôter I'dvolution.

III
La
iustice.

Pierre se trouvait aux prises, sur ce point, avecune conception inr'étérée, indéracinable jusqu'à une époque très récente, qui, aux yeux de tout Russe, faisait de toute fonction, d'ordre administratif ou judiciaire, non une charge, mais un bénéfice.

L'antique système du liorntlëwe (action de nourrir) s'y a{firmait et s'y perpétuait. L'emploi nourrit son homme et n'est
a En Russie, la justice est un objet de Yente, ' écrivait le publiciste serbe Krijanitch, un contemporain de Locke. En d'autres termes, Possochkof répète I'affirmation. Tous les étrangers, Herberstein, Fletcher, Olearius, Maskie-

bon qu'à cela (3).

(!.) Kosronnnor, Histoire de Eussie, t. Il' p. 629. (2) Sor,ovrrr, t. XVI. p. 25t+. (3) voy, Nil Poror, Tet'itchtchef et son temps' p.21,

L'OEUVRE

POLITIQIIE.

ït+?l

"il

ouliase d,e l7l4 contre les pots-de-vin, dont celui de lTZ4 n'est que I'amplification, et quelques mesures prises en lTl6 pour remédiel aux lenteurs de Ia procédure criminelle et désencombrer les prisons, il s'abstient jusqu'en l7l8 de tout essai de réforme générale. A ce moment, son attention se porte enfin de ce côté, et, comme toujours, il prétend aussitôt faire tout à la fois, mettre d'un coup les choses sur le pied européen. La Suède servira encore de modèle, et copie est prise à Stockholm d'une masse de docurnents devant fournir Ies indications nécessaires .Les uoréuodes sontdéchus de leurs pouvoirs judiciaires, et des cours de première et seconde instance dans Ies provinces, des cours d'appel paraissent dans la capitale et, les villes plus importantes. Le Réforrnateur a fait ici, comme ailleurs, la dépense d'un effort considérable, en même temps qu'il témoignait d'une admirable conscience de son propre devoir. [Jn plaignant s'adressait à lui; il refusait de l'écouter et de recevoir sa requête rédi6ée par écrit. L'homme disait : n C'est contre vous. r u Donnez. u Et le souverain se laissait condamner par le Sénat, auquel il soumettait I'affaire, à des dommages-intérêts qu'il pavait sans broncher (l). Il avait d'heureuses inspirations, comme I'oukase de l7l6 défiendant de mettre à la torture les femmes enceintes, exception faite, hélas ! pour les affaires qui intéresseraient la sùreté de l'État; cornrne I'abolition, en 1718, de Ia coutume barbare dt prautèje.(Voy.p. ZT.) Le résultat général n'était guère satisfaisant. En l?28, après le procès de Chafirof, on vit surgir dans tous les tribunaux de
(1) Nil Poror, Tatitchtchef et
son

wicz, signalent le mal. Pierre n'en viendra pas à bout. En 1224, légiférer'â encore contre les juges prévaricateurs. Les ducs de X[oscou ont conquis leur suprématie moins à coups de sabre qu'à coups de présents distribués aux lbnctionnaires tataresl Ia Russie est sortie de cette école et en porte Ia marque. Le mal est dans son sang. Pierre ne s'attaque d'ailleurs que sur le tard à cette partie de sa tâche. A part un

tenps, p. L7.

5l!

r,,oEUvRE.
sié-

l'Empire, dressé au rnilieu de la table derrière Iaquelle

geaient les juges, le bizarre édicule à trois faces, en bois doré,

avec I'aigle double au sommet: {ui s'y trouve aujourd'hui encore. Pierre y.a fait inscrire le texte de trois ordonnances publiées à la même époque, et ces ordorrnances ne sont pour ainsi dire autre chose qu'une diatr.ibe violente contre les mæurs judiciaires du ternps I contre les magistrats qui ernploient toute leur industrie à se couvrir du manteau de Ia justice pour mieux Ia violer, en en contournant le sens, ce qui ne se pratique dans aucun autre pays I contle ceux qui font profession de ne pas connaitre ou de ne pas comprendre les textes qu'ils sont chargés d'appliquer; contre ceux encore qui, comme Chafirof, ne craignent pas de fronder et de violer ouvertement les lois dont ils sont clépositaires. Deux ctruses surtout ont lâit obstacle, sur ce point, à la réalisation d'un progrès immédiat : le premier obstacle et le plus considérable se trouyait dans I'impossibilité de donner toute savaleur à I'idée méme de la loi, aumilieu d'un régime qui en était la négation. D'avoir dégagé cette idée des conceptions grossières et brutales qui en obscurcissaient le sens aux yeux de ses sujets est sans doute un des grands mérites de Pierre. Le premier il a su y faire apercevoir un principe indépendant, à celtains égards, de la volonté du souverain et supérieur ii elle. La loi une fois établie, tout le monde lui doit obéissance, à commencer par le Tsar. Et Pierr.e donnera I'exemple. Malheureusement, à peine avait-il {âit cette conquête sur I'état barbare, qu'il en compromettait aussitôt la portée et le bienfait par I'exercice et I'abus d'un pouvoir qu'il oubliait de maitriser. Il s'inclinaitbien devant laloi; mais la loi n'était que sa
volonté personnelle exprimée dans un oukase, et combien arbitraire parfois, combien changeante toujours! Un'grand poète, qui a essayé de se faire historien pour mieux célébrer la gloire du héros national, a cru découvrir dans son æuvre législative une diftérence caractéristique entre les institutiotts et les ordonnances.'les premières émanant d'une intelligence large, plerne de sagesse; les secondes dictées par le caprice, cruelles sou-

L'OETIVRE

POLITIQTIE.

lLï

vcrrt et ( comme écrites avec le knoute, ; celles-là faites pour l'éternité, ou tout au morns pour une longue durée, ceilàs_ci n échappées: pourrart-on croire, à I'inspiratiorr momentanée u d'un hobereau impatient et despotique (l) ,. L'histoire des établissements créés par pierre, Iàits, défaits et refaits nombre de fois par lui-même, ne permet d'accorder à cette observation qu'une part d'exactitude assez restreinte. Il n'y a rien d'éternel dtrns aucun de ses actes législatifls. sans doute il a toujours soucr de faire pour le mieux. Un trait à noter est Ie soin qu'il prend rnvariablement d'expliquer avec quelque prolixité le motif de chacu'e de ses décisions et en quoi ce qui va étre sera meilleur lue ce qui a été. La trace de cette méthode didac_ tique se retrouve aujourd'hui encore dans la législation russe. Mais [e u meilleur u n'est que ce qui lui paraît tel à un moment donné. observons que sa législation tout entière sépare rar{icalement l'idée ile la loi de toute conception mornle. La loi, avec lui, n'est pas ce quiest juue, mais ce qui doir oune doit pas é*e .fait, pour des raisons auxquelles l,éthique reste souvenl étrangère. L'homme coupable, I'homme punissable n'est pas celui <1ui agit mal, mais simplement celui qui se tnet en deioc_ cord auec Ie te.rte d'un ouhase. La manière même dont les pénalités sont appliq.ées est curieusement révélatrice à cet égartl. En janvier 1124, rtn artisan français du nom de Guillaume Belirr' conda.r'é aux galères pour meurtre, voit sa peine commuée : on I'envoie aux chantiers de Ia marine pour y exercer son rncrier de serrurier et en enseigner la pratique aux ouvriers du pays (2). Despotisme et utilitarisme : voilà les deux pôles entre lesquels se meut I'esprit juridique du temps. II arrive aussi que Ie châtiment à infliger soit remplacé par I'admrssion du coupable dans le giron de l'Église orthodoxe. Un baptéme au lieu des corrps de knoute (3) I .le passe lu secontl obstacle. pierre a beaucoup légiféré;

(l)

p. 156,2L9,

(2) Frr,relor, La rlflTas de Pierre le Grand et la loi pénalc, Moscorr,lggi,

Poucuxlxe, OEuures, t.

lV,

p. Bp7.

()) Ibid.,p.265

irr.(i

L'OEUV

R E.

législurilni" I'alrortdilltce et la continuité même de son æuvre des codes tive I'ont ernpéché cle codifier' Le llremiel en date resté aux est (1542)' en russes, le SoucliéL,riÈ d'lvan Yassilévitch des preuves' combats jucliciaires suppléant à I'insuf{isance de jurispruL'Oulojenie d'Alexis (1650) est plutôt un-répertorre règne d'Ivan et de tlcnce usuelle' En t{i95, sous Ie double se faisarlt sentir' Pierre, le besotn d'une nouvelle codification atifs (Prikazes) d'en un ouliase orclonnait aux bul'eaux aclmirustr n'y etrplol'aient pas beaucoup de f,*pur"" les élénrents' IIs 1700 la besogne était renvoyée zèle, pent-on crolre' car en les Prikazes d'une au conseil des BoTars' Le conseil saisissait

demandedenratériaux'etenrestaitlà.Ildisparaissait,d'ail. anrrées' Pierre luileurs, peu après, et, pendant de lon8ues seulement' la l7l4 même avait d'autres 'ou"i' en tête' En jour, et le Sénat, naturellecoclification re.r,enait à I'ordre du par où le ment, en était cette fois chargé' Il cornmençait finissaient' comrne ils Consetl avait commencé; Ies Prikazes et le travail s'arrêtait avaient frni en 1700, par ne rien faire'
encore.

valable : Les déhillances comûlunes avaient une excuse I'autre de on légilérait comment codifier d'un côté, quand

,ut.

modifiait à dér"rnparer? L'æuvre poursuivie Pal Pierre changeait' tout irtsànt les conditions du problèrne; "tt"qrr" jour en jour; une vague em' tout se faisait et se défaisait de était ce que I'autre avait apporté' Le Réformateur p"r*i, qu'af'u-uné, ill9, à user d'un de ces moYens héroTques "n son génie' Plutôt que de codifier' pourquoi n-e pas fectionnrrit été hanté un code tout fait? L'année d'avarrt, il avait orendre I -juridique' dans laquelle les àe;a po" I'idée d'une anthologie concurremment toi* ,rrOaoires et danoises auraient plis place, indigènes' II pensait avec un choix de produits législatrÊs simplement.le adoptant maintenant aller au plus court' en les tlispositions inapplicables code suédois, dont o"Zli*i"t'nit par cles emprunts gu'on fe.rait en Rusrie, sauf à les remplacer à exécntion' àl'Oulaiéniéde 1650' Pour mettre ce Progranrne une comtnission spéciale, à ie Sénai tirait de son sein en 1790

L'OEUVRE

POLITIQTIE.

5L7

Iaquelle des juristes étrangers étaient adjoints. Mais ses travaux n'aboutissaient, en 1722, qu'à la reconnaissa.ce solerrnelle de I'impropriété absolue du code suédois eu égard aux besoins locaux. Et la marée des oukases montait! En 1724, Pierre, si ohstiné que nous le connaissions, a l,air de renoncer lui-méme à de nouvelles tentatives dans ce sens: prr un oukase du I I mars, ildécide que les lois à publie, do,r, I'ave'ir prendront place, faute d'autre code, à Ia suite cie l'Oulojénié de l GbO. On ne saurait Ie charger personnellement de la responsabilité de cet échec. pour un succès plus complet, il lui n _ooqué de trouver, à portée, et des principes jur.icligues ayant sulfisamrnent pénétré dans l,intelligence et la co'sci"rrce ,ro fût-ce gue d'une élite sociale, et desjuristes capabres de secon. der son ef{brt. L'édifice poritique ei social dressé par rui à Ia hâte.offrira longtemps encore de ce côté un aspect àéplaisant, urr air de vieux mur cres mousses er des ches de plâtre. Et ce sera à peu près Ia figure du bâtiment tout entier. Ce n'est pas en vingt années, y travaillàt-on avec le fer et le feu, gu'on a raison du travail de dix siècles.

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CHAPITRE VII
L'anMÉn RT IA MÂRINB'
L
pis11g n'a fair quc précipiær Les précéde115. 1: i":":Î:"tl' (-)ualrtes et tlctÛuts u Les régiments de.plaisance' ' Débuts singrliers. de Narvaf"cxferi!'nce I'esprit' et inatière La cle, nouveller'lortt,atic'ns' 1l' -La mdt'ne' - Les précéJ,'éléIrrent tnoral' I So, l" bonne voie' La urarine mili,1""r;. -. Carar.tère L.itif et excessif de l'tæuvre nouvelle gui reste de I cu're Ce échec. Double r'ar..1antle, la rnarine

L'armee.

après la rnor't de l'ouvtier'

;.t;; ;,

-

-

L'armée.

bien organiPierre n'a pâs donné à la Russie des finances a fait ses qui militaire sées; il lui a donné une organisation titres de gloire les moins preuves et qui constitue ainsi un des n'a pourtaDt pas , contestables du Rélbrmateur. son æuvre création de Person?Lelle même sur ce Point, le caractère absolu pas' n'échappe elle et attribué' qu'on lui a assez généralement dans égard cet à entrer i'uutr" part, à q,,"lqtt"' critiques' Sans je m'en tienu.re di*currion qui dépasserait ma comPétence' et des opidrai à un court "*po*Z des faits les plus saillants nions les Plus autorisées' homme qu'ils posOr, p,t dire des préclécesseurs du grand " deux cent mille hommes sorrs les armes et pas un sédaieni cette arnrée tr'avait rien soldat. Très pittoresque, I'asPect cle du moyen àge' cuirassé de de militaire. A côté tfu'r chevttlier montarrt sans la tête aux pieds, on y apercevait un cavalier à la rnain Pour toute afme selle urre -"igr" harirlelle, un bàton provision de guerre' et un sac de seigle sur l'épaule comme

L'ÀRMEE ET LÂ MARINE.
Pas de recrutement réguiier pour ce rarnassis liétérogène; une

'4S

srmple convocation d'hommes armés appartenant à une seule classe, celle des propriétaires lbnciers. Pas de prépar.ation au métier de la gLrerre : les, exercices rrrilitaires en ternps de paix sont, inconrrus. Pas de r:ommandenrent organisé : la conduite

des troupes appartienl, de droit aux chefs de I'aristocratie , boîars , akalnit<,h1,id. Pas d'intendauce l les hommes s'écluipent et se nourri;sent cornme ils veulent et comme rls peuvent. Bnfin cette armée est presque e.rclusivement composée de cavalerie, irrctrpal.rle par conséquent de répondre aux exigences de la gu€jrre moderne. &fais cet état de choses ne s'est pas perpdtué sans modification jusqu'à I'avènernent de Pierre. Dès le seizième siècle, le tsar F'éodor lvanovrtch (lbS4-lbg8) a possédé quelques troupes régulières, exr:rcées et éc1uipées à I'européenne. Le Français Nlalgerjet et L: Livonien von Rosen ont commandé à son service un corps de deux mille cirrq cents lrommes cornposé principalement de Polonais et de Livoniens, &vec quelques llcossais, Danois, Suérlois, Impériaux, F-rancais et Grecs(l). Les prédécesseurs inrnrétliats de Pierre, Alexis et Féodor Aléxiéiévitch, sont alleis plus loin. Ils ont légué à leur héritrer une première tentatirre de réforme générale portant sur le commandement, le recruterrrent et I'organisation même de
locale

I'armée dans un sens démocratique et dans une style moderne. Une commission établie en lG8l, sousla présidence du prince Vassili Galitsine, s'est proposé de faire prévaloir. dans lc choix des chefs militaires le principe des capacités. En rnême ternps le selvice personnel des propriétaires fonciers a été remplacé, dans une certai'e mes,ure, par une fournitu.e de recrues (datot-

chnyié) proportionnée à l'étendue de leurs terres. Enfin les forrnations pet.rnanentes de tro.pes régulières, étrangères ou mé're indigènes, conrprenant des régiments d'infanterie ont fait leur apparition. L'æuvre personnelle de pierre n'a été au fond que le clé-

(l)

Ousrnrer.or,

r, I, p,

LZ9.

550

L',OEtTV RE.

veloppement assez peu méthodique, il faut en convenir, et quelque peu fantaisiste, au début du moins, de ces prémisses. Le 30 janvier 1683, Serge Bouhvostof, écuyer de cour attaché aux écuries de plaisance, était engagé le premier pour le { service militaire de plaisancs , , dont le jeune Tsar a eu la fantaisie. Il sera plus tard Ie premier soldatdu régiment Préobrajenslri. D'autres koniouhy, puis des jeunes gens de la noblesse, appartenant au parti qui frondait le gouvernement de Sophie, étaient enrôlés successivement. En 1681l, il y avait déjà trois cents volontaires et un commencement d'établissement militaire à Préobrajenskoié. L'année suivante, Pierre ayant osé publier ouvertement un ban de recrutement, le nombre des miliciens montait à mille et un second établissement était créé à Siémionof, d'où le nom f'uttrr du second régiment de la garde. En 1690 et 169l avaient lieu les pre mières manæuvres de cette troupe, dites n chropagtte de Sie mionof ,. En 1692, les n régiments de plaisance 'r recevaient leur organisation définitive, Pierre prenant le grade de sergent' dans le Préobrajenskt. En 1694, dans la ( campagne de I(ojouhof D, autre série de manæuvres, ils figureront déjà commeunités tactiques régulièrement constituées, et perdront la qualité et le nom de " régiments de plaisance u . On ne joue plus au soldat; on se prépare à faire de la besogne sérieuse' Une cornpagnie de bombardiers était mise sur pied la même année, et le Tsar en faisait partie sous le nom de Pien"e
AIeriéief . C'est le noyau de la future armée, qui n'avait dès à présent, au point de vue de la composition, de la discipline et du savorrt

rren de cornmun avec I'anciertrte taf ) ou milice de drverses armes. Seuls le régiment de Lefort, de formation récente, et le régiment Boutyrski, organisé en lE42 sous Nlichel Féodorovitch, participaient, dans une certaine mesure, à la nouvelle
organisation.

Elle affirmera sa supériorité relative sous les murs d'Azof, on 1695 (ooy. p. ?7). Jusqu'en 1699, pourtant, Pierre ne fera rien pour en étendre et,génér'aliser le principe Il détruira seule

L'alr\{ilu gr LA MAnINE.

551

ment les streltsy, ce qui fera disparaitre I'ancienne armée, mais n'en mettra pas une nouvelle à la place. I)our provoquer la verve créatrice du grand homme, il [audra la guerre tle Suède' Mais alors c'est une explosion, unepoussée formidabled'idées
la matière et la raison. Initiatives iucomparablement vigotrreuses

et d'initiatives, qui semblent défier le temps, I'espace,

et hardies, iclées originales parfois. Le créateulrenonce, poul' conlmencer, au système d'enr"ôlement pratiqué dans la plupart des armées européennes du temps ; il ndopte un mode de recrutement qui ne diffère du service obligatoire en usase aujourd'hui que par son caractère non individtel mais collectif. La différence, il est vrai, constitue unviceoriginel. L'obli-

gation imposée à certains groupes sociaux de fournir un nombre proportionnel de recrues emportait avec elle la pratique nélhste des remplacements, rachats et corrtrats de louage. Pierre y ajouta le service uiager, ce qui allait tl'ahord à contredire le principe égalitaire adopté, tout le monde ne pouvant
ran{is

servir dans une arrnée dont la mort seule dégalnissait les ; puis à séparer I'arrnée du peuple en lui donuant le carac-

tère d'une caste fermée, et enfin à en faire une armée d'invalicles. Prenant ainsi les devants sur I'Europe à certains égalds, l'æuvre palaît mal équilibrée. Et elle n'est, au début, qu'une création matérielle. L'esprit des institutions militaires de l'Occident, c'e't-à-dire leur vraie force, en semble absent. Le siè6e de Narva le prouvera bientôt. Surlestrente-deux millehommes de troupes réprulières que Pierre est déjà en mesure d'y mettre en ligne. le Préobra.ienski et le Siémionovski sontseulsà montrer quelque consistance I mais, déchar6eant jusqu'à vin,.;t fois leurs artnes au témoignage de Possochkof , ils ne tuent personne. Cette seconde épreuve révèle enfin au jeune souverain la vaieur de l'élément moral , dont il n'a tenu aucun compte jusqu'à présent dans ses forurations improvisées, et le met sur ]a bonne voie. Sans né1;liger les autres élérnents de puissance effective, il s'attachera dé,"ormais avec une sollicitude particulière à former l'ârne de ses soldats. Son rnérite sera surtoul Ià, plus que dans les forrderies de canorrs établies à Ohta et ir

552

r,'oErTv

R

E.

Toula, les fabriques de poudre installées à SainGPétersbourg et à Ohta, l'école de 6énie militaire {bndée à N{oscou, et méme le premier essai, qu'on lui attribue, de I'artillerie montée à cheval. A la fin du règne, il arrivera à posséder qrrarante régiments d'infanterie, trente-trois régimerrts de dragons, cinquante-sept mille neuf cent cinquante-six hommes de pied et trente-six mille trois cent trente-trois chevaux dans I'arntée régulière, sans compter les irréguliers, Cosaques, f(almouks, etc. Ce nombre, si irnposant qu'il soit déjà, n'a pourtant qu'une importance secondaire dans l'æuvr€ âccornplie; celle-ci vaut surtout par le sorrffle puissant dont le créateur a su pénétrer et animer sa création. Façonné par lui, le soldat russe, de sirrrple brute demi-inconsciente qu'il était, est devenu un être pensant, obéissant aussi, quoi qu'on en ait dit, à d'autres mobiles que Ia peul des chirtinrents. Il a un idéal devant les yeux, le courage actif, la hardiesse intelligente ne se colnmanrlant pas le bâton à lamain. A I'encontle desappr-éciations trop légèrement adoptées à cet égard, je relèverai cc seul trait : au moment où, en Occident, la guelre de la succession d'Espagne passait pour afiilruer d'une manière al:solrre la supériorité de I'ordre mécanique dans les {brmations de combat, Pierre s'attachait à hire prévaloir chez lui le principe de l"action organiquement ildépendante des unités tactique.s, et ses instrrrctiotrs et règlerrrents militaires sont invaliablement inspirés par le même esput, pat le souci de développer et de rnettre en valeur I'initiative personnelle des combattants (l). Sa législation militaire, hien que très laborieusenrent étudiée et ayant exceptionneUernent abouti à une codification, n'appelle pas surtous les points le méme éloge. Au pornt de vue disciplinaire et pénal, elle va dilecternent contre les prirrcipes adoptés pour I'or'ganisation et l'éducatiorr de la force armée; elle est un coutresens. On a Fait valoir, pour sa défense, cet argument que dans la sévérité de ses mesures, la barbarie de ses instruments de répression, bûcher, pendaison,
(:ll Meslovsrr,
:1.883,

Les année-t ,.&sse\

c& ternpr d.e Pierre le Grand, Moscou,

p. 47.

L'AN\{ÉE ET I,A MARINE

553

francoi, lrotarnment, atténuant tnême Ieur ri6ue'r ii certains égordr, tltrns un sens huma'itaire (l). Le plaid"oyern,estpur"orr"ï,,unt. Il tient pas cornpte ,e la dirférerce {rne la réfàrme rnilitaire 'e de Pielre a laissée subsister, a consacr'ée rnême et tréveroppée entre la co'rposition de l'arrnée russe et cerle des o"cidentales. Le soldat rus6e contcrnporain ".-é"r^ du grand règne n,est l)as' en principe du nroins. une ?'ecrue dans le ,"r* Jll"rr.ro,r,l ou françars ctu motl il_ne sort pas, coûlrne c,est trop souvent le ctrs Ià-bas, rle la lie de Ia populace il ; est plutôt, torjorr, principe, Ie rePréserrtant cl'.'e élite sociale. nr. fuit méme,"r, il représente d'une urr éré.rent sensible'rent 6énér,are supérieur' c'est ce'ra.ière que [)ierre lui-nré.re n'a pâs su voir. Aussi n''-t.-il rérrssi q''à provoquel' url nou'emÀnt de sauve-q'ipeut, se traduisant éloquenrnrent par la quantité du ,u, l,,r_ kases qui ont eu pour objet la poursuite dis nr"tclrilts, errrôifs en rupture de ban, réfractaires à un service converti en une inrpitor,able et infamante servitude (Z). D'rrutle irart, toute son énergie et tout son savoir.-faire rr,ont pas réussi à triompher de certaines causes d.infériolité q,,i, a une époque récente encore, ont paru comp'omettre le s'ccès des ar'res russes : vices de I'administ'ation, irrsu{rfisance ,u commandement supér,ieur. L'expér.ierrce est, je crois, pour mettre e' l*mière cette autre trif{ér'e.ce, sourent niée, eutre Ies vertus et les quarités natureres et po*r ainsi .ire i'sti.ctives de I'homnre, et celles qui ne rorrt lui que l";;"_ "h", duit d'une longue et laborieuse cultute. pierre j" p,, iui." violence, à cet ég.rd, aux lois éte'.elles du monde intellectuel et nror.al. Le courage et môme I, lrcnrteur sorrt'hénomènes cl'ord.e tilérnentaire et se retrouva't n.rê're à l,itat stru\.age. Il en va autre'rent du savoir ou cle ,rtontÉtetë. La vieille i],ros(t)
o. Bounovsxr,
cons_titutiott des armées régulière,,

écartèlement, ablation du nez et ,es oreilles, elle n,a fàit q,e suivre les modèles étraugers, ceux clu cocle militaire

La loi mil,itaite tlans I,Europe

occitlenlale

flrootun""r'.,

lloscou, faSl, o. ,rOZ. Précis àe thistoire a"t tl,rtirrii.i'r"militaires

à

t,épogue de Ia

eD r{zssde,

{82g,

55L

L'OEnvnE.

coafe n'était pas guerrière; les victoires des ducs de l\loscou

sur les Tatares.ont été le fruit d'une politique astucieuse et patiente; la Ârrssæ moderne a pu redevenir promptement batailleuse et héro'ique ; Pierre a trouvé à fleur de peau les instincts propres à opérel cette trans[brmation, ce retour aux traditions lointaines de I'époque norrnande' Il a vainemerrt essayé d'aller au delà ; mais en donnant à son pays I'armée de Poltava il n'en a pas moins forgé un merveilleux outil, instrument de puissance matérielle à la fois et de progrès moral. La grandeur actuelle de la Russie a été faite avec lui.

IT

La marine.
.Ie m'enharclirai à d'autres réserves en ce qui concerne les créations tlavales, marine militaire ou marine maruhancle, contemporaines du grand règne. Dans ce qu'elles ont eu de hâtif et d'excessif à la fois, j'inclinerais volontiers à ne voir que le procluit d'un instinct atavique, devenu irrationnel, eu Jga.d uu* circonstances locales, et converti en caprice de despote. Les précédents, car il y a eu aussi des précédents dans cette voie, aurarent dù rnettre Pierre en garde contre les entraînements de son imagination. Sous le règne de l\Iichel Féodorovitclr, voulant utiliser le cours du Volga pour leurs relations avec la Perse, des nrarchands holsteinois ont sollicité I'autorisation de construire à Nijni-Novgorod un certain nombre de bâtiments; plus tard, Alexis Mihailovitch s'est fait armateur lui-même à Diédinof', au confltrent de la Nloskva et de I'Oka' Ces tentatives n'ont abouti qu'à des désastres : perte de vaisseaux hollandais sur la Caspienne, c'apture et incendie des autres par Stenka Razine, à Astrahan (l)' La nature des ([)
YrÉssrÉr,reo, Précis d'une hiçtoire de Ia flotte russe'

t I' p'

5 et suiv

L'ARMÉE ET LA MARINE,

555

bord d'un yacht sommairement construit dans les chantiers improvisés d'Arhangel, pierre court et fait courir à son empire un risque plus grand. En mettant à contribution les const.ucteurs hollardais, il arrive, en 16g4 déjà, à posséder une
des pirates a imposé aux premiers essais sur le Volga et"r"iot" gui se

choses a semblé, dans ce pays sans rivages, protester ainsi contre la violence qui lui était faite. En se hasardant sur les flots orageux de la mer Blanche, à

escadre de trois bàtiments : vaisseaux à deux fins, armés pour la guerre et pour le commerce, d'après un type que la

navigateur. Il s'agit, en prenant pour modèle les élérnents d'une galère hollandaise, amenée sur les lieux en traîneaux, d'y préparer les élérnents d'une flottille qui, transportée ensuite, toujours par voie de terre, à Voronèje, descendra le Don et contribuera à la prise d'Azof (t). J'ai dit déjà le succès équivoque de cette autre tentatir-e. L'année suivante, la flottille de guerre est à son tour reléguée parmi les jouets qui ont cessé de plaire. C'est une *arirre plotôt marchande que Pierre prétend maintenant posséder, et, fidèle à sa façon de voir et de vouloir les choses, il concoit la possibilité de s'en procurer une du jour au lendemain, un "orrn..tissant sa volonté en décret et en usant de procédés autoritaires. Le 4 novembre, ayant réuni son conseil à préobrajenskoTé, il décide que tous les propriétaires, laiques ou ecclésiastiques, possédant cent maisons ou atl-dessus, auront à s,organiser en compagnies pour la construction de bâtiments de commerce. Les archimandrites, possessionnés dans les domaines clépen_ dant des abbayes, feront comme les autres, et Ie patriarche
(l)
TsvrÉtrrnr, La création de la fotte rasse, 16g6, p. 12.

perpétuera longtemps dans I'architecture navale du pays mais f cette escadre n'est qu'une amusette, et le jeune souverain le comprend si bien lui-même qu'en l6gb, il quitte aoudain son port du Nord et toute la besogne qu'il s'y est donnée, ainsr qu'une pa'tie de plaisir. Le voici revenu aux eaux douces de Ia Iaouza sur Iesquelles s'est d'abord prornenée sa fantaisie cle

ltSt!

L'oEnvnE'

livrera deux frégates de cinquante canons ! Car le nombre des bâtiments à équiper est aussi fixé' Ils seront quatre-vingt-dix, et l'État en mettra quatre-vingts autres sur chantier. Ils auront une forme et un armement réglementairement définis, et leur construction devra être achevée en deux ans' Peine de rnort pour les retarclataires! Et I'on obéit, et tout est prêt à la dute indiquée1 seulement, le 20 avril 1700, un autre otrkase intervient, décr'étant la suppressiorr des compagnies qui ont exécuté la voloDté du maitr.e en se donnant une organisation et une flotte, rnais qui n'arriveut décidérnent pas à savoir s'en servir (l). Toute cette grosse dépense de temps, d'énergie et d'argent n'a trbouti cle nouveau qu'à uûe démonstration navale qui, il est vlai, a eu son prix' Bn aoirt 1699, un vaisseau lusse a traversé la mer Noire et a paru en rade de constt'urtinople, pacifiquement sans doute, portant à bord les deux plénipoteniioir"t du Tsar chargés <Ie la négociatioD d'un tr'rité cléfinitif, mais non sarts Provoquet une vive résistance de la parL des Turcs. Ar6unrerrts diplomlr[iques, prières et mettaces, certx-ci out tout rDis en æuvre pour bnrrer Passage à ce visiteur. lfais Pierrea lenu bon. Et au {bnd, ce caractère tlémonstratif restera attaché à tout I'avenir de Ia milrine militaire russe. Elle p|océdela et vaudra surtout par de,; efl'ets moraux' Quant à la flottille du Don, bloquée à voronèje pa| I'abseuce de lburls d'eau suffisants, elle ne pourra être utilisée, en l7tl, à la leplise des hostilités avec la Turquie. Après la pelte d''\zof, elle rleviendra inutilisable. on en cédera urre pa|tie aux Turcs euxmêmes, et on laissera pourrir le reste' plus sérieuse paraissait la cr'éation de la {lotte du Norcl, détermilée par la Suer're avec Ia Suède. Les débtrts en étaient héro.iques. Pris par les suédois et forcés par ettx cle lai|e officc de piiotes pour une attaclue sur Arhartgel , en juin l70l' deux matelots russes, Ivan Rabo{: et Dimitt'i Bolinof, arnertaient les vaisseaux ennemis $ous le callon de Ia forte'esse, les fai'

(t)

VrÉssrÉr,.rco,

t. I,

P. tB et suiv.

55, saient échouer et prendre. Frappés, irs contrefaisaient res morts et réussissaient à se sauver. suivaient querques combats heureux sur Ie lac Ladoga, dont la possession rlstait aux Russes. En 1708, après la conquête de I'embouchure de la Néva, un chantier de construction était établi ri olonets, sur I'olonka. L'année d'après, I'amirauté de saint-pétersbour' était créée, et, à la prise de Derpt et de Narva, tu j",,,.ri flotte de la Baltique aidait déjà au transport des tro.lies et des provisions. En 1205, elle repoussait une attaque cl", s.,edois contre I'ile de Kotlin. En 1706, elle capturait, sous les murs de Viborg, un grand bâtiment suédois, l,Espern. En 1710, elle prenait part à Ia prise de Viborg. Mais la Suècle n'en restait pas moins maitresse du gorfe cle pinrande, bloquant tout Ie Iittoral de la Bartique. sa supériorité numérique seule suffisait à lui garantir cet avantage. En tz0l déjà; il est vrai, Iors de sa rencontre ayec Auguste à Birzé, pierre s'était fait fort, devant son royal ami, de posséder quatre_ vingts vaisseaux de soixante et quatre-vingts canons, dont un, bâti sur ses propres plans, qui s'appelrerait Ia préuisiott diuine. Ce navire aurait à Ia proue une figure de saint pierre, sur_ montant I'image allégorique et également par lui dessinée d'un bateau monté par des enfants (l). II avait bien fourni les plans et le dessin' mais I'escadre avec raqueile, douze ans plus tard, il ent'eprenait, victorieusement cl,ailleurs, la con_ quête d'HelsingÊors et de Borgô, ne comptait que sept vais_ seaux de ligne et quatre frégates, dont trois uaisrea.r" et deul frégates achetés à l'étranger. C'est cette même escadre, escortant une flottille de deux cents galères et autres petits bâtiments, qui figure dans la première victoire navale de quelque importance dont les annales de Ia marine russe aient à s'enorgtreillir, à HangoUdde, où, Ie 9b j.illet 17I4, I'amiral s'édois Erenskold rÀd son épée à Pierre Mihai'tof. C'est elle qui, en l7lg, ravage les côtes de Ia Suède I c'est elle gui, en 1721, permettant au

I,'ÂNlTfE ET I, MARTNE.

(t)

Sor,ovrnn,

t. XIV, p. g.ll.

55S

L'OEÛVRE

général Lascy cl'opérer une desceDte sur Ia côte suddoise, contribue puissamrnent à hâter la ptrix de Nystatlt' Or ce qui rend victorieuses ces opérations, dont Ia plupart' sont des démonstratiotts, c'est le nombre et la valeur des troupes embtrrquées sur la {.lottille. ApraxiDe a ainsr avec lui, en 1719, vingt-sept millc hommes d'irrfanterie. Livrées invariablcllreilt dans Ie voisinage très proche des côtes, les brrtailles ellesmémes où elle figure ne sont pas de vrais combats de mer'. L'élément terrien y domine et décide du succès (l)' En résurné, soit au point de vue militaire, soit au point de yue conmercial, Pierre s'est ernployé, avec autant de passion que d'inutilité. à convertir ses Russes en un peuple de rnariDs. Éabitants d'un vaste continent, bordé par des mers peu hospitillièr.es, ils sernblent excusables de ne s'être pas prfités à sa fantaisie. commercialement, la Russie reste aujourd'hui encore tributaire des marines étrangères. La flotte militaire du Don, avec ses imitatioùs de galères hollaDdaises, anglaises, vénrtieÙnes, a été une expérience coùteuse et mulheuleuse. La nécessité de réduire le tirant d'eau n'a même pas pet'rnis d'Y reprocluire les qualités nautiques élérnentaircs des modèles Gr.âce à des conditions locales moins défavorables et à "opler. I'expérience acquise par le souverain, ses chantiers du Nord ont mieux réussi, jusqu'à donner des inquiétudes assez vives à l'Angleterte (2), qui pourtant a Paru par la suite avoir pris I'alurme trop tôt. L'exagération et la précipitation, ces deux vices communs à toutes les créations du grand homme, ont compromis, ici comme ailleurs, le succès de ses efforts' Les bois qu'il employait étaient trop frais, les gréements de mauvaise qualité, Ies matelots mal instruits' Les voies d'eau, la hâperte àes màts, I'impéritie et I'insuffisance des équipages, iivement recrutés, clécimés par les maladies, sont d'ordre journalier dans I'histoire de ses escadres. On évalue à mille Lnri"o' le nombre de bâtirnents de toute espèce, vaisseaux de
(r) Vov. À Mvcutttnvsrr, La guerre (2) SronnIx, t. LXI, p.563.
de Finland'e en

L7l2-[4'

1896'

L'AIII'ÉE ET LA MARINE.

559

ligne, frégates ou galèr'es, construits à l'époque du grand règne. Quand, en 1734, neuf ans après la mort de pierre, le blocus projeté de Stettin les appellera au servict+, on en trouvera quinze à peirre pouvant tenir Ia rner et pas un officier
pour les commander (l). Pierre est allé trop vite; mais snrtout il a voulu aller trop loin. Donner à la Russie une flotte était bien; vouloir en faire une Hollande était peu raisonnable. En établissarrt sur vingtcinq points de son Empire, et en pleirre terre ferme parfois, des chantiers successivernent abandonnés (2), en remplaçant le bureau de constructions navales de Vladimir par Ie bureau de I'ar'irauté de \[oscou, les deux chefs-lieux éta't dist.nts de la mer de plus de six cents hilornètres, il a imprirné à sa créatio' le caractelre artificiel qui Iui est resté. T'ansportées plus tard à Saint-Pétersbourg, avec la chancellerie de la flottc de guerre (1712), concentrées définitivement clans la mênrc capitale avec le collège de l'arnirauté (l7lg), ses entrepriscs ont pu sembler destinées principalernent à lui douner un amu_ sement et *.e illusion. Elles ont cert.ineme't se.vi, si'on à justifier, du moins à armer. de quelque argument valable I'opposition avec laquelle I'ensernble de son æuvre s'est trouvée aux prises, et dont j'ai à parler en terminant.
(t) VrÉssrÉr.rco, t. I, p, 5tr70.
(2) It)id.

CHAPITRE VIII
L'opposItIoN. L r,n rslnÉvrrcH
ALExIS.

ls sx1ag1|1s ds Complots et attentats. Résistances collectives et isolées. - II. Education du 'l'sarévitch' Le preI'opposition personnilié par Alexis. ne Yeut pas ètre-soldtt' -re, "onflit avec I'autorité paternelle' - Alexis Le clergé et I'aristocratie-' Sympathie mutnelle. Relé1;ué à ]loscou. - de règne. Nouvelle-interve.tion du père. Alexis chargernent d'"" L'i.lÈ! - pas à la n'assiste malade, Le Tsarévitch' ùIauvaise recrue. doit seruir, à l'étranger pour étudier et prendre Pierre I'envoie bataille de Poltava. Lune de rniel et proLa princesse Charlotte' Le ùaria$e. femrne. Àlexis chef de Parti' * Mort de chaine rupture de I'harmonie conjugale.
Prince ou Ûroine. Le -deshériternent. catherine a un {ils. Charlotte III' Une lé1;ende' et secoltde rttise en derrteure, - I)ernière IV' Le dernier -mot ile l'énig[re' $s5 avgn[ures. vivtrnt€. - du Tsarévitch, La fuite Pierre -appelle son fils à lui. nrise en denreure. Ehrenberg' A Vienne' A Les limiers du Tsar. f,n poursuite.

charlotte.

P1s111iirs

- rle l'anrrtnte' - en scène tl'Il)uphrosine' La trahison L'entrée de .)Iogcou L'enrlut"te V. J,'abdication. retour'. Le Alexrs Aleris livre ses arttis. - Les exécutions. - Le pardon paterncl' - Projets Confiance et bonheur de I'exLe mariai;e avec EupLrosine. d'avcnir. - la ruaitresse. - VI. Pétersliourg. L'arrivée de Ses interrogahéritier. - Térnoin à charge' L'amesL'en{irenate' linqrrète nouvelle. toirt's. - en jq;eruerrt. - La torture' - Aveux et - prince. La rrrise tatiol du - corrr de justice' L'arrèt VII' La tuort' VerLa haute prlinodies. -sio,," A Napùs. livré. Les probalrilités. - Réalité Inatériclle et responsabiltté rliïerscs. - jugeruent de la postérité' Voltaire Le Europe. er L'upinion nrorale. tle I'histoire. Au trilrunal -

-

I L'reuvre du grand Réformateur et les difficultés avec les quclles il a eu à lutter Poul I'accomplir ont été mal jugées même par ses pairs. c Il travaillait sur sa nation comme I'eau' u forte sur le fer u , â dit le grancl Frédéric, non sans une pointe de jalousie Peut-être. La comparaison manque de jus-

L'oPPOSITION.

_ ÀLnxls.

5ôl

tesse. sous Ie rude et soudain assaut rivré à ses habitudes, à ses convenûnces, à ses sentiments, coups de marteau et coups de hache plutôt que lente morsure de corrosif. I,atti_ tude de la nation russe n'a pas été entièrement passive. Dans les emportements les plus fougueux de sa colère et de sa vin_ dicte, Pierre n'a so.yent fait qu'opposer la violence à Ia violence. Les procès-verbaux du preobrajenski prikaze en font foi. " Quel Tsar est celui-ci? s'écriait en r6gg un détenu mis n à la question. C'est un Turc ! Il mange de la viande le r mercredi et le veuclredi, el se lait seryir des grenouilles ! n Il a exilé sa femme et vit avec une étrangère ! o _ n euel u Tsar est celui-ci r Mélange d'étonnement et d'indigna', tio., ce cri traduit le plus fréquemment la révolt" d", ciences blessées. Et le raisonrrement suit: u Il n'est pas"orrr_ pos_ n sible que cet homme, pour leguel rien ne parait sacré de c ce {ui a fait pendant des srècres Ia foi et la vie de la sainte n R.ssie, soit né d'un homme et d'une femme .rsses. ce doit o étre le fils d'un allemand. c'est Ie fils de Lefort et d'une . Allemande, substitué dans le berceau au fils d'Arexis et de n Nathalie. Le vrai Pierre aléxiéiévitch est resté à l'étranger en n 1697. Les Niemtsy I'ont gardé, en envoJant un imposteur à lr sa place. Oubien c'estpeut-être I'Antéchrist(l). -En 1701, " un écrivain du nom de Talitski était condam'é à mort pour avoir pr'été I'autorité de sa plume à cette dernière s,rlrporiiio.r, et plus tard Étienne lavorski composera un livre à I'ef{'et d'en démontler la fausseté avec des citations d.e I'Apocalypse (2). En 17I8, traversantunvillagesurla route de péters. bourg, un étranger voit un attroupernent d.e trois ou quatre cents honrmes. Un pope qu'il intenoge pour appren.lre ce qui se passe, lui réponcl : u Nos pères et nos frères sont saurr u ba'be; nos autels sa,s seryiteurs; nos lois les pl.s sai.tel u sont violées, et nous gémisso.s sous la tyr.an'ie des étran. ( gers ! , C'est une insurrection qui se prépare (B).
(2) Srrrrrevsrr, Slouo i DieIo. p. 107 et suiv (3) Dépèche de La Vre, pétersùrurg, l0 janvier lglg. Aff. élr. (l€.franee.

(() Kosrournor, Étrde dans l,Antiguité

russe, LSZS,

t. XIL

562

L'OEUVR n'

L'exerrrllle fait avec les Sn"eltsy a découragé, il est vrai, les tentatives concertées de soulèvernent I mais les cas individuels de révolte et même de résistance selont encore fréquents. Ils se produisaient parfois sous ulle forme naive et touclrante. IJn pauvre gentilhornrne apporte à l'église et dépose devant les saintes images, en présence du Tsar, une protestation rédigée par'éct'it à I'adresse de Dieu (l)' Mais le plus souvent' ftuppe dans ce qu"il a de plus cher, I'adepte l-anatique du Domosn'oi levait la main et essayait de rendre couP Pour couP' Les attentats contre la personne du souverain se renouvellent d'arrnée en année. En 1718, [,a Vie en mentionne un qui est le utngt-neuuième d'eytuis Ie commencement du règne' Il n'est pas douteux, écrit Uampredon en 1721, c ![uê le Tsar venant ',, à mourir, cet État ne rePrenne son ancienne forme de ( gouvernement, après laquelle tous ses szTets soupirent en
Secret rt . L"opposition n'était pas aussi générale, certes, et on en avait bientô1 la preuve; de plus en plus timide et défaillante, à mesure que le nouveau régime afÊrmait sa consistance et sa

(

force, elle clenteurait impuissante à contrarier sérieusement jusqu'à Ia fin' son développement; mais elle ne désarmait pas Les éléments qui Ia cornposaient, les mobiles qui I'anirnaient, les moyens d'action qui lui étaient proPres, son esprit et son caractère palaissent et se résurnent dans la sombre aventure dont le fils aîné de Pierre a été le lamentable héros. Et, comme je dois rne résumer aussi, je polterai principalement sur ce point I'étude qui fait I'objet de ce dernier chapitre' J'y trouve ma tâche facilitée et compliquée à la {bis par la .rrliipli"ite des eflbrts qui m'y ont devancé. Toute une littératr.e, histoire, rolnan , dralne: poésie, s'est essal'ée' dans I'irnage tratous Ies pays et ditns toute" les laugues, à évoquer écrigique du malheureux Tsarevitclr' En France, un brillant le russes historiens uuio u prêté au travail un peu fruste des

"hnr-"

youdrais p"*sonnel d'un style chauclement coloré (2). Je
ùl"lclio"
ne VocuÉ,

({) Arr-'hive russe, 1878, t.
/.)\ Vicomte

ll, P' 853' Lcfls

dc Piene

le GtandrPatis,

L88lt'

L'OPPOSITION.

- ALEXIS.

563

éviter des redites. II m'a semblé pourtant que la physionomie des événements et des personnages n'est pas sortie, jusqu'à présent, de cette mise en scène séduisante parfois et presti_ gieuse, aycc toute Ia netteté désirable et Ia plus grande part possible cle vérité. Je n'y prétends pas réussir comme je le voudrais ; on m'excusera de m'y être appliqué.

II
Alexis est né Ie lg février 16g0. Sur les portraits gue nous avons de lur, il semble bien I'homme de son histoire et de sor, tragique procès : rri beau ni laid, le front bornbé, l'æil rond et

bientôt ruinée par des excès de toute nature, mais sans aucune infirmité ; u'e intellige'ce naturellement ouverte; Ie goùt de la lecture; la facilité commune aux slaves pour l'étud" des langues étrangères, et jusqu'à la curiosité du savoir, ou du moins d'un certain savoir. ses préférences, comme celles de son oncle Féodor, étaient pour les livres de théologie. L'esprit de la vieille lloscovie paraissaitlà, mais aussi celui du Methidr,, ;nstructzonis composé pour le jeune prince par ult de ses pré_ cepteurs, le baron Huissen, qui semble avoir été un homme très dévot. Dans les dossiers du procès que piene intentera à so' fils fig*reront des extraits de Baronius mis à la charge rle I'inculpé. Or n p",tt découvrir des traits autres que ceux dont Ia sévérité paternelle s'est avisée, les inclices d'une âme géné_ reuse et tendre. II a plu ti alexis que Théodose et valentinierr aient eu I'habitude de libérer les prisonniers à l'occasion des fêtes de Pàq.es ; qu'ils aient irrterdit les exéc'tions capitares pendant la durée du carême et dé{'endu d'e'lever uo* poour** gens leur chaufïage et leur coucher. Il lui a plu aussi, il est

r.quiet, I'a,r chétif et têtu. Ni au physique ni au moral il n'tr rien de son père I rien aussi pourtant de l'être disgracié qu'on a représenté souvent. Je lui vois une santé peu robuste et

561,

L'OEttvRE.

vrai, que I'un des souverains ait obsené les jeirnes avec quelque rigueut', et que I'autre ait été tué pour avoir attenté aux Croits tle l'É1;lise. J'aperçois, dans ce fiIs et petit-{ils de desque nous dirions lrotes semr-asiatiques, certaines parties certaines atttres aussi libéral, conlme .rujonrd'hui d'un homme qrri sout d'un pur fanatique' Mais il n'était pas inculte et bolné' i lui arrivait d'avoir de I'esprit. On l'i demande, au cou's d'ttrt interrogatoireT comment il a osé prédire que I'on perdrait un u On ir bierr perdu'\zof ! " S'il iorrr Pétersbourg, et il réporrd: est violent, grossier et llnrtal, c'est cl'abord qu'on lui a appris de bonne heule à boire à I'excès et qu'il est souvent ivre. Et s'il lui ar.rive arrssi de tirer par les cheveux son second précepteur, viaziemski, ou mênre de s'en prendre à la barbe de sorr corll'esseur, le plotopope l6;natiel, ces emportements paraissent inno' cents, quand on les cornPare à ceux dont sorr père, tout le premier, lui doDnait journellernent I'exemple' Violente, grossière et brutale était la société entière au miheu de lnquelle il viTait. Je ne lui trouve méme pas un parti pris absolu d'hostilité contre le mouvement réformateur. Je I'aperçois s'intéressant au séjour que fait à I'étranger le fils d'un de ses serviteurs et aux études qu'il y poursuit, insistant Pour qu'on apprenne à ce garçon le latin, I'nllemund et même le français. Ce ct ui I'effrave ct I'indispose, dans la révolution par laquelle l'ierre a voulu précipiter ce ûIouvemelt, c'est I'effort trop grand, la secousse trop violente, le trtlp brusqrre changernent, et, sur ce tet'rain de résistalce, il n'est pas seul. Les répugnances qui le .rettent en désaccord avec son père sout paltagées par une bonne moitié de la Russie. Jusclrr'à l'àge c{e neuf ans, il reste auprès de sa mère. Celle-ci n'a pas eu à se louer per'soulellertlent dcs premiels el:fets de la réfbrrne, et I'enfnnt elr sait probablerrtc.nt queltlue chose. Err 1699, Ia pauvrc Bucloxie était enfènnée au couvent de Souzdal; ce fut sans doute uu déchirement pour le fils et une cause de ralrcllrre pr'écoce. La mère fut lernplacée par des précepterrrs. Le pèr'e tbsent, absorbé par les soutlis de ia dans i édtrcation tiuerre, ne solr6era qu'assez tard à ilrtervenir

L'O PPOSITION.

- AI,EXIS.

565

de son héritier. Et alors un premier conflit se protluira. Avant toute chose, le vaincu de Narva, Ie futur valnqueuf de poltava, croira devorr faire de cet héritier un soldat. alexis n'a pas I'humeur belliqueuse. Pierre aura beau lui parler, ,ro llrr_ gage magnifique, des obligations qui incombent à "r, un souve_ rain. Oui. sans doute, Ie devoir I'appelle au prelnler rang rpand ses sujets se battentl mais pourquoi se ba{.tent-ils? Il serait si sirnple de rester chez soi et de laisser les suédois chez eux- L'élève man(lre de dercilité, le maitre de patience. après guelques essais infruct.eux de I'un pour donner à I'autre Ie goût du rude métrer, objet de leur querelle, Alexis sera abandonné à lui-même, délaissé à Moscou, ainsi qu,une chose inutile. sa nraison y deviendra naturellement re centre de rallieme't de tous les mécontents, assez nombreux crtrns Ie voisinage du l(reml, de tous ceux que gêne et irrite Ie nouveau ldgirne, avec ses bouleversements incessants, sa fièvre contid'action, sa terrible dépense de forces. Le jeu'ehomme 'uelle et la vieille'ille se conviennent mutuellement. Il I'aime et elle Ie lui re'd. Il l'aime s.rtout en ce qu'elle a de plus aimabre, en effet, et de plus attral-ant, dans ses sanctuaires innombrables, cathédrales et chapelles parées d'or, d.e pierreries et cre légendes mystérier_rses, embaumées de mystère et de naïve poésie. u Croyez-vous, lui demandera-t-on plus tar.d, quevotre n fiancée consente à changer de religion? n Et il "éporrd.o avec un confiant sourire : u Je ne ferai rien pour la cont.ainu dle I je la rnènerai seulement dans nos églises de Moscou ; r elle lorrdra, j'en suis sûr, y prier avec moi (l).,r Et v<lici que la rér'olution en vient à porter une main sacri_ Iège sur la .rajesté et Ia beauté de ces lieux saints ! EIIe p'ive l* t'apitale de son Patriarche; elle dépouiile les monastÂres ! aleris s'en entretient avec so' confesseur. Dans sa chambre à coucher de Préobrajenshoié, avant sa première cornnrunion, il a juré à ce prétre une obéissance éternelle; il a promis cle voir toujours en lui ( son ange tutélaire, le ju6e de toutes ses
(L) Solovrur, Lectures lTchténia), [86L, liv. III.

566

L'Olluv RE'

la actions, le porte-parole du Christ ' ' Et voici encore que écho' un conrme parole vibrante de I'hornot" de Dieu répond, i ses sentiments intimes, les exalte même et les exaspère' Etle lui dit I'indignation du clergé, I'accablement du peuple' à un et les espérances, qui, daus les cæurs meurtris, vont évoque changemeni de ,èg.t" bienfâisant et réparateur' Elle souvenir de sa mère, cette première et si touchante "urril" victime des erreurs et des excès dont tous ont à souffrir' Un changement de règne ? Ainsi, I'Église elle-même n'aPersuprême de salut ! Surpris çoit désormais que cette chance cette d'abord, I'esprit de I'adolescent s'habitue Peu à pel à des mempensée. Après les discours du prétre fhrouche' ceux famirendre lui à la Lru, d" I'aristocratie moscovite tendent lière. Si inclignés ils sont, eux aussi, et si impatients I douloude reusement of'fensés surtout par la vue des collaborateurs de plus en plus provenance étrangère, dont Pierre s'entoure à ses exclusivement. Menchikof ne semble-t-il Pas usurPer' changement côtés, jusqu'à la propre place du Tsarevitch ! Un mars une Oui' à préparer! père de règne? La cléchéance d'un drsgrâdes injuste mère aussi à délivrer et à relever de la plus de rares mo' ces! Cepère, Alexis ne le voit d'ailleurs plus qu'à et irrité' sévère maître ments, to,rjo.trc avec i'apparence d'un "t a-i-il e*ployé son temps? Qu'a-t-il appris? Jamais Comment un mot af'fectueux ; dàs r"proches, des menacest parfois des coups. Et si mal justifiés en ccrtaines occasions' comme ! en 1707, Pour une oisit" faite à Ia pauvre cloîtrée de Souzdal(r) son mettre de En 1708, Pierre était repris soudain du désir Il héritier à I'ouvrage, . de IL faire servir ' ' comme il disait' d'approvisionneI'envoyait à Smoiensk' comme comrrtissaile la ville contre ,uents, puis à Moscou, avec mission de fortifier uneattaqueprésuméedesSuédoisL'essaitournaitmal.Colère tlu père, t",i"", du fils aux Personnes les plus influentes de I'uniourage paternel, pour solliciter leur intervention secouf-uture rable; a l. noooelle favorite, entre autres' qui sera la

(i)

Ous'rnrrr.or, t.

YI, P. l8'

L'OPPOSITION.

*.AI,EXIS.

567

belle-mère, mais que son futur bearr-fils appelle Catlterine Alé:tiéieuna tout court, en attendant. L'année suivante, conduisant un renfort de troupes réclamé par le Tsar, le Tsarevitch prend froid et ne peut assister à Ia bataille de Poltava. Trop chétif, décidément, pour I'apprentissage de la guerre. Pour en faire un héritier convenable, il faut essayer d'autre chose. Pierre décide d'envoyer son fils err Allemagne.Ilycomplétera ses études. Peut-étre arrivera-t-il à y prendre goùt pour une cryilisatron dont les éléments lui clemerrrent trop étrangers Enfin il y fera choix d'une ferlure dont I'influence contribuera à changer la direction de ses idées. Alexis fut enchanté de cette décision, dont le premier effet était de mettre plus d'espace entre son père etlui. Il se laissait diriger sur Dresde, et s'y appliquait ou faisait mine de s'appliquer à Ia géométrie et à I'art des fortifications, non snns entretenir une correspondance active avec lgnatief, qur lur envoyart un conÊesseur suppléant déguisé en laquais, et avec ses autres amis de Moscou, qui I'entretenaient de leurs doléances et de Ieurs espérances habituelles. II se donnait aussi quelque divertissement, et s'occupait autant du salut de son âme que cle remplacer des liaisons amoureuses laissées dans la vieille capitale. L'extrême dévotion s'alliait bien, dans l'esprit byzantin, avec
une certaine licence de mæurs. Mais Pierre a entouré son fils de toute une escouade d'agents confidentiels, qui ont charge, sinon de garder sa vertu, du moins de le marier le plus promptement qu'il se pourra. Brusquement, le jeune prince cède à leurs obsessions, jetant son dévolu sur la princesse Charlotte cle

Wolfenbtittel, dont la sæur a épousé le futur empereul Charles VI. Parti très soltable. L'union est célébrée, le I4 octobre l7ll, à Torgau, dans la maison de la reine de Pologne, É[ec' trice de Saxe. Charlotte y a été élevée. Pierre a eu une heureuse idée, compromise, hélas ! comme c'est trop souvent son cas, par des procédés trop sommarres d'exécution. Peu jolie, Ie visage grêlé, la taille longue et plate, Charlotte est une femme charmante, en dépit de ces imperf'ections physiques; elle n'est pas du tout la compagne révée poul

568

L'oE Trv fi E.

Alexis l)ar son père. Un pauvre être de grâce et de faiblesse, que I'on a pitié à voir prise là comnre un oiseau au piège, enveloppée dans le sombre drame en préparation, incapable de se défendre, ni même de comprendre ce qui lui arrive. Iille ne saura que soufirir et mourir. Les débuts du rnariage parurent heureux. Alexis sembla trouver l'épousée à son goùt. Il relevait vivement des propos malveillants terlus par l'Ienchikof à son sujet; elle lui en savait gré et le tt'rn(,;gnoit. D'âme douce et rêveuse, elle ne demtrndait qu'à nimer.Iineexpédition dans l'île de Riigen, à laquelle Ie Tsarevitch devtrit prendle l'artr la mettait en émoi. Elle serait u innsir-sl,lement malheureuse, écrivait-elle, si elle venait à peldle ce cher nrari u . L'idée de le suivre à Pétersbourg I'elfravait rl'abord ; mais elle se déclarait aussitôt après a prête à aller au bout du monde, pour rester avec lui (l) . " C'est encore Pierre qui commcncera à gâter les choses, en se montrant acharné, pendant les années qui suivent, à vouloir défaire son ouvrage. L'idée de faire n servir , I'héritier I'a repris. De lTll à 1713, Alexis sera presque constanrment en chemin, entre Thorrr, ou il pr'éilarera encore des approvisionnements; la Ponréranie, oti il ira err courrier avec des ordres secrets pour Menchiliof ; les bords du lac Ladoga, où il s'occupera de constructions navales. En mérne temps, ainsi désernparé, le ménage aura encore à souf{rir d'une gêne cruelle, lnal pourvu au point de vue pécuniaire, laissé fréquenrnent sdns ressource. Bn avril l7t!), la princesse devra faire appel à la bourse de Menchikof, son insulteur, pour un empmnt de cinq nrille roubles l en 1713, pensant mourir de faim, elle se sauvera chez ses parents (2). Le bonheur conjugal ne résiste pas à ces épreuves. Les lettres de Charlotte aux siens indiquent bientôt un esprit en désarroi, une àme en détresse. L'oiseau bat des ailes dans sa prison. En novembre 1712, elle est '"Iésespérée; sa situation est u terriLle u ; elle se voit mariée à un homrae r {ui ne I'a ([,
(9) Sorovrnr, t. XVII, p. L48.
(ir;rnnran, Dte l{t'onprinzessin Charlotte, 1875, p.25,86,90.

l,'oPP()Sl'rlON.

-

At,

lt\lS^

5ôt)

jamais aimée u. Puis, un rayon de soleil : totrt parait chnngé; le Tsarevitch u I'aime passionrrément ,, , et elle u I'aime à la fureur ,. Mais ce n'est r1u'une éclaircie passagère. Une lettre prochaine la rnontre u plus malherrreuse qu'on ne peut I'inraginer r ; elle a cherché, jusqu'à présent, à jeter urr r.oile sur Ie caractère de son mari, mais u le masque est tombé rnaintenant (l) , . ll se perrt que I'insécurité des confidences livrées aux hasards de la poste soit errtrée pour une part dans leur apparente contradiction. Il est celtain qu'aucun rapprochement durable, nuile intimité sér'ieuse n'ont pu naîtl.e entre ces deux jeunes gens si peu faits I'un pour I'autre. Au lait matériel d'une ségraration presque constante, des obstacles plus graves d'ordre moral se sont ajoutés. Char.lotte est restée luthérienne; les églises de Nloscou ont pelclu avec elle leur éloquence. Blle a aussi ernmené avec elle une petite cour allcmanrle, dont elle a fait sa société habrtuelle. Alexis, lui, dernerrre un orthodoxe fanatique et lrarait de plus en plus enlbncé dans l'étroit pulticularisrne rnoscoyite. Avec toutes ses exigences et toutes ses violences, Pierre n'a réussr qu'à le rendre plus entièrernent et plus obstinément ré{ractaire à I'esprit clu nouveau ré6ime. La luite est désormais nettement enga6;ée entre le père et le fils, tous de.x y acce'tuant leurs dispositions : i'itiative 'aturelles âprernent énergique d'un côté, inertie obstinément passive cle l'autre ; parti pris de coercition despotique dans le sens révolutionnaire et parti pris de sourde opposition. En 1713, pour se soustlair'e à uLr examen qui doit mettre à l'épreuve ses talents de dessinateur, Alexis se tire un coup de pistolet dans la main dloite (2). Il se fortifie d'autant plus dans cette attitude qu'autour de lui une opposition plus générale a comnrencé de prendre corps. Sans y songer et sans y même prendre garde, il est devenu chef de parti. Au sein du clergé, Étienne Iavorski lui-mérne nouruit pour sa personne des syrnpathies, qui se trahissent ({) GuenÀrun, p. ,1,L7, L37. (2) Ousrnrrror, t. \1, Documents du proces.

570
dans le fameux sermon

L'OEUV Rn..

du l2 mars 1712, et les représentants des vieilles dynasties aristocratiques, les Dolgorouki et les Galitsine. tournent vers lui des regards anxieux. Or, tout ce
qui les rapproche d'eux l'éloi6;ne non seulement de son père, mais aussi de sa fenrme. Iille, I'hér'étique, l'étrangère, n'a pas de place dans les réves d'avenir qu'ils font pour eux et pour lui. Blle est aussi une personnification du régirne
détesté
!

En 1714, ayant obtenu la permission d'aller faire une cure à Car'lsbad, il la quitte sans regt'et, bien qu'eile soit enceinte de neuÊ mois, et elle le voit partir sans tristesse. Elle-même a à souffrir, maintenant, de sa brutalité naturelle, d'autant que les complaisances de son entourage I'ont poussé à la débauche grossiere, qur fart partie des traditions nationales à reverrdiquer en cornmun. Il fréquente les filles et boit immodérément. r, Il est presque toujours ivre ,, écrit la princesse. Elle trouve méme à s'inquiéter des dangers que Peuvent lui faire courir ses intempérances de langage concordant avec les excès de boisson. Le vin Ie porte à rêver tout haut : u Quand ce qui doit arriver arrivera, les amis de son père et de sa belle-mère feront connaissance avec Ie pal... La flotte sera brûlée, et Péter"sbourg s'enfoncera dans ses maréCâ$es.

Au retour de Carlsbad, il prend le moment où elle I'a rendu père d'une fi[e, pour lui infliger le plus cruel outrage : la fameuse Euphrosine, qui doit jouer dans sa destinée un rôle néfhste, parait à ses côtés avec tous les dehors d'une maîtresse attitrée. Sa femme reclevenant enceinte I'année d'après. il la soigne avec as$ez de sollicitude au cours d'une grossesse difficile. Elle meurt en couche, le 22 octobre 1715, brisée par le chagrin, admitable de résignation dans ses derniers moments, etils'éuanouit ù trots reprises devant son lit. Douleur ou remords? Peut-étre a-t-il seulement conscience de ce que l'événement ajoute à la gravité de sa srtuation. Il avouera plus tard avoir eu à cette heure le sentiment d'un péril nouveau créé pour lui. Eu effet, la pauvre morte e accouché d'un garcou.

". I

L'OPPOSITION.

_ AI,EXIS.

5?r

L'empire a maintenant un second héritier, etles conséquences de cet événement, que le fils rebelle a dûr prévoir confusément,
ne se feront pas attendre. Six jours plus tard, une lettre de son père, antidatée irrtificiensement comme si elle avait été écrite Ie ll octobre, lui apporte la confirmation de ses intluiétudes. Les éléments du ch'ane dont il sera le héros principal et la victime sont au

complet, et la toile se lève. Cette lettre était une sommation, u une dernière somrniltion , , disait le souverain, en insistant sur ce qu'il n'avait pas I'habitude de menaceren vain. n Tu ue veux rien faire ni rien ., apprendre; une fois au pouvoir, tu serais obligé de te fhire u donner la becquée, comme un petit oiseau.., Je ne mé( nage ni ma vre, ni celle cl'aucun de mes sujets; je n'eno tends pas faire exception pour toi. Tu t'ameuderas et tu o feras en sorte de te rendre utile à l'État, sinon tu seras désu hérité. n Le grand mot est prononcé, et le lenclemarn du jour où la lettre est remise, un autre événement vient préciser la signification du dilemme qu'elle contient : Catherine, à son tour, a accouché d'un fils. Par quel sentiment Pierre était-il guidé en ce moment? Au point de vue des responsabilités historiques, c'est le problème qui domine ce lamentable procès. Les apologistes du gr.and homme ont fait valoir la ratson d'État. pierre s'est préoccupé et a dù se préoccuper de sauver I'avenir de son æuvre, de garantir son héritnge contre la menace d'un héritier incapable et indigne. Pour des raisons que j'ai eu à indiquer déjà(voy. p. 187), pour d'autres qui ressortiront de Ia suite de mon récit, je ne saurars adopter cette solution. Le souverain a mis trop d'énergie et d'esprit de suite dans I'exercice de son autorité paternelle, trop de mollesse plus tard et d'inconséquence dans Ie règlement de la question dynastique, pour que les deux aflaires puissent paraitre intimenrent liées dans son esprit. Je crois, tout compte fait, qrre dans la première il a agi surtout en despote. Il voulait être obéi. peut-être aussi subissait-il les

lr72

L'oEtlv RE'

conséquences naturelles de son second mariage' lndépendam'

ment même d'une pression dilecte de la part de Catherine, I'enfant né de cette épouse aimée devait lui être plus cher que le fils de I'autre, Ia répudiée. Alexis était devant ses yeux urr reProche vivantl et I'on sait comrnent il avait I'habitude de traiter les choses et les hommes qui lc gênaient' J'aurai à revenir encore sur ce débat. Couseillé par ses confidents les plus intirnes, Viaziemski, I(ikine, Ignatie{r, Alexis fait au coup droitqui lui est porté une riposte hardie : se reconnaissant inapte au lourd fardeau de la couronne, se sentant rnalade, aftaibli de corps et d'esprit, et se voyant enfin un frère susceptible de Ie remplacer, il offre spontanément I'abandon de ses clroits. II ne demande qu'une retraite à la caÛrpagne avec les moyens d'y vivre paisiblement. Pierre ne s'attendait pas à être ainsi pris au mot, et cette plomptitude de renoncelnent lui semble suspecte' Il se donne, de réfléchir, puis revient frrrqrr;u' l9 janvier 1716, le temps Il avait, tantôt, invoqué Louis XIV et mêrne les i lu "i,ntg". héros Ie I'histoire grecque pour dérnontrer à son fils la nécessité d'une attitude plus virile; il en appelle maintenant au roi David. Le roi David a proclarré cette vérité que tout homme est fait de mensonge. La retraite à la canlpagne est pour un tsar.er-itch chose à la fois inconvertatrte et fallilcieuse. revierrt. Un héritier qui ne règnepas, maisrestepriùce, On ".t n,est ni cbair ni poisson. Il faut choisir entre le trône et une retraite plus assurée I se montrer capable de régner ou se faire moite : telle est I'alte.'ative. A lui de prendre parti; sirton il sera traité ( comme un rnalfaiteur ' ' Le cloitre, u l'oubliette profonde, I'abri mortuaire qui tue sans ltruit D , suivant le rnot d'un historien-poète ! Alexis a un u Bah! flisson d'angoisse. Il en réfère encore à ses amis' (bonnet de klobougue r'épond Kikrne, on en revient aussil le moine; n'est pas attacl'ré à la tête avec un clou' u En trois lignes, la réponse du fils est {aite : il sert moine' l\Iais en adressant ce message à son père, il a soin cl'en accuser le sens dans deux lettres simultanément remises à Euphlosine Pour

L'OPPÔSITION.

_ ALEXTS.

573

derrx des membres les plus rnfluents du partr rétrogade.

I{ikine

et Ignatief forcé.
o

y liront

ces mots

:

oJe vais au monastère

y

étant

Et Pierre est encore pris au dépourvu. partant peu après pour l'étranger, il laisse les choses en l'état. Évidemment il a conscience de s'être trop avancé. Il a pensé elïrayer son fils et le réduire à merci. Il sait trop bien le rôle qrrc des moines, moirrs voisjns mêrne du trône, ont joué dans l'histoire de son pavs. Malheureusement pour Alexis, ses amis vont maintenant lui donner d'autres conseils, moins sages. Toujours docile à leur inspiration, il va à son tour prendre les devants, perdre tout le bénéfice de son apparente résignation, rendre à son père tout I'avantage conquis sur lui, etse précipiter à I'abime. Mais avant de le suivre sur cette pente fatale, j'ai à dire quelques mots d'une légende fort bizarre et fort accréditée à
un momerrtr {ui s'est ajoutée aux complications, aux énigrnes et aux traits romanesques de la sombre tra6édie.

Itl
La princesse Clrarlotte aurait survécu à son mari. Accablée par lui cle nrauyais tlaitements, I'rappée à coups de pied dans le ventre pendant sa grossesse, elle aurait eu I'idée de se faire passer pour' rnorte, et, a\-ec I'aide d'une des darnes de sa suite, la comtesse Warbecli, elle selait passée en Iirance d'abord, pour gatirler ensuite la Louisiane et y épouser un officier francais, le chevalier d'Auban, dont elle avait eu une fille. Au bout de dix ans de ce nraliage, on la retrouvait à Paris, ou son mari venait consulter les méclecins et snbir rrne opération. Ijlle rjtait reconnue au jardin des Tuileries par un promeneur, qui I'avait vue à Pétersbourg et qui dtait le futur mar'échal .le Saxc. ll voulait parler au Roi de cette rencontrel mais elle lui faisart prvnrettle de gralder le silence pendant trois mois, et, à

574

L'OEÛVRE.

I'expiration de ce délai, elle avait disparu. Elle était partie pour I'ile de Bourbon, ou son mari avait repris du service' Le Roi, ,nis au courartt, transmettait, la nouvelle à I'impératrice \Iarie-Thérèse, qui était la propre nièce de la ressuscitée et qui lui offrait un asile dans ses États, à condition qu'elle consentirait à quitter celui dont elle portait le nom. Elle refusait. Elle ne revenait en France qu'après la rnort du chevalier, en 1760, et vivait alors très retirée, à Vitryr dans une maison de campagne que le président Feydeau lui vendait pour cent douze millà francs. On voit que les détails sont précisés. Elle y recevait une pension de quarante-cinq mille livres servie par I'Impératrice, sa tante, mais en distribuait les trois quarts en aumônes. L'aventure était assez généralement connue à Paris; si bien que, s'occupant à cette époque de son histoire de Russie sous Pierre le Grand, voltaire s'adressait au duc de choiseul pour être édifié à son sujet. Le ministre disait corrnaitre I'histoire, comme tout le rnonde, mais ne pouvoir se garant de son authenticité (r)' porter La prétentlue princesse mourut en 1771, et les journaux de publièrent au long, à cette occasion, l'ét|ange bioIu ""pitul" g.u1,lti" posthume dont je viens d'indiquer les trrrits principnur. Catherine II, qui régnait alors en l{ussie' s'en émut et répo,,clit pûr une argumentation en six points' u Tout le monde n sait, y a{firmait-elle, que la princesse est morte de la poi,, trine en 1715, et qu'elle n'a jamais eu à subir de nlauvais Tout le monde sitit, riposta un des'ioura traitemen{s. a nalistes mis en cause, qrre Pierre tll est rnort d'apoplexie' n L'ambassacleur d'Autr.iche, ceci est un point d'histoire, assista à I'enterrement de la solituire de vitry, et I'abbé sauvestre, aumônier de la cour, v officia par ordre clu Roi' Voltaire, toutefois, paraît avoir été édifié antérieurement déjà sur le
son (L) La réponse est jointe à un des Mémoires recueillis par Voltaire.pour ils.se sont ouvrase ues rtùcuurents dont ()ustrialof I tléploré à tort h pefte, câr duns la l,il,li"thèque rlrr philosopl'e quc -l'on sait tr'rnsporlée i Saint"o.r"iul, bien qu'on y reÛconlre Pétersbourg, térnoigrtent,l'un tt"uoil très tonsctencieux' Carlshatka' des notes et des rr'{lexions assez singuLe\rcs, courrle celle-ci : " messe? Comment vin..' ni ni ori pain ' grand pays

L'OPPOSITION.

_ ÀLEXIS.

575

compte de l'énigmatique personne : clans une lettt'e à madame

Fontaine, clatée de septernbre l?60, il plaisante la crédulité iles Parisiens, et, dans unc autre à madame Bassewitz, il nffirrne un peu plus tatd tlue le chevalier d'Auban a épousé tlne ilrenturière polonaise. En 178I, un habitant de la capitale a eu la curiosité de consulter à la paroisse de Vitry I'extlait tnortuaire de Ia défunte. Il y a lu, parait-il, le nom de Dortie-Nlalie-Élisabeth Danielson (l). Je rre saurais en dire davantage.

IV

Le 98 août 1716, après un silence de six moisrPierre,quia qnitté [)tltcrsbourg delruis le cornnrencernent de I'année, envo1'ait à son fils une nouvelle mise en derneure : u S'il vorrltit rester clans le monde, il devait f'aire acte de prince en lejoignant son père pour {âire carr}pagne aveclui; s'il aimait rnieux dererrir nroine, le moment était venu de dorrner suite à I'intention qu'il avait annoncée, en faisant choix d'un monastèr'e, et en indiqnant le jour auquel il s'y ferait recevoir. A en croire certains témoignrgc'.s, le Tsar arrrait prér'enu la décision du Tsarevitch en optant pour une ablrale à Tver et en y (aisnnt pr'éparer une cellule, à laquelle les dispositions prises ont donné torrte I'appaletrce d'une prison (2). Les amis
D

(L) Journal de Paris, {5 février 177t. A consulter sur cet épisode : Nouuaaus Vol,ages rlans I'Amérique scptcntrionale, par le che,alier B rssr, pu.1., ,t-t (c'est le prerrrier oLrvra{ie rlui y Êasse allusion) ; Contittttutiott rle l'IItçtoire nrotlet ne de l'at'bé le IIatc1,, par llrruLR; [ittrait tlu I]Iénnrial Je XI. Duclot, ltictoriogruplrc tle F'rotrce, inséré ctans les Piéces itttéressantes et peu connues pour
seruir à l'histoire, Brnxelles-Paris, 1781; Lerrsqre, llistoire de , ierre le Crand, t. V. p. I et suiv.; .{ritir1rrrlc ?'lçre, 1824, p il60 et suiv.; Zscuiluxr a écrit sur ce thèrne, en llJ()/r, unc nouvelle tri.s inp,énieuse, et le théàtre cleg Variétés, i Paris, a représenté sous le trtre àe Illadame I étet hof un vaudeville. anecdote en un acte rnettdnt i la scène le urôurc sujet. (2) trIesstger russe,1860, no 13.

57ô

L'OllÛvÊE.

du jeune prince ont-ils eu connaissance de ce détail? Ce serait leur excuse. La décision à laquelle leur avis unanime pousse le malheureur Alexis est, en tout cas, fort prompte. Il annonce à Menchikof qu'il part pour se rendre auprès de son père, demande mille ducats pour son vovage et la permission d'em-

mener Eupbrosine, obtient encore deux mille roubles du Sénat et se met en route dans la direction de Riga, le 26 septembre 1716. Mais son valet de chambre '\fanassief, qu'il laisse à Pétersbourg, est instruit par lui, au dernier moment, de ses intentions secrètes : il ne sonse pas à rejoindre le Tsar; rl va à Vienne, pour se mettre sous la protection de I'Empereur. I(ikine v est al 1é, voici quelqtres mois, pour sonder le terrain, et a envoyé des nouvelles rassurantes : I'Empereur ne livrera pas son bearr-frère et lui dorrnera trois mille florins par mois pour vivre. A Libarr, le fugitif rencontre sa tante, Marie Aléxiéiévna, et la met arrssi dans la confidence de ses projets. Elle est e{Trayée : u Où prétends-tu te cacher? Il te trouvera partout. u Elle ne I'encourage pas, mal disposée pour Pierre à cause de son second mariage, mais ayarrt une idée terrifiante de sa toutepuissance. Alexis cherche à la rassurer, se rassure lui-nrême avec les espérances données par Kikine et continue sa coursePierre sera assez longtemps sans savoir ce que son fils est devenu. A la première nouvelle de sa disparition, il a lancé à sa poursuite .ses plus fins limiers : Viéssélovslii, son résident à Vienne, Roumiantsof, puis Tolstoi, et une véritable chasse à courre a commencé. u Norrs sommes sur la piste; nous allons joindre la bête r, sort les termes dont se servent les poursuivants. La course durera près d'urre année. Le soir du l0 novembre t716, le 'Isarevitch s'est présenté brusquement, à Vienne, chez le vice-chancelier comte Schônborn, et r gesticulant très lbrt, jetant à droite et à gauche des regurds effarés, courant d'ur bout de la chambre à I'autre n , il a réclamé la protection de I'Ernpereur pour le saltrt de sa vie: il a accusé ses pr'écepteurs de i'avoir mal élevé, Menchikof d'avoir ruiné sa santé en le poussant à I'ivrognerie, son

L'OPT,OSITION.

cachette suffisarnm

vieuxcrorrjon de la vallée du Lech, demantelé dr soldats de rlasséna, Ie c'àreau d,uh"";T::;,i:"1ïhi;ïf:

père de vouloir le tuer en le su'nenant, et a fini par ,emancler de Ia hière. Tr.ès embarrassds, I,Brnper.eur et ses conseille.s ont pris le parti de chercher à accommo.ler le ,i*'érerra tu père et Iefils, et cle cacher cerur-ci en "rri." attenclarrt.

- AI,EXIS.

577

u'

e' I e rm e r, d'Ptat.
va1te.

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r":ïï"
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ff:

II y fut dépisté

de plusieurs officiers, Rotrmia'tsof -Acconrpagné virrt rôder dans les environs de Ia petite forteresse. Le bruit courut qu'il avait ordr.e de,'"-pur"i du l.ugitif, g,rr"oOi". ô. décida alors de le fr ' "o.lt" ,n ai s o n irnp é ri ar e ;;T, : 1i:1ir" Jtr,,"."il: i:, r" séparer de ses seryiteurs moscovites que leur i".rgT"i" f*fn_ tuelle rendait compromettants. Il insùta et on te lui raissa.pour des raisons explique ainsi qu'il suit dans ,rrru lottr" adressée a'pri'ce Eugène de Savoie : u Notle petit page... enfin est avoué n f'emelle, mais sans- hymd"à", aussi sans u hymen, parce que déclarée pou,"ipor.emment _uirr"sse et nécessaire à u la santé (l). u On I'a deviné, c'était Euphrosine. Uue paysanne fin_ "" logu: noise, ser.ye de viaziemski, o,. J,un genéral victorieux. "uptiv" comme Catberine :.,les térnoigri"g", va.iËrrt t ;"; ;il. Grande, forte, les lèvres grori"r," l.ousse, au dire de Roumiantsof; petite de taille, ai rapport de Viessélovski; fille du peuple' en tout cas, et très comm'ne. cor'ment est-ete arri.r.ée à acquérir sur le cæur d'Alexis unede ces possessions absolues qui constituent le fond habituel des tragédies humaines? C,est l'éternel mystère. Le malheur",r* p,lrri" sembre avoir hérité

au rnois de mars seulement de l,anlée sui_



fi:Ï, j:

,r,,.0,:i:ï:;'ïfijiif,i

les d6tails. qui suivenr, je ,"itJ,3"'"ïiÏll;,1;,Tl;î 'r'en rappubliés par r'l"Jt;""ï-"r-iu rixièrrre volu.re o" ,or. oo"'ltÏ 111-doclrnerls vrage c.nsacré erclusivemenf ""' uu T"or"rit"t, ,;^;"r;; procet.

95' Pour-tous

578

L'OEÛvRk'

de son père, avec I'intelligence et la volonté en moins, I'es' senti' pèce de serrsualité très grossière et pourtant aff'ectée de meutalisme qui trarrsparaît dans la pluparl. des liaisons amoude sa reuses du grancl homme. a Naples, Euphrosine décidera
clestinée '

Roumiantsof I'v suivit d'abord, puis, revenant h Vienne' il se joignit à Tolstoi pouf réclamer officiellement de I'Bm pur"rr" La livraison du Tsarevitch' L'affaire était grave' Le ïru, pu""irrait résolu aux moyens extrêmes; or' avec I'armée qu.il avait en Polo6rre, il semblait fort capable de convertir e_n de ,eotite, les menaces qui perçaient sous le langage hautain la Bohême' ou ses agents. La Silésie était à sa portée et même il trouverait assurément un bon accueil au sein de la population slave du pays. Charles VI cherche à temporiser encore' ll écrit tu roi Geor$es d'angleterre pour I'iDtéresser à la cause clu fils persécuté et veut roirla fin de la carnPasne en cours' qui n'a pas I'air de tourner àl'avantageduTsar' Bnattendant' ii p"..ou.l" a.x cleux Russes de faire eux-mêrnes leurs afftrires à se remettre à Naples. Peut-êtr.c Ie Tsarevitch consentirait-il s'end" rÀ plein gré entre lerrrs mains. lls y vorrt, etune lutte le beau gug", dun, Iaquelle le comte Daun, le vice-roi, n'a pas agents faciliter aux iOt". Oo lui a envoyé de Vienne I'ordre de cle du souverain moscovite une entrevue avec le jeune prince,
ou ourre toutes grandes les portes du château de Saint-Blme' le fugitif a été enfermé' Il a comptis que son maître avait grorrd" envie de se débarrasser de sonproté5é, etilnesetrornet RoumiantsoI se charfieront de iait guère à cet égard. Tolstoi l" porrrr", aux conséquences extrêmes -de cette supposition' il"*i. a à subir un siège en règle. on lui montre d'abord une lettre de son père, menaçante et clémente à la fois' lui d'une pronrettant le . pardon de toutes ses fautes en échange laguerreà I'Em. prompte sounrrsslon. Sinon, le Tsardéclarera ll pu."n" et reprendra son fils de vive force' ne se laisse pas àbr"rrl"". Mais alors le secrétnire tlu comte Dnun, Weinhart' I'oreille un avis acheté avec quelques ducats, lui glisse dans

contraindremêmeaubesoincedernieràl'accepter'Illeur

L'OPPOSITION.

_ ÂI,EXIS.

579

confidentiel : I'Bmpereur a résolu de I'abandonner. puis c'est Tolstoï. qui au courant d'une conversation laisse tomber la nouvelle de I'arrivde prochaine de Pierre en Italie. Alexis tressaille, épouvanté déjà. Enfil, dépassant la limite de ses irrstructions, Darrn lui-ménre interrient avec une autre menace d'un effet plus immédiat : s'il veut rester à Saint-Elme, le Tsareritch doit se résigner à quitter Euphrosine. Et la serve entre à son tour en scène; elle a pris cause elle s'en vantera plus tard pour le père contre le fils, gagnée, elle aussi, par des dons-ou des promesses, et elle appuie I'assaut par ses larmes et ses supplications. Alexis est réduit à merci. II ne met que deux conditions à son obéissance : on le laissera vivre tranquillernent dans ses terres et on ne parlera plus de le séparer de sa maitresse. Tolstoi et Roumiantsof y souscrivent, s'engngeant mêrne à obtenir Ie consentement du Tsar au mariage du Tsalevitcb avec cette fille. Il écrit à son père une lettre très humble, de repentir pour le passé et de prière pour les l'æux suprêmes qu'il vient de former; puis, aprè.s une excursiou à Bari, ou il a tenu à visiter les r.eliques de saint Nicolas, il se laisse emmener. Confiant et gti bientôt, enchanté quand il a recu en route la réponse de pierre, qui lui clonne -satisf.rction : il épousera Etrphr"osine, le Tsar prescriva.t seulement Ia célébration du mariir6e en Russie, dar.rs un endroit écarté, ( pour éviter une plus glande honte u. La Fi'noise se trouvant enceinte, il est obligé de la laisser en Italie; mais elle le rejoindra après ses couches, et il clra.ge u' frère à elle de la garde de ce trésor; il écrit à cet homme : u lvan Feoclorovitch, salut! Je te srrpplie de veiller sur ta sæur et ma femme (quoique non accomplie encore, mais j'ai I'ordre) (src), pour qu'elle n'ait pas de cbagrin, car rien n'a fait obstucle à I'acconrplisseme't que su {Trossesse, qui avec I'aide cle Dieu aboutira heureusernent. r La lettre contient un /osrscriptum à I'adresse d'un des serviteurs de I'aimée, où se tra_ d.it toute Ia sollicitude, conr'e aussi toute ra rudesse de I'amant : o Alexandre Nlihailovitch ! Cbienne, p... (s,r), arnuse Euphrosine comlne tu pourras, pour qu'elle n'ait pas

580

L'OEUV I"E.

de chagrin, car tout va hien, seulement à cause de son rentre on ne peut accomplir viLe. , Euplrrosine paraissait assez facile à amuser; sur' la route qui conduisait à Ia torture et à la mort I'homme par elle livr'é, elle ne songeait qu'à se diveltir en dépensant I'argent ga6rré, le prix du sang. A Venise, elle achetaittreize aunes de drup d'or pour cent soixante-sept ducats, une croix, des boucles cl'orerlles, une Lrague en rubis ; elle allait eutendre un concert et regrettait de ne trouver ni opéra ni comédie. Pensait-elle à I'avenir, au rêve d'arnour sans soucis, au cahne bonheur d'une ret.r'aite partu3de avec Âphrosintouchha, dont lui parlaient toutes les lettres d'Alexis? Ses réponses banales, dictées à un secrétaire, u'en disent rien. Elle n'y ajoutait que quelques lignes de sa nain, d'uue grosse écriture mul lbrméer poul réclamer I'envoi cle qrreltlue fi'iandise nationale, caviar ou cacha. IJne clrance de salut restait au malheureux Alexis. Ce qui s'était passé à Naples n'avait pas larssé de mettre I'Bnrpereur en émoi et en quelrlrre ernbat'ras avec sa conscience. N'avait on ])as fâit violence au Tsarevitch? Il coniptait voir son beaufrère au passûge et I'interroger. Soudain il apprerrait que le prince était <léjà à Brûnn, en t\Ioravie. Tolstoi et Iloumiantsof lui avaient fait tlavelser Yienrre nuitamruent. Ils d<i'obaient Ieur prise. Noblement, Charles VI {âit son devoir. Le gouverneur de la province, comte Colloledo, reçoit I'ordre d'arr'éter les voyageurs, de voir le Tsarevitch sans térnoins, de lui demander s'il reviertt en Russie de son pleîn gré, et, en cas de réponse contraire, de lui donner les moyens de rester en Autriche, en prenant toutes les rnesules nécessaires pour garantir sa sécurité. L'ordre ne sera pas e-récuté, hélas ! À I'atrberge oùÀlexis est descendu avec son escorte, une scène a lieu, ou se révèle tout l'acquis de l'orce morale que le rè6ue de Pierre et son école ont déjà réalisé. En plein pays d'Ernpire, les agen[s du Tsar barrerrt passage au représentaut de l'Bmpereut'. S'il le fhut, ils mettlont l'épée à la main pour tléfendre I'accès du Tsarevitch. Cololedo réclame de nouveaux ordres, et, Itélas encore ! le conseil impér'ial se prollonce pourl'absterrtion-

AI,EXIS. 5St Le sort d'Alexis est consomrné; le Bl janvier l7lg, Pierre a la sombre joie de savoir son fils de retour à Nloscou.

L'OPPOSITION.

_

v
En,Europe, personne à ce mornent ne se doutait de ce qui attendtrit là-bas I'infortuné, et ra défailrance des conseilrËrs impériaux trouve une justification partielle clans ce fait. La Ga<.ctte de Holland.e annoncait méme le prochain mariage.du prince avec sa cousine, Anna Ivanovna. En Russie, po" "Jrrtru, l'émoi était vif. pend.'t Ia rong.e absence du Tsarevitch, les bruits les plus contracUctoires avaient circulé : on l,avait cru tourà tour fiancé à une princesse allemande, enfermé clans un cloitre, mis à mort par I'orch,e de son père, caché sous un nom cl'enrpnrnt dans les rangs tle I'armée impériale. La vérité, enfin connue, a jeté parmi ses partisans avoués ou secrets une alarme tc'rible. rlierr sùr, pierre ne se contenterait pas d'avoir retrouvé son fils. Il v_aurait enquéte, recherclre cles complices et séances aux chamlrres cie tortrrre de préobrajenskoij. Le complice le plus directenrcnt compromis, Kiliine, a même essayé d'engager ,!{hnassief, le valet de chambre, à aller au_ deyant de son maitre pour le prévenir; rnais craignant de provoquer rles soupcons, I'homme n'a pas uoulu booger. lrersonne, parmi les i'téressés, n'a {âit fond un instait srrr le pardon octrol'd pal ie Tsar au coupable. Et pierre ne tardera pas, en effet, ri justiÊer sur ce point l.opirrion commune. Et cl'abord le 3 février lTlg une assemblée du haut clergé et des di6nitaires Iaiques est convoquée au l{reml. Alexis pu",ift devant elle, en accusé, sans dpée. Bn l,aperceuurrt, pi".ru s'emporte, I'accable d'injures ui d" ,uproches. Le Tsarevitch tombe à ge'o'r, s'inondant de lar'res, Lalbutiant des excuses, implorant à nouveau ce pirrrlon, sur. la foi rluquel il s,est laissé coucl'ire Ià, co'rme à I'abattoir. Parclonné il sera:'rais il a

582

L'OE

O

v lt E.

les siennes. coupable et indigne, le prince doit retroncer solenrrellement à la corrronne et d?nontet les participants de sa faute, tous ceux qui I'ont conseillé pour sa fuite criminelle ou I'y ontaidé' C'est ce qu'on prévoyait; c'est I'enquête avec tout son cortège de tortures et

fait ses conditions, le Tsar va faire

àe supplices. Dans Ia cathédrale de I'Assomption, au lietr il était appelé à ceindre un jour le diadème, devant

-ême-où l'Évangile, Alexis abdique ses droits au trône, reconnaissant héritier son frère cadet, Pierre. le fils de catheline, et "o-*" dans une salle basse du l(reml, où son père s'errfeltne en téte à téte avec lui, il livre des norns, totts ceux dont il peut se souvenir, tous ceux qui, dans sa mémoire eflarée, corl'espondent à un encouragemertt, un térnoignage de synrpathie' une ,imple parole affectueuse, recueillie au milieu de Ia crise morale qui a déterminé son évasion' Il est averti : une seule omission, une seule réticence lui feront perdre le bénéfrce de ses aveux' Iiikine est désigné le premier, puis Viaziemshi, Yassili DoIgorouki, Aftnassief, d'autt'es encore) en fbule; lrr tsarevna nIilrie elle-même, à cause de cette rencotrtre à Libarr, ori llourtant elle s'est montrée si réservée' Pierre rugit de colère à les plus chaqrre nom. Kilcine a compté, jusqu'en l7l1r', Palrni intimes de son entourage. Weber a vu plus d'une {bis le Trar le tenant embrassé pen'tlant plus d'un quart d' hetu'e(l)' Dolgorouki estleseulmembredelavieillearistocratieauquellesour-et'trin ait accordé une grande confiance' Tous deux sont amerlés à Xloscou avec un catcan de fer au coll) et I'enqtrête coÛrnrence' jamais Elle met promptement en évidence ce fait qu'il n'y a eu entre Aleris et ses amis aucune entente en vue d'un llut détermiLé, pas l'ombre d'une cortspiration proptement dite' Sur ce point, la diplornatie étrangèr'e, dont les rapports sont par les assez unanimes en sens contLaire, a dù se laisser égirrer apparences ou obéir' à une pensée de basse courplaisance' ,q,I"*it pouvait bien aaoù'pour lui, ainsi que I'affilmait le résif

l) Hrnnrrrxn,
1.22.

Pcteî

der

Gt'osse

und der Tsat'euitch Alexei' Leipzig' t880'

p.

583 - ALEXIS. deut hollanrlais, la noblesse hurrriliée, le clergé clépouillé, le peuple écrasé sous le triple joug du servuge, de I'impôt et du service militaire viager (t); c'étaierrt des partisans, rnais lon pas des conjurés. Encore n'ofli'aient-ils à la yue que les éléments d'un parti; nulle trace d'organisation. De Bie parle méme de deux cornplots ayant simultanément et séparément poursuivi le même but : I'intronisation d'Alexis, la proscription de tous les étrangers et la conclusion d'une paix <luelcon-

L'OPPOSIlION.

que avec la Suède. C'est une pure imagination; les brasiels de Préobrajenskoîd n'en ont rien appris. Appelé à prêter serment au nouyel héritier du trôrre, un comrnis des bureaux de I'artil-

letie, Dokoukine, remplacait la formule pirr une violente protestation. C'était un martvr politique I ce n'était pas un conspirateur (2). A Vienne, ou il a séjourné quelques semaines, Kikine s'est mis en rapport avec quelques réfugiés, débris d'anciens paltis politiques, guelques vieux .Slrelrs7 ayant échappé par miracle aux nlassacres de 1698. Il a conservé, d'autre part, des intelli&ence$ dans l'entourage du Tsar, une liaison avec polilanor-ski, un dienchtcheÈ favori du maitre, un de ceu_t dans les bras desquels Pierle avait l'habituile de donnir. Au moment de sa fuite, Alexis a eu une er)trevue avec Abraham Lapouhine, un frère d'Eudoxie, qui lui a donné des nouvelles de la recluse. Le pauvre Tsareritch conspirait si peu avec celle-ci qu'il ignorait môure si elle était encore en vie ! En apprenant c1u'elle se trouvait dans un grand dénuement, il a clrargé Lapouhine de lui remettre cinq cents roubles. C'est tout ce que I'enquête parvient à recueillir en fait de chefs d'accusation, avec quelques propos malsonnants ayant échappé au jeune prince dans ses moments de colère ou d'ivresse. En parlant de son mariage avec Charlotte, il s'est plaint des conseillers de son père u qui I'ont embâté d'une diablesse r , et ajuré il'en tirer vengeance. Il a dit en pensanb à eux : u Je crache sur tout ce monde !
(l) Dépêches de de Bie des 8 jarrvier 17 17, 2!t. février er l0 nrai l718: Archives de la ÈIaye; Drlpêche de La Vie du 26 février 171B: Aff. élr. Ce l'rance. (2, Sorovrcr, t. XVII, p. 216.

58'r.

L'oItIJyRE.

u Vive le petit peuple ! Vienne rnon tenrps, et que mon pèl.e u ne soit pas pr'ésent, je dirai un nrot à l'oleille cles ér.équesn n ils le rediront aux popes et ceux-ci à leurs paroissiens, et u I'on me {'era régner malgré rnoi. , Tout cela n'est ni très méclrant, ni très sérieux, et, de plus, en rluittant Ia Llussie, Alexis gartlait la résolution très sincèr'e de s'en tenir à I'abdication volontaire que les dernières entreprises de son père sul'son indépendance lui avaient dictée. Ses dépositions rre varierorrt jamais à cet égard, alors même qu'il n'rura plus aucun intérêt à mentir ou à cacher quoi que ce soit. Son plan, (lue sa làiblesse I'a empêché de suivre jusqu'au bout, consistait à atterrclle à l'étranger la rnort de son père, pour s'emparer a]ors de la régence pendnnt la nrirrorité de son fr.ère. Que veut donc le Tear trvec tout I'appareil jucliciuire qu'il met en branle ? Il ne le sait probablerrrent pas très bien luitnôme. Les <lesseins arrétés rle longuc. rrrain qu'on a supposés de sa palt pour engaser le malherrreur Aiexis dans une sorte d'engrenage, au bout duquel, cle firutes en lhutes et de déthillances en déiâiliar)ces, il rnettrait sa tête en jeu (l), ne sont confirmés par aucun fait précis et sont contredits par tout ce que nous savons du caractère de Pierre. Il n'est pas I'homme de ces combinaisons. Vlaisenrblilblernent il s'est laissé contluire par les ér'érrenrerrts, en les accomrnodant avec ses llassions. Pour le morûent, du reste, il se contentera des victimes qtie les avenx de son fils et I'enquéte étendue jusqu'au couvent de Souzclal livrent à sa vindicte. I(ikine est roué apr'ès avoir lecu en quatre lbis cent couJls de lirroute. Le malheureux Afanassief, cotrpable seu[ement d'avoil recrreilli les confitlences rle son mtritre, a la tète tranchée. On connaît le solt cl'Eurloxie et de Glébof. Très chargés par rllexis, Dolgorouiri et Viaziernslii doivent probablement ir cette insistance du Tsarevitclr cle s'en tirer avec Ia corrfiscation de leurs biens, la perte d.e leurs emplois et I'exil. Dénoncé par Glébof comD)e a)-ûnt encouragé les espél'allces cl'Eudoxie, mis à Ia tortule,
(l) Poconrrr, I'e
l8û0, t, I, p. [-110.
procès

du Tsarct'itah ,{leris,

dans

la

Roucskaîa Bicisçiéda

L'OPPOSITION.

- AI,EXIS,

585

f)osithée, évêque de Rostof, recorrtraît avoir prophétisé à I'exTsarine la mor-t plochaine de Pierre et I'ar'ènernent cl'Àlexis; nais, interpellant I'trssenrblée cles arhireTs chargée de prolloncer sa dti6;raclation, il fit entendre ces mots significatifs : u Regardez ce que vous avez totrs au fond des cæurs ) pol"tez u uos oreilles au nilieu du peuple et I'cipétez ce qu'elles entenu drorrt. , Il subit, lui aussi, le supplice de la roue avec un .le ses prétres. Les têtes des suppliciés sont fichées sur des piques, leurs entrailles brûlées' Poklanovslii a la langue, les oleilles et le uez corrpés. Une princesse TroTéliourof, deux non rres, un grand nornbre de gentilshotnltles, clorlt trn Lapouhirre récemrrrent rel'erlu d''lngleterre, recoivent le kttottte. La princesse ,\nastasie Galitsine, la joveuse comrnère r1ui, inlormée par l"abbesse cle Souzdal des relations d'Iiudoxie avec Glébol', a galrlé le silence, échappe au knoute, nlais a les batogues. l'ielle {ait assister son fils aux exéculions qui dulent trois heut'es, puis I'ernmène àr l)étersllour{i. Alexis se croit mainterrarrt hors d'afïaire et se montre très satisfait de son sort. L'adversité l'a rendu insensible. Il n"a plus cle cætrr que pour son Euphrosine. Il lrri écrit pour lui alrnoncer que sLlrr père est parl'ait maintenant et l'a inliti i) sa table. Il se dit trcs satisfait cl'ôtre clélivr-é clu titre d'lrér'itier': u Nous n rtr'A'r-ons jamais songé, tu le sais bien, qu'ii vivre tranquilles t à firtjestt,ietrÈa. Ett'e avec toi et en paix jusqu'à la mort est ( rror) seul désir (l). , Sa lettre était peut-être pour les lecteurs clu cabinet noir; mais très certainenrcnt il pensait plus qtre jarnais à épouser la F-innoise. Avarrt tle quitter IIoscou, il s'était jeté aux pierls rle Oatherine pour lui demander de favoriser cette urtion.
(1) Lettre citée prr Kosrorrr.nol (Le Tsaretitrl,,4lc.ris, dans l'Ancienne et
,tottt'elle Jtussie, :l.875,janvier-février). Elle ne se trouve pas chez Oustrialof.

586

L'OITUVRE.

VI

Euphrosine arrive à Pétersbourgle l5 avril lTlS etprovoque une curiosité générale, qui se chan5;e aussitôt en stupeur. Comment, c'est cela dont Ie Tsarevitch s'est si fort épris (l)! On I'enferrne à la lbrteresse, on lui fait subir quelques interrogatoires, et soudain la nouvelle se répand que le Tsarevitch a été arrêté. Il avait jusqu'à présent conservé sa liberté, r'irait

dans une maison voisine du palais, avec une pension de qualante mille roubles (2). Les dépositions de cette fille ontelles mis en lumière des faits nouveaux? Pas que I'ou sache. Étant à Elrrenberg, le Tsarevitch a écrit à ses amis de Russie, au Sénat, aux évêques, pour se rappeler à leur souvenir, et aussi à I'Empereul pour solliciter sa protection. ll a parlé d'une révolte dans I'arrnée russe cantonnée en l\fecklembourg, de troubles dans les environs de Moscou, et s'est réjoui de ces nouvelles données par les gazettes. A Naples, il a continué sa correspondance et ses propos malsonnants. Il a annoncé I'irrteution d'alrandonner Pétersbourg quand il serait au pouvoir, pour vivre I'hiver à l\[oscou et l'été à Iaroslav, de n'aroir plus de vaisseaux et de garder quelques troupes seulement pour la défeuse du pays. En apprenant la maladie drr petit Pierre Pétrovitch, il a dit à sa maitresse : ( Tu vois, rnon père {'ait ce a qu'il veut, et Dieu fait ce qu'il veut. r Enfirr, se vo1'ant abarrdonné par I'Ernpereur, il a songé à se nettle sous Ia pr'otection du Pape. Ce sont des redites. Et Pierre en était si bien convaincu lui-méme tout d'abord, que l'arrestation d'r\lexis avait lieu au bout de deur mois seulement. Dans l'intelvalle. le prince était interrogé, sans doute, sur les particularités révélées par sa uraîtresse, peut-être même avec I'emploi des movens
(1) De Bie au.r Etals généraur, 29

/o\ Sronxu, t.

\LXlV, p. 331.

a'ril

1718- Archives de la Haye.

L'OPPOSITION,

_ ÀLEXIS,

587

de coercition clont sorr père avait une si courante habitucle. En mai, il acconrpagnait le Tsar à PetelhoF, et ce n'était ['as assurément pour ulc paltie de plaisir. Plus tard, un paysan du comte l\foussine Pouchkirre set'a coudamné atrx galères pour ayoir raconté qu'étant à lÛ canrpagne irvec le souverain, le 'I'sil-

revitch avait été conduit dans une remise écartée' et qu'on avait entendu des cris et cles gémissements sortant de ce bâtirlerrt (l). Mais. jusqu'au l4 juin, Alexis tlemeurait libre' La veille de ce jour, Pierre a convoqué à nouveau une réuuion de dignitaires ecclésiastiques et laiques et leur a remis une déclalation, dans laquelle, faisant appel à leur justice' il Ieur a denrtrndé de plononcer, entre lui et son fils, lequel, en cachant une partie de la vérité' a rompu le pacte de clémence consenti en sa faveur. Évidemrnerrt Ie souverairl a fini par Lrouvel dans les dépositions tl'titrphrosine un prétexte à l'r reprise du procès terminé à t\Ioscou. Mais pourquoi a-t-il chelché ce prétexte ? Peut-être s'est-il convaincu du danger créé par la nouvelle situation de I'ex-hdritier' Cette situation. il l'avait jugée précétlemrnent ilracceptable. llais peut-étre aussi a-t-il simplement céclé à I'uttrait, à I'horlible entrainernent de la procédure meurtrière qu'il s'est plu à remettre en mouvement. C'est lui qui, croirais-je volontiers, est pris dans I'ende despote, de justicier fTlerrafie. Ses instincts d'inquisiteur, Il voit rouge. irnplacable se sont exaspérés. Dans I'assemblée à laquelle il Lr fait appel, le clergé est fort en peine du jugement il rendre ; il se tire d'af'faire, au bout de cinq jours, en invo(luant tour à tour I'Ancien et le Nouveau Testament : Ie prenrier {burnit des exemPles rlui i'rutoriser.rt le père à punir son fils; le second en foul'rrit d'autres, plus clé'
merrts, clans I'aventrrr.e du fils prodigue et de la femme aclrrltère. Le Sérrat réclame un supPlément d'instruction. C'est sarls dortte

le vreu de Pierre, et c'est la perte irrémétliable d''Uexis. L'affreux itppareil de souffrance et de mort rre lâchera plrrs sa proie' Après une nouvelle comparution devant la haute assemblée, (l)
trIessager rurse, 1861,

n'21.

588

I,'OE ÛV RE

qui ne donne comme r'és'lfat que la confirmation des anciers a'cux : toujours I'histoi.e nronorrne et i'signifiarrte des liaiso's entretenues avec les partisans de I'ancien régime, des espérances nour.ies en commun, le rg juin le Tsarevitch est appliqué pr,rur Ia première fois à la torture. vingt-cinq coups de k'oute ct un aveu ,ou\-eau : Alexis a souhaité la màrt du ,o' père. Il s'en est accusé de'ant son co*fesseur et a recu de lui cetle répo'se : u Die. te parclo'ne, nous Ia souhaito's tous. r Inte'rogé à son tour, Ig.atielr confirnre la dépositio'. llais, en son1r1le, elle ne porte clue sur une pensée coupable. Ce n,est pûs assez. Trois jorrrs plus tard, le Tsareritch est rnis en pré_ sence d'un questionnaire en trois points ; n pourquoi a_t_il u désobéi à s'rr 1lùr'e? comment n'a-t-il pas crairrt re châtiment o auqrrel il devait s'atte'd'e? Pou.quoi a-t-il songé à recueillir n I'héritage pateurel par cles voies iltégitirnes? u Âlexis a, dès à présent, 1re'clu piecl da's le gouftrc oir il se se.t e'tr.îrri,. Il n'a plus qu'*' souci : co'vrir. Iitrphr.sine. Il a été, croit_or, conlronté ayec elle et a enterrdu sortii' de sa bouclre cles paroles qui rne'taie't à son A'rour, clui l'accrrsaie^t. N'importe ; il I'aime et I'aimera, jusqu'à la mort. Il char.ge tout le monde et se charge lui-'rême, en s'obsti'ant à la rnefire bors de cause. Elle n'a rien su, rien fait, clue de lui donner de bons co^seils, qu'il a eu le nralbeu' de ne pas suivre. conçues -.ous I'e'rpire clc cette préoccupation, ses répo'ses au question'.ire révèlent toute la pitoyable agonie de son àme : u J'ai été éler,é par cles * I'ernmes, qui ne m'ont upplis que cles nomeries, pour les_ u q'elles j'avais, d'aille'r.s, naturelleme't de I'inclinatio.. Je n ,'a'ais Pa-r envie rle trayailler, ai'si que mon père l,e-rigeait u cle moi. Yiaziemslii et Narychkine, à leur tour, ne rn.ont < pour:é qu'à ltavarder et à m'enivrer avec des popes et des u moines. Nlenchikofseul m'enga,;eait au bien. Ainsi peu à perr ( non seulement les entours cle rnon père, mais sa personne l. elle-'réme, me sont cleve.us odieux, eI mon séjour à I'étra'u 8€L, ot) mon pèr.e nr'a envoyé pour mon bien, n'a pas sufli a à rn'amender. Que je n'aie pas reclouté davantage sa juste c colèr'e, cela vient de ma rnau,,.aise nature. f)epuis mon

L'Of}POSITION.

_ ALEXIS"

589

suis tr.ouvé éloigné du bon chemin, et, ns n roulant pas suivle mon père, j'ai dû chercher. rua voie ailu leuls. u 'folstoï, qui (ait ollice de juge d'instruction, n'est pas satislait de ces palinodies. Il vouclrait quelque chose de plus prècis, un lirit aurluel on puisse accrocher un r'éguisitoir.e. I lirrce d'insistances, il finit par arracher au malheureux cet .1uLre aveu ( qu"il atu'ait accepté Ie secours de I'BnrpeleuL pout cirntiuérir la cour"onne à main année u . Ilais ce secour.s lui a-t-it été offert? Norr. Et I'enquéte revient à son point tle dépar.l. Toujours des intentions coupables, des pensées clirninelles ; pirs un acte ! Il lirut tâcher encore d'avancer'. Le Z,t+ juin, nclrvelle séance en charnbre de torture. Quirize cout)s. Résultat: rrcirrt. L'uccusé a eu corrtiance eu Éti"rrne l,.r-u,l.l.i. l'ér.èr1rre frondeur, rnais rr'a eu méme jamais d'entr.etien avec lui. I)'autres le lui ont indiqué comme sympalhique à sa cause. C'est fini. Le knoute et I'estrapude ne donner.ont plus rien. On est forcé d'ariver'à la conclusion. Queile sela-t-elle ? A cet égarrl, point de doute. Il est inadmissible <1u'.. ait tlar-aillé po'r rie'. ll est i'adurissible q*'tin Tsarevrtch ait été livré aux nrains du bourreau pour sortir indernne de son procès et de sa prison, et polter au dehors, sur son dos labouré pur les lanières sangiantes, l'atroce térnoi6uage de I'iniquité paternelle. llrris Pierre osela-t-il? Le hér'os de la légende drr clixiènre siècle, Vassili Bous"laié_ vitch, en lutte a'r-ec les Novgorocliens, lèr.e l'épée sul son pfopl.e père. Pour Ie retenir, sa mère srrisit par derrière les paus de son rêtenent, etle héros de lui dire: u Vous êtes adroite, la u vieille I Yous avez su vous y prendre pour rnaitriser rn. ( grallde folce. Si vous ru'aviez abordé en lace, je ne.r-orrs u aurais pas épargrrée, Nladanre nta rlère ; je r.ous aurais tuie, r. cornrùre un rnoujik de Novgo|od ! , pierre est de cette rûce; il est le de'nier rePrcise'tarrt drr cr-cle cj1-,i11ue cles terr.ibles batailleurs, et il n'a perbonne ,1"..iè." t,,i po,," I'arrêt'er. .\ trate's I'innnité des ténroigrr{îes recueillis co'tr.e lui, Arexis est arrivé pourtant à person.ifit,r, aux yeux dLr Réforrnatetrr,

(

errfance,

je nte

59

)

L'otluvRE

le parti hostile, coutre lequel il a eu à lutter deptris vingt ans. Ce n'est plus un fils, c'est un adversaite, uû rebelle, un moujik cle Nolgorod, avec lequel il s'est vu face à face. Bt puis, entre &Ioscou et Pétersbourg, autour du principul accusé, I'enquéte .r répandu déjà toute une mer cle sarrg. Vingt-six femmes et conrbien d'hommes ont gémi sous la morsure des fouets, ont étalé leurs chairs pantelantes au-dessus des rouges brasiers (l)! Les rualbeureur serviteurs qui ont accompagné Alexis à I'étran6er, salls se dorrter qu'ils faisaient autre chose que leur deroir, ont été knoutés, mis à I'estrapade, envoyés en Sibérie, ( parce qu'il n'arrrait pas été convenable, a dit le jugernent,

u de les laisser vivre à Pétersbour6 (9) , ! La capitale a été soumise pendant de longs rnois à un ré5;ime de terreur renfot'cée. u Cette ville, écrivait La Vie en jarrvier 1718, semble u étre devenue fttneste par tant d'accusations ; I'on y vit ( comrne dans une contagion publique I I'on ne sattrait y étre r qu'.rccusateur on accusé. ' Pierre a subi la contagion. Le sang versé lui a rnonté à la tête. Une haute cour de justice, composée avec les rnembres du Sénat, les mirristres, les grands officiers de la couronne, les
états-rrrajors de la garde (le clergé, avant paru se rdcuser, a été mis hors de cause) , est appelée à prononcer la sentence. Cent vingt-sept ju6es. Tous savent le verdict qu'on attend d'eux, et pas un n'est capable de refuser son vote à la volonté devinée clu maitre. Un seul, un Iieutenant de Ia 6arde, refuse sa signa-

ture : c'est gu'il ne sait pas écrire. Et le procès arrive à son terme fatal. Le 24 juin,le jugement est rendu : c'est la mort. Le drarne n'est pourtant pas terrniné. Il se complique encore d'un dernier épisode, le plus somlrre de tous, et d'une des énigrnes les plus obscures qui soient dans I'histoire. L'alr'ét
n'est pas exécuté. Alexis meurt avant que son père se soit décidé à laisser la justice suivre son cours ou à faire'gràce' Comment

meurt'il
1860, n"

?

il SrÉrrrrvsrt, Noteç l, p.39-45.

sur

le

çtxièrne aolume 6'g611iulof
1>.

;

Aousskoïé Slouo,

(2. Bnûr;rren, Iler Tçareuitch AIetei,

207.

T,'OPPOSIlION.

_ AI,EXIS.

59r

VII
Toici la version officielle : a En entendant la lecture du jugement, ie Tsarevitc'h a été fi.appé d'une espèce d'apoplexie; rappelé à lui, il a demandé à voir son père, a encore confessé ses fautes en sa présence, a obtenu son pardon et a rendu le dernier soupir au bout de quelques instants. , pierre, affirment les documents éman.nt de la méme source, inclirrait à la clémence, mais, r dans cette incertitqde et lâcheuse agitation, n il a plu au Dieu tout-puissant, dont les saints jugements ( sont toujours justes, de délivrer par sa bo'té toute divine la ( personne du souver.ain et son empire de toute crainte et de u tout danger,. Le corps du prince a, d'ailleurs, été exposé pendant, huit jours, ( ayec permission à tout le monde cle le voir. a6n qu'on pût juger qu'il était mort naturellement (l) ". La mort nat.relle du prince a donc fait I'objet d'un do.te. ce n'est pas seulement le do.te, c'est |affirrnation catégorigue d'un dénouement co.traire, qui paraît dans toutes les autres versions contemporaines de l'éve!ns1nsnt. ll n'1, a de désaccord que sur la nature de Ia rnort violente. Le résident impérial, Plever, veut que le Tsarevitch ait eu la téte coupée d"rrs.a prison, et Scherer va jusqu'à désigner le bourreau, c'est le général Weyde. Une demoiselle Krahmer, fille d'un bourgeois de Narva, a passé clans la légende pour s'être ernptoyee à reconclre la tête du supplicié au tronc, de facon à lhire iirp"raitre la trace de I'assassinat (2), ce qui ne I'a Pas empéchée cle devenir pl.s tard maîtresse de cour de la grande_d,.r"husre Nathalie, fille de I'assassiné ! staehtin sait seulernent qu'elle a
(1,, )Iémoire présenté par Kourakine u.* Ét"t. généraux le 6 aorît [7tg. Archives cle la llave. Relarion tidère de ce qui .'esipassé au sujet du jugeuent rendtr contre le prince Alexis et des circonstances de sa i.i fZtS. ^oi,, ". (Publication oflicielle.) (2' Dor,conouror, i[émoirus, t, I^ p. L0.

592

L'OEU\TRE.

(l), sans qu'il puisse autrernent intelventron. son trlais expliquer Henri l]r'uce raconte I'histoire d'une potion que Ie général Weyde est allé demander pour Ie prince au droguiste l3ehr, qui est devenu tout pâle en lisant I'ordonnance (2). On trouve aussi, dnns un recueil d'anecdotes publié en Angletene (3), I'hvpothèse rl'un poison dont aurait été irnprégué le papier remr-{ au 'Isurevitch avecleprononcé du jugement. Une lettre d'Alexis Rourniantsof , dont de nornbreuses copies rnanuscrites ont circulé, serait concluante. L'auteur y raconte à un de ses amis, Dimitri Titof, que le Tsarevitch a pér'i par ordre du Tsar, étouffé avec des coussins, Ies exécuteurs de la volorrté du souverain étant Boutourline, Tolstoï, Ouchakof et lui-rnême. Mais I'authenticité du document est contestée (par Oustrialof entre autresl et contestable. De Bie etVillebois tiennentpour un coup de lancette, qui aurait ourert les veines du prince ; mais ils n'ont recueilli que rles on clit. Les récits Jes J;lus détaillés sontceux tle Lefort, conseilier plus tard de la légatiorr de Saxe et employé alors uu service du 1'sar, et du comte Rabutin, qui a ultérieurernent remplacé Plevel corr)me résident. IIs ne diffèrerrt que sul des points très secondaires. n Le jour de Ia molt du plince, ( raconte Le{brt, le Czar, à quatre heures du matin, acconlr pagné de Tolstoï, se transporta à la forteresse dtrns un des ( caveaux voùtés, où il y avait la potence et les autres pr'épar ratif's pour dorrner les knoutes. L'on y mella I'in{brtuné, ( auquel, apr'ès I'avoir élevé, on donna divers coups de u lirroute, et ce que je ne saur.ais croire, quoique I'on m'ait asr Sûré, le Pèr'e porta les prerniers coups. A dix heules avant r midi, on fit la mérne e-xpétlitiorr, et, vers les qtratre heures, u il fut si maltraité qu'il rnourut sous Ie louet (11)., Iiabutin est plus alfirmatif, et il met aussi Cat]rerine en cause. pierle a frappé, €t, a sslnpe il ne savait pus bien manier (le knoute),
été charyée d'habiller le cadavre du prince
(2' )L:noirer, p. 186. L'authenticité

iL'

Anectlotes,

p. 322.
<.le ces

(3'

Nemoires est donre srée.

A sclect collectiott. of

fl)

sinqu!,u /rfctor.ie.t, Londres, L77lt, i, lli:nnvrsr, Geschichte Artsslontls, t. IV, p. 830.

lI, p. .lll,

L'OPPOSIIION. _ AI,EXIS.

593

. il en donna un tel coup que le malheureux tomba à terre ( aussitôt sans connaissance et que les ministres le crurent r rnort u . Mais Alexis n'était qu'évanoui, et, en le voYant revenir à lui, Pierre dit avec humeur en s'éloignant : " Le diable ne le prendra pas encore. u É'videmment il comptait
recommencer. Catherine lui épargna cette peine. Ayant appris que le prince allait mieux et ayaut pris I'avis de Tolstoï, elle envoya auprès du prisonnier le chirurgicn de la cour Hobby, qui lui ouvrit les veines. Pierre, averti, vint voir le cadavre, secoua la téte, comme s'il se doutait de ce qui s'était passé, mais ne dit rien (l). Ces témoignages ont Ie mérite d'une terrible concordance avec un document d'une sincét'ité indiscutable : le journal de la garnison de Saint-Pétersbourg, tenu jour par jour dans la forteresse même ou le drame s'est joué (2). On y lit ces détails : " Le lljuin, une chambre de torture spéciale a été établie dans une casernate avoisinant, au bastion Troubetzkoï, Ia prison ou, ce jourmême, le Tsarevitch a été enfermé. Le 19, il y a eu deux séances dans cette chambre, de midi à une heure et de six heures à neuf heures du soir; le lendemain, une troi-

sième séance, de huit heures à onze heures I le 24, deux séances, I'une de dix heures du matin à midi, I'autre de six heures à dix heures du soir; le 26, encore une séance, en présence du Tsar, de huit heures du matin à onze heures. et, ce même jour, à six heures du soir, le Tsarevitch est mort. , Ainsi il y a certitude sur ce point : même après sa condannation, Alexis a été torturé, ce en quoi, du reste, ses bourreaux n'orrt fait que suivre les errements usuels de la procédure crirninelle du temps (3). Mais, cela étant, on ne comprend pas, d'une part, pourquoi Pierre ou Catherine auraient eu recours à d'autres procédés pour hâter la ûn de leur victime : le knoute
(L) Bùschings-Illagazin, t. XI, p. 487. (2) ConservéàlaBibliothèquedel'Académiedessciences de Saint-Pétersbourg. (3) M. Bnucru nn (Der Tsareuitch Alexei' p.221) observe qu'il n'est pas erPressément fait mention du Tsarevitchr à pmpos de la séance en chambre de torture du 26. Je ne crois pas que la lecture du document puiase laisser un doute
cet
à

égard'
a8

594

L'OEftvRE.

suflisait I et, d'antre part, I'hypothèse d'une mort précipitée par I'emploi immodéré de la torture acguiert un grand degré de vraisemblance. Des cas analogues se cornptent par milliers dans les annales judiciaires de l'époque, et Alexis, on le sait,

n'était pas de complexion très résistante. En

l7l4 d{j1, st

témoignage de de Bie, il avait eu une sorte d'attaque apoplecticltre au côté clroit (l). Bn{in, le caractère brusgtte du dénouement, avec I'intervention probable d'un élémenL d.e uiolence quelconque, fer, poison ou torture excessive, semble mis hors

de doute par un incident très significatif. Intercepté comme celui de Pleyer, le rapport de de Bie sur la catastrophe a valu à son auteur de pénibles disgrâces et même une violation passablement agressive de son dornicile et de son caractère diplomatique. Les témoignages par lui recueillis ont été I'objet d'trne enquéte spéciale, qui s'est attachée principalement au fait que voici : Un charpentierdu nom de Boless, gendre d'une sa.ge-femnre hollandaise, Nlarie van Husse, s'est trouvé occupé à la forteresse au moment de l'emprisonnement du Tsarevitch. Les mets servis au prince étaient préparés dans sa maison. Le lenclernain de la mort d'Alexis, la femme de ce charpentier a raconté à sa mère, qui I'a répété à la femme du résident, que la veille, à midi, la table du Tsarevitch avait été encore servie cornme à I'oldinaire. Blle a vu les plats, grri ne revenaient pas intacts. ElIe n'attachait aucune importance à ce détail I I'enquête lui en a prété une très considérable et très expressive. trIais, questionnées, avec application de la torture probablement, les deux pauvres femmes n'ont pu que maintenir leur dire, à travers quelques contradictions, et, comme elles ont recouvré ultérieurement leur liberté, sa véracité a dû être mise lrors de doute (2). Or, si, quelqLres heures avant sa mort, Alexis s'est trouvé encore en état de manger, c'est que sa mort_a.été violente. Je passe sur les légencle.r rnultiples qui, elles aussi, ont dit (f)
Dépêche interceptée du 5 mai 1712. Archives de Jloscou.
de

(2) Yoyez le résultat de I'enquête chez Otsrnrl.r.on, t. Yl, p. 289. De Bie a

son côté confinné son râpport. (Exhibitton du

I

aorit 1718. Archives de la llaye )

L'OPPOSTTION.

_ ALEXIS.

595

leur mot sur le terrible drame. Parmi les paysans, la croyance s'est conservée longtemps à la survie du Tsarevitch, qui aurait miraculeusement échappé à ses bouueaux. It y a eu même en 1723 un faux Alexis à Pskof, et un autre en 1738 à laroslaviets. Et, au fond, je serais même porté à considérer comme peu importante, au point de vue historique, Ia réalité matérielle des {àits qui ont arnené la disparition du malheureux prince. Moralernent, Pierre en reste responsable de toute manière. Dans ce procès, où les intentions seules ont été mises en jugement, la sienne n'est pas douteuse : il a voulu n'importe comment se débarrasser de son fils, et ce trait sinistre marquera sa physionomie pour l'éternité. Son attitude après l'événement est égaleruent pour défier toute tentative d'apologie. Dans le journal de la garnison de Saint-pétersbourg, dans le journal particulier de Menchikof (l ), je trouve, sur I'emploi qu'il fait des premiers jours qui suivent le lugubre dénouement, des renseignements donnant lefrisson : ^ 27 juin (lendemain de la mort du Tsarevitch) : Messe et * Te Deum pour I'anniyersaire de Ia bataille de poltava; u salves d'artillerie en présence de Sa Majesté.,. A neuf heures u du soir, le corps du Tsarevitch a été transporté du bastion r. Troubetz,koi à la maison du gouverneur. c 28 juùt : A dix heures du matin, translation du corps du u Tsarevitch à l'église de la Trinité, où il a été exposé. " 29 iuin .. Féte de Sa Majesté. Lancement, à I'Arnirauté, < du vaisseau nouvellement achevé, le Liesna, construit sur o les plans de Sa l[ajesté. Sa Majesté a assisté à la cérémonie r avec tous les ministres. On s'y est fort diuertt. , Dans ses dépêches des 4 et 8 juillet, pleyer parle aussi d'un rliner, au paiais d'Été, donné à Ia méme occasion, d'une féte de nuit et d'un feu d'artifice. Interrogé par les membres du corps diplornatique au sujet du deuil à revétir, le chancelier a donné une réponse négative, le prince étattt n ort coupalrle. Et, le résident impérial I'affirrne, si Catherine a montré quelque (t)
Conservé aux Archiveg de I'Errpire.

596

L,OEUVRE,

L' horizon s' est éclairci. Oui, Pierre a éclairci son horizon avec un coup de foudre; il a décapité l'hydre de I'opposition; il a courbé l,esprit de ses sujets sous une terreur plus fbrte encore que celll dont Ie.procès des Strehsy les avait frappés, et il a repri, sa course allégrement. Bien que Ie lugubre pro"è, ne I'eût pas détourné de ses occupations habituelles, pas plus que de ses plaisirs, un léger ralentissement y a pourtant paru : àu 2l uuriiuo2l juin,

chagrin pendant ces_réjouissances profanatrices, pierre a paru toujours très gai. Cett3. supréme injure n,a même po, IrA épargnée à la lamentable destinée clu fils d,Eudoxie,^ a'îme d'infortune, où I'on conçoit que I'art et la poésie aient tlourré une source inépuisable de poignante émotion. L,étucle très curieuse de I(ostomarof est accompagnée de Ia reproduction du tableau tl'un peintre russe a'o"igirr" française çCïe) , pierre mettant sous les yeux de son fls la déposition d,Euphrosine. Qu'est devenue celle-ci ? Elle a recu, guoi qu,on en ait dit, Ie prix de sa trahison. EIre a assisté à r'inventaire des effets du Tsarevitch et en a eu u:e bonne part (l). Au rapport de pleyer, Ie Tsar et la Tsari.e rui ont témoigné beaucoup de bienveirIance, et, â en croire d autres contelporains, elie a épousé un officier de la garnison de Saint_pétersbour.S: avec lequel elle a vécu trente ans €ncore dans I'abonclance ei Ia paix 1Z;. Et Pierre a conservé sa belle humeur. Un mois-après la catastrophe, le l.'aoùt l?lg, écrivant à sa femme, de Revel, c'est sur un ton d'enjouement et avec un contenter""r, "iriur" qu'il en évoque le souyenir, prétendant avoir découver[, à la charge de celui qui n'est plus, des faits plus Srayes """r";;;; tous ceux précédemment révélés. alexis aurait cherché à ,'entendre avec Charles XII (B). A la fin de I'année, une médaille était frappée par ordre du souverain, où I'on voyait ur€ cou_ ronne impériale élevée dans les airs et s'ilruminant des rayons du- soleil qui perce les nua6es. Au bas, cette inscription :

({) Ousrnruor, VI, 521". (2) 8ùschings-IVagazin, r XV, p. 285 iil) Sorovrrr, t. XVII, p. 282.

L'OPPOSITION.

- ÂLEXIS.

597

vingt et un oukases seulement ont été publiés, et pas un du g au 25 mai (l), alors gu'habituellement cette publication était presque quotidienne. ll doublera la dose maintenant. Il peut légiférer : il a chunce d'être mieux obéi que par le passé ! l\Iais il a soulevé I'opinion publique, lrors de son pays tout au rnoins; et il n'a pas réussi à lui donner le change, en dépit d'un luxe énorme d'apologie officielle : manifestes, u relations ûdèles et authenti{u€s r , et articles de gazettes libéralement rétribués. Quarante ans plus tard, il mettra encore à une dure épreuve la conscience du moins scrupuleux des publicistes européens. Voltaire écrira confidentiellement à d'Alembert : u Le tsar Pien'e me lutine ; je ne sais comment m'y prendre ( avec rnonsieur son fils ; je ne trouve point qu'un prince u mérite Ia mort pour avoir voyagé de son côté quand son c père courait du sien, et pour avoir aimé une fille quand son c père avait la gonorrhée. , Moins explicite avec le comte Chouvalof, il se faisait fort de réfuter Lamherty à I'aide de certains documents favorables srrbstitués à d'autres qui le sont moins ; il déclarait pourtant ne pas pouvoir prendre parti contre Alexis, sous peine de passer pour un historien u lâchement partial r , et, sa verve de polémiste l'emportant, il écrivait ce véhément plaidoyer : n On force, après quatre mois d'un procès criminel, ce n malheureux prince à écrire que, s'il y avait eu des révoltés ( puissants qui se fussent soulevés et qui I'eussent appelé, il ( se serait mis à leur tête. Qui jamais a regardé une telle déclaration comme valable, comme une pièce réelle d'un " ( procès? Quijamais a jugé une pensée, une hypothèse, une " supposition d'un cas qui n'est pas arrivé ? Où sont ces u rebelles ? Qui a pris les armes ? Qui a proposé à ce prince de ( se mettre un jour à Ia tête des rebelles ? A qui en a-t-il r parlé? A qui a-t-il été confronté sur ce point important?... u Ne nous faisons pas illusion ! Je vais comparaitre devant n I'Europe en donnant cette histoire. Soyez très convaincu,
(L)
Recueil des lois,3t93-321f.

598
a Monsieurr

L'OEUVRE.

r espérer qu'on n'exécuterait pas. Aussi s'est-on bien dorné ( Sarde de m'envoyer aucun mémoire de Pétersbourg sur cette û fatale aventure (l). l

pense que le Czarovitz soit mort naturellement. On lève les r, épaules quand on entend dire qu'un prince de vingt-trois r ans est mort d'apoplexie à la lecture d'un arrêt qu'il devait

(

{u'il n'y a pas un seul homme en Europe qui

L'infortuné Alexis a trouvé, Iongtemps après sa mort, Ie plus éloquent des avocats, et Pierre un redoutable accusateur. La lecture de I'Histoire de Russie prouve malheureusement que le comte Chouvalof a découvert ultérieurement, ailleurs, certes, que dans les archives de Saint-Pétersbourg, des arguments propres à ébranler la conviction du plaidant et à le faire changer d'avis. Mais plaidoyer et acte d'accusation restent; ils seront éternellement, vis-à-vis de ce procès, I'expression de Ia conscience publique, et Pierre en portera éternellement le poids. Je reconnais yolontiers qu'il est de taille à ne pas fléchir sous le fardeau. Il a tué son fils. À cela pas de justification possible. J'ai repoussé et je repousse encore I'argument de la nécessité politique, invoqué par la défense. Un fait y répond : Pour n'avoir pas voulu de ce ûls comme héritier, Pierre a laissé son héritage à qui? A I'inconnu. Catherine I'a ramassé dans une intrigue de cour. Pendant un demi-siècle Ia Russie sera livrée aux aventures et aux aventuriers. Voilà pour quel résultat le grand homme a fait travailler ses bourreaux. Mais il a été grand et il a fait Ia Russie très grande. C'est sa seule excuse.
(L1 OEuanes, t. XII, p, 255.

OHAPITRB IX
LE
TESTA}IENT

DE PIENRE LE GRAND.

-

CONCLL]SION'

La nort de Pierre' - Il. Le testament apocryphe et Io vrai testarnent du III. Aperqu général granil homrre.

-

I

I'histoire. Alexis a trouvé dans le destin un vengeur Plus prompt. Je ne crois Pas qu'en vouant à la mort son fils ainé le .orro".uir. ait imité le sacrifice d'Abraham, immolant sa chair à I'aveuir de son pays et au salut de son (Euvre' Il a montré depuis, en cette matière, une troP grande incurie, dont j'ai déjà indiqué ailleurs les raisons (v. p. 187), dans sa concePtion puissante, mais courte, des choses, et surtoutdans I'infatuation de lui-même ou il a vécu, incapable de s'intdlesser' à cet au delà, ou même de le comprendre en dehors de lui, après lui. Nlais, s'étant donné un héritier de son choix, il a dir naturellement se complaire dans I'idée de profiter cles loisirs que la guerre lui laissait maintenant pour façonner à sa guise le corps et l'âme de cet enfant de I'amour. Il a tendrement trimé ce puîné. Le 16 avril 1719, moins d'un an après la mort de I'a,rtre, le destin lrappait à sa porte : le petitPierre Pétrovitch, le fils de Catherine, était emporté en quelques jours de maladie, et I'héritier, c'était désormais I'autre Pierre, le fils de
Charlotte et de I'assassiné
!

Pierre a pu faire bon marché des vengeances Posthumes de

Pierre a paru d'abord se cabrer contre cet arrêt du sort,

600

I,'OEUVRE.

qui rdpondait au sien. Son entourage. à commencer par
Catherine et Menchikof, en était révolté sans doute aussi. Le souverain laissait pourtant écouler près de deux années sans prendre parti. Le I I février l Tg2 seulernent, un manifeste revendiquait pour le Tsar, en invoquant I'autorité d'Ivan Vassilévitch, Ie droit de régler arbitrairement sa succession. C'est le principe tle la prauda uoli ntottarchet (la vérité de la volonté souveraine) dogmatiquenrent exposé en même temps dans un écrit célèbre de Féofan Prokopovitch. Mais on en attendait \'âinement pendant les années s'tivantes une sanction pratique. Rien ne venait, à cet égard, si ce n'est cette indication vague et diversement interprétée : le couronnement de
Catherine.

astlrrne, dont le souverain sotrffi'ait beaucoup. On croyait aussi qu'il avait un abcès dans le corps. n Outre ces incommo. dités ' , a.jorrtait Ie diplomtte, n il en est survenu une à n Riga, gtri aurait bierrtôt fini la partie et qui était fort bors n de saison. Dieu sait son origine, mais I'on s'estapercu qu'un n cles pages mal peignés de ce héros a eu Ie bonheur de tomu ber rnalade en nrême temps que son maitre (l). " Le lsar avait été à l'agonie pendant dix-sept heures, et, à peine remis, il ne songeait pas ir se ménager. On observait seulement n qu'il faisait ses ddvotions plus nttentivement qu'à I'ordi( naire, avec des meâ culpà et des génuflexions et beaucoup n de baisers en terre, . Doué d'un tempérament exceptionnellement robuste, Pierre lui a toujours trop demandé. Il a vécu une double et triple vie. En 1122, au cours de ltr campagne de Perse, les premiers syrnptômes d'une rétention de I'urine se manifestaient, et s'agglavaient pendant I'lriver de 1723. Il ne se laissait 6uère soigner et ref'usait absolument cle prelrdr.e dtr repos. L'alïaire l\Ions, puis celle de Mencbikof , auquel il était obligé d'enlever ({)
Snonsrx,

Et cependant la santé du maître commencait à donner des inquiétudes arrx siens. En mai l72l déjà Lefort parlait d'un

t. III, p.332.

LE TI],STÀIIENT DE PIERRE I,E GRAND.

601

la présidence du Collège de la Suerre' à cause de ses déprédations, précipitaient Ie progrès du mal en irritant le malade. Et il continuait à se dépenser sans mesure. Il traitait d'ànes bâtés et renvoyait à coups de doubina ses médecins, I'Allemand Blumentrost et l'Ànglais Paulson, qui lui préchaient la modé' ration. En septembre L724,le tliagnostic de sa maladie se précisait : c'élait la gravelle, compliquée d'un ressouvenir d'aÈ fection vénérienne mal guérie. Il souffrait de violentes douleurs de reins, il rendait ( une Pierre assez grosse ' r et quelques jours après n des morceaux de matière corromPue ' . Des tumeuls paraissaient aux cuisses et sunnuraient (l). Tout cela ne I'empéchait pas d'aller le mois suivant visiter les tra' vaux du canal de Ladoga. Il passait là des nuits très froides
sous la tente, plongeait à cheval dans des marécages glacés (2).

il courait aur forges d'Olonets, puis et y làisait la besogne d'un Roussa, de Staraia aux usines ouvrier. Enfin il s'entêtait à retourner à Pétersbourg Pal'eau' en plein norembre. En route, près de la petite rille de Lnhta, il voit un bâtirnent échoué et des soldats à bord en une situa' tion périlleuse. Il y court, se met dans I'eau jusqu'à la ceinture. L'équipage est sauvé, mais il rentre dans sa capitale avec une violente fièvre et se couche pour ne plus se relever. [-]ne ponction, conseillée par Ie médecin italien Lazarotti, est diflér'ée jusqu'au 23 janvier, et, opérée alors par le chirurgien anglais Horn, n'a pour effet que de révéler un état désespéré.
Son inspection terminée,

Pierre rneurt cornme il a vécu, succombant à la peine, mais ayaut une fois de plus sacrifié son métier de souverain à sa manie de manouvrier'. Ce qu'il y a eu toujours d'héroïqtrement excessif, d'irréfléchi et de disproportionné dans I'ubiquité de son e['fort s'est manifesté une fois cle plus au terme de sa carrière. Toujours il a perdu de vue cette vérité que I'héroïsme (l) C,rnnneoot,30 septernbre L72t(' A$. étr. de France' RIcnrrn, dans gon Histoire de la méd,cine en.âzssfe (t. III' p. 8/l-94), nie les cornplications d'origine syphilitique, mais il n'a d'autre arrtorité ) invoquer que celle de I'anecdotier Staehlin. (2) Bioqrapl,ie de trIunîch; Bùschings-Xla.7a;in, t. III, p. l+0[.

602

L'OEUVRE.

d'un matelot et celui d'un chef d'empire ne sont pas cle même nature. ll vient de sauyer une barque et la vie peut_étre de quelclues hommes, mais il laisse en périr le grancl navire et le 6rand équipage dont il avait le commandement. eui le rem_ placera à la barre? On n'en sait rien. Il n'a rien prér.u, rien réglé, et il se montre incapable, devant Ia mort, du 6rand et suprême acte de volonté et de conscience qu'on avait le droit d'attendre de Iui. On a vu tantôt un matelot ù l'æuvrel on n'a plus maintenant devant soi qu'un moribontl vulgaire. Sa fin est celle d'un fils dévot de l'Église orthodoxe, mais non iras celle d'un Tsar. Du 22 au 28 janvier, il se confessait et commrrniait trois fois; il donnait des signes de repentir ; il dictait I'ordre d'ouvrir les portes des prisons; en recevant les clerniers sâcrements avec beaucoup de componction, il répétait à plu_ sieurs reprises : n Je crois, j'espère D ; mais il se taisait au sujet du redoutable problème qui autour de son lit d'ago'ie mettait tous les esprits en émoi; il faisait faillite au principe affirmé dans son manifeste, à son omnipotence si hautement proclamée, si àprement défendue pertdant toute sa oie, au plus essentiel de ses devoirs. Il ne laissera pas de testament. L'espèce d'effarement et de défaillance morale dont il a, à plu_ sieurs donné I'exemple dans les circo'sta.ces 'eprises, tragiques qui ont épr.ouvé sa vie, semble encore, devant l'épreuve dernière, abolir son intelligence et son couraûe. Campredon parle d'une grande pusillauimité dont il aurait témoigné (l). Le 2?, à deuxheures del'après-midi, il demande de quoi écrire, mais n'arrive gu'à tracer ces mots : n Renclez tout à,.. r , qu'il n'achèr'e pas, et où paraît encor.e cette facon sommaire et rudimentaire de trancher les questions les plus délicates et les plus complexes, qui a trop fréquemment caractér'isé son initiative. Un peu plus tard, il fait venir sa fille, Anne, en indiquant I'intention de lui dicter ses der'ières volontés; elle accourt, rnais il ne peut plus prononcer une parole. Et, pendant qu'il agonise, Catherine, qui s'inonde de
(f)
Dépècbe

ju

30 janvier

{225. Aff. étr. de France.

LE TESTA]IENT DE PIEIIRE LE

GRAND.

603

pleurs à son chevet, essuie de temps en temps ses yeur et va dans une chambre voisine, Pour y discutel avec trIenchikof, TolstoT et Boutourline les moYens et les conditions du coulr d'État qui leur livrera le pouvoir. Le lendemain, 28 janvier,

à six heures du matin, Pierre rend le dernier soupir, et
quelques heures après

un régime mixte de gynécocratie

et

d'oligarchie militaire est inauguré en Russie sous les auspices de I'ancienne servante livonienne. On le verra durer jusqu'à Ia fin du siècle, et il n'a pas dépendu de Pierre que son æuvre et I'existence même de son pays n'aient soml-rré dans cette longue épreuve. La fortune de la Russie moderne s'est montrée supér'ieure au génie tle son créateur. La mort du grand homme ne paraît pas d'ailleurs avoir provoqué, sur le moment' de bien vifs ni de bien universels regrets. Dans la masse du public il semble plutôt que quelque chose ait paru de I'impression que Napoléon se jugera plus tard capable de produire en disparaissant- La Russie a dit aussi : Ouf ! Le comte de Rabutin parle même de u réjouissance générale (1),. Féofan Prokopovitch prononce un panégl.rique pompeux; mais le sentiment populaire se traduit plus sincèrement dans une estampe représentant, en traits satiriques et caricaturaux ' l'Enterrement d'un chat Par des souris (2). Le sentiment populaire est coutumier de ces inconsciences et de ces ingratitudes momentanées, et Ia Russie a, depuis, payé sa dette à la mémoire du plus méritant et du plus glorieux de ses enfants. On conçoit que des larmes plus sincères que celles de Catherine n'aient pas coulé sur cette tombe au moment où elle s'est ouverte : il y avait trop de sang autour.
(l) Biischings-Xlagazin, t. \1, p. L97, (2) Rovrnsrr, Les estampes populuires en, Russie, t'.

l, p.39'L-l+0t.

60s

L'OIIÛV NE.

IT

Pierre ne laisse pas de testament. Je n'oublie pas le document si abondamment répandu et si copieusement commenté sous ce titre (l). I\[ais, outre qu'il n'a aucune valeur pratique

inrmédiate (on y trouve un programme à longue portée de conguête de I'E,rrope par la Russie, et nulle disposition relative à I'héréclité du trône), cet écrit n'est qu'une mystification. Je suis adepte peu fervent des certitudes historiques. Trop souvent rna foi a clrancelé au contact des éléments dont elles sont le plus habituellement fornrées. Mais ici l'évidence ressort d'un ensenrble de preuves qui semblent défier le doute.
Les preuves morales d'abord.

Voyez-vous cct bomme, qui vient de mourir sans avoir son6;é à prévoir et à ré6ler I'avenir immédiat de sa lourde succession, I'irnaginez-vous s'occuparrt de ce que l'Europe et Ia Russie deviendront cent ans après sa mort? Et oela non pâs en une pensée vague, en une vision de rêve, jel'en croirais - en fixant les capable, mais avec rnéthode et précision, étapes du chemin à parconrir! Et quelles étapes sur cette étrange feuille ele route, avec quel point de départ! La Russie, ne .l'oublions pas, a, pour Ie moment, vaincu la Suède, auec Ie cot'tcours d'une bonne ntoitié de l'Europe, Saxe et Prusse, Danernark et Àngleterre, et au prix de dix-huit années
d'ei'forts aclralnés. EIle n'est pas amivée à régenter la pologne. Elle s'est heurtée à la Turquie et a rencontré un désastre. Et c'est tout, Voyez-vous encore dans I'imagination de pierre, si exaltée que vous la supposiez, comprenez-vous la conquête de

([) Récenrment encore il fournissait à un brilla*t publiciste le thème d'.ne arsumentation sur les dangers rle I'alliance franco-rugse. (Libre Patole du 4 septembre llj96.)

LE TESTA\'IENT T)E PIERRE 1,8 TlR {ND.

60.-.I

en I'Europe se cléduisant logiquement, mathérnatiquement queltpre sorte, de cette réalité initiale? Et le chevalier ov' la clteualiire d'Bon! Vous savez que c'est conrmuniquée <le lui ot d'elle que serait venue, en unc copie menat:atrt au cabinet de Versailles, la première confidence du écrit. Les l\Iémoires de l'énigmatique Personnage' publiés la en 1836 par Gaillardet, en ont ensuite livré au gros ptrblic foudroyanterévélation.OirGaillardeta-t-ilpriscesllclmoires? Il avaii vingt-cinq ans en 1836 et venait de collaborer avec de Dunras a' li 'I'ou, d'e lfiesle' Des Nlémoires'authentiques besoin Ai-je <I'Éon se trouvent aux Archives du quai d'Orsay' lui a de dire qu'ils n'ont rien de commun avec ceux qu'on queltestanrcrd d'un attribués, et qu"il ue s'y trouve pas trace

corrclue?Parcontre,orryrlécour,rechezl'arrtetrrlesirrdices très clails d'un état d'esprit qui semble absolument inconciliable avec la co'.aissance d'un documeut de cette 'attrre' Frauce D'Éon est plutôt contlaile à un rapprochement entre la etlaRussie.Parcequ'iljugecettederrrièrelluissarrcedange. I reuse? Non pas ! Parce qu'il la taxe de quantité négligeable a lui qu'il Méntoires Je ne sais pas oir Gaillardet a pris les je m'en doute plu de mettre sur le compte de d'Éon, ou plutôt ici aux J'arrive Testanrcnt' irop. l" sais ou il a pris le fameux se renpreuves matérielles. La première version du docurnent tle contre dans le livre de Lesur : De la yolitique et des proqrès la publide la puissance rrrsse, publié à Paris en lSll' La date en indique suffrsammeut le caractère' et voici un détail ""iion qui I'accuse mieux encore : Sir Robert Wilson, agent du goula vernement anglais auprès du gouvernement russe pendant campagne de I'année suivante, parle d'un 6r'and nombre .l'exliplaires de cet ouYrâ'e qui ont été trouvés dans les effet(l)' Lr: clu duc de Bassano, ministre des relations extérieures de réswné un 'I'estarnent n'est encore présenté là que comme tou'srains noles sccrètes conset'uées dans les archivcs priuées "" jusqu'en 1836' Ies et, russes, L'ouvrage est assez vite oublié,
(l)
Priuate Diary2Lon,)res, 1861,

t' l, p' 258'

606

L'OEUVRE.

Iittératures européennes ne font aucune mention du texte prophétique Bn rapprochant quelques passrges des Souurrrirs contemporains de Villemain. des Mémoires du comte Mollien, du trlessage au sénat et du llIëntoriar d,e sainte-Hérène, Berkhorz est arrivé à la conclusion que I'auteur du Résumé lé8èrement morlifié par Gaillardet et conyerti en Testamezrn'estautre que Nnpoléon I* (l). Je n'tri qu'un mot à ajouter. Au cours d"s io_ lé'riques souler'ées au sujet de I'authenticité du texte, la pr.ésence méme au dépôtdu quai d'Orsay d'une copie de ce texte, four.nie ou non par d'Éo' lui-même, a été niée fZ;. C'est à tort. Elle s'v tLouve, rnais à une place et avec une apparence extérieure qui excluent toute erreur d'appréciation quant à sa date et à son origine : elle est du second "orit"rnporoine Empire et de la carnpagne de Crirnée. Lc débat, je I'avouerai volo'tiers, n'a d'ailleurs à r'es ve'x g,'une importance très secondaire, d'un certai' intérêt en q,,i "Ë concerlle la caractéristiqrre personnelle de pierre, d'une valeur nulle pour les arguments à en tirer au point de vue plus gi_ néral cle la puissance et de Ia politique russes. pierre ,r'u f", écrit une ligne du texte devenu fameux sous son nom; ce point semble acquis àl'histoi'e; il a Iait plus et mie'x Les 're orrze premiers paragmphes du Rësumé publié en lgll ont été généralement reconnus pour un exposé relativement exact cle Ia politique suivie par la Russie depuis lT25 et des progrès de sa puissance. Voilà le vrai I'estantent du grand homme;rru' pas recélé dans des archives scerètes, mais tracé au grand jotrr, imprimé, avec I'Iiurope entière pour témoin, sur la l'ace d. monde conte'rporain. c'est son æuvre sur laquelle j'ai encore à jeter un coup d'æil d'ensemble.
(l'; liapoléon I'" auteur du Testament de pierre re Grand, Bruxelee, rg68. Yor, anssi dans ce sens I Augsburger Allgemeine Z"itu,gi i'#:

n" 223-22i.

"""",;;;;

ç2) Les auteurs du Testumettt de

I,iene le Grand, paris, :[g7Z (anonyme)

LE TESTA}IENT DE PIERRE T,E GRAND.

60?

Iil
n'est pas sans appréhension que j'aborde cette partie complénrentaire de ma tàche. Au pied <lu mausolée ou, le jout des funérailles, ont reposé les restes de I'hornme le plus ennerni du repos ciue la terre ait jamais porté, une inspiration
Ce

ingénieuse a placé I'image s1'mboliclue d'un sculpteur et d'une figure inachevée que son ciseau a fait sortir d'un bloc de rnarbre. IJne inscription latine y a ajouté ce commentaire empreint cl'une naive sincér'ité :

n Que I'antiquité se taisel qu'Alexandre et César lui cèdent u le pas. La victoire était aisée à des conducteurs de héros, n comrnanclant à des troupes invincibles I mais Celui clui ne ( se reposa qrre dans la mort a trouvé dans ses sujets non cles u hornrles avides de gloire ou habiles dans I'art de Ia guerre, (( ou ne craignant pas Ia mort, mais des brutes à peine u dignes du nom d'hornmes, et i] en a fait des êtres civilisés, . bien qu'ils fussent semblables aux ours leurs compatriotes, u et irien qu'ils se refusassent à être instruits et policés par
Dix ans plus tard, ce premier jugement de la postérité était revisé au tribunal d'un juge compétent, certes. Le prince roval de Prusse, le futur Frédéricle Grand, écrivait à Voltaire : n Des circonstances heureuses, des événements lhvorables et u I'ignorance des étrangers ont fait du Tsar un fantôrnehéroï( que; un sage historien, en partie témoin tle sa vie, lève urt n voile indiscret et nous fait voir ce prince avec tous les r, défauts des hommes et avec peu de vertus. Ce n'est plus cet ( esprit uniyersel qui connait tout et qui veut tout approfbnr, dir, mais c'est un hornme gour.euré par des Iantaisies assez
(1) Grr,trzrne,
.lfy'nrodles,

" lui. (l).

"

p. l.[E.

608

L'OEUV RE.

.. nouvelles pour donner un certain éclat et pour éblouir, ce n'est plus ce guerrier intrépide qui ne craint et ne connaît .r aucun péril, mais un prince lâche ettimide, et que la brutao lité abandonne dans les dangers. Cruel dans la paix, faible u dans la guerre... (l), " Je m'arréte. Si tôt a commencé et si loin est allée. autour de I'auguste mémoire, l'éternelle querelle qui arrache les grands morts à la paix du tombeau. A l'étranger, en France notamment, en Angleterre et même en Allemagne, le dénigrement a prévalu, depuis Burnet et Rousseau, Frédéric et Condillac, jusqu'à Leroy-Beaulieu, en passant par de lfaistre et Custine. En Ilussie, l'opinion publique et la critique historique, un peu à sa remorque, ont suivi des courants divers. Un premier mouvement de brusque réaction s'est dessiné d'abord, dans le sens d'une exaltation passionnée du passé condamné par la réforme, et s'est traduit dans le livre de Boltine. Le règne d'Élisabeth et surtout celui de Catherine II y ont coupé court, et dans le livre de Goliko[: l'écho retentissait du concert d'enthousiasme suscité par la continuatrice du grand règne. Au commencement du dix-neuvième siècle, retoul des idées réactionnaires, sous la double influence de la Révolution francaise et de I'hégémonie napoléonienne I les entreprises révolutionnaires sont prises en dégoùt; le sentiment national se réveille en Russie aussi bien qu'en Allemagne; le slavophilisme nait d'un côté comme le germanophilisnre de I'autre. Pierre et son æu\'re sont condamnés. Puis, encore un revirement. Les opiliorrs se tasserrt. Parmi les représentants de l'école slavophile, quelques-uns en viennent eux-rnêmes à modifier, en I'atténuant, le sens de leur verdict réprobateur. Pierre n'est plus coupâble d'avoir détourné la Russie de ses naturelles et plus heureuses destinées en lajetant dans les bras d'une civilisation étrangère et corrompue. Il a eu seulement le tort de brusquer et de vicier, par cette précipitation et par la violence qui en est devenue I'instrument né-

r

(l)

Romusrnne, LB nov. {737, Yor,rrrns, Oîuurcs,

t. X, p,45.

I,E TESTAMENT DE PIERRE

T,E

GRAND.

60S

ri€ry€iru de ses moujiks

institutions, des touffes de ses mæurs, des miettes de ses c*ur d'aucun Russe ni crainte ni déplaisir. Mais, violent et irrerfléchi, brutal e[ cynique, prétenda't-civiliser son peuple à coup-s de sa doubina de quarante livres, il n'a pu inspire, le désir de s,instruire et I'antour de la scien"u q,râ de inclividus. ft a eff,raye seulement et étourdi les autres, "u"es et les a figés pour loo6temf,s sur place, dans la stupeur et l'épouvante. a une époque relativement récente, un haut fonctionnaire du pays a eu I'idée de récompenser Ia bonne conduite de ses Pays.ns par le don d'une écore. L'établissementest resté vide. Ayant insisté pouren obtenir la fréguentation, le rlorrateur n,a réussi qu'à provoguer une démarche collective des intéressés dernander grâce : n Nous avons toujours fait notre l"nu:t oevorr; porrrrlloi, maitre, veux_tu nous Dunir? u voilà I'idde de la civirisation que pie*e a fait entrer dans le
ses

cessaire, une évolution quj se serait plus lentement et plus sainement accomplie sans lui. C'est à peu prè, Ia manière de voir à laquelle l(trramzine s'est rallié ,u, dernières années. "r, $i Pierre ne s'était pas rué sur son pays comme un ouragirn, arrachant du sol natal, sans pitié, to.rtu, Ies semences irrd"igènes de culture et les rernplaçaut sans discernementpar des cri. blures recueillies aux quatre coins cle l,Europe, des fragments de ses discours, des lambeaux de ses vêtements, des débris de

repas, son æuvfe n'aurait éveilé dans le

(l).

ces termes, la thèse slavophile se rapproche sensiblement du point de assez généralement 1ue fa critique de I'Occident. Je "a"ire p"" ser.ris irét à en reconnaître la justesse, mais en mett.rt hors de ru responsabilité per"aur. sonnelle de pierre, ou tout arr moins en Ia réduisant à une iart proportionnelle. Encore. celle-ci me paraîtrait-elle r.rr""paiblu de recevoir, dans une large *"*rr."', Ie bénéfice de circrrn_ stances atténuantes. La conception cle I,homme providentiel ou ftrtal exercant sur Ia marc'e cles événements humains et sur le
(1.) D. Mevoror, Archive russe, LgZB,

Ranrenée

à

p,

2b0A.

610

L'OEUV P.E.

développement naturel des peuples une action arbitrairemeut décisive, me semble assez généralement abandonnée aujourd'hui par la science historique, relégrrée au ranS des 6ctions romanesques. La réalité des forces collectives entourant et

portant les grands protagonistes du ch'ame humain s'est imposée à I'esprit moderne. Elle est assez rnanifeste dans la cariière et dans l'æuvre de Pierre. Son programme de réfornres ne vient pas de lui. Est-il seul à I'exécuter? Je le vois poussé porloni. Par un parti ; je I'aperçois ensuite entouré d'un "o g.oupu d'hommes qui inspirent et dirigent ses premières actions : Lefort, Vinnius. ûes étrangers, il ne les a mêrne pas tirés personnellement de la srrisse ou de la Hollande. Il les a tro,r*s sur place, disposés déjà à jouer un rôle conforme à leur ori6ine et à leur tendarrce natlrrelle, prêt's à entter en scène' Et puis, il n'y a Pas que les étrangers ! I(ourbatof est un Russe' et Menchikof, et Dernidof. Nlais la guerre clu Nold et son influence sur la marche du mouvernent réforrnateur? Je I'ai reconnue. J'ai dû aussi reconnaitre qu'en s'y précipitant Pierre a suivi un courlnt. On s'est rnis en route vers la tlaltique bien avant lui. on s'est armé aussi. c'est donc qu'on voulait se battre. Mais le tempérarnent, le caractère, l'édrrcation personnelle du grand homme? J'ai encore fait la part de ces éléments. Seulement, j'ai essayé aussi de montrer d'où ils venaient. J'ai rndiqué du doi6t la Sloboda, cette première éclucatrice du jeune Tsar. Est-ce Pier.re qui I'a plantée là, au seuil de la vieille capitale? J'ai porté les regards du lecteur' sur ie fonds de rutlesse, de sauvage énergie, si apparent dans I'âme et dans la chair du petrple dont le 6rand homme est sorti. En est-il sorti seul à ce mometrt? Ntenchikof ne lui ressemble-t-il pas Par plus d'urr trait ? On dirait parfois d'un Soste. Et les âutres) Ilomodanovslri, avec ses ernpottenrents sanguinaires, Chdrémétief, avec sa ténacité héroTque? Enfin, surgissant ie veux le supposer encore solitaire et unique, un aérocomÛle du ciel tornbarrt un phénonrèneisolé, "o--" et erltfairlant les élérrrents arnltiants llar la vitesse de sa lithe clrute et Ia pesanteur de sa mas$e. J'appellerais encore à lâ

LE TESTAUENT DE PIERRE LE GRÀND.

6IT

barre le génie du peuple susceptible de subir de tels accidents; j'y traduirais son passé lout entier et je les rendrais responsables en prernier lieu de la catastrophe. Mais je ne vois pas du tout dans I'histoire de la collectivité dont il s'agit qu'elle soit si aisée à reuruer et à conduire où elle n'a que faire. Il lui est arrivé, depuis Pielre, d'être gouvernée par deux fous, ou peu s'en faut. Elle n'a 6uère commis de folies. Elle s'est à peine écartée de son chernin. Ce chemin était tracé avant Pierre; l'orientation n'en a pas changé apr.ès lui. L'æuvre du Réformateur ne s'est pas arrêtée avec le cours de son existence ; elle a continué à se développer, en dépit de I'insignifiance ou de I'indignité de ses héritiers directs; elle a conservé Ie rnéme

caractère: violente toujours, outrée et super.ficietle. Ai-je
besoin d'une autre preuve pollr reconrraitle son origine et
sa

parenté, pour proclamer qu'elle est fille de la llussie tout entière ? Pierre est aussi I'homme de son peuple et de son temps.

Il vient

à son treure. Une chanson populaire de l'époque raconte

la mélancolie d'un lréros obscur, souffrant de I'excès de forces qu'il sent en Iui, dont il est accablé et dont il ne sait comment faire emploi. C'est I'image et la plainte d'un peuple entier. La Russie d'alors regorge d'un tel superflu d'énergies physiques et morales condamnées à I'inertie par le néant de Ia vie publigue. Les temps héroïques sont passés; les héros ont survécu.

Pielre arrive à propos pour leur donner de I'ouvrage Il est violent et brutal; mais il a a{Taire, qu'on ne I'oublie pas, à des tenrpéraments autres que ceux dont nous avons I'habitude, d'une vigueur et d'une résistance dont nous n'arrivons que difficilement à nous faire une idée. Se trouvant à Moscou en 1122 , Ber6holz va voir I'exécution de trois brigands condamnés au supplice de la roue. Le plus vieux est mort au bout de cinq ou six heures de supplice; deux autres, plusjeunes, vivent encore, et I'un d'eux ]ève péniblement son bras rompu à coups de barre pour se moucher avec le revers de sa manche; puis, s'apercevant qu'il a répandu, ce laisant, quelclues gouttes de sang sur la roue à laquelle on I'a attaché, il ramène

612
encore le bras

L'OEIIVRE,

mutilé pour les essuyer (l). On peut beaucoup tenter avec des gaillards de cette trempe, et on peut ausst beaucoup prendre sur eux; mais s'il s'agit de contrarier leurs pencharrts naturels, leurs instincts ou leurs plijugés, on n'u guère chance, cela est clair, d'y réussir par la douceur. Pierre est un cynique et un débauché. lncriminé par les détracteurs de son æuvre' le mélange de Ia sauvagelie irrdi' gène avec la corruption occidentale s'acçuse en lui, tout le premier, avec des dehors repoussants. D'ou le tient-il? Je I'en vois affligé bien avant son premier séjour à l'étrarrger. Les
infortunes conjugales d'Eudoxie et les triomphes d'Anna Mons sont antérieurs au grand voyate. Il a suffi au jeune homme de franchir un ruisseau pour trouverr aux portes du vieux Kreml moscovite, à moitié accomplie déjà dans I'enceinte du Faubourg Allemand, cette fàcheuse fusion d'éléments vicieu-t. Blle s'est aggravée avec lui, soit. I\(ais n'a-t-il pas d'autre part, avec I'exemple des plus rnagnifiques vertus, donné aux siens le moyen de s'en relever, comme il a fàit lui-mème'/ EnÊn Pierre est un impatient et un emporté. A cet égard, j'en ai la conviction, son esprit, son caractère et son tempérament ne sont encore gue I'expression d'un état d'àme collectit; son activité brusque, fougueuse et fébrile, la manifestation d.'un phénomène d'ordre général. Qu'il ne se soit pas rendu un compte juste, lui-méme, de la réalité de oon r'ôle, celui d'une vague dans la marée montante ) entrâillant d'autrcs vagues à sa suite, mais portée elle-mênre par le flot, sous la poussée de forces lointaines et incalculubles, la chose n'est pas pour étonner. Sort erreur a été partag,ée par d'illustres émules, et, sur Ie moment, des témoius, ntême clailvoyants, orrt pu s'y tromper. A distance, il est plus aisé de raruener les choses au point. La marée saute aux yeux, et la murche du phénomène se dessine rtettement. Cette rnar.che me par.ait tracée âu cours de plusieu|s siècles, ralentie loilgtemps, puis précipitée, par un eDserrrbie de causes
(L) Bùschùtgs-Xlagazitt, t. X)i, p' 510'

LE TESTAMENT DE PIERRE LE GRAND.

6T3

entièrement écar.tées de ce débat.

drrelles, soit génériques, me semblent devoir être presque
_

absolument indépendantes de la volonté d,un ou de plusieurs hommes I et c'est pourquoi les re.*ponsabilités soit indivi_

trouvant alors des chemins frayés, elle a naturellement précipité sa course, en suiva't naturellement aussi les chenaux creusés devant elle et en renoncant à s'ouvrir des voies nouvelles et particulières. Le phénomène connu du mascaret donne une image précise de lévénement. . Ce qui s'est passé à cet égald en llussie dans l,ordre moral s'y passe, d'ailleurs, tous les jours sous nos ïeux dans l,ordre rnatér,iel. Tout se fait brusquenrent dans ce pays. La végéta_ tion ,v a une période d'activité beaucoup plus^liàitee q,r"",luo, les co.tr'ées voisi'es, et les méthod", àe culture s,en ressen_ tent' La c'arrue doit attencrre le soleil de mai pour pénétrer dars le sol, et moins .e trois mois après il faut qr" ln soit faite. "g"otiu Cette évolution a été violente pour la même raison. Barre du {lux triomphant gui se brire, ou avalanche qui tombe, la précipitation du mouvement comporte toujourJ quelque ru. desse du choc. Les dernières réfàrmes dont la R,rrrà u o,, I'accomplissement au courant de ce siècle ont eu aussi ce caractère, quoique dans une proportion récluite. L,abolition du servage a pris dans certaines parties de l,empire l,uppu_ rence d'un cataclysme social. Lus pny* auxquels il a été donné de conquérir un état de civiiisation supérieure sans grandes secousses, comme aussi sans intervention venant du dehors, par un long travail intérieur et nn acheminement paisi_ ble sur Ia route du progrès, sont des coins privilé6iés sur Lr

L'évolution qui a fait entrer ou plutôt rentrer la Russie dans Ia famflle euronéenne u pri* ,r, brusque, après "uractère avoir été préparée de longue main, parce que I"* conditio.rs imposées â la vie historique du pays I'ont voulu ainsi. Brusqueme.t arrétée au treizième siècle, l'æuvre de la civilisation n"y a rencontré qu'à la fin du dix _ septième des circon_ stances propices à la reprise de sa marche ascensionnelle, et,

6lb

L'0EUVRE'

enAmérique; surface du globe. Cette cortqtrête a été précipitée ou en Asie elle l'a goére de chances de se réaliser en Afrique
sans quelque violence'

q.r;it y d", inconvénients pour un perrple à brirler ainsi ^i, l"* Otop"r, à la suite de voisins plus fhvorisés' je n'1'contredirai point' Il y en a aussi à être né Cafire ou Polynésien' de Pierre En étudiant les conséquences que l'<æuvre hâtive valeur y a découa eues poul la Russie, un écrivain de haute social n"rt .rne quadrul'le disgràce, un mal mot'al' intellectuel' je mais et politique (f) Je ne répondrais pas du nombre' aussi rapidereconnlîtrais volontiers qu'à meltle en contact, avec Ia ment qu'il l'a fait, la vieille grossièreté moscovite

de proa licence rceptique de l'Occident, le Réformateur 1;agné Rtrsses vieux les duire au joul un cynisme aussi révoltant porrr d'Europel qu'en violentant ses sujets

qrru po,r, leurs vol*i"s cruauté âu

règlements-' la p", fu rigueur de ses lois, l'inâiscrétion de ses

avec un détlain si pocrisie et la bassesse, et qu'en faisaut' et àbrnlo, litière du passé, des traditions' des institutions rérrssi à créer un état même des préventions nationales' il a bien procéder' d'esprit dont le nihilisme moderne pourrait développement Voila porrr le molal. Et je veux encore qu'un d'assimilation ait eu excessif et trop pro*pi de ses facultés d'accentuer chez son pour efTet' n,, poi,,t d" v"" intellectuel' qu'il tenait peuple le manque d'originalité, de -personnalité' chez lui tout esprit déjà de la nature et de I'histoire, et d'abolir nécessairele résultat d'initiativei !1u'au point de vue social' produit un écart ment superfi"lel cl",ne culture précipitée ait les couches in[édu.rg"r",r" entre les couches supérieures et seules des mæurs rieures de la société' celles-là s'imprégnant impénétraet des idées de I'Occident, celles-ci y demeurant introducbrusque blesl qu'au point de vue politique enfin' la n'ait pas permis à tion de formes d" gott""rne*""t ét"uogères s'halmoniser avec ses I'orgartisation ainsi imposée alr PaYS de {l)
ltll)0' tenov-tsnrrtt'tliu, I"enpite des T"ars' Paria'

,", châtiments, il

est arlivé i\ Ieur enseigner I'hy-

t l' p' 270 et ruiv'

LE TESTÀMK]NT DE PIEIIRE LE GRAND.

615

tendances et ses aspirations naturelles' Je veux tout cela et beaucoup d'autres choses encore. Je veux, avec Custine, qui se rencontre à cet égard par une borlne fortune exceptionnelle avec uu écrivain russe revenu sur le tald de -*on optimisme

primitif, le poète et historien Soumaloliof. je veux que
u des homn'res

de

non poudrés en bêtes recouvertes cle convertir n lhrine r olr ((des ours en singes (l) u n'ait pas été une très brillante victoire. Je veux, avec Levesque' que de vouloir accolder le progrès industriel, commercitrl et intellectuel avec I'aggravation du serva6;e ait été une idée malheureuse' On rampe vers la science, a dit aussi Joseph de lfaistre, " ott tt'Y vole pas u . J'en conviens toujours. Nttma, a't-il observé encore, n'a jamais songé à couper Ia toge des Romains, et mot'aliser un peuple en lui manqrrant de respect est un contresens et la pire des fautes. J'eu tombe d'accord' Kostonarof lui-mênre, si euthousiaste pourtlnt, admet que les moJ'ens dont le hélos national a fait ernploi pour intposer sa réforme' le knoute,la hache, I'arrachement des narines, n'étaient pas des mieur choisis pour éveiller dans I'esprit et dans le cæur de ses sulets les idées et les sentiments dont cette æuvre aurait eu besoin pour s'acclimater en Russie : le courage civil, I'honneur, la conscience du devoir. Et je suis contre Pierre avec Kostomarof. Mais tout cela ne revient-il pas en soûrrne à dire gue les Tatares auraierrt mieux fait de De Pas envahir Ia Russie au treizième siècle, en la laissant libre de se civiliser à son aise et à sa façon, au cours des siècles suivants? Quant aux ( semences de culture originales r ![ue la Réforme de Pierre pâsse, aux yeux de ses contempteurs, Pour avoir négligées ou méme détrrrites, il en est de cette question comrne de celle de I'art russe dans les constructions du Kreml moscovite. La discussion entre archéologues et esthètes se heurte à la dillculté d'y relever des tlaits originaux d'architecture ou d'ornementation, en dehors des eurprunts plus ou (l) Cusrrnr, La.B.ussie, Paria, l8&3, t. III, p. 3E2; Souurnoror, Der erstc
AuJstand

der Strelîtzen, Riga, {772, p. 15.

6{6

L'0EttV RE.

moins déguisés à I'art de Byzance ou de Rome, de I'antiquité

grecque, du nroyen âge allemand ou de la Renaissance italiennc" .le ne clois pas, en somme, qu'il y ait eu, du {ait du Réfbrmateur, un déchet bien corrsidérable de matériaux hien précieux. Je vois un historien faisant un crime à Pierre d'avoir abandonné I'autonomie administrative d'Orcline Nachtchokine (t). Était-elle ltien russe, cette autonomie, d'application si restreiute, d'ailleurs, d'existence si éphémère? Ordine Nachtchokine n'a-t-il pas, lui aussi et lui déjà, été un Occidental? Et de plus, cornment accuser Pierle d'avoir répudié ce legs d'un passé voisin? Il a contrnertcé par en faire Ia pierre angulaire de son édifice ! Il n'en a pas tiré sans tloute tout le parti désirable. Avait-il chance d'y rétrssir? L'excmple de l{achtchokirre n'est pas pour le plollver. Et, à part cela, qu'a-t'il ruéconnu ou supprimé d'essentiel? tl n'a pas touché au samodietjauié, et il n'a fait que vétir à I'européenne ses tclttnounilesLe prix de revient de ses réformes a été également taxé d'exagératiorr. Elles ont coûté cher, en effet. Dans un pays où le taux moJ'en des salaires ne dépassait pas qrratre copecks par jour', soit douze roubles paran, elles ont réclamé, brusguernent, un rouble d'impôt annuel par tête d'habitant ! Et cette charge a été la moindre de toutes. En 1708, les travaux entrepris â Pétersbourg ont demandé quarante mille hommes, qui tous, ûpparemment, ou pre$que tous, ont succornbé à la tàche, car I'année suivante utre nouvelle levée d'un nombre é6al de travailleurs a dû être faite. En 1710, il n'a fallu que trois mille rernl-rlaçants I mais en l7l I une prernière fournée de siK mille est devenue nécessaire, puis une autre de quarnnte rnille et une autre encore d'autant en 1713. Et, avant d'être ainsi engloutis par les marais pestilentiels qui entourent la rrouvelle capitale, ces travailleurs ont en Ûn demi-rouble de pa)'eparmois; ils ont vécu sur le pays, en mendiants les uns, en brigands les autres' En même temps I'arrnée a fait aussi sa consornmation concur|ente de vies humaines' En l7Û1, (l) Gorrsrr, La
tégislatiott etles mæursn Pétersb', [896, Annexes' P' 22'

LE TESTA}IENT DE PIIiRRE LE GRAI{D.

617

/es débiteurs insolvables sont déclarés de bonne prise pour les

olficiers de lecrutementl les créanciers perdent leur argent, mais I'État gatne des soldats. Err t 708, les pa1'sans, dont les propriétaires sont employés ou marchands, ont à livrer le cinquiène hornme. Bn 1705, on prend au mois de janvier une

recrue par vingt foyers; une autre au nois de février I une autre encore au mois de décembrez et, en plus, une levée de clragons parrni les parents des employés de la cbancellerie. Iin somme, une alrgmentation d'impôts de un à trois correspond, pendant la durée du grand règne, à une dirninution de la popuiatiot qu'on évalue à vingt pour cent (l), sans conrpter I'effloyable holocuuste offert à la civilisation dans les prisons et les clrambles de torture de Préobrajerrsko'ié, sur la Place
Rouge de NIoscou, dans les casernates de la forteresse de Saint-

Pierle et Paul. Nlais en somme aussi la Russie a payé, et, en tenant compte des résultats acqtris, quel est le Russe qrri vondrait aujourd'hui annuler le rnarché, Ie pacte sanglant contracté par ses aieux avec leur terrible despote? Elle a pal'é et ne s'est pas trouvée apparrvrie à I'inventaire de I725. Les successeurs du grand gaspilleur ont, pendant quarante ans, jusqu'à I'avènernent de Catherirre [I, vécu sur son héritage, et la veuve de Pierre III a trouvé, dans le reliquat, de quoi faire en Europe la figure que I'on sait. Je veux bien encore, et de toutes les critiques faites à l'æuvre de Pierre c'est celle qui me touclrerait le plus, je veux bien que cette æuvre rit été conçue à un point de vne exclusivement utiiitaire, dédaigneux des autres élérnents, les plus nobles, de cultrrre et de civilisation. La Russie de Pierre ie Grand est un camp, une usine; elle n'est ni un foyer tle lumière ni un foyer de chaleur d'où, avec les nobles trouvailles de la science, les brillantes recherches de I'art, I'on voie rayonner sur le monde les idées 6énéreuses, qui sont I'honneur des autres pays historiques et leur plus beau titre de gloire. Je crois, du
(1.)

llrrrorxor, p.

2hl+

et zuiv.

618

L'OEûVnE.

rester gue le pessimisme slavophile est sorti de cette considdration, suggérée déjà en liG4 à Betski, le collaborateur artistique de Catherine, et méditée, depuis, par Chtcher.batof. Pierre a fait de ses Russes un peuple de fonctionnaires, d'ouvriers et de soldats, mais non pas un peuple de perrseurs et d'artistes. Pratique, positif, très terre à terre, il leur a appris ou a essayé de leurapprendre I'rrsage des armes perfectionnées, la lecture, le calcul, mais non pas les nobles élans de I'esprit et du cæur, Ia poursuite d'un idéal humanitaire, le culte clu beau, et pas davantage la bonté, ni la pitié. peut-être, eu y réfléchissant, trouvera-t-on la chose naturelle et conséquemment jrrstifiable. Les conditions historiques, géograpLiques et climatériques, que j'ai rappelées déjà et qui ont présiclé à la naissance et au développement de la Russie, ont I'ait de son existence un état de guerre perpétuel. Sans frontières naturelles, sous un ciel inclément, elle a été et est encore en lutte avec une coalition particuliè"e d'éléments hostiles, avec les hommes et les choses, avec ses voisins et avec la nature elleméme, pour la défense de son sol etpour le gain du painquotidien. L'instinct de Ia conservation, Ie plus trivial de tous les instincts, a ainsi pris chez elle un développement, les sotrcis matériels ont acquis urre prépondérance qui s'erpliquent facilement. Une tendance à la paresse de corps et à la torpeur d'âme, avec de brusgues réveils d'âpre combativité, s'y est associée sous I'influerrce des longues périodes d'inactivitd forcée. Voilà le moule d'où Pierre et son æuvre sont sortis. Il a été un grand idéaliste à sa façon en subordonnant tout à sa conception, à son réve d'une Russie non seulement capable de défendre et d'agrandir son patrimoine matériel, mais susceptible de revendiquer un jour I'héritage spirituel de la Grèce et de I'ltalie. Ce n'était qu'un rêve. La réalité I'a aussitôt r,ejeté au moule originel, à la bataille pour la vie, et batailleur il est restér préoccupé forcément, avant toute chose, de se donner et de donner aux siens des muscles et des outils pour le travail et pour le combat" Ce moule peut-il étre brisé? Les plus clairvoyants pro-

LE TE$TAIII]Nî DE PIËRIIE LE GRÀND'

619

pbètes ont eu trop de mtlheur avec les destinées du grand empire pour que je veuille me mettre à leur suite. L'Europe n'est encore ni répub[icaine ni cosaqrre. Avant qu'elle Ie devienne, ltr Russie moderne réalisera peut-étre le væu de son créateur, en empruntant à I'Occident ses vrais, ses seuls élérnents indestrur:tibles de puissance et de grandeur.

t4juin

1896.

FIN.

TABLB DES IIIATIÈR

ES

A

vrrr-pnopos..

PREI,II}IRB PATI'I'IE
L'liI)UOATION.

LIVRE PRIIITIER DtÂstn EN EURoPE. CTIAPITIIL T AE}IIER
LE KNEML E'f LI,
FÂIjBOURG ALI,EITIÀND.

l.

Le choix de l'épouse. Lo mariage d'Alexis. Le diadème à la plusbelle. - -- N.rtlrnlie Narvchhine. Le dortoir du Kreurl Naissance do Pierre. - Miloslavski. Paternité contestée. Lntte des Na, i chliine et des - L'exil, La II. Le Kreml. - Crypte, sérail et geôle. Dix siècles d'histoire. Russie de Moscou et la Russie de Kief. La conquête normande. Splen- f316ilxs le Grand et Henri - I" do deurs évanouies. -- Les fils de Rourik. France. L'invasion rnongole. Ohute- darrs le néant. llelèvorrent. L'hég,êmonie nroscolite s{)us le protectorat nongol. L'érlancipat;on. Àurore d'une culture nouyèlle. Ivan le Grand. faflgsngss européennee. Polonais, Alle,nantls, Ànglais, ÉIollnrrdais. III. Le f.rubourg allernanil. - L'Europe et I'Asie. Un ghetto rnoscovite.civilis,rteur.- Ep"- ira l.\. -Travail norrissement. [)ierre IV. Jours d'ripreur.e. Dernier essai do - et tle l.'éodor. régirrre asiatique. Mort d'Alexis Le J,e tsar&t électif, rôle des patriarchea. La victoire des rr-rrvclrkine. Pierrê est proclarné, Trioruphe éphérnère, La revanche des llloslavshi ....... . t

-

-

CIIAPITRE II
LA TSÀIEVNA
SOPHIE

l.Le

II. Les

terem au Kreml. Moacou Arr chevet. du Tsar mourant.

Vassili Galitsrne. - et déchéancc. Soltlats Grandeur et rurrchands. -- de révolte. Svrnptônres et causes J{,ruvernents populaires. Sophie et Galitsine veulent utilisef l'émeute pour la conquète du pouroir. Le Krcnrl - le sang. aasii.gé. Troir jours de carnage. Sophie rarrosse le pouvoir ùans 5lt.gltsy.

et

Arnliition et-arrrour.

Rt-zance.

Uno émule de trulr.hérie.

-

-

622

TABLE DES MATIERES.
Déchéance de Pierre.

d'Ivan. Le trône jumeâu. La - Intronisation Rêvee d'avenir. Idrlle et dralne conjugal. Le Ri:gent. L'exil. Au granrl air. tle Pierre' IV. l,'enfance L'obstacle. - L'aùtoôiôantoç. L'astrohbe. La chaloupe anglaise. Études etje,rr. de Péréiaslavl. Les le lac tle et Préobrajenskoïé canrp Soldat et nrarin.-Le Une artlée, une flotte et une Les prérrrices de la réforrne. conrpâgnons. V L'atlolescence. -Le mariage. Eutloxie Lapousociété en ébauche. - à ses plaisirs. -* Iùntrainé par le Pierre revient Veuvage précoce. hirre. L'oppof 636uttt"o, d'un parti. courant, !'1pgv16 emporte I'ouvrier. - chef. * Entre deux civilisations. Pierre est son eilion aristocratirlue. Préparatifs de Le choir. L'Europe rouraite et I'Europe protestante. 20 La crise.. lutte.

Régente.

lll.

-

TII

À

PITRE III
TROITSA.

LB MONÀSîi]RE DE LÀ

I. Le gonvernement ile la

See rnérites. Ceuseg ile faibleere' Régence. - diversion à I'e'ltririeur. La Datrs le virle' Les driceJrtions et les raneurres. - Désastres. fts16111 tle Galitsine. Soul,es caurpafines de Criruée. - parti tle Pierre - en prolite. - et le Le Krernl Le lèverrrent de I'opinion.

- Le conflit. carup de Préoblajenskoré. .- Sophie tient tête à I'orage. - de Pierre. Il. La nuit tlu 7 aorit. - Attentat ou ruse de guerre? - l'uite Vincent. Boris Galitsine. la L'archirnandrite lroirçc. Le rnonastère de A qui lll. Pourparlers et manæuvres. Or1;anisation de la lutte. I'arrrrée?- Vaillance de Sophie. - Défaillance de Vassili Galitsine. - La L'exil. Interdu ré1gcnt. Il vient àla Troitsa, rli'fection. - Sournission - Le cloitre. Le rogatoires et srrpplices. - Sophie se rec,rnnait vaincue. La réaction' Les cottrpagnons de Pierre au pouvoir. nouveau régirue. L'avenir -

h1

LIVRE II
^ t'ÉcotE DU ltroNDE crvrLrsÉ.
CTIAPITRE PREMIER
E( CAMPÀCIE. _
L'APPNENT'SSÀGE DE LÀ GUENRE. DE, LÀ MARTNE.

_

LÀ PNISE

DIÀZOF.

-



CÂÉATIOI!

t. Les nouveaux

Francis Lefort. Patrick Gordon. compâgnons de Pierre. - a12i3sn de Lefort à- la SloLoda. Un 11 Le c-ractère de leur influetrce, Le Tsar s'arrruse. Les belles darnes du faubourg. casino moscov;te. Les divertissctrrenis lisprit réactionnaire' Le gouverneurent des boïars. Jeux guerriels, plaisirs et houfFonnerics. - Le roi de du i'réobrajenskoié. Une flotte Le lac de Péréiaslavl. Presbourg et le faux roi de Polo6;ne. )lort -de la tsarine l,a 111ga. En route pour Arhangel. d'eau douce. - à ses plaisirs -retourne Pierre de peu de durée. Deuil Nathalie. - précaire de la llussre. -Lassitutle du Tcar. I)iversions et Il, Situation Pierre veut d'abord à l'éranger. Projet rle voyage distractions cherchées. Prcrrrière se distinlper à la guerre,,- Nouvelle oaxrpâfine contre les Trtrcs. - révèle' Pierre se de Le génie courplet. Échec tentutrve sur Azoa, et la granrleur de la Russie. tll.- La grantleur de Pierre Persêvérance.

-

-

T,\.

I]I,E DES MATINRE.S.
Effort redoublé. Le succès. -

623

Fruit de la conquête mongole.

à I'Europe.
E!'

Une répétrtion tlu siège de Troie. Le voyage est décidé _

La

-

-

deurième tentative. Picrre peut se mon trer
JI

CHAPITRE
VOYAGE.

II
L'ANCLEIERNE. _
TJE RETOI]R.

1'11131I[1çNB, Ld HOLLANOÉ], _

I. Les précérlents.

L'incognito du Tsar. Prernier déguisement. La - Pierre ]Iihailof. Impression grantle arnbrssade. à lloscou et en Europe. - Une coniuration. - l'antôures sanly'arrts. Départ retarJé. La colJnée du bficheron et la hache d'lvan le Terrible. En Suède. Riga. Accueil - * Kænigsbe.6. froid, En Alleruagne. Curiosité - Un ca.zs betli furur, - d'artilleur. et excentricité. Le diplôrne Kr ppenbrufige. - Rencontre de Prusse, avec Sophie-0harlotte Lee déltuts rnontlairrs de Pierre. Leibnitz. II. En Uollande. La légende et I'histoire. - Krirrrpenburg, .- La -La -Zaandan. maison du belle Ilollandaise. Arnsterdarn. Cornmenceruent d'études sérieuses. Le charpentier et le souverain - Bizarre- russe. - chaurbre ries et farblesses, Le liacchus lll. En Anl;lersr1s, {Jng mal habitée. à Kensington-Palace. Pierre Jq;errrents d6ravorables. - et à Deptford. Labeurs -et la légentle. Burnet. Bnsq16 Â Lon<lres divertisserneuts. L'actrice Cross, Initiation universelle. - lV. En route pour Vienne. - Une entrée uranquée. La morgue autrichienne. - Une leçon de diplornatie, Dt"pression norale. Au chrteau ds la l.'xy61i1s. Le Tsar et I'Errrpereur. Les inconvénients de I'incognito. l)chec diplo - à \'enise. Nouvelles alarurantes - de llussie. Voyage rnanqué rnatique. r La semence des lliloslavski. o - Retour précipité. Eotrevue avec Àuguste Il à Rawa. La lin du voyage. 8l

-

DEUXIÈME PARTIE

"'ïTu
LIVRE PREMIER
LÀ CEAIR ET L'ESPRIT.

CHAPITRE PREMIER
pon'fn{r.f pHysIQUE.

-

TnÀITS DE

CÀnÀCTÈRE.

Portraits au pineeau et à la plume. Kneller et de Moor. Saint-Simon. Virrrrenr et nervosité. Tics. - -F,trangetés de costurrre. - Le r,,arrneqrrin du Palais tl'hiver. La vraie défroque du héros. - Bas rapiéeés et s,,u[rers resserrref és. La doubi,ra. II Terrrpérarnent. n La joie ls I'xç1isp. n - du 63gip, Une aurlience à quatre heures Qtatorze heures tle travail p;u - d'litat jour. Ubiquité et universalité. Hourl)e et tanrbour-rrrajor, ur"i,"" - pompier, uraitre d'hôtel, - médecin. de danse, Le Tsar et son nélirrllou - Pierre est L'homlre et la race. La paresse russe. J)ourtant de son pays. Concordance dcs phénorrrènes physiques et ruoraux. Longs hilers et - fiévreuse. printeurps hatifs. Périodes d'inertir- eI retours d'activitri Les héros de la legende nationale. IlI. Pierre ert-il courageux? Narva et

-

-

62b

Violence Ë,rio* ",de bois_ IV. Excès Basiliens. _ Le Tsar a buIvrognerie hal:ituellC. _ Iy'. Mær.s g"ossiè"e;:;;;_ --Conséquencss. quets et o4;ies. * Ivregsee féminines. une biberonne tlJ'pre-ier o"a"* _ - rôle rles vcrres tj,eau_ Controverses théolosiuues à table. _ Le lc_vie, _(jorjtr de. cabaret_ et a'offË"'. Est-il cruel ? Jrrsricier et bourrcau. _ La raisor. d'Etat. Idéalisne et sensualité, _ f,,"r"louug" de la loi. lLl CHAPITRE II
TNÀTîS INTELLECTÙELS. _
PHYSIONOUIE MONÀLB.

sociable. Gaminerie. _ pourquoi il n,esr pas aimé. tements fréquents. _ Coups d'épie et à" cannc. son. scène,de carnage au monastère"oop. de-s pè.es

;:iilï'1' *"::î.:k

TÂBLE DES MATIÈRES. Poltava. L'idée du devoir. _ Contradictions. _ Énergiea et défaillanceg moralee' - Inconstance et versatirité dans les détuirs, "rp.iî a",rri"'"r'rîrrà-

; ;'ïi,î, ï,:::;Hii, ;_ :îi j:"ï:îJr

I.

et élasticité. -- Comparaison avec Napo.L'acceptiuire slave.. _ Rapporrs avec les ô""k;;;. :;;i:_ Curiosité et impatience de savoir. _ d;" séance de ou'it .1",," oo _ , Caractère incohérent et rudimentair" .1", ",;;;;: d ;pi;,";rie de pierre. E,,li"orrr, ;; j.;"-, j "::0,;j, jï f*b,rîÎ:: - L"Mélanse iï.:t:::: - puérilité. de rnesure. de sérieux et de pierre.chi.u.ti"" ;';;;_ 1is1s. Créations scientifiques u, _ prerre et l,abbé Bignon. _ IL Clarté et netteté de.son,esprit."r,;.,i.1î".. _ St1,le épistoiarre. _La note orientale. Projet de reconstruction du -colosse rle'Rhoâes. _Traits contr.arlictoires. _ Générosité e[ mesquinerie. Loyauté et fourberie. _.\Iodestie et vantarilise. * Leur concordance. _ L,histoire -_ et la tradition. _ L,esprit en Occident et.l'esprit byzantin en Russie. _ Jeanne "L";;;;;; d,ArË et ;;";;;ôi;: Bayard et sainr Alexandre Nevski. _ La morale ,1" p;;;;. _ iil;;'i; ocrupules et nrepris des convenances. - Causes et_résultats. _ IIa;;1.;;";; et étroitesse de vue. Myopie intellectuelle. Défaut de sens psl.cbolo. I.naptitudes aux concqrrions al:straires. _fni"t.lf;g""";;;.trrr;;;;; Ëi,1"". _ itlérux cle la ciyilisation. Conrment est_il pourtant unidéaljsre. _ IV. Gorir tle' travestisseruen16. _ Rouffo'nerie. ^_ _ néfr""J" d,esprit ."-"*;;*_p"îîi" polirique. Les fous de Le scabreux d" "oié ""."ï;;;,,,1îï:'j"ï:îllï; sérieuse. Un bouffon gartlien des Url aél;be"ation de sénateur" rnasqués, V. !'atriarcat. _ Son but. ,_ pape ou patriarche? _ faui -Le - vouru Pierre a-r-il ritrieuliser son crergé? -_ o.igines r, J*"r"fp","ï"i a. l'institution' Le faux pape et sor coirclaoe, Léré,ronie. et cortèges gro- froc du Père Caillaud. tesques. Le Le rrrariage du Knès_papx. _ 1,3 priltcesse-abbc.sse. Synthè_s: er explicatio' ,t,, pt;,io_è,i". :;:;i;; ;J: et influences étrangères. _ L,aseétis,,,e .ryrn,,ti,,'"t lu, pratiques satilniques cn Occident. Cou,p,ession rnorale et réaction. O";girolitC, fantaisie 4esno_ tique er tendance - rJ i."trir".'-"il;'i; pierre et Ivan nivelarrice. etl'alstaff.. ........ r3f. CHAPITRE III InÉEs, rntnclprs tr pnocÉnÉs DE eouvln\EMENT. l^é"i Ii,

Capacité cérébrale.

puissance

; i:"iruru;:i;

I'

abondance d'idées.
des suggestioao.

-

Obsegeion des choses

-

procédés

rméruotechniq
.t" I'OËcident.

_

ces irées sont surtout Ineuffirance de cer-

ÎÂBI,E NES MATIÈRES,
tainee notions etrentiellee.

6t5

lcctuellc..- Bsprit utiritaire.

guisition.

sur le naitre. -Le III. Caures de cette contradiction. _ (_laractère révolution naire rle Ia réforme. Adjonction d'élénients asiatiquee . _ negi.. t.."."i* af;1}ravé par leur influence. Solidnrités historiguee. * L,arbitraire

dnelle-.et abprption de Ia vie _ Introrluotin" a" pii"Uper."i"f dans I'organisation du,pays et"o-,oo.". adoption de ses conséquences extrêùres. _ le premier seruiteu,Ie r'Iitat. fait abandoni l'Etat dee arassées par aes prédécesseurs. _ -'pi".". Le patrirnoine ileg f{or'anof. _ L" "i"i*ru. ,;i;;l-; Pierre lllihailof, Son livre. de dÉpenses, _ 9ô6 ,oolrl", p"J""n,':;; revers de la médaille' Fantaisie et despotis're. se"rit"u'" rère la ,n"in
Le dilcttante -tortionnaire. _ U*pionnage univcrsel. _ n Les
et l,in_

Juatice, religion, morale. Ineolrérence intel_ - ri,lc 4u il. conceptiorr généraredu "ouou",,.n, _Principes contradicroires .qui s'y rrouvent _eta". _ ab"ag"rir" i"ivi_

-

mæurs locales, * IV. Le eystème àe'lo,r,enace perpetuelle. _ O*a"u,iorl sommaires. _ - La doubina. Sous la hache du bourreau. _ Les désertione. P-é_nalités pour les rêprimer. _ La marque. * La miee horg la loi. _ Insuflisance de ces rrrcsure.. _ Sauve_gui_peut générrl. _ u près d,; i;""pràs de la Inorr. ' - Absenréisrne d". g.a,,dà, fa,ïillur- _ t".-o;;;;;: une surcbarge à I'oppressioo d"u système. _ Le favoririsrrre. _ Leg l]:,:i,r, racluonô aûcestrales. _ Leur rôle dans la réforme et leur influence rur sa

La c'ancellerie secrète et le, r,]ib,rrrar* dela Convention. _ - régime Durée de ce et docilité-du pay-s à le sulrir. _ App_;;i;;i;;'"",

langnes. r -

portée.,

lEt

qHÂPIÎRE IV
INIITS
IITTIMES.

I. La maisonnetto dc Seint-pôterrl.rourg, _ Lc ôner dn pilotc, _ Kafia. _ Palaia et maisone de caurpagne. _ Le tilleul de Srr;eùâ. _ pé;u;ho;. _ Tsarskoïe-Sielo, Revel. La journée du grand homme. _ t;-i;;"". -II. Trav.ril marinal. A rable. _ Àu1,", intimei et iliners ite"é"é;;;;,: La cuisine de Catherine. pierre maoge et ce qu,il boit. _ f.orn de - Ce que cour et simplicité domestique. Le, - * ca""orres" de Menchikof et Ie ";il;I"; du Tsar' courment il s'tal:ile. - III. DiverrissernenrE. * Rusticit6 et harritudes .oraiau".=- rJ, blattea. ._Ni chasseur ni joueur. * S"" plJrï favori : sur I'eau. Navigation hivernalo. _ Tout p-étersbourg ,o.u".-* - et Lisette. _ Le rôle Les bêter, Fine*e politique d,une .'"oiu. "o _-îî. go société. Une rencontre- avec la margrlve de Buireoth, _ eu f"ul,ou* Ai.] uand. - Conrpagnons de plairirs. I Le coucher. _ f,,"*ill",î,;ibX;"* Entourage ;ntinr€. Let diànchtchilc. _ Le mariage d,un favori. * ii"a"_ rnoirelle Matviéief.
Z0B

LIVRE II
L'ENTounto!.
CHÀ PITRE PREMITN
cOLLÀrOnÀTEûnS, ÀMrS E,l. FÀvonrs,

l.

fqe61i6.

L'école des diéiatiets, _ Ler grant| _Lebureau a" f, f,".r" fr"i;"". -Le La vicilte Husrie. _ Place llouge de Molcou. Ua ours feisant offi,.e -La -

L'ariatocratie et l'étémentpopulaire.

*

Roruodanoveki

.

prin"e-César.

40

626

TABI,E DES MATIÈRES.

grandAllenand...,..

de maitre d'l)ôtel. Loyauté, énergie férocité. Souplecre orientale. - pauvre capitnine etet Chérémétief. Un un beau soldat. Nlcnchikof. Le - progarçon pâtissie" lg menin du I'sar. Indifférence de- pierre poul les - à ce sujet. profusion de pos qui circulent Àlcxachka devient prince. titres et tle fonctions. Ornnipotence. Abus de pouvoir. - Le chef mili- et défauts. L'apologie taire. L'adrninistrateur. du vol. - Qualités - Les collaborateurs L'iudu\Jence de [)ierre lassée. l)emi-disgrâce. II. de recond plan. Golovine. - Amiral .",* ètre nrarin et ministre des affaire - être diplomate. étraugères sans )Iarins fusses et étrangers. Apraxine et Cruys, Politiciens et policiers, Golovkine. Tolstoï. cliplomate -Le russe grarrd seigneur de la nouvclle école : Boris Kourakine. Lee diétaticls de grande marque. Néplouir:f et Tatichtchef, Le confesseur du Tsar : Natlajinski. [Jn -match avec le secrétaire de -I'abbé ]lubois. III. Les - second ordre. Irgoujinsli, Chafirof. * Les Juifs polonais. n faiseurs u de Les Viesselovski. Une création du nouveau régime : les prybylchtchi!æ-Kourbatof, Sorovief. Le prenrier éconorniste russe : pos6och[of, La fortnne des Démidof. - Lomonossof. IV. Collaborateurs étrangers, - berogne, maie restent Ils font souvent toute la dans I'ombre. ChéréÀetief -et - Juifportugais : Ogilvy. Vinnius. Jacrlues Bruce. Osterruann. Le - uniforme des brilI)evier. - Un rnaitre -de polioe bâtonné. - Aboutisseurent - Franqais. lantes carrièreg. La culbute linale.-Les Villeboig.- Un - de l'lmpératrice. perry, Fergusson. drarrre dans le lit Les Anglais, -De Le nègre I un ancètre de Pouchkrrre : Abraharn Ilannibal. Bilan général. -V, Corrrparses et utilités. La personnalité du grand Réforrnateur est exclusive des grandeurs rivales. Piene et Leibnitz, Le rôle posthume du

-

-

.,....,.,....

2lI

CH A

PI'I'R}ù II
I'EMMES.

LI'S

I.

Maitresse du Roi et maitresse du 'Isar. Le donjuanisme de pierre IJn - Un oncle entrcprenant, - L'ensouverain peu soucieux des convenances. tourage féruinin. La princesse Galitsine. Brutalité et cynisme. - Débauche et bestialité. - L'autre face de ccs r.elatiorrs avec nonde férninin. - mariage. Eudorie Lapouhine. le La II. Le debut. Le lune de miel. - mal assorti. La séparation Les dissentiments, Ur ménage Le cloitre. roman Le de la recluse. Le urajor Glebof, -- Conespondance arrroureuse, L'enrpète. Le prooès, Le supplice de I'arnant. Le châti- I'amante. ment de jalouse. Catherine En prison. La revanche d'Eudoxie. IlI. La-première favorite. - Anna r\Ions. - Les prodigalités do Piere. Trompé! Les consolations, Le gynécée de Mcnchikof. Lee - farori. - Les denroiselles Arsénief. - -.-sæurs du -- Catherine Vassilevska. - d'honneur, IV. Les demoiselles Madaqre Tchernichof. Eucloxie n la

- Hamilton. bataifle ". ùIafie Matviéief. - Terem et harem. Marie le L'aurant et bourreau. Un cours d'anato,rrie au pi€d tle l'ér:Lafaud, La - : Marie Kantérlir, Triornphe de l'épouse-et de ilernière rivale de Catherine la souveraine. Une arnie. La Polonaise, - llatlame Sieniarvska.- V.Le - dans la vie - dans la destinée de la femrne rôle des fenrures de Pierre et son rôle L'esprit ruese au dir-septii:rne siècle. russe. La haine de la femme, Causes et effeta, Le génie national et les influences étraogères. L'Orient - courant ascétique. et Byzance. Le La vie de farnille. Le-mariage, Le domoctroï. Mæurs barbares. - Ferrrrne sacrifiée. hommo Evili. Lo -

TABLE DES MÂTIi)RES.
coursnt émancipateur.
portance <le son rnuvrs,

627
See délâiilanceù.

-

Le réforme de pierre. Un Rédempteur.., .

*

_

Im255

CHAPITRE III
CATIIENINE,

L

péranrenr éncrgiquc, esprii équilibré. _ Femme'd,ufficier. _,S.; ;"fl*;; sur Pierre. l,a charm-euse-et la-donrpteuse. _ Luo. L'intimité conjugale. "o""u.poo,il;;:_: Le rôle politiqul du l" ,ooo""u;ne. _ Ses bienfairr - d'inftuence. et roo écarta. _i,-Nuug", à |,horizon Trafic

L'aruivée en Russie. La prise de Marienbourg. _ Les origines. _ La fanrille pasteur GIùck. * - Dans le camp de chérér,réTief. Dans la nraison de ÙIenchikof. gynécée. Catherine Troul:atchof.-*- La mère de r ieuotrchka. -.Le Le nrariage. L'ex-servante devient souveraine. _ IL Jugemeot d", - baron de pôllnitz. temporains. Le _ La margrave rle Bai"Joth. _;;;,;;;_ "rod:". - LeB porr.rairs de la. galerie Romanof. _ iii;of i" ni distinguée. : til_
d-u

d" ;;;;i;;. _ - _ Elle i,npose Mortd'Aleris. La mère sa fanrille. _ Le por_ - te-rtiga' de_l'hjririor. tillon .e * route La firte de joie de River. Le

III.

Catherine parvierrr à les dissiper.

Mur"lie ascendanre

a"_"";qrr.'_'

Lous cotnteS et grands aeigneurs.

ritage de la couronno. Le chambellan Monc,

tion doureuse.

T"1..dbpéreue

- de pie"rà et ", Mort victoire aariuii"". carherine eo profite La servaate reparait, tln rè6ne-àu-.ujr"- .roir. _ Une reinc - ......:.. ...:...
288

- Le supplice. _

"rrarr,Ir"f"rommet. -Lede I'abirne.- Le couronnement. _ L,hé_ Au bord Uou liaison criminelle. _ Ép"uoou,
_rou""r. _

Héconcilia_

TROISIÈ[{E PARTIE

,'î:"

iA

tTJTTE

LIVRE PREMIER I r,rrxrÉnteuRr GUEaRE ET

Drpt,oftrarrE.

I'

â Double programme traditionn^el d_e porhique intérieure et e:térieure. cornmence par re dehors. osciraiion ùculaire des ambitions et de. -pierre prisea conquérantes entre le Sud et le N-ord. _ "nt"ul ia défection a"'fù'r,p"""* engage Pie're à choisir le Nordrommepoint d'attaque. _ L,entrevue de Rawa. Liaison avec Aususte. La quadruple allian'ce. _ patkul. _ pierre se décirle à faire cause"com-one ra saxe et re Danemark contre Ia suôde, "n"" mais attend la rignature, do pair l" Turgoie. _ Le traité tle préobra_ -aa jenskoïé. * Lee nouvelles de ionstantinople. "u"c l-_ Eo -a""h" eur Narva, _ f,'arrivée de Chartes XII._La fuite de pierie-_ Le désastre. _ II Détreese et pusillanimité du Tsar.. En s'avarqant en pologne, Charles lui donne le tempr de se ressaisir et ciDente son alliance Al paratirs de gou."". de Bi.ré. _ "r.u" -'uo,revue cèe. Pierre à I'ernbouchure de la N.o". _--_-_La clef de Ia mer. , _ pierre .'établir en Ingrio PÉter*bourg

",

ii.i^' : i j:i":

ii_ïô

N;;"",f.i1ï;"iii'ii:.1il::

-

rt on Livlr.ie, lrg"ri;'i.p"r,f

c98
Pologn_o.

lABI,E DES MATTERES.

Préparatifs pour la lutte décirive. IIL CampaÈne diplouratiouo. A la -recherche d'une mérTiation. Le prince Gatir^.iri" i i;;""""1 _ - Dinri*i Galitsine à con.tantioopre. Matviéief à la Flaye et à paris. Le prince ,:- :, L'"T turque. D Négociation d'alliance à Berlin. _ L, Ji l" "u.riè." _ fin de Patkul. Triornphe du Suédois sur Ie Livonien. _Arved Horn. Altranstadt. - La défection d'Auguste. _ Duplicité rliplornatique. _ Bataillo -Tentarives des deux io.,ne""io, poo. de Kalisz. obt"oi" onu pli* ,éÉ;;. _ Aurore de.Kænigsmarck dans le camp de dharles XII. _ Envoyés'etlmisaaires de Pierre dane les cours européennes. Résultat négatif. -ipi""""""ri" seul en face de Charles. Il ee déclde à combartre dans .uJfoyu"r. _iv. pi"" de carnprgne de Charles. Mazeppa Vastes cor,,binaisons. _ premier obstacle. Les hésitatione- du hetma-n. - Retard dans ra marche de Loewen-L'été ee passe. perspective d'une campagne d'hiver. _ V. Marche \""?,,. : de uharles vers le aud. - victoire de ÉIolovtchine. Désastre de Loewenhaupt à Liesna. famile. _ Trop ;""1i _ Mazeppa prend parti. -La L'ukrai-ne lui échappe. sit\ge de polta;;. __ Il faut y enrrer ou mourir. _ - suédoise. charles blessé. pie*e Dénroralisation de I'armée est auÊrnente - sué,lois.'l reg chances de victoire. La rencontre. La défaite des ses coneéquences. Les ruines du passé et la Russie de I'avenir. AL7 -

CHAPITRE II
DE LI. BÀLTIQUE À LÀ
CÀSPIENNE.

I.

r,a victoire de Poltava ne donne pas la paix à la Russie. La politique d'erpansion universelle. Les origines du pansla*isme. - Les ailiances européennes. La diplomatie du Tsar. ses mara.lresses ses bévues. - à I'ouest, Pigne- vue le sud. et - En se précipitant de Lutte dipiomatigue â ry3r{ constantinoplecharles xII I'emporte. * Les argur'en[5 s6ne1ss. 116 gucrre est déclarée. II. plan de campagne imagiié par pierre. _- Son défaut. ne tient pas c^ompte des leçoni d" purse."-Ln marche sur fassy. -Il commune Erreur Charles, Une autre et un autre Mazeppa. - Communications avec - Tatars. Ukraine coupées par les L'armée russe e8t avec Ie Tsar sur ler bordg du Pruth. situation désespérée. "orruloiia" No.ruàlt" tléfaillance de Pie*e. La lettre au sénat. Lo .rcc"."iïn clu trône plrr. - Le rôle de Catherine. au digne. i{uthenticité douteuse du document. _ï" - de Ia future Tsarine. Le salut. * - Le vizir consent à traiter. diamants L'influence du bakchir. Conditions inespérées. Abandon d'Azof. _ - ee rerrrettre de ses alarrnes - et à se consoler Promptitude de Pierre à de se,, pertes. Lea r acguisitions incomparablee n . Le trionphe rle I'obstination. * L'échauffourée de Bender. charles xII prisonnier. IIL Le concours de" - la paix no"" l" soèd". - Rivalités alliés empêche Pierre d'obtenir er querelles. Le siègc de strals'nd. -- 'fentatives de ra-pprochement avec I'arrgleterre prusse. pierre n'est heureux .1ue quand il ngit seul. _ et la La conq"uête ile la Finlande. - ses victoires en allemagne ne profitent cJu'à ra prussJ. prise de stettin et le traité de séquestre. -La charles xII reparait à strals'nd. L'entrée en scène de Gnertz. La-prise de \\rismar.'_ pi"."a a encore projet travaillé pour le roi de Prusse. drexpédition russo-rlanoise en scanie, pie.re corlrnande les escadres réuDémonstration navale à Copenhague. nies du Danernark, de la Hollande, de l'an6lete*e et de la Russie. L'"rplditio'av-orte par défaut d'entente. on'"'en prenrr à pierre. -son inàrvention dans les affairee allemandes soulève la coiè"e unrverselle. - I*itatio, ce l'Angleterre, Projet de s'er'parer dera personne du Tsar et de couler -

TABLE DES MÀTIÈRES.

6?9

l\ L',idée d.e Goertz, Piorfe prend se8 alliés en dégorit. .oD clcadro. Projet d'entente séparéi entro la Rusaie et la Suède. - Origine française .'le Entrevue secrète Voyage en France. Elle séduit pierre. cetË idée. - et la Plusse. - entre la Russie, la France - lraité d'ameterdam ryec Goertr. Àcceptation de la médiation française. - Le congrèe d'Aland' - La nrort de Y' Ieprise Goertz' de Supplice négociations. Charfes XII coupe court aur - de coefLes moyens Résistance deg suédois. iles négociations à aland. faveur des en iûtervient L'Àngleterre eD Suède. rusre Deecente cition.-[n1s1ys11[166 diplomatirlue de Démonotration navale inefficace. Suédois. - La joie du triourphe'- Le - Campredon. Paix de Nystadt' la France. -les Russies' Le bénéfice de de toutes Empereur et Àmiral titre impérial.
la

- La route rles guerre e,tcore. : VI. La frontière orientale' pair..'- Eo Intriccèe dee prenrièrea tentatives de ce côté' - Le système des hà"r. du côté de diplomatiques ruilitairee et tentatives Noon"lies petits paquetc. '- Volynski. Pierre la conduit en La grande expédition de L722. iu p".r". - Intervention de la La prise -de DËrbent. -- R"t."it. forcée' personne, -Arméniens réclaurent provisoire. Entente i'orqoiu et de I'A ngleterre. --Les Encore un essai La clientèle chrétienne d'Orient' la protection tlu Tùr' Ler de Madagascar' L'expérlition I'Ertrême-Orient. vera d'icheminearent directione et lcs limites naturelles de la puissance colonisatrice en Russie. àiû [,a rnort de l'ierre y ramène ses héritiers].
CHAPITNE III
r.'epocÉe.
EN rnÀNcE.

-

I.

Ilancune du Taar' - I'initiative' Du La France en prend TentativËs de r^pp"oche*ent' - des jVoyage de trlatviéief Rupture-complète Paris' Baluze. Héron. '\ - diplomatiques. l" .tO'to"ltenrent s'opère -en dehors de la politique' relations - Russes àn l-.ance. Double courant d'érrrigrationprurnol*' en I{ussie et - La càlonie franqaise à Saint-Pétersbour8. - Une étrange paroisse' Lc Le comte de la Marck' Lefort RePrise des né1;ociations' Père Cailleau. appui un chercher Picrre à pousse Sa mauvaise situation en Àllemafiuc II L'arrivée à Dunherque. tle Paris est décidé. Le voyage err France. L'incognito -du Tsar.-- une suite de quatre-vrngtsPersonnes. - {Ja 56ges13in de Mailly-Nesle' I'e cornte Les tribulations de M. de t-iboy' - de transPort' "rig""Jt. l'g 5eaPç1 Un é*ange rnode du cabriolct. quertioo Un -'La du Louvre' l'3P11a11spent à Paris. L'arivéc ilu Tsar à Beauvais. - I'Académi: française. L'hôtel Lesdiguières. - Trois billet de logement à da11tr de sortir, le Tsar veut tecevoir Ia visite du iours d'eortirisonnement. dÛ Tsar' les bras I)ans oubliée' L'l'tiquette Le cérén,onial. hoi. - est rendu à la liberté, curioL'-habit tlu farouche. pierre En touriste. Le I'Opéra' de soirée La parcimonie. et ombrageuse eité, humeur Mr eontentement des princes et des princesses. Tsar servi par le Régent. Mésaventure de la ïuchesee de Rohan. - Le Tsar s'humanise. - Visite à Maintenon. matlame ile de Lettre I'histoire. et La légende saint-cyr. - Qgsupsli6ns sérieuses et divertisseVisiles ;ux-établisse"ments scientifiques, ls 1s16up d6 l,qs 61gis5 de Trianon' Le revers de la mérlarlle. ments. - Tsar paye son Le suprêrres. Nlunificences Le départ. Fontainebleau. - route àe Spa. lls sont nuls III. Résultats politiques. Sur la écot. - est seul à vouLe Tsar g161giçgs diplomatique. voltige de l,ss d'abord. - sérieusement. l,s s6ng1|5 de la tlave. un rraité platotique. loir négocier
Preurier projet de voyage en France et son avortement'

-

-

630

TABLE DES MÀTIÈRNS.
diplomatique insuffisante de

I'avenir.

- le duc de charhes. La tsarevna Elieabeth. Louis xv ou Àccueil réservé flait en France à ces ouvertures, Le silence de Dubois. - Ses raisonc. _ - veut une alliance politique - et la Russie une Désaccord intime. La France allinnce de faurille.- Absence de terrain pour une e,tente. L'ailiarrce de Bg0

part et d'autre. Diplonrates -ïeprésentation endettés. Lo baron de scirleinitz er cellamare. avances nouveilec de la part du Tsar..- Leur raison secrète. Il veut marier sa fille en France.

LIVRE
L.T LUTTE

II
LES NÉFONNIESI

A L'TNTÉRIEÙR. _

CTIÀPITRE PNEMIER
LE NouvEAtt nÉcrmr.

-

LA FrN DEs

slnalTsy.

-

pÉtrnsnoutd.

I.

Le noaveau régime. préalaLle, Les rriforrnes et la culture ori- Question slavophiles - et occirlentaux. ginale de la vieille l{oscovie. origines du - rérjolution. mouvernent réforrrrateur. Cornnrent cette évolution devient uùe caractère général de l'æuvre. ordre rlans lequel peuvent ètre étudiés les - syrrrbriliques. -- ll. L" résultats par elle réaliqés. Traits des Streltsy. - arrrrée et la rieille .lilice. Jin ses causes. La nouvellc Àlécontenterrrent de celle-ci, Révolte. Pierre en prend prétexte pour -une æuvre d'externination. - Enguête colossale. chanrbres de torture. _ Ilésul_ - Quatorze tats négatifs. La tsarevna Sophie. Sa cornplicité n'est par prouvée. _ - le voile. Bxécutions g;, Elle est condamnée néanmoing à prentlre -a.5s. _ - grèue de Moscou. Pierre y participe. Le justicier suprêrrre. _ Le La - Pétersbourq. Iobno'é nûesto. rll. Ava.t- et apr-ès polrava. F'orteresse -Raisone gui ont déterr'iné - le sit\ge cle pierre à y transporter ou capitale? ron gouve'nement. criiique et justification. La tratlition nationale. l2g

-

-

CIIAPITRE II
nÉronuB r\ronrlE.

l.

-

INtrra,rtol

tNrEl_LEo r(rEr,Lt:.

Les meurs. La thèae slavophile. Les mæurs idylliq'es de lancienne - rauvagerie. Russie. La- réalité. Grossièrcté et Le brigantlalJe. Trivialité brutale dcs .rrnrr"s donresr.iq'es. La boisson. Les rixes sanglantes. - de pierre. - Le fontls moÀl qu'il Absence d'idéal rnoral. L'Guvre trouve pour I'entreprendre. - fncoLérerrce et nresquinetie des pre,r,i,\res tentttives, * La réforure du costunre. Prolpès ultéri, urs. La lcfirrnre tlu - grantle rr.rbrme calerrdrier. Tenrl.rnces libérales du- nouveau rfuirrre. La dorrrestique. L' srppression du te.em. Où ira la femme Jn en - Ia *ie "o"tnot? Pierre crée par oukase. - f,er assemblées. Irrsuffisance 'r.ndaine des résultats obtenus au point de vue tlu développenrent de la-socialrilité. Motifs, Pierre eat trop peu honrrrre du nronde lui-mème. Absence d'une cour donnant le ton à la société. Le ton qui rè1;ne dans I'entourage du souverain n'est pas celui rle Versailles, Grossièreté des habitudes quia'y main- maison de poste. Les bals tiennent, Les fètes of{icielles à la du iardin - réception du corps dipl,rmatique à péterhof, d'été. Une Dissolut-ion er cvnisme des mæurs. Corruptions superposées. changeurent est surtout ruperficiel. Une grande révolutioo morale -Le est poul'trot acconrplie.

-

-

rAI]T,tr DI'S IIÀTIÉNTS.
L'école de I'exemnle.

63r

-- lL llettseignetne,û._ Les établissements scolaire! da srand rè6ne. -J a".1"";;; ;;;;"';;';;:,,cipee theoriques. _ rndécision et pauvreté applications prrritirres. général et l,encei_ -des -- L'"rr",gra-ent j, gne.renr professionnel. _ Les é.c.Jes prirnaires et leî écoler ;r"*i* i*a"r. Les lactrnes. Le manque ,l'1ti,"".. Envoi rle jeunes g";Iïi;j,""r;"". - Ilésrrltats médiocres. _ La llussie reste trjbutaire dc I,Eur,rpe. _ L,Àcatltlrrrie des aciences. -. La vraie école tlu t;,.nrJ ;ag.", _ Encore l,exernple. _ lll. t'itriti,,tiott inrelkctrrell:. i" i"i;;" .,uuu"llu. _ Les livres. _ Un corunrencenrent d'archives et de _ bibliothù,,i". _ tui te. u" a", r i " "' ". presse. _Apercu

-

6én,iral..,,..
tcclÉsrrslrqur.

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j'iliï
LA

il.:;,",,1,îï;#1î::rïî:;

t+SI

suppngssroN Du pÂTRrÀRc^T. I. L'Eqlise. _ FÉrfan lrrokopovitch. _ La propagande intellectuelle et la réforrrre ecclésiastiorre. _ t,e cenrre ki";l;"r.'_ Etat précaire tle la j vieille Égfrse rurscouire. l,rospé,.it ê ntatérielle, nr,;llr..r,orrt rnoral. _ Le péril riu

Lt

CIIAPITAE III
nÉr'onvo

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morr <ru patiarche

iï,ffJ'TH;,
eccfésiueriqqe.

mission et fi onrle le i:, Nécegsité d'une réforme piu.s radicale.

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tarsse

rlu clcrsé ""i; _ entrainer par elle.

*$,!1.'.i"' ;:"'.,ii:ï ï:
-.lispr-ir
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du "SainrSynode.

ii

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[ _] tî ::' :; 1".ï"î::î _ ùi: ;;
Le saint slnode'
J l^Ncs.

; 1,,:,; ;::l i ;æli, *l; tr""ott" a.,-,',.'li,r-i'"1 - Étienne lavorskr t".,lrit ,u
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Hi;i ::ï:,, :,rï : il*l J"î .er.trurs............ 4tj:l

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CTIAPITRE IV

t

tl nÉnonlrE socrÂLe, _ LE TÀBLEÂu Drs

f tïii::Ï;Prerre"a-t-il

été un- réformate.r socia.l?

l';:,i: jJï:"îîl: .euvre tle s,""d;;;;;;. ", "oiu""".'_* _ La sociarisatio,, du l,ustil;.i:ll. .îl:i:. . i;Ë
CHâPITRE V
g'oruvnn Écoxorrreur.

"_ ïe collectivisme. _ ll, Zes paï"an", La popularion rurale. _ "r,,gr. D",i* d" - aè tà lé1;islation p;"""u"J,iJ""i"o"aitir". la politique "l"rr", pry.;;;:-:j"0";;;"î au _ Asservissemen? -"t général' La raison àu t'l'itat. t" g";;;;;"-'aî r" nr.li" e 'est le paysan qui paye._ Lil.- L" i,,i;;';;;":: ";;î.r""îïî en cons r,i ru er u,u. bff".,. J:: cipale et bureaucratie, No|lesse

militaire, a<lministratif ^-'I'es oo bre.,e. : ï :,:î',j:: ment universel"* . Le tJleau tles

_ ;;;;ii;,i,

slouitt"vié Lioudt d'Ivan -

Les

III' f i;;;Ë;i"

crasseg sociales

".ffi:,r:: ï":;i *r",:'îï,:lrl*l::

_

.*liË';;;:" j:::;;

l.

L'intlustrie. Idéer directricec. _ Leur graarle portée et leur consistance - qui en relative. Causes compromettent partiellement Ie fruit. _ Une erreur capitale. pierro _."éer

-

la

'rétend

";"'i"a"rir;"if

" " """r"r.*fiï:ffi:

632
d'oukates.
de l'État. 8em€nt6 crées. -

TABLE DES MÂIIERES. * La doctrine mercantiliste. ll. Le
Le protectionnism€. L'in.l,rsPierre fabricant de percate. Situation précaire-des étaLhs- trouver un terraia fécond. _ Le créateur finit pourtant par
cotnmet'ce.

t'ie

Tenilancer libéralee de.Pierre. exigences de la g-ucrre I'olrligent à- y -.Les renoncer. Retour théorique au libéralisure. Nlaintien, dans la irati.rue. - arbitraires. Le port de Saint-pétersbourg. des procédés L", -i - tle la perse ""n"o*l Les routes. * l,s sempsrce der caravanes. Le marché et tle l'Intie. rrr. L'écono,nie-rurale, agricurteur s1 f61s51!ç1.- aperçu -.pierre général.Double obstacle au progrès économigue, d'ordre nroral et d'or.tlre politique,IY. Les Le budget. L'apparence et la réalité. _ - exigences littances. - de désorganisation Toujours les de la guerre. Politique et de briLa revision du cadastre. gandage. Fâcheux résultats. Encore les - idées plus saines. -lléforure géné_ expédients. Le déficit. llerour à-des rale des impôts. Renrplace,nent de I'impôt foncier par-la capitatioir. _ - anciene errements. La faillite. Maintien partiel des .,... ., . SOZ CHAPITNE VI I'onuvnE poLrrteùB l. L'administration,
L'esprit et la forrne. L'autonor'ie rnunicipale. E,le - expédie-nt liscal. - Les prer'iers huit n'est en réalité qu'un gouvernements. Autre expétlient. La décentralisation administrative. * Le Sénat. _ L'institution se développe spontar)érr)ent et .levie't un orfiane centralisateur. et confusion des pouvoirs. * Le contrôle atri'inistratif et liuarr- absorption cier. Lee ûacaux. Leur irnpopularité. - Les procureurs. - Vicer généraux de ces créations. Défaut d'uniré et d'éqtrilibre. Les collèges _ absence d'idée générale présirlarrt à leur établisseùrent. Nouveaux élËrucrrs de confusion. Pléthore d'organes adr'inisratifs et indigence d'adrnirristrateurs,. ll. La police. - La rtlpressi<in du brigandags. Lg niveau moral - justl?e. piefte de la aociété fait obstacl,aur progrès poursuivic. Iil. La - fois - Rais'eu occupe tartlivernent Il veut tout faire à la d un coup. - régime politique général estet r,e - I'irlie aong de son insuccès. la négation de

L'induetrie minière.

Le

uronopole commercial.

de la

-

Absence

loi.

"orsfutolté juridiques et de jurisres. de principer

l,a

-

de l'<reuvre législative lait obstacle

à-ia corlificarion.

-

Aperçu géuéral,

.. 5lJ

CHAPITRE VTI r'rnlrÉr Eî r,t. M^nlNE, l.
précipiter le mouvemenr. - régirnents de plaisance , Débuts-singuliers. c Les et défaurs - Qualités de des nouvelles formationr,. La matière et I'esprit. L'expérience Narva. Sur la bonne voie, -- -L'élément moral. Il. -La marine, * Les nrécédents. Caractère hâtif et excessif de l'æuvre nouvelle. La marini nrili- la marine mar:hande. - reste de l'æuvre taire et Double échec. Ce qui - ... . . :. aprèo la mort de I'ouvri:r. 5&B
L'armée.
Les précédents.

Piene n'a fait que

l"'opposrlttou.

CIIAPITRE VIII lÈ rsrnÉvrrcu ^LExIs. -Le

f.

RésistaÂces collectives et isolées, Complots et attentats. l,o caractere de - ll . Érlucation tlu Tsarévirch. I'opposition personnifié par Aleris. pre-

TABI-E DES MATIENES.
Âier con{lit avec I'autorité paternelle. *
Relégué

633

Alexis ne veut par être'soldat.

Le clergé et l'aristocratie. Sympathie mutuelle. Nouvelle intervention du père' - Alexjs L'idée d'un changement de règne. Le Tsar6vitch, malade, n'assiste pas à la \I.ruvaiee recrue. àoit seruir. Pierre l'envoie à l'étranger pour étudier et prendre bataille de Poltava. et pro['uns de La princesse Charlotte. Le mariage. femme. - de p"".ti' ,mielMort crc Alexis chef conjugale. de I'h-armonie chaine rupture - oumoine' - deshériternent' Prinse Le Catherine a un lils. Charlotte, III. Une légende. - Charlotte Premièr'e et seconde nrise en denreure. IV' Dernièro Le dernier- mot de l'énignie' Ses aventures. vivante. - Tsarévitch. La fuitedu Pierre- appelle son fils à lui. mise en demeure.
à Moscou.

-

A Naples.

de Moscou' * L'enc1uête V. l,'abdication. Le retour. Àlexis livré. Projeb f's pn1ç[s1l Paternel' Les exécutions. Âlexis livre seg amis. - Conliance et bonheur de I'exLe marirÊe-avec Euphrosine. d'avenir. See interrogaL'arrivée de la nraitresse. héritier. - VI. Péterslrourg. -- -Enquête I'x1163L'engrenage' nouvelle. toires. - Térnoin à charge. ia ttit" en jugernent. - La torture' - - Aveux et tation du prince. - cour de justice. l,'arrêt' VII' La mort' Yerpalinodies. -- La haute et resporrsabilité probal,ilitér. - Réalité n,atérielle Lee -Europ". rions diverses. Voltaire' de la postérité' jugerncnt Le L'upinron morale. "n ouq de I'histoire. Au tribunal CHAPITNE IX
LE TEE'IÀMENI DE PIIiRNE LE CRÀND.

La poursuite.

- Ler li,tie.-s du Tsar. A Vienne' A[Ehrenberg' - de I'arnante' - en scène d'Euphrosine. !a trahisgn L'entrée

-

CONCLUSION'

l.

gran,l

La mort de Pierre.
homme.

-

II. Le testaurent apocryphe et le vrai Aperçu général......"' lII. -

testalnent du 599

ITN DI) LA'IABLE DES IIA1ILlIA5

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