Focus Inde

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FOCUS

L’Inde et la sécurité alimentaire : un enseignement pour l’Europe
Le Bureau de l’APCA a effectué une mission en Inde du 12 au 22 avril 2011, dans la grande région de Delhi, dans l’Etat du Gujarat (ouest), du Punjab (nord), du Rajasthan (ouest), du Kerala (sud). Les présidents des Chambres d’agriculture ont ainsi rencontré des paysans dans leurs villages et leurs coopératives, des organisations agricoles, des chercheurs et des responsables de vulgarisation, des représentants du ministère de l’Agriculture et de l’ambassade de France. L’objectif était de recueillir des éléments d’appréciation sur les facteurs de développement de l’agriculture, la stratégie de sécurité alimentaire, l’état de la recherche et la vision géostratégique de l’Inde. Focus sur le rôle de l’agriculture dans une société aux multiples visages et sur les spécificités de l’économie d’un pays émergent, entouré de puissants voisins, le Pakistan et la Chine.

JAMMU & KASHMIR
Srinagar

Le choc des repères et des disparités
Pour un Européen, l’Inde déstabilise et frappe par ses contrastes : 1,14 milliards d’habitants en 2008 (croissance : 1,5 % par an), un territoire presque six fois la taille de la France, un système de castes aux fortes inégalités, 1651 langues ou dialectes (8 % des Indiens parlent l’anglais), de forts écarts de salaires (de 50 €/mois à 800 € pour un ingénieur)… Héritage de la colonisation anglaise mais selon un système choisi et aménagé par les Indiens avec la proclamation de la République le 26 janvier 1950, l’Inde est la plus grande démocratie du monde. Ce fait est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un pays en développement et émergent où les problèmes à surmonter sont décuplés, soit pour des raisons internes, soit en raison de la mondialisation. L’autre situation frappante est la grande tolérance dont font preuve les Indiens vivant dans des Etats aux histoires locales très différentes, issus de différentes couches sociales, vénérant des dieux différents et avec une solidarité entre les générations.

HIMACHAL PRADESH PUNJAB Simla
Chandigarh

UTTARANCHAL
Dehra Dun

HARYANA

DELHI
RAJASTHAN
Jaipur

ARUNACHAL PRADESH SIKKIM
Gangtok Shillong Agartala Itanagar Dispur

UTTAR PADRESH
Lucknow

ASSAM NAGALAND
Kohima Imphal

BIHAR
Patna

MAGHALAYA

MANIPUR
Alzawl

JHARKHAND MADHYA PADRESH
AR

GUJARAT

HA TT

ISG

H

Gandhinagar

Bhopal

WEST

TRIPURA

Ranchi BENGAL Kolkota (Calcutta) Bhubaneshwar

MIZORAM

DADRA & NAGAR HAVELI

Silvassa Mumbai (Bombay)

INDIA

CH

MAHARASHTRA

Raipur ORISSA

Hyderabad

Panaji

ANDHRA PRADESH KARNATAKA
Bangalore Chennai Pondicherry

GOA

© GANAPATI.FREE.FR

TAMIL NADU

Thiruvananthapuram

KER

ALA

Chambres d’agriculture n° 1005 - Août-Septembre 2011

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FOCUS

L’agriculture, un « géant aux pieds d’argile »
Le Mahatma Gandhi, Père de la Nation, était un paysan fier (Father of the Nation, a proud farmer). En 1946, il lança un cri de ralliement : « pour tous ceux qui ont faim, Dieu est le pain ». Aujourd’hui, le monde paysan constitue une base électorale importante pour le Parti du Congrès, héritier de la formation du premier ministre Nehru. En Inde, l’agriculture est le cœur de la nation et occupe une place essentielle dans la société et l’économie indiennes, malgré ses modes de production traditionnels. En particulier, les petits producteurs (moins de 1ha) jouent un rôle central dans la production d’aliments : ils occupent près de 45 % de la terre cultivée et produisent 50 % de la production de grains (source : Commission nationale des agriculteurs). La « Révolution verte » a permis d’assurer une certaine sécurité alimentaire, contribuant ainsi à la stabilité du pays, malgré les aléas climatiques liés à la mousson. Ainsi l’agriculture représente un poids économique et social considérable, avec 70% de la population en zone rurale, 58 % de la population active, 18% du PIB, et 193 millions ha de SAU (2e surface agricole mondiale). L’Inde est le premier producteur mondial de lait (117 millions de tonnes en 2010) et le deuxième producteur de riz (89 millions de tonnes ; 2009/2010) et de blé (81 millions de tonnes ; 2009/2010). L’agriculture est aussi un facteur d’équilibre pour la société avec plusieurs composantes : - une dimension religieuse : en Inde, la vache est sacrée (sous-entendu l’espèce bovine et non l’espèce bufflone) car elle représente la dimension spirituelle de l’univers : celle-ci ne peut donc être abattue pour être consommée ; - une dimension sociale : en nombre très élevé, les exploitations agricoles de petite taille (82 % ont moins de 1ha, taille qui diminue au fil des successions) occupent les campagnes, procurent une activité et

En Inde la vache reste sacrée et est utilisée pour la production de lait et de combustible.

limitent l’exode (croissant) vers les villes ; par ailleurs, une ou deux vaches apportent aux familles un minimum vital par la production de lait ; - une dimension économique : la productivité du travail est faible (1/6 du niveau des autres secteurs selon la Mission Economique de l’Ambassade de France) et ne suffit pas à répondre aux besoins alimentaires croissants de la population. Mais l’agriculture indienne est fragile : elle est fortement dépendante de la mousson, la productivité (rendements) progresse moins, les surfaces cultivables diminuent, les ressources naturelles sont utilisées de façon non durable, le foncier est cher, l’investissement public a diminué, les disparités entre le monde rural et le monde urbain s’accroissent.

Ces différents facteurs ont incité l’Inde à se doter d’une véritable politique stratégique en matière de sécurité alimentaire, notamment en lançant une politique volontariste d’augmentation de la production agricole et de recherche de l’autosuffisance : la «Révolution verte», basée sur l’utilisation de semences améliorées et d’engrais, sur l’irrigation mais aussi sur un environnement institutionnel et économique propre à favoriser les nouvelles technologies. Cette politique a permis à l’Inde de devenir autosuffisante en céréales à partir de 1975 et, même, de devenir exportatrice pour ces produits, en riz en particulier.

Une politique agricole au service de la sécurité alimentaire(1)
La recherche de la sécurité alimentaire se décline selon deux objectifs principaux : stimuler la production agricole et contrôler les prix alimentaires afin d’offrir une alimentation à un prix abordable à la population (55 % du budget des ménages en milieu rural). Plusieurs instruments ou programmes sont définis au niveau fédéral et mis en œuvre au niveau des Etats : - l’utilisation du système de droits de douane comme moyen de régulation des prix intérieurs ; - un prix minimum de soutien au stade de la production (MSP) fixé par l’Etat fédéral pour 25 produits agricoles (lait, céréales, oléagineux, coton, jute, canne à sucre…; voir encadré) ;

La sécurité alimentaire : un enjeu vital hier, aujourd’hui et demain
Les traumatismes du passé
Les traumatismes ont forgé la politique de sécurité alimentaire et la politique agricole indiennes. Au cours du XXe siècle, l’Inde a été confrontée à plusieurs événements dramatiques : les famines récurrentes jusqu’à son indépendance (3 millions de morts durant la famine du Bengale en 1943), les conditions climatiques erratiques, l’arrêt de l’aide alimentaire par les Etats-Unis en rétorsion du rapprochement de l’Inde avec l’URSS, les conflits armés avec le Pakistan avec lequel l’Inde partage la riche région agricole du Cachemire.

1. Source : ambassade de France

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Chambres d’agriculture n° 1005 - Août-Septembre 2011

© APCA

UN SYSTÈME SUBVENTIONNÉ DE DISTRIBUTION DES PRODUITS ALIMENTAIRES(2)

Politique de stockage de céréales et de revente à moindre prix aux populations les plus pauvres.

L’Inde compte 1/4 de la population mondiale mal nourrie pour 1/6 de la population totale. Elle dispose des programmes les plus ambitieux au monde en matière de soutien auprès des producteurs et de distribution à des prix très subventionnés auprès des ménages les plus pauvres, pour certains produits alimentaires (riz et blé principalement), distribués dans 400000 magasins (Fair Price Shops). Au total, 40 millions de tonnes de céréales sont distribuées annuellement dans le cadre de ces programmes à 65,2 millions de ménages pauvres (budget 2010/2011: 9,15 milliards d’euros). Si la part de la malnutrition diminue (24% de la population en 1990, 22% en 2006), le nombre de personnes souffrant de la faim continue de croître, particulièrement les enfants : 210 millions en 1990, 251 millions actuellement. L’Inde doit en effet nourrir 17% de la population mondiale avec moins de 5% des ressources mondiales en eau et 3% des terres arables. Par ailleurs, des rapports d’enquête ont mis en évidence le coût élevé de la gestion du système et les fraudes intervenues. A la suite du programme électoral du Parti du Congrès ayant remporté les élections en 2009, un projet de loi visant à améliorer la gestion du système et à universaliser le droit à l’alimentation à l’ensemble des personnes touchées par la faim est en discussion. Toutefois des contraintes pratiques majeures limitent l’extension du système actuel : - la disponibilité en céréales : une deuxième «Révolution verte» sera nécessaire pour relancer la production et fournir les quantités requises, de l’ordre de 50 à 60 millions de tonnes de céréales; - les infrastructures, notamment de stockage : celles-ci sont déjà largement insuffisantes et les pertes de récolte, estimées à environ 30%, sont très importantes; - la gestion du dispositif et son contrôle : transfert monétaire direct aux familles pauvres, coupons alimentaires? - l’équilibre de la ration alimentaire : comment intégrer les besoins nutritionnels indispensables autres que le riz et le blé (protéines, huiles, vitamines…)?
En roupies (en euros) par quintal Blé Riz Prix d’achat aux producteurs (Minimum support price) 1100 (17,6) 950 roupies (15,2) Prix subventionné aux familles Moyennement Très pauvres pauvres 415 (6,6) 565 (9) 200 (3,2) 300 (4,8)

Pauvres 610 (9,8) 795 (12,7)

Prix de détail (Delhi) 1626 (26) 1964 (31,4)

source : ambassade de France

2. Source : ambassade de France

© APCA

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FOCUS

L’INDE ET LA PAC : LE « DIALOGUE IMPOSSIBLE »
Lors de la rencontre avec les organisations agricoles indiennes regroupées dans «Agriculture Today», les représentants indiens ont fortement critiqué les aides accordées aux agriculteurs dans le cadre de la Politique agricole commune qui, selon eux, se traduisent par des distorsions de concurrence. Le niveau des coûts de production et les contraintes environnementales en Europe ne sont pas compréhensibles par une population focalisée sur les besoins en nourriture et les moyens financiers pour accroître la production agricole.

pour encourager de façon durable le développement de son agriculture. En effet, pour approvisionner de façon continue et efficace une population, il importe de disposer : - d’une agriculture dotée d’une capacité productive qui suppose un pouvoir d’achat suffisant des agriculteurs pour acheter des intrants et investir ; - de produits de base diversifiés et en quantités suffisantes ; - d’un marché structuré pour collecter, stocker dans de bonnes conditions, transformer et acheminer dans le cadre de filières privées (coopératives, outils de stockage, moyens de transport…) ; - d’une politique publique avec des instruments pour réguler le marché. Au moment où se prépare la réforme de la Politique agricole commune pour 20142020 et avec les conséquences du changement climatique sur l’appareil de production agricole, les instances européennes doivent donc prendre les bonnes décisions pour une sécurité alimentaire durable pour les populations.

- un programme d’achats, essentiellement des céréales, par des organismes d’Etat, pour alimenter les familles les plus pauvres, constituer des stocks de sécurité, revendre et réguler ainsi les prix de marché (voir encadré) ; - des subventions aux intrants (engrais par l’Etat fédéral, électricité et eau d’irrigation par les Etats…) ; - une facilitation de l’accès au crédit.

Ces orientations dessinent les contours d’une « nouvelle Révolution verte ». Mais cette recherche sera difficile en raison du développement disparate de l’économie indienne et de l’attraction des villes qui – malgré la situation précaire des populations – constituent toujours un mirage pour la paysannerie.

Quelles leçons pour les Européens ?
La situation aiguë de l’Inde et sa stratégie en matière de sécurité alimentaire délivrent des enseignements stratégiques pour l’Union européenne : malgré une situation agro-climatique très différente, l’Europe ne prend pas toujours suffisamment en compte les véritables enjeux de la sécurité alimentaire pour sa population et le rôle crucial d’une politique agricole

Quelles perspectives ?
L’Inde se trouve face à une demande croissante en produits agricoles et alimentaires liée d’une part à la croissance de la population (+ 18 millions d’Indiens par an), d’autre part aux changements de consommation alimentaire liés à l’augmentation des revenus et à une urbanisation croissante. Si la croissance des naissances devient plus modérée, les progrès en matière de santé se traduisent par un vieillissement de la population. L’un des défis de l’Inde est donc de trouver des modèles de développement rural se traduisant : - par un accroissement de la productivité agricole et une gestion durable des ressources naturelles (formation et organisation des paysans, diversité des assolements en réduisant la monoculture, utilisation plus raisonnée des intrants, gestion optimale des sols et de l’eau…) ; - par une adaptation aux changements climatiques ; - par un maintien du tissu social dans le milieu rural et par une répartition des gains de la croissance entre milieu urbain et milieu rural, notamment en faveur des petits producteurs.

Recherche et diffusion du progrès en agriculture
L’Inde dispose d’un véritable appareil de recherche. Dans un contexte où l’agricul-

Rencontre du Bureau de l’APCA au centre de recherche de Kumarakon dans le Kerala.

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© APCA

LE LAIT, UNE PRODUCTION VITALE NATIONALE, LA COOPÉRATIVE AMUL (ETAT DU GUJARAT, OUEST)
L’Inde est le premier producteur mondial de lait (117 millions de tonnes en 2010; France : 25 millions de tonnes). Les vaches et les taureaux de l’espèce bovine sont sacrés et ne peuvent être tués. La production de lait constitue une production essentielle pour les familles. Cette production a explosé depuis 1970 (21 millions de tonnes). Dans l’Etat du Gujarat, la filière est structurée à plusieurs niveaux : coopérative villageoise, union des coopératives par district (1103 villages), fédération au niveau de l’Etat du Gujarat, soit 13 unions de coopératives, 2,9 millions de producteurs, 15 322 villages sociétaires, 9,1 millions de litres collectés par jour. La fédération commercialise ses produits sous le nom de la marque et par la coopérative AMUL, notamment avec des produits à haute valeur ajoutée (fromages, yaourts, glaces…) permettant de rémunérer les producteurs au dessus du prix minimum garanti par le gouvernement (30 roupies/l, soit environ 0,5 € (au taux 1 euro = 62 roupies).

Réception de lait dans une coopérative.

LE PUNJAB
Le Punjab (24 millions d’habitants) est un Etat du nord de l’Inde à majorité sikhe. Le Punjab originel a été partagé entre l’Inde et le Pakistan lors de la partition en 1947. « Punjab » est une combinaison des mots indo-iraniens : «panch», cinq et «âb» rivières, «le pays des cinq rivières». En dépit de ses proportions relativement réduites, c’est l’un des Etats les plus riches de l’Inde. Sa qualité de vie est nettement supérieure à celle des autres Etats indiens. Pendant les années 1970, la « Révolution verte » a accru la productivité agricole du Punjab qui est devenu « le grenier à blé », avec 60 % de la production nationale.

ture contribue à près de 18 % au PIB, l’Inde a investi dans un nombre important d’universités pour promouvoir la recherche et la formation en agriculture, avec 45 universités agronomiques, membres de l’Indian Agricultural Universities Association. Au nord, la Punjab Agricultural University (campus 580 ha ; 1 471 étudiants inscrits en 2008 ; 1 100 enseignants/chercheurs), comprend 30 départements d’enseignement, 35 domaines de recherche, 10 stations de recherche ; 5 fermes expérimentales de sélection des semences. Elle a joué un rôle important dans l’accroissement de la production de céréales et a contribué à faire entrer le Punjab dans l’ère de la Révolution verte. Dans le domaine des productions végétales, 694 variétés ont été créées et des technologies ont été développées pour accroître les rendements, améliorer la protection des cultures, conserver les ressources naturelles (eau, sol, environnement). Le Punjab produit 10 % du coton indien, dont 90 % sont issus de variétés OGM. Cette recherche génétique va permettre de mieux s’adapter au changement climatique. L’université joue également un rôle dans la formation et le conseil aux agriculteurs avec un département spécifique (Extension Education Department) : les agriculteurs viennent s’informer, observer et bénéficier

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FOCUS

LE KERALA
L’Etat du Kerala (30 millions d’habitants) est situé à l’extrême sud de l’Inde. Le Kerala fut, dès l’antiquité, une plaque tournante du commerce entre l’Asie et l’Europe méditerranéenne. En 1498, Vasco de Gama débarque sur les côtes du Kerala. Cette date a marqué le début de la présence européenne. En raison de cette position d’ouverture sur l’extérieur, la population et la culture du Kerala sont le résultat d’un long brassage cosmopolite. Toutes les religions sont représentées. Le Kerala est l’Etat le plus progressiste de l’Inde. Le taux d’alphabétisation (91%) est le plus élevé du pays. Le climat du Kerala est de type tropical, les températures varient peu d’une saison à l’autre. L’agriculture est la principale activité économique. Les plantations d’épices, de thé, de café, d’hévéas, de cocotiers... représentent 40 % des terres cultivées. Les entreprises industrielles sont surtout présentes dans le secteur du textile et de l’agro-alimentaire. Le travail du coir (fibres des noix de coco) et de l’acajou représente une grande part de l’industrie familiale. Le Kerala possède 24% des variétés et de la biodiversité nationales.

de tout type de conseil. Par ailleurs, il existe des antennes de l’Université dans les villages (une trentaine de bureaux avec plusieurs collaborateurs par bureau). Différents programmes de sensibilisation sont établis sur les dates de semis, les conditions de traitement, la commercialisation des produits… Au sud, le Centre de Recherche de Kumarakom (Kerala Agricultural University) est spécialisé dans l’expérimentation et le développement des systèmes intégrés de production, la pisciculture, la production de compost, la protection intégrée des cultures, la sélection, la multiplication et la vente de variétés en valorisant la biodiversité de l’Etat du Kérala qui possède 24 % des variétés et de la biodiversité nationales. Le centre joue aussi un rôle en matière de formation et de conseil aux agriculteurs qui sont informés par les journaux sur les programmes gratuits de démonstration et de formation, qui s’inscrivent et viennent sur place, soit environ 50 paysans tous les 2-3 jours (5 % des paysans de la région).

Plantation de thé dans le Kerala.

HÉVÉA ET LATEX, UNE PRODUCTION AGRICOLE ET ARTISANALE
Le latex est obtenu par saignée de l’hévéa , arbre qui peut atteindre plus de 30 m de hauteur pour une circonférence de 1 m. Il perd ses feuilles et les renouvelle chaque année. Le latex est différent de la sève : celle-ci assure la distribution de l’eau, des sels minéraux ou des sucres alors que le latex est plutôt impliqué dans les mécanismes naturels de défense de l’arbre. Il circule dans un réseau distinct de vaisseaux : les canaux laticifères. Le latex est composé d’une suspension de particules de caoutchouc. Celui-ci prend sa forme solide et extensible après adjonction d’eau et chauffage (50/50 eau/latex, durant 2 heures). Le latex peut être obtenu dans des grandes plantations assorties d’un équipement industriel mais il est aussi produit par des paysans individuels et contribue ainsi au revenu familial.
© APCA

Plantation d’hévéas dans le Kerala.

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LES CHAMBRES D’AGRICULTURE DANS LA COOPÉRATION FRANCO-INDIENNE
A la suite de la mission du Bureau en Inde, le ministère de l’Agriculture a inclus l’APCA dans le Comité mixte franco-indien, chargé de la mise en œuvre de l’accord politique de coopération conclu entre les ministres de l’Agriculture Sharad Pawar et Bruno Le Maire. Les Chambres d’agriculture et l’Esitpa seront impliquées dans le domaine du conseil aux agriculteurs et de la mobilité étudiante.

© APCA

Dans le cadre de perspectives de coopération, le Bureau de l’APCA a rencontré les responsables de l’université d’agriculture de Ludhiana dans le Punjab.

Production de jeans pour l’exportation.

Ambitions et contraintes d’une économie émergente
L’économie de l’Inde, membre du BRICAS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), est une terre de contrastes : la grande pauvreté (près des trois-quarts de la population vivent avec moins de 2 $ par jour), de grandes inégalités entre les groupes sociaux, mais un taux de croissance de son Produit intérieur brut (PIB) parmi les plus élevés au monde, avec celui de la Chine : + 6 à 7% en moyenne annuelle. Sans connaître de récession, l’économie de l’Inde a toutefois durement été touchée par la crise économique et financière de 2008-2009. La contraction de son taux de croissance a été importante, avant de se redresser à partir de la fin de l’année 2009 (graphique 1). Le PIB par habitant est encore très modeste, environ 1 060$ (30 500$
3. La population de l’Inde était de 1,2 milliard d’habitants en 2010, contre 1,3 milliard en Chine. A l’horizon 2050, la population de l’Inde devrait être de 1,6 milliard.

pour la France), mais le taux de chômage national est inférieur à celui de la France (à peine 5% en 2009 contre 9% en France)(3). Par ailleurs, l’économie indienne se dis-

tingue par un taux d’inflation élevé, plus de 10 %, et par un endettement public frôlant les 75 % du PIB. Avec 13 % du PIB, les exportations pèsent encore modestement dans les structures de l’économie nationale de l’Inde.

Graphique 1

Taux de croissance du PIB de l’Inde en volume
en % 12 10 8 6 4 2 0
1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007 2011**

8,5**

-2 -4 -6

899

**Estimation 2011

OCDE

© CROSS DESIGN - Fotolia.com

Chambres d’agriculture n° 1005 - Août-Septembre 2011

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FOCUS

Graphique 2

Évolution des grandes productions indiennes
en millions de tonnes 400 350 300 250 200 150 100 50 0 -50
1961
1428

Plantes sucrières 285 249 Céréales 93 70 Fruits Oléagineux
1967 1973 1979 1985 1991 1997 2003 2009
FAO

Légumes

10

cialisation de l’Inde est considérée comme très élevée, le solde de la balance des opérations courantes reste déficitaire : – 49 milliards de $, soit plus de 3 % du PIB. Les secteurs du textile, de l’agriculture, de la chimie et de la bijouterie forment l’essentiel des exportations indiennes. Du côté des importations, l’Inde achète surtout des produits énergétiques, chimiques, des équipements électroniques et des produits agricoles et alimentaires. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Inde devant l’Union européenne à 27, tous produits confondus. Les produits issus du textile, de l’habillement et du cuir forment l’essentiel des importations françaises en provenance d’Inde.

Ouverture commerciale et/ou protection de l’agriculture ?
Le dynamisme de l’économie indienne inscrit ce pays dans un processus de rattrapage général des anciennes puissances industrialisées, occasionnant parfois des phénomènes de contestation du leadership occidental. C’est encore une illustration du paradoxe indien, dans la mesure où ce dynamisme rompt avec l’image antérieure d’un pays se caractérisant par une extrême pauvreté. Sur le plan géopolitique, au même titre que d’autres pays émergents, l’Inde aspire à occuper une place dans les institutions internationales et dans la dynamique des relations internationales. La part des exportations indiennes dans le PIB reste très nettement inférieure à ce que l’on constate dans d’autres pays émergents comme la Chine, où l’indicateur avoisine les 25 % contre 13 % en Inde. En revanche, le poids des importations indiennes dans le PIB est plus élevé, atteignant 21 % en 2009. Les échanges commerciaux de l’Inde se traduisent donc par un déficit chronique, lequel s’est fixé en 2009 à environ –64 milliards de dollars (il n’était encore que de –9,5 milliards de dollars en 1990), et pourrait se rapprocher des –100 milliards pour l’année 2010. L’Inde, en tant que pays émergent, n’est donc pas encore le géant commercial que l’on suppose. Même en ajoutant les échanges de services, secteur pour lequel la spéL’Inde est avec le Brésil l’un des pays émergents dégageant de façon structurelle un excédent commercial de ses échanges de produits agricoles et alimentaires avec le reste du monde. De ce

Graphique 3

Production mondiale de lait
en millions de tonnes 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0
1961
584

Monde 2009* : 697*
1961 : 344,2

UE (27)

158,5* 153* Asie du Sud

USA

85,9*

Féd. de Russie Océanie
1965 1969 1973 1977 1981 1985 1989 1993 1997 2001 2005

32,6* 24,7*
2009*
FAO

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Chambres d’agriculture n° 1005 - Août-Septembre 2011

Parmi les denrées agricoles les plus exportées, avec les céréales, le thé.

point de vue, elle figure comme l’une des grandes puissances agricoles de ce début de XXIe siècle, statut lui permettant d’afficher une réelle résistance à l’ambition de l’OMC de libéraliser les flux commerciaux de produits agricoles et alimentaires. (graphiques 2, 3 et 4) Les exportations agroalimentaires de l’Inde représentent annuellement entre 9 et 11 % des exportations totales, tandis que les importations occupent une proportion beaucoup plus faible des importations totales, à peine 3 % en moyenne. Exprimée en termes de PIB, l’ouverture de l’Inde au commerce mondial agroalimentaire reste limitée à quelque 8,5 % en moyenne sur la période 20002009 (rapport entre la somme des exportations et des importations sur le PIB agricole). Les produits les plus exportés sont : les céréales, les produits destinés à l’alimentation animale (essentiellement les tourteaux), le thé, le café et les épices, les fruits et légumes ainsi que les produits de

la pêche. Les importations agricoles portent sur les huiles alimentaires, les protéagineux, ainsi que quelques boissons.

L’UE à 27 forme le principal client de l’Inde, suivie de l’ASEAN (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei…), et des États-Unis. Les échanges agroalimentaires franco-indiens sont marginaux (à peine 0,5 % des exportations françaises). La France se classe au 21e rang des fournisseurs et sa balance commerciale en produits agricoles et alimentaires est régulièrement déficitaire avec l’Inde depuis quelques années (2009 : – 232 millions de dollars). Vis-à-vis de l’UE à 27, les échanges commerciaux agroalimentaires se sont traduits en 2009 par un excédent en faveur de l’Inde d’un montant de quelque 2,7 milliards de dollars.

© Eva LEMONENKO - Fotolia.com

Graphique 4

Balance commerciale agroalimentaire de l’Inde
en millions de dollars US 12 000 10 000

Agroalimentaire
8 000 6 000 4 000 2 000 0

4277 4187 Agriculture -89,8 Produits alimentaires

-2 000
1967
1432

1973

1979

1985

1991

1997

2003

2009
CHELEM - CEPII

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FOCUS

Graphique 5

Avantages comparatifs révélés de l’Inde pour la filière agroalimentaire
PIB/1000 14 12 10

années à venir des importateurs structurels, et ce sont tous les marchés agricoles qui risqueraient d’entrer dans une nouvelle phase de turbulences, propulsant les prix agricoles à des niveaux sans doute jamais atteints.

Agroalimentaire
8 6

6,4 Agriculture 4,5 Produits alimentaires 1,9
2003 2006 2009

4 2 0
1967 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000

Remerciements : l’APCA remercie l’ambassade de France à New Delhi, notamment M. Philippe Beyriès, conseiller agricole, pour son aide précieuse à la préparation et la réalisation de cette mission. Ce Focus a été rédigé par Daniel BIGOU Chambres d’agriculture France Pôle Europe et action internationale et Thierry POUCH Chambres d’agriculture France Pôle Economie et Politiques Agricoles

-2

1430

CHELEM - CEPII

Les performances indiennes en matière de commerce extérieur de produits agricoles et alimentaires reposent sur des avantages comparatifs relativement solides, traduisant un suivi politique et un soutien économique réguliers apportés à ce secteur jugé stratégique par les gouvernements successifs (graphique 5). Les positions commerciales occupées par l’Inde en matière de produits agricoles et alimentaires l’incitent en effet à veiller à ce que l’OMC n’aille pas trop loin dans le processus de libéralisation des échanges agroalimentaires, afin de préserver une population rurale encore nombreuse. Avec le taux de croissance élevé de l’économie indienne, les modes et le rythme de consommation alimentaire des ménages indiens évoluent mais les pratiques religieuses, l’appartenance à une caste ainsi que le clivage rural/urbain restent déterminants. En zone urbaine, la formation d’une classe moyenne s’est traduite par une diversification de la consommation alimentaire et par l’instauration de nouveaux circuits de distribution (supermarchés par exemple). Toutefois,

comparée au cas chinois, la transition alimentaire, prise au sens occidental du terme (moins de céréales et davantage de produits carnés, de produits laitiers, de fruits et de légumes), est à peine amorcée. Si la croissance des exportations ne saurait être freinée en raison du souhait de l’Inde de figurer au rang des grandes puissances économiques de demain, la recherche de la sécurité alimentaire demeure un objectif prioritaire pour les autorités. Ainsi, les dispositifs douaniers ou les subventions à la production restent-ils élevés aux yeux des autres grands protagonistes des marchés agricoles (Brésil, groupe de CAIRNS…) et l’Inde a tenu bon lors des négociations de l’OMC en juillet 2008, en refusant tout accord qui menacerait son agriculture et ses agriculteurs. À y regarder de plus près, la question alimentaire en Inde – tout comme en Chine – est une question qui concerne l’économie mondiale dans son ensemble. Les soubresauts des prix agricoles depuis 2007 en sont une bonne illustration. Que ces deux pays deviennent dans les

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Chambres d’agriculture n° 1005 - Août-Septembre 2011

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