Michel Onfray - La Vie Philosophique de Camus

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Michel Onfray
L'Ordre libertaire
La vie philosophique d'Albert Camus
Flammarion

Michel Onfray
L'Ordre libertaire
La vie philosophique d'Albert Camus
Flammarion
© Michel Onfray et Flammarion, 2!2"
#$pot l$%al & 'anvier 2!2
()*+ ,pub & -./2/!2/0.
()*+ 1#F 2eb & -./2/!2/!23.
Le livre a $t$ imprim$ sous les r$f$rences &
()*+ & -./2/!2044!
Ouvra%e compos$ et converti par Meta5systems 63-! 7oubai89


Albert Camus $crivait en !-3: dans ses Carnets & ; <e demande une seule chose, et 'e la
demande humblement, bien que 'e sache qu=elle est e8orbitante & >tre lu avec attention" ? 1our lui
rendre 'ustice, croiser sa pens$e et son e8istence, saluer une vie philosophique e8emplaire, '=ai
souhait$ $crire ce livre apr@s l=avoir lu avec attention" 6M" Onfray9

1our mettre fin A une l$%ende fabriqu$e de toutes pi@ces par )artre et les siens, celle d=un
Camus ; philosophe pour classes terminales ?, d=un homme de %auche ti@de, d=un penseur des
petits *lancs pendant la %uerre d=Al%$rie, Michel Onfray nous invite A la rencontre d=une Buvre
et d=un destin e8ceptionnels"
+$ A Al%er, Albert Camus a appris la philosophie en m>me temps qu=il d$couvrait un
monde auquel il est rest$ fid@le toute sa vie, celui des pauvres, des humili$s, des victimes" Celui
de son p@re, ouvrier a%ricole mort A la %uerre, celui de sa m@re, femme de m$na%e morte au8
mots mais mod@le de vertu m$diterran$enne & droiture, coura%e, sens de l=honneur, modestie,
di%nit$"
La vie philosophique d=Albert Camus, qui fut h$doniste, libertaire, anarchiste,
anticolonialiste et visc$ralement hostile A tous les totalitarismes, illustre de bout en bout cette
morale solaire"

,n couverture & Albert Camus © Collection Catherine et <ean Camus, Fonds Albert
Camus, *iblioth@que M$'anes, Ai85en51rovence, #roits r$serv$s" Merci A Cheodora D

Michel Onfray est n$ en !-3-" Ein%t ans professeur de philosophie dans
un lyc$e, il a d$missionn$ de l=Fducation nationale en 22 pour cr$er et
animer l=Gniversit$ populaire de Caen" (l est l=auteur d=une cinquantaine
de livres traduits dans plus de vin%t5cinq pays"



#G MHM, AGC,G7
Le Ventre des philosophes, Critique de la raison diététique, Irasset, !-/- J LIF, 2-"
Cynisme, Portrait du philosophe en chien, Irasset, !-- J LIF, 2."
L'Art de jouir, Pour un matérialisme hédoniste, Irasset, !--!, LIF, 2."
L'Œil nomade, La peinture de Jacques Pasquier, Folle Avoine, !--:"
La Sculpture de soi, La morale esthétique, Irasset, !--: 61ri8 M$dicis de l'essai9 J LIF,
2:"
La Raison ourmande, Philosophie du o!t, Irasset !--3 J LIF, 2/"
"étaphysique des ruines, La peinture de "onsu #esiderio, Mollat, !--3 J LIF, 2!"
Les $ormes du temps, %héorie du sauternes, Mollat, !--0 J LIF, 2-"
Politique du re&elle, %raité de résistance et d'insoumission, Irasset, !--. J LIF, 2/"
'ommae ( )achelard, Fd" du 7e%ard, !--/"
Ars "oriendi, Cent petits ta&leau* sur les a+antaes et les incon+énients de la mort, Folle
Avoine, !--/"
, c-té du désir d'éternité, $raments d'.ypte, Mollat, !--/ J LIF, 20"
%héorie du corps amoureu*, Pour une érotique solaire, Irasset, 2 J LIF, 2."
Pr/ter n'est pas +oler, Mille et une nuits, 2"
Antimanuel de philosophie, Le0ons socratiques et alternati+es, *r$al, 2!"
1sthétique du p-le 2ord, St3les hyper&oréennes, Irasset, 22 J LIF, 23"
Physioloie de 4eores Palante, Pour un niet5schéisme de auche, Irasset, 22, LIF,
23"
L'6n+ention du plaisir, $raments cyréna7ques, LIF, 22"
Célé&ration du énie colérique, %om&eau de Pierre )ourdieu, Ialil$e, 22"
Les 6c-nes pa7ennes, Variations sur 1rnest Pinon81rnest, Ialil$e, 2:"
Archéoloie du présent, "ani9este pour une esthétique cynique, Irasset5Adam *iro,
2:"
$éeries anatomiques, 4énéaloie du corps 9austien, Irasset, 2: J LIF, 2-"
.piphanies de la séparation, La peinture de 4illes Aillaud, Ialil$e, 24"
La Communauté philosophique, "ani9este pour l'uni+ersité populaire, Ialil$e, 24"
:*ymoriques, Les Photoraphies de )ettina Rheims, <anninK, 23"
%raité d'athéoloie, Physique de la métaphysique, Irasset, 23 J LIF, 2-"
Suite ( La Communauté philosophique, ;ne machine ( porter la +oi*, Ialil$e, 20"
%races de $eu* 9urieu*, La Philosophie 9éroce 66, Ialil$e, 20"
Splendeur de la catastrophe, La peinture de Vladimir Veli<o+ic, Ialil$e, 2."
%héorie du +oyae, Poétique de la éoraphie, LIF, 2."
La Pensée de midi, Archéoloie d'une auche li&ertaire, Ialil$e, 2."
$i*er des +erties, Les photoraphies de =illy Ronis, Ialil$e, 2."
La Saesse traique, #u &on usae de 2iet5sche, LIF, 2/"
L'6nnocence du de+enir, La +ie de $rédéric 2iet5sche, Ialil$e, 2/"
La Puissance d'e*ister, "ani9este hédoniste, Irasset, 20 J LIF, 2/"
Le Sone d'1ichmann, Ialil$e, 2/"
Le Chi99re de la peinture, L'>u+re de Valerio Adami, Ialil$e, 2/"
Le Souci des plaisirs, Construction d'une érotique solaire, Flammarion, 2/ J <'ai lu,
2!"
Les )!chers de )énar3s? Cosmos, .ros et %hanatos, Ialil$e, 2/"
La Vitesse des simulacres? Les sculptures de Poll3s, Ialil$e, 2/"
La Reliion du poinard, .loe de Charlotte Corday, Ialil$e, 2-"
L'Apiculteur et les 6ndiens, La peinture de 4érard 4arouste, Ialil$e, 2-"
Le Corps de mon p3re, Latier, 2-"
Le Recours au* 9or/ts? La tentation de #émocrite, Ialil$e, 2-"
Philosopher comme un chien? La philosophie 9éroce 666, Ialil$e, 2!"
2iet5sche, se créer li&erté, dessins de M" Leroy, Le Lombard, 2!"
"ani9este hédoniste, Autrement, 2!!"
Le Crépuscule d'une idole, Irasset, 2! J LIF, 2!!"
La Construction du surhomme, Irasset, 2!!"
Journal hédoniste &
(" Le #ésir d'/tre un +olcan, Irasset, !--0 J LIF, 2/"
((" Les Vertus de la 9oudre, Irasset, !--/ J LIF, 2"
(((" L'Archipel des com3tes, Irasset, 2! J LIF, 22"
(E" La Lueur des oraes désirés, Irasset, 2."
Contre8histoire de la philosophie &
( Les Saesses antiques, Irasset, 20 J LIF, 2."
((" Le Christianisme hédoniste, Irasset, 20 J LIF, 2/"
(((" Les Li&ertins &aroques, Irasset, 2. J LIF, 2-"
(E" Les ;ltras des Lumi3res, Irasset, 2. J LIF, 2-"
E" L'1udémonisme social, Irasset, 2/ J LIF, 2!"
E(" Les Radicalités e*istentielles, Irasset, 2- J LIF, 2!"
E((" La Construction du surhomme, Irasset, 2!!"
Contre8histoire de la philosophie en C#, Fr$meau8 et associ$s &
(" L'Archipel pré8chrétien @AB, #e Leucippe ( .picure, 24"
((" L'Archipel pré8chrétien @CB, #'.picure ( #io3ne d'Œnanda, 23"
(((" La Résistance au christianisme @AB, #e l'in+ention de Jésus au christianisme
épicurien, 23"
(E" La Résistance au christianisme @CB, #'.rasme ( "ontaine, 23"
E" Les Li&ertins &aroques @AB, #e Pierre Charron ( Cyrano de )ererac, 20"
E(" Les Li&ertins &aroques @CB, #e 4assendi ( Spino5a, 20"
E((" Les ;ltras des Lumi3res @AB, #e "eslier ( "aupertuis, 2."
E(((" Les ;ltras des Lumi3res @CB, #e 'el+étius ( Sade, 2."
(M" L'1udémonisme social @AB, #e 4odDin ( Start "ill, 2/"
M" L'1udémonisme social @CB, #e Stuart "ill ( )a<ounine, 2/"
M(" Le Si3cle du "oi @AB, #e $euer&ach ( Schopenhauer J 2-"
M((" Le Si3cle du "oi @CB, #e Schopenhauer ( Stirner, 2-"
M(((" La Construction du Surhomme, #'1merson ( 4uyau, 2!"

L'Ordre libertaire
La vie philosophique d'Albert Camus

; <'estime un philosophe dans la mesure oN il peut donner un e8emple" ?
+ietOsche, Considérations intempesti+es, (((" :"


6ntroduction
Gne bio%raphie des id$es
Pu'est5ce qu'une vie philosophique Q
; RierKe%aard brandissait devant Le%el une terrible menace & lui envoyer un 'eune homme
qui lui demanderait des conseils" ?
6Camus, Carnets (E" !20/9"


Le #anemarK et la 1russe
<adis, la preuve du philosophe $tait donn$e par la vie philosophique qu'il menait" Ce 'adis
a dur$ lon%temps" Le lon% temps b$ni de la philosophie antique, soit une diOaine de si@cles avant
que le Christianisme et l'Gniversit$ ne transforment les philosophes en th$olo%iens, puis en
professeurs, autrement dit l'illumination et la p$danterie" On s'en doute, plus d'un mill$naire de ce
r$%ime laisse des traces dans le monde de la philosophie oN le %oSt pour l'illumination et la
p$danterie, l'un n'e8cluant pas l'autre, a produit d'infTmes brouets ayant d$tourn$ nombre de %ens
sens$s de cette sublime discipline" On les comprend" Gn li%na%e de philosophes r$siste A cette
contamination de la pens$e par le Ciel et la Chaire" Camus en fait partie U il aimait la Cerre et la
Eie"
Pue veut5il dire quand il $crit dans ses Carnets, %o%uenard & ; RierKe%aard brandissait
devant Le%el une terrible menace & lui envoyer un 'eune homme qui lui demanderait des
conseils ? 6(E" !20/
!
9 Q Pu'il e8iste deu8 faVons d'>tre philosophe" La premi@re, celle du penseur
danois, qui permet la construction d'une identit$, la fabrication d'une e8istence, la sculpture de soi
pour quiconque souhaite donner un sens A sa vie" La philosophie est alors e8istentielle, autrement
dit, elle concerne les techniques de production d'une e8istence di%ne de ce nom" Coute la
philosophie antique fonctionne ainsi & apr@s avoir d$couvert une pens$e, on en fait la boussole de
sa vie, elle donne une colonne vert$brale au chaos que l'imp$trant ressentait de faVon intime avant
cette rencontre" #@s lors, le philosophe peut conseiller A un 'eune homme ce qui lui permet
d'$chafauder sa sub'ectivit$" La vie devient une Buvre, rien n'interdit qu'elle constitue une Buvre
d'art, autrement dit, une production sans duplication possible"
La seconde faVon de pratiquer la philosophie, celle du penseur prussien, envisa%e les
conditions de possibilit$ de la pens$e, elle se soucie des modalit$s de la connaissance, elle veut
r$duire la diversit$ et la multiplicit$ du monde, sa vitalit$ et ses efflorescences aussi, A une
poi%n$e de concepts a%enc$s dans des architectures syst$matiques" Le d$sordre du r$el doit ob$ir
A la cravache du concept" Cout ce qui fuit, vit, bou%e, se trouve fi8$, comme un papillon sur le
li@%e, par des n$olo%ismes piqu$s sur une surface th$orique" Gne fois cette pure op$ration de
l'esprit effectu$e, le philosophe recule d'un pas, contemple son $difice & certes, il a construit un
immense chTteau U mais il s'av@re inhabitable" Gn 'eune homme n'a rien A faire de cette passion
pour le verbe qui l'$loi%ne des choses"
Pue Camus ait, comme RierKe%aard, ou le 7ilKe des Lettres ( un jeune po3te, le souci des
lecteurs ayant l'T%e de 7imbaud en route vers le Larar, l'installe au8 antipodes des illumin$s et
des p$dants" Cette passion pour transmettre la philosophie, la parta%er, y compris et surtout avec
les >tres en qu>te d'eu85m>mes, des %arVons et des filles dont l'Tme se perd dans la 'un%le d'une
vie menaVante, ou bien encore pour l'offrir au8 non5professionnels de la philosophie, vaut
d$claration de %uerre au8 suffisants et au8 professeurs, ce qui, dans le monde de la philosophie
d'hier et d'au'ourd'hui, $puise presque toute la corporation"
Camus $crivait pour >tre lu et compris afin d'aider A e8ister, p$ch$ mortel dans ce petit
monde philosophique oN, bien souvent, on $crit pour >tre %los$ et obscurci par les membres de sa
tribu" Cou'ours dans les Carnets, on peut lire ceci & ; Ceu8 qui $crivent obscur$ment ont bien de
la chance & ils auront des commentateurs" Les autres n'auront que des lecteurs, ce qui, paraWt5il, est
m$prisable ? 6E(" !/.9" #ans les ann$es oN il consi%ne cette r$fle8ion, il pense A )artre, bien
sSr, qui, on l'aura compris, son%eons A L'Etre et le 2éant, est plutXt prussien que danois D
Y l'$vidence, $crire pour >tre lu et compris inscrit dans un li%na%e ayant mauvaise presse
en philosophie depuis sept ou huit d$cennies & la tradition franVaise" Montai%ne, #escartes,
#iderot et tous les philosophes du si@cle des Lumi@res, mais aussi ceu8 du M(M
e
si@cle, Maine de
*iran et Comte par e8emple, ou, plus tard, *er%son et *achelard, $crivent une lan%ue claire, une
prose simple et se font comprendre sans difficult$" L'id$alisme allemand et l'Gniversit$
prussienne, A partir de Rant, inau%urent un tout autre monde oN, de par sa sp$cificit$, la lan%ue
cr$e des emboWta%es %$n$rant des n$olo%ismes une fois traduits en franVais" La li%ne claire, a ses
adeptes, RierKe%aard J le trait obscur, ses thurif$raires, Le%el en fi%ure embl$matique" Ou bien
encore & Camus, la li%ne claire, contre )artre, le trait obscur"
,n vertu de cette domination de l'Allema%ne sur le terrain de la philosophie europ$enne
depuis les ann$es !/:, quiconque r$di%e son propos dans une lan%ue facile d'acc@s passe pour
superficiel" L'obscurit$ semble si%ne et %a%e de profondeur J la clart$, preuve de l$%@ret$ et
d'incons$quence th$orique" EoilA pourquoi, A plusieurs reprises dans son Buvre, Camus affirme
n'>tre pas philosophe & selon les crit@res prussiens, en effet J mais en vertu des crit@res que nous
dirons danois, il illustre A merveille la tradition de la philosophie franVaise" <u%$ par un tenant de
la secte prussienne, Camus ne pouvait >tre philosophe U ou bien alors, insulte 6sartrienne9
supr>me, ; philosophe pour classes terminales ?" Ce m$pris tombe de lui5m>me quand on
constate qu'au'ourd'hui )artre a deu8 ou trois commentateurs, mais Camus quantit$ de lecteurs
bien au5delA de la classe de philosophie"
Gn philosophe e8istentiel
Camus s'inscrit donc dans le li%na%e franVais des philosophes e8istentiels, mais surtout
pas e8istentialistes" On ima%ine mal ce que fut cette mode A pr$te8te philosophique dans le petit
monde de )aint5Iermain5des51r$s" L'Etre et le 2éant devient un best5seller, mais qui peut croire
que les si8 cents pa%es de cet ; ,ssai d'ontolo%ie ph$nom$nolo%ique ?, c'est le sous5titre, aient $t$
lues avec patience, assimil$es, comprises par la faune qui faisait les riches heures des caves avec
l'alcool, le 'aOO, le rocK acrobatique, le tabac, la dra%ue Q
Comme tou'ours quand elle atteint le %rand public, la philosophie s'accompa%ne de
malentendus & loin des r$fle8ions sur le nihilisme, l'absurdit$, le sens, la libert$, le choi8,
l'en%a%ement, la facticit$, la contin%ence, l'authenticit$, l'e8istentialisme devient une mode
associ$e au couple )artre et *eauvoir, au8 chansons de <uliette Ir$co, A la trompinette de *oris
Eian, au8 tenues des OaOous, au8 overdoses de ZhisKy" Camus ne fut pas le dernier A boire,
danser, s'amuser, fumer, s$duire, parler dans ces sous5sols %ermanopratins, mais, ses carnets en
t$moi%nent, cette vie absurde a'outait du non5sens A une e8istence qu'il ima%inait br@ve pour
cause de tuberculose"
Camus fut tr@s tXt associ$ A l'e8istentialisme J aussi vite, il protesta de cette assimilation"
Mauriac parlait d'; e8cr$mentialisme ?, on faisait de )artre un s$ducteur d$traqu$ qui forVait ses
conqu>tes A renifler des camemberts pourris" Mais Camus souhaite moins se d$marquer de cette
lecture fautive de l'e8istentialisme que de cette philosophie qui, quand elle est chr$tienne,
suppose la critique de la raison en faveur de la divinit$, et, quand elle est ath$e, divinise
l'Listoire" Camus ne veut pas choisir entre #ieu comme histoire et l'Listoire comme dieu, il
pense un art de vivre en temps nihiliste"
Y un 'ournaliste de Ser+ir qui lui demande en !-43 ce qu'il pense d'une permanente
association de son nom A l'e8istentialisme, voire d'>tre pr$sent$ comme un disciple de )artre, il
r$pond & ; <e ne suis pas un philosophe" <e ne crois pas asseO A la raison pour croire A un syst@me"
Ce qui m'int$resse, c'est de savoir comment il faut se conduire" ,t plus pr$cis$ment comment on
peut se conduire quand on ne croit ni en #ieu ni en la raison ? 6((" 03-9" ON l'on retrouve
l'opposition entre Le%el, le d$vot de la raison, le faiseur de syst@me, et RierKe%aard, le penseur de
la possibilit$ de l'action, le philosophe de l'art de vivre"
La paresse des 'ournalistes, la fain$antise de ces %ens qui cr$ent l'opinion, leur
incomp$tence intellectuelle aussi, contribuent A la fabrication des malentendus" 1lutXt que de lire,
plume A la main, de tTcher de comprendre ce qui se trouve $crit, d'analyser les th@ses d'un livre,
les chroniqueurs d$versent dans la presse une contre5information qui nourrit la r$putation" Or la
r$putation, c'est la somme des malentendus accumul$s sur un nom" On ne lit pas l'Buvre, on lit
les commentaires de l'Buvre livr$s dans la presse, puis on 'u%e A partir de ce travail de
d$sinformation"
#ans une nouvelle de L'.té intitul$e ; L'$ni%me ?, Camus analyse le m$canisme de
construction des l$%endes par la presse dont le pouvoir s'av@re consid$rable puisqu'il n'est r$fut$
par aucun contre5pouvoir di%ne de ce nom" <adis, l'$crivain $crivait pour >tre lu J au'ourd'hui,
pour n'>tre pas lu & ; Y partir du moment, en effet, oN il peut fournir la mati@re d'un article
pittoresque dans notre presse A %rand tira%e, il a toutes les chances d'>tre connu par un asseO
%rand nombre de personnes qui ne le liront 'amais parce qu'elles se suffiront de connaWtre son
nom et de lire ce qu'on $crira sur lui" (l sera d$sormais connu 6et oubli$9 non pour ce qu'il est,
mais selon l'ima%e qu'un 'ournaliste press$ aura donn$e de lui" 1our se faire un nom dans les
lettres, il n'est donc plus indispensable d'$crire des livres" (l suffit de passer pour en avoir fait un
dont la presse du soir aura parl$ et sur lequel on dormira d$sormais ? 6(((" 0:9" Gne ima%e de soi
traWne donc dans les revues crasseuses accumul$es sur les tables des dentistes ou des coiffeurs"
On y lit parfois le portrait d'un philosophe se roulant dans une vie de d$bauche et qui, dans la
r$alit$, m@ne une e8istence d'asc@se et de travail, ce dont t$moi%ne l'Buvre ali%n$e sur plusieurs
rayonna%es d'une biblioth@que"
Gn [arathoustra venu d'Al%$rie
La v$rit$ d'un philosophe ne se trouve donc pas dans ce qu'on $crit ou dit de lui" ON,
alors Q Cout simplement dans son Buvre" #ans cette nouvelle, Camus s'insur%e aussi contre l'id$e
que l'on puisse faire de l'Buvre un produit de la vie" (mpossible d'en appeler au8 lois du %enre
fictif de la nouvelle, et d'affirmer qu'il pense ce qu'il $crit sur la fabrication des l$%endes par les
'ournalistes puis, quelques li%nes plus loin, de supposer qu'il ne croit pas A l'absence de liaison
entre les id$es et la bio%raphie de l'auteur D )oit il a raison partout, soit il a tort deu8 fois"
L$rita%e romantique, $crit5il, la preuve & on peut $crire sur l'inceste sans avoir viol$ sa
sBur, ou sur \dipe sans avoir couch$ avec sa m@re U en effet" Mais pourquoi s'int$resser plus
particuli@rement A ces su'ets Q Camus donne la r$ponse lui5m>me dans une d$monstration qui
fra%ilise sa pr$c$dente affirmation & ; Les Buvres d'un homme retracent souvent l'histoire de ses
nostal%ies ou de ses tentations, presque 'amais sa propre histoire, surtout lorsqu'elles pr$tendent A
>tre autobio%raphiques ? 6(((" 039" Or, comment pourrait5on dissocier la bio%raphie d'un >tre et
ses nostal%ies ou ses tentations qui, justement, constituent sa bio%raphie Q
#ans cette analyse de la production 'ournalistique des l$%endes domma%eables pour le
philosophe, chacun voit bien qu'il parle d'e8p$rience" )'il confesse la possibilit$ d'$crire sur
l'absurde sans connaWtre soi5m>me les affres de l'absurde, qui le croit Q )'il $carte d'un revers de la
main, comme une pu$rilit$ romantique, l'id$e d'une Buvre comme confession autobio%raphique,
ne peut5on y d$celer un m$canisme de d$fense cheO un >tre pudique qui voit sa vie intime et
priv$e menac$e par la presse, 'amais avare des A5peu5pr@s dont on ne se remet 'amais Q
#ans ce m>me bref te8te de !-3, Camus pr$cise que l'absurde n'est pas une fin
d$sesp$rante, mais un d$but pour une vie positive" 1asser pour le philosophe de l'absurde qui
m@ne une vie absurde, emp>tr$ dans l'absurdit$ de son monde, %$n@re une premi@re l$%ende U il y
en aura d'autres D (l n'est pas le philosophe e8istentialiste accabl$ par le non5sens du monde, mais
le penseur d'un r$el d$sert$ par les dieu8 qui offre des raisons d'esp$rer, notamment dans, par et
pour la r$volte" Finalement, cet homme habit$ par un envers sombre et un endroit lumineu8
avoue des racines autobio%raphiques A sa pens$e"
Camus $crit en effet & ; Au plus noir de notre nihilisme, ''ai cherch$ seulement des raisons
de d$passer ce nihilisme" ,t non point d'ailleurs par vertu, ni par une rare $l$vation de l'Tme, mais
par fid$lit$ instinctive A une lumi@re oN 'e suis n$ et oN, depuis des mill$naires, les hommes ont
appris A saluer la vie 'usque dans la souffrance ? 6(((" 009" La philosophie camusienne se trouve
ramass$e dans cette phrase & le dia%nostic du nihilisme europ$en, la volont$ de le d$passer par
une philosophie affirmative, la r$fle8ion par5delA bien et mal, le sens de la terre, la m$moire
visc$rale d'une lumi@re d'enfance, l'inscription dans un li%na%e ancestral, l'acquiescement A la vie
'usque dans sa n$%ativit$" Pui n'entend ici le chant d'un [arathoustra venu d'Al%$rie Q
Comment on philosophe A 1aris
Camus n'aime pas 1aris qu'il compare A la caverne de 1laton & les hommes y prennent
l'ombre pour la r$alit$" Le philosophe qui connut des e8tases mystiques pa]ennes A Cipasa a vu la
lumi@re, lui" 1our filer la m$taphore platonicienne, apr@s avoir contempl$ cette source de toutes
les clart$s, il est redescendu parmi les hommes, bien d$cid$ A leur e8pliquer oN se trouve la
lumi@re et oN se profilent les ombres fallacieuses" L'homme refusant que l'on sollicite la
bio%raphie pour comprendre l'Buvre $crit ensuite & ; +ous avons appris, loin de 1aris, qu'une
lumi@re est dans notre dos, qu'il nous faut nous retourner en re'etant nos liens pour la re%arder en
face, et que notre tTche avant de mourir est de chercher, A travers tous les mots, A la nommer ?
6(((" 0.9" Y nouveau, te8te pro%rammatique"
Gne petite pi@ce de th$Ttre m$connue, c'est fort domma%e, permet au philosophe de
brosser le portrait de ces abus$s qui prennent l'ombre pour la r$alit$" Cette Buvre intitul$e
L'6mpromptu des philosophes prend place dans la %alerie de la commedia dell'arte ou du Moli@re
des $our&eries de Scapin U ici, les fourberies e8istentialistes mettent sur les planches un )capin
nomm$ ; Monsieur +$ant ? D La pi@ce de !-4. montre comment on philosophe A 1aris" Cette
petite satire voltairienne est une machine de %uerre bien efficace contre les %ros trait$s
d'ontolo%ie ph$nom$nolo%ique D Le rire nietOsch$en en acte"
Monsieur +$ant demande audience A Monsieur Ei%ne, maire de sa commune et
pharmacien stupide" Monsieur +$ant arrive avec un tr@s %ros livre sous le bras, se pr$sente,
s'assied lourdement, pr$cise que son nom est connu A 1aris, qu'il n'a pas de m$tier et ne sait rien
faire de ses di8 doi%ts" (l dit & ; <e me suis fait placier en doctrine nouvelle ? 6((" ..29"
Fla%orneur, il avoue que Monsieur Ei%ne est connu A la capitale %rTce A ses travau8" (ls ne sont
pas encore publi$s Q 1eu importe, sa r$putation l'a d$'A pr$c$d$, la preuve & Monsieur +$ant
l'honore de sa pr$sence D 1reuve irr$futable de l'>tre apport$e par le +$ant" Eenu de 1aris, le
placier ath$e cherche A convertir le pharmacien catholique arm$ de son $pais trait$ & la reli%ion ne
se porte plus A 1aris, elle n'est plus A la mode, le pape des $l$%ances l'a d$cr$t$" )i le pape a dit, le
pharmacien croit" 1remi@re conversion"
)uit un cours sur l'absence de cause dans le r$el, le hasard de toute chose, l'absurdit$ du
monde et l'h$ro]sme conquis par le seul fait de consentir A cette leVon" 1as besoin d'avoir commis
des actes de bravoure, il suffit de croire au nouveau cat$chisme" L'apothicaire triomphe en h$ros
du simple fait d'avoir fait siennes les ma8imes du +$ant D Le voilA 'oyeu8 et %uilleret de se
trouver penseur A si peu de frais" #eu8i@me conversion" Le 1hilosophe de 1aris continue sa
leVon & il veut bien ensei%ner combien l'homme est libre, puisqu'il n'est rien, mais souhaite >tre
pay$ d'un bon pri8 pour cette sa%esse concentr$e dans son in5folio"
Arrive Monsieur M$lusin" (l souhaite parler A Monsieur Ei%ne dont il veut $pouser la fille
)ophie" FraWchement converti A l'e8istentialisme, le futur beau5p@re r$pond A sa pro%$niture que
l'amour n'e8iste pas, qu'il n'y a que des caresses U di*it le livre D )eules les actions comptent, les
intentions ne sont rien & la preuve de l'amour, c'est la coucherie, si M$lusin n'a pas couch$, il
n'aime pas" Form$ A ce lan%a%e ad$quat, le p@re parle de situation, de choi8, d'en%a%ement, de
responsabilit$ et, apr@s un roul$5boul$ philosophique, aboutit A la n$cessit$ de l'enfantement" La
fille trouve que cette conception de l'amour venue tout droit de 1aris lui a%r$e pleinement D ,lle
s'en va vers les travau8 pratiques"
Le 'ambon de Monsieur +$ant
Madame Ei%ne entre sur sc@ne avec un 'ambonneau" ,lle d$couvre un nouveau mari sous
le charme des d$lices e8istentialistes & la v$rit$ est que la v$rit$ n'e8iste pas, que tout est hasard,
qu'il y a parfois de la fum$e sans feu et que rien ne sert A rien" #iscours d'archev>que selon
l'$pouse qui tourne le dos A son philosophe de mari pour man%er seule son %ros 'ambon bien %ras,
cadeau de #ieu D Monsieur a beau >tre fraWchement converti au sartrisme, il ne crache tout de
m>me pas sur la pi@ce de charcuterie & certes, il veut bien que rien n'ait de sens, mais il voit bien
tout de m>me celui de la cuisse du cochon D )uit l'ar%umentation philosophante pour se mettre A
table & ; <e ne suis rien sans vous et 'e me dois d'accomplir ce que 'e suis, en vous aidant A >tre ce
que vous >tes, d'oN il ressort qu'$tant ce que 'e suis, 'e dois faire ce que vous faites et qu'$tant ce
que vous >tes, vous deveO me laisser faire ce qu'il faut bien faire pour que vous et moi soyons ce
que nous sommes" C'est la raison pour quoi 'e dois souper ? 6((" ..-9"
#evant son $pouse qui crie au fou, le mari plon%e dans le %ros livre de Monsieur +$ant et
tTche de prouver ce qu'il dit par quelques e8traits qui semblent sortis tout droit de L'Etre et
le 2éant D Mais, prof$r$s dans le d$sordre, rien ne fait sens" (l sollicite le 1hilosophe de 1aris qui
donne la bonne formule & ; Htre en se faisant et faire que cela soit, c'est >tre A tout venant sans
>tre quoi que ce soit ? 6((" ./9" )tup$faction de Madame, satisfaction de Monsieur & il demande
un suppl$ment d'Tme au philosophe qui veut bien poursuivre ses leVons, mais, un re%ard vers le
'ambon, avoue que, l'estomac plein, il pense mieu8"
(n%ur%itant le %i%ot, le 1hilosophe de 1aris continue sa p$roraison" La bouche pleine, il
fait de l'an%oisse la meilleure chose du monde, elle est une vertu, un d$lice, une consolation, elle
nous fait vivre, la preuve & les morts ne l'$prouvent pas D 1as dupe, Madame Ei%ne r$crimine J
Monsieur +$ant invite le mari A r$pudier sa femme" Le mari ar%ue d'un en%a%ement Q Le %ros
livre lui apprend que chan%er d'en%a%ement c'est encore s'en%a%er" La lecture de cet opus moins
di%este que le 'ambon permet ensuite au8 habiles d'$crire eu8 aussi des livres nimb$s d'un pareil
fumet"
Arrivent les tourtereau8" Monsieur M$lusin a bien retenu la leVon & il a beaucoup caress$
)ophie, 'usqu'A pr$parer l'enfantement, donc il l'aime" Monsieur Ei%ne poursuit l'e8amen pour
savoir s'il va donner son consentement au maria%e & l'ardeur au lit ne suffit pas, il faut aussi que le
pr$tendant soit un peu criminel, un peu voleur si possible, un peu incestueu8 aussi, ou bien
p$d$raste" +on Q ; Puelle confiance puis5'e avoir dans un homme qui n'a pas eu A choisir d'>tre
ce qu'il est Q ? 6((" ./09 poursuit le pharmacien U on son%e ici au tropisme qui conduit )artre A
c$l$brer la vie et l'Buvre de <ean Ienet dans un te8te qui accompa%ne la parution de "iracle de
la rose le : mars !-40 avant le d$veloppement de ces th@ses dans Saint84enet comédien et
martyr?
Monsieur Ei%ne attend l'enfant qui ne saurait tarder, vu l'abondance des caresses
prodi%u$es & car s'il n'y a pas de naissance, il n'y a pas eu de responsabilit$, pas de responsabilit$
veut dire pas d'en%a%ement, pas d'en%a%ement si%nifie pas d'amour D La p$d$rastie serait une
bonne preuve aussi & elle dirait que M$lusin aime les hommes sans limites et qu'il s'y en%a%erait
tout entier" ,t Monsieur Ei%ne d'e8primer au %endre putatif & ; +'oublieO pas l'amour de l'homme
et appreneO A l'e8ercer A huis clos" C'est ainsi que vous deviendreO libre et c'est ainsi par
cons$quent que vous sereO mari$ ? 6((" ./.9" 1r$cisons que 'uis clos a $t$ mont$ au Eieu85
Colombier le 2. mai !-44"
Monsieur +$ant aborde la politique" Le pharmacien se dit r$publicain et attach$ au8
libert$s traditionnelles" Le 1hilosophe de 1aris l'entreprend sur ce su'et & son $l@ve parle des
libert$s comme si elles e8istaient en soi, or la libert$ n'e8iste pas tant qu'elle n'est pas conquise
par l'action" #@s lors, nous ne sommes 'amais libres, mais ; tou'ours sur le chemin d'>tre libres ?
6((" ./.9" 7appelons lA pour ceu8 qui douteraient encore de l'identit$ cach$e de Monsieur +$ant
que Les Chemins de la li&erté paraissent en !-43" La libert$ n'est acquise qu'une fois mort,
ensei%ne +$ant U saillie philosophante qui rassure le pharmacien"
#@s lors, A quoi bon >tre r$publicain Q (l n'y aura vraiment de r$publique qu'une fois le
pharmacien sous terre D ,t avec lui, la totalit$ des FranVais" Pue faire au8 prochaines $lections Q
demande l'$l@ve A son maWtre" 7$ponse du Irand 1hilosophe & ; 1uisque vous ne saurieO >tre libre
sans avoir lutt$ votre vie durant pour la libert$, puisque vous ne pouveO lutter que si vous >tes
opprim$s, vous proclamereO votre amour de la libert$ et vous votereO en m>me temps pour ceu8
qui veulent la supprimer ? 6((" .//9 U chacun aura reconnu l'homme du compa%nonna%e avec les
communistes"
)ur ces entrefaites, entre le directeur d'un asile de fous flanqu$ de deu8 infirmiers tout en
muscles" Monsieur +$ant s'est $vad$ de sa clinique, il est connu pour s$duire les %ens avec son
discours habile" ,t le livre Q r$torque Ei%ne" 1ersonne ne l'a lu, r$pond le #irecteur, pas m>me le
fou qui s'est content$ des propos tenus par les critiques dans les 'ournau8" Or chacun sait que les
critiques ne lisent 'amais les livres dont ils parlent U ; coutumes parisiennes ? 6((" ./-9,
surench$rit le pharmacien" Le #irecteur acquiesce et a'oute, A propos de 1aris & ; C'est une ville
sin%uli@re" On y aime tant les belles pens$es qu'on ne peut se retenir d'en parler tout le 'our, ce
qui ne laisse point le temps d'en lire" ? 1uis & ; On s'y d$chire au nom de la pai8 et on s'y promet
le ba%ne au nom de la libert$ ? 6((" .-9" Le #irecteur conclut que les philosophes doivent se tenir
A l'$cart des %ens, comme les l$preu8, pour ne pas les contaminer avec leur maladie" LeVon
apprise dans l'asile oN il travaille depuis si lon%temps D
La vie philosophique
La pi@ce ne fut pas mont$e, ni publi$e" #omma%e" +ul doute qu'elle aurait acc$l$r$ le
processus de d$composition qui d$bouche sur la pol$mique de L''omme ré+olté cinq ans plus
tard" )artre n'aurait pas manqu$ de fourbir ses armes J Camus aurait ainsi brSl$ ses vaisseau8"
Mais l'Buvre tonique, dynamique, nietOsch$enne avec sa l$%@ret$ par profondeur, rensei%ne sur
l'$tat d'esprit d'Albert Camus A 1aris oN il se sent et se sait e8il$" 1endant l'Occupation, puis au
sortir de la %uerre, il a trop vu les roua%es de ce petit monde lors de ces ; fiestas ? oN les corps
chan%ent de lit tous les soirs, oN l'alcool fait tomber l'un dans l'escalier, s'effondrer l'autre dans la
rue, initier une ba%arre A un troisi@me" Camus se prend un 'our un coup de poin% d'Arthur
Roestler et porte quelque temps une paire de lunettes de soleil pour cacher le coquard"
Mais il y a pire que ces faits divers de beuveries & dans ce petit monde libertin et
puissamment alcoolis$, les id$es fonctionnent pour elles5m>mes, d$tach$es du monde" Comme il
se trouve une tribu d'esth@tes qui pratique l'art pour l'art, il e8iste une peuplade d'intellectuels qui
pratique la philosophie pour la philosophie, comme un 'eu d'enfants n'en%a%eant A rien U sauf qu'A
terme, ce 'eu 'ustifie les camps de concentration sovi$tiques r$cemment d$couverts et que,
dialectique obli%e, )artre d$fend, avec Merleau51onty, )imone de *eauvoir et Les %emps
modernes" Ce m>me 'eu 'ustifie aussi l'assimilation de la philosophie A un pur e8ercice de
rh$torique dans lequel les sophisteries s'enchaWnent pour prouver n'importe quoi" Gne id$e chasse
l'autre, peu importe pour cette $lite immature que telle ou telle fasse des morts" Cent millions, par
e8emple, pour l'(d$e communiste au MM
e
si@cle
La technique apprise A l'Fcole normale sup$rieure pour disserter brillamment sur tout, rien
et n'importe quoi, en $blouissant l'auditeur tou'ours assimil$ A un e8aminateur du 'ury
d'a%r$%ation, a fourvoy$ la philosophie que Camus aborde dans une autre confi%uration & celle du
salut individuel et personnel +ia <ean Irenier, son professeur au lyc$e" Le fils de pauvre ne la
d$couvre pas en pr$parant l'a%r$%ation U mais en vivant la vie mutil$e d'un monde auquel il
restera fid@le toute sa vie & celui des pauvres, des petits, des sans5%rades, des humili$s, des
victimes" Le monde de son p@re, ouvrier a%ricole mort A la %uerre J celui de sa m@re, femme de
m$na%e morte au8 mots, mutique, silencieuse, mais mod@le de vertu m$diterran$enne U droiture,
loyaut$, coura%e, sens de l'honneur, di%nit$, fiert$, modestie" La vie philosophique d'Albert
Camus fut $thique et pratique de cette morale solaire"
Le professeur et le philosophe
#ans un essai des Parera et Paralipomena, )chopenhauer e8pose ce qui oppose les
professeurs de philosophie et les philosophes" +ietOsche s'en souvient en $crivant sa
consid$ration inactuelle sur ce philosophe n$obouddhiste souffrant de voir A ses cours
d'universit$ trois ou quatre fi%urants, une femme du monde, un sans5abri attir$ par la chaleur du
po>le et un curieu8, alors qu'A cXt$ Le%el faisait salle comble avec un sabir qui lui ali$nait un
auditoire captif comme l'oiseau sur la branche en dessous duquel siffle le serpent"
Le professeur vit de la philosophie J le philosophe la vit" On peut >tre l'un et l'autre, bien
sSr, )chopenhauer t$moi%ne" Mais ce sont deu8 activit$s radicalement s$par$es" ,n quoi consiste
celle du pro9esseur de philosophie Q #$pecer la pens$e d'autrui, la d$couper en tranches, la
confi%urer dans un plat de sa facture, la pr$senter et la resservir A un auditoire qui la r$%ur%ite A
sa faVon, le tout permettant de noter l'apprenti, puis de lui d$cerner un certificat lui permettant de
travailler A son compte, voilA qui fait de la philosophie un pr$te8te, l'occasion d'un m$tier, sinon
d'une sin$cure"
Le philosophe quant A lui pense pour vivre et mieu8 vivre, il r$fl$chit pour conduire son
action, il m$dite dans le but de tracer une route e8istentielle, il lit, $crit, afin de mettre en forme
un chaos carto%raphi$ par le verbe" La biblioth@que n'est pas cheO lui une fin en soi, ni l'$criture
une activit$ pour elle5m>me, pas plus que les livres ne sont des formes pures destin$es A
au%menter le patrimoine litt$raire de l'humanit$" 1our lui, le verbe se fait chair, acte, action, sinon
il ne sert A rien"
La vie du professeur est celle d'un fonctionnaire assu'etti au8 horaires de son m$tier"
1ersonne ne lui demande, s'il a ensei%n$ )pinoOa dans la 'ourn$e, de mener une vie spinoOiste le
soir" )i d'aventure il s'en%a%e sur cette voie, il passe de l'autre cXt$ du miroir et se pr$pare A une
vie philosophique" Celle5ci d$finit toute e8istence dans laquelle est visible la sa%esse de l'individu
qui la professe" ,lle nomme un quotidien dans lequel un >tre vit selon sa pens$e et pense selon sa
vie" La lecture, la pens$e, la r$fle8ion, la m$ditation, l'$criture, la parole, la publication travaillent
A l'ad$quation de la th$orie et de la pratique"
Camus a d$couvert la philosophie avec <ean Irenier qui fut incontestablement un
professeur" (l disposait en effet de tous les titres universitaires lui permettant de se r$clamer de
l'institution" Ce fut aussi un philosophe $crivant sur la sa%esse orientale" Mais la 'onction entre
l'id$al et la vie quotidienne se fit mal cheO Irenier" Camus eut cent fois l'occasion de mesurer le
hiatus rep$rable entre l'homme qui professe une doctrine, en l'occurrence celle du non5a%ir
tao]ste, et l'>tre qui ferait mieu8 de se dispenser d'a%ir tant l'action creuse cheO lui le foss$ entre
ses dires et ses actes, sa th$orie et sa pratique, sa pens$e et ses %estes" Irenier n'a pas su qu'A son
corps d$fendant il a donn$ A Camus une leVon pr$cieuse"
L'auteur de 2oces fut un homme rassembl$ & la vie philosophique e8iste avec la totale
ad$quation entre l'Buvre et l'e8istence" La lecture crois$e de tous les livres d'Albert Camus, le
d$chiffra%e de ses correspondances publi$es ou in$dites, la connaissance du travail effectu$ par
les bio%raphes de r$f$rence U Lerbert Lottman et Olivier Codd U, A l'e8clusion de toute la
litt$rature de %lose qui enfume plus qu'elle n'$claire, permettent de remplacer la l$%ende par
l'histoire" La l$%ende de Camus est n$%ative & elle parle mal d'un homme &ien U comme celle de
Freud, positive, parle bien d'un mauvais homme"
L'histoire contre la l$%ende
Puelle est cette l$%ende Q Camus serait romancier dans ses livres de philosophie et
philosophe dans ses ouvra%es de fiction, autrement dit ni philosophe ni romancier J Camus serait
un autodidacte en philosophie, il effectuerait des lectures de seconde main et n'irait pas
directement au8 te8tes, quand il y va on prend soin d'a'outer qu'il ne les comprend pas J Camus
serait un social5d$mocrate, un socialiste tr@s rose, un mend$siste J Camus aurait $t$ le penseur des
petits *lancs, des colons et des FranVais d'Al%$rie J Camus aurait $t$ 'ournaliste cheO les
philosophes, philosophe cheO les 'ournalistes U une l$%ende fabriqu$e de toutes pi@ces par )artre
et les siens d@s L''omme ré+olté" ,lle fut savamment entretenue apr@s la mort du philosophe"
Le propre de la l$%ende c'est d'>tre propa%$e sans >tre interro%$e" M>me cheO certains
camusiens, une partie de cette fiction sartrienne se trouve parfois r$pandue" La lecture int$%rale
de l'Buvre met A mal cette d$plorable fiction & Camus fut un philosophe di%ne de ce nom, et ce
dans la plus %rande tradition de la pens$e franVaise J Camus fut un romancier qui parvint A
l'$quilibre entre la fiction et les id$es J Camus fut un maWtre en style et sut inventer une $criture
ad$quate pour chacun de ses propos J Camus fut un lecteur avis$, libre, indemne des formata%es
universitaires J Camus ne lisait pas pour %loser mais pour illustrer son propos J Camus fut un
nietOsch$en de %auche, en critique de +ietOsche, comme le philosophe allemand souhaitait qu'on
le fSt avec lui J Camus $tait un anarchiste positif, nullement disciple de tel ou tel, m>me si
1roudhon semble le plus proche de sa sensibilit$ J Camus fit penser ses lecteurs quand il $crivait
dans les 'ournau8 J Camus $crivit dans la presse des pa%es intempestives plus durables que
certains trait$s philosophiques publi$s par des diplXm$s J Camus fut un penseur anticolonialiste
d@s ses 'eunes ann$es, et ce 'usqu'A la fin de sa vie J Camus fut un philosophe h$doniste, pa]en,
pra%matique, nietOsch$en U de plus, il $tait fils de pauvre et fid@le au8 siens" (l avait tout pour
d$plaire au8 1arisiens faiseurs de r$putation, tout pour me plaire aussi U et pour plaire A tant de
lecteurs au'ourd'hui" Ce livre invite A d$construire la l$%ende pour entrer dans l'histoire d'un
philosophe ma'eur du MM
e
si@cle"
! Le chiffre romain renvoie au tome des Œu+res compl3tes d'Albert Camus dans l'$dition
de la 1l$iade, le chiffre arabe A la pa%e"

Premi3re partie
Le royaume m$diterran$en
Pu'est5ce qu'une vie h$doniste Q
; (l y a ainsi une volont$ de vivre sans rien refuser de la vie qui est la vertu que ''honore le
plus en ce monde" ?
Camus, L'.té 6(((" 0!:9"


!
I$n$alo%ie d'un philosophe
Comment devient5on ce que l'on est Q
; L'homme que 'e serais si 'e n'avais pas $t$ l'enfant que 'e fus D ?
Camus, Cahier 6V 6((" !239

L'idiosyncrasie libertaire
Camus parle de son ; intol$rance quasi or%anique ? 6(((" 4349 A l'in'ustice" (l ne s'e8plique
pas pourquoi il se trouve de 9acto au8 cXt$s des humbles, des humili$s, des %ens de peu mal
trait$s et avoue >tre incapable de dormir du sommeil du 'uste en pr$sence de la mis@re des plus
d$munis, mais il le constate" )ous sa plume, la r$f$rence A l'; or%anique ? fleure bon le
nietOsch$isme et plus particuli@rement la th$orie de l'idiosyncrasie qui met en perspective la
pens$e et le corps qui la produit, la philosophie et l'autobio%raphie du philosophe, sa vision du
monde et sa situation dans le monde"
Coute sa vie, Camus fait de l'auteur du 4ai Sa+oir une r$f$rence positive, un %enre de
mod@le dont on peut >tre le disciple sans qu'il soit pour autant un maWtre" On sait que le
philosophe allemand th$orise l'id$e d'une physique de la m$taphysique, d'une %$n$alo%ie
empirique de ce que les philosophes officiels et institutionnels pr$sentent comme du
transcendantal" Mais, sans renvoyer e8plicitement A cette pens$e qu'il connaWt, bien sSr, il r$cuse
dans L'.té cette fausse bonne id$e qu'un auteur ne parlerait que de lui ou que ses id$es
proc$deraient de son histoire" (d$e fausse et pu$rile, dit5il"
1ourtant, on ne peut ima%iner que l'intol$rance A toute forme d'in'ustice, la sinature
e*istentielle de Camus, descende du ciel des id$es auquel il ne croit pas U lui qui affirme si
souvent ne pas >tre philosophe 6((" 03-9 6((" -.!9 6(((" 429 6(((" 4!!9, la philosophie $tant la
plupart du temps un %enre de th$olo%ie sans #ieu, un 'eu conceptuel %ratuit, une sophistique sans
int$r>t, une rh$torique sp$cieuse, compliqu$e par des professionnels de la profession" Camus
brille dans l'histoire de la philosophie comme un penseur de l'immanence radicale" Au MM
e
si@cle,
nul philosophe n'$puise A ce point la mati@re concr@te du monde, la prose tan%ible du r$el, en
$conomisant les tics de la corporation philosophante et en empruntant la plume du po@te" Comme
+ietOsche"
#@s lors, oraniquement constitu$ en homme r$tif A l'in'ustice, A la mis@re, A la pauvret$,
A l'humiliation, nous pouvons ima%iner la constitution historique de cette sub'ectivit$" Le m>me
$crit & ; Gne certaine somme d'ann$es v$cues mis$rablement suffisent A construire une
sensibilit$ ? 6((" .-39" Cet aveu cautionne l'id$e d'une %$n$alo%ie de sa sensibilit$ dans l'enfance U
une $vidence A laquelle il semble difficile de se soustraire" On ne naWt pas ce que l'on est, on le
devient" Comment Camus devient5il ce philosophe radicalement rebelle A l'in'ustice Q Autrement
dit & quels chemins emprunte la psych$ de cet enfant devenu homme pour se cristalliser dans une
sensibilit$ libertaire Q
Gne psychobio%raphie sans Freud
1r$cautions m$thodolo%iques & la qu>te d'une identit$ et le questionnement de l'enfance ne
rel@vent pas de la psychanalyse mais de la psycholo%ie" 1lus personne n'i%nore que cette derni@re
a dS rendre les armes devant les bataillons freudiens qui contaminent toute psychobio%raphie
depuis plus de cent ans" 7appelons que la m$thode psychobio%raphique est nietOsch$enne, qu'on
en trouve les formules dans Le 4ai Sa+oir et Par8del( &ien et mal, un demi5si@cle avant les
fictions freudiennes" (nterro%er le p@re, la m@re, le milieu familial, l'enfance pour comprendre
comment se construit une psych$ ne si%nifie nullement souscrire au8 l$%endes Bdipiennes, A
l'inconscient h$rit$ phylo%$n$tiquement, au meurtre du p@re, au banquet cannibale, et autres
l$%endes viennoises ayant commis beaucoup de d$%Tts"
<'en veu8 pour preuve qu'une psychanalyse de Camus a d$'A $t$ propos$e par un homme
de l'art, puis publi$e cheO un $diteur pr$tendument s$rieu8, dans une collection dite
; *iblioth@que scientifique ? et que cet e8ercice nous rensei%ne plus sur son auteur que sur son
su'et" Concernant Camus, on y apprend par e8emple & que, orphelin de p@re tr@s tXt, l'ima%e
paternelle est A chercher dans la m@re 6229, ce qui trouble le 'eu Bdipien, bien sSr J qu'il ne put
s'identifier A son oncle uni'ambiste puisque la perte d'une 'ambe est identifi$e par l'inconscient A
une castration 62:9 J que, devenu adaptateur de te8tes d'autrui pour le th$Ttre, puis acteur lui5
m>me de ces r$$critures, il convie ainsi le spectateur A la r$surrection de son p@re 62.9 J que son
en%a%ement dans la 7$sistance s'e8plique de faVon limpide puisqu'il re'oint un r$seau apr@s avoir
lu un article dans le 'ournal annonVant l'e8$cution de Iabriel 1$ri et que ; 1$ri ?, bien sSr, c'est
; 1@re ?, puis ; 1$rir ? 62-9 J que ses d$marches concr@tes pour s'en%a%er dans la %uerre d@s le
d$but des hostilit$s n'ont rien A voir avec la coh$rence de son en%a%ement dans le mouvement
antifasciste Amsterdam51leyel d@s !-::, mais avec le d$sir de ; ven%er ? son p@re tu$ par les
Allemands 62-9 J que le personna%e de Meursault est un ; substitut paternel ?, puisque son p@re
fut ouvrier a%ricole dans une ferme viticole 6:9 oN pourtant l'on ne vinifiait pas de bour%o%ne J
que la %rand5m@re, avec son usa%e immod$r$ de la cravache, en%a%e Camus dans une impasse
phallique 6:/9 J que la tuberculose lui interdisant de pr$parer l'a%r$%ation de philosophie, ; c'est
la M@re51hallique5Maladie qui barre le chemin des identifications paternelles ? 649, <ean Irenier
en l'occurrence J que, ; dans l'identit$ M@re ^ Mer ^ Mort se r$sume _une` fusion ima%o]que ?
64:9 rep$rable dans toute l'Buvre J que ; ses d$sirs incestueu8 qui le portent vers sa m@re muette
le portent aussi vers un abWme de silence ? 6!2-9, voilA pourquoi, bien que disparaissant A
quarante5si8 ans, ce silencieu8 qui faisait l'acteur au th$Ttre a publi$ pr@s de cinq mille pa%es en
1l$iade J que La Peste ; a valeur d'un phallus anal ? 6!409, m>me punition pour )isyphe J et que,
bien sSr, toute la raison d'>tre de L''omme ré+olté, c'est le meurtre Bdipien du p@re pourtant d$'A
mort 6!.39"
La messe freudienne ayant $t$ dite une bonne fois pour toutes, on me permettra de
proposer une lecture nietOsch$enne de la %$n$alo%ie du temp$rament libertaire d'Albert Camus"
On y verra moins de phallus et de castration, de meurtre du p@re et de d$sirs d'inceste, d'analit$ et
de 'eu8 de mots e8plicatifs, que d'histoires personnelles et sub'ectives entrecrois$es avec des
histoires %$n$rales, celles d'une classe sociale, d'un milieu, d'une $poque, d'une terre, d'un pays,
d'une ville, d'un quartier, mais aussi des histoires particuli@res constitu$es de blessures d'enfance,
d'humiliations des 'eunes ann$es, de rencontres v$cues comme des r$demptions pa]ennes pour un
enfant que tout pr$destinait socialement A ne pas devenir ce qu'il est devenu"
#evenir un fils fid@le
,n !-43, Camus donne une cl$ pour ouvrir les portes de sa psych$ & ; L'homme que 'e
serais si 'e n'avais pas $t$ l'enfant que 'e fus D ? 6((" !239" #e fait, cette enfance sans p@re, mais
avec des souvenirs ma'eurs h$rit$s du p@re J cette enfance sans m@re d'une certaine mani@re,
puisqu'elle fut sourde et quasi mutique, mais tellement pr$sente dans sa forteresse de silence J
cette enfance avec une %rand5m@re in'uste et violente, brutale et m$chante J mais aussi, cette
enfance b$nie de faVon pa]enne par la mer et le soleil, les pla%es et la natation, le sable et l'eau, la
M$diterran$e et l'amiti$, le rire et les filles, la nature et la lumi@re, le sport et le th$Ttre J cette
enfance sauv$e par le savoir et la culture, la lecture et les livres, puis l'$criture et la publication,
avec Louis Iermain l'instituteur, puis <ean Irenier le professeur de philosophie U cette enfance
livre le secret de la constitution oranique de cette sensibilit$, de ce temp$rament anarchiste, le
mot caract$risant quiconque refuse de suivre autant que de %uider"
Gne psych$ se constitue avec des e8p$riences" ,lle ne naWt pas ce qu'elle est mais le
devient par une $tran%e alchimie dont on peut raconter l'histoire apr@s coup, sans pouvoir
e8pliquer pourquoi cet enfant qui a choisi de lutter contre l'in'ustice, apr@s l'avoir v$cue dans sa
chair, n'a pas opt$ plutXt pour la r$p$tition du traumatisme qui aurait pu le d$truire" Camus se
trouve indemne de ressentiment, de passions tristes, de haine, de d$sir de ven%eance, de rancune,
d'animosit$" 1ourquoi, alors qu'il aurait pu, lui plus qu'un autre, passer sa vie, comme )artre, A
vouloir pendre haut et court les riches, les bour%eois, les nantis, Camus opte5t5il pour les
visc$ralit$s morales et les indi%nations $thiques de son p@re et pour l'immense douceur de sa
m@re Q (l choisit la fid$lit$ au p@re mort et A la m@re mutique, autrement dit il inscrit sa r$fle8ion
et sa vie dans la lutte contre l'in'ustice et l'e8ercice de la pens$e au cXt$ des humbles"
#ans 2oces, Camus $crit & ; Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est ? 6((" !09" ,n
effet" (l connaWt cette e8pression de 1indare A laquelle +ietOsche a donn$ sa publicit$" On sait que,
dans la Ir@ce, la croyance en un destin inscrit dans les lo%iques cosmiques facilite la
compr$hension de pareille id$e" #@s lors, ; devenir ce que l'on est ?, c'est consentir au vouloir qui
nous veut, accepter d'>tre ce que les dieu8 ont choisi pour nous, se plier A l'in'onction du Irand
Cout"
Mais si l'on ne croit pas en #ieu, ou dans les dieu8 du panth$on antique Q )i l'on ne fait
pas de la nature une divinit$ Q )i le ciel est vide de sacr$ et plein d'$toiles ou de plan@tes Q 7este
alors une volont$ sans ob'et, une libert$ sans finalit$, autrement dit une an%oisse sans nom pour
l'individu ayant le sens de l'immensit$ de l'univers et de la petitesse de son >tre pr$caire" La vie
philosophique de Camus est tout enti@re tourn$e vers cet imp$ratif e8istentiel & devenir ce qu'il
est, autrement dit un fils fid@le"
La mort infli%$e
!
Puel est le th@me de l'Buvre compl@te du philosophe Albert Camus Q La mort in9liée & le
meurtre, l'assassinat, la mise A mort d'un autre ou de soi" Ainsi & la r$volution et l'$crasement de la
r$bellion dans Ré+olte dans les Asturies J les bombes des nihilistes russes dans Les Justes J le
crime de L'.traner qui finit sur l'$chafaud J la question du meurtre l$%al dans l'histoire, de la
7$volution franVaise au8 camps sovi$tiques ou naOis, en passant par le chi%alevisme ou le
l$ninisme dans L''omme ré+olté J les Ré9le*ions sur la uillotine, bien sSr J la folie san%uinaire
du tyran Caliula embl$matique de l'homme politique J la m$prise du crime d'un fils dans Le
"alentendu J le suicide, seul probl@me philosophique s$rieu8 dans Le "ythe de Sisyphe J les
crimes de masse de tous les totalitarismes pass$s, pr$sents et A venir dans La Peste ou L'.tat de
si3e J la s$questration et le supplice du missionnaire ou le crime de l'Arabe livr$ par un
%endarme A l'instituteur cens$ le convoyer vers la prison dans L'1*il et le royaume J les deu8
terrorismes, l'Ftat franVais et la lib$ration du FL+ en Afrique du +ord dans Actuelles 666?
Chroniques alériennes J la question de l'$puration A la Lib$ration dans les articles de Com&at J la
palinodie des 'u%es p$nitents dans La Chute J et, enfin, l'e8$cution capitale dans Le Premier
'omme" Camus n'a cess$ de r$fl$chir sur le crime l$%al, l'assassinat id$olo%ique, le meurtre de soi
ou de son prochain, la mise A mort pro%ramm$e, l$%itim$e U il s'est constamment r$volt$ devant
cet in'ustifiable ma'eur"
La raison de cet en%a%ement sans tremblement se trouve dans la premi@re pa%e des
Ré9le*ions sur la uillotine qui rapporte une sc@ne %$n$alo%ique de la psych$ du philosophe, donc
de son >tre le plus intime" Cette visc$ralit$ libertaire, ce sentiment oranique, ce temp$rament
r$tif au mal, s'enracinent dans l'un des tr@s rares souvenirs du p@re cheO son fils" Ce souvenir
donne une leVon cardinale A partir de laquelle se structure la droiture impeccable de l'homme et
du penseur"
1eu de temps avant la 1remi@re Iuerre mondiale, un ouvrier a%ricole a massacr$ son
propri$taire et ses trois enfants" Les cadavres ont $t$ mutil$s, d$fi%ur$s au marteau" La pi@ce du
crime, dit5on, a $t$ asper%$e de san% 'usqu'au plafond" L'un des enfants, a%onisant, cach$ sous le
lit, a eu le temps d'$crire le nom du meurtrier sur le mur avec son san% avant de mourir"
L'assassin a $t$ retrouv$ quelque temps plus tard, h$b$t$, ha%ard, dans la campa%ne avoisinante"
Arr>t$, emprisonn$, 'u%$, l'homme a $t$ condamn$ A mort" Lucien Camus, le p@re du philosophe,
a trouv$ cette peine l$%itime"
L'ouvrier a%ricole qu'il $tait s'est donc lev$ en pleine nuit pour assister A la d$capitation
publique d'un autre ouvrier a%ricole" Y trois heures du matin, il traverse Al%er pour assister au
spectacle de la mise A mort d'un homme" (l a donc vu & un homme encadr$ par des %endarmes,
traversant une haie de voyeurs haineu8, %rimpant les marches de l'$chafaud" On l'a attach$ sur
une planche avec des san%les, on l'a bascul$e horiOontalement, on a enferm$ sa t>te dans un 'ou%,
sa t>te emprisonn$e, tranch$e par une lame, est tomb$e sur le sol" )i8 litres d'h$mo%lobine ont
%icl$ de la carotide sectionn$e" Le san% r$pondait donc au san%" Les hommes nomment cette
ven%eance la 'ustice"
Lucien Camus assiste donc A cette e8$cution capitale en !-!4" (l traverse Al%er dans le
sens inverse, rentre cheO lui, s'allon%e sur le lit, le visa%e blafard, pour entrer dans un profond
silence U il +omit plusieurs 9ois 6(E" ./-9? )i l'on en croit sa r$ponse au Fuestionnaire de Carl
A? Viaiani 6(E" 0:/9, Camus tient ce r$cit de sa m@re, mais dans Le Premier 'omme 6(E" .//9
c'est la %rand5m@re qui le transmet" (l avait une diOaine d'ann$es quand, orphelin depuis l'T%e de
huit mois, on lui l@%ue cet h$rita%e & un p@re partisan de la peine de mort qui, rentrant cheO lui,
apr@s avoir vu ce qu'il a vu, n'a pu supporter ce spectacle de faVon oranique? 1lus 'amais le p@re
ne devait parler de cette 'ourn$e fatale" Mais le fils restera hant$ par cette histoire qui nourrira des
cauchemars r$currents, des pens$es %$n$alo%iques et des pa%es architectoniques de l'Buvre"
Le contraire d'une %uillotine transcendantale
Camus ne pense pas avec des id$es, des concepts, des mots, mais avec des v$rit$s
concr@tes" (l est un philosophe de la radicalit$ immanente ou, si l'on veut, un penseur radical de
l'immanence" #'aucuns, format$s A la lo%orrh$e, disserteraient de faVon transcendantale sur la
peine de mort" Camus r$cuse la mise A distance de la chose avec des mots utiles pour tenir la
v$rit$ du monde A l'$cart" C'est tout son %$nie de philosophe qui ne 'oue pas au penseur, ne
s'$coute pas penser et ne se re%arde 'amais $crire" EoilA pourquoi, familiers de l'inverse, les
professionnels ne le tiennent pas pour l'un des leurs"
)ur cette question, il refuse de ter%iverser et appelle un chat un chat" Camus r$cuse la
m$taphore, l'artifice rh$torique, la p$riphrase et autres proc$d$s stylistiques avec lesquels les
intellectuels, les philosophes, les 'ournalistes abordent habituellement cette question" La
%uillotine n'est pas une id$e lointaine, une all$%orie fumeuse, mais une machine barbare de bois
et de fer qui sectionne un homme en deu8, s$pare le corps et la t>te dans le bouillonnement de
san% chaud d'une carotide qui $clabousse et noie ce qui se trouve A sa port$e"
#e la m>me mani@re, avec la peine capitale, on ne tue pas une id$e d'homme, mais le
corps r$el d'un homme r$el" Camus d$crit le prisonnier dans sa cellule sachant qu'on va
l'assassiner parce qu'il a assassin$, attendant sa derni@re heure, i%norant quand elle arrivera, dans
l'an%oisse voulue par des individus inhumains qui reprochent au condamn$ son manque
d'humanit$" Gn >tre est tortur$ mentalement, psychiquement, spirituellement, parce qu'il a
tortur$ J voilA une personne A qui on enl@ve la vie sous pr$te8te qu'on ne doit pas enlever la vie U
autant de raisons d$raisonnables" Ce supplici$ A qui l'on reproche d'avoir supplici$ va >tre r$veill$
dans sans sommeil, lev$, entrav$, d$plac$ 'usqu'au lieu du crime l$%al"
Le %uillotin$ sera mis A mort par des fonctionnaires pay$s pour faire ce qu'on lui reproche
d'avoir fait" On coupe le col de sa chemise, les cheveu8 dans sa nuque, on le conduit, et, si
besoin, le porte vers l'instrument de torture" )'il s'effondre physiquement, on le traWne, des %ardes
l'empoi%nent par le fond du pantalon pour le 'eter sur la planche oN on l'immobilise avec des
lani@res" Le bourreau fait tomber d'une hauteur de deu8 m@tres une lame de soi8ante Kilos d'acier
sur la nuque d'un homme tu$ parce qu'on ne doit pas tuer" <ustice Q +on" Een%eance"
Camus d$crit, pr$cise, montre, rapporte" (l se fait 'ournaliste, au meilleur sens du terme,
pour pr$sentifier ce qui, sinon, reste lointain, va%ue, impr$cis, tellement facile A 'ustifier d@s qu'il
s'a%it de concevoir sans voir" (l enqu>te et apporte des ar%uments pour $tayer sa philosophie
abolitionniste" Les thurif$raires de la Eeuve pr$tendent, A la suite de l'homme ayant donn$ son
nom A cet instrument de torture, que la %uillotine laisse un l$%er sentiment de fraWcheur sur la
nuque pour une mort imm$diate, sans souffrances et sans douleurs" Cyniques, les d$fenseurs du
bourreau consid@rent m>me que le chTtiment supr>me s'en trouve humanis$ puisqu'il $vite les
rata%es barbares de la d$capitation artisanale d'antan"
7apports m$dicau8 A l'appui, Camus montre qu'il n'en est rien & d$capit$, le pr$sum$ mort
met du temps A mourir vraiment" Le flot de san% tari ne si%nifie pas la fin du supplice, mais son
commencement" 1endant que l'h$mo%lobine coa%ule sur le plancher de l'$chafaud, le corps se
contracte, les muscles se t$tanisent, l'intestin ondule, se noue, le cBur s'affole et bat de faVon
arythmique, la bouche se crispe dans une %rimace $pouvantable, la pupille dilat$e des yeu8 fi8es
semble re%arder le vivant et lui demander les raisons d'une telle barbarie" L'Bil manifeste
l'opalescence du cadavre" Chaque partie du corps continue de vivre son temps" Cette macabre
lutte de la vie des or%anes dans un corps d$sor%anis$ par la d$capitation peut durer une heure ou
deu8" La mort prend son temps" Le corps peut tressaillir, sauter dans le panier" Ein%t minutes plus
tard, au cimeti@re, un corps de %uillotin$ bou%eait encore au bord de sa tombe"
Cou'ours selon les rapports r$alis$s par des t$moins, m$decins ou pr>tres, avocats ou
ma%istrats, la t>te s$par$e du corps r$a%it encore au8 sollicitations du monde" Apr@s la
d$capitation, le cerveau fonctionne tou'ours et r$a%it A la situation" (l comprend les outra%es
infli%$s par l'entoura%e et peut se manifester $motionnellement & par e8emple, le visa%e rosissant
de Charlotte Corday apr@s qu'un fanatique l'eut soufflet$ une fois d$capit$e, ou bien encore
l'e8pression de sid$ration d'un condamn$ e8$cut$"
Mort A toute peine de mort
2
Cette ph$nom$nolo%ie r$aliste de la %uillotine $vite la froide dissertation qui tient l'ob'et
de pens$e A distance" Camus ne fait pas le d$tour par le vocabulaire de la corporation
philosophique qui $mousse le r$el, aplanit les an%les du monde, fati%ue la brutalit$ concr@te et,
finalement, transfi%ure la chair des choses en litur%ies verbales" La %uillotine n'est pas une id$e
de la raison, un concept op$ratoire de 'ustice, mais un instrument de torture barbare qui coupe en
deu8 le corps d'un homme" 7ien de plus, rien de moins, rien d'autre" Cette machine est la honte de
l'humanit$"
Camus envisa%e ensuite tous les ar%uments donn$s par les d$fenseurs de l'$chafaud, puis
les r$duit A n$ant" La peine de mort comme e8ercice d'une 'ustice sereine Q 1as du tout & la 'ustice
est le contraire de la ven%eance, elle e8prime la r$ponse civilis$e A la barbarie du talion
'ustificatif du dispositif" La peine de mort comme dissuasion Q +ullement & des coupeurs de
bourse profitent de la foule venue assister au supplice pour effectuer leur larcin puni par la
%uillotine" Puand le malfaiteur commet son forfait, il ne son%e A rien d'autre qu'A le r$ussir,
sSrement pas A la prison pr$vue par le code p$nal en cas d'$chec" La peine de mort comme
instrument de la morale Q Au contraire & elle s'appuie sur des sentiments immorau8, elle flatte la
bestialit$ des humains, elle les ravale A la loi de la 'un%le qui incarne le contraire de la loi, elle
'oue du sadisme, du voyeurisme, du ressentiment, elle repose sur la ven%eance, l'antipode du
'uste" La peine de mort comme arr>t du pire Q ,n aucun cas elle a'oute du pire au pire, du san% au
san%, de la violence A la violence" Au lieu d'arr>ter la n$%ativit$, elle a'oute du mal au mal, elle
entretient le vice d'une spirale sans fin" La peine de mort comme chTtiment d$finitif d'un criminel
irr$cup$rable Q +on & qui peut assurer qu'un mauvais acte commis une fois sera suivi d'un autre
mauvais acte, puis d'un autre encore et qu'un homme peut >tre dit un 'our d$finitivement perdu
pour tous et pour tou'ours Q La peine de mort comme solution fiable Q Aucunement & la 'ustice
peut >tre in'uste et condamner un innocent" Or, d'un point de vue $thique, mieu8 vaut un
coupable en libert$ qu'un innocent d$capit$" On ne redonne pas la libert$ A un mort faussement
condamn$, on peut la restituer au prisonnier 'usticiable blanchi et r$habilit$" La peine de mort
comme m$canique destin$e A une cat$%orie de %ens que l'on ima%ine au8 antipodes de nous Q
#$trompeO5vous & au MM
e
si@cle, elle est devenue un instrument de %ouvernement dans nombre
de r$%imes oN la culpabilit$ du condamn$ se r$duit tout simplement au libre e8ercice de sa pens$e
ou A la revendication d'une opinion contraire %>nant le pouvoir en place"
Le libertaire Camus affirme que l'F%lise, l'Ftat et la soci$t$ d$fendent la peine de mort"
Mais qui croit purs, propres et nets l'F%lise, l'Ftat et la soci$t$ Q Pui pense na]vement que ces
institutions ne commettent pas d'in'ustices, d'erreurs de 'u%ement Q ,n !-3., en ,urope de l',st et
en G7)), on tue au nom d'une classe sociale, d'un futur politique idyllique, d'un avenir radieu8,
au nom d'un proph$tisme r$volutionnaire J on tue dans l',spa%ne franquiste J on tue dans
l'Am$rique capitaliste J on tue aussi en France, hier des collaborateurs comme *rasillach ou
7ebatet, A l'$poque des Ré9le*ions, les poseurs de bombes du FL+ U Camus n'aura de cesse de
faire de son combat contre toutes les peines de mort le combat politique unique de sa vie" )'en
souvenir au moment de la %uerre d'Al%$rie"
Le principe d'Fn$e
Cette premi@re leVon de philosophie 6politique9 donn$e par l'intol$rance oranique du
p@re A la peine de mort semble essentielle dans l'$conomie de la pens$e du philosophe" Ce que
Lucien Camus vomissait physiquement, son fils le vomit philosophiquement" FaVon d'aimer son
p@re au5delA de la mort, d'assurer une affection A son %$niteur inconnu, modalit$ de l'amour dans
la fid$lit$ A l'>tre qui nous a donn$ la vie, d$claration de filiation, acceptation de la transmission,
plaisir A l'h$rita%e immat$riel, 'oie de se savoir d'une m>me mati@re psychique, d'une m>me
te8ture $thique, d'un m>me acier moral" Albert, fils de Lucien, porte l'Tme du p@re mort comme le
fils Fn$e porte Anchise son p@re sur ses $paules" <e nomme le consentement A ce processus de
filiation philosophique le 1rincipe d'Fn$e"
Camus questionne sa m@re J elle sait peu de chose, avoue que tout cela est loin, qu'elle a
finalement v$cu peu de temps avec son mari U cinq ans au total" Le fils ressemble A son p@re"
+aissance A Ouled5Fayet 6!//39 oN sa famille paternelle vit depuis !/:" Lucien Camus perd ses
parents tr@s tXt, on le place dans un orphelinat dans lequel il n'apprend ni A lire ni A $crire" Eite
sorti de cette institution, il devient ouvrier a%ricole dans une ferme viticole" Y vin%t ans, il
apprend A lire" #eu8 ans de service militaire en !-0 et !-." Maria%e en !--, il s'installe avec
sa femme A *elcourt, quartier populaire dans l'est d'Al%er" #eu8 enfants, Lucien <ean Ftienne
6!-!!9 et Albert 6. novembre !-!:9" Mobilis$ A la %uerre le : aoSt !-!4, bless$ A la bataille de la
Marne le !! octobre, Lucien Camus meurt le !. A l'hXpital militaire de )aint5*rieuc oN il avait $t$
transf$r$" L'administration l'enterre dans le cimeti@re briochin" Gne poi%n$e de dates pour une vie
br@ve & travail, famille, patrie"
Comme tous ses camarades de r$%iment, Lucien Camus, envoy$ au feu habill$ en Oouave
avec son pantalon bouffant couleur %arance, constituait une cible de choi8 pour les tireurs
allemands" Mort au combat A l'T%e de vin%t5neuf ans, la France lui d$cerne la Croi8 de %uerre et
la M$daille militaire A titre posthume" Eeuve, Catherine Camus se retrouve seule avec deu8
enfants en bas T%e, Albert A huit mois" L'administration envoie quelques bricoles constituant les
petits souvenirs du d$funt, dont des cartes postales" ,t puis & les $clats d'obus retir$s de la t>te du
soldat D Catherine Camus les enferme dans une boWte A biscuit qu'elle place dans l'armoire A lin%e"
La veuve n'obtient rien de l'Ftat franVais avant la presque fin des hostilit$s" ,lle fut un
temps employ$e dans une cartoucherie avant de trouver un travail de femme de m$na%e" 1lus
tard, les enfants furent d$clar$s pupilles de la nation, ce qui permettait A la m@re de r$cup$rer un
petit p$cule vite $puis$ par l'achat des v>tements et des fournitures scolaires" Les visites
m$dicales $taient %ratuites" Puand la tuberculose s'empare de Camus, cette couverture sociale fut
bien utile"
Le livre qui sauve
Gne deu8i@me e8p$rience e8istentielle transmise de p@re en fils passe par Louis Iermain
qui ensei%ne dans l'$cole fr$quent$e par Camus depuis l'T%e de quatre ans" *ien que n'ayant pas
connu le p@re du philosophe, l'instituteur est un rescap$ de cette %uerre" ,8ceptionnelle
d$ro%ation A l'obli%ation de r$serve de ce r$publicain la]c anticl$rical, le maWtre avoue sa
pr$f$rence pour les enfants orphelins de p@re" (l tTche autant que faire se peut, de remplacer, au
moins dans la classe, ses camarades morts" #ans cette enceinte sacr$e de l'$cole la]que, Camus
fait l'e8p$rience du livre qui sauve et donne un sens A l'absurde"
Chaque fin de trimestre, Monsieur Iermain lit des e8traits des Croi* de &ois de 7oland
#or%el@s" Camus y d$couvre la vie au front, la 1remi@re Iuerre mondiale, les tranch$es, le
monde dans lequel son p@re a perdu la vie" Cette lecture pr$sentifie un pass$ dans lequel
s'en%loutit un %$niteur 'amais connu" Le roman de l'histoire du monde co]ncide avec le roman de
l'histoire de l'enfant" Le livre renferme la cl$ du myst@re du tr$pas paternel" La pr$histoire de la
psych$ du philosophe %Wt dans ces pa%es qui racontent pourquoi et comment, un 'our, des $clats
d'obus e8traits de la t>te d'un p@re se retrouvent dans une boWte en fer5blanc"
Gn recueillement sans nom accueille la lecture de Monsieur Iermain" L'$motion sature la
pi@ce" Lorsqu'il l@ve la t>te apr@s avoir lu la derni@re phrase, les $l@ves sont frapp$s de stupeur"
Les enfants d$couvrent le monde pass$ de leur instituteur, certes, peut5>tre celui d'un p@re ou d'un
oncle, bien sSr, mais Albert Camus, lui, d$couvre la r$solution d'$ni%mes e8istentielles par le
roman U ses propres $ni%mes" Au premier ran%, l'enfant re%arde fi8ement le compa%non
d'infortune de son p@re, il pleure, puis san%lote et n'en finit plus d'>tre secou$ par les pleurs"
Monsieur Iermain murmure quelques mots tendres et dou8, l'invite A s$cher ses larmes, puis va
vers l'armoire au fond de la classe pour ran%er le livre dans la biblioth@que" #e dos, on ne voit
pas le visa%e de l'ancien combattant devenu maWtre d'$cole, mais peut5>tre pleure5til, lui aussi"""
#es ann$es plus tard, Camus devenu Camus rend visite A ; Monsieur Iermain ?" Y
quarante5cinq ans, il est c$l@bre, il a publi$ de %rands livres, $crit pour le th$Ttre, 'ou$ et mont$
ses pi@ces, il a $t$ r$sistant, 'ournaliste en%a%$, il connaWt le Cout51aris des lettres et des beau85
arts, bientXt, il aura le pri8 +obel" Comme chaque ann$e depuis quinOe ans, d@s qu'il rentre au
pays, le philosophe, nous dit le roman, rend visite A son instituteur" Le vieil homme se l@ve de son
fauteuil, se diri%e vers un meuble, ouvre le tiroir, sort un livre couvert d'un papier d'$picerie"
Camus reconnaWt les Croi* de &ois, il bafouille quelques mots pour refuser ce cadeau sublime" ,n
lui remettant le tr$sor, Monsieur Iermain dit & ; Cu as pleur$ le dernier 'our, tu te souviens Q
#epuis ce 'our ce livre t'appartient ? 6(E" /:29" Le re%ard du vieil homme se remplit de larmes"
Gne encre ph$nom$nolo%ique blanche
Pue raconte ce livre Q Le quotidien infernal de la %uerre et le salut par les mots, en
l'occurrence les lettres remises par le va%uemestre au8 morts en sursis" La mort et les mots, les
mots qui sauvent 6un temps9 de la mort qui, de toute faVon, aura 6tou'ours9 le dernier mot" Le
quotidien du soldat, ce fut le quotidien du p@re du philosophe" Le voici & la mort, donc, les pou8,
les rats, la vermine, la peur, la promiscuit$, la salet$, le combat, l'absurdit$, la pr$carit$ de la vie,
les blessures, le froid, la boue, les copains qui meurent, les cercueils, la rel@ve qui ne vient pas,
les attaques, les tranch$es, l'adult@re des $pouses, la faim, la mauvaise nourriture, les balles, les
obus, les $clats d'obus, les brancardiers, le d$sespoir, les tombes creus$es avant de partir au
combat, les %aO, les barbel$s, les cadavres entass$s pour se prot$%er des balles ennemies, les tas
de morts, le cynisme des %rad$s embusqu$s A l'arri@re, la vie qui continue A 1aris, les mutilations
volontaires, la pluie, les mourants, les tirs trop courts de l'artillerie" #ans ce livre, on peut aussi
lire des sc@nes comme celle5ci & ; #evant moi, un homme bless$ laissa tomber son fusil" <e le vis
vaciller un instant sur place, puis, lourdement, il repartit les bras ballants, et courut comme nous,
sans comprendre qu'il $tait d$'A mort" (l fit quelques m@tres en titubant et roula ? 62249"
#ans cet enfer au quotidien, l'arriv$e du facteur des arm$es illumine l'ordinaire des
soldats" Les lettres, le papier, les mots, l'$criture, les pa%es %ard$es sur sa poitrine A l'int$rieur du
v>tement tTch$, les feuillets salis, froiss$s, fati%u$s parce que lus et relus, les nouvelles des
enfants, du p@re et de la m@re, des %rands5parents, les informations sur la vie du villa%e, les
travau8 des champs, les petits mots tendres de l'$pouse portant seule sur ses $paules la famille, la
ferme, la parent@le, mais qui ne se plaint pas" 1arfois aussi ces lettres annoncent la mort d'un
ancien, d'un vieu8 parent, la rupture d'une $pouse $puis$e par l'attente" #es nouvelles mortelles
elles aussi"
#or%el@s propose une ph$nom$nolo%ie non philosophique de la %uerre, une
ph$nom$nolo%ie immanente, radicalement immanente" (l ne th$orise pas, il raconte J il ne disserte
pas, il montre J il ne verbi%@re pas, il d$crit" Camus se fera ph$nom$nolo%ue dans cette tradition5
lA & raconter, montrer, d$crire sans effets conceptuels, sans ronflements rh$toriques" Avec
#or%el@s, la %uerre n'est pas sublim$e par le beau style d'une belle litt$rature, faVon <an%er, elle
est strictement dite" Le crime de L'.traner sera racont$ avec la m>me encre ph$nom$nolo%ique
blanche"
; Ea, mon fils ?
Certes, ; Monsieur Iermain ? fut un %enre de p@re de substitution, comme il est dit
couramment" 1ourquoi pas Q Mais il fut aussi et surtout l'>tre par lequel la litt$rature entre dans la
vie de Camus tel un cordial ma%nifique" *ien avant <ean Irenier, le professeur de philosophie
ayant lui aussi 'ou$ un rXle important, bien sSr, l'instituteur permet A l'enfant de retrouver la trace
de son p@re mort dans une %uerre qui lui semble lointaine, presque virtuelle" Pu'est5ce qu'une
%uerre pour un petit %arVon n'ayant pas encore di8 ans Q Pue si%nifie la perte d'un p@re au combat
d@s qu'on arrive au monde Q Pu'est5ce qu'un pupille de la nation, comme le sont des millions
d'orphelins de cette %uerre, autrement dit qu'est5ce qu'>tre ; fils ? de la nation Q L'instituteur
donne au futur philosophe les moyens de r$pondre A ces questions" ,t cette cl$ passe par les mots
U le roman, la litt$rature, cette ph$nom$nolo%ie blanche des choses qui d$finit le %$nie
philosophique de Camus"
Monsieur Iermain apprend donc A lire, A $crire, A compter, A penser A ses $l@ves" Mais il
transmet aussi le %oSt des livres comme autant d'ob'ets porteurs de la v$rit$ du monde et des
choses, des %ens et des Tmes" Avec ce roman de #or%el@s, l'enfant Camus d$couvre la peur,
l'an%oisse, la mort, l'absurde, le d$sespoir, en $conomisant la lecture de RierKe%aard, <aspers ou
Leide%%er" Camus e8p$rimente la douleur e8istentielle par l'absence du p@re nomm$e par la
litt$rature"
Faut5il d@s lors s'$tonner que, lors de la r$ception du pri8 +obel, Camus r$di%e un
#iscours de Su3de avec cette d$dicace & ; Y M" Louis Iermain ? U et non pas A <ean Irenier Q
Car Camus si%nale 6(E" /2:9 que son instituteur lui fit cadeau dans son enfance d'un %este
assimilable A celui d'un p@re & intervenir aupr@s de sa %rand5m@re pour qu'il fasse des $tudes,
continue l'$cole et pr$pare le concours des bourses des lyc$es et coll@%es" Albert n'$tait pas
sociolo%iquement pro%ramm$ pour devenir Camus" Monsieur Iermain fit le n$cessaire pour
troubler la puissance de ce d$terminisme de classe sociale" #ans cette pluie d'atomes de la
n$cessit$, il fut le clinamen $picurien sans lequel aucun monde n'advient"
La %rand5m@re r$%issait la maison d'une main de fer" Catherine Camus, la m@re du
philosophe, subissait sans broncher la f$rule de cette femme m$chante" #ocile, soumise,
ob$issante, r$si%n$e, silencieuse, douce, la m@re, sourde et quasi mutique, n'a pas son mot A dire"
C'est donc la marTtre qu'il faut convaincre que, le temps des $tudes, pendant si8 ans, l'adolescent
ne rapportera pas d'ar%ent A la maison" Ce qu'obtient l'instituteur" )e ravisant que la chose
pourrait coSter, la %rand5m@re court apr@s le maWtre d'$cole pour pr$ciser qu'elle ne pourra pas
payer les cours suppl$mentaires" 7$ponse de Monsieur Iermain & ; +e vous en faites pas, il m'a
d$'A pay$ ? 6(E" /4!9" )id$r$e par la venue de l'instituteur A la maison et par sa proposition, pour
la premi@re fois de sa vie la %rand5m@re manifeste de la tendresse et de l'affection en serrant tr@s
fort la main du petit5fils habituellement cravach$"
1endant un mois, avec trois de ses camarades pauvres et talentueu8 comme lui, Camus
reVut deu8 heures de cours apr@s chaque 'ourn$e de classe" Eint le 'our du concours" L'instituteur
accompa%ne ses $l@ves, il a achet$ des croissants pour l'occasion" (l prodi%ue quelques conseils,
tTche d'apaiser l'an%oisse de la petite bande traqueuse" La porte s'ouvre, un appariteur $%r@ne les
noms, celui de Camus est prononc$" Le petit %arVon tient la main de l'instituteur qui lui dit & ; Ea,
mon fils ? 6(E" /4/9"
Y la sortie, commentaire des brouillons" La copie de Camus est bonne" L'enfant sera reVu"
L'instituteur, sentant bon l'eau de Colo%ne, vint annoncer la bonne nouvelle au8 femmes de la
maison, il caressait la t>te de Camus pendant qu'il parlait" 1uis Monsieur Iermain s'en va, Camus
le re%arde partir, l'instituteur le salue une derni@re fois" Gne immense peine l'envahit & Camus
prend alors conscience que ce succ@s l'arrache au monde des pauvres U le reste de sa vie sera
fid$lit$ A cette heure %$n$alo%ique"
Gne avant5%uerre d'Al%$rie
Le déo!t de la peine de mort, le mépris de la uerre, voilA donc deu8 ensei%nements
solides transmis post mortem par un p@re qui, bien que mort, l@%ue peut5>tre plus que d'autres,
vivants" Gne troisi@me leVon se trouve donn$e outre5tombe par le p@re & le re9us de la &ar&arie"
7etour au p@re & Lucien Camus effectue son service militaire en !-0 en compa%nie d'un
instituteur qui rapporte le d$tail de cette troisi@me leVon du p@re au fils"
La France m@ne une politique coloniale au Maroc" ,lle envoie un corps e8p$ditionnaire
en !-. pour conqu$rir le pays" L'arm$e prend pr$te8te d',urop$ens tu$s A Casablanca pour
or%aniser le d$barquement de si8 mille hommes en aoSt de cette ann$e5lA" Le p@re du philosophe
fait partie du contin%ent" Les op$rations dites de pacification sont brutales & les mitrailleuses,
l'artillerie, l'aviation sont utilis$es contre des peuplades arm$es comme au Moyen b%e" )ous le
commandement du colonel Charles Man%in, surnomm$ ; le *oucher ?, l'arm$e franVaise se rend
coupable de brimades, d'humiliations, de prises d'ota%es, d'e8$cutions sommaires, on rapporte
que des pains au sucre pi$%$s furent distribu$s" Cinq ans plus tard, la France met en place sa
politique de protectorat, une tutelle abolie par l'ind$pendance en !-30" Lucien Camus quitte
l'arm$e avec le %rade de deu8i@me classe" Avec un certificat de bonne conduite, certes, mais avec
le %rade qu'on a en entrant"
#e la m>me mani@re que le spectacle de l'e8$cution capitale affecte physiquement le p@re
du philosophe, un autre spectacle le touche avec la m>me violence au point de le mettre ; hors de
lui ? 6(E" ../9" 1our un personna%e ayant laiss$ le souvenir d'un homme dou8, bon, calme,
travailleur, taciturne, facile A vivre, dur A la tTche et ne se plai%nant 'amais, la pr$cision d'une
sortie de ses %onds p@se lourd D Le vomissement du p@re, la col@re du p@re, la mort du p@re, voilA
trois moments e8istentiels forts dans la vie d'un enfant i%norant tout de lui sauf ces bribes de vie,
ces morceau8 d'Tme et ces fra%ments e8istentiels"
Le d$tachement de Lucien Camus campe au sommet d'une petite colline dans l'Atlas" Gn
d$fil$ rocheu8 la prot@%e" Au fond de celui5ci se trouvent deu8 sentinelles A relever" Le p@re de
Camus et son ami instituteur appellent leurs compatriotes qui ne r$pondent pas" )oudain, ils
d$couvrent la raison de ce silence & au pied d'un fi%uier, la t>te de l'un des leurs %Wt, s$par$e du
corps qui repose un peu plus loin, les 'ambes $cart$es" )ous la lune, la t>te paraWt biOarre, ils
s'approchent et d$couvrent que les Marocains ont sectionn$ le se8e du soldat avant de le lui
mettre dans la bouche U avant ou apr@s la d$capitation, on ne sait" M>me sort pour l'autre
sentinelle"
; )avoir s'emp>cher ?
Col@re de Lucien Camus" Fmasculer un homme, $%or%er un homme, d$capiter un homme,
tuer un homme, voilA, pour le p@re du philosophe, ce qui, A coup sSr, prouve que, d$finitivement,
ces %uerriers ne sont plus des hommes" L'instituteur temp@re et avance que la troupe d'occupation
ne s'est %u@re mieu8 comport$e & cette barbarie r$pond A la barbarie de la troupe coloniale" Le
maWtre d'$cole l$%itime et 'ustifie le %este en pensant que, comme dans la peine de mort, le talion
ou la ven%eance peuvent tenir lieu de loi et de 'ustice"
Cet ouvrier a%ricole n'ayant pas fait d'$tudes et qui savait $crire depuis peu ne se contente
pas du sophisme de cet instituteur & le san% n'est pas une bonne r$ponse au san%, la barbarie ne
saurait >tre une modalit$ de la 'ustice, on ne r$pond pas A la violence par la violence qui n'en
devient pas l$%itime pour autant, infli%er la mort ne se 'ustifie 'amais ni ne s'e8cuse" #'une part, la
rh$torique de l'homme cultiv$ 'ustifiant l'in'ustifiable J d'autre part, la pens$e droite d'un pauvre
homme sans ba%a%es intellectuels, sans culture livresque, mais conduit par le tropisme de la
'ustice" Gn tropisme visc$ral U oranique"
Au discours de l'instituteur qui renvoie dos A dos les parties prenantes, qui 'ustifie les
e8actions d'hommes au8quels on infli%e, cheO eu8, une %uerre sans morale, sans vertu, et qui
pourraient, de ce fait, user de tous les moyens, y compris ceu8 de la barbarie, pour faire avancer
leur cause, Lucien Camus r$pond & ; +on, un homme Va s'emp>che U voilA ce qu'est un homme,
ou sinon""" ? 6(E" ..-9" 1uis il se calme" Le dialo%ue se poursuit & ; Moi, avait5il dit d'une voi8
sourde, 'e suis pauvre, 'e sors de l'orphelinat, on me met cet habit, on me traWne A la %uerre, mais
'e m'emp>che" c (l y a des FranVais qui ne s'emp>chent pas, avait 6dit9 Levesque" c Alors eu8
non plus ce ne sont pas des hommes ? 6i&id?9" #urant sa courte vie, Albert Camus a $t$ de ceu8
qui s'emp>ch@rent & il fut donc un homme selon son p@re"
Croisi@me leVon h$rit$e du p@re, troisi@me imp$ratif e8istentiel du fils qui honore son p@re
et devient un homme sous le re%ard posthume d'un >tre ayant laiss$ sans le savoir des instructions
$thiques A son orphelin de fils" Laine de l'$chafaud, de tous les $chafauds, quels qu'en soient les
pourvoyeurs J haine des champs de bataille, ind$pendamment des belli%$rants qui s'opposent et
de leurs raisons J haine de la barbarie, de la torture, de la mise A mort d'un homme par un autre
homme, sans consid$ration aucune pour ce qu'il est, pense, ce qu'il a fait, pourrait faire ou fera"
1our >tre un homme, ce fils sans p@re devait ob$ir au p@re sans fils U du moins au p@re qui n'eut
pas le temps d'$duquer son fils" EoilA le pro'et e8istentiel de l'enfant lanc$ dans la vie pour
devenir un homme & >tre fid@le au8 paroles silencieuses du p@re"
:
)ous le si%ne de la m@re
)ous le si%ne du p@re, Camus se fait le philosophe pour lequel il n'e8istera 'amais aucune
bonne raison de 'ustifier la mort d'un homme" )ous le si%ne de la m@re Q (l devient le penseur
d'une autre fid$lit$ & le compa%nonna%e avec le petit peuple qui, ne disposant pas des mots pour
dire sa mis@re, place l'honneur et la di%nit$ au5dessus de tout" #ans ses Carnets, citant l'anarchiste
Ale8andre <acob, le mod@le d'Ars@ne Lupin, Camus $crit & ; Gne m@re, vois5tu, c'est
l'humanit$" ? 6(E" !!29" )'en souvenir quand, A )tocKholm, il choisira sa m@re"
)elon son propre aveu, Camus a aim$ sa m@re plus que tout" Pui $tait Catherine )int@s Q
La fille d'une femme de Minorque et d'un homme n$ A Al%er, et dont les propres parents $taient
ori%inaires de Ma'orque, Wle de l'archipel espa%nol des *al$ares" Gne femme n$e en !//2 qui fut
$pouse A vin%t5sept ans, puis m@re deu8 fois, la premi@re deu8 mois apr@s son maria%e, la
seconde A trente et un ans, puis veuve A l'T%e de trente5deu8 ans" ,lle survit huit mois A la mort
accidentelle de son fils et meurt la m>me ann$e A l'T%e de soi8ante5di85huit ans A son domicile
al%$rois" ,lle fut donc $pouse, m@re, veuve, une vie sans place pour la femme"
Gne maladie de 'eunesse dont on i%nore tout en fait une handicap$e du lan%a%e & demi5
sourde, incapable de parler au5delA des $chan%es $l$mentaires, elle vit dans le silence, taciturne,
dans l'ombre menaVante de sa propre m@re, une vira%o violente, brutale, qui frappe Albert Camus
A coups de nerf de bBuf" Cette %rand5m@re, illettr$e elle aussi, $tait i%norante et obstin$e, mais
nullement r$si%n$e" ,lle vit son propre p@re, po@te A ses heures, troussant des vers sur le dos
d'une bourrique, e8$cut$ par erreur d'un coup de fusil dans le dos par un mari 'alou8" ,lle eut
neuf enfants, dont deu8 moururent en bas T%e, un qui fut sourd et quasi muet, puis cette fille
infirme, la m@re du philosophe" )on mari mourut, la laissant seule $lever ses enfants qu'elle
envoya %a%ner leur vie tr@s tXt" Catherine Camus fit des m$na%es"
Camus rapporte qu'enfant, alors qu'il avait pr$tendu retrouver un camarade pour ses
leVons de math$matiques, ils s'$taient re'oints A la pla%e pour na%er, rire, 'ouer, profiter de la mer
et du soleil, de la vie et de la lumi@re" #ans la 'oie pa]enne, il ne voit pas le temps passer"
)'apercevant de son retard, il court A perdre haleine pour re'oindre la petite maison du quartier
populaire oN il habite" Le repas est commenc$" )a m@re bafouille quelques mots probablement
pour si%naler le retard" ,lle est interrompue par la %rand5m@re qui vient toucher les cheveu8
mouill$s et les chevilles encore poudr$es de sable de son petit5fils & elle comprend qu'il s'est
bai%n$, se saisit d'une cravache pour le frapper 'usqu'au san%" La m@re ne dit rien, elle laisse faire"
1uis, une fois le chTtiment termin$, apr@s avoir re%ard$ sa propre m@re, puis tourn$ le re%ard vers
son fils, elle a'oute quelques mots de compassion en forme d'apaisement"
L'e8ercice de la pauvret$
La m>me %rand5m@re contraint un 'our son petit5fils au menson%e U une e8p$rience
douloureuse et humiliante" Camus ne se fait pas moraliste ou moralisateur, il connaWt l'usa%e
banal du menson%e, avoue y recourir parfois pour arran%er les choses, $viter un d$sa%r$ment, se
pr$server des coups ou pour le plaisir m$diterran$en de parler, d'en'oliver" ,n revanche, il
r$prouve le menson%e avec ceu8 qu'on aime car, une fois la confiance cass$e, plus rien n'est
possible, or, comment vouloir brSler ses vaisseau8 avec les siens Q
#ans les familles pauvres, les enfants repr$sentent autant de bouches A nourrir qui ne
rapportent rien et coStent" #@s lors, les adultes les envoient au travail pendant les vacances pour
ramener une paie suppl$mentaire au foyer" Ch$tif et malin%re, A treiOe ans, entre le coll@%e et le
lyc$e, Albert Camus est envoy$ par la %rand5m@re cheO un employeur A qui il doit mentir & pas
question de solliciter un emploi saisonnier refus$ par les patrons qui veulent embaucher pour la
vie" (l faut leur laisser croire qu'A cause de la pauvret$ l'enfant, bien que dou$ pour les $tudes, doit
quitter l'$cole et envisa%er un travail d$finitif" Les vacances A peine commenc$es, elles se
terminent donc, car il faut se lever tXt pour aller A la quincaillerie qui l'a embauch$ sur la foi du
menson%e de la %rand5m@re" L'ann$e suivante, il obtient par le m>me subterfu%e une place cheO
un courtier maritime" 1auvre, priv$ de vacances, il devait donc travailler quand ses copains se
bai%naient et s'amusaient A la pla%e"
Le 'our de la paie, la %rand5m@re conseille A son petit5fils de prendre l'ar%ent sans rien dire
et de ne surtout pas avouer qu'il ne reviendra pas" 1our Camus, l'id$al aurait $t$ que la %rand5
m@re assume son propre menson%e & c'est en effet elle qui a menti, mais elle demande A l'enfant
d'assumer les cons$quences de son forfait" ,lle propose qu'il se sorte de ce menson%e par un autre
menson%e U dire qu'il travaillera d$sormais cheO son oncle"
Le 'our dit, col@re du patron" (l menace de ne pas payer, fait une leVon de morale, fusti%e
le menson%e et les menteurs, peste contre la vieille femme, s'en veut d'avoir cru A l'ar%ument de la
pauvret$ et de l'arr>t des $tudes" Lonteu8, piteu8, humili$, l'enfant refuse l'enveloppe tendue par
son patron U qui la lui met dans la poche" (l part en courant, les dents serr$es, en pleurant, sans
toucher A cet ar%ent malhonn>tement %a%n$" #e retour A la maison, il pose le salaire sur la table &
un %ros billet, plus une pi@ce" La %rand5m@re empoche la coupure et lui laisse la monnaie" Fiert$
de la %rand5m@re, douceur et compassion de la m@re qui le re%arde comme on caresse"
Camus confesse alors avoir fait une e8p$rience ontolo%ique et physique, m$taphysique et
visc$rale, oranique donc & ; cette in'ustice lui serrait le cBur A mourir ? 6(E" -/9 & mentir pour
travailler, mentir pour se priver de vacances, mentir pour s'emp>cher le soleil et la mer, mentir
pour reprendre le lyc$e, en fait, mentir parce que, pauvre, il faut ruser pour obtenir un %enre de
mendicit$ afin d'acheter avec cette paie d'enfant non pas des 'ouets ou du superflu, mais le chiche
n$cessaire qui manque au8 d$munis, au8 %ens de peu qui ach@tent avec ce mai%re ar%ent des
habits, des chaussures, des fournitures pour l'$cole U voilA une in'ustice ma'eure"
Gn 'our, lass$ d'>tre frapp$ par cette %rand5m@re, Camus lui arrache le nerf de bBuf des
mains, ; fou de violence et de ra%e ? 6(E" --9, bien d$cid$ A frapper ce visa%e, cette t>te blanche
au re%ard froid" La marTtre recule, part s'enfermer dans sa chambre, se plaint d'avoir $lev$
pareille en%eance" Mais elle cessera d$sormais de cravacher son petit5fils" #e m>me elle ne
r$p$tera plus sa fameuse ren%aine & ; Cu finiras sur l'$chafaud ? 6(E" .-9"
#ominations et servitudes
Femme de m$na%e, veuve de bonne heure, vivant avec sa m@re acariTtre, son fr@re
handicap$ et ses deu8 enfants, la vie de Catherine Camus ne fut pas une f>te" Gne fois, cette
femme qui semble sans cBur parce que, pudique, discr@te, r$serv$e, secr@te U elle ne montre
'amais ses sentiments, ses $motions, ses affections U, une fois, donc, cette femme vit son cBur
battre un peu plus vite pour un marchand de poissons" ,lle quitta le noir habituel pour un peu de
couleur, elle fit un peu plus attention A sa coiffure, elle manifesta un peu sa 'oie, pas trop, mais
quand m>me, lors de repas en sa compa%nie"
1uis elle rentra un 'our les cheveu8 coup$s, A la mode du moment" La %rand5m@re la traita
de putain devant son fils" )id$r$e par la violence de l'attaque, elle ne dit rien, re%arde son fils,
esquisse un sourire maladroit" Les l@vres tremblantes, retenant ses larmes, elle se pr$cipite dans
sa chambre, se 'ette sur le lit, s'enfouit le visa%e dans l'oreiller et pleure A chaudes larmes"
L'enfant voit la nuque d$couverte de sa m@re et le dos mai%re secou$ par les san%lots, il l'appelle,
la touche timidement, lui dit qu'il la trouve belle" ,lle fait un si%ne de la main l'invitant A quitter
la chambre, il sort et, dans le chambranle, il pleure lui aussi d'amour et d'impuissance"
L'amoureu8 reviendra, mais il se fera rosser dans les escaliers par le fr@re de Catherine" Couvert
de san%, il part pour ne plus 'amais revenir" La m@re de Camus s'habillera A nouveau dans la
couleur du veuva%e" ,lle s'installera dans la solitude et la pauvret$ pour le reste de ses 'ours"
La %rand5m@re incarne la n$%ativit$ & la brutalit$, la violence, la m$chancet$, les passions
tristes, le contraire de la 'oie de vivre, la mutilation de la vie, l'in'ustice, le menson%e,
l'antimod@le de l'h$doniste du futur auteur de L'1n+ers et l'1ndroit et de 2oces J la m@re, c'est la
victime de cette in'ustice, de ces ve8ations sans fin, de ces affronts r$p$t$s, de ces humiliations
enchaWn$es" L'une est le bourreau J l'autre la victime" Coute sa vie de libertaire, Camus
revendiquera cette m>me $thique & ni bourreau, ni victime" 1as besoin pour le philosophe de lire
les pa%es consacr$es A la dialectique du maWtre et de l'esclave dans la Phénoménoloie de l'esprit
de Le%el pour comprendre les m$canismes de la domination et de la servitude & l'enfant n'a pas
appris la v$rit$ du r$el dans les livres, mais dans la pratique du monde"
La voi8 des %ens sans parole
Lorsqu'une personne parle peu, pas ou mal, quand elle semble enferm$e dans un mutisme
presque patholo%ique, chaque d$claration claire brille comme une p$pite dans la nuit
e8istentielle" )ilencieuse, taciturne, soumise, douce, Catherine Camus n'a 'amais dit de mal de
personne, elle ne s'est 'amais plaint" ,lle n'a 'amais ri non plus, 'uste souri un peu parfois"
7$si%n$e et soumise, elle n'a 'amais r$crimin$ ou pest$ contre l'ordre des choses et le mouvement
du monde" ,lle a v$cu toute sa vie dans un petit appartement meubl$ avec le strict n$cessaire &
des meubles pratiques pour vivre une vie simple et modeste, pas d'ob'ets inutiles, pas de bibelots,
pas de superflu"
#'oN l'importance d'une phrase dite un dimanche alors que le fr@re de Camus 'oue du
violon pendant qu'il chante, le tout pour faire plaisir A la famille r$unie, en pr$sence, $videmment,
de la %rand5m@re" Catherine Camus $coute dans un coin, sans dire un mot, discr@te" Gne tante la
complimente sur son fils" ,lle r$pond alors, le re%ardant avec douceur, fra%ilit$ & ; Oui, il est
bien" (l est intelli%ent ? 6(E" .-09 U une d$claration d'amour simple, br@ve, qui mit l'enfant en
'oie" Lui qui aime $perdument sa m@re d$couvre ainsi son amour apr@s en avoir si lon%temps
dout$"
#ans les notes pr$paratoires au Premier 'omme, Albert Camus $crit son souhait
d'alterner les chapitres de faVon A donner une voi8 A sa m@re" (l envisa%eait des commentaires de
faits racont$s, mais dans son pauvre lan%a%e U ; avec son vocabulaire de quatre cents mots ?
6(E" -49" Le fils d$die ce livre A sa m@re qui ne sait pas lire" La mort fera de ce Premier 'omme
un dernier livre" Eoici les premiers mots de ce livre inachev$ & ; (ntercesseur & Eve Camus" Y toi
qui ne pourras 'amais lire ce livre ? 6(E" .4(9"
La pauvret$ des pauvres se manifeste donc aussi dans la pauvret$ de leur vocabulaire"
L'enfant constate que, cheO les riches, les ob'ets disposent d'un nom U pas cheO lui" #ans une
maison bour%eoise, on parle du %r@s flamb$ des Eos%es, du service de Puimper J dans une
maison de pauvre, il n'e8iste que des assiettes creuses, le vase pos$ sur la chemin$e ou le pot A
eau" CheO les uns, on trouve des ob'ets inutiles, des bibelots, des Buvres d'art ou leurs
repr$sentations J cheO les autres, rien de superflu" Camus reproduit cette asc@se dans sa lan%ue,
son $criture, son style & efficace, simple, clair, direct, i%norant l'inutile, allant au n$cessaire" Gne
prose utile pour dire les choses 'ustes et vraies"
La m@re fut donc l'interlocuteur silencieu8 du philosophe & la pauvret$, la mis@re, le
silence, la soumission, voilA le monde des oubli$s du bonheur U ceu8 au8 cXt$s desquels le
philosophe ne cesse 'amais de se trouver, sans 'amais faillir une seule fois" Choisir sa m@re, ici ou
ailleurs, comme A )tocKholm, si%nifie prendre le parti des %ens modestes et sans voi8 U le parti du
peuple contre les puissants, fussent5ils d'opposition" #ans l'ombre permanente de sa m@re, Camus
fut la voi8 des %ens sans parole, le verbe des >tres sans mots"
I$n$alo%ie d'une sensibilit$
Camus ne d$couvre pas la pauvret$, la mis@re, les souffrances de la classe ouvri@re, le
peuple, dans les livres, en compulsant des ouvra%es de philosophie dans le calme et le silence
d'une biblioth@que" Le m$canisme du capitalisme, la brutalit$ du lib$ralisme, la barbarie du
march$ faisant la loi, les effets pervers de l'ali$nation, la lutte des consciences de soi oppos$es
pour le dire dans le vocabulaire philosophique de la corporation, ou bien encore la dialectique du
maWtre et de l'esclave, il en e8p$rimente physiquement la r$alit$, elle passe par sa chair" Cette
connaissance empirique fait sourire les intellectuels qui en ont un abord transcendantal,
traditionnellement plus noble dans le m$tier" 1our Camus, la classe ouvri@re n'est pas un ob'et de
la raison pure utile A prendre en ota%e pour sa carri@re, mais le monde de son enfance"
EoilA pourquoi l'intol$rance de Camus A l'in'ustice est or%anique, donc impossible A
simuler comme le font habilement les produits $litistes des %randes $coles qui, pour les rares qui
en parlent, se servent des pauvres plus qu'ils ne les servent" #ans la pol$mique qui l'oppose
lon%uement au8 communistes et A leurs compa%nons de route, l'ar%ument lui sera souvent servi &
Camus ne serait pas l$%itime pour parler des pauvres, un monde dont il vient, parce qu'il s'est
content$ d'en venir et n'en serait plus"
Mais l'ar%ument, s'il devait tenir, se retourne contre ceu8 qui n'ont m>me pas A faire valoir
qu'ils en viennent et qui, s'ils n'en sont pas au'ourd'hui, ne peuvent pas m>me dire qu'ils en ont
$t$" Camus ne cessera de l'affirmer & il n'a pas appris la mis@re dans les livres, mais dans la vie J il
n'a pas $pous$ la cause de %auche par ou]5dire opportuniste, mais par visc$ralit$ d'enfant rest$
fid@le au8 humiliations et au8 in'ustices subies dans ses 'eunes ann$es J il n'a pas demand$ au8
philosophes de lui e8pliquer la vie avant de l'avoir v$cue, il a v$cu la vie et pens$ ensuite ses
e8p$riences"
#ans ses Carnets 6((" .-39, Camus note des consid$rations sur sa m@re, sur la mis@re
comme %$n$alo%ie d'une sensibilit$, sur la culpabilit$ d'avoir chan%$ de milieu, sur le sentiment
d'un %enre de %rTce A l'ori%ine de cette transfi%uration, sur la m$lancolie de ces temps de v$rit$s
e8istentielles perdus, sur les vertus des humbles, sur le fonctionnement autonome du petit monde
des d$munis dans le %rand reste du monde, sur la nostal%ie de la pauvret$ perdue" ,t Camus
d'a'outer, probablement dans la perspective du livre que deviendra un quart de si@cle plus tard Le
Premier 'omme & ; il faudrait que tout cela s'e8prime par le truchement de la m@re et du fils ?
6((" .-09"
#ans les fra%ments $pars du dossier de ce dernier livre du philosophe, Camus avait not$,
comme un %enre de pro'et e8istentiel constitutif de l'ouvra%e bien sSr, mais aussi de toute son
e8istence & ; Arracher cette famille pauvre au destin des pauvres qui est de disparaWtre de
l'histoire sans laisser de traces" Les Muets" (ls $taient et ils sont plus %rands que moi ? 6(E" -:9"
1uis ceci & ; #evant ma m@re, 'e sens que 'e suis d'une race noble & celle qui n'envie rien ?
6(E" -3-9" LeVon de philosophie e8istentielle radicale"
La r$demption pa]enne
Camus fut donc fid@le au p@re, fid@le A la m@re et fid@le A la pauvret$ de son enfance"
Fid@le A des combats donc & au cXt$ de son p@re, Lucien Camus & abolir la peine de mort, r$sister
A la %uerre, d$noncer toute barbarie, travailler A l'humanit$ de l'homme J avec sa m@re, Catherine
)int@s & lutter contre l'in'ustice, donner la parole au peuple taiseu8, aimer la vertu des simples,
pr$f$rer l'>tre aust@re des pauvres A l'avoir insolent des riches" Y ces visc$ralit$s, Camus a'oute
$%alement celles5ci & fid$lit$ A l'instituteur, Monsieur Iermain, mais aussi au professeur de
philosophie, <ean Irenier, autrement dit passion du livre, de la lecture et de l'$criture, c$l$bration
de la biblioth@que, confiance dans les mots et le pouvoir du verbe"
1arce qu'il n'est pas n$ coiff$, h$ritier dans une famille oN la lan%ue, la litt$rature et la
culture rel@vent de la transmission de classe, Camus consid@re la lan%ue franVaise et le savoir
comme des conqu>tes et non comme un dS" (l a dS apprendre sa lan%ue maternelle comme une
lan%ue $tran%@re, acqu$rir les r$f$rences culturelles comme on conquiert des citadelles" Le r$cit
%$n$alo%ique du Premier 'omme constitue l'e8act antipode des "ots de <ean51aul )artre, h$ritier
bour%eois d'une culture bour%eoise transmise par une famille bour%eoise" EoilA pourquoi Camus
prend la litt$rature au s$rieu8, les mots $%alement, ne parlons pas de la philosophie U nul risque
pour lui de consid$rer l'$criture et la pens$e comme des 'eu8 d'adresse conceptuelle & Camus $crit
avec son san%"
La chance philosophique
; Monsieur Iermain ? fut donc le premier initiateur au Li+re & souvenons5nous des Croi*
de &ois de 7oland #or%el@s" Gn second initiateur se manifeste au moment de la classe de
philosophie, <ean Irenier" Leur premi@re rencontre fut rude" #ans des souvenirs concernant son
$l@ve, Irenier rapporte que, s'inqui$tant de la lon%ue absence de Camus A son cours, et
d$couvrant qu'il manquait pour raisons de sant$, il prit l'initiative d'une visite A son domicile
familial de *elcourt" Le 'eune %arVon fut mutique, silencieu8, r$serv$, farouche" Ombra%eu8, il
r$pondit par monosyllabes au professeur venu sans pr$venir dans cet appartement si modeste"
#$tail a%%ravant & Irenier $tait accompa%n$ par un condisciple de Camus"
Le professeur ne comprit pas la r$action de son $l@ve qu'il prit d'abord pour de l'hostilit$"
1lus tard, Camus donne sa version rapport$e par Irenier dans Al&ert Camus & stup$fait qu'on
puisse s'int$resser A lui au point de lui rendre visite, il avait reVu cette initiative avec le plus vif
plaisir et le plus %rand $tonnement & ; Eous $tieO venu et de ce 'our5lA ''ai senti que 'e n'$tais pas
aussi pauvre que 'e le pensais ? 6!35!09 dit5il A Irenier" Ce fils d'un mort et d'une mutique n'avait
pas encore $t$ sauv$ par les mots" Mais cette visite contribua A la r$demption pa]enne"
Le %este de <ean Irenier est de ceu8, en effet, qui ouvrent un monde inconnu A
l'adolescent" L'adoubement d'un adulte familier des mots, des te8tes, de la lecture, de l'$criture, du
livre lu et du livre si%n$ de son nom, a%it en initiation" Loin de la %rTce divine descendue du ciel,
Irenier offre une chance, autrement dit la possibilit$ e8istentielle d'un choi8 de vie
philosophique, d'une e8istence inde8$e sur la litt$rature" Le professeur dit A son $l@ve qu'il e8iste,
de ce fait, il le fait e8ister" #@s lors, de faVon performative, il se trouve A l'ori%ine d'une naissance
e8istentielle"
La boucherie et la biblioth@que
<eune %arVon pauvre, Camus fut tr@s tXt malade & la tuberculose se d$clare en effet en
d$cembre !-: U il a di85sept ans, il arr>te le lyc$e et quitte le lo%ement familial pour vivre un
temps cheO son oncle Iustave Acault, une fi%ure $tonnante, puisque ce boucher semble avoir $t$
un lecteur de <oyce" 1lac$ dans une maison saine, $clair$e, lumineuse, il peut aussi man%er de la
viande en quantit$ et le corps m$dical compte sur la vertu du r$%ime carn$ pour lui redonner un
peu de force et de sant$" Ce tueur de bBufs est franc5maVon, $clair$, cultiv$, intelli%ent" ,ntre
deu8 $quarrissa%es, il lit les classiques ran%$s dans sa biblioth@que U mais aussi Eal$ry ou
Maurras, ou bien le socialiste libertaire Charles Fourier" Eoltairien, l'homme ach@te les 'ournau8
et se tient au courant" Camus dira A <ean Irenier que le boucher avait $t$ militant anarchiste D Les
conversations r$unissent le neveu et son oncle" Cous les su'ets y passent" Iustave voit Camus en
professeur de lyc$e, ce qui ne l'emp>che pas de vouloir lui transmettre la boucherie & on peut, dit5
il, vendre du biftecK le 'our et s'adonner librement A la litt$rature une fois le rideau baiss$ D
,nfant, Camus lit comme il vit & avec avidit$" La lecture permet d'$chapper au monde au
profit d'une r$alit$ oN l'h$ro]sme et le panache des romans de cape et d'$p$e prennent toute la
place et font disparaWtre la crasse et la mis@re du quartier pauvre d'Al%er" Le feuilletoniste Michel
[$vaco, anarchiste revendiqu$, emballe le 'eune %arVon avec 1ardaillan, sa cr$ature litt$raire qui
affirme & ; <e ne d$sire >tre que d'une maison & la mienne ?" Puatre ans avant que )artre $crive
dans Les "ots combien il devait A ce romancier et A ses h$ros qui, seuls contre tous, incarnent la
r$bellion de l'individu faisant triompher la morale contre la corruption des puissants, Camus
souscrit A cette fi%ure libertaire refusant toute su'$tion A quelque pouvoir que ce soit au nom des
principes chevaleresques U de %auche"
La biblioth@que municipale, un monument de la 7$publique la]que, fonctionne avec une
'eune institutrice b$n$vole au physique in%rat" Camus pr$l@ve les livres au hasard des rayonna%es,
feuillette, lit la quatri@me de couverture, appr$cie le titre, re%arde la table des mati@res, soup@se le
volume, et embarque deu8 livres chaque fois, au petit bonheur la chance" (l lit beaucoup, tout et
n'importe quoi, de bons et de mauvais ouvra%es U mais y atil vraiment de mauvais livres A cette
$poque Q
Ces lectures laissent de fortes traces sur cette 'eune Tme d$sireuse de savoir, d'aventure,
de culture" Camus parle d'ivresse, d'avidit$, de 'oie, de puissantes $motions, de transports" (l
raconte que l'ob'et5livre le s$duit aussi & l'odeur de la colle, le parfum du papier, les effluves
$chapp$s A l'ouverture d'un volume de la collection +elson ou Fasquelle, le toucher des reliures et
des couvertures, leurs %ranulations rTpeuses, la typo%raphie aussi U Camus n'aime pas la licence
esth$tisante, sinon mallarm$enne, des %randes mar%es et des mots en petites quantit$s, il veut la
pa%e satur$e de caract@res, le plus petit intervalle possible entre le placard imprim$ et le bord de
la pa%e, un interli%ne minimum, pour une nourriture spirituelle compacte, dense, forte, puissante"
Gne promesse de richesses in$puisables d@s le coup d'Bil sur une pa%e ouverte au hasard"
La lecture est une asc@se & la concentration sur le te8te efface le monde alentour" 1lus
d'institutrice in%rate, plus de rayonna%es, plus d'autres livres, plus de biblioth@que, plus de voisins
lecteurs, plus de copain A ses cXt$s, plus d'e8t$rieur A la salle de lecture non plus, plus de rue, plus
de passants" 1our l'enfant c'est $%alement & plus de p@re mort, plus de m@re silencieuse, plus de
%rand5m@re frappeuse, plus de mis@re, plus de pauvret$, mais le monde A port$e d'intelli%ence" Gn
univers s'efface au profit de mille autres" *elcourt s'estompe, le reste de la plan@te s'offre alors en
or%ie de r$els possibles"
)orti de la biblioth@que, il serre sous son bras les tr$sors emprunt$s" La lumi@re des
r$verb@res permet de commencer la lecture dans la rue" La psych$ du futur philosophe se nourrit
de ce monde in$dit, m$connu, inconnu" Camus d$couvre le formidable pouvoir des mots, la
ma%ie de la lecture, l'immense puissance des livres" 7entr$ cheO lui, il pose le volume sur la toile
cir$e de la table de la cuisine, le place sous le rond de lumi@re de la lampe A p$trole, l'ouvre et le
lit" Le monde autour de lui disparaWt J il entre de plain5pied dans un univers qui le sauve" Le livre
ramasse le monde des antimondes"
Lorsqu'il lit, l'enfant plon%e dans les eau8 lustrales de la culture" Puand il rel@ve la t>te, il
montre A sa m@re un re%ard $tran%e, ha%ard, tel un into8iqu$ revenant A la lumi@re, A l'air du
monde, A la vie, A la surface" )a m@re re%arde le livre comme un ob'et qui lui $chappe" ,lle ne
voit que la 'u8taposition de deu8 rectan%les verticau8, deu8 pav$s noirs que, parfois, elle parcourt
du bout des doi%ts, A la mani@re d'une aveu%le cherchant le sens en sollicitant les improbables
asp$rit$s du braille" Avec sa main d$form$e par le travail, elle caresse la t>te de son fils qui ne
r$pond pas" ,lle soupire" Camus rapporte que, sortant de la lecture, re%ardant sa m@re, il la
percevait comme une $tran%@re"
Les livres ne se r$duisent pas au8 lectures de Monsieur Iermain, au8 conseils de l'oncle
boucher ou au8 emprunts effectu$s A la biblioth@que municipale" Ce sont aussi les volumes
offerts le 'our de la distribution des pri8" Labituellement, ni la m@re ni la %rand5m@re ne
franchissent les portes du coll@%e ou du lyc$e" )auf le 'our de cette c$r$monie r$publicaine de fin
d'ann$e" Au lyc$e, Camus ne parle pas de sa famille J A sa famille, il ne parle pas du lyc$e"
Labill$es avec des v>tements de pauvres, parfum$es, appr>t$es, les deu8 femmes portent les
habits du dimanche, un peu v$tustes, inappropri$s, pas A la mode, mais propres et fraWchement
repass$s"
#ans l'$cole pavois$e, d$cor$e avec force plantes vertes, un orchestre militaire accueille
les familles" (l 'oue La "arseillaise et accompa%ne les diff$rents moments de la c$r$monie &
discours des officiels, du proviseur, du plus 'eune professeur, annonce des classements,
distribution officielle des diplXmes et remise des paquets de livres enrubann$s" La m@re $coute
sans entendre, la %rand5m@re entend sans comprendre" 1our les meilleurs, les laur$ats %rimpent
sur l'estrade, reVoivent les f$licitations, repartent les bras char%$s et, avant d'emprunter les
escaliers qui les reconduisent au parterre, ils re%ardent dans la salle les parents $mus" Cout se
passe vite" La famille ne comprend pas tout"
7entr$e cheO elle, la %rand5m@re demande A son petit5fils de corner les pa%es du palmar@s
oN apparaWt son nom afin, le lendemain, de montrer au8 voisins les succ@s du %arVon" Camus
re%arde alors enfin ses livres avec %ourmandise" )a m@re revient apr@s avoir remis$ les habits de
c$r$monie dans le placard" La lumi@re baisse" Les premiers $claira%es de la rue vacillent" #es
promeneurs anonymes passent" La m@re d'Albert sourit et dit & ; Cu as bien travaill$ ? 6(E" /-.9"
,lle n'en dira pas plus" Mais, tout $tant dit, A quoi bon en ra'outer Q Le futur philosophe apprend
avec cette parcimonie verbale de la m@re que les mots sont A prendre au s$rieu8 U il passera sa vie
A en user au tr$buchet"
1laisir A La #ouleur
Au lyc$e, Camus d$couvre les cours de philosophie" )i l'on en croit les rapports r$di%$s
par les directeurs d'$tablissement et les inspecteurs l'ayant not$, <ean Irenier s'av@re mauvais
professeur & pas p$da%o%ue, trop 'eune, voi8 faible, trop th$orique, pas clair, incapable d'illustrer
son propos pour le rendre compr$hensible, asseO peu dou$ pour la discipline, lunaire, ne
disposant pas de l'autorit$ naturelle au vu de laquelle les repr$sentants de l'administration de
l'Fducation nationale distribuent les bonnes notes, ce professeur de philosophie qui est aussi
philosophe s$duit tout de m>me une poi%n$e d'$l@ves U dont Camus"
Le dimanche, le futur auteur d'6nspirations méditerranéennes et des Gles reVoit en petit
comit$ certains de ses $tudiants dans sa maison d'Lydra, sur les hauteurs d'Al%er, avec vue sur la
mer" )ur le mode socratique, il entretient ces 'eunes Tmes fou%ueuses de litt$rature, de
philosophie, de politique" (l leur conseille la philosophie e8istentielle de Chestov ou la Recherche
du temps perdu, mais aussi La #ouleur d'Andr$ de 7ichaud, un petit livre appel$ A produire un
$lectrochoc sur Camus"
Ce te8te simple, l$%er, facile, sans %rande pr$tention, vite lu, marque Camus qui y trouve
un profit e8istentiel" #'abord, Andr$ de 7ichaud est un fils de soldat tu$ A la 1remi@re Iuerre
mondiale" 1upille de la nation, il est $lev$ par son %rand5p@re instituteur qui recueille la 'eune
veuve U qui meurt en !-2:" Apr@s des $tudes de philosophie et de droit, il devient professeur de
philosophie avant d'$crire ce livre en !-:, puis d'>tre vivement soutenu par le %rand <oseph
#elteil auquel il avait consacr$ une $tude trois ans en amont" La bio%raphie de l'auteur entrait
donc en r$sonance avec celle de Camus"
#e m>me avec la th$matique de La #ouleur, un roman simple qui rapporte sans effets
comment une 'eune veuve ayant perdu son $pou8 officier au front tombe amoureuse d'un
prisonnier allemand qui part le 'our oN, %rimp$e dans la chambre avec une lampe A p$trole pour le
voir partir, elle chute dans l'escalier en mettant le feu A la maison U le tout sous l'Bil de son 'eune
fils qui a assist$ A la naissance de cette idylle, A ses manifestations, A sa d$ch$ance et A sa fin"
; Ce livre est un livre de nuit ? 6-29, $crit de 7ichaud" 1our la th$matique, certes" Mais
pour Camus c'est un livre de lumi@re & le 'eune homme d$couvre en effet qu'on peut $crire ce
%enre d'histoire, donc son histoire, du moins une histoire proche de la sienne, et en faire de la
litt$rature, un livre, un roman, un r$cit" (l apprend qu'on peut mettre des mots sur les silences de
sa m@re car, entre les li%nes de ce roman, on peut $%alement lire l'histoire de Catherine )int@s et
de son amoureu8 marchand de poissons" #@s lors, cette mise en abWme permet A Albert Camus
enfant de s'identifier au petit h$ros triste de La #ouleur" 1lus tard, Camus s'e8cusera d'avoir
accord$ une place importante A ce livre qui, relu A l'T%e adulte, lui apparut comme un ouvra%e
pour adolescents" <ustement" Lu A cet T%e, avec l'Tme de l'adolescent qu'il fut, Camus d$couvre A
cette $poque que, disposant d'un mat$riau e8istentiel asseO semblable, il pourrait $crire lui aussi"
1remi@res lectures, premi@res $critures
+on loin de la boucherie de l'oncle Acault se trouve une librairie tenue par deu8 femmes"
Camus fr$quente l'endroit" )es amis lui pr>tent des livres qu'ils s'$chan%ent" (l lit %oulSment,
beaucoup de litt$rature, les %rands noms, certes, les romanciers am$ricains contemporains, les
te8tes des mystiques rh$nans ou La )haa+ad8HtI, )chopenhauer et +ietOsche" L'un de ses amis,
Claude de Fr$minville lit 1roudhon U tous deu8 parlent de ce th$oricien franVais d'un anarchisme
pra%matique, loin de tout mill$narisme r$volutionnaire, qui propose la r$volution ici et
maintenant par la coop$ration, la f$d$ration, la mutualisation" Puand Camus pense un pro'et
concret pour l'Al%$rie d$chir$e, ou pour une ,urope post5nationale, sinon pour un %ouvernement
mondial, il d$veloppe un f$d$ralisme dans une perspective proudhonienne" <'y reviendrai"
Le lo%ement cheO l'oncle anarchiste et voltairien ne dure pas & l'amateur de <oyce et du
drapeau noir trouve en effet que son neveu invite trop de 'eunes filles dans sa chambre" #@s lors,
Camus d$m$na%e et occupe diff$rents lo%ements dans Al%er, rencontre une 'eune fille qui se
dro%ue, tombe amoureu8 d'elle, l'$pouse" )a sant$ ne s'am$liore pas, il subit des s$ances
d'insufflation A l'hXpital tous les quinOe 'ours" Y l'$poque, dandy en tout, il sait que sa vie sera
courte, qu'il faut donc en profiter, la brSler avec l'ardeur d'une 'eunesse plac$e sous le si%ne de
l'incandescence"
!-::, <ean Irenier publie Les Gles" ,n classe de terminale, l'ann$e suivante, T%$ de di85
neuf ans, Camus a d$'A publi$ quelques te8tes en revue sur 1aul Eerlaine, <ehan 7ictus, Fr$d$ric
+ietOsche et Lenri *er%son" #ans ces pa%es, le 'eune homme au san% chaud fait la leVon A ceu8
qui pensent que Eerlaine a p$ch$ sans le savoir et pri$ en i%norant J il peste sur les sp$culateurs
de la mis@re qui la m$connaissent, au contraire de 7ictus qui, lui, la connaWt J il disserte sur la
musique cheO )chopenhauer et rTle contre +ietOsche, coupable de n'avoir pas vu que son
esth$tique $tait r$alis$e par 2a%ner, il tance le philosophe allemand pour son usa%e pol$mique de
*iOet J il opte pour )travinsKy contre #ebussy J il avoue >tre d$Vu par la lecture des #eu* sources
de la morale et de la reliion et pr$tend que l'Buvre de *er%son est A venir D #ans la foul$e, le
'eune homme fou%ueu8 qui note la copie de *er%son passe la deu8i@me partie de son
baccalaur$at et d$croche une mention asseO bien"
La conversion e8istentielle
Y vin%t ans, Camus lit Les Gles de <ean Irenier" C'est l'illumination" #ans la pr$face que
l'ancien adolescent devenu 1ri8 +obel $crit pour une r$$dition, le quadra%$naire rend homma%e A
son vieu8 maWtre, par5delA plus d'un quart de si@cles de relations pas aussi lumineuses que la
l$%ende le pr$tend U 'e pr$ciserai" Camus parle d'un $branlement, d'un choc, d'une r$v$lation et
d'une influence" Ce livre fut l'occasion d'une conversion philosophique" Le 'eune homme
pratiquait avec insolence l'h$donisme l$%er de la pla%e, des 'eunes filles, des copains, de la
natation, de la mer, du soleil, du sable chaud et de la lumi@re, c'$tait un pa]en vouant un culte
simple et direct, quasi barbare, A #ionysos ou au Irand 1an"
<ean Irenier arrive en maWtre de sa%esse" Certes, il consent A cet amour furieu8 pour le
monde, mais il pr$cise que ce r$el fu%ace passera, car il est l'apparence, mais qu'il faut tout de
m>me l'aimer d$sesp$r$ment" Ce )ocrate en d$senchantement initie Camus et quelques5uns de
ses amis ( la culture" La r$alit$ sensible A laquelle le 'eune homme sacrifiait en toute innocence
se double d'une invitation A saisir la nature pr$caire de ces divertissements au sens pascalien"
#erri@re les beau8 corps, le plaisir de la va%ue et la 'oie du soleil sur la peau, se trouve la mati@re
noire du monde" ON se reposer de ce qui repose du monde quand on en a fait une reli%ion
pa]enne Q +ulle part, nous dit Irenier U ou bien ailleurs, dans l'ima%inaire et l'invisible, le
myst@re et le sacr$" #$couvrir la finitude de l'homme emp>che de croire que le plaisir simple
suffit A remplir une vie"
Camus a'oute & ; Y l'$poque oN 'e d$couvris Les Gles, 'e voulais $crire, 'e crois" Mais 'e
n'ai vraiment d$cid$ de le faire qu'apr@s cette lecture ? 6(E" 02:9" La relation de ce maWtre A ce
disciple donne tort au8 sp$culations fautives d'un Le%el pour qui la lutte des consciences de soi
oppos$es e8i%e tou'ours la mise A mort de l'un des deu8" )elon Camus, sa relation avec <ean
Irenier fut un dialo%ue, un $chan%e, une confrontation sans servitude ni ob$issance, une
imitation au sens spirituel du terme" Lorsque le maWtre r$ussit son initiation, le disciple prend seul
son envol, et le maWtre s'en r$'ouit" Celui qui apprend n'oublie pas et se souvient avec nostal%ie du
moment oN il recevait tout et croyait ne 'amais pouvoir rendre"
Y l'heure oN il met un point final A cette pr$face, en !-3/, Camus redit sa dette, e8plique
sa chance, raconte la transfi%uration, e8prime sa %ratitude" (l souhaite que le livre trouve A
nouveau des lecteurs qui ressembleraient au 'eune homme des ann$es !-: & des adolescents
s'emparant du livre comme d'un tr$sor, d'un butin, le serrant sous le bras, partant, fi$vreu8, vers
leurs chambres, d$vorant ces pa%es pour en sortir m$tamorphos$s, d$sireu8 de cr$er ; les instants
du oui ? 6(E" 0229 du 'eune homme h$doniste qui a'oute au %rand p$an corporel en acte une
pens$e tra%ique transfi%urant cette passion m$diterran$enne en vision du monde, en philosophie,
en esth$tique, en politique" Alors l'Buvre vint"
! )ur la d$nonciation des massacres de tous ordres, en particulier dans La Peste, voir
cahier photos, p" 453"
2 )ur le combat de Camus contre la peine de mort, voir cahier photos, p" 2"
: )ur l'h$rita%e du p@re de Camus, voir cahier photos, p" !"

2
La volont$ de 'ouissance
Pu'est5ce qu'>tre nietOsch$en Q
; Le monde est beau et, hors de lui, point de salut ?"
Camus, 2oces 6(" !:49

Gn philosophe nietOsch$en
Pue faut5il entendre par cette phrase $crite par Camus en !-34 & ; <e dois A +ietOsche une
partie de ce que 'e suis ? 6(((" -:.9 Q On sait d$sormais qu'une %rande partie de l'Buvre et de la
pens$e du philosophe s'enracine dans la fid$lit$ A son enfance" Puelle est cette autre partie
livresque revendiqu$e comme fondatrice Q Camus philosophe niet5schéen constitue une aventure
bien peu racont$e D Mais on comprend que +ietOsche puisse fonctionner en antidote A Le%el cheO
ce penseur de la radicalit$ immanente" 1lutXt Le 4ai Sa+oir nietOsch$en que la dialectique
h$%$lienne de la Phénoménoloie de l'esprit"
Fvitons tout malentendu en e8pliquant d'abord ce que si%nifie /tre un philosophe
niet5schéen" Le lieu commun d'une historio%raphie douteuse assimile platement /tre niet5schéen
et /tre 2iet5sche" Cette sotte appr$ciation suppose qu'un nietOsch$en devrait reprendre A son
compte la totalit$ des pens$es de +ietOsche et se faire le r$p$titeur docile de ce qu'aura $crit le
philosophe allemand du premier au dernier livre" #@s lors, pour >tre nietOsch$en, il faudrait
recycler les propos de +ietOsche sur )ocrate et l'id$al d$mocratique, adorer 2a%ner puis le
d$tester avant de lui pr$f$rer *iOet, >tre fascin$ par )chopenhauer mais aussi cesser de l'>tre un
'our pour entreprendre de d$passer son nihilisme, croire A la th$orie de l'$ternel retour, souscrire
au m$canisme ontolo%ique du surhomme, effectuer une m>me critique de l'id$al asc$tique 'ud$o5
chr$tien, assimiler le socialisme au christianisme comme id$olo%ies du ressentiment, etc" Ce qui
est ridicule"
Car oN se trouve le corpus A v$n$rer Q +ietOsche a $volu$, il a brSl$ ce qu'il a d$test$, il a
d$chir$ des livres 'adis ador$s, il a cru au salut de l',urope par l'op$ra Za%n$rien avant
d'incendier symboliquement *ayreuth, il a remplac$ le compositeur de la %étraloie par un
Fpicure r$chauff$ au soleil de 1ortofino et 7apallo, avant de donner naissance A son proph@te
accompa%n$ d'un ai%le et d'un serpent" Faudrait5il emprunter le m>me chemin que l'auteur d'Ainsi
parlait Jarathoustra et marcher dans tous les sentiers trac$s par lui Q
+ietOsche $crit dans ; #e la vertu qui donne ?, un chapitre du Jarathoustra & ; On n'a que
peu de reconnaissance pour un maWtre, quand on reste tou'ours $l@ve ?" Le bon maWtre apprend A
ce qu'on se d$prenne de lui, il carto%raphie le r$el, mais n'$crit pas le chemin et laisse A son
disciple le soin d'$crire sa route dans un univers dont il a dress$ la carte avec lui" Le temps de la
relation avec le maWtre co]ncide avec celui de l'$tablissement des atlas et des portulans U m>me si
le temps d'apr@s continue la relation puisqu'on se trouve sur une route cherch$e pr@s de l'ancien"
,n ce sens, +ietOsche a $t$ un bon maWtre pour Camus"
1enser A partir de +ietOsche
Htre nietOsch$en ne consiste donc pas A penser comme lui, mais A partir de lui" Autrement
dit, fort de ses analyses et de ses constats, raisonner en re%ard de ses d$couvertes fondamentales &
son dia%nostic $tay$ et ri%oureu8 du nihilisme europ$en J son invitation A d$passer l'id$al
asc$tique du 'ud$o5christianisme J sa proposition de nouvelles valeurs et de nouvelles possibilit$s
d'e8istence J son ontolo%ie radicalement immanente J sa passion pour la philosophie %recque
avant )ocrate J sa destruction de toute m$taphysique occidentale au profit d'une physique de la
volont$ de puissance J sa crainte devant la mont$e d'un socialisme abreuv$ au8 sources du
nihilisme et nourri au8 passions tristes J sa passion pour la lumi@re m$diterran$enne contre les
brumes du nord J sa pens$e ni optimiste ni pessimiste, mais tra%ique J son invitation A la vie
philosophique J son art de penser en dehors de l'institution universitaire J sa fi%ure du philosophe
artiste J sa pens$e de la douleur comme occasion de force U le fameu8 ; ce qui ne me tue pas me
fortifie ? du 4ai Sa+oir U et tant d'autres id$es architectoniques d'une pens$e hors institution"
Camus aime le style de +ietOsche & style de pens$e, style e8istentiel, style d'$criture, style
de vie" Les citations du philosophe abondent dans ses huit carnets & sur les Irecs, la douleur, le
style du ME((
e
si@cle, la morale au sens des moralistes, la tendresse, la vie philosophique, l'amor
9ati, la folie, Lou )alom$, les artistes comme hommes reli%ieu8, I>nes, la maladie, la solitude, la
douleur, le retour $ternel, l'amour de la vie, la maison et les rues de Curin, le th$Ttre, le bordel de
LeipOi%, 2a%ner et *urcKhardt, l'incendie du Louvre, le pro'et de di8 ans de silence et de
m$ditation, l'$lo%e de +apol$on, le souhait de son enterrement pa]en A 7dcKen" Coutes ces
citations, tous ces renvois, toutes ces notes constituent un autoportrait en nietOsch$en" Gn
autoportrait au8 fra%ments"
)i l'on prend soin de d$finir le nietOsch$en non pas comme celui qui fait de +ietOsche une
fin A dupliquer mais un commencement A d$passer, alors Albert Camus fut l'un des %rands
philosophes nietOsch$ens du MM
e
si@cle U peut5>tre m>me le plus %rand" Car, loin de la somme
obscure des cours de Fribour% dispens$s par Leide%%er, au8 antipodes d'un #eleuOe lisant La
Volonté de puissance A la lumi@re %auchiste de Mai 0/ ou de #errida d$construisant
syst$matiquement le te8te et l'archive sans souci de la vie philosophique, sans parler des %loses
d'universitaires qui embrument une pens$e claire avant eu8, Camus a pris +ietOsche au s$rieu8
comme un sa%e invitant A vivre en nietOsch$en" #'oN cette citation du philosophe allemand
consi%n$e en e8er%ue au septi@me cahier qui ramasse les pens$es not$es entre mars !-3! et
'uillet !-34 & ; Celui qui a conVu ce qui est %rand doit aussi le vivre ? 6(E" !!39" Gne h$r$sie
pour les universitaires"
Gne lon%ue histoire d'amour
L'histoire d'amour entre le philosophe de 7dcKen et celui d'Al%er commence de bonne
heure" ,lle se termine avec la mort de l'auteur de L''omme ré+olté" #ans ses dissertations de
lyc$en, Camus use et abuse de +ietOsche" (l en d$calque la pens$e, notamment sur les Irecs, et
d$marque le style flamboyant, lyrique" ,n 'uin !-:2, T%$ de di85neuf ans, l'$l@ve publie une $tude
sur 2iet5sche et la musique dans Sud, une revue fond$e par des lyc$ens de la classe de
philosophie de <ean Irenier" Avant publication, il a soumis ses vin%t5si8 pa%es A son professeur
qui a corri%$, amend$, comment$"
Camus d$veloppe une pens$e bien tenue et montre une connaissance e8acte des te8tes
utiles A l'$tablissement de sa th@se et A la r$daction de son article & les pa%es de )chopenhauer sur
la musique dans Le "onde comme +olonté et comme représentation, celles de La 2aissance de la
traédie de +ietOsche, mais aussi Le Cas =aner et 2iet5sche contre =aner" #ans sa
biblioth@que, des annotations dans le te8te et une date sur la pa%e de %arde de son volume d'1cce
homo permettent de savoir qu'il lisait et annotait ce livre d@s !-:2 U l'$poque de la r$daction de ce
premier te8te donc"
Le 'eune Camus d$fend la th@se du premier +ietOsche, encore tr@s schopenhau$rien, pour
qui l'art ne saurait >tre r$aliste, puisque sa fonction est consolatrice" Face au caract@re in$luctable
et tra%ique de la volont$ de puissance, qui n'est encore A peu pr@s cheO +ietOsche que ; vouloir ?
au sens donn$ par )chopenhauer, l'art nous sauve du monde, il nous permet d'$chapper A la
tyrannie de la n$cessit$ et nous conduit dans un univers de r/+e U l'id$e et le mot ne se trouvent ni
cheO )chopenhauer ni cheO +ietOsche qui assi%nent A l'art une autre fonction que d'y conduire"
)elon Camus, parce qu'elle permet de r$aliser cet id$al, la musique incarne l'art le plus
parfait" 1our )chopenhauer elle l'est v$ritablement, certes, non pour sa capacit$ A nous e8filtrer
du vouloir afin de nous mener au r>ve, mais par son pouvoir de nous donner A entendre 6au8 deu8
sens du terme9 le ; vouloir5 vivre ? dans sa forme la plus quintessenci$e" ,lle fournit donc moins
l'occasion du r>ve A m>me de nous sortir du monde que la possibilit$ de contempler un monde
dont on ne sort pas" Camus aborde la m$taphysique de l'art en romantique s$duit par le
dionysisme"
#ans la biblio%raphie de ce te8te d'e8tr>me 'eunesse apparaissent des ouvra%es de
professeurs, mais aussi, et surtout, un $tran%e renvoi A l'une des 1nnéades de 1lotin ayant pour
titre ; #u *eau ? 6(" 09" #ans ce te8te, le philosophe ale8andrin d$veloppe l'esth$tique n$o5
platonicienne & l'e8istence d'(d$es en soi J le r$el comme participation au8 (d$es J la n$cessit$ de
la purification, autrement dit de la s$paration de l'Tme d'avec le corps, pour parvenir A la
contemplation des essences J la remont$e en direction de l'Gn5*ien vers lequel tendent toutes les
Tmes J l'invitation A tout quitter de ce monde pour parvenir A l'essentiel J la proposition d'une vie
philosophique permettant de construire l'Tme belle susceptible d'acc$der d'abord au8 belles
choses, ensuite A la *eaut$ en soi" 1lotin sera, avec Au%ustin, le philosophe du diplXme
universitaire de Camus" 1our l'heure, avec +ietOsche et )chopenhauer, il se retrouve dans un
$tran%e attela%e philosophique conduit par l'auteur d'Aurore"
)ur la question de la musique et de sa fonction, Camus n'est donc ni schopenhau$rien, ni
nietOsch$en, ni plotinien, bien qu'il pense A partir de ces trois philosophes" #$'A lui5m>me, il
donne A l'art une place cardinale" L'orphelin, le fils de pauvre, l'enfant solitaire, le petit %arVon
vivant avec une m@re mutique e8prime moins la pens$e de ces philosophes ma'eurs que la
sienne & il sait que le livre et la lecture le sortent de son monde et lui font acc$der au r>ve" (l
e8p$rimente r$%uli@rement le pouvoir consolateur de l'Buvre d'art" Le petit chanteur accompa%n$
par son fr@re au violon a %randi J A di85neuf ans, il parle d$sormais contre #ebussy et pour
)travinsKy, probablement d$couverts cheO son professeur de philosophie, bien que l'oncle Acault
poss@de lui aussi un phono" (l sait que l'art permet de s'$vader pour l'avoir e8p$riment$
concr@tement" #@s lors, il peut souscrire A cette phrase que +ietOsche $crit dans Le Li+re du
philosophe & ; +ous avons l'art pour ne pas mourir de la v$rit$ ? U il la sait vraie"
,n dehors du su'et ; +ietOsche et la musique ?, Camus re%rette dans ce te8te que circulent
de fausses interpr$tations du philosophe allemand" (l d$plore qu'on transfi%ure en une proposition
$%o]ste son invitation A souscrire avec 'ubilation au monde tel qu'il se manifeste" La v$rit$ de
l'ontolo%ie nietOsch$enne ne se lit pas en re%ard de consid$rations de morale moralisatrice & la
lecture tra%ique du r$el comme il est, A savoir pure volont$ de puissance, se double d'une
e8hortation A vouloir avec passion ce vouloir qui nous veut, seule faVon d'instiller un peu de
libert$ dans un monde de pure n$cessit$" 7ien A voir avec la passion triste qui consiste A tout
ramener A soi U A cette aune, le christianisme lui aussi serait un $%o]sme"
Camus aime en +ietOsche le pessimiste qui refuse de s'avouer tel" (l voit son optimisme
volontariste comme une tentative d$sesp$r$e de ne pas sombrer dans le pessimisme" (l aurait pu
r$cuser le caract@re op$ratoire de l'opposition entre pessimiste et optimiste au profit d'une autre
%rille de lecture & le pessimiste voit le pire partout, l'optimiste le meilleur dans chaque chose,
alors que le tra%ique ne voit ni le meilleur ni le pire, ni le bien ni le mal, ni le bon ni le mauvais,
mais le r$el tel qu'il est U ce qui d$finit le tra%ique" 1uis il invite A aimer ce qui est"
Le nietOsch$isme, effets secondaires
Htre nietOsch$en A vin%t ans c'est souvent en afficher une caricature" Le 'eune Albert
Camus vit en dandy" (l porte des v>tements choisis, un costume %ris perle, des chaussures brun5
'aune, mais le v>tement e8iste en un seul e8emplaire et la semelle des souliers part en lambeau8"
(l $crit A son ami Fr$minville des lettres incandescentes l'invitant A devenir m$chant et
or%ueilleu8, A afficher une 'oie insultante, A >tre ce qu'il est" (l tient les autres A distance, refuse
qu'on le tutoie, r$crimine si l'on s'attable pr@s de lui en terrasse" Mais cette vanit$ surfaite trahit
l'enfant bless$, $corch$, qui blesse et $corche parce qu'il ne sait pas encore passer, outre au8
passions tristes"
,n 'uin !-:4, Camus $pouse )imone Li$ enlev$e A son ami Ma851ol Fouchet" *elle
brune au8 yeu8 verts, cynique, %rande, sensuelle, s$ductrice, peu farouche, elle cite les
surr$alistes, chante des chansons obsc@nes, paie avec de %rosses coupures, porte des talons
ai%uilles et s'enveloppe dans une $tole en renard" ,lle est aussi morphinomane" Camus a vin%t
ans, elle di85neuf, ils se vouvoient, passent leur nuit de noces chacun cheO ses parents" La m@re
du philosophe questionne son fils sur son cadeau de maria%e & il demande une douOaine de paires
de chaussettes blanches" ,n 'uillet !-:0, A 1ra%ue, Camus d$couvre que sa femme le trompe avec
le m$decin qui lui fournit ses doses" )$paration" Le dandy souffre et nourrit de ses douleurs ; La
mort dans l'Tme ? dans L'1n+ers et l'1ndroit" #ivorce en f$vrier !-4"
La philosophie de +ietOsche a%it comme un alcool fort" 1cce homo ou Par8del( &ien et
mal ne laissent pas indemne l'adolescent tout 'uste sorti d'une enfance sombre" La premi@re
rencontre du philosophe allemand, quand elle est une lecture de 'eunesse, produit des effets
secondaires U dont le dandysme" Gne lecture rapide fait commettre des contresens, tels ceu8 des
lettres A Fr$minville & l'or%ueil, la force, l'immoralisme, la m$chancet$ constituent moins des
invitations A >tre que des symptXmes du mode chr$tien d'e8pression de ce que nous sommes
quand nous consentons au monde" +ietOsche n'invite pas positivement A l'immoralisme, il veut
que nous aimions le destin contre lequel nous ne pouvons rien & dans cet amour et dans ce destin
se trouvent ce que les chr$tiens nomment or%ueil, immoralisme, m$chancet$"
Mais Camus ne peut A vin%t ans saisir ce que seules des ann$es de m$ditation de l'Buvre
compl@te permettent de comprendre" On ne peut demander au 'eune homme sortant de classe
terminale d'avoir compris le plus comple8e de l'ontolo%ie nietOsch$enne" On ne saurait encore
moins lui en vouloir de s'essayer au nietOsch$isme et A la vie philosophique sans y parvenir d@s le
premier essai" +ietOsche qui philosophe au marteau se sert d'un instrument qui n$cessite un
apprentissa%e" Le dandysme constitue un moment touchant dans la vie de l'apprenti nietOsch$en"
Le compa%nonna%e avec +ietOsche
L'histoire d'amour avec +ietOsche est donc ancienne" Mais cette passion de 'eunesse
s'affine avec le temps pour devenir un compa%nonna%e de tous les T%es, et ce 'usqu'A la derni@re
heure" ,n effet, le philosophe mondialement connu qu'$tait devenu le fils de pauvre du quartier
de *elcourt est mort, on le sait, d'un accident de voiture le 4 'anvier !-0 A Eillebl$vin pr@s de
Montereau dans l'eonne, lors d'un voya%e de retour de Lourmarin vers 1aris" Les ima%es sont
connues & voiture pulv$ris$e, d$chiquet$e, des morceau8 du v$hicule r$pandus A des distances
incroyables" Les conditions de sortie de route de la Facel5Ee%a semble5til habitu$e A ce %enre de
catastrophe ne sont pas i%nor$es non plus" Le cartable noir d'Albert Camus a $t$ pro'et$ dans le
champ boueu8" #ans cette serviette se trouvaient des papiers d'identit$, des photos personnelles,
une pi@ce de th$Ttre, l':thello de )haKespeare, son 'ournal, le manuscrit du roman en cours, Le
Premier 'omme U et Le 4ai Sa+oir de +ietOsche"
#u 'eune dandy de di85neuf ans 6!-:29 qui fait de l'art la consolation des douleurs d'>tre
au monde au philosophe mondialement respect$ de quarante5si8 ans 6!-09 qui meurt un
e8emplaire du 4ai Sa+oir dans sa sacoche, la pr$sence de +ietOsche s'av@re constante dans cette
br@ve e8istence philosophique" (l ne cessera de le lire, le relire, le m$diter, l'annoter, d'y revenir,
de le citer" )a biblioth@que comportait nombre de livres du philosophe allemand, mais $%alement
des ouvra%es sur lui, dont les trois %ros volumes du 2iet5sche, sa +ie et sa pensée de Charles
Andler"
,n !-3 paraWt Actuelles" Le livre r$unit ses chroniques publi$es entre !-44 et !-4/"
Outre le titre qui fait son%er au8 Considérations inactuelles de +ietOsche, l'Buvre s'ouvre sur un
e8er%ue e8trait du Voyaeur et son om&re 6f 2/49 & ; (l vaut mieu8 p$rir que ha]r et craindre J il
vaut mieu8 p$rir deu8 fois que se faire ha]r et redouter J telle devra >tre un 'our la supr>me
ma8ime de toute soci$t$ or%anis$e politiquement ? 6((" :.49" Camus d$dicace ce livre A son ami
7en$ Char U nietOsch$en lui aussi" (l restera fid@le A ce titre puisqu'il rassemblera A trois reprises
ses articles, chroniques, entretiens et te8tes divers" ,n !-34, dans son appartement parisien du
4, rue de Chanaleilles oN il se replie un temps pour pouvoir $crire tranquillement, Camus avait
affich$ dans son bureau un portrait de Colsto], un autre de sa m@re pos$ sur un lutrin et une photo
de +ietOsche" Lors de la r$ception de son pri8 +obel, A )tocKholm, en !-3., il rend homma%e A
ses maWtres U +ietOsche en fait partie" ,n !-0, dans ce cartable du dernier 'our"""
+ietOsche, un homme r$volt$
La r$f$rence affective et sentimentale au philosophe allemand se double d'un homma%e
intellectuel et philosophique" ,n !-32, Camus consacre un chapitre de L''omme ré+olté A l'auteur
du Jarathoustra" ,ntre )tirner et #osto]evsKi, apr@s )ade et le dandysme, avant Lautr$amont et le
surr$alisme, Camus e8amine les modalit$s de la r$volte m$taphysique cheO ce philosophe qui
annonce la mort de #ieu, s'en r$'ouit, se rebelle contre le christianisme, met en question la
m$taphysique occidentale, d$truit les valeurs morales de la reli%ion dominante et semble un
r$volt$ embl$matique"
#e la m>me mani@re que le 'eune homme de di85neuf ans se propose d'en finir avec le
malentendu de l'interpr$tation qui associe l'immoralisme ontolo%ique nietOsch$en et l'amoralit$
pratique, vin%t ans plus tard, et une %uerre apr@s, le philosophe de trente5neuf ans en appelle A
rendre 'ustice A nouveau au penseur de Par8del( &ien et mal" Certes, les naOis s'en sont r$clam$s J
bien sSr, rien ne permet dans le te8te une pareille r$cup$ration J mais rien dans l'Buvre n'emp>che
non plus cette lecture fautive" Le national5socialisme a voulu faire du surhomme une fi%ure
politique brutale, dominatrice, imp$rieuse, conqu$rante, immorale, cynique, raciste, antis$mite, or
rien n'est plus $loi%n$ de la pens$e la plus intime de +ietOsche D
Le surhomme, tel qu'il apparaWt dans Ainsi parlait Jarathoustra, incarne la fi%ure
m$taphysique tra%ique du consentement A la +olonté de puissance, une e8pression qui d$finit le
+i+ant dans la +ie qui nous +eut" #ans l'Buvre nietOsch$enne, le surhomme incarne une position
radicalement antipolitique" Cette fi%ure de sa%esse philosophique disant ; oui ? A la vie
n'entretient aucune relation avec le naOi dont la puissance suppose le renoncement A son >tre et la
soumission aveu%le A un %uide dans une perspective au8 antipodes du nietOsch$isme, puisque le
naOi dit ; non ? A la vie et ; oui ? A la mort" Puel te8te de +ietOsche 'ustifierait une pareille fi%ure
de la barbarie Q
Puelques ann$es apr@s la lib$ration des camps de concentration nationau85socialistes,
Camus remet +ietOsche A sa 'uste place & il ne fut pas le maWtre5penseur du (((
e
7eich, la chose se
trouve clairement dite une bonne fois pour toutes J mais il fut responsable de ne rien avoir $crit
contre une r$cup$ration possible de son Buvre par l'en%eance naOie U ou toute autre id$olo%ie
susceptible d'op$rer un d$tournement politique de son travail ontolo%ique et m$taphysique" Avec
un bel o8ymore, Camus parle d'une ; responsabilit$ involontaire ? 6(((" !2.9 de +ietOsche, puis il
clXt le d$bat"
Camus pr$sente son analyse de la r$volte nietOsch$enne comme un commentaire de La
Volonté de puissance U un livre malheureusement construit par la sBur du philosophe avec des
te8tes caviard$s, des plans contradictoires, des brouillons de recherches et non de trouvailles, des
notes de lecture, des citations d'auteurs non r$f$renc$s 6une quantit$ d'entre elles sont de Colsto]
par e8emple9, le tout dans la perspective id$olo%ique propre A cette femme antis$mite, raciste,
naOie, amie de Mussolini et d'Litler"
Gne impasse ontolo%ique
La v$rit$ de +ietOsche n'est donc pas dans la %$n$alo%ie du national5socialisme, mais dans
la qualit$ de son dia%nostic de nihilisme A l'endroit de la civilisation europ$enne" #@s lors, ne
s$parons pas son appel A d$truire et son invitation A reconstruire" Car il ne veut pas l'apocalypse
et travaille A la renaissance" (l affirme qu'on peut vivre sans croire, sans dieu8 et sans maWtres"
1riv$ de #ieu, le monde l'est $%alement de sens, de direction, de finalit$ & il n'y a pas d'(d$es de la
7aison, pas de ciel intelli%ible, pas de morale d$finitive et universelle, pas de valeurs certaines"
Contre le christianisme qui pr$f@re l'id$al asc$tique A la v$rit$ charnelle et vivante des hommes,
+ietOsche attaque les calomniateurs de la vie"
La mort de #ieu n'est pas le fait de +ietOsche & certes, on lui doit la promul%ation de la
nouvelle, mais pas le forfait" #@s lors, il ne formule pas une philosophie de la r$volte, mais il
construit une philosophie sur la r$volte" <$sus et le Christ n'ont pas %rand5chose A voir avec le
christianisme" ,n tant que sa%esse invitant A accepter le monde tel qu'il est, en renonVant A a'outer
de la n$%ativit$ A la n$%ativit$, la leVon du fils putatif de <oseph et Marie s'av@re radicalement
immanente, elle se pratique ici et maintenant et ses fruits se cueillent imm$diatement" Le
christianisme, avec son F%lise, ses Conciles, son +ouveau Cestament et surtout )aint51aul, trahit
la sa%esse pratique du +aOar$en" #e m>me en 'u%eant sans cesse et en moralisant tout le temps,
cette reli%ion calomnie le monde qui est, un point c'est tout" Ce 'u%ement fonctionne avec ses
corr$lats & chTtiment et r$compense, donc classement de l'humanit$ en bons et en m$chants" Le
christianisme est un nihilisme, il faut donc le d$passer" EoilA pourquoi, selon Camus, la mort de
#ieu n'est pas A mettre au compte de +ietOsche U mais, parado8alement, A celui du christianisme"
Camus e8amine ensuite le cas du socialisme qui constitue, pour +ietOsche, une variation
sur le th@me du christianisme & croyance dans les fins de l'histoire, eschatolo%ie mill$nariste,
messianisme collectiviste, $%alitarisme des su'ets, trahison de la vie et de la nature, substitution
de l'id$al au r$el, $nervement des volont$s et des ima%inations, le socialisme rel@ve lui aussi du
nihilisme qui est non pas croyance en rien, mais incapacit$ A croire ce qui est" )i l'on veut
d$passer le nihilisme, alors finissons5en avec le christianisme paulinien et le socialisme mar8iste"
)ur les d$combres du christianisme devenu caduc et dans les ruines du socialisme fumant,
l'homme se retrouve seul et libre, contraint A donner du sens A ce qui 'adis en avait par #ieu et la
7$volution, mais n'en a plus d$sormais" La libert$ r$side dans le consentement A de nouveau8
devoirs" ,n attendant, la n$%ation des valeurs n'est pas l'affirmation que, si rien n'est vrai, alors
tout est permis, mais, A l'inverse, si rien n'est vrai, alors rien n'est permis" +ietOsche propose de
consentir A l'innocence du devenir, il invite au %rand ; oui ? A tout ce qui est, il ensei%ne
l'approbation U y compris au n$%atif, A la n$%ativit$, au mal, A la m$chancet$, A la faute, au
meurtre, A la souffrance" Adh$rer A tout, sans aucune restriction, voilA la seule et unique condition
de possibilit$ de la 'oie"
La connaissance de la fatalit$ est reconnaissance de la fatalit$, cette connaissance devient
cheO +ietOsche reli%ion de la fatalit$" La piti$ et l'amour du prochain constituent des r$bellions
inutiles, de vaines r$voltes, car on ne saurait vouloir contre le vouloir" Ce qui a lieu a d$'A eu lieu
et aura $ternellement lieu dans les m>mes formes & consentir A l'$ternel retour du m>me, c'est
participer A la divinit$ du monde" )elon +ietOsche, le r$volt$ nie #ieu, mais il ne devient lui5
m>me #ieu qu'en renonVant A la r$volte"
Cette ontolo%ie noire interdit donc la r$bellion contre ce qui ne peut pas ne pas >tre" )i la
n$cessit$ fait effectivement la loi en tout, tout le temps, y compris quand on se rebelle, puisque la
r$bellion $tait elle aussi pr$vue, $crite, inscrite dans le sch$ma qui se d$plie, se d$ploie, parce
qu'elle d$coule de la fatalit$, de la m>me mani@re rien n'est possible en faveur du bien et contre le
mal" (l faut aussi ch$rir le mal, aimer la souffrance" On comprend que pareille m$taphysique
puisse malheureusement 'ustifier et l$%itimer les naOis U si tant est que les naOis aient d'abord
vraiment lu +ietOsche, puis compris"
Camus le constate & ; <usqu'A +ietOsche et le national5socialisme, il $tait sans e8emple
qu'une pens$e tout enti@re $clair$e par la noblesse et les d$chirements d'une Tme e8ceptionnelle
ait $t$ illustr$e au8 yeu8 du monde par une parade de menson%es, et par l'affreu8 entassement de
cadavres concentrationnaires" La pr$dication de la surhumanit$ aboutissant A la fabrication
m$thodique de sous5hommes, voilA le fait qui doit sans doute >tre d$nonc$, mais qui demande
aussi A >tre interpr$t$ ? 6(((" !239" Car si cette ma%nifique derni@re r$volte dans l'histoire doit
d$boucher sur des meurtres de masse, ne doit5on pas alors renoncer A toute r$volte Q
La volont$ $mancipatrice du socialisme mar8iste prend en char%e le pro'et nietOsch$en de
surhumanit$" L'histoire est devenue la nouvelle idole" Le ; dire oui A ce qui est ? nietOsch$en
'ustifiant tout ce qui est laisse place au ; dire oui A ce qui sera ? mar8iste5l$niniste, en
l'occurrence la r$volution, la soci$t$ sans classe, l'humanit$ r$concili$e" Au nom de ces deu8
fatalismes, fatalisme ontolo%ique de la volont$ de puissance et fatalisme politique de l'histoire,
les individus comptent maintenant pour quantit$ n$%li%eable" +ietOsche pr$tendait vaincre le
nihilisme U il l'a accompa%n$, certes mal%r$ lui, mais, de fait, il l'a accompa%n$"
L'id$e de L''omme ré+olté naWt d@s septembre !-:-" 1endant la %uerre, Camus suit son
intuition & en 'anvier !-42, il envisa%e un essai sur le su'et" ,n 'uin !-4., il note clairement les
$tats d'avancement du livre qui dispose alors de son titre d$finitif" Apr@s mai !-3, il r$di%e des
plans, or%anise son propos" Le !2 'uillet !-3!, il offre son manuscrit A 7en$ Char" La lecture de
+ietOsche s'effectue donc A la lumi@re noire de la d$claration de la %uerre, de l'occupation de la
France par les naOis, de la fin du national5socialisme et de la lib$ration des camps, autant
d'$v$nements ma'eurs au8quels le nom de +ietOsche a $t$ clairement associ$ U encore au'ourd'hui
parfois"
Camus rend 'ustice au philosophe allemand" 1our le d$fendre, il si%nale que son analyse
de la r$volte nietOsch$enne se pr$sente comme une lecture de La Volonté de puissance" Or, d'une
part, ce livre n'est pas de +ietOsche J d'autre part, la folie a contraint le philosophe allemand A
l'inach@vement de son Buvre sur cette question du %rand ; oui ? A la vie" 1eut5>tre que, si la vie
lui avait $t$ moins compt$e, il aurait trait$ cette question plus en profondeur, plus dans le d$tail"
7appelons $%alement que, vivant 'usqu'A quatre5vin%ts ans, +ietOsche aurait connu Mussolini,
Litler et )taline" (l aurait alors pu $crire ce qu'il pensait de l'usa%e que firent leurs d$vots de sa
philosophie"
,n bon nietOsch$en, donc, Camus part de cette impasse ontolo%ique, du moins des
cons$quences dramatiques de cette m$taphysique, pour en conserver une partie et en r$cuser une
autre & il souscrit A l'amor 9ati, au %rand ; oui ? A la vie, tant que cette affirmation a pour ob'et ce
qui l'au%mente J en revanche, il dit ; non ? A ce qui veut la mort ou le contraire de la vie"
+ietOsche disait oui A tout J Camus dira oui seulement A ce qui au%mente la vie" 1our le reste U il
se r$volte" EoilA le sens de son nietOsch$isme de %auche U l'ob'et de la partie suivante" C'est
$%alement celui de son h$donisme libertaire"
Les %rands feu8 de I>nes
7$capitulons & A di85neuf ans le dandy Camus aime la th$orie nietOsch$enne de la
musique, il c$l@bre les mondes ima%inaires ouverts par cet art capable de quintessencier la
volont$ de puissance J A trente5neuf ans, le philosophe reconnu se revendique du nietOsch$isme,
mais r$cuse les cons$quences dramatiques de l'innocence du devenir, de l'amor 9ati et de l'$ternel
retour, il $labore une r$ponse nietOsch$enne de %auche J A quarante et un ans, le personna%e priv$
place une photo du p@re du surhomme pr@s d'une autre de sa m@re J A quarante5quatre ans,
l'homme de lettre reconnu plan$tairement, couronn$ par le +obel, revendique +ietOsche comme
l'un de ses maWtres A penser J A quarante5si8 ans, il meurt avec dans son cartable un e8emplaire du
4ai Sa+oir"
#ans ses Carnets, Albert Camus note quelques li%nes A propos d'un voya%e en (talie" ,n
!-34, l'Association Culturelle (talienne l'invite A prononcer une s$rie de conf$rences A Curin,
I>nes et 7ome U trois villes nietOsch$ennes" (l visite aussi +aples et 1aestum" Lorsqu'il se trouve
A Curin, il erre dans les rues en son%eant A +ietOsche et se rend A l'endroit oN habitait le
philosophe 0, Eia Carlo Alberto" Camus avoue n'avoir 'amais pu lire sans pleurer le r$cit de
l'effondrement de +ietOsche effectu$ par FranO OverbecK venu pour ramener son ami A *Tle" 1uis
il $crit & ; #evant cette maison ''essaie de penser A lui que ''ai tou'ours aim$ d'affection autant que
d'admiration, mais en vain" <e le rencontre mieu8 dans la ville dont 'e comprends, mal%r$ le ciel
bas, qu'il l'ait aim$e et pourquoi il l'a aim$e ? 6(E" !29"
La lecture des Carnets sur plusieurs ann$es montre un Camus psycholo%iquement fra%ile,
de temps en temps d$pressif, an%oiss$, triste, abattu, d$coura%$, m$lancolique, opprim$, parfois
suicidaire, insomniaque" On peut ima%iner combien +ietOsche a pu >tre proche de Camus par ce
corps souffrant, ces envies de quitter le monde, cette blessure e8istentielle qui porte sans cesse le
fer A l'Tme" La folie du philosophe allemand a pu lui paraWtre un destin possible, lui qui a dS faire
face A la haine de tant de %ens pour avoir eu raison trop tXt et avant tout le monde"
#ans un autre passa%e des Carnets, Camus rapporte la fin de +ietOsche le : 'anvier !//-,
1lace Carlo5Alberto, quand, sortant de cheO lui, il voit A la station de fiacre un cocher maltraiter
son cheval" Le philosophe qui propose l'anatomie la plus cruelle de la piti$ pour en faire une vertu
qui rapetisse et une passion inutile, puisqu'il ne sert A rien de s'$mouvoir au8 mouvements du
monde sur le mode compassionnel, tombe foudroy$ par elle & il se 'ette au cou de l'animal
martyris$, $clate en san%lots, tombe A %enou8 au8 pieds du cheval" Le propri$taire de
l'appartement lou$ par +ietOsche passe par lA, le reconnaWt, le reconduit cheO lui" Ftendu sur le
sofa, immobile, muet, prostr$, il sombre dans la folie dont il ne sortira pas" (l lui reste onOe
ann$es A vivre dans cet $tat de silence et de mutisme"
Gne autre fois, Camus rapporte une histoire qui pourrait sembler une belle ima%e
romantique mais qui r$v@le une m$thode nietOsch$enne cr$$e par Camus pour penser le monde,
sinon, d$marche fort peu nietOsch$enne au demeurant, le 'u%er & apr@s sa s$paration avec Lou
)alom$, 'olie 'eune fille intelli%ente et cultiv$e avec laquelle il a lon%temps caress$ l'espoir d'une
vie commune en compa%nie de 1aul 7$e, le philosophe sombre dans une immense solitude, un
puits sans fond de souffrance et de m$lancolie" Amoureu8, d$sireu8 d'un contrat de vie avec elle,
sollicitant son ami 7$e, lui aussi entich$ de cette 7usse ma%n$tique, pour faire ses d$clarations
d'amour, +ietOsche e8p$rimente la souffrance de l'amoureu8 $conduit" Cette e8p$rience
malheureuse le conduit A brSler ce qu'il a ador$" Puelques pitoyables lettres du philosophe sur le
futur auteur de $rédéric 2iet5sche ( tra+ers ses >u+res auraient m$rit$ de ne 'amais avoir $t$
$crites tant elles montrent un homme au5dessous de son id$al"
C'est dans cet $tat de %rande souffrance que +ietOsche %ravit les collines autour du %olfe
de I>nes pour ramasser du bois et faire de %rands bSchers qu'il re%ardait brSler" Camus $crit &
; <'ai souvent pens$ A ces feu8 et leur lueur a dans$ derri@re toute ma vie intellectuelle" )i m>me
il m'est arriv$ d'>tre in'uste envers certaines pens$es et envers certains hommes, que ''ai
rencontr$s dans le si@cle, c'est que 'e les ai mis sans le vouloir en face de ces incendies et qu'ils
s'en sont aussitXt trouv$s r$duits en cendres ? 6(E" !!/9"
Ce te8te date de !-3:" Y l'occasion de la parution de L''omme ré+olté, %rand livre
antitotalitaire et antifasciste dans un temps oN la plupart des intellectuels communient dans le
totalitarisme mar8iste5l$niniste
!
, Camus a $t$ $reint$ par une %rande partie de l'intelli%entsia
parisienne, mondaine, faiseuse de r$putations, une coterie violente qui n'h$site pas A recourir au8
menson%es, A la calomnie, A la haine, au8 contrev$rit$s, qui intri%ue, lance des bruits, commande
au8 'ournalistes affid$s des articles dans la presse pour salir l'homme afin d'$viter le d$bat avec le
philosophe" Camus pense certainement A ces %ens5lA que le feu des brasiers nietOsch$ens de
I>nes a r$duits en cendres"
)ouffrir, c'est mSrir
Camus et +ietOsche se retrouvent dans une autre fraternit$ philosophique & celle de la
maladie" Certes, la syphilis de l'un n'est pas la tuberculose de l'autre, mais, pour un philosophe,
vivre corporellement la souffrance m@ne A des contr$es ontolo%iques inaccessibles au8 bien5
portants" )avoir sa condition de mortel, e8p$rimenter sa finitude, faire l'e8p$rience du cadavre en
nous, voilA qui n'a pas %rand5chose A voir avec une connaissance livresque de la maladie, un
abord transcendantal du mal A l'Buvre dans la chair U donc dans l'Tme"
+ietOsche a contract$ la syphilis dans ses 'eunes ann$es, probablement dans un bordel de
LeipOi%" A'outons A cela l'h$rita%e d'une fra%ilit$ psychique familiale, les souvenirs d'un enfant de
cinq ans assistant A l'a%onie et A la mort de son p@re" Le philosophe allemand passe sa vie A
souffrir & ophtalmies, mi%raines qui paralysent son cerveau pr@s d'une semaine, naus$es suivies
d'un lon% alitement, trois 'ours et trois nuits de vomissements, des attaques avec une demi5
paralysie qui le privent de parole, des d$pressions profondes avec envies de suicide, un ecO$ma
%$nital %$ant et chronique d$couvert par les m$decins de ($na apr@s son effondrement"
La lecture nietOsch$enne de la maladie ne saurait >tre 'ud$o5chr$tienne, on s'en doute" 1as
question de volont$ divine, de punition d'une faute, de paiement d'une dette contract$e lors du
p$ch$ ori%inel, de dessein de #ieu $prouvant chacun comme <ob & la souffrance selon +ietOsche
constitue une chance philosophique, elle trempe le caract@re, force le temp$rament, conduit sur
un terrain i%nor$ par la plupart" ,lle $l@ve et construit, m@ne A un savoir essentiel, $pur$,
v$ritable" #ans Ainsi parlait Jarathoustra, ; Le chant d'ivresse ?, +ietOsche $crit & ; Cout ce qui
souffre veut vivre, pour mSrir, pour devenir 'oyeu8 et plein de d$sirs U plein de d$sirs de ce qui
est plus lointain, plus haut, plus clair ? 6(E" -9" La corr$lation entre souffrance et 'oie, douleur et
'ubilation, comme l'envers et l'endroit d'un m>me monde, e8plique le m$canisme de toute pens$e
e8istentielle & puisqu'il faut mourir, comment vivre Q Puoi vivre Q Pue vivre Q
+ietOsche r$pond & il faut vivre en aimant tout de la vie, b$nir ce qui advient et qui est +ie"
Contre l'h$donisme primaire fusti%$ en m>me temps que le nihilisme, le pessimisme, le
f$minisme et l'utilitarisme, le p@re de [arathoustra propose un h$donisme ontolo%ique que d$finit
la 'ubilation cons$cutive au %rand vouloir de la volont$ qui nous veut, m>me quand cette volont$
prend la forme de la douleur" EoilA pourquoi la souffrance cr$e U et comment on peut en faire
l'$lo%e U une pens$e radicale et puissante, donc e8tr>mement dan%ereuse pour qui m$connaWt sa
fondation ontolo%ique"
L'absurde endroit et l'envers h$doniste
Camus d$couvre sa tuberculose en d$cembre !-:, il a di85sept ans" Avant le dia%nostic,
il y eut des si%nes avant5coureurs & fati%ue, tou8 fr$quentes, %oSt de san% dans la bouche,
premiers crachats san%uinolents, perte de connaissance" 1upille de la nation, il dispose d'une prise
en char%e hospitali@re et d'une m$decine %ratuites" Lospitalisations, radio%raphies, consultations,
insufflations, pneumothora8, un cycle e8istentiel commence, et avec lui un certain type de vision
du monde, tra%ique, doubl$e d'une philosophie, tra%ique elle aussi, qui compose avec l'absurdit$
d'une vie si br@ve dans un cosmos $ternel"
On peut comprendre pourquoi le "ythe de Sisyphe s'ouvre sur ce sublime e8er%ue de
1indare & ; X mon Tme, n'aspire pas A la vie immortelle, mais $puise le champ du possible ?
6(" 2!.9 J pourquoi ce livre fait du suicide le seul probl@me philosophique s$rieu8 J pourquoi il
construit une th$orie de l'absurde J pourquoi il raille ; les rationalistes de profession ? 6(" 2:29 et
leur pr$f@re les tenants de ; la philosophie e8istentielle ? 6(" 2:-9 J pourquoi il chemine en
compa%nie de fi%ures qui consument leur vie & le libertin, le voya%eur, l'artiste, le com$dien, le
conqu$rant, le cr$ateur, le romancier, et non de penseurs professionnels dSment estampill$s par
l'institution J pourquoi il analyse le sentiment d'$tran%et$ et d$finit l'étraner comme l'individu
d$pourvu d'illusions condamn$ A composer avec un r$el qu'il ne sert A rien de nier J pourquoi
aussi il conclut A l'impossibilit$ de connaWtre un monde qu'on ne peut qu'$prouver J pourquoi
enfin il lie d$couverte de l'absurde et d$sir d'$laborer une philosophie du bonheur"
1ointons en passant cette affirmation de Camus & ; Le syst@me, lorsqu'il est valable, ne se
s$pare pas de son auteur ? 6(" 2//9, une th@se dans la droite li%ne du +ietOsche de la pr$face au
4ai Sa+oir, une id$e A laquelle, pourtant, il pr$tend ne pas souscrire, on l'a vu, dans L'.té, sous
pr$te8te qu'elle proc$derait d'un vieu8 fond romantique dont il faudrait se d$barrasser" Mais
Camus a des pr$ventions contre le romantisme qui sont celles d'un romantique U +ietOsche
manifestait les m>mes"
Cette phrase met en $vidence une autre id$e 'uste & Camus parle non pas du syst@me dans
l'absolu, mais du syst@me lorsqu'il est +ala&le" Autrement dit & non pas de la cr$ation du
philosophe professionnel qui construit un syst@me pour des raisons ludiques, avec les r@%les
apprises dans les %randes $coles, mais de l'Buvre du philosophe e8istentiel, nourrie par sa propre
visc$ralit$ contre laquelle il ne peut rien" <eu8 d'enfants insinc@res contre idiosyncrasie
imparable" Faut5il son%er ici A )artre contre Camus Q
Camus parle A deu8 reprises de +ietOsche de faVon notable & une fois pour trouver ridicule
de conclure que l'ontolo%ie immoraliste du philosophe allemand 'ustifierait qu'on puisse
brutaliser sa m@re J une autre pour souscrire A l'e8cellence de son pro'et philosophique & ; 1lus la
vie est e8altante et plus absurde est l'id$e de la perdre" C'est peut5>tre ici le secret de cette aridit$
superbe qu'on respire dans l'Buvre de +ietOsche" #ans cet ordre d'id$es, +ietOsche paraWt >tre le
seul artiste A avoir tir$ les cons$quences e8tr>mes d'une esth$tique de l'Absurde, puisque son
ultime messa%e r$side dans une lucidit$ st$rile et conqu$rante et une n$%ation obstin$e de toute
consolation surnaturelle ? 6(" :!49" (l faudra donc bien que cette consolation soit naturelle"
Le renoncement et l'affirmation
On connaWt les cons$quences de la maladie dans le tra'et e8istentiel de Camus & arr>ter ses
$tudes au lyc$e, s'interdire de na%er ou de 'ouer au football, entrer A l'hXpital, d$couvrir la mort A
l'Buvre cheO des voisins de lit affli%$s du m>me mal, y voir l'annonce de son destin, subir une
batterie d'e8amens, attendre les r$sultats, supporter un traitement lourd, douter de son efficacit$,
se savoir condamn$ A une mort proche, donc A une vie br@ve, quitter sa m@re et l'appartement
familial, habiter cheO l'oncle boucher, se voir interdire une carri@re de professeur de philosophie,
puis, plus tard, se faire refuser par le bureau militaire aupr@s duquel il vient pour s'en%a%er dans
l'arm$e franVaise en !-:-, passer sa courte vie A %uetter les si%nes d'une rechute, vivre dans sa
chair la maladie au quotidien, craindre la syncope entre les bras d'une femme, savoir qu'Fros et
Chanatos sont l'envers et l'endroit"
Autrement dit & renoncer A la vie vivante au profit d'une vie morte" Le terrain de foot est,
on l'a beaucoup dit, l'endroit oN Camus d$clarait avoir d$couvert l'essentiel de ce qu'il savait en
morale 6(E" 0.9" 1our quelles raisons Q ; <'appris tout de suite qu'une balle ne vous arrivait
'amais du cXt$ oN l'on croyait" ga m'a servi dans l'e8istence et surtout dans la m$tropole oN l'on
n'est pas franc du collier ? 6(((" -09" Or le %ardien de but Albert Camus a $%alement e8p$riment$
d'autres choses sur un terrain & le plaisir de l'$quipe, la 'oie de l'effort et du travail bien fait, la
r$'ouissance d'avoir %a%n$ ensemble, la peine collective d'avoir perdu, le sentiment d'>tre
pleinement au monde"
#e la m>me mani@re que, pour le bonheur de ses lecteurs, la carri@re de +ietOsche ne fut
pas universitaire en partie A cause de sa maladie, celle de Camus devait se d$rouler $%alement en
dehors de l'institution & il ne fut pas format$ par l',+) dont +iOan disait quelle $tait ; l'Fcole dite
normale et pr$tendue sup$rieure ?" )a maladie du poumon le tint donc A l'$cart de la maladie de
l'intelli%ence affli%eant si souvent les $lites issues de cette $cole qui reproduit le syst@me et tient
tou'ours pour suspecte une pens$e r$ellement subversive" #ans ce cloWtre oN l'on $l@ve le san%
bleu de notre r$publique, on voue un culte A l'(d$e pure et l'on manifeste une r$elle d$votion A la
reli%ion du Concept" Camus a $chapp$ au dressa%e id$olo%ique de la reproduction sociale U il
pouvait sans difficult$ puiser dans une source moins corrompue & le monde riche de son enfance
pauvre"
Cechnique de soi sto]cienne
Les m$decins prescrivent un repos total avec interdiction de lire" (l lit Fpict@te" Le 'eune
homme de di85sept ans ne d$couvre donc pas la philosophie avec un monument de la litt$rature
sp$culative mais avec un penseur embl$matique des techniques de soi antiques" La philosophie
fut en effet pendant des si@cles un art de vivre, de bien vivre, de mieu8 vivre" Le christianisme au
pouvoir a supprim$ la philosophie e8istentielle en en%a%eant la discipline dans la voie
sp$culative" 1lus besoin d'inviter A une ; bonne vie ? philosophique, il suffisait d'imiter <$sus
dans son asc@se et le Christ dans sa passion" #@s lors, le philosophe devient le fournisseur de
concepts destin$s A for%er et soutenir l'id$olo%ie catholique au pouvoir" #e ce fait, cette mort de
la philosophie e8istentielle co]ncide avec la naissance de la philosophie institutionnelle relay$e
plus tard par celle des professeurs"
Le sto]cisme a produit des e8pressions pass$es dans le lan%a%e commun & ; >tre sto]que ?
par e8emple, pour si%nifier la di%nit$ dans l'adversit$, ou bien encore ; >tre philosophe ? au
sens & accepter les coups du sort sans rechi%ner, surtout les mauvais" L'histoire du passa%e de ces
mots dans le vocabulaire courant reste A faire U m>me chose avec cynique, id$aliste, mat$rialiste,
$picurien, sceptique" 1our le sto]cisme, il suffit de savoir qu'il fut A l'$poque imp$riale une
sa%esse de l'impassibilit$ face A la souffrance, avec Fpict@te en fi%ure all$%orique"
Le "anuel d'Fpict@te n'est pas de lui, mais de son $l@ve Arrien & le philosophe sto]cien n'a
rien $crit et s'est content$ d'ensei%ner" ,sclave devenu philosophe, Fpict@te souffrait de
claudication" La l$%ende dor$e de la philosophie antique ramasse sa pens$e dans cette anecdote
rapport$e par le Celse du Contre les chrétiens & Fpaphrodite, son maWtre, entreprend, alleO savoir
pourquoi, de torturer le philosophe en lui tordant la 'ambe" Fpict@te, souriant, pr$dit qu'il va la
casser" 1r$diction 'uste, la 'ambe craque, puis se brise" Commentaire du philosophe & ; <e te
l'avais bien dit ?" Eraie ou fausse, cette histoire vraisemblable synth$tise bien l'ensei%nement qui
fit le bonheur de Camus U et de +ietOsche"
Le "anuel ensei%ne en effet ceci & distin%uons ce qui d$pend de nous et n'en d$pend pas
afin de consentir A ce qui ne d$pend pas de nous, puis d'a%ir sur ce qui en d$pend J a%issons donc
sur ce qui d$pend de nous, A savoir & la représentation, le juement U par e8emple, la douleur
n'e8iste pas en soi, dans l'absolu, mais relativement A notre 'u%ement, A ce que l'on en fait, A ce
qui n'e8iste que parce qu'on le fait advenir A l'>tre, souffrance et douleur inclus J habituons5nous
au pire qui, de toute faVon, finira par arriver, ainsi on ne sera pas surpris et l'on accueillera ce qui
surviendra comme une n$cessit$ pr$vue J $vitons de 'u%er, il n'y a ni bien ni mal, mais des
perspectives sur ce qui se manifeste n$cessairement J philosophons, non pas en commentant des
te8tes philosophiques, ou en analysant la pens$e d'autrui, mais en menant une vie philosophique J
'ouons bien le rXle qui nous a $t$ donn$, car nous ne pouvons rien contre la n$cessit$"
+ietOsche puise abondamment dans cette pens$e s$v@re mais roborative, lucide et
tra%ique" )on surhomme qui sait la nature du r$el, connaWt l'empire absolu de la volont$ de
puissance, ne se rebelle pas contre elle, ne 'u%e pas, consent A ce qui advient car il ne peut rien
contre, aime son destin, et finit par connaWtre une 'oie sans nom %rTce A cette acceptation de ce
qui est U ce surhomme, donc, propose une fi%ure de sto]cien en plein si@cle de la r$volution
industrielle" Y l'hXpital d'Al%er, cette effi%ie philosophique permet A Camus de ; tenir ? selon son
e8pression"
Fort de cette invitation sto]cienne A travailler sur la repr$sentation de la maladie, sur le
'u%ement concernant la tuberculose, plus fort que le mal lui5m>me, l'apprenti philosophe de di85
sept ans, enivr$ par l'alcool fort du "anuel affirme, crTne & ; On peut %u$rir & il suffit de le
vouloir ? 6Lottman, 3/9" Puelque temps plus tXt, le 'eune %arVon avait dit, apprenant le mal qui le
touchait & ; <e ne veu8 pas mourir ? 6i&id?9" #e la maladie A la %u$rison par le vouloir, le chemin
$tait trac$ U un chemin d$'A emprunt$ par +ietOsche"
Mourir heureu8
Ce vouloir5vivre nourrit le premier roman achev$ d'Albert Camus & La "ort heureuse, un
livre publi$ de mani@re posthume en !-.!" Conserv$ dans les cartons et 'amais envoy$ A l'$diteur
sans qu'on sache vraiment pourquoi, ce te8te annonce d'autres ouvra%es" On y retrouve en effet
un certain nombre de choses $crites ou v$cues par l'auteur & un h$ros nomm$ Mersault 6et pas
encore Meursault9 qui commet un crime J un meurtre pr$sent$ comme une protestation
m$taphysique face A l'absurdit$ du monde J l'enterrement d'une m@re J une ori%ine sociale dans le
quartier pauvre d'Al%er J la tuberculose du h$ros J un voya%e A 1ra%ue avec un accord$oniste
aveu%le J un tra'et en chemin de fer vers l'(talie J un s$'our A I>nes J une promenade sur les
hauteurs de la ville, lA oN +ietOsche allumait ses %rands feu8 J les premiers cypr@s comme si%ne
du )ud qui lave de la souffrance europ$enne J le domicile sur les hauteurs d'Al%er et la vie A
plusieurs J une maison avec vue sur Cipasa J un bain pr$sent$ comme une e8p$rience
e8istentielle U Camus peut bien persister A nier l'ori%ine autobio%raphique de toute $criture"
,ntre l'T%e de vin%t5trois et vin%t5cinq ans, Albert Camus raconte la mort d'un tuberculeu8
U est5ce ce su'et par trop impudique qui lui fait ran%er ce manuscrit dans un tiroir Q Certes, cet
homme en tue un autre, ce qui dispense d'en faire un double trop ressemblant A son auteur, mais
le passa%e A l'acte litt$raire peut proc$der d'une sc@ne obsessionnelle, d'une tentation
m$taphysique de s'essayer A un acte absurde, comme, dans Les Ca+es du Vatican, le h$ros de
Iide avec un acte %ratuit U Camus a lu et aim$ Iide" Le futur penseur du "ythe de Sisyphe
$volue tou'ours entre l'endroit tra%ique et l'envers h$doniste, l'absurde et la 'oie de vivre" Ce
criminel va mourir, la tuberculose le tue & comment va5t5il entrer dans le n$ant Q
La tuberculose, dit5on, modifie les sensations et les perceptions, donc la lecture du monde"
AbWm$ par la maladie et devenu instrument de connaissance, le corps qui pense fournit au
philosophe des informations in$dites, sub'ectives, sin%uli@res" Les couleurs deviennent des
a%ressions sensitives douloureuses" Le patient souffre d'hyperesth$sies et toute sensation le
rava%e" #iaphane, fati%u$, $puis$, an$mi$, le re%ard brillant, le tuberculeu8 appr$hende le monde
autrement que l'homme du commun" Le philosophe <ean5Marie Iuyau, lui aussi affect$ par cette
maladie, lecteur du "anuel d'Fpict@te dont il a fourni une traduction comment$e, auteur d'une
1squisse d'une morale sans o&liation ni sanction et de L'6rréliion de l'a+enir, deu8 livres
soi%neusement lus et comment$s par +ietOsche, a rapport$ dans ses Vers d'un po3te l'$tat dans
lequel on se trouve, une fois atteint par ce mal"
Mersault permet A Camus une ph$nom$nolo%ie non philosophique de la tuberculose U
comment ne pas lire ces pa%es comme une autobio%raphie A peine travestie Q Apr@s un bain, il
fait un malaise & frissons, san% crach$, claquements de dents, alternance de sensations de chaud et
de froid, fi@vre, tremblements, an%oisse, crainte de mourir dans l'instant" (l demande au m$decin
des m$dicaments pour rester lucide & il ne veut pas partir d'une syncope, sans >tre le t$moin et
l'acteur ontolo%ique de son tr$pas" Avoir peur de mourir, ce serait avoir peur de la vie" 1as
question"
Le h$ros de L'.traner prononce une phrase qui pourrait sortir d'un livre de +ietOsche &
; On ne naWt pas fort, faible ou volontaire" On devient fort, on devient lucide ? 6(" !!-!9" #ans la
pr$face A L'1n+ers et l'1ndroit, Camus pr$cise que la maladie donne un sens A la vie, elle permet
d'avoir le sens des valeurs, de ne pas prendre l'accessoire pour l'essentiel" ,lle lui a donn$ la
bonne distance concernant les autres et le monde" Malade, la com$die humaine fait sourire ou
rire, elle pr$serve de l'envie ou du ressentiment, elle d$tourne du d$risoire et polarise sur le
fondamental" Camus avoue lui devoir la capacit$ A aimer et A admirer, A cr$er aussi"
#ans ce premier te8te in$dit et posthume, et comme dans le reste de l'Buvre du
philosophe, la maladie et l'h$donisme constituent l'avers et le revers de la m>me m$daille U l'un
est impossible sans l'autre" 1our le lecteur des sto]ciens et de +ietOsche, la tuberculose induit un
art de vivre avec le mal J cet art prouve que la maladie est ce que l'on en fait" )i l'on a compris la
dialectique du corps 6donc de l'Tme9 malade et de l'Tme 6donc du corps9 %u$rie +ia la volont$ de
'ouissance, on peut comprendre le sens de cet o8ymore terrible & une mort heureuse"
Le philosophe artiste
Au5delA de la maladie, il e8iste un autre fil conducteur nietOsch$en qui conduit du 'eune
homme dandy au philosophe mondialement reconnu par le pri8 +obel & le philosophe artiste" Ce
concept apparaWt tr@s tXt dans l'Buvre du philosophe allemand, 6d@s Le Li+re du philosophe, un
te8te r$di%$ dans la foul$e de La 2aissance de la traédie9 et 'usqu'au8 derniers $crits dont
certains constituent La Volonté de puissance" #@s lors, les distinctions de diff$rentes p$riodes
cheO le philosophe allemand tiennent moins si l'on constate que le philosophe artiste constitue un
fil rou%e dans le labyrinthe de l'Buvre compl@te"
Pu'est5ce que le philosophe artiste pour +ietOsche Q Le contraire du philosophe
universitaire" ,8emple Q )chopenhauer contre Le%el" Certes, le premier fut aussi professeur de
philosophie A l'universit$, mais mal%r$ lui et mal%r$ elle" Le second fut le prototype du penseur
institutionnel incapable de mettre en relation son Buvre et sa vie" Car ce pourrait >tre une autre
d$finition & le philosophe artiste en%a%e sa vie dans son Buvre et son Buvre dans sa vie U du
moins il essaie" (l tourne le dos A la pr$tendue ob'ectivit$ de la philosophie pr$sent$e comme
science pour revendiquer la r$elle sub'ectivit$ de la vie philosophique" (l n'a aucun souci de la
th$orie pure et du th$or$tique car il veut inventer de nouvelles possibilit$s d'e8istence U et les
vivre"
Le mod@le de cette fi%ure correspond donc moins au math$maticien des concepts purs
qu'A l'artiste qui invente en cr$ant et cr$e en inventant" (l n'aspire pas A une morale selon l'ordre
des raisons %$om$triques, car il se met A l'$coute de la force le conduisant vers la production
d'Buvres, il veut la vie qui le veut" #ans la for%erie de ce concept, +ietOsche s'inscrit dans la
li%n$e des Irecs d'avant )ocrate, puis de )chopenhauer & des philosophes qui n'inscrivent pas leur
discipline dans l'ordre lo%ique apollinien mais dans celui, dionysiaque, de l'affirmation de la vie"
Le philosophe artiste veut faire de sa vie une Buvre d'art, autrement dit & une cr$ation ori%inale,
sans double, in$dite, nouvelle, surprenante, all$%oriquement d$bordante de musique et de po$sie,
de danse et chants, d'ivresse et de bacchanales" La vie de +ietOsche fut celle d'un philosophe
artiste" Celle de Camus aussi"
#@s sa premi@re dissertation sur +ietOsche et la musique, et 'usque dans ses discours A
)tocKholm lors du +obel, Albert Camus renvoie au philosophe artiste nietOsch$en & il tient A tout
pri8 A n'>tre pas philosophe si l'e8ercice de cette discipline suppose le 'eu verbal, l'$criture
'ar%onnante, l'obscurantisme savantasse" 1our avoir une id$e pr$cise de ce qui oppose le
philosophe universitaire au philosophe artiste, comparons une pa%e de la Science de la loique et
une autre d'Ainsi parlait Jarathoustra U ou bien L''omme ré+olté et la Critique de la raison
dialectique"
Le philosophe artiste ne pratique pas la philosophie pour la philosophie comme d'autres
l'art pour l'art, mais la philosophie e*istentielle U le contraire de la philosophie e*istentialiste" La
premi@re s'active dans l'esprit des philosophes antiques soucieu8 de bonne vie et de vie
philosophique, donc de pratique de la sa%esse J la seconde proc@de de la scolastique m$di$vale
revue et corri%$e par l'universit$, les %randes $coles et les lieu8 institutionnels de la pens$e U
voire les lieu8 de la pens$e institutionnelle" Camus n'a cess$ de revendiquer son %oSt pour les
philosophes e8istentiels, des philosophes artistes & 1lotin, 1ascal, RierKe%aard, +ietOsche bien
sSr, sinon de vieu8 contemporains Chestov ou Gnamuno J il a doubl$ cet aveu d'une critique des
philosophes professeurs de philosophie, Le%el en t>te, les e8istentialistes en queue"
; L'art de vivre en temps de catastrophe ?
Le philosophe artiste pense et compose en artiste, non en professeur J il se veut e8istentiel
et non do%matique J il vise la vie philosophique et non la sophistique et la rh$torique verbale J il
se met au service non pas de ceu8 qui font l'histoire, mais de ceu8 qui la subissent" La li%ne de
parta%e entre philosophes amis du pouvoir et philosophes libertaires s$pare une fois encore )artre
et Camus" #epuis 1laton, il e8iste une tradition de penseurs amis du prince, des rois, des
puissants, conseillers des %ens de pouvoir" ,n fait, dans le m>me temps, on trouve un li%na%e de
penseurs critiques, subversifs, r$tifs A la fr$quentation des cours, initi$ par #io%@ne" Camus
revendique une pens$e au service de ceu8 qui subissent les %ouvernants et non en faveur des
Ftats" On ne trouvera donc pas le philosophe artiste aupr@s de l'$quivalent contemporain de
#enys, le tyran de )yracuse U et l'on a le choi8 parmi les #enys du MM
e
si@cle"
Le combat contre l'art pour l'art se double d'un combat contre l'art en%a%$ au service d'une
cause militante, par e8emple le r$alisme socialiste" Camus r$cuse l'usa%e du mot ; r$alisme ?
dans les beau85arts sovi$tiques car cet art ne montre pas ce qui est, mais ce qui devrait >tre, A
savoir la r$volution heureuse, le bonheur du peuple, la transformation du travailleur en h$ros, le
paysan comme v$rit$ du prol$tariat, l'histoire radieuse et autres billeves$es" Le r$el sovi$tique
campe au8 antipodes du r$alisme sovi$tique & en effet, la r$volution se construit sur des cadavres,
avec des prisons et des potences J le peuple est affam$ par les bolcheviques qui utilisent la famine
comme une arme politique J le travailleur est plus encore asservi A sa machine dans la lo%ique
productiviste l$niniste que dans la lo%ique capitaliste J le paysan est un sous5homme politique
devant l'ouvrier des villes constitu$ en avant5%arde $clair$e du prol$tariat J l'histoire ruisselle de
san%, etc" L'art sovi$tique montre des h$ros inhumains porteurs de l'id$al qui les d$shumanise" On
ne saurait trouver de philosophe artiste dans cette lo%ique militante"
L'artiste tel que l'entend Camus, infus$ par le nietOsch$isme, veut $mouvoir et toucher le
plus %rand nombre dans la perspective d'une $dification personnelle" Le philosophe artiste
propose ; un art de vivre par temps de catastrophe ? 6(E" 24!9, ce qui fait de lui un m$decin de la
civilisation, un >tre capable de dia%nostiquer le nihilisme et de le soi%ner" L'Buvre compl@te
t$moi%ne & Camus varie les supports esth$tiques pour d$fendre une m>me vision du monde
doubl$e d'une m>me proposition de mondes" Le roman, la pi@ce de th$Ttre, l'adaptation th$Ttrale,
la nouvelle, le r$cit, l'essai, le livre de philosophie, la prose po$tique, l'article de 'ournal,
l'autobio%raphie, il effectue des variations esth$tiques sur une unique pens$e U proposer un style
d'>tre au monde et au8 id$es dans une $poque rava%$e par le nihilisme"
Contre l'art pour l'art et le r$alisme socialiste qui, tous deu8, travaillent A la n$%ation de
l'art, Camus souhaite un art politique, au sens $tymolo%ique & un art pour la cit$" #ans la
conf$rence du #iscours de Su3de donn$e le !4 d$cembre !-3., il invite l'artiste A trouver la
bonne distance A l'endroit du monde & ni trop ni trop peu, ni lui tourner le dos ni s'y noyer, mais le
comprendre, l'e8pliquer, le raconter, puis lutter contre la n$%ativit$ en lui U et non en ra'outer" La
tTche assi%n$e A l'artiste par le philosophe rest$ fid@le A son enfance pauvre Q )a 'ustification Q
; 1arler, dans la mesure de nos moyens, pour ceu8 qui ne peuvent le faire ? 6(E" 20!9 parce qu'un
Ftat, un %ouvernement politique, un pouvoir les opprime et les emp>che de s'e8primer" 1uis il
reprend l'anecdote consi%n$e dans ses carnets des feu8 %>nois de +ietOsche" Ia%eons qu'A cette
$preuve du feu nietOsch$en, l'ordalie a calcin$ plus d'un pr$tendu artiste"
#ans un te8te datant de !-4- intitul$ Le %emps des meurtriers, Camus assi%ne une tTche
particuli@re au philosophe artiste" (l faut, dit5il, qu'il soit farouchement ; du cXt$ de la vie, non de
la mort ? 6(((" :049" Autrement dit, le nietOsch$isme de Camus suppose l'affirmation et le
consentement A ce qui est, mais dans la mesure oN ce qui est ; dit la +ie ?" Le %rand ; oui ? doit
>tre un oui A la vie" )i ce qui est ; dit la mort ?, veut la mort, flatte la mort, ca'ole la mort, alors il
faut dire ; non ?" C$l$brer la n$cessit$ de ce qui dit la vie et l'aimer J refuser ce qui dit la mort et
le d$tester" Le philosophe artiste consent A la vie positive J il r$cuse la vie n$%ative" )a tTche
consiste A mettre sa d$termination, son vouloir et son talent au service d'autrui" L'artiste n'est pas
un >tre d'e8ception, mais un individu comme tous les autres" #@s lors, parado8e, il ne se
diff$rencie des autres que parce qu'il se met au service des autres" ,t de la vie" #onc de la vie des
autres"
Comment >tre fid@le A son enfance Q
1hilosophe artiste, Camus l'est par cette conception et cette pratique de l'art au8 cXt$s des
sans5voi8" (l l'est $%alement par l'e8ercice concret de la 'ubilation affirmative et la transformation
de ces e8p$riences e8istentielles en Buvres d'art susceptibles de t$moi%ner" <e son%e A trois te8tes
$minemment nietOsch$ens dans les e8p$riences qui les fondent, l'$criture qui les fi%e et la lecture
qu'on peut en faire & L'1n+ers et l'1ndroit 6!-:.9, 2oces ( %ipasa 6!-:-9 et L'.té 6!-349"
L'1n+ers et l'1ndroit paraWt dans une collection intitul$e ; M$diterran$enne ? cheO
Charlot, A Al%er" Ce recueil de cinq essais constitue le premier livre publi$ d'Albert Camus, il a
vin%t5quatre ans" )elon l'aveu m>me de l'auteur qui pr$face en !-3/ une r$$dition A ce livre
devenu introuvable, l'ouvra%e contient toute la th$matique A venir et nombre des su'ets r$currents
de l'Buvre compl@te" Y rebours des usa%es du monde polic$ de la philosophie institutionnelle,
Camus parle A la premi@re personne U comme Marc5Aur@le, Montai%ne, 1ascal, 7ousseau,
RierKe%aard ou +ietOsche"
Cet ouvra%e pose cette question & comment quitter le milieu pauvre de son enfance tout en
lui restant fid@le Q (l donne cette r$ponse & en racontant cette histoire %$n$alo%ique, en offrant une
ph$nom$nolo%ie litt$raire de cet univers, en d$taillant le quotidien des %ens pauvres, puis en
portant plus haut, plus loin, plus fort, les valeurs de ce peuple que le philosophe fait siennes U
l'honneur, la di%nit$, la simplicit$, le d$pouillement, la fraternit$, l'aust$rit$ et le talent pour
savoir vivre la vie qui constitue leur seule propri$t$" On peut $%alement rester fid@le au milieu
pauvre dont on provient en montrant le rXle tenu par cette enfance dans la construction d'une
sensibilit$ philosophique et politique" #ans cet ordre d'id$e, Camus d$fendra un h$donisme
libertaire port$ par 2oces pour l'h$donisme et par L''omme ré+olté pour la pens$e libertaire"
Cette premi@re Buvre s'ouvre sur une d$dicace A <ean Irenier, le professeur de
philosophie initiateur A la pens$e et A l'$criture" On retrouve dans L'1n+ers et l'1ndroit l'encre de
La #ouleur d'Andr$ de 7ichaud, ce te8te sur l'amour d'une m@re veuve pour un soldat prisonnier,
le tout sous les yeu8 de son 'eune fils, ayant tant fait pour montrer au 'eune homme qu'il pouvait
produire une Buvre d'art avec le mat$riau e8istentiel de sa vie minuscule" On retrouve l'encre,
donc, mais aussi l'atmosph@re du livre, faussement l$%@re par le style, mais m$taphysiquement
lourde par la th$matique" L'un des te8tes de ce recueil s'intitule 1ntre oui et non, un portrait de la
m@re d'Albert Camus"
Le philosophe raconte la nostal%ie de l'enfance al%$rienne, ses $motions, ses sensations,
ses perceptions & les bruits de la ville qui montent dans les maisons par le balcon, l'odeur des
boulettes de viande %rill$e dans la rue, la lumi@re sur la baie d'Al%er, la fraWcheur du soir qui
transfi%ure les parfums, les cliquetis du tramZay de minuit, les palmiers au8 %randes feuilles, les
sir@nes de remorqueurs dans le port, les %rands ficus, le caf$ %rill$, la m$lodie d'une derbouKa
accompa%n$e par une voi8 de femme, les barques qui rentrent de la p>che, les cris des enfants
s'amusant dehors, la solitude et la pauvret$, certes, mais aussi la nuit $toil$e et le bonheur du
cr$pitement des $toiles"
Camus d$crit $%alement & la m@re infirme et silencieuse, la %rand5m@re dominatrice et
m$chante, le p@re mort au combat de la 1remi@re Iuerre mondiale, la m$daille militaire A titre
posthume, les $clats d'obus retir$s de la t>te, les coups de cravache de la %rand5m@re, la beso%ne
de femme de m$na%e, la surdit$, la toile cir$e, la lampe A p$trole, l'amour pour la m@re, l'arthrite
dans ses doi%ts %ourds, la ressemblance du fils avec son p@re" ,t puis, A la fin de ces quelques
pa%es, sans autre apparente raison que le d$sir de l'auteur, quelques mots sur un condamn$ A mort
A qui l'on dit hypocritement qu'il va payer sa dette, alors qu'on va cyniquement lui couper la t>te"
La philosophie comme autobio%raphie
Ce petit te8te de sept pa%es r$di%$ par un 'eune homme de vin%t5quatre ans contient toute
la mati@re de la vie et du restant de l'Buvre du philosophe A venir" (l formule le discours de la
m$thode de cette ph$nom$nolo%ie non philosophique qui constitue une autre faVon de pratiquer la
philosophie U une faVon franVaise, autrement dit, personnelle et sub'ective, litt$raire et esth$tique,
sensualiste et empirique, autobio%raphique et psycholo%ique, humaniste et claire" Le 'eune
homme donne la cl$ de l'Buvre A venir, sans savoir que cette poi%n$e de mots constitue la r$serve
des incandescences A venir"
1ensons Camus contre lui5m>me et donnons ainsi raison au +ietOsche qui, le premier
6m>me s'il est un lecteur attentif de )ainte5*euve et de Caine, deu8 inducteurs ma'eurs dans cette
th$orie formul$e dans la pr$face au 4ai Sa+oir9, fait de toute philosophie la confession de son
auteur" Certes, on l'a vu, Camus s'oppose A cette faVon d'aborder une Buvre" On lit en effet dans
L'.té & ; L'id$e que tout $crivain $crit forc$ment sur lui5m>me et se peint dans ses livres est une
des pu$rilit$s que le romantisme nous a l$%u$es ? 6(((" 039" Mais voyons bien plutXt dans cette
d$n$%ation farouche une envie de prot$%er sa pens$e des attaques susceptibles de transformer sa
philosophie en produit d$valu$ A cause de sa nature trop franchement autobio%raphique" ,n
re%ard de la manie philosophante dominante, cet aveu qu'une pens$e s'enracine dans la vie d'un
penseur vaut condamnation d$finitive U or Camus pouvait redouter le 'u%ement des
professionnels qui confisquent la discipline" (l eut asseO A faire avec leur haine pour ne pas
a'outer de nouvelles occasions de se faire battre"
Apr@s avoir d$mont$ le m$canisme autobio%raphique de toute pens$e philosophique,
+ietOsche conclut, A rebours des penseurs institutionnels, que le syst@me se r$fute, soit, mais pas
son auteur" #ans une lettre A Lou )alom$, qu'elle utilise en pr$face A son livre sur +ietOsche, son
ancien ami $crit en effet & ; Eotre id$e de ramener les syst@mes philosophiques au8 actes
personnels de leurs auteurs est vraiment l'id$e d'une hTme sBuri J moi5m>me, A *Tle, ''ai
ensei%n$ dans ce sens l'histoire de la philosophie antique, et 'e disais volontiers A mes auditeurs &
hCe syst@me est r$fut$, et mort U mais la personnalit$ qui se trouve derri@re lui est irr$futable J il
est impossible de la tueri" ? Camus, impossible A r$futer parce que parlant A partir de son enfance
pauvre Q EoilA une id$e nietOsch$enne ad$quate pour aborder ce philosophe nietOsch$en"
1ra%ue ou Eicence
Outre ces pa%es sur la %$n$alo%ie al%$roise du penseur, Camus offre dans L'1n+ers et
l'1ndroit un e8emple de ce qu'il fait de ce d$terminisme m$diterran$en de son enfance en y
souscrivant, tou'ours en nietOsch$en" Le troisi@me essai intitul$ La "ort dans l'Ime t$moi%ne de
son %rand ; oui ? A la lumi@re m$diterran$enne, A ses pays et paysa%es, A ses vertus et ses
sensations induites" (l oppose 1ra%ue et Eicence, l',urope centrale et l',urope m$diterran$enne,
une antinomie radicale destin$e 'ouer un %rand rXle dans sa pens$e U 1aris et Al%er, )aint5
Iermain5des51r$s et *elcourt, la France et l'Al%$rie, Le%el et les Irecs, la philosophie de
l'histoire et l'e8ercice de la vie, le philosophe institutionnel et le philosophe artiste, le
christianisme et le dionysisme, 7ome et Cipasa U autrement dit, l'envers A l'endroit"
1ra%ue est associ$e A une %rande douleur cheO Camus puisque c'est dans cette ville qu'il
s$'ourne apr@s avoir d$couvert, en ouvrant une lettre adress$e A sa femme poste restante A
)alObour%, qu'elle le trompe avec son m$decin" Abattement total" ,n aoSt !-:0, il passe quatre
'ours dans la capitale de la Cch$coslovaquie apr@s avoir visit$ l'Allema%ne, puis l'Autriche & pluie,
concombres au vinai%re, bud%et e8san%ue, cuisine infTme, m$connaissance de la lan%ue,
an%oisse, d$sespoir, il e8p$rimente physiquement le d$%oSt de vivre" Le personna%e du te8te de
L'1n+ers et l'1ndroit aussi & moyens modestes, donc mauvais repas et chambre minable J
ambiance %lauque avec personna%es douteu8 J envie de vomir A cause de la nourriture satur$e de
cumin J matin$es pass$es au lit J $cBurement des visites avec collection d'$%lises baroques J dWner
tXt, coucher de bonne heure J m$lop$e lancinante d'un mendiant aveu%le qui 'oue de l'accord$on J
puis, un 'our, rentrant A l'hXtel, le personna%e aperVoit un cadavre allon%$ sur un lit par la porte
entrebTill$e d'une chambre"
Comme 1ntre oui et non porte en %ermes Le Premier 'omme, cet autoportrait A peine
travesti de La "ort dans l'Ime contient lui aussi un autre ouvra%e de Camus U L'.traner bien
sSr" Mais ce %enre de double de Meursault ne va pas commettre de crime ni finir sur l'$chafaud
car le salut lui vient de la lumi@re & il quitte 1ra%ue pour Eicence oN il va passer si8 'ours, sur une
colline pr@s de cette ville de E$n$tie" ON l'on retrouve la r$demption dionysiaque ch@re au cBur
pa]en d'Albert Camus & $lo%e des cypr@s, des oliviers, des fi%uiers, des places d'ombre et de
lumi@re des petites villes, de l'heure de midi, du bleu du ciel, des herbes brSl$es, des tuiles de
terre, des fi%uiers, des ci%ales, des past@ques et des raisins, du parfum des chemins, de la lumi@re
du soleil" Au fronton d'une villa, il d$chiffre cette phrase en latin & ; 6n mani9icentia naturae,
resurit spiritus ? 6(" 0!9 U tout est dit"
Y mi5distance de la pauvret$ et du soleil
,n !-3/, Camus pr$face une r$$dition de L'1n+ers et l'1ndroit" Y cette occasion, il livre
sur son Buvre le re%ard d'un homme qui, bien qu'en sachant peu, savait d$'A tout" Le te8te publi$
A Al%er cheO le modeste $diteur Charlot reparaWt sous la presti%ieuse couverture Iallimard" Apr@s
avoir not$ quelques maladresses inh$rentes au8 premiers essais d'$criture et de pens$e, Camus
confesse que ce livre a pour lui une valeur de t$moi%na%e consid$rable" )ource unique A laquelle
s'abreuvent ses autres livres, la th$matique ma'eure reste selon lui la pauvret$ et la lumi@re et plus
particuli@rement un certain type de relation entre ces deu8 instances"
La lumi@re a%it de telle sorte que la pauvret$ n'est pas un malheur" L'orphelin de p@re, le
pupille de la nation, le boursier de l'$cole r$publicaine, l'enfant cravach$ par sa %rand5m@re, le fils
d'une m@re handicap$e, le 'eune homme tuberculeu8 connaWt, pour l'avoir v$cue dans sa chair, la
vie des pauvres, des humili$s, des sans5%rades et des sans5voi8 & cette leVon permet au philosophe
de savoir que tout n'est pas pour le mieu8 dans le meilleur des mondes J le petit %arVon qui na%e
dans l'eau chaude de la M$diterran$e, bronOe son corps ch$tif et malin%re au soleil africain, tape
dans un ballon avec ses copains sur le sable de la pla%e d'Al%er, s'enivre des odeurs violentes de
Cipasa, lutine les belles 'eunes filles cuivr$es dans les ruines romaines, celui5lA a appris autre
chose & l'Listoire n'est pas tout" Les premi@res e8p$riences for%@rent l'homme de la %auche
libertaire J les secondes, le nietOsch$en h$doniste"
L'enfance pauvre, intellectuellement saisie A la lumi@re du savoir de l'h$doniste, lui a
appris A ne rien avoir et surtout A ne 'amais envier, mais elle lui a aussi ensei%n$ le silence, la
sobri$t$, la fiert$ naturelle, voire l'or%ueil, une certaine castillanerie moqu$e par <ean Irenier,
l'indiff$rence A l'avoir, au8 richesses, A la possession" L'enfance h$doniste, pens$e A la m>me
clart$, lui apparaWt comme une bacchanale de soleil et de mer, une or%ie sensuelle et charnelle,
une e8p$rience corporelle et $picurienne" Cette 'ouissance de soi fut v$cue dans un monde
divinis$" Camus se souvient de forces infinies et d'une volont$ sans ob'et pour cette formidable
puissance" +aissance libertaire A *elcourt J %$n$alo%ie h$doniste A Cipasa J v$rit$ al%$rienne et
m$diterran$enne du philosophe"
L'in'ustice ma'eure Q La pauvret$ sans le soleil" Camus, qui $crira plus tard des te8tes
tellement $mouvants sur la condition du travailleur immi%r$ dans les banlieues parisiennes, sait
que le pire dans la mis@re, c'est quand elle doit se vivre sous un ciel bas, sombre, avec la pluie, le
mauvais temps, l'absence de la lumi@re franche d'un soleil pur" La mis@re, la pauvret$, les
banlieues, les faubour%s industriels, la laideur U voilA ce qui, d$finitivement, obli%e A se rebeller
contre l'in'ustice des climats qui s'a'oute et a%%rave l'in'ustice sociale"
Camus a v$cu une semaine sur la pla%e, sans toit, A m>me le sable, couchant A la belle
$toile, passant ses 'ourn$es seul dans l'eau, se nourrissant fru%alement" (l sait que la libert$ et la
v$rit$ se trouvent dans une telle e8p$rience & dans le d$pouillement, tout A son >tre, insoucieu8 de
l'avoir, dans l'asc@se de l'Tme d$barrass$e des biens de ce monde, dans la tension h$doniste
consubstantielle au d$nuement qui d$finit le plus %rand des lu8es, l'homme d$couvre sa
philosophie, le penseur sa pens$e" +e rien d$sirer, ne rien envier, vieille leVon des sa%esses
sto]ciennes et $picuriennes" ,n ne poss$dant rien et en aspirant A ne rien poss$der, le sa%e se
poss@de, autrement dit il poss@de tout"
Cette pauvret$ m$taphysique d$coule de l'e8p$rience de la pauvret$ sociolo%ique un 'our
v$cue" Camus avoue $%alement que cette enfance lui a appris d'autres choses & l'absence d'envie et
de ressentiment donc, l'incapacit$ A l'amertume, mais aussi l'incertitude d'avoir r$ussi U A $crire, A
penser, A produire des livres de qualit$" La naissance dans un monde oN les id$es n'e8istent pas fit
du philosophe reconnu internationalement un ill$%itime, un personna%e 'amais sSr de lui, nulle
part certain de son talent" L'or%ueil du pauvre n'a rien A voir avec la vanit$ de l'h$ritier & le
premier n'a que sa fiert$ pour ne pas sombrer, le second sombre de n'avoir pas de fiert$, pantin
'uste anim$ par le sentiment d'avoir $t$ naturellement $lu"
)elon son propre aveu, l'ambition de 7ubempr$ ou de <ulien )orel ne l'ont 'amais tent$"
,n revanche, il se dit boulevers$ par celle de +ietOsche U A cause de son $chec et de la %rande
aventure de son esprit qui laisse loin derri@re elle tant de m$diocres" Eanit$ des reconnaissances
litt$raires, des premi@res th$Ttrales, de la vie mondaine parisienne, des salamalecs 'ournalistiques,
des succ@s de librairie, des petits pouvoirs de la critique" Ayant connu cela, Camus sait que ces
hochets sont vanit$s et poursuites du vent" 7elisant ce livre de 'eunesse, il confesse savoir
d$sormais oN se trouve l'essentiel & une m@re silencieuse, la pauvret$, la lumi@re sur les oliviers
d'(talie" 1uis il conclut & ; <e sais cela de science certaine, qu'une Buvre d'homme n'est rien
d'autre que ce lon% cheminement pour retrouver par les d$tours de l'art les deu8 ou trois ima%es
simples et %randes sur lesquelles le cBur, une premi@re fois, s'est ouvert ? 6(" :/9"
2oces ( %ipasa
Le volume intitul$ 2oces s'ouvre avec 2oces ( %ipasa U un chef5d'Buvre" Pu'est5ce qu'un
chef5d'Buvre en litt$rature philosophique Q Gne Buvre in$dite dans le fond et dans la forme, une
Buvre sans double apr@s laquelle les choses ne peuvent plus >tre comme avant dans le domaine
en question" Gne Buvre 'amais $puis$e, quelles que soient le nombre des lectures, autrement dit,
un te8te que n'$puisent pas les relectures qui, au contraire, au%mentent chaque fois la
compr$hension nouvelle de pa%es d$'A connues" Gne Buvre qui concentre d'autres Buvres, qui
porte en %erme les autres dans le cas d'une production de 'eunesse, comme ici, ou qui ramasse des
ann$es de lectures, de m$ditation, de r$fle8ion, d'$criture" Gne Buvre impossible A reproduire
comme telle, sous peine de pla%iat, bien qu'elle %$n@re d'autres Buvres th$oriques ou pratiques
cheO ses lecteurs" Gne Buvre qui chan%e la vie du lecteur & soit sa vision des choses, sa
conception du monde, sa th$orie 6l'$tymolo%ie fait descendre ce mot de contemplation9, soit sa
faVon d'>tre au monde, son e8istence concr@te, sa pratique e8istentielle" Gne Buvre qu'on ne
reprend 'amais sans tremblement de bonheur"
;ne >u+re inédite dans le 9ond et dans la 9orme, sans dou&le & en moins de si8 pa%es
r$di%$es avec une plume de po@te, cette prose po$tique et philosophique fait son%er A ce que
devait >tre le %rand po@me sur la nature d',mp$docle ou au8 Buvres de quelques auteurs dits
pr$socratiques" 1as de th$ories, de concepts, de rh$torique, d'ar%umentations lo%iques, de
d$ductions laborieuses et finalement inefficaces, rien de ce qui constitue l'habituel arsenal du
%enre philosophique apollinien dominant dans la discipline et r$%nant avec les pleins pouvoirs
dans l'institution, mais une faVon dionysienne de proc$der par collisions d'ima%es, 'u8tapositions
de sensations, synesth$sies lyriques, propositions affirmatives, le tout avec une maWtrise totale des
rythmes et des cadences qui musiquent le r$el et contrai%nent le souffle du lecteur A emprunter le
chemin voulu par l'auteur"
;ne >u+re apr3s laquelle on ne peut plus écrire ou penser comme a+ant & la philosophie
dominante a $cart$ d'un brutal revers de la main Camus et son Buvre, ce te8te donc, mais aussi
ses autres productions" On a calomni$ le penseur auquel la corporation a m>me d$ni$ le droit de
se revendiquer de la discipline prise en ota%e par la tribu bien d$cid$e A d$fendre ses
pr$ro%atives" )artre et les siens a%issent en fer de lance dans cette faVon bour%eoise de pratiquer
la philosophie issue de l'universit$ franVaise du M(M
e
si@cle toute confite en admiration envers
l'universit$ allemande, son mod@le"
L'attaque ad hominem faisant de Camus un amateur incapable de lire vraiment les te8tes
philosophiques, de les comprendre et se satisfaisant de lectures de seconde main, dispense le
professeur d'aller y voir de plus pr@s" Le d$bat n'a pas eu lieu & on ne d$bat pas, en effet, avec une
personne qu'on estime inf$rieure A soi, incomp$tente, philosophiquement inculte, etc" #@s lors, la
philosophie apollinienne peut continuer A mettre sur le march$ ses produits estampill$s dans le
plus total m$pris des possibilit$s de la philosophie dionysienne inau%ur$e par +ietOsche"
Cette Buvre nietOsch$enne parle en effet de la vie r$elle et non de la vie th$or$tique, de la
vie concr@te et non de la vie des concepts, de la vie immanente et non de la vie transcendantale &
elle parle d'un corps qui na%e, bronOe, vit, e8p$rimente ses forces, elle rapporte les effets du
soleil, de la lumi@re et de la chaleur sur ce corps, elle raconte le corps sensuel, empirique, qui
sent, %oSte, touche, e8p$rimente la mati@re du monde par tous ses sens, elle fait du corps un
instrument de saisie directe de la prose du monde, une intelli%ence imm$diate de la mati@re, elle
restitue le m$canisme d'un corps qui ne pense pas qu'avec son cerveau, mais avec la totalit$ de sa
chair, elle constitue l'e8act oppos$ m$thodolo%ique de la Phénoménoloie de la perception de
Merleau51onty & elle dit mieu8 le monde, en moins de pa%es et en $conomisant la sueur
intellectuelle du d$chiffreur d'$ni%mes ph$nom$nolo%iques apolliniennes"
;ne >u+re jamais épuisée par les relectures & la qualit$ litt$raire, le re%istre th$orique et
po$tique, au8 sens $tymolo%iques 6contemplateur et cr$ateur de monde9, le caract@re lyrique de
cette poi%n$e de pa%es fait son%er au8 architectures baroques dont la profusion de d$tails interdit
une saisie d$finitive et %lobale de l'Buvre parce que les li%nes y sont moins verticales et
horiOontales que courbes, en arabesques, en plis et replis, en d$plis nouveau8 avec une infinit$ de
combinaisons dans l'a%encement intellectuel qu'est tou'ours une lecture" Cout cela installe plus
l'Buvre philosophique dans le re%istre de la musique symphonique que dans celui de
math$matiques pures au8quelles font si souvent son%er les Buvres philosophiques apolliniennes"
;ne >u+re qui porte les autres >u+res & Camus $crit & ; ce n'est pas si facile de devenir ce
que l'on est ? 6(" !09, une phrase qui, bien sSr, fait $cho au ; #eviens ce que tu es ? du po@te
1indare, option camusienne lA encore" La mer, le soleil, la lumi@re, la 'oie de vivre, le plaisir, la
volont$ de 'ouissance cheO ce 'eune homme condamn$ par la tuberculose A une vie br@ve montre
en lui l'ombre et la lumi@re, l'en+ers et l'endroit, le sublime de la vie et le tra%ique de la mort"
Cette Buvre porte les autres, car Camus $crit que Cipasa d$finit ce que l'on pourrait
nommer, avec le vocabulaire du #eleuOe de Fu'est8ce que la philosophie K un ; personna%e
conceptuel ?" (l $crit en effet & ; Cipasa m'apparaWt comme ces personna%es qu'on d$crit pour
si%nifier indirectement un point de vue sur le monde ? 6(" !-9" Les p$dants qui, si souvent depuis
#eleuOe, consid@rent qu'un philosophe c'est avant tout un inventeur de concept et un cr$ateur de
personna%es conceptuels pourraient se retrouver pris A leur propre pi@%e car ; Cipasa ?, A la fois
concept et personna%e conceptuel, ferait de Camus auquel ils refusent l'entr$e dans leur $%lise un
imp$trant tr@s convenable"
;ne >u+re qu'on ne peut pas reproduire, mais qui permet d'en produire d'autres & un
talentueu8 auteur de pla%iat pourrait sans difficult$ $crire un te8te dans l'esprit de Camus"
L'e8ercice semble d'autant plus facile qu'on dispose avec lui d'un mod@le dont le style est franc,
net, clair et affirm$" L'ami d'Albert Camus, 1ascal 1ia $crivit ainsi un fau8 7imbaud capable de
sub'u%uer les sp$cialistes de l'auteur du )ateau i+re" 1ersonne ne saurait donc, sans sombrer dans
le ridicule, $crire ce qui peut si facilement se reproduire tant la force du style et du monde propre
sont manifestes" Copier Camus sans son idiosyncrasie n'aurait aucun sens"
,n revanche, la possibilit$ de produire des Buvres A partir de ce sublime e8ercice de
philosophie dionysienne comme une arme de %uerre lanc$e contre la philosophie apollinienne n'a
pas encore produit ses effets" La cause en est simple & dans l'esprit donn$ par cette e8pression
dans son pamphlet par 1aul +iOan, il e8iste des ; chiens de %arde ? institutionnels qui, depuis un
demi5si@cle et 'usqu'A ce 'our, veillent A ce que la philosophie apollinienne soit la seule A m$riter
l'estampille ; philosophie ?"
Le silence or%anis$ sur l'Buvre et la pens$e de Camus, l'omerta sur sa philosophie, le fait
que, bien souvent, les sp$cialistes universitaires de ce penseur viennent de la litt$rature plus que
de la philosophie, la mai%reur de la biblio%raphie vraiment philosophique sur Le "ythe de
Sisyphe ou L''omme ré+olté pourtant remplie d'une abondance de travau8 sur les romans,
confinent Camus dans l'enfer des biblioth@ques philosophiques, derri@re les $ta%@res qui mettent
en avant les produits apolliniens" On chercherait en vain le nom d'Albert Camus dans la
production philosophique de la deu8i@me moiti$ du MM
e
si@cle & Althusser, Lacan, #eleuOe,
Foucault, Iuattari, Lyotard, #errida, *audrillard, Levinas, pour ne citer que des disparus
franVais, font totalement l'impasse sur l'Buvre et le nom U tel 1laton avec #$mocrite"
;ne >u+re qui chane la +ie & Camus fait partie des philosophes e8istentiels, m>me si,
$chaud$ par la mode e8istentialiste, $nerv$ d'avoir $t$ associ$ A la meute %ermanopratine un
temps fr$quent$e, il r$cusait de la m>me mani@re les qualit$s de philosophe e8istentialiste et de
penseur e8istentiel" #onnons5lui raison sur ; e8istentialiste ?, encore que, si ce mot n'avait $t$
confisqu$ par )artre et, comme le si%nifie l'$tymolo%ie, devait d$si%ner une pens$e qui se soucie
de l'e8istence, il conviendrait parfaitement A Camus" Mais soyons fid@les A sa m$moire et A son
d$sir en dissociant son Buvre de ce mot qui en dit plus sur la mode parisienne d'un temps que sur
la profondeur d'une pens$e
,n revanche, penseur ; e8istentiel ? lui convient tout A fait, comme pour Montai%ne et
1ascal, RierKe%aard et +ietOsche, Chestov et *erdiaev, Gnamuno et Orte%a y Iasset, autrement
dit pour des Buvres qui pensent le monde dans la perspective de produire des effets
philosophiques dans l'e8istence" Le Premier 'omme contient un pro%ramme e8istentiel &
; ,ssayer de vivre enfin ce que l'on pense en m>me temps que l'on tTche A penser correctement sa
vie et son temps ? 6(E" 30/9" Les 1ssais de Montai%ne, les Pensées de 1ascal, le 4ai Sa+oir de
+ietOsche peuvent chan%er la vie de leur lecteur U comme 2oces" EoilA pourquoi on ne relit
'amais cette Buvre, sachant ce qui s'y trouve, sans tremblement de bonheur"
Eivre selon 2oces
Puelles leVons philosophiques e8istentielles trouve5t5on dans 2oces Q #es leVons
nietOsch$ennes, bien sSr, qui permettent de se mettre au centre de soi, c'est5A5dire de la nature, du
monde, du cosmos, de sorte que, A sa place dans l'univers, n'i%norant rien de notre situation
ontolo%ique, nous puissions vivre en lui et 'ubiler d'>tre au monde" Cette sa%esse venue de
+ietOsche pousse en amont ses racines 'usque cheO Fpicure qui proposait une philosophie capable
de faire de chacun de nous des dieu8 sur terre capables de 'ouir avec s$r$nit$ du pur plaisir
d'e8ister"
Camus propose une ph$nom$nolo%ie dionysienne, donc anti5apollinienne, du corps et de
la pr$sence de ce corps au monde" )a m$thode consiste moins A réduire intellectuellement le réel
pour le faire rentrer dans des concepts qu'A restituer une e*périence sensuelle pour $lar%ir l'>tre
au monde et la faire parta%er au lecteur en lui conf$rant un peu de la 'ouissance v$cue
corporellement, donc intellectuellement" Moins de quintessences verbales que d'essences
charnelles, moins de mots qui emprisonnent et plus de vocabulaire pour lib$rer les sensations"
#ans ce ; discours de la m$thode ? dionysien, les v$rit$s ne s'obtiennent pas par
d$ductions rationnelles et $vincement du corps, mais par profusions sensuelles et sollicitations de
la chair & pas de table rase pour obtenir une premi@re certitude m$taphysique sur laquelle bTtir un
chTteau de cartes ontolo%ique, mais une po$tique des $l$ments et du corps, du v$cu e8istentiel et
des e8p$riences concr@tes, afin de construire sur la seule certitude dont dispose l'ath$e & la vie et
rien que la vie, le corps et rien que Va, le bon usa%e du corps dans la vie, car il n'e8iste aucune
autre issue pour les mortels que nous sommes"
2oces ne s'adresse pas d'abord au cerveau, mais A la totalit$ du corps avec des
synesth$sies qui produisent le trouble et le verti%e sensuel & la brSlure du soleil, le parfum des
absinthes, la cuirasse d'ar%ent de la mer, les %ros bouillons de la lumi@re, l'odeur des plantes
aromatiques, la suffocation du corps saisi par cette or%ie sensuelle, et tout cela dans les huit
premi@res li%nes du te8te"
La suite est A l'avenant & le soupir odorant et Tcre de la terre d'$t$, les bou%ainvill$es rosat,
les hibiscus rou%e pTle, les roses th$ $paisses comme de la cr@me, les bordures d'iris bleu, les
lentisques et les %en>ts d$bordant des ruines, les plantes %rasses au8 fleurs violettes, 'aunes ou
rou%es, la laine %rise des absinthes, la fermentation de leurs essences ent>tantes, l'alcool de ces
fleurs faisant vaciller le ciel, l'h$liotrope blanc, le %$ranium rou%e san%, le cr$pitement des pierres
des bTtiments antiques, la m$moire des Tmes mortes de ces 7omains retourn$s au n$ant, le
bruissement concertant des insectes, les sarcopha%es vides de morts mais pleins de sau%es et de
ravenelles & ; Eoir, et voir sur cette terre, comment oublier cette leVon ? 6(" !.9"
Voir, sentir et entendre" Mais aussi toucher" Camus plon%e dans l'eau de la M$diterran$e
qui est plus qu'une mer U c'est aussi une eau %recque et romaine, litt$raire et philosophique,
%$o%raphique et historique, l'eau d'Lom@re et de 1indare, de )ocrate et d'Au%ustin, du voya%e
d'Glysse et des marchands d'huile et de vin, de la %uerre du 1$loponn@se et de la colonisation de
l'Al%$rie, une eau d',urope et d'Afrique, une eau d'enfance et de promesses d'adulte" Camus ne
touche pas avec le bout des doi%ts, mais avec la totalit$ de son corps nu U A la mani@re d'un
na%eur contemporain d',mp$docle qui se 'etterait dans l'onde comme l'homme d'A%ri%ente dans
l',tna, pour y d$couvrir sensuellement la v$rit$ cach$e au cBur du monde"
Le plon%eon ouvre l'eau p$n$tr$e par le corps" 1uis elle envahit le corps A son tour & les
oreilles, le neO, la bouche" Le liquide opaque enveloppe les 'ambes" L'eau coule sur les bras,
%lisse sur les $paules, huile le dos chauff$ par le brasier solaire" L'onde lisse les muscles et
poss@de la chair" Le corps nu, encore tremp$, sorti de l'eau, s'affale dans la poudre du sable" Le
sel enveloppe et tanne" Apr@s la pla%e, de retour dans les ruines, le corps se fait caresser par les
essences, les parfums, les odeurs qui embaument la peau"
)orti de la mer, redevenu bip@de, l'animal marin a captur$ les forces de l'eau" (l
e8p$rimente la saine fati%ue, la sati$t$ du corps et la formidable puissance ressentie" Labill$ avec
un tissu l$%er qui flotte A la moindre brise, il croque dans une p>che" Le 'us descend sur son
menton" #evant lui, sur la table d'un petit caf$, il saisit un verre de menthe verte et %lac$e puis le
boit" <oie de vivre, beaut$ du monde, splendeur du spectacle de la mer, du ciel et du soleil"
L'h$donisme n'est pas une doctrine philosophique, mais une asc@se corporelle concr@te & une
volont$ e8acerb$e de pr$sence au monde $lar%ie, totale, absolue & ; (l me suffit d'apprendre
patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir5vivre ? 6(" !/9"
Eoir le monde, entendre le monde, $couter le monde, le toucher, l'e8p$rimenter,
au%menter sa pr$sence au r$el, apprendre la science de vivre, voilA une philosophie concr@te qui
obli%e A %uerroyer contre les tenants de l'id$al asc$tique" Combat nietOsch$en lA encore" ; (l n'y a
pas de honte A >tre heureu8" Mais au'ourd'hui l'imb$cile est roi, et ''appelle imb$cile celui qui a
peur de 'ouir ? 6(" !/9" Critique de la culpabilit$ 'ud$o5chr$tienne, critique du sentiment de
p$ch$, critique du poids de la faute, critique du m$susa%e du corps, critique de l'invitation A
refuser tous les plaisirs du corps, y compris celui, simple, de la na%e dans une eau lustrale
pa]enne, critique de ceu8 qui voient dans cet e8ercice de vie philosophique $lar%ie une variation
sur le th@me du bonheur brutal et de l'or%ueil"
Au monoth$isme qui oppose #ieu et la nature, donc #ieu et les hommes, et les hommes et
la nature, Camus revendique un certain pa%anisme qui d$termine une faVon d'>tre nietOsch$en" La
formule de ce pa%anisme assimilable A un panth$isme d$barrass$ des dieu8 du panth$on antique Q
; Y Cipasa, 'e vois $quivaut A 'e crois ? 6(" !-9" On comprend que les d$fenseurs de l'id$al
asc$tique chr$tien voient dans cette d$claration d'amour A la vie sans dieu8 et sans autre culte que
celui de la nature, sans officiants, sans te8tes, sans lois, sans cler%$, sans pr>tres, une dan%ereuse
machine de %uerre contre le monoth$isme avec ses livres, ses lois, son cler%$, ses pr>tres U
autrement dit le pouvoir des clercs qui se r$clament de #ieu pour chTtrer les hommes" Camus
veut que chacun soit ici5bas un dieu pour lui5m>me U leVon de philosophie, leVon h$doniste, leVon
$picurienne, leVon nietOsch$enne, leVon libertaire"
Comme si ces $pousailles de l'homme avec la mer, le soleil, l'eau, l'air et le feu de Cipasa
avaient $t$ un %enre d'acte se8uel avec la nature, Camus raconte la fin de cette e8p$rience
h$doniste incandescente & arriver dans les ruines, plon%er dans la M$diterran$e, 'ouir de l'onde,
sortir de l'eau, se reposer de cette f>te pa]enne, boire de l'eau %lac$e, et ressentir, apr@s une telle
sati$t$, le besoin de s'en aller pour $viter la saturation du sublime" Apr@s le tumulte des parfums,
les or%ies d'odeurs, les bacchanales de lumi@re, l'esprit se calme dans l'air rafraWchi du soir" Le
corps se d$tend" Le silence int$rieur conquiert la totalit$ du corps satisfait" ; <'$tais repu ?
6(" !-9" Au5dessus de lui, les fleurs d'un %renadier, derri@re, le parfum du romarin, au loin, la mer
et le ciel" Calme, il connaWt alors la satisfaction du devoir accompli & avoir fait ; son m$tier
d'homme ? 6(" !!9, autrement dit avoir $t$ heureu8"
La cr$ation contre la civilisation
EoilA donc 2oces, si8 courtes pa%es dont il faut lon%uement se reposer" Crop
d'incandescence dan%ereuse, trop de brutalit$ pa]enne, trop de violence dionysiaque, trop d'e8c@s
sensuels, trop de lumi@re consumante, trop de ciel bleu et trop de mer noire, trop de parfums
envoStants, trop d'odeurs ent>tantes, trop d'essences enivrantes, trop de densit$, trop de 'oie
simple, trop d'ivresse bachique, trop de nature, trop de sacr$ immanent, pas asseO de
transcendance, trop d'obsc$nit$ A 'ouir du monde dans un monde qui nous invite A mourir de
notre vivant et A culpabiliser d'aimer notre vie, notre unique certitude ontolo%ique" Camus veut ce
monde5ci, rien que lui, car il n'y a que lui" (l faut l'aimer d$sesp$r$ment $crit5il" #ans Le Vent (
#jémila, le philosophe e8prime les choses clairement & il n'y a rien apr@s la mort" ,n revanche,
avant elle il y a la +ie"
#ans ; L'Ft$ A Al%er ?, un autre te8te de 2oces, Camus raconte qu'en Al%$rie le
christianisme n'a pas d$truit la simplicit$ et la na]vet$ %recques" )ur cette terre africaine, on
connaWt vraiment l'horreur de mourir car on sait ce que la mort nous enl@ve" 1ersonne n'i%nore la
'oie de vivre sans interdits, la pr$sence innocente et 'oyeuse A tous les $l$ments du monde" Camus
aime l'(talie, bien sSr, Florence, $videmment, mais il leur pr$f@re l'Al%$rie et Al%er, un pays et
une ville qui ne se prot@%ent pas de la brutalit$ pa]enne du monde en intercalant la culture entre
les hommes et la nature" (l $crit cette phrase si tonique et tellement immorale qu'elle pourrait
sortir de Par8del( &ien et mal & ; Le contraire d'un peuple civilis$, c'est un peuple cr$ateur ?
6(" !249 U et, bien sSr, il d$fend l'id$e d'une Al%$rie comme un peuple cr$ateur U ce sera le sens de
toute sa politique m$diterran$enne, sa ; pens$e de midi ?, ''y reviendrai"
,n Al%$rie, on vit sans mythes et sans consolations, dans le pr$sent" On inscrit sa vie dans
le pur instant sans le %Tcher par la nostal%ie du pass$ ou l'an%oisse de l'avenir U leVon
$picurienne" On manifeste un %rand d$%oSt pour la stabilit$" On affiche une passion insouciante
de l'avenir" Camus avoue n'avoir pas l'intelli%ence requise pour les v$rit$s transcendantales U un
aveu qui l'e8clut d$finitivement de toute corporation philosophante D La philosophie dominante
prend ses leVons dans les te8tes, elle questionne les %rands auteurs qu'elle commente A foison,
elle demande A Le%el son avis sur la nature, mais elle se trouve incapable d'y aller pour apprendre
directement d'elle" Camus ne m$diatise pas son rapport au monde par le verbe, comme les autres
philosophes & il pr$f@re l'e8p$rience imm$diate"
EoilA pourquoi, en Al%$rien revendiqu$, en Africain fier de son Tme immanente, inapte A
un abord purement c$r$bral du monde, mais dou$ plus que tous les autres pour un abord sensuel,
Camus avoue ne pas comprendre %rand5chose A la notion de p$ch$ chr$tien" (l veut bien consentir
au mot, pourvu que la chose soit d$finie autrement & le p$ch$ consiste pour lui A ne pas se
contenter de cette vie, A en esp$rer une autre et, au nom de cette esp$rance, A passer A cXt$ de la
seule vie qui soit" Manquer ici5bas sa vie sSre et certaine, au nom d'une fictive et chim$rique vie
au5delA, voilA la faute impardonnable U et tout de suite sanctionn$e & ne pas savoir vivre c'est
mourir tout de suite"
7evenir A Cipasa
2oces ( %ipasa fut une Buvre $crite par un 'eune homme de vin%t5trois ans" ,n !-3:,
Albert Camus revient dans les ruines A l'T%e de quarante ans" Le philosophe a pens$, $crit
beaucoup, publi$ des livres importants, parl$ et donn$ des conf$rences dans de nombreu8 pays
pendant di85sept ann$es" (l a publi$ L''omme ré+olté et, pour ce livre, a $t$ attaqu$ par des %ens
qui voulaient le tuer" (l n'est pas mort" Mais il sort fourbu de cet $reintement, $puis$, fati%u$"
C'est dans cet $tat d'esprit qu'il retourne A Cipasa" (l lui reste sept ann$es A vivre" )on
nietOsch$isme est intact"
Camus publie les huit te8tes qui constituent L'.té en !-34" Les quatre premiers essais,
; Le Minotaure ou la halte d'Oran ?, ; La rue ?, ; Le d$sert A Oran ?, ; Les 'eu8 ?, sont
consacr$s A Oran, une ville qu'il n'aime pas & un lieu sans Tme, un d$sert, une quintessence du
mauvais %oSt oriental et europ$en oN l'on trouve des caf$s crasseu8, des $choppes de
photo%raphes pitoyables, des ma%asins de pompes fun@bres en quantit$, des cin$mas avec de
mauvais films, des cireurs de chaussures en nombre, des combats de bo8e minables, de l'ennui,
du caillou et de la poussi@re" )i l'on veut comprendre pourquoi Camus sacrifie A l'opposition
rituelle entre Al%$rois et Oranais avec autant de mauvaise foi, il faut dire pourquoi il n'aime pas
Oran & la ville tourne le dos A la mer D Oran sera la cit$ de La Peste J Al%er celle du Premier
'omme"
#ans ; Les amandiers ?, un autre te8te de L'.té, le philosophe d$fend l'esprit contre le
sabre" Camus libertaire invite A ne 'amais courber l'$chine sous l'arme, puis A tou'ours
revendiquer le pouvoir et la puissance de l'intelli%ence" Mais l'intelli%ence A laquelle renvoie le
philosophe al%$rois est moins celle de 1aris, de )aint5Iermain5des51r$s ou de l',urope i%norante
du soleil, de la mer et de la lumi@re, que celle d'Al%er, de *elcourt ou de l'Al%$rie U l'intelli%ence
dionysienne de l'Afrique du +ord contre l'intelli%ence apollinienne des capitales europ$ennes"
L'intelli%ence nourrie par la %rande sant$ barbare des M$diterran$ens qui aiment la vie
tourne le dos A l'intelli%ence abreuv$e au nihilisme $puis$ des ,urop$ens" Cipasa contre ($na, la
pla%e contre l'universit$ allemande, l'h$donisme des corps contre l'h$%$lianisme des Tmes toutes A
la d$votion de la philosophie de l'histoire, du sens de l'histoire, de la reli%ion de l'histoire, du
proph$tisme mill$nariste de l'histoire" C'est avec l'aide de la philosophie allemande relay$e par les
penseurs parisiens que se l$%itiment les r$volutions nationales socialistes et les camps de
concentration sovi$tiques, pas avec le dionysisme m$diterran$en puisqu'il en propose l'e8act
antidote" Ceu8 qui, de *rochier A *LL, trouvent dans 2oces une philosophie p$tainiste de la terre
oublient que 1$tain ne se r$clamait ni de +ietOsche ni de Camus, encore moins du nietOsch$isme,
mais d'un retour A l'ordre moral qui faisait de l'h$donisme la cause de la d$faite"
Cipasa aurait probablement $t$ pens$ par le d$fenseur du Cravail, de la Famille et de la
1atrie comme un lieu de satrapes et de sybarites A r$$duquer dans un chantier de 'eunesse inde8$
sur l'id$al aust@re et asc$tique de )parte" La fameuse phrase ; la terre, elle, ne ment pas ? n'est
pas une souscription intellectuelle et philosophique du Mar$chal au pa%anisme antique, mais la
d$claration politique d'un id$olo%ue qui 'oue le paysan conservateur contre l'ouvrier syndiqu$, la
campa%ne traditionaliste contre la ville r$volutionnaire" C'est dans ce m>me tristement c$l@bre
Appel du mardi CL juin AMNO que se trouve cette condamnation d$finitive de l'h$donisme &
; +otre d$faite est venue de nos relTchements" L'esprit de 'ouissance d$truit ce que l'esprit de
sacrifice a $difi$ ?" L'h$donisme est un antifascisme U et parmi les plus radicau8" Celui de
Camus, on le verra, incarne peut5>tre le plus embl$matique des h$donismes politiques, donc des
antifascismes radicau8"
7evenons A l'Al%$rie & le retour A Cipasa a%it en rem@de A 1aris, A la France, A l',urope"
7evenu au pays, Camus surprend sa vieillesse dans le visa%e de ceu8 qu'il croit reconnaWtre sans
en >tre certain" Ein%t ans plus tard, il raconte le Cipasa d'alors qui, $ternel retour obli%e, reste le
Cipasa de tou'ours & les ruines antiques, les pierres chaudes, les roses parfum$es, l'odeur des
absinthes, le chant des ci%ales, le bruit des va%ues, les sarcopha%es vides, les tamaris en fleur, les
colonnes du temple d$truit" Mais, d$sormais, entour$ de barbel$s, le site est interdit d'acc@s la
nuit, on y craint les amoureu8 et leurs $treintes" (l pleut, l'Tme de Camus n'est pas au8
retrouvailles"
(l y retourne apr@s la pluie qui a lav$ le ciel rendu A sa clart$ la plus fine" #ans la lumi@re
de d$cembre, Camus retrouve ses $motions intactes" #'abord, le silence" 1uis, les bruits
remplissent A nouveau l'espace & ; <e reconnaissais un A un les bruits imperceptibles dont $tait fait
le silence & la basse continue des oiseau8, les soupirs l$%ers et brefs de la mer au pied des rochers,
la vibration des arbres, le chant aveu%le des colonnes, les froissements des absinthes, les l$Oards
furtifs ? 6(((" 0!29" )ensation que cet instant ne finirait 'amais" 1uis, avec un peu plus de soleil, la
nature se d$chaWne" Camus croyait perdu le pouvoir th$rapeutique de Cipasa & il le d$couvre tel
qu'en lui5m>me, l'$ternit$ ne l'a pas chan%$"
#ans les ruines romaines de Cipasa, le monde recommence chaque 'our et montre que
l',urope ne constitue pas la v$rit$, le centre du monde ou de l'univers, sinon l'horiOon
ind$passable de toute m$taphysique" Au cBur du mois de d$cembre, le philosophe retrouve
l'$ternel $t$ qui le porte et l'emp>che de d$sesp$rer ou, pire, de sombrer" Fort de l'$ner%ie capt$e
dans les ruines al%$riennes, Camus se lave des insanit$s parisiennes, de la haine des 'ournalistes
et des philosophes A son endroit J il se purifie aussi de cette ,urope d$cadente, des miasmes de ce
Eieu8 Monde civilis$ mais $puis$, fini, malade, incapable de prendre des leVons lA oN la vie et la
sant$ permettent de ressourcer un >tre tout autant qu'une civilisation U l'Al%$rie"
Conclusion & le nihilisme europ$en trouve sa solution dans le dionysisme al%$rien" Ce
pays apprend A ne pas se plaindre, A ne pas %eindre ou %$mir, A ne pas se r$'ouir de son malheur,
mais A se ressaisir et A e8alter sa force" (l ne faut pas succomber A l'esprit de lourdeur, mais lui
r$sister avec ; les valeurs conqu$rantes de l'esprit ? 6(((" 3//9 formul$es par +ietOsche & ; La
force de caract@re, le %oSt, le monde, le bonheur classique, la dure fiert$, la froide fru%alit$ du
sa%e" Ces vertus, plus que 'amais, sont n$cessaires et chacun peut choisir celle qui lui convient ?
6(((" 3//9" Camus a choisi les siennes, elles d$finissent une %auche dionysiaque, une politique
m$diterran$enne U l'autre nom du nietOsch$isme de %auche"
! )ur le combat de Camus contre le totalitarisme mar8iste5l$niniste qui a cr$$ le %oula%,
voir cahier photos, p" ."

:
L'e8p$rience int$rieure du communisme
Comment conserver et d$passer son maWtre Q
; 7encontrer cet homme aura $t$ un %rand bonheur"
Le suivre aurait $t$ mauvais, ne 'amais l'abandonner sera bien" ?
Camus, Carnets 6(E" !3.9"

L'histoire contre la l$%ende
L'adh$sion d'Albert Camus au 1arti communiste franVais entre aoSt5septembre !-:3 et la
m>me p$riode en !-:. m$rite un e8amen" Ein%t5quatre mois de militantisme au sein du 1C, voilA
qui $tonne en re%ard du combat antimar8iste et anticommuniste auquel on associe %$n$ralement
le nom du philosophe U souvent d'ailleurs pour oublier de pr$ciser qu'il s'a%issait d'un combat
antimar8iste, certes, mais de %auche tout de m>me, tant une auche non mar*iste semble en
France une e8pression aussi e8trava%ante qu'une psychanalyse non freudienne"
<ean Irenier 'oue un rXle important dans cette e8p$rience effectu$e par ce 'eune homme
entre vin%t5deu8 et vin%t5trois ans" L'ann$e de son adh$sion, Camus travaille A L'1n+ers et
l'1ndroit, il commence A tenir ses carnets, vient d'obtenir sa licence de philosophie, lit 1lotin et
Au%ustin pour son diplXme d'$tudes sup$rieures, il passe fin aoSt quelques 'ours A Cipasa et se
nourrit m$taphysiquement du lieu pour le transfi%urer philosophiquement comme on sait et, peut5
>tre 'uste apr@s 6la d$cision fut5elle mSrie dans les ruines romaines Q9, il s'inscrit au parti" (l faut
donc ima%iner le na%eur de Cipasa d$sireu8 de marier la mer, le soleil, la lumi@re et l'avenir
radieu8 du prol$tariat"
)on professeur de philosophie a trente5sept ans" Puelque temps auparavant, on s'en
souvient, il a enthousiasm$ son 'eune $l@ve avec Les Gles" Mais il est surtout celui auquel Camus,
devant la poste d'Al%er, pose un 'our la question de son destin d'$crivain U question d'un fils de
pauvre pour lequel la culture n'est pas un h$rita%e mais une conqu>te et qui se trouvera tou'ours
ill$%itime dans le milieu intellectuel" Irenier, c'est le maWtre plus que le professeur, le conseiller
et le confident plus que l'ensei%nant ou l'universitaire, l'ami si l'on peut utiliser ce mot d'un 'eune
homme alors farouche, rebelle et t$n$breu8" Irenier incarne le sa%e qui sait face au disciple
i%norant, celui qui donne A un >tre ima%inant ne 'amais pouvoir rendre, l'homme qui d$roule le fil
d'Ariane dans le labyrinthe de la culture et conseille la lecture de La #ouleur de #e 7ichaud au
bon moment, mais aussi les philosophes e8istentiels utiles A la construction de cette 'eune psych$
sauva%e"
La l$%ende dor$e pr$sente la relation CamusjIrenier sous le si%ne d'une belle histoire
$crite en lettres dor$es dans un ciel m$diterran$en, bleu, pur et immacul$ & un orphelin taciturne
sauv$ par son 'eune professeur de philosophie brillant J un enfant de mort et de muette devenu
%rand vivant au verbe qui compte %rTce A un penseur libre A la plume $l$%ante J un fils de pauvre
sauv$ par la litt$rature et la philosophie A la faveur d'une rencontre avec un %enre de p@re de
substitution ouvrant %rand le rideau du monde des id$es J un %amin du quartier populaire de
*elcourt c$l$br$ mondialement, en compa%nie du roi de )u@de, A )tocKholm, A l'T%e oN d'aucuns
commencent une carri@re d'$criture, mais rest$ fid@le A son prof de philo"
Or la l$%ende n'est pas l'histoire, elle en est m>me e8actement l'inverse" +on pas que
celle5ci soit fausse en tout, mais il nous faut temp$rer ce soleil radieu8 en portant quelques
ombres au tableau U le pri8 de la v$rit$" L'histoire e8i%e la lecture de l'Buvre compl@te des uns et
des autres, des correspondances, des bio%raphies qui r$v@lent des trous dans les $chan%es, de
lon%s silences, des fTcheries, des phrases ambi%uks, des absences de r$f$rences ou de citations
qui font sens" Alors on peut $crire les choses sans les en'oliver et montrer que, si Irenier fut
beaucoup, il ne fut pas tout, ni rien non plus" #erri@re l'homma%e appuy$ publiquement de l'$l@ve
A son vieu8 maWtre se trouve parfois un arbre plant$ pour cacher la for>t"
La clairvoyance d'un aveu%le
(l e8iste un $tran%e parado8e dans cette relation entre ces deu8 >tres & comment un maWtre
anticommuniste peut5il conseiller A son disciple de s'inscrire au parti communiste Q Puelle
$tran%e lo%ique conduit <ean Irenier A ne pas mettre en %arde son $l@ve quand il souhaite donner
la forme d'une adh$sion au parti communiste A son d$sir de fid$lit$ au milieu de son enfance, A
son souhait d'un socialisme dionysien, A son d$sir d'une %auche nietOsch$enne Q 1ourquoi celui
qui sait laisse5t5il celui qui ne sait pas faire cette e8p$rience appel$e fatalement A d$boucher sur
une d$ception Q
Car ou bien & <ean Irenier a raison en affirmant que le communisme est une secte dans
laquelle il faut abdiquer sa raison, renoncer A soi, ob$ir, se soumettre A l'orthodo8ie, se
transformer en soldat d'une id$olo%ie J alors pourquoi inviter Camus A ce suicide de
l'intelli%ence Q Ou bien, s'il invite son $l@ve A prendre sa carte, alors toute sa th$orie
anticommuniste s'effondre et la doctrine honnie sur le papier devient d$fendable dans les faits"
Autrement dit & si les te8tes de son 1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie disent vrai, Irenier a en%a%$
Camus en direction du pr$cipice ontolo%ique J ou alors & s'il croit ses conseils au 'eune homme,
alors son livre est une bluette philosophique, une plaisanterie th$or$tique" Ou alors"
Ou alors, <ean Irenier n'est pas )ocrate, mais un professeur de philosophie, un
fonctionnaire de la discipline, un ensei%nant salari$ par l'Ftat pour ensei%ner l'histoire des id$es
des autres, doubl$ d'un $crivain habile qui s'essaie au8 livres sans vraiment croire A ce qu'il $crit"
Gn pyrrhonien qui douterait m>me du doute, un sceptique incertain de son scepticisme, un
aveu%le qui ensei%nerait la clairvoyance, un docteur perple8e se persuadant de ne 'amais h$siter
en affirmant p$remptoirement les choses sans trop y croire" Irenier ne serait pas le professeur
solaire colport$ par la l$%ende, l'auteur sublime des 6nspirations méditerranéennes, l'homme des
tra'ets rectili%nes, mais celui de L'1*istence malheureuse, le traducteur de )e8tus ,mpiricus, le
maWtre du doute antique, un >tre inquiet, incertain, mais ne s'interdisant pas de savoir pour autrui
ce qu'il ne sait pas pour lui"
La th$orie critique de Irenier
Car la lecture de l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie ne laisse aucun doute & <ean Irenier a
compris, d3s AMPL, la nature dan%ereuse du communisme" Pue dit ce livre Q 1r$cisons d'abord
qu'il paraWt cheO Iallimard en !-:/, mais qu'il se compose de plusieurs essais dont le plus ancien
date de !-:3" Crois autres datent de !-:0, deu8 de !-:., et la Lettre ( "alrau* de !-:/" Les
$crits paraissent donc en librairie apr3s l'adh$sion de Camus au parti communiste en !-:3"
Mais Camus fait partie des intimes de Irenier & faut5il ima%iner que, lors de leurs
$chan%es intellectuels tous aOimuts, ils aient $vit$ la politique ou la question de l'en%a%ement
concret Q #oit5on croire que l'ancien cachait ses pens$es v$ritables au 'eune homme Q Pu'il lui
dissimulait le fond de sa r$fle8ion Q 1ire & qu'il $crivait le soir en solitaire le contraire de ce qu'il
professait en compa%nie Q Pu'il $tait un %enre de #octeur <eKyll militant par la parole pour le
communisme et un Mister Lyde libertaire dans les $crits qui mettent en %arde contre cette
dan%ereuse id$olo%ie Q
Irenier condamne tous les totalitarismes, droite et %auche confondues U avec cependant
une d$nonciation nettement plus appuy$e pour sa formule de %auche" #ans ce livre, on peut lire
cette phrase claire et nette & ; Gne fois qu'on est entr$ dans un parti on est obli%$ pour ne pas >tre
hemb>t$i de penser ce que pensent les plus b>tes ? 6-.9" #@s lors, que souhaite le maWtre en
conseillant A son disciple d'entrer dans un parti Q Pu'il mutile son intelli%ence Q se condamne A la
b>tise Q sacrifie son talent Q Pu'il se suicide intellectuellement Q
La critique de l'en%a%ement dans un parti se double d'une authentique profession de foi
antimar8iste U anticommuniste & <ean Irenier r$cuse le mat$rialisme sommaire et c$l@bre le
pouvoir de l'esprit J il pointe leur philosophie de l'histoire simpliste avec recycla%e des vieu8
th@mes $cul$s du mill$narisme J il condamne le do%matisme J il r$cuse la reli%ion de l'$conomie
qui r$duit tout au8 rapports de production et au mode de propri$t$ J il peste contre la dialectique
h$%$lienne qui l$%itime th$oriquement toute n$%ativit$ sous pr$te8te qu'elle est n$cessaire A
l'av@nement de la positivit$ U autrement dit & la dialectique donne un sens au8 r$%imes militaires,
au8 e8actions polici@res, au8 camps de barbel$s, A l'abolition de la libert$, puisque ces lo%iques
infernales pr$parent l'av@nement du paradis sur terre J il d$plore la t$l$olo%ie ir$niste d'une fin de
l'histoire confondue avec celle des contradictions dans la v$rit$ d'un Fden concret J il d$monte les
rava%es de la croyance au pro%r@s comme A une v$rit$ r$v$l$e J il montre que le mar8isme d$truit
la raison au profit d'une foi et d'un cat$chisme soutenu par une scolastique J il s'oppose A l'id$e
que la fin 'ustifie les moyens J il critique la lo%ique des tribunau8, des inquisitions, des
pers$cutions, des bSchers J il s'$tonne de l'adh$sion b$ate et du renoncement A la raison, A
l'intelli%ence et A l'esprit critique de tout militant J il d$plore le ralliement massif de
l'intelli%entsia J il ne comprend pas ce paralo%isme qui 'ustifie la %uerre ici et maintenant sous
pr$te8te d'abolir toute %uerre ou qui l$%itime le r@%ne de l'in'ustice pour en finir avec l'in'ustice J
il fait du communisme une id$olo%ie qui e8i%e la croyance, la foi, et du mar8isme une th$olo%ie J
il raille les pr$tentions A la scientificit$ de cette id$olo%ie transcendantale J il analyse la
psycholo%ie du nouveau militant qui sur'oue la ri%ueur et l'aust$rit$ J il met en perspective la
con'uration e8istentielle de la solitude et l'en%a%ement du militant qui trouve la pai8 dans le
%r$%arisme J il corri%e Mar8, fautif de croire que le mouvement historique conduit de faVon
immuable vers la r$volution alors qu'il m@ne A l'embour%eoisement du prol$tariat J il lui reproche
de n'avoir pas ima%in$ la possibilit$ d'un devenir national du socialisme U et c'est cet homme si
critique et si lucide sur Mar8, le mar8isme, le mat$rialisme dialectique et historique, le
communisme, les pays de l',st et le sovi$tisme, qui conseille A son $l@ve d'adh$rer au 1C D
Gn ; an5archiste ? d$sesp$r$
#ans une lettre A Albert Camus dat$e du !! mars !-3/, <ean Irenier caract$rise ainsi sa
politique & ; Mon r>ve est, comme celui de beaucoup, une an5archie" ? L'usa%e du trait d'union
vise A se d$marquer des anarchistes au sens classique du terme au profit d'une $tymolo%ie
renvoyant plutXt A une position spirituelle, voire ontolo%ique" Cette an5archie rappelle l'auto5
nomie, l'art d'>tre A soi5m>me sa propre norme" Comment, A %auche, fonder une soci$t$ sur l'id$e
de libert$ Q Le vieu8 professeur f$licite son $l@ve d'avoir $t$ le seul A se poser la question du
passa%e de la destruction A la construction, de la n$%ativit$ r$volutionnaire A sa positivit$ U
1roudhon parlait quant A lui d'; anarchie positive ?"
Cette an5archie de Irenier s'accompa%ne d'une m$fiance visc$rale A l'endroit de l'Ftat &
; Ou bien on suit l'Ftat et on est contre le peuple, ou bien on reste avec le peuple et on est contre
l'Ftat ? 6!::9" )on souci du peuple ne suppose pas un aveu%lement pour les masses, une passion
pour les foules & Irenier croit A l'individu, au8 individus et propose de construire le socialisme
avec eu8, par eu8, pour eu8, en utilisant non pas la violence, le force, la brutalit$, mais la
persuasion, ce qui suppose l'$chan%e, le dialo%ue, la discussion, la confrontation d'opinions"
Irenier compte plus sur les syndicalistes que sur les ministres, sur les individus plus que sur les
militants, sur les coop$ratives plus que sur l'Ftat" )i, A cette $poque, l'$tatisation des richesses ne
le choque pas, il ne souhaite pas l'$tatisation des consciences"
Y l'$poque oN Irenier conseille A Camus de s'inscrire au parti communiste, voilA sa
pens$e politique & la date de publication en revue des te8tes de l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie
montre qu'ils ont $t$ $crits et pens$s dans les moments oN Camus s'interro%e et fait le pas en
direction du 1C" ,n !-:3, l'ancien professeur a trente5sept ans, son $l@ve vin%t5deu8" Irenier a
r$di%$ sa th@se sur La Philosophie de Jules Lequier, il a publi$ quelques articles dans des revues,
contribu$ A en fonder une ou deu8, dont ; )ud ?, publi$ quelques livres dont Le Charme de
l':rient 6!-239, Les %errasses de Lourmarin 6!-:9 et, bien sSr, Les Gles 6!-::9" (l a beaucoup
voya%$" (l a $%alement $t$ un temps le secr$taire de Iaston Iallimard" Autant d'occasions de
presti%e pour le 'eune homme"
Mais cet homme est un an5archiste d$sesp$r$" On le d$couvre fra%ile psycholo%iquement"
7$form$ au service militaire, inhib$ sur l'estrade, parfois incompr$hensible lors de son cours,
lunaire, d$connect$ du monde et des r$alit$s concr@tes, il est mobilis$ A la d$claration de la
%uerre, mais confirm$ dans sa r$forme, puis en con%$ de l'Fducation nationale pour ; troubles
mentau8 ? 6Iarfitt, ::/9" 1atholo%iquement ind$cis, il e8$crait tout contact physique" <ean
Irenier ne fut pas par hasard l'auteur de L'1*istence malheureuse"
Ftiemble rapporte deu8 anecdotes qui r$sument bien le temp$rament du personna%e" La
premi@re & Irenier l'appelle pour convenir d'un rendeO5vous de d$'euner" Puelques 'ours avant, il
chan%e la date" )on ami conclut qu'il viendra donc bien comme convenu au 'our pourtant
d$command$" La seconde & ; <e me souviens, $crit Ftiemble, de ces d$'euners au restaurant, oN
lon%uement, douloureusement, il finissait par choisir sur la carte un plat que Mme Irenier sait
d$'A qu'il refusera au %arVon, ce qui lui conseille, A elle, de feindre de choisir le plat qu'elle devine
qu'il eSt aim$ pouvoir se commander ? 6Iarfitt, 34.9" EoilA donc la psycholo%ie du personna%e
qui conseille A Camus de s'inscrire au parti communiste tout en $crivant contre ceu8 qui adh@rent
au 1C"
Les choi8 d'un ind$cis
7appelons, pour avaliser la th@se de +ietOsche en vertu de laquelle toute philosophie
constitue une autobio%raphie masqu$e, que Irenier a consacr$ sa th@se A <ules Lequier, un
philosophe breton qui n'a cess$ de se poser la question du choi8 et de ses cons$quences" Lequier
est c$l@bre dans l'histoire des id$es pour son analyse de ; La feuille de charmille ? & enfant, il fit
un %este en direction d'un taillis et e8p$rimenta l'ivresse du pouvoir de choisir, de faire ou ne pas
faire, d'a%ir ou ne pas a%ir" (l avance la main vers la charmille, il entend alors un l$%er bruit dans
le fouillis des feuilles, puis voit sortir un petit oiseau qui %rimpe dans le ciel U et se fait cueillir
par un $pervier qui le d$vore" Libert$, choi8, cons$quence, responsabilit$, Lequier dispose alors
du mat$riau th$matique de sa vie de penseur"
#$s$quilibr$, fra%ile psycholo%iquement, s'infli%eant, A 'eun, de tr@s lon%ues marches A
pied pour assister A la messe 6une quarantaine de Kilom@tres9, atteint par des crises mystiques, se
croyant pers$cut$ par l'humanit$ enti@re, vivant mis$rablement, compassionnel A l'e8tr>me pour
les va%abonds, les enfants et les animau8, Lequier termine sa vie philosophiquement, bien que de
faVon absurde, puisqu'il na%e en direction du lar%e, en mer de *reta%ne, afin de trouver une
preuve de l'e8istence de #ieu & s'il e8iste vraiment, pense5t5il, il le sauvera" Lequier meurt noy$"
<ean Irenier publie au8 1GF en !-4 un livre intitul$ Le Choi* dans une collection
diri%$e par Fmile *r$hier" (l y confronte l'Occident au8 pens$es orientales et conclut A
l'impossibilit$ de conclure sur la question de l'action" (l d$veloppe cette pens$e dans ses
1ntretiens sur le &on usae de la li&erté 6!-4/9 oN il fait du ; non5a%ir ? tao]ste le sommet
ontolo%ique et m$taphysique de la philosophie pratique, une th@se reprise dans L'1sprit du
tao7sme 6!-3.9" Apr@s la %uerre 6!-4/9, il publie une traduction de )e8tus ,mpiricus, le %rand
philosophe sceptique de l'Antiquit$" ,n !-0!, il si%ne un autre ouvra%e intitul$ A&solu et choi*"
,n !-.!, la m$t$orolo%ie nationale a annonc$ une temp>te sur la r$%ion de )imiane en
Laute 1rovence oN vit son fils" (nquiet, an%oiss$, il cherche sans succ@s A le 'oindre par
t$l$phone & puis il apprend que les li%nes sont coup$es" Cette an8i$t$ port$e A son paro8ysme
d$clenche une crise cardiaque" Admis A l'hXpital, soi%n$, envoy$ en convalescence A Eernouillet,
il $crit un peu, prend des notes dans son carnet, travaille A un te8te intitul$ L'1scalier, reVoit des
amis, mais ne s'en remet pas" (l d$c@de le 3 mars A l'T%e de soi8ante5treiOe ans"
<ean Irenier sans l$%ende
Puand Irenier parle de choi8, de libert$, d'an%oisse, de responsabilit$, il parle de lui, bien
sSr" Mais ce pyrrhonien converti au non5a%ir sur le papier n'allait pas 'usqu'A pratiquer ce n$o5
tao]sme dans son e8istence" Loin de lA" Camus a probablement su tout cela et n'a pas $t$ sans
penser que cette philosophie affich$e dans les livres n'a pas $t$ suivie de beaucoup d'effets" Lui
qui souscrit A cette phrase des Considérations intempesti+es de +ietOsche & ; <'estime un
philosophe dans la mesure oN il peut donner un e8emple ? 6(((" :9, il a dS souffrir de ce
d$chirement du professeur aim$ entre le th$oricien du non5a%ir et le praticien de l'a%ir
opportuniste U car Irenier aurait %randement %a%n$ A suivre son propre ensei%nement"
La l$%ende d'un sa%e oriental pratiquant une philosophie du d$tachement ne tient pas &
Irenier a $t$ tr@s en%a%$, et mal en%a%$" #u moins, du cXt$ de la barricade qui transforme cet an8
archiste en anarchiste de droite U autrement dit, en homme qui r$cuse et refuse tous les pouvoirs,
certes, mais pour lui seul, et qui, en revanche, ne les remet pas en cause pour autrui" Irenier fut
en effet constamment maurrassien, secr@tement catholique pratiquant, munichois av$r$, oppos$ A
la 7$sistance, p$tainiste na]f, chroniqueur dans la presse collaborationniste, pas indemne
d'antis$mitisme, partisan de l'Al%$rie franVaise U autrement dit, au8 antipodes du non5a%ir tao]ste"
Camus en sut peut5>tre asseO pour avoir du mal A soutenir plus que de raison cet homme auquel il
n'a pourtant 'amais manqu$ publiquement"
On ne peut connaWtre ce que Camus savait vraiment, car Irenier taisait l'essentiel" La
parution cheO un $diteur tr@s confidentiel, en !--., de Sous l':ccupation, le 'ournal tenu par
Irenier entre novembre !-4 et le 22 'uillet !-44, permet d'en savoir plus" )on auteur a not$
cursivement chaque 'our ce que l'on consi%ne habituellement dans un 'ournal & faits et %estes,
choses dites, personnes rencontr$es, dWners, sorties au Caf$ de Flore, anecdotes diverses" Le
document rensei%ne de faVon aust@re, sans fioritures" Claire 1aulhan, A qui l'on doit l'$dition de ce
te8te, si%nale que la publication ne correspond pas au8 feuillets dactylo%raphi$s de l'ori%inal" e
avait5il besoin de caviarder, corri%er, amender Q (mpossible de r$pondre A cette question" Mais
<ean Irenier a r$or%anis$ ce 'ournal qui comportait beaucoup de choses compromettantes pour
beaucoup U dont lui Q
Gn portrait sans fard
,8aminons les choses les unes apr@s les autres" 4renier constamment maurrassien &
$tudiant, il est abonn$ A L'Action 9ran0aise J dans ses discussions avec Ieor%es 1alante sur leurs
auteurs pr$f$r$s, alors qu'ils parlent des ; purs ?, Maurras fait partie des r$f$rences de Irenier J
en !-2., <ean Iu$henno lui fait d$couvrir un recueil des lettres de )acco et EanOetti, Irenier
$crit & ; <'y ai trouv$ une raison nouvelle de continuer A me ran%er d'un cXt$ dont par
dilettantisme ''ai paru m'$loi%ner autrefois mais qui au fond a tou'ours $t$ le mien U celui oN l'on
donne raison A l'homme contre l'Ftat, la tradition, la force, etc" ? 6Iarfitt, 209, ce qui ne
l'emp>che pas en m>me temps de sauver Maurras pour son temp$rament, son style, sa
sin%ularit$ J en avril !-::, il consacre dans la +7F un lon% article A des parutions de Maurras,
Corse et Pro+ence, Promenade italienne et Le Voyae d'Ath3nes dans la +7F J pendant
l'Occupation, Irenier qui fut munichois en !-:/ $crit dans son 'ournal qu'il a ; tou'ours pens$
qu'il aurait fallu s'opposer A la %uerre dans les derni@res ann$es pour les raisons que d$veloppait
fort bien Maurras ? 6!0:9 J en 'anvier !-30, dans une conversation avec Camus rapport$e dans
ses Carnets, il dit & ; <e n'ai 'amais $t$ d'Action FranVaise parce que la conduite des %ens d'Action
FranVaise $tait odieuse et que c'$taient des imb$ciles en %rande partie J mais Maurras n'avait pas
tort dans les %randes li%nes" ? Les maurrassiens, non J Maurras, oui"
4renier secr3tement catholique & en !-2/, le dimanche de 1Tques, lui qui a fait ses $tudes
au coll@%e marianiste )aint5Charles A )aint5*rieuc entre dans une $%lise A Ath@nes et assiste A la
messe" 1our cet homme tortur$, inquiet, an%oiss$, le retour A la foi catholique l'apaise un temps,
m>me si cette conversion lui pose bien vite de nouveau8 probl@mes U les rapports entre le do%me
et la foi, les mythes chr$tiens et la v$rit$, les modalit$s de la pratique reli%ieuse et leur
articulation avec la vie quotidienne" 1our l'heure, il ne confie cette transfi%uration e8istentielle
qu'A son vieil ami de lyc$e Andr$ Festu%i@res, dominicain, historien de la philosophie antique"
1lus tard, $clectique en diable, Irenier $crira des pri@res A la +ature, A #ieu, A <$sus, A *ouddha,
A la 1erfection, une autre m>me pour passer du #ieu des philosophes A celui des chr$tiens"
4renier munichois opposé ( la Résistance & #rieu la 7ochelle propose A Irenier d'$crire
dans la nouvelle 2ou+elle Re+ue 9ran0aise" (l refuse, certes, mais moins par crainte de collaborer
que par envie de ne pas apparaWtre dans une revue qui, par son philo5%ermanisme, pourrait blesser
l'amour5propre franVais" #ans Sous l':ccupation, on peut lire ceci & ; <e lui dis 6l9 que ne
refusais pas en principe de collaborer _sic`9, que d'ailleurs en !-:/ 'e m'$tais montr$ favorable A
Munich et que 'e l'avais dit dans des articles ? 6!029" #ans la pr$face r$di%$e pour la publication
de ce livre, il affirme & ; <e ne croyais pas A l'efficacit$ d'une r$sistance active" Les moyens dont
pouvaient disposer les FranVais me paraissaient d$risoires par rapport A ceu8 dont disposaient les
Allemands" <'admirais l'esprit de sacrifice de ceu8 qui, au p$ril de leur vie, faisaient sauter des
Za%ons ou plus simplement distribuaient des tracts, mais il me semble que, m>me si ''avais eu
plus de coura%e, 'e n'aurais pas $t$ tent$ de les imiter ? 6!09" Irenier montre ici un cynisme
e8tr>mement pra%matique, loin de tout id$al de %randeur, de bravoure et de di%nit$ & parce que
l'Occupant dispose de la force, le philosophe amateur de non5a%ir n'a%it pas"
4renier pétainiste na79 & entre le !- et le 22 septembre !-4!, il assiste A Lourmarin A une
r$union pr$parant un %rand rassemblement de Jeune $rance, une or%anisation ayant pour ; but de
promouvoir l'art, la musique et la culture dans le cadre de la h7$volution nationalei p$tainiste ?
6Iarfitt, :.!9" Ami des Irenier, +okl Eesper est lA" Ce pasteur du villa%e ne cache pas son
admiration pour Eichy" Y la Lib$ration, la 7$sistance condamne sa femme A >tre e8$cut$e pour
faits de collaboration & il l'accompa%ne volontairement dans la mort"
#ans Sous l':ccupation, Irenier rapporte un dWner avec 7ancillac, 1arain, Iandillac le
- 'anvier !-4:" (l $crit sans commenter & ; #ans son discours de +okl & 1$tain a parl$ des $toiles
qui sont au ciel et permettent tou'ours d'esp$rer" (l a fait allusion au8 $toiles am$ricaines" La
preuve en est que, quelques 'ours apr@s, les Allemands ayant compris lui ont impos$ un d$saveu
$crit de Iiraud qui a $t$ publi$ dans les 'ournau8 U le bruit ayant couru que 1$tain n'avait pas
parl$ de lui5m>me A la C)F ? 6:309" Albert Camus assistait A ce repas"
Le 'ournal de Irenier fourmille d'annotations concernant le Mar$chal, on ne sait s'il y
souscrit, car il rapporte les choses sans 'u%ements & 1$tain r$siste au8 Allemands J il faut
distin%uer entre le Mar$chal d$fendable et son entoura%e ind$fendable J il plane au5dessus des
combinaisons politiques et se trouve un peu perdu J il r$siste A l'Occupant et, s'il n'a%issait pas
ainsi, ce serait pire J il se retrouve prisonnier des Allemands J puis, plus tard, il est d$coura%$ et
au bord de la d$mission J il Buvre pour les prisonniers" Le lecteur apprend m>me cette $tran%e
information & A Montoire, apr@s les discussions, 1$tain aurait demand$ A Litler une autorisation
de reparution pour La Re+ue des #eu* "ondes" Pue pense Irenier de tout cela Q +i pour ni
contre, bien au contraire"
4renier chroniqueur dans la presse colla&orationniste & selon son bio%raphe, d@s !-:05
!-:., il tient la rubrique litt$raire d'; un nouvel hebdomadaire de droite asseO douteu8 ? 6Iarfitt,
2-!9 diri%$ par Alfred Fabre5Luce, un ennemi du Front populaire proche du 11F de #oriot" Ce
'ournaliste deviendra p$tainiste, puis collaborationniste" 7appelons que la participation A ce
'ournal peu recommandable est contemporaine de te8tes constitutifs de l'1ssai sur l'esprit
d'orthodo*ie U par e8emple L'Qe des orthodo*ies en avril !-:0, L':rthodo*ie contre
l'intellience en aoSt, Remarques sur l'idée de pror3s en aoSt et septembre de la m>me ann$e"
,n !-42, dans 1aris occup$, donc, Irenier accepte la proposition d'Arland d'$crire dans
Com>dia dont *eauvoir 'u%ea qu'il $tait un support tellement compromettant qu'elle fit savoir
dans ses "émoires que )artre n'y succomba qu'une fois en !-4! tout en prenant soin de cacher sa
r$cidive de !-44 et l'amiti$ de )artre pour son directeur" Irenier contribue A une quarantaine de
num$ros entre 'uin !-42 et aoSt !-44" Le !! 'anvier !-4:, il r$di%e quelques phrases accol$es au
nom de <ean Iu$henno, dont celle5ci & ; Fcrire dans Com>dia pour lui $quivaut A trahir ? 6:2.9 U
aucun commentaire" Irenier, continuera de livrer ses chroniques"
4renier pas indemne d'antisémitisme & il ne paraWt pas %>n$ de devoir par deu8 fois son
poste dans l'$ducation nationale au8 lois anti'uives de Eichy qui, en d$cembre !-4, interdisent A
Claude L$vi5)trauss d'ensei%ner au lyc$e de %arVons de Montpellier" L'ann$e suivante, en !-4!,
ces m>mes lois antis$mites lui permettent de prendre la place de Eladimir <anK$l$vitch mis A la
porte de l'universit$ de Lille, lui aussi pour cause de 'ud$it$" Irenier $crit en mars5'uillet !-42,
sous la rubrique Ieor%es Iaillard & ; Cavaill@s lui a d$clar$ que s'il fallait pr>ter serment, il
d$missionnerait ? 62.39 U lire & pr>ter serment pour certifier n'>tre ni 'uif ni franc5maVon afin de
conserver son poste dans l'$ducation nationale" )artre et *eauvoir avaient certifi$ n'>tre ni l'un ni
l'autre"
,n novembre !-4, suite A une visite A 1aul L$autaud, Irenier $crit dans son 'ournal, puis
le barre & ; Les e8c@s des (sra$lites attirent tou'ours le malheur sur eu8 et sur le pays qui les
abrite" (ls l'envahissent, lorsque l'un est entr$ tous les autres le suivent" (l y avait douOe
professeurs 'uifs au Coll@%e de France et trente5sept 'uifs dans le second minist@re de *lum ?
6!209 U qui parle Q Pui barre Q ,t quand Q )'il s'a%it de prot$%er L$autaud, pourquoi et de qui Q
#ans une note concernant ; Les (sra$lites ?, il rapporte des propos tenus par des
antis$mites sans les commenter U les 'uifs aiment l'ar%ent, sont malhonn>tes, vendraient leurs
femmes s'ils le pouvaient, ont invent$ le racisme, sont obstin$s et or%ueilleu8, etc" (l conclut son
te8te sans qu'on sache A qui ou A quoi il renvoie en $crivant & ; Les 'uifs de toute faVon ne
s'assimilent pas & ils traWnent tou'ours apr@s eu8 en France des r$sidus du Kantisme et du
mar8isme ? 6.49" Puoi qu'il en soit, Irenier n'a pas un mot de compassion pour les 'uifs m>me
s'il connaWt les ve8ations, les humiliations, les pers$cutions et les destructions que Eichy leur
infli%e"
Au fil de son 'ournal, Irenier fait le compte des 'uifs, des demi5'uifs, des non5'uifs avec
lesquels il dWne" 1endant ces ann$es, il rencontre le Cout51aris philosophique et institutionnel &
Maurice de Iandillac, <ean 2ahl, evon *elaval, Ferdinand Alqui$, Lenri Iouhier, Iabriel
Marcel, Louis Lavelle, 7en$ Le )enne" On y apprend & que Iouhier est p$tainiste J que Iandillac,
ancien de l'Action franVaise, a $t$ rappel$ de *erlin pour y avoir tenu des propos trop pro5
allemands J que Iabriel Marcel se montre favorable A Munich, puis A 1$tain J que <ean Iuitton
travaille A la propa%ande allemande dans un camp de prisonniers J que Iustave Chibon est rest$
mar$chaliste 'usqu'A la fin" Irenier rencontre $%alement Arland et #rieu la 7ochelle, Cocteau et
L$autaud, Iiono et Frai%neau, Fabre5Luce et Cocteau et autres sommit$s rarement associ$es A la
7$sistance D Y la date de la rafle du Eel'd'Liv, Irenier n'$crit rien sur le su'et U en revanche,
ailleurs, il parle du rationnement, du pri8 des denr$es, du march$ noir, de la p$nurie, de la raret$"
4renier partisan de l'Alérie 9ran0aise & pendant la %uerre d'Al%$rie, en d$cembre !-30,
alors que les $lections viennent d'>tre report$es sine die, <ean #aniel publie dans L'1*press la
photo d'un %endarme qui tire sur un Arabe" <ean Irenier $crit & ; +'est5il pas ine8cusable
d'attaquer ainsi la France m>me si le %endarme au8iliaire qui a tir$ sur l'Arabe $tait effectivement
dans son tort Q ? 6Iarfitt, 3-:9" Irenier e8plique la d$cision du directeur du 'ournal par le
; ressentiment contre l'antis$mitisme des colons dont il a dS souffrir A *lida dans son enfance et
qu'il n'a pas pardonn$ ? 6Iarfitt, 3-:9"
Chaque fois qu'il s'e8prime sur la nouvelle loi qui, en !-4., octroie le droit de vote au8
indi%@nes dans un coll@%e $lectoral distinct de celui des *lancs, Irenier s'offusque" Le
!0 septembre !-4., il d$plore que la terre soit achet$e par les Arabes qui en privent les
propri$taires europ$ens pour n'en rien faire, ne plus la cultiver, laisser rouiller les tracteurs, faire
reculer la for>t de cinquante m@tres tous les ans par le d$boisement" Y ses yeu8, les Arabes font
r$%resser l'Al%$rie dans l'$tat mis$rable d'avant la colonisation"
Cessons5lA ce portrait accablant d'un philosophe qui aurait mieu8 fait de pratiquer la
philosophie de ses livres" Ce croyant non pratiquant du ; Zou5Zei ? tao]ste, ce sceptique
mystique du ; non5a%ir ?, ce reli%ieu8 de l'atara8ie pyrrhonienne aurait ainsi $vit$ de traverser les
ann$es d'occupation avec ce rXle asseO peu reluisant U du moins & fort peu philosophique" On eSt
aim$ sur l'occupation, la collaboration, le racisme, l'antis$mitisme, la 8$nophobie, le fascisme, le
national5socialisme, la m>me ardeur critique qu'avec le mar8isme, le communisme, le
bolchevisme qu'on trouve dans l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie"
Camus offre une r$demption A Irenier
<ean Irenier envoie sa derni@re collaboration A la revue Com>dia le 2. mai !-44, il s'a%it
d'un te8te sur 1aul L$autaud" Moins de di8 'ours plus tard, les Alli$s d$barquent en +ormandie"
Le 22 aoSt, <ean Irenier ach@te un drapeau franVais d'occasion pr@s de cinquante fois son pri8"
Crois 'ours plus tard, passa%e des troupes du %$n$ral Leclerc dans la liesse populaire, <ean
Irenier se trouve dans la foule" L'apr@s5midi, on commence A tondre des femmes" Le
- septembre, l'auteur de la quarantaine de chroniques parues dans Com>dia se rend A 1aris et va
voir Camus A Com&at" La publication des Carnets de <ean Irenier commence avec une note du
: octobre !-44" 1aris est lib$r$ depuis un mois"
Camus, r$sistant A Com&at depuis !-4:, propose A son ancien professeur de tenir la
rubrique th$Ttrale du 'ournal" 7$ponse de Irenier consi%n$e par ses soins dans Sous
l':ccupation & ; <e refuse, n'ayant pas milit$ dans la 7$sistance J surtout pas le th$Ttre, ne
pouvant sortir le soir J alors on m'offre la chronique peinture U ''accepte ? 6:..5:./9 U le premier
refus semble donc moins motiv$ par d'honorables scrupules morau8 que par de minables
convenances personnelles puisque le non au th$Ttre se transforme aussitXt en oui pour la peinture,
Irenier n'$tant pas devenu ancien r$sistant pour autant" Camus offre donc un %enre de
r$demption A Irenier U il ne parlera 'amais de l'a%ir pitoyable de ce th$oricien du non5a%ir"
L'ombre et la lumi@re
Camus a tenu deu8 discours sur <ean Irenier & publiquement, il 'oue tou'ours la carte de
l'homma%e respectueu8 en paiement A la dette contract$e dans son adolescence U en !-3-,
quelques semaines avant de mourir, la pr$face A la r$$dition des Gles brille en mod@le de piété
9iliale? Mais, de faVon plus discr@te, cod$e, cach$e, intelli%ible pour qui lit autant les silences que
les mots, Camus r$v@le son sentiment v$ritable" Puelques confidences consi%n$es dans ses
carnets, des $chan%es de lettres, les notes en mar%e d'un manuscrit inachev$ esquissent un portrait
moins l$%endaire" )i Camus a mis Irenier en lumi@re, il paraissait toutefois lucide sur ses
ombres"
Cemp$rons ainsi cette fameuse pr$face au8 Gles par la lecture du Premier 'omme, deu8
te8tes contemporains dans leur $criture" #ans un chapitre intitul$ ; 7echerche du p@re ? Camus
intitule une partie ; )aint5*rieuc et Malan 6<"I"9 ? et si%nale en note & ; Chapitre A $crire et A
supprimer ? D 6(E" .309" (nformations cardinales & ces pa%es trouvent leur place dans la lo%ique de
la qu>te du p@re J la ville bretonne et les initiales identifient <ean Irenier sans erreur possible J le
nom sous lequel le professeur de philosophie apparaWt, ; Malan ?, fait aussi son%er par
homophonie au ; )allan ? des 4r3+es de Irenier dans lequel il parle de Ieor%es 1alante, un
philosophe professeur de philosophie A )aint5*rieuc"
1uis cette $tran%e indication parado8ale, contradictoire, antinomique, o8ymorique & écrire
et supprimer U une indication pour qui Q 1our lui Q Mais alors & est5il n$cessaire de consi%ner sur
le papier, et pour m$moire, une note tellement ambi%uk Q 1our d'autres Q Mais pour qui Q Camus
ne pouvait ima%iner que ce fatal accident de la route transformerait ce manuscrit en te8te
inachev$ et qu'il faudrait donner des indications A des lecteurs sollicit$s pour l'$tablissement du
te8te d$finitif"
Puoi qu'il en soit, $crire pour effacer t$moi%ne d'un sin%ulier pro'et & écrire pour clarifier,
mettre au point, livrer ce que Camus pense au plus profond de lui5m>me, dire la v$rit$ sur le
personna%e, raconter cet homme au plus pr@s de son histoire, loin de la l$%ende cr$$e et
entretenue par ses soins J e99acer pour conserver son charme A la belle histoire, rester fid@le A la
personne qui a 'ou$ un rXle ma'eur dans la construction de son identit$" Mettre en lumi@re puis
replacer dans l'ombre Q ,t pouvoir remettre dans l'obscurit$ ce qui aura $t$ crSment $clair$ Q
1ossible"
L'affection contre le cynisme
Malan est un retrait$ des douanes" (l termine sa vie dans une ville qu'il n'a pas choisie
mais qu'il 'ustifie tout de m>me apr@s coup" Le vieil homme est aim$ par le 'eune pour sa libert$
d'esprit, de ton et de 'u%ement manifest$e des ann$es en amont, en un temps et dans un monde oN
la chose n'$tait pas si facile" #ans la conversation, d@s que l'ancien approuve, il fait suivre son
consentement d'une remarque qui en restreint la port$e" )'il parle d'un tiers dans une histoire, on
peut >tre sSr qu'il s'a%it de lui" 1ar e8emple, cette anecdote & une femme passe sa vie A clamer sa
d$testation des %Tteau8 alors qu'elle en ach@te chaque 'our A la pTtisserie du villa%e Q (l s'a%it de
lui"
Malan pratique l'ironie %rinVante" Lors d'un repas parta%$ avec Camus qui refuse de
prendre du froma%e, il lance, perfide & ; Cou'ours aussi sobre D #ur m$tier que de plaire D ?
6(E" .3/9" Camus a beau faire savoir sans violence ni acrimonie qu'il veut 'uste $viter de
s'alourdir, Malan persiste dans la m$chancet$, l'amertume, la bile, le fiel et le ressentiment &
; Oui, vous ne planeO plus au5dessus des autres ? 6i&id?9" <acques Cormery 6ce pr>te5nom
litt$raire de Camus est le nom de 'eune fille de sa m@re9, dit A ; <"I" ? qu'il n'est pas dupe de ses
d$fauts & l'absence de %$n$rosit$ dans la relation par e8emple, le soupVon d'arri@re5pens$es en
pr$sence de toute affection, la suspicion d'int$r>t dans les motifs"
L'ancien croit le 'eune homme or%ueilleu8 J pour le convaincre du contraire, Camus
propose, sur un seul acquiescement de sa part, de lui donner tout ce qui lui appartient" Malan
demande la raison d'un tel comportement" 7$ponse & ; 1arce que lorsque ''$tais tr@s 'eune, tr@s sot
et tr@s seul 6vous vous souveneO, A Al%er Q9, vous vous >tes tourn$ vers moi et vous m'aveO
ouvert, sans y paraWtre, les portes de tout ce que ''aime en ce monde ? 6i&id?9" Malan minimise et
renvoie au talent de Camus J Camus r$torque que cela ne suffit pas et qu'il faut un initiateur &
; Celui que la vie met un 'our sur votre chemin, celui5lA doit >tre pour tou'ours aim$ et respect$,
m>me s'il n'est pas responsable" C'est lA ma foi D ? 6i&id?9"
1uis, plus loin dans la conversation & ; Ceu8 que ''aime, rien ni moi5m>me ni surtout pas
eu85m>mes ne fera 'amais que 'e cesse de les aimer" Ce sont des choses que ''ai mis lon%temps A
apprendre" Maintenant 'e le sais ? 6(E" .3-5.09" Camus si%nale ensuite que, tout ( l'heure, il a
$t$ troubl$ de d$couvrir devant la tombe de son p@re qu'il $tait mort si 'eune et que lui, son fils,
avait v$cu plus lon%temps" Camus construit donc cette sc@ne litt$raire avec Malan dans le
souvenir d'aoSt !-4., quand, T%$ de trente5quatre ans, il se retrouve avec Irenier et Iuillou8
dans le cimeti@re briochin"
Le temps passe A vive allure et la perspective de la mort terrorise Malan qui, au moment
de la s$paration, invite <"C" A venir le revoir" Avant que chacun parte dans sa direction, le vieil
homme demande pardon" 1ardon pourquoi Q demande Camus" ; 1ardonneO5moi seulement de ne
pas savoir r$pondre parfois A votre affection ? 6(E" .0!9 confesse l'ancien avant de sombrer dans
une profonde m$lancolie, puis d'avouer en lui un vide affreu8, une indiff$rence qui lui fait mal"
Fcrire et effacer
Ce chapitre $crit qu'il fallait effacer, voici donc ce qu'il recelait" Voici ce qu'il 9allait
écrire & l'amour et le respect d'un 'eune homme devant A l'ancien d'>tre devenu ce qu'il est et qui
ne l'oublie pas J l'affection filiale d'un enfant ayant eu en l'adulte un %enre de p@re de substitution
qui le fit naWtre au8 mots J l'indestructible %ratitude du %amin de *elcourt invit$ au domicile de
son ensei%nant, dans la maison d'Lydra, sur les hauteurs d'Al%er, pour y d$couvrir les promesses
de l'art et du savoir J l'$ternelle reconnaissance d'un fils de pauvre devenu riche d'intelli%ence,
lucide A l'endroit d'un professeur et d'un philosophe r$v$lateur au sens photo%raphique du terme J
le remerciement pour la chance offerte et saisie J la beaut$ de la dette qui cr$e des devoirs U et
toutes choses r$p$t$es avec flamme dans la pr$face au8 Gles"
Voil(, peut8/tre, ce qu'il 9allait e99acer & le portrait d'un personna%e incapable d'aimer,
inapte au bonheur et A la 'oie de l'affection simple, sinc@re et vraie J l'acariTtre cynique, le vieil
homme fielleu8, le personna%e confit dans son ressentiment J les aveu8 de petitesse d'un >tre
incapable d'admirer et 'alou8 de celui qui l'a d$pass$ J l'inaptitude A la %$n$rosit$, au don, A la
d$pense affective J la fausset$ du personna%e au8 masques J la mauvaise Tme imbib$e de
m$lancolie, de peur de la mort, d'an%oisse e8istentielle, tout enti@re retourn$e sur elle5m>me et
comptant pour rien les hommes et le monde J l'indiff$rence A tout ce qui n'est pas lui et son salut"
La l$%ende a besoin de la pr$face des Gles J l'histoire, du Premier homme" #ans cet ultime
ouvra%e inachev$, Camus a $crit l'histoire sans la l$%ende" Cette autobio%raphie pr$sent$e comme
un roman, tellement pleine d'une histoire visible et reconnaissable mal%r$ les quelques
travestissements litt$raires, laisse si%nificativement une place importante A l'instituteur Louis
Iermain, facile A reconnaWtre sous le nom de ; Monsieur *ernard ? 6(E" /2:9, mais aucune au
professeur de philosophie"
Le nom de ; <ean Irenier ? n'y apparaWt 'amais U y compris, et surtout, dans les passa%es
concernant le lyc$e" Puand ce personna%e invisible se profile tout de m>me sous le nom de
; )allan ?, flanqu$ dans le titre de ses initiales ; <"I" ?, c'est avec une autre profession 6les
douanes D9, un autre T%e 6presque vin%t ans de plus D9, un autre physique 6une moustache D9 qui en
dissimulent un peu l'identit$ v$ritable tout en en r$v$lant son portrait psycholo%ique et humain"
1ubliquement, 'amais Camus ne se d$solidarise de Irenier J Irenier n'en prend pas non
plus l'initiative" Les Carnets de l'auteur de L'1*istence malheureuse ne manifestent 'amais de
tendresse, d'affection, de sympathie pour son ancien $l@ve" +i admiration, bien sSr" Le lendemain
de l'annonce du pri8 +obel, on peut lire & ; !. octobre !-3." Albert Camus, cheO Iallimard,
cocKtail pour le pri8 +obel" Iuillou8 %>n$ et malheureu8" Albert Camus se pr>te A toutes les
e8i%ences des photo%raphes" <ules 7oy A moi & hAlors, 'e voudrais bien savoir ce que vous penseO
de ce pri8 +obel Q c Moi Q *eaucoup de bieni" Francine Camus est lA & hCatherine 6la fille9 a
dit & m<e veu8 bien aller A )tocKholm parce qu'on m'a dit que les patins A %lace su$dois $taient
bons"= <ean 6le fils9 & mAlors, est5ce que 1apa est sSr maintenant de rester dans la litt$rature Q="i ?
Comme d'habitude, tout Irenier se r$v@le dans ses silences et ses non5dits" Mais ils trahissent
haut et clair, dans le meilleur des cas, une absence d'empathie tr@s appuy$e J dans le pire, un
ressentiment mal contenu"
)i l'on se reporte au8 Carnets de Camus cette fois5ci, les choses $tincellent moins que
dans les manifestations publiques" Ainsi, en !-3! & ; Irenier ou le simulateur & +e croyant qu'A
ce qui n'est pas de ce monde, il fait semblant d'>tre dans le r$el" (l 'oue le 'eu mais
ostensiblement" )i bien qu'on ne croit pas qu'il le 'oue" (l simule deu8 fois" ,t une fois encore &
une part de lui est r$ellement attach$e A la chair, au8 plaisirs, A la puissance ? 6(E" !!.9 U
simulateur, condamnation d$finitive cheO un philosophe qui fit de la v$rit$ sa %rande passion"
Cipasa, 2! aoSt !-:3
Ce d$veloppement sur <ean Irenier $tait n$cessaire pour comprendre comment un maWtre
visc$ralement anticommuniste peut conseiller A son 'eune disciple de s'en%a%er dans les ran%s
d'un parti dont il e8@cre l'id$olo%ie" (l permet $%alement de saisir pourquoi et comment cet an5
archiste a pu, A cause d'une psycholo%ie ambi%uk, d'une totale inadaptation au monde r$el, d'une
s$cheresse affective et d'une patholo%ie relationnelle, envoyer Camus dans les bras des
communistes qu'il d$testait tant" On saisit $%alement la peine de Camus quand il se d$couvre la
victime des errances mentales d'un homme en qui il croyait"
Gn $chan%e de lettres permet de savoir ce qui s'est dit lorsque Camus demande un conseil
sur l'opportunit$ de re'oindre les ran%s du parti communiste" La correspondance entre les deu8
hommes comporte deu8 cent trente5cinq lettres" Irenier %arde tout, il archive et classe celles de
son ancien $l@ve, alors qu'il ne le fait pas avec tous ses autres correspondants J en octobre !-:-,
Camus d$truit deu8 malles de lettres, dont celles de Irenier U c'est dire dans quelle estime il tient
alors son ancien professeur" #ans une lettre A Francine Faure dat$e du : octobre de cette m>me
ann$e, il si%nale avoir tout 'et$ au feu & les lettres des personnes qui lui sont les plus ch@res, celles
qui le flattaient, d'autres qui l'attendrissaient U Irenier appartient A cette derni@re cat$%orie"
L'ami Fr$minville avec lequel Camus a parta%$ nombre de lectures, dont 1roudhon, des
conversations enflamm$es, et d'autres aventures de 'eunesse, est entr$ au parti communiste" Les
deu8 %arVons se connaissaient depuis le lyc$e" ,n !-::, Camus a rendu compte, dans Aler
étudiant, de son livre Adolescence, cinq sonates pour saluer la +ie" Leurs $chan%es de lettres,
quand Fr$minville fait son droit A 1aris, incitent Camus A s'inscrire au m>me parti que lui,
d'autant que le 1C a char%$ le 1arisien de recruter" C'est dans cette confi%uration d'une
sollicitation de son ami que Camus interro%e Irenier sur l'opportunit$ d'un pareil en%a%ement
dans une lettre post$e fin 'uillet, d$but aoSt !-:3 U une lettre, h$las, disparue" Le r$cipiendaire
r$pond, mais ce courrier fait partie de l'autodaf$"
Coutefois, une autre missive du 2! aoSt permet de reconstruire un peu la nature de cet
$chan%e" ,lle est $crite de Cipasa D On y apprend que, dans son dernier envoi, Irenier a conseill$
A Camus de prendre sa carte au parti communiste" Ar%ument classique & l'imp$trant n'est pas dupe
de ce qui se passe dans le parti, mais il croit qu'en y entrant, vues de l'int$rieur, les choses se
pr$senteront autrement" Combien de militants ont cru na]vement chan%er le 1C en y adh$rant et
s'y sont trouv$s chan%$s sans que l'or%anisation ait remis en cause un seul iota de son id$olo%ie Q
Le 'eune homme emball$ et fou%ueu8 est attir$ par les communistes U plus que par le
communisme" 1arlant du parti communiste, il $crit en effet & ; tout m'attire vers eu8 ? U et non,
comme la lan%ue y obli%e & ; tout m'attire vers lui ?" Les outrances du parti lui semblent
facilement %u$rissables & il suffit de r$pudier quelques malentendus, mais on ne saura pas
lesquels" ,n id$aliste qu'il n'est pourtant pas par ailleurs, Camus distin%ue le communisme et les
communistes & mais qu'est5ce que le communisme sans les communistes Q Gne id$e pure, sinon
une pure id$e" ,t les communistes sans le communisme Q Gne vue de l'esprit, ou bien un
rassemblement de patrona%e la]c"
Ftonnamment, Camus le pa]en, l'antichr$tien, le nietOsch$en, l'h$doniste reproche au
communisme de manquer de ; sens reli%ieu8 ? D Le mar8isme 6qu'il ne distin%ue pas du
communisme ou des communistes9 pr$tend en effet construire une morale purement immanente,
sans le secours d'aucune transcendance" Eue de l'esprit selon Camus d'ima%iner que l'homme seul
puisse servir de fondement A une $thique, une th@se trop la]que au sens de la (((
e
7$publique
radicale5socialiste d'un Fdouard Lerriot" Camus $crit dans cette lettre & ; 1eut5>tre aussi peut5on
comprendre le communisme comme une pr$paration, comme une asc@se qui pr$parera le terrain A
des activit$s plus spirituelles" ? ; 1r$paration ? et ; asc@se ? rel@vent du vocabulaire de la
philosophie e8istentielle, certes, mais aussi de la reli%ion catholique" Ou bien de 1lotin"
1lotinien, donc communiste
C'est l'$poque au cours de laquelle, pour son diplXme d'$tudes sup$rieures intitul$
"étaphysique chrétienne et néoplatonisme, Camus lit les 1nnéades de 1lotin et les Con9essions
de saint Au%ustin, deu8 philosophes de l'Antiquit$, l'un et l'autre africains et m$diterran$ens" (ls
incarnent, pour le premier, le n$o5platonisme, autrement dit la fin de la philosophie antique, pour
le second, le christianisme, en d'autres termes l'enterrement de la philosophie antique" <ean
Irenier si@%e dans son 'ury"
Camus fait de 1lotin un artiste U or Camus se veut artiste" #e lA A consid$rer qu'il se veut
et se fait plotinien en prenant des libert$s avec le te8te du philosophe ale8andrin, il n'y a qu'un
pas" )i l'on sort des e8plications universitaires habituellement donn$es de ce travail scolaire par
les %ens du m$tier, qu'est5ce que Camus peut trouver d'int$ressant pour sa vie philosophique qui
lui permette d'aimer 1lotin puis, en m>me temps, de se vouloir communiste, mais communiste et
spiritualiste U et non platement mat$rialiste Q
1lotin ne philosophe pas pour la th$orie et le plaisir de 'on%ler avec les concepts, il n'est
pas un doctrinaire qui professe en chaire pour montrer son habilet$ dialectique ou sophistique &
c'est un philosophe e8istentiel" (l tTche de vivre sa philosophie et de philosopher pour transfi%urer
sa vie" Ce philosophe qui se r$clamait de 1laton, donc de la Ir@ce, a $crit contre les chr$tiens,
donc contre 7ome" (l croit A un monde intelli%ible qui $chappe au sensible avec lequel on peut
entretenir une relation d'union mystique et pa]enne" 1orphyre raconte dans sa Vie de Plotin que
son h$ros a connu quatre fois cette e8tase 'ubilatoire d'une union de son principe intelli%ible avec
la %rande intelli%ence du monde" Faut5il pr$ciser que pareille philosophie e8istentielle permet de
lire 2oces comme un e8ercice de style plotinien Q
Mais le communisme Q diront les esprits cha%rins" Comment pourrait5on se r$clamer de
cette mystique pa]enne qui invite A quitter le monde pour en 'ouir dans une union avec son
principe invisible et aspirer en m>me temps A une politique communautaire Q 7ien de plus facile &
lisons encore 1orphyre" Le bio%raphe du philosophe ale8andrin rapporte que 1lotin eut le d$sir
d'une cit$ platonicienne construite sur le principe communiste de la Répu&lique de 1laton D
1lotin, qui connut vin%t et un empereurs en e8ercice, a demand$ en effet A l'un d'entre eu8,
Ialien, de restaurer une ville de Campanie 'adis d$truite" Cette cit$ se serait appel$e 1latonopolis,
la ville de 1laton, elle aurait h$ber%$ des philosophes" L'entoura%e de l',mpereur emp>cha le
pro'et"
Comment Camus aurait5il pu ne pas aimer 1lotin qui d$fend tant de th@ses s$duisantes
pour ce 'eune homme Q Eoici les th@ses plotiniennes & la philosophie, l'art ou l'amour constituent
autant d'occasions d'acc$der au *ien J >tre heureu8, c'est poss$der la vie des sens et la facult$ de
raisonner correctement J la douleur et la mort ne doivent pas an%oisser le philosophe dont l'Tme
est in$branlable J le plaisir r$side dans l'atara8ie totale J le pr$sent seul est vrai J le *eau et le *ien
nomment une m>me chose qu'on peut aussi appeler #ieu J l'invitation A ne pas m$priser le monde
sensible car #ieu s'y trouve aussi J la n$cessit$ e8iste, mais nous sommes libres et responsables J
l'$ternit$ se trouve dans la nature et le temps dans le sensible J la contemplation est une action J
l'Tme universelle se r$partit dans les sin%ularit$s J l'usa%e de la raison trahit le symptXme de
l'$puisement de la capacit$ de l'intelli%ence A se suffire A elle5m>me J un m>me >tre se r$partit
dans le %rand tout J la procession vers la v$rit$ s'effectue du plus intime de soi 'usqu'au plus
parfait du monde J l'Gn5*ien ne se pense ni ne se dit J il ne s'aborde qu'au moyen d'une th$olo%ie
n$%ative J l'art est une voie d'acc@s A l'hypostase sublime J les beaut$s sensibles conduisent A la
beaut$ intelli%ible J le but consiste non pas A voir le *eau, mais A devenir le *eau, A >tre le *eau J
le bien de l'Tme c'est la vertu J la libert$ d$finit l'$tat de qui n'est pas l'esclave de lui5m>me J et
puis cette id$e radicalement politique & quand on a effectu$ tout ce travail philosophique de
procession ascendante vers l'Gn5*ien, de connaissance et d'union avec ce principe, il faut
redescendre et annoncer au8 autres la voie A suivre" Cipasa comme e8ercice plotinien de l'union
avec l'Gn5*ien J l'adh$sion au parti communiste comme contre5procession, dialectique
descendante en direction du peuple qu'il faut affranchir par la philosophie & les choses ne se
contredisent pas, elles se compl@tent"
Ce d$tour par 1lotin, sa vie, son Buvre et ses 1nnéades, montre comment on peut faire du
communisme une e8p$rience spirituelle, et ce au8 antipodes du mat$rialisme mar8iste, de son
humanisme sans transcendance, de sa la]cit$ r$ductrice, de son optimisme na]f, de sa reli%ion du
pro%r@s" )i l'on se r$f@re A cette lettre $crite de Cipasa, avec le communisme Camus souhaite
; $tablir un $tat de choses oN l'homme puisse retrouver le sens de son $ternit$" <e ne dis pas que
ceci est orthodo8e" Mais pr$cis$ment dans l'e8p$rience 6loyale9 que 'e tenterai, 'e me refuserai
tou'ours A mettre entre la vie et l'homme un volume du Capital ? U a contrario d'un volume des
1nnéades"
EoilA pourquoi la M$diterran$e, la mer, le soleil, Cipasa, +ietOsche, le communisme,
1lotin contre Au%ustin, les parfums de l'Al%$rie, constituent une constellation dans laquelle
Camus ne voit aucune contradiction, mais au contraire une immense compl$mentarit$ panth$iste"
#'autant que la mati@re stellaire liant ce ciel sublime est tou'ours la pauvret$, la mis@re et son
ori%ine sociale" #'oN cette id$e 'uste & ; (l me semble davanta%e que les id$es c'est la vie qui m@ne
souvent au communisme ? U et de demander A <ean Irenier ce qu'il en pense"
Apr@s avoir profess$ que le communisme doit $voluer 6dans l'improbable sens d'un
plotinisme A m>me de s$duire le Comit$ central9, Camus a'oute & ; Cela est suffisant pour que 'e
souscrive sinc@rement A des id$es qui me ram@nent A mes ori%ines, A mes camarades d'enfance, A
tout ce qui fait ma sensibilit$ ?" On comprend Camus adh$rant A ce communisme5lA J on ima%ine
mal que le 1C puisse se convertir un 'our A la philosophie n$oplatonicienne, m>me avec Camus
comme avocat"
Camus termine ainsi cette lettre de Cipasa & ; Eous compreneO quels peuvent >tre mes
doutes et mes espoirs" <'ai un si fort d$sir de voir diminuer la somme de malheur et d'amertume
qui empoisonne les hommes" #ans tous les cas 'e vous promets de rester clairvoyant et de ne
'amais c$der aveu%l$ment" C'est un peu votre pens$e et votre e8emple qui m'aideront ?" #outes et
espoirs, compassion et empathie, %$n$rosit$ et clairvoyance, le 'eune homme fait de Irenier, sa
pens$e et son e8emple, un mod@le"
#e fait, A cette $poque, <ean Irenier travaille A Saesse de Lourmarin, un bref te8te qui
permet de l$%itimer pareils en%a%ements" La conclusion de ces pa%es parues en mai !-:0 dit en
effet & ; Le contact avec la sa%esse populaire de la M$diterran$e peut renouveler l'homme"
Puelles que soient les r$volutions politiques, sociales ou reli%ieuses, la M$diterran$e est plus
'eune qu'elles" Le chr$tien a dS se mettre A son $cole, le communiste s'y mettra ? 639" On peut
ima%iner que cette id$e a $t$ envisa%$e et d$battue avec Camus dans la maison d'Lydra" Le
communisme amend$ et peaufin$ A l'$cole de la M$diterran$e, voilA un pro%ramme ontolo%ique
sinon m$taphysique, A d$faut d'>tre v$ritablement politique au sens classique du terme" Mais
Camus prend au s$rieu8 son professeur de philosophie" 1lotin lu par le 'eune homme a%it en fer
de lance m$diterran$en d'un 1latonopolis solaire et dionysien"
La lettre de )alObour%
Le 20 'uillet !-:0, Camus envoie une lettre A Irenier" (l lui donne des nouvelles de sa
sant$, pas bonne, de son voya%e en Autriche, de sa recherche d'un travail" La r$ponse manque,
mais elle si%nalait probablement le penchant de son auteur pour le d$terminisme, le fatalisme,
l'impossibilit$ d'a%ir sur le r$el, peut>tre aussi une certaine fati%ue d'>tre au monde" (mpossible de
se trouver uniquement dans la position purement contemplative & pendant que l'on suspend son
'u%ement ou sa pens$e, la vie continue, et les probl@mes avec elle, pense Camus" (l croit que l'on
peut, d'une part, >tre communiste, d'autre part, totalement pessimiste A l'endroit du communisme
et de la question sociale" Autrement dit & un communiste non dupe du communisme, plotinisme
obli%e D
Camus ne parvient pas A ces certitudes par la raison, l'analyse, le fonctionnement
dialectique d'une intelli%ence bien huil$e, mais par le contact avec des militants qui parta%ent son
$cart@lement e8istentiel" 1uis il a'oute que Saesse de Lourmarin lui permet $%alement de penser
ainsi" 1ourquoi Q Craversant la 1rovence, et son%eant A ce petit livre, Camus $crit & ; <e
comprenais mieu8 ce que peut apporter un pays dans des conflits qui semblent d'intelli%ence
pure" ? Au8 paroles des compa%nons politiques Camus a'oute donc le spectacle des %$o%raphies
solaires U Mar8 et +ietOsche r$concili$s"
Ce te8te d'une quinOaine de pa%es permet au *reton <ean Irenier de c$l$brer les paysa%es
m$diterran$ens, d'opposer l'Oc$an A la M$diterran$e, de 'ouir de la lumi@re provenVale, des
vi%nes, des oliviers et de la monta%ne du Lub$ron" (l fournit $%alement l'occasion de prendre de
la hauteur m$taphysique et de tenir pour n$%li%eable le souci du quotidien des hommes" Irenier
$crit & ; (l faut dire oui A tout ce qui e8iste et qui vit ? 64!9, bien que tout passe, fane, fl$trisse et
pourrisse"
Irenier c$l@bre le pays natal, les racines, le lieu de naissance" #ans Cum apparuerit, il
$crit & ; Oui, il e8iste 'e ne sais quel compos$ de ciel, de terre et d'eau, variable avec chacun, qui
fait notre climat" ,n approchant de lui, le pas devient moins lourd, le cBur s'$panouit ? 6!49"
L'$cole d$sapprend le pays, souvent m>me elle invite A le m$priser" ,lle vide l'Tme et remplit le
cerveau de formules, de principes, de mots, d'abstractions" 1uis ceci, qui ne peut que toucher
Camus & ; (l est beau de voir un fils d'ouvrier ou de paysan, loin de vouloir s'embour%eoiser
comme il lui serait si facile de le faire par l'instruction et le m$tier de fonctionnaire, demeurer,
m>me s'il a chan%$ de situation, tou'ours proche des siens et ne 'amais oublier dans son Buvre la
terre ni l'outil ? 64.9" )i Lourmarin devait se choisir un h$ros, ce ne serait pas 1rom$th$e, mais
Orph$e qui cherche et trouve dans le ciel l'ordre de la terre"
1our Irenier, le probl@me est moins l'id$al que l'e8altation de ce qui est U moins le
mar8isme que le nietOsch$isme pour le dire en d'autres termes" Mais Camus ne souscrit pas A ce
%rand ; oui ? A la vie qui e8i%erait de souscrire au8 mis@res du monde, impossibles pour lui A
b$nir ontolo%iquement" 1our Irenier, dire oui au monde est une faVon de prier, on sent bien, en
effet, que l'adoration de la Cr$ature 6la M$diterran$e, la 1rovence, le Lub$ron, Lourmarin9 ne va
pas cheO lui sans la c$l$bration de leur Cr$ateur" Le beau model$ du paysa%e renvoie au talent
d'un dieu artisan" #ire non au monde, se rebeller, ce serait dire non A #ieu, du moins A
l'intelli%ence qui pr$side au monde" Camus veut le %rand ; oui ? nietOsch$en A la vie et le %rand
; non ? communiste A ce qui est U avec 1lotin en intercesseur A Cipasa"
CreiOe ans apr@s
Croisi@me lettre ma'eure de Camus A Irenier sur cette aventure communiste & un courrier
dat$ du samedi !/ 'uin !-:/" Camus a quitt$ le 1C quelques mois plus tXt, en !-:." Gne fois de
plus, on i%nore ce que Irenier avait $crit A son correspondant, mais il avoue avoir $t$ d'abord
r$volt$, puis, apr@s r$fle8ion, il a compris, enfin il a souscrit" 1robablement s'a%itil de critiques
s$v@res A l'endroit de La "ort heureuse, premier manuscrit de Camus, puisqu'il confesse avoir
beaucoup souffert A l'$criture de ce te8te, y avoir mis beaucoup et travaill$ tous les 'ours en
sortant de son travail d'assistant m$t$orolo%ique A Al%er" On i%nore les d$tails de la correction de
copie, mais Camus parle d'$chec sur ce te8te" Le coup est tellement rude qu'il demande A son
ancien professeur s'il doit m>me continuer A $crire"
Camus parle du bonheur, confesse que la maladie le retranche du monde, des autres, de la
vie, de lui" 1as dupe, il sait que la 'oie n'$l@ve pas si haut car, apr@s elle, on d$couvre la vanit$ des
consolations" 1uis il met en relation le bonheur et la r$duction du temps de travail, la 'oie et
l'or%anisation de la cit$" Y l'$poque, il s'a%it de tendre vers la semaine de quarante5huit heures D
1as question pour lui d'un h$donisme sans politique ou d'une politique sans h$donisme"
Albert Camus a lu l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie" Eoici son commentaire & ; <'ai lu votre
livre il y a quelques 'ours" (l m'a fait un peu honte" Le coura%e n'$tait pas de notre cXt$" (l $tait du
vXtre" Ma seule e8cuse, si ''en ai une, est que 'e ne peu8 me d$tacher de ceu8 parmi lesquels 'e
suis n$ et que 'e ne pouvais abandonner" Ceu85lA, le communisme en a in'ustement anne8$ la
cause" <e comprends mieu8 maintenant que si ''ai un devoir, c'est de donner au8 miens ce que ''ai
de meilleur, 'e veu8 dire essayer de les d$fendre contre le menson%e" ? Camus termine sa lettre en
r$it$rant son affection, son attachement fid@le, sa %ratitude, mais un froid s'installe pendant un an"
Y la fin de cette ann$e !-:/, Camus envoie une lettre d'Al%er, il donne de ses nouvelles, sollicite
un avis sur un manuscrit, d$plore le lon% silence et demande comment renouer"
La v$ritable e8plication arrive beaucoup plus tard, dans une lettre envoy$e de 1aris le
!/ septembre !-3! U soit treiOe ann$es apr@s" Ce courrier r$pond A l'envoi d'un te8te r$di%$ par
<ean Irenier sur un beau cahier offert par son ancien $l@ve" #ans cette lettre, Camus commence
par r$interpr$ter la visite de son professeur A son domicile quand il $tait son $l@ve en classe de
philo & timidit$ et stup$faction de constater que <ean Irenier ait pu faire l'effort de se d$placer
dans le quartier pauvre d'Al%er afin de rencontrer l'un de ses $tudiants malades" #e cet
$v$nement, dit5il, date son ind$fectible fid$lit$"
1uis il aborde le probl@me douloureu8 du rXle de Irenier dans l'$pisode de l'adh$sion au
parti communiste & ; <e ne comprenais pas que vous ayeO pu me conseiller de devenir
communiste et que vous prenieO ensuite position contre le communisme" ? Y cette date, !-3!,
Camus dit avoir compris la position de son maWtre, mais il si%nale sa souffrance d'alors" On peut
ima%iner qu'A vin%t5deu8 ans Camus n'ait pas saisi la comple8it$ labyrinthique de cet homme
emm>l$ dans lui5m>me, emp>tr$ dans ses doutes, aspirant A l'impassibilit$ du sa%e tao]ste pour
tenter d'$chapper au8 violents tourments de son Tme en peine, n'y parvenant pas pour lui, mais
croyant tout de m>me pouvoir y e8celler pour un tiers" Pu'un pyrrhonien ait pu faire preuve de
d$termination pour un autre que lui, tout en lui indiquant une mauvaise direction, pouvait blesser
une 'eune Tme fi$vreuse, alti@re, susceptible de croire qu'on s'$tait 'ou$ de lui"
Camus en profite pour donner les raisons de son d$part du parti & le militantisme au
quotidien n'est pas en cause" Coller des affiches, distribuer des tracts, vendre L''umanité, voilA
qui, du reste, plaisait au 'eune homme sportif" 1ar ailleurs, l'action militante se confondait pour
lui avec l'animation au quotidien du Ch$Ttre du travail fond$ par ses soins et de la Maison de la
culture" Cette partie5lA de son en%a%ement communiste ne posait aucun probl@me" (l y
d$veloppait un %enre de %ramscisme m$diterran$en en phase avec son aspiration libertaire A une
%auche solaire et positive"
La cause du d$part se trouve ailleurs" Le 1C avait demand$ A Camus de recruter des
militants arabes pour les diri%er vers ; L'Ftoile nord5africaine ?, l'embryon du futur 1arti du
peuple al%$rien fond$ par Messali Lad' U ce qu'il fait avec conviction" (l apprend A connaWtre et A
appr$cier ces militants" Le Front populaire qui lui reproche son pro%ramme autonomiste dissout
; L'Ftoile nord5africaine ? d$but !-:." Le 1CF souscrit au8 poursuites, au8 arrestations et au8
emprisonnements de ces militants arabes nationalistes ayant conquis l'amiti$ de Camus U ceu8
qui insultent le philosophe transform$ en partisan de l'Al%$rie franVaise peuvent ici commencer A
r$fl$chir"
Camus entre au parti communiste al%$rien en !-:3 pour son anticolonialisme, son
antifascisme et son antimilitarisme" Mais, pour des raisons strat$%iques de politique politicienne
et de tactique $lectorale, le 1CF renonce A ces trois a8es au profit d'une autre politique & au nom
de la lutte contre les fascismes europ$ens, l'anticolonialisme n'est plus A l'ordre du 'our,
l'antimilitarisme non plus" Le %ouvernement L$on *lum r$prime les militants du 11A qui se
pr$sentent contre le 1C en Al%$rie" 1endant ce temps, le parti les d$nonce A la police" Camus
choisit la fid$lit$ A son id$al et A ses amis, pas au 1arti et A ses revirements tactiques et
$lectoralistes" Le 1arti demande A Camus de d$missionner, il refuse pour s'en faire e8clure"

La version du maWtre
<ean Irenier donne sa version dans ses souvenirs sur Al&ert Camus en !-0/" (l inscrit
l'adh$sion de son ancien $l@ve dans le conte8te & la victoire de :0, la cr$ation d'une Gnion franco5
musulmane, le dispositif de la Maison de la culture, la dynamique d'un cin$5club militant, la
n$cessit$ de lutter contre les fascismes europ$ens
!
, l'e8istence du Ch$Ttre du travail, puis celui de
l'$quipe" Y cette $poque ; le parti communiste $tait hl'aile marchantei du Front populaire, le plus
attirant de tous par son $ner%ie conqu$rante et disciplin$e" (l pouvait assurer une carri@re di%ne de
ce nom A un nouveau <ulien )orel ? 64!9"
L'$ner%ie, la conqu>te et la discipline communistes, l'opportunit$ cynique et carri$riste, la
li%ne droite pour un ambitieu8 & Irenier fournit lA de bien tristes e8plications D Leureusement
qu'il l$%itime aussi cet en%a%ement avec des ar%uments plus nobles, m>me s'il les inscrit plus
dans une lo%ique de ressentiment que de fid$lit$ & il rappelle son milieu d'ori%ine, son statut de
boursier, ses petits boulots de l'$poque" (l a'oute & sa solidarit$ avec les petits, sa fraternit$ avec
les pauvres, son intol$rance visc$rale envers les diff$rences de traitement entre ,urop$ens et
indi%@nes, voilA des raisons pour lesquelles le maWtre a cru pouvoir aller dans ce qu'il croyait >tre
le sens de son disciple"
<ean Irenier, fid@le A lui5m>me, confesse qu'il a $t$ ; satisfait ? 6449 de voir Camus
adh$rer au parti communiste comme il le lui avait conseill$, puis ; heureu8 ? de le voir quitter ce
m>me parti D (l pr$cise dans une note en bas de pa%e & ; <e partais de cette ma8ime %$n$rale que
les hommes avaient droit au bonheur, et pas forc$ment A la v$rit$" La recherche de la v$rit$, les
scrupules qu'elle entraWne, les tourments qu'elle procure doivent >tre r$serv$s, pensais5'e alors
_sic`, A quelques5uns dont le sort n'est pas enviable et qui n'attendent rien du monde ? 6449"
C'$tait mal connaWtre Camus, m>me T%$ de vin%t5deu8 ans, d'ima%iner qu'il puisse vouloir
le bonheur sans la v$rit$ ou la v$rit$ sans le bonheur, pire encore, qu'il puisse consentir A payer le
bonheur du sacrifice de la v$rit$ ou la v$rit$ d'un renoncement au bonheur D Camus voulait le
bonheur et la v$rit$, car il savait que l'$vincement de l'un causerait la mort de l'autre" Puant au
parti communiste, on sait que, dans toute son histoire, il n'eut pas plus souci de l'un que de l'autre
U et qu'il manifesta m>me dans le MM
e
si@cle un %oSt r$current pour le contraire du bonheur et les
antipodes de la v$rit$" L'auteur de l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie, lui, aurait dS le savoir"
L'ann$e !-:0, dans ses Carnets, Camus $crit A propos d'une conversation qu'il eut avec
son ancien professeur de philosophie & ; Irenier A propos du communisme & hCoute la question
est celle5ci & pour un id$al de 'ustice, faut5il souscrire A des sottises Qi On peut r$pondre oui & c'est
beau" +on & c'est honn>te ? 6((" /29" #e !-:3 A !-:., l'auteur de 2oces a choisi la beaut$ J
ensuite, et 'usqu'A la fin de sa br@ve e8istence en 'anvier !-0, le philosophe de L''omme ré+olté
a opt$ pour l'honn>tet$ U ce qui, somme toute, ne manquait pas de beaut$"
! )ur la mont$e des fascismes europ$ens, voir cahier photos, p" :"

4
Gn %ramscisme m$diterran$en
Pu'est5ce qu'une %auche dionysienne Q
; La Libert$ est un don de la mer" 1roudhon" ?
Camus, Carnets E( 6(E" !!:9"

Iauche de ressentiment et %auche dionysienne
La %auche dionysienne dit ; oui ? et tourne radicalement le dos A la %auche de
ressentiment qui dit ; non ?" La premi@re se nourrit de la pulsion de vie J la seconde, de la pulsion
de mort" +ietOsche analyse bien le m$canisme n$%atif qui motive si souvent les d$fenseurs du
socialisme, du communisme et de l'anarchisme, tout A leur envie de d$truire, briser, casser,
incendier, massacrer, tuer" Combien de pr$tendus amis du %enre humain ouvrent des prisons,
$ri%ent des %uillotines sur la place publique, activent des tribunau8 r$volutionnaires, et font
tomber les t>tes dans des paniers de sciure sous pr$te8te d'acc$l$rer le pro%r@s, de r$aliser
l'humanit$ ou de c$l$brer la fraternit$ Q
+ietOsche s'oppose au socialisme de ressentiment & anim$ par l'envie de revanche, conduit
par le d$sir de ven%eance, ce socialisme5lA s'installe du cXt$ des passions tristes et de la pulsion
de mort" +ietOsche proph$tise d@s 'umain, trop humain 6f 43!9 qu'il produira le despotisme le
plus in$dit, l'an$antissement pur et simple des individus au profit de la communaut$, la reli%ion
de l'Ftat total, l'av@nement du c$sarisme et du terrorisme $tatique, l'abrutissement id$olo%ique des
masses" (l pointe sa nature r$actionnaire & la r$volution socialiste A venir r$activera pour son
compte la tyrannie qu'elle pr$tend abolir" Cette pr$diction date de !/./ D L$nine a huit ans"
Ce socialisme repose sur la patholo%ie du r$volutionnaire qui aspire moins A la puissance
'ubilatoire positive qu'A la satisfaction n$%ative de d$truire tout ce qui emp>che son acc@s A la
puissance" (l se r$clame de la 'ustice, de la libert$, de la souverainet$ populaire, de l'$%alit$, de la
fraternit$, de la citoyennet$, mais son motif v$ritable se trouve ailleurs & dans la haine recuite,
dans l'animosit$ entretenue depuis de lon%s si@cles, dans la m$chancet$ rava%eant ses entrailles"
)inon, pourquoi tant de san% cheO les proph@tes des rivi@res de lait et de miel, du nectar politique
et de l'ambroisie communautaire Q
La critique nietOsch$enne de ce socialisme5lA ne concerne pas tous les socialismes" 1as
question de faire de +ietOsche un homme de %auche, bien sSr, mais il peut >tre un philosophe
utile pour la %auche" Lisons Aurore oN il s'insur%e du statut dans lequel on entretient les ouvriers,
roua%es dans des machines qui les broient" Leur esclava%e, dit5il, ne saurait >tre compens$ par
des au%mentations de salaire" Gne autre soci$t$, pr$tendument r$volutionnaire, mais qui
maintiendrait leur servitude au pied des machines, n'abolirait pas leur humiliation" Le vice de la
su'$tion en r$%ime capitaliste ne devient pas vertu en r$%ime socialiste" La productivit$ et
l'enrichissement des nations se paient d'un sacrifice domma%eable de valeur int$rieure doubl$
d'un d$%oSt de soi" Les socialistes invitent A >tre pr>ts pour le %rand soir, mais ils entretiennent en
attendant la honte de cet $tat sans certifier qu'avec leur triomphe cette indi%nit$ disparaWtrait"
+ietOsche invite non pas A d$truire ici, mais A cr$er ailleurs"
Lisons & ; Les ouvriers, en ,urope, devraient d$clarer d$sormais qu'ils sont une
impossibilit$ humaine en tant que classe, au lieu de se d$clarer seulement, comme il arrive
d'habitude, les victimes d'un syst@me dur et mal or%anis$ J ils devraient susciter dans la ruche
europ$enne un T%e de %rand essaima%e, tel que l'on n'en a encore 'amais vu, et protester par cet
acte de nomadisme de %rand style contre la machine, le capital et l'alternative qui les menace
au'ourd'hui & de+oir choisir entre >tre esclave de l'Ftat ou esclave d'un parti r$volutionnaire ?
6f 209" C$l$bration de la volont$ positive"
ON l'on voit A quoi pourrait ressembler un socialisme dionysien & un socialisme de
l'affirmation et non de la n$%ation" Affirmation libertaire en $cho A La *o$tie qui $crivait dans
son #iscours de la ser+itude +olontaire & ; )oyeO r$solus de ne plus servir, et vous voilA libres" ?
1as besoin de dresser des %ibets, d'accrocher des capitalistes au8 potences, de faire un spectacle
de %uillotines, de spolier les propri$taires, d'incendier les manufactures, de brutaliser les
contremaWtres et les patrons" <uste affirmer sa puissance, sa force, son renoncement A l'esclava%e
au profit d'une libert$ acquise et conquise sans recourir A la violence ou au8 armes"
Gn nietOsch$isme de %auche
Camus propose l'antidote A cette %auche de ressentiment" On ne trouve nulle part dans son
Buvre compl@te et dans sa correspondance de propos tenus sous le si%ne des passions tristes"
Camus n'est pas homme de ressentiment car il est homme de fid$lit$" Gn lecteur patient
chercherait en vain dans Le Premier 'omme des passa%es dans lesquels il vouerait au8 %$monies
les %ens de pouvoir tenus pour responsables de la pauvret$ de sa famille" (l n'a pas de haine pour
l'Ftat franVais qui envoie son p@re mourir au front, aucun mot m$chant pour les employeurs de sa
m@re femme de m$na%e, il ne r$crimine pas contre les parents de ses camarades d'$cole mieu8
lotis que lui, plus ais$s, plus riches, il ne manifeste aucune violence contre le pr>tre qui le %ifle si
violemment au cat$chisme qu'il lui abWme l'int$rieur de la bouche, il n'entretient pas de mauvaises
pens$es A l'endroit de ses employeurs lors de ses sta%es cheO un quincaillier, puis cheO un courtier
maritime & nulle part il ne veut incendier le monde parce qu'il connaWt la mis@re"
Le socialisme de ressentiment est nocturne, thanatophilique J le socialisme dionysien est
un socialisme de fid$lit$ & 'amais Camus n'oublie d'oN il vient" )on ori%ine ne constitue pas une
%loire factice, mais il vit d'une promesse faite A son milieu de ne 'amais l'oublier" Y 1aris, A )aint5
Iermain5des51r$s, il cXtoie le petit monde philosophique" Gne photo c$l@bre de *rassa] le montre
dans l'atelier de 1icasso en compa%nie du %ratin du moment & )artre assis, un Bil vers le
photo%raphe, Lacan flou, 6cheO lui c'est un destin D9, 1icasso les bras crois$s fi8ant l'ob'ectif,
*eauvoir avec un sourire malicieu8, tenant un livre comme un missel avant la messe, Leiris assis
en tailleur, plus quelques autres"
Camus est accroupi, entre )artre et Leiris" (l ne re%arde pas le photo%raphe, mais caresse
un chien assis sur un tapis devant lui" 1lutXt l'animal sans nom que la compa%nie des acteurs du
#ésir attrapé par la queue, cette pi@ce de th$Ttre $crite par le peintre et 'ou$e cheO lui devant
Michau8, *raque, )alacrou, <ean5Louis *arrault, Mouloud'i U et Maria Casar@s" La photo date du
!- mars !-44" #ans ses Carnets, A la date de !-42, Camus $crit & ; Ouvriers franVais U les seuls
aupr@s desquels 'e me sente bien, que ''aie envie de connaWtre et de hvivrei" (ls sont comme moi ?
6((" -349"
CheO +ietOsche comme cheO Camus, la critique du socialisme de ressentiment n'est pas
critique du socialisme, mais critique du ressentiment" On ne peut souscrire, au nom du
socialisme, au8 passions tristes U au8 forces nihilistes, dirait le philosophe allemand" L'un et
l'autre communient dans le soleil, la lumi@re, la clart$ m$diterran$enne contre la lourdeur
%ermanique, europ$enne" Le refus du socialisme despotique est refus du despotisme, pas du
socialisme" Car un socialisme peut s'abreuver A d'autres sources qu'au8 eau8 noires du
ressentiment & la fid$lit$ affirmative, le souci dionysiaque et la vie solaire par e8emple" Camus
aime la vie, veut la vie et souhaite en au%menter les potentialit$s, pour lui et pour les autres" )on
communisme s'inscrit ontolo%iquement dans ce d$sir"
)ocialisme apollinien, socialisme dionysien
L'opposition socialisme de ressentiment et socialisme d'affirmation recouvre d'autres
couples possibles & socialisme apollinien et socialisme dionysien, socialisme europ$en et
socialisme m$diterran$en, socialisme de 1aris et socialisme de Cipasa, socialisme de l'id$al
asc$tique et socialisme h$doniste, socialisme c$sarien et socialisme libertaire, socialisme
nocturne et socialisme solaire, socialisme transcendantal et socialisme empirique, autrement dit &
socialisme de Mar8 et socialisme de 1roudhon, ou bien encore & socialisme de )artre et
socialisme de Camus"
(l en va de la premi@re modalit$ du socialisme de d$truire la seconde, de l'interdire, de la
salir" )a lo%ique cynique suppose un machiav$lisme total & la fin 'ustifiant les moyens, tout est
bon pour disqualifier un socialisme qui s'accomplirait par et pour le peuple, et non contre lui"
Mar8 donne l'e8emple avec 1roudhon et les proudhoniens lors des combats id$olo%iques de la
1remi@re (nternationale" 1our obtenir le leadership europ$en, l'auteur du Capital proc@de de faVon
radicale & d'abord id$olo%iquement, puis en activant les attaques ad hominem"
(d$olo%iquement, il oppose le socialisme scientifique, le sien, au socialisme utopique,
celui de tous les autres" Le premier, par$ de toutes les plumes de la scientificit$, dirait la v$rit$ de
l'histoire & le rXle architectonique de la dialectique, la violence accoucheuse de v$rit$, le caract@re
in$luctable de la r$volution, l'analyse de la lo%ique du capital, le m$canisme autodestructeur du
capitalisme, la n$cessit$ d'une avant5%arde $clair$e du prol$tariat, etc" #ans un m>me temps, tous
les autres socialismes sont vilipend$s et ta8$s d'utopisme & du plus s$rieu8 proudhonisme au plus
fantasque fouri$risme en passant par toutes les autres possibilit$s sociales, Mar8 ne d$taille pas"
Cous ne valent rien et le sien vaut tout"
Lumainement, Mar8 ne recule devant rien pour discr$diter l'anarchisme en fomentant des
bruits de couloir sur ses adversaires les plus dan%ereu8 & ainsi *aKounine devientil un a%ent A la
solde du tsar, un indicateur de la police, un dan%ereu8 intri%ant, un animateur de secte J quant A
1roudhon, ouvrier autodidacte, Mar8 s'en moque sous pr$te8te qu'il ne comprendrait rien A Le%el,
A sa philosophie de l'histoire et A sa conception de la dialectique" Mar8, %rand bour%eois mari$ A
une baronne et vivant au8 crochets de son ami ,n%els qui le subventionne avec les b$n$fices de
ses usines, traite l'artisan 1roudhon de petit bour%eois D L'auteur du Capital obtient la mainmise
sur le socialisme europ$en avec l'aide de ses affid$s qui bourrent les urnes lors des Con%r@s U
celui de La Laye notamment"
Le M(M
e
et le MM
e
si@cle ont v$cu sous la f$rule du socialisme mar8iste & toute critique
socialiste de ce socialisme5lA a $t$ $tiquet$e non pas critique socialiste, ou critique de %auche,
mais critique bour%eoise et petite5bour%eoise, critique r$actionnaire et conservatrice, critique
fasciste voire naOie, parfois m>me hitl$ro5trostKyste 6D9, critique de droite tou'ours" Albert Camus
fit les frais de cette rh$torique bolchevique pour laquelle quiconque n'est pas socialiste mar8iste
ne saurait >tre socialiste" L''omme ré+olté, %rand livre socialiste libertaire, immense te8te
anarcho5syndicaliste, a $t$ pulv$ris$ en son temps avec ce %enre de sophistique"
La mission civilisatrice de l'Al%$rie
#'oN l'int$r>t d'e8aminer la nature de ce socialisme antimar8iste sans sombrer dans le
pi@%e qui consiste A confondre ce socialisme li&ertaire dont on n'a pas l'habitude avec un
socialisme social8démocrate U l'habituelle $tiquette accol$e au nom de Camus par les rares
auteurs qui abordent sa politique" Le communisme plotinien inau%ure la premi@re forme prise
cheO lui par ce socialisme libertaire" #ans ces ann$es !-:35!-:., cette sensibilit$ libertaire
nourrit son socialisme m$diterran$en, lui5m>me compa%non de la 'oie %recque, de l'all$%resse
italienne, de l'esprit espa%nol et du %$nie al%$rien" +ous sommes loin du ($na de Le%el, du *erlin
de Mar8 ou du Moscou de L$nine, au8 antipodes de la chaire universitaire, du cabinet de lecture
et du Rremlin"
L'effet ; %uerre d'Al%$rie ? masque encore au'ourd'hui les perp$tuelles d$clarations
d'amour d'Albert Camus A l'Al%$rie" (l aime la terre et le peuple, les paysa%es et les parfums de ce
pays U le sien & terre de son p@re et de sa m@re, terre de ses %rands5parents depuis l'installation de
ses anc>tres en compa%nie de quarante5huitards e8il$s pr@s de )olferino" (l a plus d'un si@cle de
pr$sence familiale sous ce ciel parta%$ par des 'uifs, des Curcs, des Irecs, des (taliens, des
*erb@res, des Maltais, des Alsaciens, des 1arisiens et des Al%$riens" Camus ne pense pas en
terme topique de nation mais en terme dynamique de %$o%raphie affective, de po$tique des
$l$ments" )on communisme n'est pas national, mais po]$tique au sens $tymolo%ique U créateur"
Le philosophe amoureu8 de l'Al%$rie destine une mission civilisatrice A son pays & sa
chaleur ontolo%ique doit r$chauffer le corps fri%orifi$ de la vieille ,urope" Fpuis$, fati%u$, le
continent europ$en croupit dans la n$%ativit$ et le nihilisme" Camus revendique ce pays comme
sa vraie patrie, une terre qui pratique une %$n$rosit$ sans limites et une hospitalit$ naturelle, des
valeurs positives, affirmatives, solaires, nietOsch$ennes U plotiniennes m>me si l'on veut" ,lles
pourraient servir de fondations A la %auche dionysienne"
A'outons l'amiti$ A ces deu8 valeurs" Y 1aris, on montre plus d'esprit que de cBur J
l'inverse A Al%er" #ans cette ville, mais aussi dans ce pays, l'amiti$ si%nifie v$ritablement quelque
chose & la vieille ,urope i%nore cette vertu sublime bien connue des Anciens U 1laton, Aristote,
Fpicure, Lucr@ce, Cic$ron, )$n@que, Marc5Aur@le" Le christianisme l'a dilu$e dans un va%ue
amour du prochain faussement d$mocratique oN l'obli%ation d'aimer indistinctement tous ses
semblables d$bouche sur l'amour de personne en particulier" Car aimer tout le monde, c'est
n'aimer personne" )ous le soleil d'Al%er, on vit tou'ours l'amiti$ de la m>me faVon que les
philosophes $picuriens et sto]ciens sous le ciel d'Ath@nes ou face A la baie de +aples, dans les
paysa%es campaniens" Cette amiti$5lA ne va pas avec la confidence, elle est moins avachie qu'A
1aris oN on lTche facilement la bonde affective"
1as dupe de lui5m>me, Camus sait qu'un amoureu8 n'est pas ob'ectif U il confesse sa
sub'ectivit$ avec l'Al%$rie" (l aime en elle le m$tissa%e des peuples, le cosmopolitisme r$ussi
6nous sommes dans les ann$es !-:9, le brassa%e des communaut$s, le Kal$idoscope des peuples
m$lan%$s & Al%er est arabe, Oran n@%re et espa%nole, Constantine 'uive" Ces villes sans pass$
affichent un pr$sent sublime" Camus affectionne les beau8 corps muscl$s, bronO$s, comme sortis
de vases %recs J il adore les formes sculpturales des femmes qui passent devant les terrasses,
f$lines et dansantes J il 'ubile du caract@re $clatant des sauva%eries charnelles e8hib$es sans
culpabilit$" ,n Al%$rie, la vie %rouille, pleine, forte et dense"
Le pr$sent d'Al%er Q )on ouverture sur le ciel et la mer" Le port donc" La ville, comme le
pays, donnent A profusion, sans compter" La 'eunesse d$borde sur les trottoirs J les vieu8 se
prot@%ent de la chaleur et de la lumi@re J au fond des caf$s, avec la fraWcheur, ils refont le monde,
re%ardent passer les beaut$s, s'amusent du r$cit des 'eunes vantards" #ehors $clate le lu8e de la
vie au soleil" Camus temp$rera tou'ours la mis@re de son enfance par le faste de la lumi@re claire
et pure de la M$diterran$e" #ionysos vit dans la rue & il se moque du corps chr$tien,
peccamineu8, il rit des sots qui croient au8 p$ch$s de %ourmandise, d'envie et de lu8ure D Le
corps, ici, 'ouit simplement d'>tre au monde" Al%er triomphe en ville nietOsch$enne" Camus aurait
aim$ cette phrase r$di%$e par +ietOsche fin !//., d$but !/// et publi$e beaucoup plus tard dans
ses fra%ments posthumes & ; La f$licit$ dans la lumi@re d'Al%er, une esp@ce de lumi@re flatteuse &
comme on respire de la sinc$rit$ ? 6M(((" :29"
#e part et d'autre de la M$diterran$e, Ath@nes et Al%er se parta%ent un m>me monde & les
courses d'$ph@bes peintes sur les poteries antiques A #$los disposent de leur pendant al%$rien
avec les 'eu8 de pla%e des 'eunes %ens" Le blanc du cr$pi des maisons, les corps cuivr$s, le bleu
du ciel, l'aOur de la mer sont %recs et al%$riens" Camus n'aime pas que s'intercale quoi que ce soit
de conceptuel, de c$r$bral ou d'intellectuel entre l'>tre et le monde, le corps et le r$el"
#ans L'.té ( Aler, il se s$pare de Iide le protestant qui c$l@bre la r$tention du d$sir
comme une e8cellente occasion de l'affiner" Cette faVon tr@s chr$tienne de trouver du plaisir dans
la n$%ation du d$sir t$moi%ne du de%r$ de blessure ontolo%ique de l'>tre qui pense ainsi" #ans les
bordels, pr$cise Camus, ce %enre de personna%e est class$ parmi les compliqu$s ou les
c$r$brau8 D )aine ta8inomie" Cout Iide qu'il est, Camus lui pr$f@re un bon camarade de natation
qui dit ; oui ? A ses d$sirs, simplement, clairement, sainement, et s'$broue dans la vie comme un
animal sauva%e" La soif, la faim ou le d$sir se8uel, autant de d$sirs naturels et n$cessaires pour
utiliser le vocabulaire $picurien, qui supposent une r$solution simple & boire, man%er, faire
l'amour"
Camus parle de la tendresse d'Al%er dont il aime les soirs et les promesses, les parfums et
les beaut$s & de noires %erbes d'oiseau8 dessin$es sur un horiOon vert, des nua%es rou%es
lentement fondus dans l'air, les $claira%es du dancin% sur la pla%e et sa population modeste, les
'eu8 de lumi@re 'aune pTle dans la nuit, la premi@re $toile qui perce la voSte et la nuit qui semble
se r$pandre autour d'elle, une formidable furie de vivre touchant au %aspilla%e, l'e8istence brSl$e
comme une passion, l'i%norance de la vertu mal%r$ une morale s$v@re U le respect de l'$pouse, la
consid$ration de la femme enceinte, la loyaut$, m>me dans la ba%arre, l'$thique de l'honneur, la
compassion pour la canaille entre deu8 %endarmes, l'amiti$ pour les pirates, le sentiment de
l'or%ueil, l'i%norance des reli%ions, le m$pris des idoles, et, surtout, la haine de la mort"
Ce peuple sans pass$, sans tradition, sans culture ne manque pas de po$sie et vit sans
mythes, sans consolations" Loin de toute m$taphysique professionnelle, il sait de source sSre que
le r$el est, qu'il n'y a que cette certitude, et qu'il faut donc en profiter pleinement" L'$ternit$, ici,
sous le ciel d'Al%er, n'a rien d'un concept, c'est une sensation v$cue, une $motion $prouv$e, une
perception sub'ective & elle nomme tout bonnement ce qui dure apr@s soi" On ne fait pas ontolo%ie
plus immanente" 1arado8alement, plus le bonheur au%mente, plus la souffrance croWt, car la
connaissance du sublime se paie du savoir de ce que l'on perd avec la mort"
Gne certaine castillanerie
Al%er et l'Al%$rie, c'est l'enfance, la terre du p@re, de la m@re et des %rands5parents" Mais
avant cette terre de mer, il y eut l',spa%ne, une seconde patrie revendiqu$e comme telle" Les
%rands parents maternels de Camus viennent en effet de Minorque" Lorsqu'il effectue son premier
voya%e A l'$tran%er, 'uste avant de prendre sa carte au 1C, en !-:3, il se rend au8 *al$ares" )i
l'Al%$rie c'est la lumi@re, l',spa%ne c'est l'ombre, avers et revers d'une m>me m$daille
e8istentielle"
Mais cette ombre d$si%ne aussi la tradition libertaire, le drapeau noir pour lequel, ''y
reviendrai, Camus t$moi%ne tant d'affection" Le philosophe refusera tou'ours de se rendre dans ce
pays tant que Franco fut A sa t>te U il n'assistera $videmment pas A sa lon%ue a%onie et A sa mort
en !-.0" Camus sera solidaire de toutes les causes r$publicaines, libertaires, anarchistes,
antifranquistes" Lorsque le pri8 +obel lui rapporte beaucoup d'ar%ent, il manifeste une %rande et
discr@te %$n$rosit$ envers les r$fu%i$s espa%nols sur le territoire franVais"
(l aime dans l',spa%ne la capacit$ A se f$d$rer, A mutualiser, A coop$rer, A produire des
a%encements libertaires concrets" Les anarchistes pensent et vivent souvent le pouvoir comme
une damnation en soi" (ls s'en m$fient par principe, i%norant que le pouvoir, quand il est
immanent, contractuel, d$mocratique, r$publicain, r$vocable, n'a rien A voir avec le pouvoir
transcendant, unilat$ral, autocrate, tyrannique, despotique, irr$vocable" Le probl@me n'est pas le
pouvoir en soi, mais sa forme & les anarchistes espa%nols ont revendiqu$ le %ouvernement, ils ont
m>me %ouvern$" (l y eut, et c'est heureu8, des ministres anarchistes dans le %ouvernement
catalan" Camus aime ces noces de l'id$al et de la r$alit$, ce rare noua%e des principes anarchistes
et du %ouvernement r$el" L'anarchie positive, celle qui veut le %ouvernement et %ouverne,
constitue une modalit$ du socialisme dionysien U la %auche de ressentiment, elle, se contente du
minist@re de la parole, du 'u%ement et de la critique, e8ercices futiles"
1our Camus, l',spa%ne c'est l'union de l'amour de vivre et du d$sespoir de vivre,
l'association de la 'ouissance et de l'asc@se, le maria%e de la 'oie et de la mort, la 'onction de
l',urope qui s'y termine et de l'Afrique commenVante" #ans ce pays, la vie accompa%ne le son%e,
la com$die, la v$rit$ et le s$rieu8, la danse, mais il r$unit $%alement la dictature militaire et
l'anarcho5syndicalisme, le fascisme de Franco et la po$sie de Machado"
#e la m>me mani@re que le communisme doit prendre des leVons m$diterran$ennes en
Al%$rie 6%$n$rosit$, hospitalit$, amiti$, m$tissa%e, cosmopolitisme, sant$, vitalit$, na]vet$,
simplicit$, tendresse, honneur, sens de l'$ternit$ ici et maintenant, tra%ique9, il %a%nerait A se
mettre A l'$cole de l',spa%ne pour d'autres valeurs 6la bravoure, le sens de l'honneur, la droiture,
la d$termination, la loyaut$, l'intempestivit$, la %randeur d'Tme U en un mot & le donquichottisme9"
#on Puichotte libertaire
Camus aime le roman de Cervant@s, car il invente une fi%ure susceptible de servir de
mod@le dans nos temps nihilistes" On connaWt l'histoire" 7appelons5la rapidement & un h$ros mal A
l'aise dans son si@cle d$fend des valeurs caduques" )a bont$, sa noblesse, son sens de la 'ustice,
son d$sint$r>t, sa dilection pour les causes perdues, sa d$termination mal%r$ les coups du sort, sa
revendication du sens de l'honneur dans un monde qui en a perdu le %oSt, son id$al de l'amour, en
font un h$ros positif D (l part en %uerre contre le monde entier, mais ne craint pas l'immensit$ et la
solitude d'une pareille tTche"
Camus prononce une allocution pour comm$morer les trois cent cinquante ans du livre de
Cervant@s le 2: octobre !-33 dans l'amphith$Ttre 7ichelieu A la )orbonne" Le te8te de cette
intervention paraWt dans Le "onde li&ertaire du !2 novembre sous le titre L'1spane et le
donquichottisme" #on Puichotte quintessencie l',spa%ne & son h$ros incarne l'honneur" Camus
sait que les pauvres d$pourvus de tout disposent tout de m>me de cette vertu, leur seule richesse"
Mais le sens de l'honneur port$ A un point d'incandescence peut d$boucher sur des catastrophes"
Puelles sont les valeurs de #on Puichotte Q ; Le renoncement hautain et loyal A la
victoire vol$e, le refus t>tu des r$alit$s du si@cle, l'inactualit$ enfin, $ri%$e en philosophie ?
6(((" -/9 U on retrouve dans le dernier trait de caract@re un $cho au %oSt de l'inactuel et de
l'intempestif cheO +ietOsche" #on Puichotte se bat et ne renonce 'amais, il incarne le combat
perp$tuel, il se fait %loire de l'humilit$ de son li%na%e, il opte pour la charit$ et la mis$ricorde,
m>me et surtout s'il peut recourir A la ven%eance, il est un e8il$ de l'int$rieur, un >tre qui porte
haut l'$tendard de la libert$ dans des contr$es oN l'on a la passion de la servitude"
#on Puichotte plaWt $%alement A Camus parce que les prisonniers de Franco peuvent s'en
r$clamer, mais pas le tyran & il est en effet une fi%ure de la 7$sistance, 'amais de l'oppression"
,ffi%ie des humili$s et des offens$s, des pers$cut$s et des victimes, le h$ros A la triste fi%ure
incarne la force de l'obstination, la d$termination acharn$e" 1our ce faire, Camus invite A un
radicalisme donquichottesque ici et maintenant, en ,urope, mais aussi et surtout dans l',spa%ne
franquiste & porter le personna%e A son point d'incandescence, en faire un drapeau U noir bien sSr"
7emonter les fleuves
L'Al%$rie, l',spa%ne, la Ir@ce & Camus remonte les fleuves pour parvenir A la source" (l se
veut %rec U surtout pas romain" Ce qu'il aime cheO les Irecs Q Leur incapacit$ A l'outrance, leur
mesure U ils n'ont 'amais rien produit dans l'e8c@s" La Ir@ce $quilibre l'ombre par la lumi@re et
voue un culte A la beaut$" 1our ne pas donner tort A Camus, $vitons de r$torquer que la
mytholo%ie ou la tra%$die %recques ne le confirmeraient pas forc$ment & on y tue beaucoup, on y
massacre, on y assassine, on y d$truit aussi" \dipe ou M$d$e par e8emple" )imone 2eil $crira en
!-4 L'6liade ou le po3me de la 9orce" Mais peut5>tre son%e5t5il alors, en parlant de la Ir@ce, A la
douceur l$%endaire de 1lotin Q
Cette Ir@ce r>v$e lui sert d'antipode A 7ome qu'il n'aime pas" L'opposition entre le pays
de la philosophie et celui du droit, entre la terre intellectuelle et le territoire militaire, entre l'a%ora
des philosophes et le s$nat des 'urisconsultes, constitue un classique de l'e8ercice rh$torique"
Mais, au8 yeu8 de Camus, 7ome a invent$ le c$sarisme, l'imp$rialisme, les %uerres de conqu>te,
le droit contrai%nant" )ocrate, lorsqu'il revendique son inscience, manifeste tout le %$nie %rec car,
ce que le compa%non de 1laton i%nore, il ne pr$tend pas le savoir" #'un cXt$, la sa%esse modeste,
de l'autre, la force imp$rieuse" )ocrate qui meurt d'avoir $t$ un philosophe authentique ou C$sar
qui tue pour $lar%ir l',mpire" Choi8 facile"
La Ir@ce c$l$brait la *eaut$ et la +ature" #e fait, les fra%ments des penseurs dits
pr$socratiques t$moi%nent en ce sens, et les 1nnéades confirment cette id$e" Or l',urope tourne le
dos A ces deu8 valeurs" ,lle e8celle comme un pur produit romain, moins soucieuse de sentiment
oc$anique, de sens du sublime ou de ; raison mystique ? 6(E" !49, pour utiliser une e8pression
de Camus A propos de 1lotin, que de codes 'uridiques, de trait$s d'architecture, de manuels
d'a%riculture ou d'arts de la %uerre" La Ir@ce platonicienne montre le ciel J l',urope
aristot$licienne d$si%ne la terre"
Camus n'aime pas 7ome car il pense que la philosophie de l'histoire europ$enne proc@de
de la cit$ latine" #e fait, la th$ocratie d'une 7aison id$alis$e semble une passion romaine" Le%el
$tait chr$tien et ses th@ses sur la 7aison dans l'Listoire deviennent limpides si l'on saisit que
7aison cheO lui $quivaut A (d$e, ,sprit, Lo%os, Concept, Gniversalit$ absolue etl #ieu"
L'h$%$lianisme formule dans le vocabulaire de l'id$alisme allemand et avec la lan%ue de
l'universit$ prussienne le vieil id$al chr$tien & il e8iste un sens de l'Listoire avec identit$ de sa fin
et du 1aradis" Cette affirmation que ; la 7aison se r$v@le dans l'Listoire ? se comprend autrement
si l'on saisit qu'il faut lire & ; #ieu se r$v@le dans l'Listoire ? U une pens$e impossible pour un
ath$e de l'Listoire comme Camus"
Le penseur d'Al%er n'appr$cie pas Le%el qui n'aime pas les paysa%es, la +ature, la mer,
les m$ditations au bord de la M$diterran$e et leur pr$f@re les (d$es, les Concepts, la 7aison,
l'Listoire, la #ialectique, les Eilles" Fid@le au <ean Irenier $crivant dans Cum apparuerit & ; La
connaissance n'est qu'une communion ? 6!09, l'auteur de 2oces ne peut souscrire A la forteresse
conceptuelle de la Science de la loique et A l'arsenal purement sp$culatif cens$ rendre compte
des conditions de possibilit$s th$oriques de l'e8istant"
Les Irecs ensei%nent la loi et les dan%ers terribles encourus par les trans%resseurs" #ans
la premi@re moiti$ du MM
e
si@cle, l',urope outrepasse mille fois les lois, avec deu8 %uerres
mondiales, des r$%imes totalitaires en quantit$, des camps de concentration et d'e8termination, le
lar%a%e de deu8 bombes atomiques" )i la mesure et l'$quilibre %recs, accompa%n$s de la passion
pour la vie m$diterran$enne, avaient, dans l'Listoire, pris le pas sur la d$mesure et l'e8c@s
romains soutenus par le %oSt chr$tien pour la mort, l'Occident n'en serait pas lA"
L'artiste est l'antidote de l'Listoire & le premier d$fend la libert$ lA oN la seconde ensei%ne
la n$cessit$" L'homme de l'art veut la *eaut$ dans une $poque qui ne la souhaite plus" #'oN son
$lo%e de vertus %recques & connaWtre ses limites, pratiquer la mesure, vouloir l'$quilibre, chercher
la beaut$, refuser le fanatisme" EoilA mati@re A nourrir une %auche dionysienne, positive, solaire,
lA oN la %auche apollinienne, n$%ative, nocturne ensei%ne l'inverse & i%norer ses limites, a%ir sans
mesure, viser l'e8c@s, produire la laideur, s'en%ouffrer dans la tyrannie"
La Ir@ce r>v$e par Camus 6il nous avait pr$venu, quand on aime, on n'est pas ob'ectif9 le
ram@ne A l'Al%$rie D (l affirme en effet que la Ir@ce d$borde la Ir@ce, car elle est aussi en
Rabylie D #ans ses villa%es, sur les premi@res pentes de la monta%ne, avec les v>tements de laine
blanche des hommes, dans les chemins bord$s de fi%uiers, avec les champs d'oliviers, dans les
paysa%es constell$s de cact$es, ou bien encore dans la relation d'intimit$ entre les hommes et les
paysa%es, la Rabylie se montre %recque"
)i l'on quitte la %$o%raphie, on trouve $%alement d'autres raisons de rapprocher ces deu8
mondes %$olo%iques constitutifs d'un m>me univers ontolo%ique" Ainsi la fiert$ Kabyle qui
remonte au8 traditions les plus hautes de ces tribus perdues dans la nuit des temps & $thique
chevaleresque de l'hospitalit$, sens de la parole donn$e, %oSt passionn$ pour l'ind$pendance"
Camus si%nale que ce beau et %rand peuple dispose d'une constitution parmi les plus
d$mocratiques" (l a'oute que leur 'uridiction ne pr$voit aucune peine de prison"
Mais la comparaison s'arr>te lA, car la Ir@ce aborde le corps dans la lo%ique de la %rande
sant$ d'une pens$e $par%n$e par la contamination 'ud$o5chr$tienne, alors que la Rabylie a $t$
romanis$e, christianis$e 6en partie par le Rabyle saint Au%ustin9, islamis$e, colonis$e 6par une
France catholique9, elle a perdu sa fraWcheur pa]enne et dionysienne au profit d'une id$olo%ie qui
ensei%ne la suspicion du corps, la peur des d$sirs et le m$pris des plaisirs" La mis@re totale r@%ne
dans ce pays U Camus la d$nonce dans un article paru dans Aler répu&licain d@s le 3 'uin !-:-"
)on titre Q La 4r3ce en haillons"
L$donisme et politique
Cette passion h$doniste pour le soleil pa]en d'Al%er, la lumi@re et la mer de Cipasa, le sens
de l'$ternit$ al%$rien, l'hospitalit$ africaine, le cosmopolitisme m$diterran$en, ce %oSt pour
l'honneur espa%nol, la fiert$ castillane, la loyaut$ hispanique, l'h$ro]sme donquichottesque,
l'intempestivit$ et la d$termination ib$riques, cet amour de la fiert$ Kabyle, du sens berb@re de la
libert$, conver%ent vers son socialisme dionysien" Fid@le A son milieu, au8 %ens du peuple, au8
humili$s, au8 e8ploit$s, Camus n'ima%ine pas son h$donisme solaire comme un narcissisme
solitaire, mais comme l'$thique d'une politique dionysienne" La 'ubilation nietOsch$enne, ou
plotinienne, n'interdit pas l'aspiration A une communaut$ heureuse" Au contraire & elle l'appelle"
Camus ne pense pas pour penser, mais pour a%ir et produire des effets dans le r$el" Y quoi
bon, sinon, la philosophie Q Le soleil d'Al%$rie doit $clairer une Irande 1olitique" +on pas la
petite politique politicienne, mais le %rand souffle $pique d'un d$sir de communaut$ pour un
peuple" Gne $thique sans politique serait un 'eu esth$tique %ratuit visant l'art pour l'art" ,n
revanche, une $thique sans politique, ou une politique sans $thique, d$finiraient une th$olo%ie
ludique ou un machiav$lisme cynique pareillement r$cus$s par Camus"
L'articulation de l'$thique et du politique accompa%ne l'assembla%e th$orie et pratique"
Les acteurs de l'a%encement de ces instances sont, soit les intellectuels, les penseurs, les
philosophes, soit les %ouvernants, les hommes d'Ftat" La plupart du temps, les seconds ne
manifestent aucun souci des premiers" La traditionnelle opposition Z$b$rienne entre l'$thique de
conviction et l'$thique de responsabilit$ paraWt irr$conciliable avec d'un cXt$ des %ens d'esprit
insoucieu8 du r$el, tout A la puret$ de leurs id$au8, et de l'autre, des hommes d'action %uid$s par
le succ@s pra%matique ayant 'et$ leur id$al A la rivi@re U le philosophe et le prince" On sait que
1laton voulut un philosophe5roi, soit en pr$parant le philosophe A la royaut$, soit en formant le
roi A la philosophie" Mais d@s qu'un philosophe parvient au pouvoir, il cesse d'>tre philosophe U
l'aurait5il d'ailleurs $t$ vraiment qu'il n'aurait 'amais consenti A son e8ercice D
Camus a pass$ sa vie A vouloir l'$thique et la politique, sans 'amais sacrifier l'un A l'autre"
,n plus de trente ann$es d'e8istence publique, on ne le surprend 'amais en fla%rant d$lit de b>tise
politique au nom de la morale ou d'immoralit$ sous pr$te8te de politique" 1ourtant, les occasions
de faillir ne manquent pas dans son si@cle & les fascismes europ$ens, le national5socialisme, la
)econde Iuerre mondiale, le p$tainisme, Eichy, la Collaboration, le bolchevisme sovi$tique, les
totalitarismes mar8istes, la %uerre froide, la bombe atomique" La %auche dionysienne, parce
qu'elle table sur la vie, l'a dispens$ des mauvais choi8 accomplis par les >tres conduits par leur
%oSt pour la mort"
Gn %ramscisme m$diterran$en
Comment d$finir un %ramscisme m$diterran$en Q ,t d'abord & qu'est5ce que le
%ramscisme Q Antonio Iramsci fut le penseur d'une %auche dialectique, en mouvement, le
contraire d'une %auche fi%$e" Contre le cat$chisme du mat$rialisme dialectique et historique,
mamelles th$olo%iques de la r$volution bolchevique, le cr$ateur du parti communiste italien
propose une %auche dynamique, 'amais fi8$e, tou'ours A construire" (l consid$rait le mar8isme
moins comme un corpus transcendantal que comme une boWte A outils id$olo%iques" La %auche
n'est pas une forme id$ale, pure, conceptuelle, mais une force plastique en perp$tuel devenir"
CheO lui, le mat$rialisme dialectique l'est moins dans le cadre formel de l'h$%$lianisme que dans
le flu8 d'$ner%ie de la vie" Le %ramscisme d$finit d'abord la pens$e de Iramsci en tant qu'elle
propose une %auche en prise avec la vie et son mouvement"
#ans cette %auche %ramscienne, l'intellectuel tient un rXle cardinal" 1our Iramsci, la
conqu>te effective du pouvoir suppose une bataille %a%n$e en amont sur le terrain des id$es & pas
de victoire pratique sans succ@s id$olo%ique au pr$alable" Iramsci r$fute Mar8 pour qui la
r$volution s'inscrit naturellement dans le mouvement de l'Listoire en vertu d'un irr$pressible
tropisme dialectique" 1our l'(talien, les intellectuels doivent assurer d'abord leur domination sur le
champ intellectuel et culturel" Le %ramscisme nomme cette id$e & combattre et %a%ner d'abord sur
le terrain des id$es pour emporter ensuite la victoire concr@te" La r$volution sociale e8i%e d'abord
la r$volution des esprits"
Le %ramscisme m$diterran$en de Camus d$finit donc cette perspective & Buvrer au succ@s
des id$es de la %auche dionysienne, effectuer un travail culturel p$da%o%ique tournant le dos A
une action r$volutionnaire de type putschiste, assurer la domination id$olo%ique par l'$ducation
populaire" La r$volution culturelle doit pr$c$der la r$volution sociale dont elle est la condition
pr$alable" Camus adh@re au parti communiste en !-:3 avec le souci de cette r$volution culturelle
U A ne pas entendre dans un sens mao]ste" 7appelons5nous la lettre de Cipasa envoy$e A <ean
Irenier & le communisme repr$sente pour lui une asc@se, une e8p$rience spirituelle, une aventure
ontolo%ique" (l aspire alors A r$volutionner la r$volution, A la dissocier du m$canicisme
mat$rialiste pour la vivifier au soleil al%$rien des valeurs de la vie"
Camus entreprend donc de c$l$brer une pens$e m$diterran$enne A m>me d'infuser un
esprit nouveau au communisme" (l pr$pare ainsi la soci$t$ A laquelle il aspire" Cette %auche
dionysienne, solaire, positive, libertaire, il souhaite qu'elle supplante la %auche europ$enne,
notamment dans sa formule sovi$tique" )on %ramscisme passe par l'action, la p$da%o%ie,
l'$ducation, la culture, la propa%ation concr@te de l'id$al de la philosophie des Lumi@res"
Comment Q
1ar le th$Ttre, l'animation de Maisons de la culture, la publication de te8tes manifestes,
par la cr$ation et la contribution A des revues, par un en%a%ement 'ournalistique" 1rendre sa carte
ne suffit pas, 'ouer le 'eu du militant non plus & certes, il faut accompa%ner les camarades dans les
r$unions de cellule, les colla%es, les tracta%es, acheter et vendre L''umanité sur les march$s, dans
les rues, A la sortie des usines, participer A des meetin%s, recruter, placer des cartes, mais cette
fraternit$ militante ne suffit pas" (l faut aussi mener le combat des id$es"
Flo%e du th$Ttre
Camus fait du th$Ttre une m$taphore politique" #'abord, cet homme qui eut si souvent A
souffrir de la r$ception malveillante de ses livres confesse son bonheur sur sc@ne, dans les
coulisses, avec les acteurs, pendant les fila%es et les r$p$titions" #ans les derni@res ann$es de sa
br@ve e8istence, il e8plique A la t$l$vision combien cette activit$ le lave des sanies mondaines"
#ans le silence feutr$ de la salle de th$Ttre, il oublie le monde, les autres, les sollicitations
perp$tuelles qui accablent tou'ours un homme devenu c$l@bre" Les r$p$titions, l'apr@s5midi ou le
soir, constituent un havre de pai8 & la totalit$ du monde s'efface au profit d'un te8te sur lequel
travaille toute une $quipe" L'ambiance des r$p$titions ressemble A celle d'un cloWtre"
,nsuite, le th$Ttre e8i%e un corps performant, ad$quat, affSt$, en forme, entraWn$, capable
de souffle et dou$ d'une r$elle r$sistance physique" 7espirer, souffler, maWtriser sa colonne d'air,
tenir son corps, poss$der ses muscles, savoir se placer dans un espace et occuper un volume, c'est,
pour Camus qui lutte avec son mal pulmonaire depuis l'adolescence, une $cole philosophique, un
e8ercice spirituel & il fait de son corps un instrument ob$issant" )ur sc@ne, l'asc@se montre ses
succ@s U leVon efficace au5delA de la salle de th$Ttre"
Camus a'oute que le th$Ttre lui permet de cXtoyer des %ens qu'il aime U et il n'aime pas
1aris, les 1arisiens et ce petit milieu %endelettres qui font la loi pour la France enti@re" Y 'uste
titre, les intellectuels lui semblent coup$s du r$el, s$par$s de l'homme du commun, ils
m$connaissent la vie r$elle et concr@te des %ens modestes, ils refont le monde A partir de leurs
id$es et de leurs biblioth@ques" +arcissiques, $%otistes, suffisants, pr$tentieu8, les membres de
cette tribu se d$testent, sont incapables d'aimer, d'admirer, de respecter" Ce monde est fau8"
L'6mpromptu des philosophes moque la corporation dans le ton des $our&eries de Scapin" #ans
une note datant de !-30, dans ses Carnets, il consi%ne cette $bauche ce dialo%ue & ; C'est votre
nouveau valet Q c Oui, c'est un philosophe" <e l'ai achet$ A 1aris ? 6(E" !2449" Gne satire
intempestive"
Gne m$taphore politique
Le th$Ttre e8i%e la fraternit$ & chacun a besoin des autres, le metteur en sc@ne, l'auteur, les
com$diens, le r$%isseur, les costumiers, l'$claira%iste, personne n'e8iste sans l'autre" Cette
d$pendance mutuelle fonde la solidarit$ concr@te" EoilA pourquoi et comment le th$Ttre est une
m$taphore politique & ; (ci, nous sommes tous li$s les uns au8 autres sans que chacun cesse d'>tre
libre, ou A peu pr@s & n'est5ce pas une bonne formule pour la future soci$t$ Q ? 6(E" 009" ,n effet"
Camus n'est pas dupe" (l connaWt les planches et n'id$alise pas totalement le th$Ttre" (l sait
que des conflits peuvent sur%ir dans une $quipe, qu'on peut ne pas >tre d'accord, s'$triper" *ien
sSr" Cependant, la crise sur%it tou'ours apr3s la repr$sentation, 'amais pendant" La raison Q Puand
chacun est rendu A lui5m>me, apr@s l'e8ercice collectif et communautaire, il se retrouve seul, dans
un $tat psychique et mental favorable A la n$%ativit$" #@s qu'il ne dispose plus de la force du
%roupe, il red$couvre sa propre faiblesse, ses limites" #'oN son devenir mauvais"
Le bonheur du th$Ttre naWt aussi de la qualit$ du travail produit" L'effort du travail en
commun se trouve tout de suite r$compens$ par la repr$sentation" Les $ner%ies invisibles, les
forces imperceptibles conver%ent vers un spectacle visible et perceptible" Cout ce qui bruissait
dans son coin, tous les travau8 des petites mains, les %estes de la personne qui maquille, sinon le
travail d'$criture du dramatur%e solitaire A sa table, tout culmine dans une Buvre collective,
communautaire" <amais on ne montre mieu8 le produit d'une volont$ %$n$rale obtenue par la
co]ncidence des volont$s particuli@res dans un m>me d$sir, d'un pro'et con'oint"
,nfin, le th$Ttre sort l'intellectuel de son petit monde factice" #ans le bureau, avec ses
livres, son papier et ses crayons, il pense ou repense le monde en risquant de se d$connecter du
r$el v$ritable" )a formation, la plupart du temps id$aliste et spiritualiste, le conduit et l'installe A
demeure dans le ciel des id$es oN tout devient possible, car le concept ne manifeste aucune
r$sistance au8 caprices de l'auteur" Les id$es, l'id$al, l'id$alisme d$connectent du monde ici et
maintenant"
,n revanche, le travail de metteur en sc@ne pr$serve de ce risque" 1as question d'$voluer
dans le ciel intelli%ible, il faut les pieds sur terre, en contact avec les planches de la sc@ne, avec
les d$cors, les praticables, les pro'ecteurs, les $claira%es, il faut appr$hender physiquement,
corporellement, ce monde5lA dans un temps r$el et un espace concret" L'univers transcendantal,
dans lequel l'intellectuel $volue habituellement comme un poisson dans l'eau, n'a pas droit de cit$
dans le monde empirique du th$Ttre"
Gn lieu de v$rit$ e8istentiel
Le th$Ttre passe souvent pour le lieu de l'illusion" Le rideau s'ouvre, le spectateur
d$couvre le d$cor, les personna%es entrent en sc@ne, les premiers mots emplissent la salle U mais
tout est fau8, pense l'homme du commun & entre les fran%es pourpres ourl$es, la clairi@re de
lumi@re artificielle est peupl$e de fausses pierres en vrai carton, de fau8 v>tements pour simuler
de vrais d$%uisements, de vrais com$diens 'ouant de fausses personnes, leurs fausses paroles
constituant autant de v$ritables fictions, l'ima%ination et la fantaisie r@%nent sans parta%e"
Camus s'oppose A ce lieu commun et inverse les termes & le th$Ttre n'est pas le lieu de
l'illusion mais celui de la v$rit$, de la r$alit$" Le monde en dehors du th$Ttre se nourrit bien plus
d'illusions que la sc@ne" #ans la vie courante, le menson%e, l'hypocrisie, l'affabulation, la
fausset$, l'imposture r@%nent plus qu'au th$Ttre oN la moindre incartade se trouve imm$diatement
sanctionn$e" )eul sur sc@ne, isol$ dans son rond de lumi@re, $clair$ crSment, froidement,
l'imposteur s'$croule" Cette e8p$rience simple distin%ue le faiseur du personna%e sinc@re, le
menteur de l'individu authentique" #ans ces conditions, impossible de ne pas >tre vrai" L'artifice,
le costume, le maquilla%e n'y peuvent rien"
Camus fait du th$Ttre le plus haut et le plus universel des %enres litt$raires" La tra%$die
%recque, la com$die romaine, les farces m$di$vales, la commedia dell'arte, le th$Ttre $lisab$thain,
la sc@ne du Irand )i@cle, les tr$teau8 romantiques donnent vie A des fi%ures cardinales de la
pens$e & \dipe, Anti%one, Arlequin, Lamlet, #on <uan, Alceste, Faust comme autant de
personna%es conceptuels pour dire la n$cessit$, la fid$lit$, le rire, le destin, le plaisir, la
misanthropie, le nietOsch$isme, parfois plus et mieu8 que de lon%s discours philosophiques"
Avec ce dispositif culturel, Camus souhaite ne pas s'adresser au8 plus stupides ou au8
plus intelli%ents des spectateurs, ni A une cat$%orie particuli@re de personnes" Le spectacle doit
rassembler dans une m>me salle toutes les classes sociales et permettre un brassa%e des %ens
modestes et de la bour%eoisie sous les auspices d'un m>me pro'et culturel et artistique" Camus y
voit la %rande tradition classique des usa%es de l'art & constituer des communaut$s embl$matiques"
#ans Pourquoi je 9ais du théItre K Camus dit vouloir ; parler A tous avec simplicit$ tout
en restant ambitieu8 dans son su'et ? 6(E" 0-9" EoilA donc le noyau dur de l'une des modalit$s de
ce %ramscisme & recourir au th$Ttre porteur d'une culture accessible A tous J revendiquer la
simplicit$ J associer cette accessibilit$ A une haute tenue intellectuelle J autrement dit & activer une
$ducation populaire en recourant au8 %rands te8tes du th$Ttre occidental classique ou
contemporain" ,n d'autres termes & pr$parer l'acc@s A l'e8ercice d'une %auche dionysienne par le
th$Ttre"
Lorsqu'il s'interro%e sur son %oSt pour le th$Ttre, en !-3-, Camus combat, déj(, la
contamination du monde des arts par le march$, le lib$ralisme, l'obli%ation de rentabilit$" Eiser le
remplissa%e des salles contraint A renoncer A la qualit$ des productions & on am@ne plus
difficilement du monde dans un th$Ttre avec des te8tes e8i%eants qu'avec de la com$die de
boulevard" )i les b$n$fices constituent la reli%ion du directeur de salle, ce qui peut >tre un lieu de
%randeur devient un lieu de bassesse" Camus lutte pour un authentique th$Ttre populaire di8 ans
avant la cr$ation d'Avi%non par <ean Eilar qui reprenait A son compte le slo%an d'Antoine EiteO,
; l'$litisme pour tous ?"
La sc@ne concr@te
Albert Camus a beaucoup donn$ pour le th$Ttre & il commence tr@s tXt, en !-:0, A vin%t5
trois ans, au Ch$Ttre du travail, puis au Ch$Ttre de l'$quipe" #@s cette $poque, il touche A tout &
cr$ation de troupe, $criture, mise en sc@ne, adaptation, direction d'acteurs, r$%isseur, sc$no%raphe,
machiniste, souffleur" Puand il th$orise le th$Ttre comme m$taphore politique, sc@ne $thique,
consolation e8istentielle, lieu de v$rit$ et occasion d'$ducation populaire, il rapporte des
e8p$riences v$cues d@s son plus 'eune T%e"
La cr$ation du Ch$Ttre du travail constitue donc le premier moment de son %ramscisme
m$diterran$en" 1lotinien de l'immanence, nietOsch$en dou$ pour le sacr$ pa]en, h$doniste de la
mer et du soleil, 'ouisseur de la vie, Albert Camus est $%alement un enfant de pauvre fid@le A son
milieu, un >tre visc$ralement rebelle A l'in'ustice, un fils de femme de m$na%e soucieu8 du
peuple, un homme de %auche d$sireu8 de donner une forme et une force A son en%a%ement
$thique et politique communiste" (l pense le th$Ttre comme un lieu de militantisme, un espace
d'$ducation libertaire, un endroit pour les id$es prop$deutiques A l'action de son nietOsch$isme de
%auche" 7appelons que, dans La 2aissance de la traédie, +ietOsche confie cette mission
politique de travailler A la renaissance d'une civilisation A l'op$ra, au drame musical Za%n$rien
pour >tre pr$cis & ce te8te th$orise l'occasion d'un usa%e politique de l'esth$tique, sinon d'un usa%e
esth$tique de la politique" #ans la cr$ation de ce Ch$Ttre du travail, Camus reste dans l'esprit
nietOsch$en"
(l cr$e donc e8plicitement ce th$Ttre pour le peuple" (l ne s'adresse ni au8 critiques
sp$cialis$s, ni A la fraction cultiv$e de la bour%eoisie J il n'envisa%e pas non plus l'art pour l'art, le
th$Ttre pour le th$Ttre, et les 'eu8 intellectuels de mise en abyme dont raffolent les th$Ttreu8" LA
oN le th$Ttre pens$ comme une marchandise abaisse la discipline au plus bas pour tTcher de
ratisser au plus lar%e, il veut hisser le peuple au plus haut du r$pertoire classique ou
contemporain" #ans cet univers, quand l'ar%ent prime, la d$ma%o%ie fait la loi J en revanche,
quand la qualit$ conduit le pro%rammateur, la d$mocratie s'installe" Camus s'adresse au peuple
d'Al%er"
1our commencer, il adapte Le %emps du mépris d'Andr$ Malrau8 qui, A l'$poque, incarne
une %rande fi%ure de l'intelli%entsia de %auche, compa%non de route, non pas du parti
communiste, mais d'un certain nombre de communistes avec lesquels il parta%e l'en%a%ement
antifasciste" Malrau8 est venu en !-:3 A Al%er pour parler de la menace fasciste" 1robablement
dans la salle, Camus rend compte de sa venue dans La Lutte sociale, le bimensuel du parti"
Le h$ros communiste du roman de Malrau8 incarne un r$volutionnaire qui sacrifie tout,
confort, femme et enfant, au succ@s de son combat antifasciste en %$n$ral et antinaOi en
particulier" Le roman aborde d'autres questions & l'an%oisse devant la mort, la fraternit$ virile des
militants, le sacrifice individuel pour une cause collective, l'h$ro]sme comme occasion de
connaissance de soi, le sens de l'e8istence, l'emprisonnement comme m$taphore de la condition
humaine, l'$tat d'esprit d'un homme avant la torture, la tentation suicidaire" #es th$matiques
camusiennes D
La passion de Camus pour Malrau8 date des ann$es d'adolescence & <ean Irenier a
conseill$ la lecture de ses romans d@s le lyc$e" Y l'$poque oN Camus adh@re au 1C, en !-:3, avec
seulement douOe ans de plus que lui, Malrau8 a d$'A publi$ La %entation de l':ccident 6!-209,
Les Conquérants 6!-2/9, La Voie royale 6!-:9 et La Condition humaine 6!-::9 livre avec lequel
il obtient le pri8 Ioncourt" Irenier a reVu Malrau8 cheO lui, mais n'a invit$ personne" #ans ces
ann$es5lA, Camus envisa%e d'$crire un essai sur le romancier"
(l lit Le %emps du mépris, en $crit une adaptation pour son Ch$Ttre du travail, envoie une
lettre A Malrau8, lui demande son avis et son autorisation pour la mise en sc@ne" Malrau8 r$pond
'uste un mot par t$l$%ramme & ; <oue ? D #ans des conditions de th$Ttre amateur, la lon%ue salle
des bains de *ab ,l Oued 6quarante m@tres de lon%9 accueille deu8 soirs de suite plusieurs
centaines de personnes" ,ntr$e %ratuite pour les chXmeurs, payante pour les autres, mais le
b$n$fice revient au8 premiers" Ce 23 'anvier !-:0, %alvanis$ par une r$plique pendant la
repr$sentation, les spectateurs chantent L'6nternationale D
L',spa%ne libertaire
La deu8i@me cr$ation du Ch$Ttre du travail est une aventure d'$criture collective & Camus
r$di%e avec trois amis un te8te intitul$ Ré+olte dans les Asturies" Le te8te se pr$sente comme un
; ,ssai de cr$ation collective ? 6(" !9 U le fameu8 ; intellectuel collectif ? de Iramsci" Cette fois5
ci l'antifascisme communiste laisse place A l'antifascisme libertaire des r$publicains espa%nols"
L'Buvre est d$di$e au8 amis du Ch$Ttre du travail"
Camus met en sc@ne le soul@vement des mineurs A Oviedo en !-:4" Eoici la trame & on
annonce des r$sultats $lectorau8 par radio U la mise en sc@ne recourt beaucoup A ces artifices,
radios, haut5parleurs, le tout pour une vin%taine de s$quences & la %auche a perdu" (nsurrections et
r$voltes dans les provinces" (ncendie de palais, pilla%e de banques, raOOia dans les manufactures
d'armes, on fusille le sup$rieur d'un couvent, des cadavres 'onchent les rues" Gn patron de bistrot
est abattu dans son caf$" Meurtre d'un $picier" Le pouvoir envoie la L$%ion $tran%@re mater la
r$bellion" 1roclamation de l'$tat de si@%e" 1endant ce temps, les ministres se perdent dans
d'interminables discussions" #$claration de l'$tat de %uerre, promul%ation de la loi martiale" Gn
capitaine cynique ordonne l'e8$cution des insur%$s" Fcrasement du soul@vement" Gn
r$volutionnaire condamn$ A mort va >tre e8$cut$, il pr$te8te une crampe, et demande qu'on lui
enl@ve les menottes pour ne pas mourir enchaWn$" La soldatesque obtemp@re et Xte les liens" Le
militant en profite pour esquisser le salut du ; Front rou%e ? et frappe un %ardien" On r$compense
les soldats ayant particip$ A la r$pression" 7ideau"
On y retrouve les mondes de Camus, A d$faut d'id$es clairement manifest$es ou de h$ros
porteurs de th@ses e8plicites & la violence accoucheuse de l'Listoire J la brutalit$ des r$volutions
et de leurs r$pressions J l'imp$ritie %ouvernementale J l'abolition de la 'ustice et le r@%ne de
l'arbitraire J l'antifranquisme & m>me si son nom n'apparaWt pas, le %$n$ral Franco est bien
l'insti%ateur de cette r$pression san%lante J le cynisme des %ouvernants" ,t puis, leVon politique
libertaire, cette id$e forte d'un individu qui sauve son destin absurde par l'h$ro]sme d'un %este
donquichottesque" Ftait5ce la perle de %auche dionysienne dans ce monde noir comme une encre
de san% Q <e le crois volontiers"
La pi@ce devait >tre 'ou$e le 2 avril !-:0 au profit de ; l'enfance malheureuse europ$enne
et indi%@ne ?" La troupe avait r$p$t$ plusieurs semaines dans un petit local du quartier pauvre de
*elcourt, celui de l'enfance de Camus" La pr$fecture avait donn$ son accord pour la
repr$sentation" Mais le maire, maurrassien, a refus$ le sien" La pi@ce a $t$ publi$e par ,dmond
Charlot, $diteur A Al%er, et distribu$e afin d'>tre lue U un pis5aller, pr$cise Camus dans la pr$face
A son $dition papier"
L'adaptation du roman de Malrau8 et l'$criture A plusieurs mains de cette Ré+olte dans les
Asturies montrent A deu8 reprises des caract@res tremp$s de r$volutionnaires & Rassner
l'antifasciste communiste de la premi@re pi@ce, et l'; anarchiste ? 6(" 239 selon l'$pith@te du
ser%ent franquiste de la seconde" La mort, la torture, les bains de san%, le massacre, le fascisme
national5socialiste dans un cas, le fascisme espa%nol dans l'autre, autrement dit l'absurdit$ de
l'Listoire et, comme salut possible, la r$bellion individuelle, la r$volte solitaire, le refus d'un
homme qui dit ; non ? au tra%ique de la situation en se voulant debout dans un monde oN la
plupart rampent" Cet anonyme de Ré+olte dans les Asturies, ; un prisonnier ? 6(" 239 dit le te8te,
porte la char%e politique individualiste et libertaire" ,n travaillant A ces deu8 pi@ces au Ch$Ttre du
travail, Camus, d$'A camusien, sait l'Listoire tra%ique et absurde, mais croit au salut par la
r$volte" Y vin%t5trois ans, le futur auteur du "ythe de Sisyphe porte aussi celui de L''omme
ré+olté, le philosophe, qui annonce le nihilisme et son d$passement"
Cette volont$ de th$Ttre A Al%er, pour le peuple, proc@de d'une volont$ d'e8ister non pas
contre 1aris, mais sans 1aris" Malrau8, ,schyle, IorKi, *en <onson, 1ouchKine, Courteline 6pour
la satire de la bureaucratie et la sc@ne de L'article PPO oN le personna%e baisse son pantalon
devant le tribunal9, Camus enchaWne le travail, dont un Prométhée enchaHné d',schyle en
costumes avec burnous blancs et bruns, puis %andourah violette pour la 'eune fille du chBur, un
masque de vache, un autre barbouill$ de rou%e, des dieu8 sur des $chasses, un paysa%e me8icain,
une musique de *ach avec sardanes au8 %uitares, plus flSte et trompettes, l'action $clat$e dans la
salle U ; en bref la tra%$die dionysienne A la +ietOsche ? 6(" !4:09, $crit5il au metteur en sc@ne"
Gne ; universit$ populaire ?
Communiste, Camus continue de militer dans la cellule de la rue Michelet, dite 1lateau5
)auli@re, future section Al%er5*elcourt, avec des militants e8clusivement intellectuels & un
peintre, une fille de riches planteurs oranais, une autre de chirur%ien5dentiste, un architecte $l@ve
de Le Corbusier" Le 1C avait rattach$ Camus A ce %roupe pour $viter un contact direct avec les
sections prol$tariennes" Y cette $poque, le philosophe s'occupe $%alement d'une autre aventure
affili$e au 1C avec un ; pro%ramme de formation destin$ au8 adultes et patronn$ par les
syndicats de %auche, sorte d'huniversit$ populairei dont le nom officiel $tait alors le Coll@%e du
travail ? 6Lottman, !39"
Camus avait cr$$ des s$minaires, dont l'un A la villa du parc d'Lydra, son domicile" Y
cette $poque, le philosophe r$unissait une vin%taine de personnes, dont des marins ou des
ouvriers" 1lotinien auteur de 2oces 6le nom du philosophe n$oplatonicien apparaWt dans ce petit
livre9, nietOsch$en convaincu que l'art a une fonction politique, penseur de %auche adh$rant au
1C, Camus ensei%ne les rudiments de Freud" Au dire de son bio%raphe, le propos passe au5dessus
de la t>te de son auditoire, mais Camus croit vraiment avoir form$ des hommes nouveau8
6i&id?, !/9 D
On peut ima%iner que cette %auche dionysienne, affirmative, positive, concr@te,
constructive, cette %auche nietOsch$enne et libertaire, proche du peuple, qui table sur l'$ducation
et non sur l'endoctrinement, sur l'ouverture des consciences et non sur la fermeture des
intelli%ences, d$plaise au8 hi$rarques du parti communiste" Crop de culture non estampill$e
communiste, trop de r$f$rences la]ques incompatibles avec la reli%ion du parti" La tra%$die
%recque ou le r$pertoire $lisab$thain, Courteline et Freud, le th$Ttre populaire comme voie
d'acc@s esth$tique au politique" Crop peu orthodo8e"
Faut5il voir dans cette ind$pendance d'esprit d'un Camus communiste les raisons d'un
complot ourdi par un adh$rent du 1C, com$dien de la troupe, qui fit courir le bruit que son
camarade volait dans les caisses, alors que tous $taient b$n$voles et que, la plupart du temps, les
d$ficits $taient combl$s personnellement par Camus et ses amis Q Gne assembl$e %$n$rale eut
raison de ce personna%e qui fut e8clu" Le Ch$Ttre du travail a $t$ d$baptis$ au profit d'un Ch$Ttre
de l'$quipe dont le nom renvoyait clairement A La )elle .quipe de <ulien #uvivier, un film
c$l$brant la fraternit$ ouvri@re issue du Front populaire"
La Maison de la culture
,n !-:., Camus devient secr$taire %$n$ral de la Maison de la culture, une cr$ation du
parti communiste al%$rien" #ans cet endroit, il accueille l'Gnion franco5musulmane et ses
responsables reli%ieu8" Le parti communiste al%$rien rechi%ne A ces r$unions avec des
ind$pendantistes au8 cXt$s de Messali Lad' U que Camus soutient d@s !-:." Le 1CA re%arde
Camus d'un mauvais Bil et vice5versa" La vilenie d'un Camus vidant la caisse peut tout aussi bien
proc$der de la malveillance personnelle d'un communiste solitaire que d'une strat$%ie concert$e
par les responsables du parti"
Camus inau%ure cette Maison de la culture le / f$vrier !-:. avec une conf$rence
fonctionnant comme le manifeste du %ramscisme m$diterran$en" #ans sa prise de parole, il fait
de cette maison une instance au service de la ; culture m$diterran$enne ? 6(" 3039 qu'il souhaite
promouvoir r$%ionalement" (l sait ce terrain dan%ereu8, min$ par la droite, voire l'e8tr>me droite,
les maurrassiens en particulier qui confisquent en effet ces th$matiques solaires et r$%ionales"
Camus ne veut pas laisser ces id$es A la droite qui recourt au dionysisme A des fins r$actionnaires
et conservatrices & $lo%e de la tradition, c$l$bration du pass$, reli%ion des racines, id$olo%ie
raciale et raciste de la promotion des autochtones, d$claration de %uerre entre latins et nordiques,
etc"
La droite tourne son re%ard vers le pass$ de la M$diterran$e J la %auche, vers son avenir"
La premi@re est fascin$e par la mort et les anc>tres J la seconde, par la vie et la 'eunesse" La droite
est nocturne J la %auche, solaire" L'une est nationaliste et vise le mus$e J l'autre, internationaliste,
veut la vitalit$" Camus identifie le nationalisme A la d$cadence, au nihilisme J et
l'internationalisme A la sant$" La M$diterran$e selon son d$sir, c'est une spiritualit$, et non un sol,
une terre, une race J un $tat d'esprit, et non un enracinement J une po$tique, et non une
%$o%raphie, encore moins une %$olo%ie" Le nationalisme d$bouche sur la sup$riorit$ d'une nation
sur toutes les autres, donc sur l'in$%alit$ des nations U Camus e8@cre tous les nationalismes" )'en
souvenir au moment de la %uerre d'Al%$rie"
Camus oppose les peuples qui bordent la M$diterran$e A ceu8 d',urope centrale" Cipasa
contre 1ra%ue, tou'ours" Au +ord, le froid, les v>tements boutonn$s 'usqu'au col pour se prot$%er,
l'i%norance de la 'oie et du laisser5aller J au )ud, les hommes d$braill$s, la vie forte et color$e" La
patrie ne nomme pas une abstraction apollinienne, mais une v$rit$ dionysienne impossible A
penser, car elle s'$prouve physiquement, sensuellement" 1as question d'intelli%ence pour parvenir
A la compr$hension d'une id$e, car seule la ; raison mystique ? plotinienne permet l'e8p$rience
e8istentielle" La patrie apollinienne, c$r$brale et conceptuelle, d$bouche sur la pulsion de mort et
la %uerre U son%eons au national5socialisme allemand J la patrie dionysienne, sensuelle et
voluptueuse, empirique et charnelle, se nourrit de pulsion de vie U elle renvoie A la %auche solaire
et libertaire A venir, celle dont les ,spa%nols antifranquistes esquissent les contours ontolo%iques
et politiques"
Le pouvoir de la M$diterran$e
Camus pense que, dans l'Listoire, quand une doctrine rencontre la M$diterran$e, elle plie,
ploie et se modifie, elle s'affine et chan%e, elle subit un effet de sculpture solaire" Ainsi le 'ud$o5
christianisme que l'auteur de 2oces lit en nietOsch$en, un Bil sur L'Antéchrist & le christianisme
s'enracine dans la terre 'uda]que aust@re et c$r$brale, mais le catholicisme europ$en prend des
libert$s avec cette asc@se conceptuelle au profit d'une reli%ion sensuelle soucieuse de s'adresser A
tous les sens U ainsi les parfums de l'encens, les couleurs des peintures, les formes des sculptures,
l'eucharistie du pain et du vin, la musique des offices"
#e la m>me mani@re, le christianisme est catholicisme au )ud, protestantisme au +ord"
Camus manifeste sa pr$f$rence pour saint FranVois d'Assise l'Ombrien, sa douceur, ses
conversations avec les animau8, sa passion pour la nature, sa conversion d'un loup A Iubbio,
contre le Luther du )aint ,mpire romain %ermanique avec ses col@res, son usa%e des insultes et
son invitation A brSler les sorci@res et les 'uifs" (l oppose m>me deu8 faVons de vivre le fascisme &
la version inhumaine du national5socialisme e8terminateur et, selon lui, la formule moins
inhumaine des faisceau8 mussoliniens, en tout cas un r$%ime qui permet de continuer de vivre en
humain"
Contre l'usa%e de l'Antiquit$ romaine qui permet A l'(talie de Mussolini de 'ustifier son
colonialisme en Afrique sous pr$te8te de mission civilisatrice, contre cette M$diterran$e
transcendantale, abstraite, conceptuelle, th$orique, militaire, %uerri@re, contre7ome qui emprunte
son $puisement A la Ir@ce et e8porte son nihilisme avec ses cohortes, contre le fascisme italien
inspir$ par C$sar, Camus propose une autre faVon de re%arder la M$diterran$e, une faVon
%recque, vivante et %lorieuse, dionysiaque" Gne Ir@ce frott$e A l'Orient U 1lotin, lA encore Q
L'Al%$rie lui semble le lieu oN Orient et Occident cohabitent, se m>lent, se m$lan%ent, se fondent"
Gn m$tissa%e qui h$risserait Maurras et la droite D
Camus souhaite les effets de pouvoir ontolo%ique revi%orant de la M$diterran$e sur la
%auche, le socialisme et le communisme" Lui qui adh@re au 1C en m>me temps qu'il lit 1lotin le
Irec et Au%ustin le chr$tien, il aspire encore A transfi%urer son parti" ,ntre !-:3 et !-:., il vit
tou'ours sous adh$sion et son en%a%ement sous le si%ne de la spiritualisation du communisme, et
compte bien sur l'effet M$diterran$e" #ans ce discours inau%ural de la Maison de la culture, il
affirme en !-:. & ; Gn collectivisme m$diterran$en sera diff$rent d'un collectivisme russe
proprement dit" La partie du collectivisme ne se 'oue pas en 7ussie & elle se 'oue dans le bassin
m$diterran$en et en ,spa%ne A l'heure qu'il est ? 6(" 3.9" On ima%ine la r$action du parti
communiste enti@rement tourn$ vers Moscou D
L'intellectuel doit 'ouer un rXle consid$rable dans cette renaissance" Y cette $poque, on
fait peu confiance A cette fi%ure & il est imbu de lui5m>me, insoucieu8 du peuple dont il m$connaWt
la vie et les probl@mes" (l donne des leVons A la plan@te enti@re mais avec pour seule ambition non
pas de contribuer A l'$mancipation des hommes, mais de se servir d'elle pour sa propre publicit$"
Chacune de ses paroles est incompr$hensible A l'homme du commun, car il parle pour sa
corporation" Y qui son%e alors Albert Camus en prononVant son discours Q
Cet intellectuel nocturne, narcissique, imbu de lui5m>me, carri$riste, $%otiste, pour tout
dire m$prisant, doit laisser la place A un autre intellectuel" 1lus modeste, il ne d$sire pas chan%er
l'Listoire, mais a%ir sur les hommes qui la font" #'oN, cheO Camus, cette vocation A l'$ducation
populaire, cet usa%e politique du th$Ttre, cet en%a%ement dans le Coll@%e du travail pour parta%er
le savoir, la culture et ne pas en faire des instruments de distinction et de domination sociale,
mais des armes d'$mancipation des consciences et des esprits U osons le mot & des Tmes"
La vraie civilisation place la v$rit$ avant la fable, la vie avant le r>ve" La volont$
dionysienne nourrit l'internationalisme, abolit les nationalismes et ses fronti@res" La r$%ion est ici
la chance de l'univers et l'occasion d'en finir avec les territoires enclos, les pays ferm$s" La
culture n'est d$fendable qu'une fois mise au service de la vie U or, trop souvent, les intellectuels
l'utilisent pour la mort et ses entreprises" Cipasa fonctionne en personna%e conceptuel de l'$thique
et de la politique d'Albert Camus" ,t 1ra%ue comme anti5Cipasa" Le soleil et la mer, la
M$diterran$e et la vie, #ionysos et la 'oie, la %auche et le bonheur, Cipasa et Al%er, la douceur
%recque et le quichottisme hispanique, le th$Ttre et la nature, la fiert$ Kabyle et l'hospitalit$ nord5
africaine, le sens de l'amiti$ et le %oSt du parta%e, le drapeau noir espa%nol et la fraternit$
ouvri@re, la passion pour le peuple et le m$tissa%e des peau8, la %rande sant$ et le
cosmopolitisme, le sens de l'honneur et celui de l'$ternit$, la loyaut$ et la %randeur d'Tme, le tout
dans une intempestivit$ revendiqu$e, voilA la d$finition d'une %auche dionysienne et d'une
spiritualit$ communiste U Camus y croit fermement" Mais voilA & la France d$clare la %uerre A
l'Allema%ne le : septembre !-:-"

3
Gne m$taphysique de l'absurde
Comment vivre puisqu'il faut mourir Q
; Le syst@me, lorsqu'il est valable, ne se s$pare pas de son auteur" ?
Camus, Le "ythe de Sisyphe 6(" 2//9"

#eu8 fois condamn$ A mort
La tuberculose contraint Camus A envisa%er sa vie de faVon tra%ique" Lucide sur lui et sur
son mal, il sait le caract@re irr$versible de cette atteinte des poumons qui le conduit vers la mort
selon un d$veloppement dont les m$decins connaissent le d$tail" Gne patholo%ie chronique inscrit
l'e8istence dans une lo%ique désespérante au sens $tymolo%ique & le malade cesse d'esp$rer la
possibilit$ de recouvrer un 'our la sant$" Or, nul ne l'i%nore, la sant$ est un bien dont on d$couvre
le caract@re pr$cieu8 une fois disparue" Y di85sept ans, se savoir lentement mais sSrement ron%$
de l'int$rieur installe sur un terrain ontolo%ique particulier" #ans cette confi%uration e8istentielle,
la philosophie n'est pas un 'eu d'enfant, une pratique ludique et th$or$tique, mais un art de vivre
au bord du %ouffre"
+ous avons d$'A vu combien ce mal emp>che le d$roulement de la vie du penseur & il
voulait faire des $tudes de philosophie, passer l'a%r$%ation et ensei%ner U refus de
l'administration" 1lus tard il souhaitait s'en%a%er dans les forces franVaises lors de la d$claration
de %uerre, il r$it@re ce %este militant apr@s avoir $t$ une premi@re fois a'ourn$ U l'arm$e le r$cuse"
Gn Bil sur son dossier m$dical, le militaire l'accueille avec un discours catastrophiste sur son $tat
de sant$" L'$ducation nationale et la d$fense de son pays se trouvent donc interdites au coll$%ien
boursier, A l'$tudiant qui contracte un pr>t d'honneur pour faire ses $tudes A l'universit$, et au
pupille de la nation dont le p@re est mort pour la France" Camus ne pourra rendre A la soci$t$ ce
qu'il lui doit en s'en%a%eant dans les ran%s de ceu8 qui souhaitent d$fendre le pays attaqu$ par les
naOis" La soci$t$ l'a d$'A condamn$ deu8 fois A mort & elle ne veut pas de lui comme professeur,
elle ne le souhaite pas comme soldat"
Y la d$claration de la %uerre, Camus a enchaWn$ les petits m$tiers, ceu8 de son
adolescence, dans une quincaillerie, cheO un courtier maritime, au service des cartes %rises de la
pr$fecture" 1lus tard, il a donn$ des cours particuliers, il a $t$ acteur A la troupe de 7adio5Al%er"
Lors des vacances de l'ann$e !-:., par crainte de la routine, il refuse un poste A )idi *el Abb@s
avant d'accepter un emploi dans la m$t$orolo%ie comme assistant temporaire de novembre !-:. A
septembre !-:/" (l 'oue dans des pi@ces, $crit dans des revues, cr$e l'une d'entre elles, mais n'en
vit pas" ,n octobre !-:/, il devient r$dacteur d'Aler répu&licain, un 'ournal de %auche" (l y tient
la rubrique litt$raire et publie des comptes rendus de lecture de )artre, +iOan, Montherlant, )ilone
U parmi d'autres" ,n septembre !-:-, il refuse un poste de professeur de latin dans un lyc$e de la
banlieue d'Al%er" Cuberculeu8 depuis !-:, mari$ en 'uin !-:4, s$par$ en 'uillet !-:0, divorc$ en
f$vrier !-4, le voilA donc 'ournaliste, 'usqu'A septembre !-:-, date de la suppression du 'ournal
qui devient Le Soir répu&licain, avant son interdiction en 'anvier !-4" (l quitte l'Al%$rie pour
1aris oN il devient secr$taire de r$daction A Paris8Soir" Camus veut $crire"
Fcrire avant de mourir
#ans une lettre A <ean Irenier, Camus r$v@le ses trois pro'ets en cours & un essai, une
pi@ce de th$Ttre et un roman" ,ntre !-:- et !-4:, autrement dit entre vin%t5si8 et trente ans, (l
m@ne A bien ces trois chantiers avec L'.traner, Le "ythe de Sisyphe et Caliula, trois chefs5
d'Buvre dans leurs re%istres respectifs" 1endant qu'il travaille A ce triptyque, il $crit dans ses
carnets" On y lit le 'ournal de ses $tats physiques donc psychiques" L'ann$e !-:0, Camus parle de
d$sespoir, de fati%ue, de lassitude, de tristesse, de lutte contre son corps, de maladie, de
souffrance, de solitude, d'envie de larmes" ,n !-:. & ; L'enfer, c'est la vie avec ce corps U qui
vaut encore mieu8 que l'an$antissement ? 6((" /!.9"
La souffrance n'a pas de sens pour ce pa]en & le 'eune homme qui aime la beaut$ du corps
des femmes, leurs peau8 bronO$es, la brSlure du soleil m$diterran$en, le caract@re intempestif des
pla%es, la fonction lustrale de l'eau de mer, les parfums de Cipasa, les rues d'Al%er, n'a aucune
raison de trouver normale cette maladie qui le prive de tout cela" Gn chr$tien renverrait au
dessein de #ieu, A la divine 1rovidence, au8 voies imp$n$trables du )ei%neur, au p$ch$ ori%inel,
mais un disciple de 1lotin Q (l lui faut m$diter plus et mieu8 encore l'Buvre et la vie de +ietOsche,
lui aussi malade, et philosophe, afin de vivre sans la force de la sant$" #ans une lettre A evonne
#ucailar dat$e du !- avril !-4, Camus a vin%t5sept ans, il $crit & ; <e serai un 'ournaliste et 'e
mourrai 'eune _l`" Pue demander de plus et pourquoi re%retter les vies que l'on n'a pas eues Q ?
Camus lit en autodidacte" La tuberculose qui lui interdit l'Fcole normale sup$rieure, le
prive de l'ensei%nement d'un corpus classique, d'une m$thode souvent r$ductible au8 subtilit$s
rh$toriques utiles A la strat$%ie des habiles" Mais cette privation %$n@re en m>me temps une
positivit$ qui nourrit le %$nie de Camus & il i%nore peut5>tre les te8tes canoniques et leurs
commentaires officiels, mais il peut lire librement des auteurs au %r$ de son caprice J il ne dispose
peut5>tre pas de l'artillerie sophistique des 'eunes %ens format$s, mais il oppose sa sinc$rit$
e8istentielle, formul$e dans une prose $l$%ante, au8 pures 'outes formelles pour lesquelles sont
mises au point ces machines A penser en re%ard desquelles le fond compte pour rien puisque seul
importe l'art de briller dans la forme" La sinc$rit$ touche les %ens de bien J la sophistique, les %ens
du m$tier"
,n philosophie, Camus a donc lu )chopenhauer et +ietOsche dans la classe de Irenier,
puis Au%ustin et 1lotin pour son diplXme universitaire, mais $%alement, dans le d$sordre, les
;panisads et )tirner, *lanchot et )pinoOa, RierKe%aard et )pen%ler, )orel et Chestov"
*oulimique, il d$couvre $%alement la litt$rature qu'il ne s$pare pas du corpus philosophique &
Lom@re et Flaubert, *alOac et )tendhal, 1roust et RafKa, Melville et #osto]evsKi, IorKi et
Malrau8" (l re%arde avec un m>me Bil le roman et la philosophie"
Camus pratique une littérature philosophique et une philosophie littéraire? La premi@re
d$finit des romans qui ne se proposent pas le 'eu litt$raire de la distraction, de l'a%encement
formel, de l'art pour l'art, mais formulent la vision d'un monde en dehors des id$es et des
concepts, A l'aide de personna%es, de r$cits, d'histoires, d'aventures fictives" La seconde suppose
la prose $l$%ante, claire, pr$cise, esth$tique qui ne sacrifie pas le sens, la profondeur et la v$rit$ A
la forme" L'.traner et La Peste, mais $%alement Caliula ou Les Justes, illustrent la litt$rature
philosophique J Le "ythe de Sisyphe et L''omme ré+olté, mais aussi les trois livraisons
d'Actuelles, la philosophie litt$raire" L'institution, quant A elle, propose une nette li%ne de
d$marcation et tient pour la philosophie philosophante et la pure littérature, chacune $voluant
dans un monde s$par$, e8emple & Le%el et <oyce"
Gne th$orie du roman
Camus propose une th$orie du roman philosophique au8 antipodes du roman A th@se,
lourd, pesant, indi%este" 2oces montre comment on peut, en dehors des codes institutionnels et
universitaires, $crire un livre de philosophie de faVon litt$raire, avec une prose po$tique m>me,
sans pr$'udice pour le fond" Cette volont$ de philosophie litt$raire et de litt$rature philosophique
suppose une conception alternative au8 cat$chismes de la philosophie dominante"
Labituellement, en mati@re de philosophie, la raison fait la loi J Camus lui pr$f@re la
sensation, l'$motion, la perception" I$n$ralement, la philosophie privil$%ie le concept, l'id$e, la
th$orie J Camus leur substitue l'ima%e, le personna%e, la fi%ure" Commun$ment, la philosophie
recourt A la d$monstration, A la lo%ique, au syllo%isme, A la dialectique, au raisonnement, A
l'ar%umentation J Camus opte pour la prose po$tique, le r$cit romanesque, le dialo%ue th$Ttral"
Ordinairement, la philosophie id$alise le monde pour le penser, elle le transforme en ob'et
transcendantal, elle le m$diatise par le filtre des biblioth@ques J Camus propose un abord sensuel,
mat$rialiste, h$doniste, empirique de la prose du monde, il c$l@bre le contact direct, imm$diat,
ph$nom$nal" #@s lors, on comprend qu'il $crive dans Le "ythe de Sisyphe & ; Les id$es sont le
contraire de la pens$e ? 6(" 2-/9 et qu'il puisse penser sans id$es"
Camus livre sa th$orie de la litt$rature dans un compte rendu dat$ du 2 octobre !-:/
pour Aler répu&licain & il y parle de La 2ausée de <ean51aul )artre" )ans surestimer la port$e de
ce premier $chan%e entre les deu8 hommes, disons que Camus corri%e la copie de )artre avec la
plume de l'instituteur" On peut ima%iner que <ean51aul )artre, r$di%eant son 1*plication de
L'.traner non sans quelques piques, conserve en m$moire le ton avec lequel un Camus de
vin%t5cinq ans lui fit un 'our la leVon A lui qui en avait trente5trois"
Le Compte rendu s'ouvre avec cette phrase c$l@bre & ; Gn roman n'est 'amais qu'une
philosophie mise en ima%es ? 6(" .-49" Puand le roman est bon, tout passe dans les ima%es U mais
subtilement" Les personna%es et l'action ne doivent pas recouvrir la th$orie" Le bon romancier
obtient un savant m$lan%e et un $quilibre subtil entre les fi%ures, leurs histoires et la pens$e" #ans
le cas oN la philosophie prend le dessus, l'intri%ue disparaWt, elle perd de son authenticit$, le
roman se vide alors de tout ce qui vit en lui" Gne Buvre ne dure qu'avec une pens$e profonde" Le
%rand romancier r$ussit cette r$partition des forces"
Camus donne le nom d'un romancier capable de ramasser dans un m>me ouvra%e les
id$es, les intri%ues, les personna%es, la vie, l'e8p$rience, la r$fle8ion sur le sens de la vie & Andr$
Malrau8, un homme de lettres de trente5sept ans d$'A c$l@bre" Ailleurs, Camus avoue huit lectures
de La Condition humaine" 7appelons qu'A cette $poque il a vin%t5cinq ans, il ach@ve 2oces, cette
%rande prose po$tique et philosophique, il n'a pas $crit de roman, et travaille A en construire un,
La "ort heureuse, sans en >tre satisfait"
Apr@s cette th$orie du roman r$ussi trouss$e en une diOaine de li%nes, Camus passe A
l'e8amen du roman de )artre" L'article ass@ne & un bon romancier r$alise l'$quilibre des
personna%es et des id$es J or La 2ausée ne parvient pas A r$aliser cette d$licate op$ration J donc
)artre n'a pas r$ussi son roman" Crop de th$orie, trop d'id$es" #u haut de sa chaire 'ournalistique,
Camus tance )artre & il lui reconnaWt du talent, certes, mais lui reproche de le %aspiller" *ons
points distribu$s sur la description de l'amertume et de la v$rit$ J mauvais points sur l'an%oisse
trop clairement d$marqu$e de RierKe%aard, Chestov, <aspers, Leide%%er"
1our Camus, )artre publie le roman de l'an%oisse d'une vie banale U et, $crit le 'eune
critique, voilA rien que de tr@s banal" Camus pr$cise qu'on peut son%er A RafKa, certes, mais sans
conviction" LA encore, retenons le nom de RafKa U il occupe une place importante dans le
dispositif sartrien lors de l'analyse du style et de la r$f$rence au proc@s dans L'.traner"
1uis Camus aborde d'autres terrains, tout en continuant A corri%er rudement la copie &
7oquentin raconte sa naus$e, mais comme une fin, alors qu'elle devrait >tre un commencement J
La 2ausée est moins un roman qu'un monolo%ue J avec ce livre, )artre n'a pas produit une Buvre
d'art J l'absurdit$ n'est pas une conclusion, mais une ouverture, ainsi que l'ont compris tous les
%rands esprits J l'auteur voulait d$crire quelques %randes minutes en re%ard desquelles le restant
de l'Buvre compte pour rien, mais le lecteur cherche en vain cette description"
(nversant l'ada%e en vertu duquel in cauda +enenum, Camus ayant pass$ l'essentiel de son
temps 'ournalistique A $triller )artre conclut, faussement patelin, que ce premier ouvra%e d'un
'eune auteur paraWt prometteur, que la lucidit$ douloureuse dont il fait preuve t$moi%ne de dons
certains, que la possibilit$ de se situer au8 confins de la pens$e consciente atteste des qualit$s
$videntes" Y quoi il a'oute, conclusion de sa conclusion, qu'il attend le prochain ouvra%e avec
impatience"
Puelques mois plus tard, le !2 mars !-:-, alors qu'il travaille A son propre roman, Camus
rend compte du "ur de )artre U tou'ours pour le m>me 'ournal" (l note le retour de la th$matique
sartrienne avec des personna%es hors norme & un d$traqu$ se8uel, un p$d$raste, un condamn$ A
mort, un fou, un incapable de la libido, autant d'incarnations de l'impuissance" )artre pr$sente le
pervers comme le plus banal des >tres" Camus distribue A nouveau les mauvais points & il pointe
un usa%e mal venu de l'obsc$nit$ et des sc@nes se8uelles litt$rairement inutiles"
Mais il r$partit aussi les bons points & la description de ces impuissants terroris$s par
l'e8c@s de leur libert$ qui les montre interdits devant l'action ou la cr$ation J l'absence de boussole
ontolo%ique de ces >tres qui les d$soriente J les personna%es suivis dans leurs errances
e8istentielles U voilA des moments avec lesquels )artre e8celle dans l'art de construire son r$cit et
de maWtriser la narration" #es pa%es $mouvantes et bouleversantes d$crivent l'homme condamn$ A
>tre libre, an%oiss$ et enferm$ dans sa solitude, vivant son solipsisme et e8p$rimentant l'absurdit$
de sa condition" Cette fois5ci, )artre a r$ussi son coup" )elon Camus, il tient en $quilibre ses
th$ories et ses personna%es, ses th@ses et son r$cit" ,n seulement deu8 publications, il fait Buvre
di%ne de ce nom" Camus s'attelle A la sienne"
L'Ftran%er comme surhomme
L'.traner paraWt en mai !-42 U le roman de ce 'eune auteur de vin%t5neuf ans est recens$
par Irenier, Arland, *lanchot, )artre, *arthes, )arraute, 7obbe5Irillet" Les approches
do%matiques ne manquent pas & chr$tiennes, mar8istes, psychanalytiques, politiques puis, plus
tard, structuralistes, n$o5colonialistes, raciales, f$ministes, etc" Les lectures philosophiques
d$marquent souvent le commentaire sartrien et r$duisent l'ouvra%e A un roman de l'absurde,
Meursault passant pour l'antih$ros d'un monde absurde dans une vie absurde"
On n'a pas, me semble5t5il, inscrit ce roman dans la perspective nietOsch$enne du
surhumain" 1ourtant, si l'on a lu le portrait que le philosophe allemand donne du surhomme dans
Ainsi parlait Jarathoustra, Meursault peut >tre compris comme une fi%ure de l'innocence du
devenir, une notion essentielle de l'ontolo%ie de l'auteur de Par8del( &ien et mal" Le rXle de la
sBur de +ietOsche dans l'inscription de son fr@re dans la %$n$alo%ie du fascisme en %$n$ral et du
naOisme en particulier m$rite d'>tre rapport$ en quelques mots"
Flisabeth Fdrster a falsifi$ des te8tes de son fr@re, recopi$ des lettres en supprimant et
a'outant ce qui contribuait A la l$%ende d'un penseur pr$fasciste, fabriqu$ de toutes pi@ces par
tailla%es et colla%es une Volonté de puissance constitu$e de fra%ments dont beaucoup ne sont pas
du philosophe, certains $tant m>me des citations recopi$es lors de ses lectures" Cette femme, qui
fut clairement antis$mite, amie de Mussolini, membre du 1arti naOi, r$%uli@rement reVue par
Litler qui versa des subventions pour les Archives de son fr@re, a biolo%is$ et racialis$, politis$ et
sociolo%is$ le concept de surhomme qui, cheO +ietOsche, est une proposition purement
ontoloique"
La mainmise de la sBur du philosophe sur le corps et l'Tme, puis l'Buvre de son fr@re d@s
sa folie 'usqu'A sa propre mort en !-:3, a $t$ totale" )elon ses vBu8 antis$mites et nationau85
socialistes, le surhomme a $t$ pr$sent$ comme un h$ros sans piti$, insoucieu8 de la morale, par5
delA bien et mal, cruel et %uerrier, san%uinaire et violent, inaccessible au remords, incapable de
piti$ dans la vie quotidienne & le )) a $t$ adoub$ par elle comme incarnation pa]enne de cette
fi%ure philosophique dont le messa%e essentiel consistait moins A +ouloir chaner le monde,
perspective naOie, qu'A +ouloir le monde comme il était, perspective nietOsch$enne? Le soldat
naOi, pr$tendument surhomme nietOsch$en, croyait dans la possibilit$ d'un autre monde et, pour
ce faire, il recourait au crime, au meurtre, au massacre des 'uifs au nom d'une fiction & une soci$t$
pure, aryenne, d$barrass$e de la ; race ? 'uive"
Le v$ritable sa%e nietOsch$en, le surhomme authentique, ne parta%e pas cet optimisme
sociolo%ique, pas plus qu'il ne souscrit au pessimisme, puisqu'il est tra%ique & il connaWt la nature
du r$el, sait que la volont$ de puissance nomme la v$rit$ du monde et que celle5ci n'est pas
vouloir d'un empire sur autrui, mais puissance de la puissance qui nous veut tels que nous
sommes" LA oN le soldat obtus aspire A chan%er ce qui est, le nietOsch$en ensei%ne qu'on ne
chan%e rien, que tout se r$p@te ind$finiment et $ternellement et que, d@s lors, face A ce
d$terminisme absolu, il nous faut vouloir le vouloir qui nous veut pour acc$der A la 'oie et A la
b$atitude" Le surhomme est l'antith@se du naOi"
A'outons A cela que l'Buvre compl@te de +ietOsche fusti%e l'esprit 'uda]que de 1aul
comme philosophie de l'id$al asc$tique, de la haine du corps, des d$sirs, des pulsions, des
passions, de la vie, de la se8ualit$, de l'ici5bas au nom d'un pr$tendu au5delA et non comme
; race ?" +ietOsche reproche au 'uda]sme sa haine de la nature et sa passion pour la mort
%$n$alo%ique du christianisme qu'il combat" ,n revanche, en dehors de ce conte8te théoloique,
quand il s'a%it des 'uifs socioloiques, il ne tarit pas d'$lo%es A leur endroit et vante leurs qualit$s"
Comment le (((
e
7eich pourrait5il tabler sur un homme qui, en !/.2, chan%e d'$diteur d@s
qu'il apprend son implication dans l'$dition de te8tes antis$mites Q Ou un individu qui, en !//0,
$crivit dans Par8del( &ien et mal qu'il faudrait envisa%er d'; e8pulser du pays les braillards
antis$mites ? 6f 23!9 puis encoura%er le m$tissa%e des 'uifs et des Allemands Q Lui qui parle de
; la b>tise antis$mite ? 6i&id?9 ne saurait admettre que son surhomme puisse souscrire A cette
passion triste de la ven%eance contre les 'uifs et A ce paran%on patholo%ique de ressentiment
incarn$ par le soldat naOi"
)i, donc, on prend soin d'en finir avec la l$%ende d'un +ietOsche naOi ou pr$curseur du
national5socialisme et qu'on lit patiemment Ainsi parlait Jarathoustra, on d$couvre la fi%ure du
surhomme selon cette acception & la volont$ de puissance fait la loi J elle nomme la vie dans tout
ce qui vit et veut la vie J elle est tout l'univers J on n'$chappe pas A son cycle J elle revient
$ternellement J nous sommes volont$ de puissance J nous revenons $ternellement J nous revivrons
sans cesse ce que nous avons v$cu et ce sous la m>me forme J nous ne pouvons rien faire contre
ce mouvement perp$tuel J la sa%esse consiste A vouloir ce qui nous veut et qu'on ne peut $viter J
le vouloir sup$rieur du vouloir est amor 9ati, amour de son destin, il conduit A la 'oie v$ritable et A
l'authentique b$atitude J la sa%esse nietOsch$enne consiste A dire un %rand ; oui ? A tout ce qui
est, car ce qui est a $t$ et sera A l'identique, personne n'y peut rien" Le sa%e sait qu'il peut vouloir
ce vouloir, alors que les autres se contentent de le subir aveu%l$ment et d'en i%norer la nature, les
formes et les forces" Meursault $volue dans la sph@re ontolo%ique du surhumain"
I$n$alo%ies du surhumain
Le concept nietOsch$en de surhomme ne sort pas de nulle part" +ietOsche connaissait par
cBur la philosophie %r$co5romaine" Coutes les fi%ures de sa%esses antiques nourrissent ce que
1cce homo pr$sente comme une $piphanie pa]enne sur le mode de l'$branlement psychique
e8p$riment$e par le philosophe sur les hauteurs de 1ortofino" #'abord philolo%ue, +ietOsche
devient philosophe apr@s le choc de la lecture du "onde comme +olonté et comme représentation,
l'ouvra%e dans lequel )chopenhauer fournit un mod@le de sa%esse pratique en esquissant le
portrait d'un %enre de *ouddha europ$en qui pratiquerait la piti$, la contemplation esth$tique ou
l'abstinence se8uelle appel$e dans le lan%a%e de la tribu philosophique ; e8tinction du vouloir5
vivre ?"
Le surhomme de +ietOsche emprunte au8 multiples fi%ures de la sa%esse antique qui, dans
leurs diversit$s, se proposent toutes un m>me but & l'impassibilit$, la s$r$nit$, la tranquillit$, la
pai8 de l'Tme, des $tats producteurs de b$atitude ou de 'oie" Ces chemins diff$rents, certains
ardus, aust@res, e8i%eants, comme le cynisme ou le sto]cisme, d'autres plus s$duisants, plus
h$donistes, l'$picurisme ou le cyr$na]sme, visent un m>me sommet, le souverain bien, un ob'ectif
atteint quand l'homme s'est mis au centre de lui5m>me, a compris sa place dans la nature et dans
le cosmos et, suite A cela, sait comment se comporter avec lui, les autres et le monde"
)ouvenons5nous de la lecture du "anuel d'Fpict@te effectu$e par le tr@s 'eune Camus sur
son lit d'hXpital" 7appelons5nous qu'il connaWt les 1nnéades de 1lotin par son travail universitaire"
+'oublions pas qu'il a lu les ;panishads sur les conseils de <ean Irenier et probablement les
philosophes du tao]sme, Cchouan%5tseu ou Lao5tseu" On peut ima%iner qu'il connaWt les
'ypotyposes ou d'autres te8tes de )e8tus ,mpiricus traduits par son professeur de philosophie"
#ans sa correspondance, il parle des th@ses d'Fpicure sur la mort, on ima%ine mal qu'il n'ait pas lu
la Lettre ( "énécée" (l cite #e la nature des choses de Lucr@ce dans L''omme ré+olté" +e
parlons pas des pr$socratiques, de 1laton ou d'Au%ustin $%alement lus"
Camus connaWt donc, comme +ietOsche, les formes possibles de la sa%esse antique &
l'indiff$rence sto]cienne A la r$alit$ du r$el avec souci et polarisation sur la repr$sentation qu'on
s'en fait, avec un $lo%e des pleins pouvoirs de la volont$ sur les repr$sentations J la fuite
plotinienne du monde vers le principe de l'Gn5*ien pour s'y unir et connaWtre la b$atitude
d'e8tases pa]ennes J la voie du tao conseillant le choi8 du non5choi8 et c$l$brant la volont$
d'impuissance dans un monde oN l'on n'intervient pas J l'indiff$rence pyrrhonienne et son
relativisme %$n$ralis$ au nom duquel on ne doit pas plus vouloir une chose que son contraire J la
di$t$tique $picurienne des d$sirs et la r$duction du plaisir A l'atara8ie, l'autre nom de l'absence de
troubles U les techniques, les m$thodes, les voies ne manquent pas pour conduire A la sa%esse qui
m@ne A la 'oie"
Le )urhomme nietOsch$en emprunte A ces sapiences oN l'Orient et l'Occident se
re'oi%nent" [arathoustra lui5m>me n'est5il pas un fils du [oroastre perse des reli%ions maOd$ennes
dans un T%e contemporain des plus anciens pr$socratiques Q ConnaWtre le monde, vouloir le
monde, aimer le monde, se contenter de lui, ne 'amais r$criminer contre lui, le vouloir tel qu'il
est, et, cons$quence de ces pratiques th$oriques et e8istentielles, 'ouir du monde, s'y trouver
comme un poisson dans l'eau, sans plus se questionner sur ses rapports A son milieu, voilA le fin
mot de toute sa%esse"
Gn trian%le %$n$alo%ique
)i l'on souhaite comprendre le m$canisme intellectuel et spirituel, m$taphysique et
ontolo%ique de Meursault, inscrivons5le dans cette confi%uration e8istentielle des sa%esses
antiques" 1uis lisons la pr$face que <ean Irenier donne A l'$dition des Buvres choisies de )e8tus
,mpiricus annot$es et traduites par ses soins" Les derni@res li%nes de ce te8te introductif
$tablissent un trian%le philosophique int$ressant entre )e8tus ,mpiricus, +ietOsche et <ean
Irenier & ; Le dernier mot sur )e8tus ,mpiricus, nous l'emprunterons A +ietOsche dont le
scepticisme se pr$sente comme un nihilisme radical & h(l faut que 'e me reporte A si8 mois en
arri@re pour me surprendre un livre A la main" Pu'$tait5ce donc Q Gne e8cellente $tude de Eictor
*rochard, Les Sceptiques recs, dans lesquels mes Laertiana ont $t$ avanta%eusement utilis$s"
Les )ceptiques sont le seul type honora&le parmi la %ent philosophique si ambi%uk et m>me A
quintuple sens"i ? 6::9"
Ce te8te de +ietOsche se trouve dans 1cce homo, plus particuli@rement dans le chapitre
ironiquement intitul$ ; 1ourquoi 'e suis malin ?" #e fait, *rochard renvoie au travail du
+ietOsche philolo%ue sur #io%@ne Lakrte dans cette $tude qui, publi$e en septembre !//., reste
un document e8ceptionnel dans l'histoire des id$es sceptiques" Mais, en dehors du bonheur de
voir son travail reconnu de son vivant 6m>me s'il s'a%it de ses recherches philolo%iques de
'eunesse et non de ses travau8 philosophiques9, retenons que +ietOsche fait du sceptique la seule
fi%ure susceptible d'>tre sauv$e dans le monde philosophique" Y cette $poque, il semble au8
antipodes du philosophe qui doute D 1hilosopher au marteau ne s'apparente en rien A une pratique
sceptique" 1our quelles raisons, donc, +ietOsche sauve5t5il les pyrrhoniens Q 1robablement pour
leur fi%ure de sa%e U et non pour leur $pist$molo%ie ou leur m$thode" Car l'impassibilit$
pyrrhonienne entretient des relations avec l'amor 9ati nietOsch$en U et l'indolence de Meursault"
Eictor *rochard propose une $tude de tout le scepticisme depuis sa premi@re formule
'usqu'A la +ouvelle Acad$mie U soit du (((
e
au (
er
si@cle avant <"C" La fi%ure embl$matique du
scepticisme se nomme 1yrrhon" *rochard rapporte un te8te d'Aristocl@s qui d$finit avec 'ustesse
et concision la philosophie de ce personna%e & ; 1yrrhon d',lis n'a laiss$ aucun $crit, mais son
disciple Cimon dit que celui qui veut >tre heureu8 doit consid$rer ces trois points & d'abord, que
sont les choses en elles5m>mes Q puis, dans quelles dispositions devons5nous >tre A leur $%ard Q
enfin, que r$sultera5t5il pour nous de ces dispositions Q Les choses sont toutes sans diff$rences
entre elles, $%alement incertaines et indiscernables" Aussi nos sensations ni nos 'u%ements ne
nous apprennent5ils pas le vrai ni le fau8" 1ar suite nous ne devons nous fier ni au8 sens, ni A la
raison, mais demeurer sans opinion, sans incliner ni d'un cXt$ ni de l'autre, impassible" Puelle que
soit la chose dont il s'a%isse, nous dirons qu'il ne faut pas plus l'affirmer que la nier, ou bien qu'il
faut l'affirmer et la nier A la fois, ou bien qu'il ne faut ni l'affirmer ni la nier" )i nous sommes dans
ces dispositions, dit Cimon, nous atteindrons d'abord l'aphasie, puis l'atara*ie ? 6439"
(ndiff$rence, incertitude et indiscernabilit$ des choses, impossibilit$ de 'u%er, de connaWtre, de
distin%uer entre bien et mal, impassibilit$, indolence, apathie, atonie, ne dirait5on pas un portrait
de Meursault Q
<ean Irenier s'inspire beaucoup du travail de *rochard pour r$di%er son introduction" Le
futur auteur de L'1sprit du tao si%nale que 1yrrhon eut pour maWtre Ana8arque d'Abd@re qu'il
accompa%na lors de la campa%ne d'Ale8andre le Irand en Asie" (l ensei%na la philosophie de
#$mocrite, son compatriote abd$ritain" 1yrrhon ne cessa de l'appr$cier" Cous les deu8 ont
approch$ les %ymnosophistes indiens, ces sa%es nus qui ensei%naient l'asc@se, le d$tachement du
monde, l'e8tr>me fru%alit$, la mendicit$, les e8ercices de yo%a et autres techniques, pratiques et
pens$es brahmaniques"
Gne philosophie qui ach@ve la philosophie
L'e8emple de Calanos, un sa%e indien de Ca8ila, marque tout particuli@rement 1yrrhon &
ce philosophe malade, T%$ de soi8ante5treiOe ans, met en sc@ne son immolation publique & un
cort@%e l'accompa%ne au bScher, des soldats d'Ale8andre portent des coupes d'or et d'ar%ent
pleines de parfums, des tapis pr$cieu8 entourent le bScher, le sa%e entre dans le feu, s'y consume
sans bou%er, impassible, sans un mouvement perceptible, pendant ce temps retentit la sonnerie de
cors accompa%n$e par le barrissement des $l$phants" L'arm$e enti@re pousse un p$an en l'honneur
du sa%e qui brSle di%nement" LeVon philosophique & un homme d$termin$ peut tout, une volont$
forte et infle8ible plie le destin, l'impassibilit$ est la quintessence du souverain bien" 1yrrhon en
fit son miel"
1our 1yrrhon, tout se vaut, rien n'est vrai" )a ma8ime $tait & ; 1as plus ceci que cela ?" )a
pratique Q )'en tenir au sens commun et A la conduite de Monsieur Cout le Monde" )on espoir Q
+on pas un au5delA, il ne croyait A aucun arri@re5monde, mais l'ici5bas d'une vie philosophique
consacr$e A la recherche de la s$r$nit$" )on id$al Q Le d$tachement, l'insensibilit$, l'apathie,
l'indiff$rence, l'insensibilit$" )a m$thode Q Le d$pouillement ontolo%ique total, l'asc@se
intellectuelle" )on anecdote embl$matique Q )on ami Ana8arque d'Abd@re ayant chut$ dans un
marais duquel il tentait de s'e8traire, 1yrrhon passe et ne lui porte pas secours" #'aucuns lui en
firent plus tard reproche, mais Ana8arque lui5m>me, sorti du mauvais pas, abondait dans le sens
pyrrhonien"
1yrrhon, bien qu'il n'en souhaitTt pas, ni le contraire bien sSr, eut des disciples au8 noms
diff$rents & les 5ététiques cherchaient la v$rit$ sans relTche, les sceptiques e8aminaient tout sans
'amais rien trouver, les éphectiques suspendaient leurs 'u%ements, les aporétiques s'affirmaient
incertains, y compris de leurs incertitudes" Les pyrrhoniens pratiquaient l'aphasie, la r$tention de
toute affirmation do%matique, mais aussi l'époch3, la suspension de tout 'u%ement, les uns
visaient l'atara*ie, l'absence de troubles, les autres l'adiaphorie ou l'apathie, l'indiff$rence A tout,
l'ensemble supposait la métriopathie, autrement dit & la maWtrise des affects"
Le scepticisme semble achever la philosophie dans un d$passement qui l'abolit" ,lle est
philosophie de l'affirmation de la n$%ation de la philosophie U et encore D en toute bonne lo%ique
pyrrhonienne, cette affirmation pose probl@me, $pist$molo%iquement parlant" +ier, c'est
affirmer J dire non A ceci suppose dire non A cela J ne pas choisir, c'est tout de m>me choisir U
demandeO A l'Tne de *uridan qui, ne parvenant pas A se d$cider entre l'eau et l'avoine disponibles
A volont$, est mort de faim et de soif D Avec cette incursion orientale de la pens$e dans la
philosophie occidentale, l'antidoctrine de 1yrrhon et des siens incendie m$taphoriquement les
biblioth@ques, abro%e le professeur, pulv$rise la chaire et l'estrade, d$truit toute possibilit$ de
%loses doctorales" 7este une obli%ation & vivre"
Meursault, un 1yrrhon al%$rien
Camus utilise le roman pour penser" +on pas comme on pense dans les institutions, mais
en dehors d'elles, librement, pleinement, v$ritablement, d'une mani@re authentique" )on h$ros
permet un portrait de l'innocence du de+enir telle que +ietOsche l'entend" Le roman n'est pas tenu
par les codes habituels de la discipline philosophique & m$thode hypoth$tico5d$ductive,
enchaWnements lo%iques, ar%umentation dialectique, respect du principe de non5contradiction,
usa%e respectueu8 de la raison raisonnable et raisonnante U le roman laisse place au8 ima%es, au8
situations, au8 descriptions, au8 fictions" Camus ne renonce pas d$finitivement au8 concepts pour
le percept, mais il a'oute une corde litt$raire A son arc philosophique U comme 2oces y ad'oi%nait
d$'A une corde po$tique"
Ce d$tour par 1yrrhon et les pyrrhoniens montre de quelle mani@re on peut comprendre le
sens du titre & L'.traner" On voit bien comment l'homme qui passe sans $motions, totalement
d$tach$, pr@s de son ami qui s'enfonce dans un mar$ca%e, peut5>tre dit étraner" M>me remarque
pour Meursault, cet homme sans pr$nom" Ftran%er au8 p$rip$ties du monde, $tran%er A
l'e8istence d'autrui, ses peines et ses 'oies, ses bonheurs et ses souffrances, $tran%er A soi5m>me,
indiff$rent que ceci advienne plutXt que cela, $tran%er au8 causes et au8 cons$quences de ses faits
et %estes, y compris dans le cas d'un crime sur une pla%e sous un soleil brutal, l'$tran%et$ n'est pas
ici inqui$tante, elle est la pointe la plus ac$r$e de la sa%esse occidentale nourrie par l'Orient"
Or rappelons5nous des te8tes que Camus consacre au %$nie m$diterran$en en %$n$ral et A
celui de l'Al%$rie et d'Al%er en particulier & une saine barbarie i%norant la mauvaise culture qui
s$pare de la nature, une adh$sion simple et franche au monde tel qu'il est, un %rand oui A la vie
sous toutes ses formes, l'i%norance des reli%ions, la vie sans mythes et sans consolations, la
connaissance charnelle de l'$ternit$, la pratique e8istentielle de la mer, du soleil et de la pla%e
comme autant d'e8ercices spirituels pa]ens, la connaissance du sublime avec le corps tout entier
transform$ en instrument de savoir, voilA la culture dionysienne, donc l'anticulture apollinienne,
dans laquelle Camus s'inscrit U et son h$ros avec lui"
Certes, Meursault i%nore 'usqu'au8 noms m>mes de 1yrrhon et de +ietOsche J il n'a 'amais
lu une pa%e de Par8del( &ien et mal ou de )e8tus ,mpiricus, sinon de #io%@ne Lakrte rapportant
les e8ploits de 1yrrhon J il est loin de savoir ce que si%nifient apathie, $poch@, adiaphorie,
aphasie J il se moquerait bien de savoir s'il est O$t$tique, sceptique, pyrrhonien, $phectique ou
apor$tique J il ne sait pas qu'il e8iste des %ymnosophistes indiens, des ma%es perses, des sa%es
tao]stes, des surhommes nietOsch$ens J il n'a 'amais entendu parler du suicide de Calanos ou de la
vision de l'Fternel 7etour de +ietOsche U $videmment & puisqu'il est du cXt$ de la M$diterran$e
oN la culture n'est pas affaire de mots, de concepts ou d'id$es, mais de sensations, d'$motions et
de perceptions" Meursault est un pyrrhonien i%norant 'usqu'au nom de 1yrrhon, un nietOsch$en
n'ayant 'amais lu une li%ne d'Ainsi parlait Jarathoustra" +on pas philosophe sans le savoir, mais
sa%e par vertu immanente"
1ortrait d'un pyrrhonien
Meursault n'a rien fait pour, mais il pratique l'apathie, l'aphasie, l'$poch@, l'adiaphorie &
indiff$rent A tout, se dispensant de donner son avis, suspendant son 'u%ement, son tra'et
romanesque illustre ces faVons d'>tre et de faire" 1r$cisons & la mort de sa m@re ne le bouleverse
pas J il la sait inscrite dans l'ordre des choses, d@s lors, il n'y a aucune raison de se r$volter ou de
s'offusquer du mouvement de la nature J il ne r$a%it pas quand le directeur de l'hospice oN sa m@re
est morte lui pr$sente une personne J pas plus A ce que lui dit le %ardien J il ne chan%e rien A ses
habitudes & devant le cercueil, il fume une ci%arette et boit un caf$ J il n'a pas envie de voir une
derni@re fois le visa%e de sa m@re alors qu'A deu8 reprises on lui propose d'ouvrir la bi@re J il ne
refuse pas l'amiti$ propos$e par )int@s, mais pourrait tout aussi bien s'en passer J sans $tats d'Tme,
il $crit pour ce dernier une lettre de menace A une ancienne maWtresse parce qu'il la lui demande J
il n'est pas contre la proposition de maria%e faite par Marie, mais pas plus pour que Va non plus J
A la m>me 'olie femme lui demandant s'il veut savoir ce qu'elle pense, il r$pond qu'il n'y avait pas
pens$ J avec le temps, il a renonc$ A ses pro'ets de 'eunesse, mais ce n'est pas %rave J son patron
lui propose de cr$er une a%ence A 1aris et de la tenir, il accueille cette offre avec un total
d$tachement J cet ami lui confie un rXle dans le cin$ma que ce raciste vindicatif se fait A propos
des Arabes, rXle fatal comme chacun sait, il veut bien J )int@s lui donne un revolver, il le prend J
l'arme dans les mains, il se dit qu'il peut aussi bien tirer que ne pas tirer J il tire J au cours du
proc@s, il a envie de dire A son avocat qu'il est un homme comme tout le monde, mais y renonce
par paresse J il rentre dans le pr$toire, mais se demande ce que les %ens font lA J il re%arde
l'assistance avec d$tachement et ima%ine que les 'ur$s qui tiennent son destin entre leurs mains
sont comme des %ens cXtoy$s sur une banquette dans un tramZay J le 'u%e tient un discours de
morale moralisatrice, il feint d'y souscrire pour >tre tranquille J il ne re%rette pas son %este, mais
confesse 'uste >tre un peu ennuy$ J il dit qu'il y a plus malheureu8 que lui J il pense qu'il aurait pu
passer toute son e8istence A vivre emprisonn$ dans un arbre creu8 A re%arder le ciel au5dessus de
sa t>te en attendant que chan%ent les nua%es ou passent les oiseau8 J dans la salle d'audience, A un
%endarme qui lui demande s'il a le trac, il r$pond non J il assiste A son proc@s comme s'il s'a%issait
de celui d'un autre J il confesse son int$r>t pour la situation puisqu'il n'a 'amais mis les pieds dans
un tribunal J on annonce sa mort, on lui demande s'il a quelque chose A a'outer, il n'ajoute rien"
Cet homme n'est pas pour autant une pierre sans conscience, un abruti, une chose" )'il ne
manifeste pas d'$motions, s'il ne 'u%e pas, si tout se vaut, s'il veut aussi bien une chose que son
contraire, s'il ne voit pas plus de bonne raison de faire une chose, de s'en abstenir ou de faire le
contraire, s'il semble incapable d'entrer v$ritablement en contact avec autrui, il connaWt tout de
m>me des moments de bonheur qui sont ceu8, nietOsch$ens, de l'adh$sion brute au monde"
Certes, il pense que toutes les vies se valent, mais il avoue ne pas d$tester la sienne"
Fils de 1lotin lui aussi, ou lecteur de 2oces D Meursault 'ouit du pur plaisir d'e8ister dans
la contemplation d'un beau paysa%e" Apr@s la premi@re nuit pass$e dans l'hospice, pr@s du
cercueil de sa m@re, le 'our lev$, le spectacle des collines, les cieu8 rou%eoyants, la course lente et
ma'estueuse du soleil dans le ciel, le vent porteur de l'iode venu de la mer, il ressent le plaisir
qu'il aurait A marcher dans la nature, si ce n'$tait ce cadavre %>nant pour r$aliser un pareil pro'et"
Le lendemain de l'enterrement, Meursault va A la pla%e, rencontre Marie, na%e avec elle,
'ouit de l'effleurer, de se bai%ner, de la re%arder, de poser sa t>te sur son ventre, il prend plaisir A
son rire, il aime le bleu et le dor$ du ciel dans ses yeu8" (l affectionne aussi la chaleur du soleil, sa
brSlure, le sable chaud et liquide sous les pieds, et puis il appr$cie aussi de faire la planche, le
re%ard noy$ dans l'aOur" Fpuis$ d'avoir tant na%$, il revient sur la pla%e, s'allon%e, met la t>te dans
le sable, aime cette sensation de faire corps avec les $l$ments" 1lus tard, dans sa chambre, il dit
son plaisir de sentir la nuit d'$t$ rentrer par la fen>tre et couler sur les deu8 corps allon%$s apr@s
l'amour"
Meursault aime la rumeur de la ville et ses bruits, il vibre au8 chan%ements de ciels,
m>me s'il les contemple de sa cellule" Le monde ne l'affecte pas plus qu'il ne faut" La mort de sa
m@re, son enterrement, ses aventures se8uelles, son retour au bureau, ses relations avec ses
voisins, son m$tier, les plaisirs de la pla%e, le meurtre de l'Arabe, son arrestation, son
interro%atoire, son emprisonnement, son proc@s, sa condamnation A mort, ceci ou le contraire de
ceci, c'est tout comme"
La col@re d'un apathique
La do8o%raphie rapporte que 1yrrhon, paran%on d'impassibilit$, avait deu8 fois d$ro%$"
L'homme qui passe devant son maWtre en%louti par le mar$ca%e sans s'arr>ter donne un 'our un
drXle de spectacle & les 'ambes A son cou, poursuivi par un chien, il se diri%e vers un arbre dans
lequel il %rimpe prestement pour $chapper au8 crocs du molosse" Gne autre fois, il se met en
col@re contre sa sBur" 1our 'ustifier la premi@re incartade, il e8plique que, philosophe, on n'en est
pas moins homme et que se d$pouiller totalement de son humanit$ n$cessite bien des efforts J
pour la seconde, il fait savoir que la mesure de son indiff$rence ne saurait s'effectuer A l'aune du
'u%ement d'une femme"
Meursault lui aussi a connu ce %enre de faiblesse humaine, trop humaine U en l'occurrence
une faiblesse""" nietOsch$enne" ,lle apparaWt A la fin du roman dans sa relation avec le pr>tre"
L'.traner ne contient aucune r$f$rence philosophique e8plicite" Aucun nom d'auteur, aucun titre
de livre, aucune citation relevant de la tradition philosophique occidentale" <uste un moment oN le
'u%e, qui s'affirme chr$tien, entreprend un pr>che inop$rant aupr@s de Meursault et prend con%$
de lui avec un 'ovial & ; C'est fini pour au'ourd'hui, Monsieur l'Ant$christ ? 6(" !/29 D #e fait, le
surhomme nietOsch$en semble une formule moderne du pyrrhonien antique disant oui A tout"
Meursault avoue clairement son ath$isme" Au 'u%e qui l'invite A se repentir, A confesser sa
faute, A reconnaWtre son p$ch$, A cet homme furieu8 qui brandit un crucifi8 en ar%ent comme un
inquisiteur m$di$val, tutoie son interlocuteur, r$cuse l'incroyance, professe que ne pas croire c'est
vivre une e8istence d$pourvue de sens, Meursault envisa%e de donner raison pour >tre tranquille
en acquiesVant" Mais il se ravise, et persiste dans la n$%ation, l'ath$isme et le refus du repentir"
,ffondrement du 'u%e sur son si@%e"
Le m>me Meursault persiste dans le rXle d'ant$christ dans la sc@ne finale du roman" (l
refuse de voir l'aumXnier" Mais l'homme d'F%lise passe outre et p$n@tre dans la cellule" #@s qu'il
entre, le condamn$ A mort tressaute & cet homme qui aime la mort est la mort U sa profession
t$moi%ne" Eient5il pour le supplice Q Gn dialo%ue s'ensuit entre le pr>tre et l'ath$e, #ieu et
+ietOsche" Le fonctionnaire de #ieu interro%e Meursault sur sa foi U il assure fermement n'en pas
avoir" (mpossible A entendre pour l'homme qui a construit sa vie sur cette l$%ende r$confortante
plutXt que sur une v$rit$ an%oissante & il entreprend d'$lar%ir sa propre faiblesse au monde entier
et veut que Meursault s'avoue ath$e par fanfaronnade alors qu'au fond de lui il sacrifierait A sa
fiction" Fnervement de Meursault" (l n'est pas an%oiss$, mais il a peur" L'an%oisse est une peur
sans ob'et J la peur, elle, tou'ours une peur de quelque chose" Le cur$ s'empare de cette $motion
pour placer sa marchandise reli%ieuse J Meursault refuse ce dont il ne ressent pas le besoin" 1eu
importe la condamnation A mort du tribunal puisque, de toute faVon, ontolo%iquement, nous
sommes tous appel$s A mourir, dit le pr>tre J certes, r$torque le mort en sursis, mais le temps qui
s$pare la sentence de son e8$cution n'est pas rien D Le vendeur d'arri@re5monde invite le futur
%uillotin$ A la repentance, il invoque la 'ustice de #ieu, il parle de p$ch$ J Meursault i%nore le
sens de ce mot, sa mort paiera le forfait immanent & que souhaiter de plus ou de mieu8 dans un
monde sans transcendance Q L'aumXnier invite le prisonnier A solliciter le mur de sa prison, il lui
indique que le visa%e de #ieu en sort tou'ours pour ceu8 qui sollicitent les pierres J Meursault a
bien questionn$ cette paroi, mais il n'y a 'amais vu que le visa%e de Marie, la na%euse caress$e U
les chr$tiens frott$s de freudisme pr$cisent que voir cette femme portant le nom de la m@re de
#ieu atteste du succ@s du pr>tre D L'homme A la soutane entreprend d'embrasser le meurtrier U qui
refuse & ; AimeO5vous donc cette terre A ce point Q ? 6(" 2!!9 laisse alors tomber le cur$" )ilence"
Le m>me demande A son vis5A5vis s'il n'a 'amais envi$ une autre vie" 7$ponse nietOsch$enne de
Meursault & oui ; une vie oN 'e pourrais me souvenir de celle5ci ? 6(" 2!!9"
<ustesse de ces questions du point de vue chr$tien, 'ustesse de la r$ponse nietOsch$enne &
le cur$ vend des arri@re5mondes, il d$pr$cie la vie, cette vie, le seul bien dont nous disposions
v$ritablement, il minimise l'ici5bas au nom d'un au5delA ma%nifi$, il relativise la mort qui serait la
vie quand l'amour de la vie serait la mort, il profite des bords de tombe pour offrir sa compassion
comme un sirop %luant U il fait son m$tier" Mais cette insistance met Meursault dans une v$ritable
col@re, A la mani@re dont le chien au8 trousses de 1yrrhon d$couvre l'homme sous le sa%e,
l'$tran%er retrouve sa patrie ontolo%ique nietOsch$enne"
Meursault $l@ve la voi8 contre l'aumXnier, il crie, insulte, lui interdit de prier pour lui, il
empoi%ne l'homme par le revers de la soutane, il le couvre d'in'ures, lui ass@ne la v$rit$ de sa
pitoyable e8istence & en vivant selon les principes de la reli%ion chr$tienne, il est d$'A mort de son
vivant alors que le presque %uillotin$, lui, sSr de sa vie parce que certain de sa mort, est un
authentique vivant" (l aurait pu vivre une autre vie, certes, celle5ci ou une autre, son contraire, et
alors Q ; 7ien, rien n'avait d'importance et 'e savais bien pourquoi ? 6(" 2!29" 1ourquoi,
'ustement Q 1arce que la mort fait de toute vie une absurdit$ devant laquelle tout s'effondre"
Le cur$ sorti, Meursault retrouve le calme U disons5le autrement & la reli%ion disparue, la
s$r$nit$ apparaWt" Alors Meursault connaWt un %enre d'e8tase plotinienne, une e8p$rience
nietOsch$enne & des odeurs de nuit et de terre venues de l'e8t$rieur, des parfums d'iode et de sel
mont$s de la mer, l'$t$ e8p$riment$ comme un oc$an qui en%loutit, le hurlement des sir@nes venu
du port, l'annonce pour des d$parts d$sormais trop tardifs, des $toiles r$parties sur le visa%e,
Meursault pense A sa m@re qui, sur la fin, avait retrouv$ un fianc$ pour tTcher de revivre une vie
perdue" #ans les derni@res li%nes de ce roman nietOsch$en, Meursault dit ceci & ; Eid$ d'espoir,
devant cette nuit char%$e de si%nes et d'$toiles, 'e m'ouvrais pour la premi@re fois A la tendre
indiff$rence du monde ? 6(" 2!:9" Ce bonheur ultime n$ de la certitude de co]ncider avec lui,
n'est5ce pas l'autre nom de ce que +ietOsche nomme l'innocence du de+enir Q
Gne saturation blanche
Comme Flaubert disait ; Madame *ovary, c'est moi ?, Camus pourrait affirmer
; Meursault, c'est moi ?" La ressemblance n'est pas co]ncidence de deu8 ima%es, mais
superposition de deu8 idiosyncrasies" Le trian%le 1yrrhon, Irenier, +ietOsche qui conclut le te8te
introductif du travail du professeur de philosophie de Camus sur )e8tus ,mpiricus d$limite un
territoire dans lequel combattent des forces propres A l'univers de l'ancien $l@ve" Sous le sine de
Pyrrhon & la v$rit$ des sa%esses antiques, le caract@re intempestif de la philosophie ancienne,
l'efficacit$ des e8ercices spirituels %r$co5romains, la perspective e8istentielle de toute pens$e, la
puissance du %$nie m$diterran$en, la sant$ barbare contre l'$puisement nihiliste des civilisations J
sous le sine de 4renier & le pass$ lointain de l'Orient infusant le pr$sent de l'Occident pour un
avenir r$%$n$r$, l'esprit vivifiant des sa%esses de l'(nde, la tentation du non5a%ir, le
questionnement sur le bon usa%e de la libert$, la pens$e v$cue contre la philosophie
conceptuelle J sous le sine de 2iet5sche & la radicalit$ immanente, doubl$e d'une critique de toute
transcendance, la volont$ de sortir de plus d'un lon% mill$naire de 'ud$o5christianisme, la force
absolue du d$terminisme de la volont$ de puissance, la perspective tra%ique d'un r$el vu sans
masques, le d$plia%e du monde par5delA le bien et le mal, la mort de #ieu, donc du sens,
l'ine8istence de la faute, du p$ch$, de la culpabilit$, du remords, l'invitation A connaWtre la
v$ritable nature du monde, sa force pa]enne, y souscrire avec passion et en obtenir une 'oie A
nulle autre pareille"
Ces combats se m@nent dans l'histoire des id$es, dans le %rand univers des confla%rations
entre les syst@mes philosophiques, dans le silence des biblioth@ques oN les livres r$pondent au8
livres J mais aussi dans la vie absurde d'un homme banal auquel Camus donne vie et forme dans
cette confession d'un %enre au%ustinien & L'.traner se pr$sente en effet comme une
autobio%raphie r$di%$e A la premi@re personne, dans un style blanc, neutre, faible, qui co]ncide
absolument avec le personna%e" Gne narration avec des verbes modestes, des mots simples, des
phrases A la synta8e sommaire, un enchaWnement de r$cits aust@res, une structure minimale, un
effet de saturation solaire oN tout est blanc U tel le crime commis lui aussi, nous dit Meursault, (
cause du soleil"
Comme Camus, Meursault sait sa mort prochaine J les deu8 hommes sont condamn$s A
mort" #'oN l'int$r>t autobio%raphique et philosophique pour l'auteur de L'.traner de cr$er et
d'animer cette fiction puis de la questionner pour obtenir des r$ponses r$elles" Puestion &
comment vivre puisqu'il faut mourir Q 7$ponse & en voulant ce qui nous veut" Y cette p$riode
al%$rienne de son e8istence, Camus demande A la M$diterran$e une r$solution de son probl@me
e8istentiel" Pu'est5ce qui sauve de la mort Q Gn %rand ; oui ? A la vie" 1uisqu'il doit mourir sur
l'$chafaud, Meursault souhaite qu'au moins il soit accueilli avec une immense foule abWm$e par la
haine" Car dire ; oui ? au monde, c'est dire ; oui ? A tout du monde"
)isyphe et Meursault
Meursault constitue l'avers d'une m$daille dont )isyphe est le revers" Camus $crit dans Le
"ythe de Sisyphe & ; Le syst@me, lorsqu'il est valable, ne se s$pare pas de son auteur ? 6(" 2//9"
#e fait, cet ouvra%e, comme tous les autres, propose une nouvelle confession autobio%raphique"
Ce que dit le roman, le livre de philosophie l'e8prime autrement U deu8 voies d'acc@s formelles
pour un m>me fond A e8plorer" La question demeure & quid du bon usa%e de la vie puisque l'on
meurt Q Puel sens peut bien sur%ir au milieu d'un cimeti@re Q Pue faire de son e8istence quand le
n$ant d$vore d$'A les poumons Q
#ans Le "ythe de Sisyphe, Camus prend soin de se d$marquer de la philosophie des
professionnels, des institutionnels, des professeurs, des universitaires" 1$ch$ mortel & les
professionnels, les institutionnels, les professeurs, les universitaires lui font payer cet affront et
colportent ce lieu commun que Camus ne fut pas philosophe parce qu'il n'abordait pas la
discipline avec leurs tics et leurs travers" ,n fi%ure embl$matique de cette philosophie des
professeurs, )artre a fourni le th@me J les variations ne se comptent plus dans l'abondante
biblio%raphie des %loses"
Le refus de la philosophie des professeurs n'est pas refus de la philosophie, mais le refus
des professeurs" Le "ythe de Sisyphe n'est pas un livre de philosophie pour les philosophes, mais
un ouvra%e pour tous ceu8 que la philosophie int$resse en dehors des institutions qui la
confisquent" Y la faVon des philosophes antiques qui ne parlaient pas A des philosophes de
profession, A des professeurs, mais A des %ens du commun crois$s sur l'a%ora 6marchand de
poisson, menuisier, foulon, tisserand, potier9, Camus $crit sans souci des a%r$%atifs ou des
a%r$%$s, des doctorants ou des docteurs, des professeurs ou des universitaires, il parle au peuple"
Certes, Le "ythe de Sisyphe ne s'inscrit pas dans le silla%e de la Critique de la raison
pure, de la Science de la loique ou de Etre et temps U ou de L'Etre et le 2éant J mais il prend
place dans un autre li%na%e constitu$ par les 1ssais de Montai%ne, les Pensées de 1ascal, Ainsi
parlait Jarathoustra de +ietOsche, Le Concept de l'anoisse de RierKe%aard ou =alden de
Choreau, des livres e8istentiels" +e pas >tre un philosophe pour philosophes n'interdit pas d'>tre
philosophe U bien au contraire"
#@s lors, dans un univers oN la philosophie se trouve confisqu$e par les professeurs, on
peut clamer n'>tre pas philosophe" Montai%ne en fit l'aveu dans ses 1ssais, non pas qu'il ne fSt
philosophe, mais, dans la con'oncture scolastique, il ne souhaitait pas >tre assimil$ A cette
philosophie dominante" M>me chose avec Camus qui affirme & ; <e ne suis pas un philosophe" <e
ne crois pas asseO A la raison pour croire A un syst@me" Ce qui m'int$resse c'est de savoir
comment il faut se conduire" ,t plus pr$cis$ment comment on peut se conduire quand on ne croit
ni en #ieu ni en la raison ? 6((" 03-9" Ou ailleurs & ; <e ne suis pas un philosophe, en effet, et 'e ne
sais parler que de ce que ''ai v$cu ? 6(((" 4!!9" #ans le li%na%e de la reli%ion rationnelle, de
l'$difice syst$matique, de la doctrine do%matique, dominant dans l'histoire officielle de la pens$e,
Camus n'est peut5>tre pas philosophe J mais dans le li%na%e de l'interro%ation e8istentielle, de la
v$rit$ idiosyncrasique, de la pens$e praticable, de la sot$riolo%ie d$mocratis$e, il brille comme
l'un des plus %rands dans son si@cle"
(l e8iste une $pist$molo%ie de Camus & comme elle est minoritaire, la corporation pr$f@re
affirmer son ine8istence" Camus fait partie des philosophes empiristes, sensualistes, utilitaristes
pour lesquels une r$elle connaissance th$orique du monde s'av@re impossible" )euls les id$alistes
pensent le contraire parce qu'ils subsument la diversit$ du monde sous le re%istre unique de
l'id$e & quand ils r$duisent les efflorescences et la vitalit$ du r$el A des manifestations fortuites de
concepts plus vrais que les $piphanies, ils pensent avoir r$solu le probl@me" Camus sait qu'on ne
connaWt pas le monde, mais qu'on l'e8p$rimente"
L'auteur du "ythe de Sisyphe reste fid@le A celui de 2oces & la raison, les id$es, les
concepts valent moins que l'$motion, la sensation, la perception" L$r$sie ma'eure dans la
corporation philosophante qui s'$vertue A ensei%ner le contraire & les sens sont trompeurs,
pr$f$rons5leur la d$duction, l'analyse J les passions $%arent, tournons5leur le dos au profit de la
raison J le corps emp>che l'acc@s au8 v$rit$s conceptuelles, r$cusons les informations fournies par
ses soins J la po$sie du monde compte moins que le discours tenu sur le monde" On comprend
que le philosophe Albert Camus n'ait pas obtenu l'imprimatur officiel" Eivre le monde pour le
penser mieu8 est mieu8 que le penser pour ne pas le vivre"
Eivre en pourrissant chaque 'our
Puand, dans Le "ythe de Sisyphe, Camus entretient de l'absurde, de la mort, du suicide,
de la valeur de la vie, de l'an%oisse, du d$sespoir, il ne disserte pas sur des id$es, des concepts,
des fictions, il ne %lose pas sur des auteurs ayant commis des livres sur ces su'ets & il pense le
sentiment absurde qu'il a de sa propre e8istence de malade J il pense sa mort annonc$e dans de
brefs d$lais pour cause de tuberculose J il pense A la possibilit$ de la mort volontaire pour se
r$approprier une vie qui, si tXt, ne lui appartient d$'A plus J il pense A ce qu'il peut ou doit faire
d'une histoire annonc$e comme presque d$'A finie J il pense A ces heures silencieuses et terribles
au cours desquelles le malade se retrouve face A lui5m>me, rava%$ par des souffrances morales J il
pense au d$coura%ement qui prend la forme de su$es intempestives, d'arythmies cardiaques,
d'insomnies U il pense concr3tement sa mort concr3te?
La lecture des Carnets prouve, si besoin est, que ses interro%ations ne sont pas
e8istentialistes mais e8istentielles & les notes abondent sur la maladie, la souffrance, la solitude, le
d$sespoir, la fati%ue, la tristesse, l'envie de suicide" Ainsi, cette note terrible de 'anvier !-42 &
; Cais5toi poumon D Ior%e5toi de cet air bl>me et %lac$ qui fait ta nourriture" Fais silence" Pue 'e
ne sois plus forc$ d'$couter ton lent pourrissement U et que 'e me tourne enfin vers""" ? 6((" -0.9 U
la fin de la phrase manque comme manque la fin d'une vie A une e8istence A peine commenc$e et
arr>t$e dans son vol" Le mois suivant, il subit une rechute suffisamment %rave pour qu'il ait cru
mourir ce 'our5lA" Y di85sept ans, le poumon droit avait $t$ atteint J cette fois5ci, c'est le poumon
%auche" Camus se croyait pourtant %u$ri, mais cette crise s'accompa%ne d'une pouss$e $volutive"
Le m$decin prescrit une tr@s lon%ue p$riode de repos, un nouveau pneumothora8 et des
insufflations pour le restant de son e8istence" 1uis il interdit pour tou'ours la natation" 1endant
trois semaines, il reste au lit avec interdiction de se lever" (l prend alors connaissance des
critiques de L'.traner et constate qu'on ne l'a pas compris"
Eouloir la vie absurde
Le "ythe de Sisyphe s'ouvre sous les auspices de l'id$e de +ietOsche qu'un philosophe
m$rite l'estime quand il pr>che l'e8emple" On ne peut mieu8 placer un livre sous le si%ne
e8istentiel" Camus livre la cl$ de la relation entre son roman et son livre de philosophie & ; #ans
un univers soudain priv$ d'illusions et de lumi@res, l'homme se sent $tran%er ? 6(" 22:9" (l inscrit
sa r$fle8ion dans le cadre du nihilisme europ$en si bien d$crit par +ietOsche" La mort de #ieu
s'accompa%ne de la fin des valeurs qui d$coulaient de l'e8istence de la divinit$" 1lus de #ieu, plus
de valeurs, plus de morale, plus d'$thique & que faire Q Cout est absurde, d$pourvu de sens"
L'absurdit$ ne r$side pas dans le monde, mais dans un certain type de rapport A lui" (l ne
saurait constituer une cat$%orie m$taphysique A ma'uscule comme l'Absolu, l'(nfini, l'Fternit$, le
+$ant" (l sur%it d'une comparaison entre deu8 v$rit$s incompatibles" )eule la confrontation le fait
sur%ir" Camus donne l'e8emple d'un homme uniquement arm$ d'un couteau qui se 'ette A l'assaut
d'un %roupe de soldats derri@re une mitrailleuse & situation absurde, %este absurde, d$marche
absurde" Absurde $%alement la mise en perspective de la vie et de la mort & il y a la vie, mais, d@s
son d$but, elle va vers son an$antissement" +ous naissons pour mourir, nous venons au monde
pour le quitter, nous sommes pour ne plus >tre"
#@s lors, que vaut la vie Q #oit5on la vivre Q ,t si oui, pour quelles raisons Q Le suicide
n'est5il pas la r$ponse au nihilisme Q La mort volontaire permet5elle de donner un sens A une vie
que la mort prendra de toute faVon au 'our et A l'heure de son choi8 Q EoilA les v$ritables
questions" Coutes les autres comptent pour rien" 1ersonne ne meurt pour une id$e alors que
beaucoup en finissent avec l'e8istence pour n'avoir pas trouv$ de raisons de vivre" )i l'on croit le
monde absurde, pourquoi n'en pas finir avec lui Q )i l'on n'en finit pas avec lui, a5t5on le droit de
le dire absurde Q
Le suicide est tout aussi absurde que l'absurde qu'il pr$tend nier" Avec ce %este port$
contre soi, on croit en finir avec l'absurdit$ de la vie, alors que, parado8alement, on l'affirme, on
en %randit la force et la puissance" La vie est absurde, en finir avec la vie est absurde" Pue reste5t5
il alors Q Eivre" Eouloir cette vie absurde et par cette volont$, ce %rand ; oui ? A la vie d$passer
l'absurdit$" La solution paraWt simple & il faut connaWtre et vouloir ; la plus pure des 'oies, qui est
de sentir et de se sentir sur terre ? 6(" 2029 U solution nietOsch$enne, $videmment"
Camus e8amine les vies possibles & vie de s$ducteur et de libertin comme #on <uan J vie
de com$dien brSlant les planches pour obtenir une %loire absurde J vie de voya%eur qui accumule
les e8p$riences d$pourvues de sens dans les pays collectionn$s J vie de conqu$rant a'outant des
peuples A son ,mpire" Mais chaque fois ces e8istences composent avec des fictions & accumuler
des femmes, des succ@s, des voya%es, des pays, A quoi bon Q Au lieu de d$passer l'absurde on
au%mente plutXt son incandescence"
Le fil du "ythe de Sisyphe est celui du labyrinthe autobio%raphique & cet ouvra%e semble
proc$der des m>mes intentions que celles du saint Au%ustin des Con9essions & Camus r$fl$chit
pour lui5m>me, pense son su'et, va et vient, dit une chose, ne conclut pas, en dit une autre et
semble conclure alors qu'il passe A une autre question, ce qui donne l'impression de suspens,
d'interro%ations non r$solues" Gne fois, il semble dire que l'homme absurde dit ; oui ?, mais une
autre il conclut que la solution consiste A dire ; oui ?, mais cette apparente contradiction se r$sout
dans la conclusion que nous ne sortons pas de l'absurde, quoi que nous fassions" Les apparentes
faiblesses philosophiques point$es par les habituels correcteurs de copie se basent sur le sch$ma
classique de l'e8position convenue du discours philosophique" )i l'on comprend Le "ythe de
Sisyphe comme une introspection sub'ective assimilable A celle des Con9essions d'Au%ustin, on
comprend pourquoi et comment l'entrelacs t$moi%ne du mouvement de la pens$e camusienne sur
ce su'et"
Au%ustin m$lan%e l'autobio%raphie factuelle et celle de son Tme avec le pro'et
apolo%$tique de t$moi%ner pour un tra'et qui le conduit d'une vie dissolue A une vie chr$tienne"
C'est un te8te de maturit$" Le "ythe de Sisyphe $carte l'autobio%raphie factuelle, mais propose
l'autobio%raphie d'une Tme en qu>te" ,lle est une Buvre philosophique d'e8tr>me 'eunesse &
Camus commence ce livre d$but octobre !-:- et le termine le 2! f$vrier !-4!, soit entre vin%t5si8
et vin%t5huit ans" C'est donc l'autobio%raphie ontolo%ique d'un 'eune homme tuberculeu8, une
recherche plus sSre de ses m$andres que de ses certitudes"
La sa%esse de )isyphe
Comme dans L'.traner, ce livre est $%alement construit comme une nouvelle & son sens
apparaWt A la toute fin du volume, dans quatre pa%es portant le titre de l'ouvra%e" Apr@s avoir
pouss$ son rocher tout le lon% de la r$fle8ion, et constat$ qu'il ne cessait de redescendre dans la
vall$e, Camus donne la solution de l'$ni%me dans l'ultime et c$l@bre phrase du livre & ; il faut
ima%iner )isyphe heureu8 ? 6(" :49" Certes Q Mais qu'est5ce que le bonheur de )isyphe Q
#'abord, qui est )isyphe Q Gn %enre d'autoportrait" Lisons & ; )isyphe est le h$ros absurde"
(l l'est autant par ses passions que par son tourment" )on m$pris des dieu8, sa haine de la mort et
sa passion pour la vie, lui ont valu ce supplice indicible oN tout l'>tre s'emploie A ne rien
achever ? 6(" :29" ,nsuite il incarne une fi%ure nietOsch$enne de l'$ternel retour du m>me & il
pousse sa pierre en haut de la colline, elle redescend, il la %rimpe A nouveau, elle tombe encore, il
recommence, elle chute une fois de plus, et ce pour l'$ternit$" La question est donc & que faire
apr@s avoir compris que les choses se r$p@tent ind$finiment, que la v$rit$ du monde c'est l'$ternel
retour Q
Y cette question nietOsch$enne, le 'eune philosophe de vin%t5huit ans apporte une r$ponse
nietOsch$enne & vouloir le vouloir qui nous veut" Comme Meursault, )isyphe ; 'u%e que tout est
bien ? 6(" :49, et de ce 'u%ement 'aillit le sens & la 'oie et le bonheur d'>tre au monde" La leVon
nietOsch$enne de 2oces continue, Camus n'a pas encore effectu$ un pas en dehors de la pens$e de
+ietOsche, il ne distin%ue pas dans le monde ce A quoi on peut dire ; oui ? et ce A quoi on pourrait
dire ; non ?, pour l'instant, sous le soleil africain, il dit un %rand ; oui ? A tout"
Concluons en rapprochant deu8 citations & celle5ci, e8traite du "ythe de Sisyphe & ; On ne
d$couvre pas l'absurde sans >tre tent$ d'$crire quelque manuel du bonheur ? 6(" ::9, et celle5lA
pr$lev$e dans un Carnet dat$ de aoSt5septembre !-:. & Camus visite le cloWtre des morts A la
)antissima AnnunOiata de Florence, il d$ambule sous un ciel %ris, parmi les dalles fun$raires, et
lit les mots laiss$s par les morts %rav$s sur la pierre des e85voto, il rapporte l'esp$rance foudroy$e
de parents d'une 'eune fille emport$e trop tXt, le clich$ du bon $pou8 bon p@re, l'$tala%e des
vertus dans toutes les lan%ues"
1uis il note & ; )i ''avais A $crire ici un livre de morale, il aurait cent pa%es et quatre5vin%t5
di85neuf seraient blanches" )ur la derni@re, ''$crirais & h<e ne connais qu'un seul devoir et c'est
celui d'aimeri" ,t pour le reste, 'e dis non" <e dis non de toutes mes forces ? 6((" /:9" Eoici le
pro%ramme du reste de sa br@ve e8istence U un pro%ramme tou'ours nietOsch$en si l'on se
souvient du +ietOsche $crivant dans Le Crépuscule des idoles & ; Formule de mon bonheur & un
houii, un hnoni, une li%ne droite, un &ut" ? Ce qui donnera & ; oui ? A la vie et ; non ? A la mort,
un pro%ramme $thique et politique %i%antesque"
Fin du royaume
1our l'heure, Camus se met en qu>te d'une %$o%raphie plus propice A sa sant$" L'Al%$rie
est trop humide" Avec un certificat m$dical, Camus et sa nouvelle compa%ne oranaise 6il a
rencontr$ Francine Faure en !-:., elle devient sa femme en !-49 demandent A se rendre en
France dans une r$%ion monta%neuse oN l'on soi%ne la tuberculose par l'air et le climat" (l
transpire abondamment et, presque tout le temps, il est essouffl$, il a des difficult$s pour parler"
,n attendant de pouvoir franchir la M$diterran$e, il lit, r$fl$chit, prend des notes, remplit ses
carnets" 1armi ses lectures, un livre de *erni intitul$ .loe de la peste"
Y cause de sa sant$, celui qui se disait africain et non europ$en quitte le royaume
méditerranéen pour un e*il européen" (l laisse derri@re lui la brSlure du soleil, la volupt$ de la
mer, les tapis de sable, la 'oie des pla%es, le bonheur de la natation, le quartier de *elcourt, les
parfums et les bruits d'Al%er, la saine barbarie dionysienne de l'Al%$rie, les souvenirs de son
enfance, sa m@re mutique, ses camarades complices, sa famille, la bont$ de Monsieur Iermain,
les peau8 bronO$es, l'insolence du corps des femmes, l'innocence du devenir, les e8tases de
1lotin, pour le contraire de tout cela U une ,urope froide, menaVante, nihiliste, %rise, sombre,
tra%ique, pleine des bruits et des fureurs du MM
e
si@cle, avec ses %uerres, ses totalitarismes, ses
fascismes rou%es et bruns, ses barbel$s, ses camps de concentration et ses intellectuels fascin$s
par la violence, abrutis par le ressentiment, passionn$s par les crimes de masse qu'ils 'ustifient les
livres de Le%el en main" Le royaume m$diterran$en avait un nom & %ipasa J l'e8il europ$en aura
le sien & Paris"

#eu*i3me partie
L'e8il europ$en
Pu'est5ce qu'une vie libertaire Q
; La France et l',urope ont au'ourd'hui A cr$er une nouvelle civilisation ou A p$rir" ?
Camus, Actuelles 6 6((" 4229"


!
Gne ontolo%ie politique libertaire
Pu'est5ce qu'une anthropolo%ie anarchiste Q
; Chacun la porte en soi, la peste" ?
Camus, La Peste 6((" 2-9"

#$rouler le fil des 1arques
Le franchissement %$o%raphique de la M$diterran$e s'accompa%ne cheO Camus d'un
infl$chissement ontolo%ique & Cipasa accompa%nait un %rand ; oui ? int$%ral A la vie et au
monde J 1aris ne le permet plus" L'Al%$rie des lentisques et des lumi@res noires de tant de clart$
laisse place A la France des villes %rises et des brumes to8iques, de la pluie serr$e et des fum$es
d'usine" La pauvret$ avec le soleil n'est pas la mis@re J sans la lumi@re m$diterran$enne, la m>me
pauvret$ d$finit l'enfer sur terre" Comment dire oui A cette punition qu'est l',urope Q
L',urope de ces ann$es5lA se couvre de parades militaires, de d$fil$s de soldats, le ciel se
constelle de bombardiers qui s@ment la mort, les peuples ob$issent A des dictateurs, quantit$ de
Cali%ula r@%nent sur les trXnes de nations 'adis civilis$es" Puel nietOsch$en sinc@re ne reverrait
pas avec un autre Bil son %rand consentement au monde Q Cipasa $tait une patrie id$ale pour un
disciple de +ietOsche J en ,urope, le philosophe du 4ai Sa+oir m$rite qu'on le consid@re
autrement, d'autant que les hordes barbares nationales5socialistes se r$clament de son
[arathoustra"
#e *elcourt, le quartier pauvre d'Al%er, A )aint5Iermain5des51r$s, la Oone mondaine du
1aris intellectuel, il y a la m>me distance que du paradis A l'enfer" Le fils de parents pauvres, le
'eune homme tuberculeu8, sans travail, sans diplXme, sans recommandation, l'Al%$rien sans
famille, le paria refus$ par l'Fducation nationale et le minist@re des Arm$es, le trop malin%re pour
>tre professeur ou soldat, le %arVon sans tribu, sans appuis mondains et sans protection du milieu
litt$raire, arrive dans une 'un%le au8 mBurs plus sauva%es que celles des peuplades les plus
primitives"
Camus a pour tout ba%a%e une passion folle pour la 'ustice et la libert$, la vertu et le sens
de l'honneur, la %randeur et la fid$lit$ U autant de qualit$s fusti%$es avec cynisme par ce petit
monde 'ouissant de l'$ternel retour des prosp$rit$s du vice et des malheurs de la vertu"
Pu'importe & il va vers d'immenses d$senchantements, mais aucun d'entre eu8 ne le transformera
en ren$%at" ,n franchissant la M$diterran$e, Camus persiste dans la voie indiqu$e par Monsieur
Iermain, son instituteur" Mais aussi par son p@re qui lui avait fait savoir post mortem ce que
si%nifiait /tre un homme U autrement dit & le contraire d'un barbare" )ouvenons5nous & pour
Lucien Camus, ouvrier a%ricole, un homme, 0a s'emp/che" Le fils n'eut plus qu'A d$rouler le fil
des 1arques" ,lles le conduiront de Cipasa A )tocKholm"
1aris la ITteuse
Albert Camus quitte l'Al%$rie et arrive A 1aris le samedi !0 mars !-4" (l pose ses valises
dans la petite chambre d'un hXtel de la butte Montmartre oN lo%ent des souteneurs et des filles de
'oie, des artistes boh@mes sans Buvres, des quidams" #ans son esprit, il ne s'a%it pas d'une
installation d$finitive" (l envisa%e d'y passer 'uste une ann$e pour travailler U il n'est pas mS par
un tropisme arriviste" 7asti%nac n'est pas son h$ros" Y 1aris, on ne vit pas J on travaille dans un
$tat de sure8citation domma%eable" Puand on a connu le rythme d'Al%er, le temps lent des
M$diterran$ens, le culte de l'instant pr$sent, la reli%ion du pur plaisir d'e8ister, la pr$cipitation
parisienne et l'$nervement urbain ne peuvent convenir D L'habitu$ des transpirations solaires et de
la ti$deur des bains de mer d$couvre les blocs de %lace qui flottent sur la )eine, le %relottement
dans les chambr$es polaires, les 'ourn$es sans lumi@re" La 'eune fille qu'il aime, Francine, vit de
l'autre cXt$ de la M$diterran$e" Le froid est %$n$ralis$"
(l quitte l'hXtel 1errier pour l'hXtel Madison & finie la vie A l'ombre de la basilique
Montmartre, il s'installe sous la protection de l'F%lise )aint5Iermain, avec le Flore et les #eu8
Ma%ots en prime" )on travail consiste A pr$parer la copie comme secr$taire de r$daction A Paris8
Soir" Cravail de mise en pa%e" Camus n'$crit pas dans ce rapport" Y Al%er, le 'eune homme avait
lu dans ce m>me 'ournal le reporta%e consacr$ A l'e8$cution capitale d',u%@ne 2eidmann en
'uin !-:-" La coupure de presse fi%ure dans l'un de ses dossiers"
Camus n'aime pas ce 'ournal qui fait dans le sensationnel, 'oue de la corde sensible, flatte
ses lecteurs" 1olitiquement, le quotidien $pouse les fluctuations et se trouve tou'ours dans le sens
du vent" 1roche du Front populaire un temps, munichois ensuite, plus tard mar$chaliste" Le
%$n$ral de Iaulle ne lui laissera pas le loisir de devenir %aulliste, il en interdira la publication A la
Lib$ration" 1our l'instant, il doit ce travail alimentaire A 1ascal 1ia, un personna%e fantasque,
anarchiste, bourr$ de talent, faussaire litt$raire de %$nie, dou$ d'une immense culture, n@%re
brillant" (l fut directeur d'Aler répu&licain dans lequel il embaucha Camus en !-:/"
,n !-4, +ia 1ascal 1ia qui les pr$sente, Camus rencontre Malrau8, son h$ros" (l d$'eune
avec cet homme auquel il souhaitait consacrer une mono%raphie" (l assiste A une pro'ection priv$e
de L'1spoir" #ouOe ann$es s$parent les deu8 hommes" #ans les colonnes d'Aler répu&licain, le
'eune Albert Camus avait fait de La Condition humaine le prototype du roman en%a%$" 1lus tard,
l'ancien pr$sentera les manuscrits de Camus A Iaston Iallimard U on connaWt la suite"
La tuberculose ne le lTche pas" (l connaWt les affres de la fi@vre et des mi%raines tr@s
r$%uli@rement" )on corps le d$%oSte" )es Carnets rapportent ses souffrances" On y lit sa tristesse,
sa m$lancolie, ses doutes" (l mai%rit" (l sort peu, refuse des invitations, vit dans sa chambre,
travaille, $crit, mais n'est pas content de lui" (l attend Francine, va se marier avec elle J mais elle
ne lui $crit pas J une autre femme entre alors dans sa vie" 1uis il d$couvre la superficialit$ de la
vie litt$raire parisienne" #ans une lettre A (r@ne #'ian dat$e du - avril !-4, il parle ; de fau8
artistes, de faiseurs et de penseurs A la noi8 ?" (l n'aime pas 1aris J Al%er lui manque"
La mort de la 7$publique
L',urope s'enflamme" #ans 1aris, les sir@nes retentissent, les alertes se suivent, les avions
passent dans le ciel, les batteries anti5a$riennes tirent, les %ens crient" Gne seconde fois, il cherche
A s'en%a%er et souhaite re'oindre les corps francs du front de l',st afin de partir se battre en )yrie"
Le %ouvernement demande des volontaires pour conduire des ambulances sur le front et pr$cise
qu'ils devront subvenir A leurs besoins" Camus offre ses services mais souhaite >tre consid$r$
comme un soldat de deu8i@me classe afin d'>tre d$%a%$ des soucis mat$riels" (l croit que, soldat
sur le front, il pourra continuer A $crire" (l trouve la %uerre absurde mais trouverait plus absurde
encore de s'en tenir A l'$cart"
Le !4 'uin !-4, les troupes de l'arm$e hitl$rienne d$filent dans les rues de 1aris et
descendent les Champs5Flys$es" Ce 'our5lA, le fils d'Al%er se sent vraiment franVais" L',8ode
conduit des millions de %ens sur les routes" Les avions allemands piquent sur les colonnes de
civils d$sarm$s et tirent sur les enfants, les vieillards et les femmes qui fuient la capitale pour
descendre vers le sud" Paris8Soir quitte la capitale pour Clermont5Ferrand" Camus descend en
voiture, il accompa%ne le flu8" #i8 'ours plus tard, un ordre de repli lui fait reprendre son
v$hicule pour *ordeau8"
Le mar$chal 1hilippe 1$tain devient pr$sident du Conseil dans la nuit du !0 au !. 'uin J le
lendemain, A Londres, le %$n$ral de Iaulle lance son fameu8 Appel" Gne lettre A evonne
#ucailar dat$e du / 'uillet !-4 nous apprend que Camus a roul$ trois 'ours pour re'oindre
*ordeau8 et envisa%e de trouver un bateau afin de quitter la France pour se battre pour elle
ailleurs" (l arrive trop tard pour embarquer" Le ! 'uillet, 1$tain est nomm$ chef de l'Ftat
franVais & l'Assembl$e nationale lui vote les pleins pouvoirs, la 7$publique est abolie" Paris8Soir
devient mar$chaliste" Le 'ournal se replie A Clermont J Camus se replie A Clermont" ,n
septembre, Paris8Soir se d$place A Lyon J Camus se d$place A Lyon" Fin novembre, Francine le
re'oint, le : d$cembre il l'$pouse, avec 1ascal 1ia pour t$moin"
Camus d$plore la politique antis$mite de Eichy, il critique les lois mar$chalistes et ne
souscrit pas au pro'et de statut de la presse foment$ par le nouveau pouvoir, il souhaite quitter le
'ournal dans lequel il n'$crit pas, rappelons5le, mais dont il fait la maquette" (l n'a qu'une seule
envie & rentrer en Al%$rie" Le 'ournal comprime le personnel, il se trouve licenci$" Camus
retourne A Oran" La premi@re li%ne de La Peste nous apprend que l'$pid$mie commence A Oran
en ; !-4" ? 6((" :39"
#ans cette ville al%$rienne qu'il n'aime pas, Camus donne des cours A des enfants 'uifs
interdits de scolarit$ par les lois de Eichy" ,n !-4!, <acques #errida entre en si8i@me au lyc$e de
*en AKnoun pr@s d',l5*iar, son p@re fr$quente la m>me lo%e maVonnique que l'oncle de Camus"
L'ann$e suivante, le 'our de la rentr$e scolaire, le petit 'uif #errida est e8puls$ de l'$cole & il
raconte l'$v$nement dans La Carte postale" Les Allemands ne viendront 'amais en Al%$rie, mais
les lois de Eichy y sont appliqu$es avec O@le" Apr@s avoir souhait$ s'en%a%er A deu8 reprises dans
l'arm$e franVaise en !-:- et !-4, Albert Camus effectue ce premier acte de r$sistance concr@te
d@s 'anvier !-4! & ensei%ner A des enfants 'uifs priv$s d'$cole par Eichy"
7echute de tuberculose en f$vrier !-42" 7etour en France au 1anelier, pr@s de Chambon5
sur5Li%non, dans la campa%ne, pr@s de )aint5Ftienne" (l re'oint ce lieu pour des raisons
m$dicales & A mille m@tres d'altitude, le climat vaut mieu8 pour ses poumons que la brSlure et
l'humidit$ al%$riennes" )a femme int@%re son poste d'institutrice en Al%$rie pour la rentr$e des
classes d'octobre" Camus se retrouve seul dans une vaste ferme fortifi$e faisant pension de
famille dans un villa%e de quatre maisons" Au8 antipodes de Cipasa plac$e sous le si%ne du feu, il
d$couvre, sous le double si%ne de la terre et de l'eau, les pr$s, les sapins, les bois, les sources, les
parfums de l'herbe verte, la mousse, le tr@fle, les clairi@res, les myrtilles U il marche dans la
campa%ne" Gne modalit$ non m$diterran$enne de #ionysos D
L'affaire RafKa
Camus publie Le "ythe de Sisyphe en octobre !-42" Iaston Iallimard, qui ne veut pas de
probl@mes avec la censure allemande et souhaite continuer A publier des livres sous l'Occupation,
propose de supprimer le chapitre consacr$ A RafKa, $crivain 'uif" Le 'eune philosophe y consent"
Ce te8te sur l'auteur du Proc3s paraWtra de faVon s$par$e dans une revue dite ; de contrebande ?,
L'Ar&al3te, durant l'$t$ !-4: A Lyon, avant d'>tre r$int$%r$ dans Le "ythe de Sisyphe en !-43"
Fallait5il consentir A retrancher ce te8te Q Puel $tait le risque de soumettre le manuscrit
au8 autorit$s allemandes avec ce chapitre5lA Q Gne interdiction de paraWtre Q ,lle aurait pu, alors,
>tre contourn$e par un retrait effectu$ sous la contrainte, une solution plus honorable que le d$sir
de ne pas heurter la censure en devanVant son souhait" Cette autocensure pour ne pas d$plaire au8
Allemands ne constitue pas un %rand moment $ditorial cheO les Iallimard"
,t cheO Camus Q Gne lettre A <ean Irenier t$moi%ne de l'$tat d'esprit du philosophe" Le
. mars !-42, Camus vit A Oran et subit une rechute de tuberculose, alit$, interdit de lecture" La
r$cidive, foudroyante, peut lui >tre fatale U il le sait" Y cette $poque, Camus est donc moins un
philosophe opportuniste soucieu8 de faire paraWtre son Buvre dans une France occup$e qu'un
'eune homme de vin%t5huit ans qui se demande s'il va survivre A cette deu8i@me attaque" )ur ce
su'et, il confie donc A son professeur de philosophie & ; L'.traner, m'a $crit Iallimard, doit
paraWtre ce mois5ci ou le prochain" (l acceptait aussi de publier mon essai, mais il y a un chapitre
_sur RafKa` qui ne peut passer" Malheureusement, 'e ne suis pas en $tat de m'occuper de mes
affaires" Les choses en restent lA" <'aurais mauvaise %rTce A m'en plaindre" <'ai $t$ servi par la
chance et par mes amis" 1ia et Malrau8 ont tout fait" ?
Le malheureusement de cette lettre n'est pas le mot d'un 7asti%nac qui ferait
volontairement, sciemment et par int$r>t, une concession A la censure allemande pour que son
livre sorte en librairie, insoucieu8 du coSt moral" Les bio%raphes de Camus rapportent son $tat de
sant$ A cette $poque & quand on lutte pour ne pas mourir, on ne dispose pas des moyens
intellectuels, ni de la force, ni du temps, ni de la disponibilit$ mentale pour dialo%uer avec son
$diteur sur ce su'et" On le laisse a%ir parce qu'on ne peut faire autrement quand on est clou$ au
fond de son lit, A mille cinq cents Kilom@tres de la rue )$bastien5*ottin" Malrau8 et 1ia, peu
suspects de complaisances collaborationnistes, suivent le dossier pour lui"
Gne lettre de 1ia A Camus dat$e du !0 mars !-42 permet d'en savoir plus & l'ami
anarchiste de Camus d$fend la publication par Iallimard du "ythe de Sisyphe en France avec le
chapitre sur RafKa" Y d$faut, il $met l'hypoth@se d'une $dition suisse de l'ouvra%e dans son
int$%ralit$" 1ia, qui est A Lyon, mandate 1ierre Leyris pour obtenir de 1aulhan une publication
avec les pa%es sur RafKa" #ans ces $chan%es de lettres avec 1ia, on apprend au passa%e que
Camus a refus$ de publier dans la +7F diri%$e par 1ierre #rieu la 7ochelle, proallemand notoire"
On i%nore le d$tail de la discussion entre Leyris et 1aulhan, mais on connaWt le r$sultat & RafKa fut
sacrifi$"
)a correspondance t$moi%ne & Camus d$teste 1$tain, le p$tainisme, Eichy, le
mar$chalisme, l'Occupation 6lettre A Francine, / 'uillet !-49" )a vie le prouve & deu8 fois
6: septembre !-:- et 'uin !-49 il veut s'en%a%er pour combattre le naOisme, une autre 6/ 'uillet
!-4, lettre A evonne #ucailar9 il cherche A quitter la France afin de lutter pour elle U re'oindre
Londres Q 1ossible" Y Oran 6f$vrier !-4!9, il donne des cours A des enfants 'uifs priv$s de
scolarit$ par le r$%ime antis$mite de Eichy" On peut ima%iner que, disposant d'une v$ritable
sant$, l'$pisode du chapitre sur RafKa n'aurait pas $t$ sous5trait$ par Malrau8 et 1ia, mais r$%l$
par lui5m>me" Avec quel succ@s Q on ne sait" Mais Camus n'$tait pas en $tat physique d'>tre
Camus sur cette affaire"
(nterlude sartrien ! & Fvad$ pour bons et loyau8 services
)artre est fait prisonnier en Lorraine le 2! 'uin !-4" Cransf$r$ au )tala% M(( # A Cr@ves,
il ne se plaint pas des conditions d'incarc$ration, lit Leide%%er, donne des conf$rences de
philosophie, entreprend d'$crire L'Etre et le 2éant, r$di%e une pi@ce de th$Ttre 'ou$e dans le
camp" <oseph Iilbert pr$cise que )artre demande A des fi%urants d'endosser le rXle de 'uifs
pouilleu8 afin de correspondre au8 clich$s 'ud$ophobes de l'$poque U ce qui fit rire, dit5il, les
militaires allemands pr$sents dans la salle et $ructer tel ou tel dans le public" <oseph Iilbert cite
trois t$moins & ; )artre avait ra'out$ dans sa mise en sc@ne un tableau muet montrant, au d$but de
la pi@ce en %uise de pr$sentation, des 'uifs tout loqueteu8 parqu$s derri@re des barbel$s,
repr$sentant les habitants de *$thaur ? 6-9" Puelques pa%es plus loin 6!!9, il $met l'hypoth@se
que la li&ération de )artre et son retour A la vie civile proc$daient des bons et loyau8 services de
son animation culturelle dans le camp" 1remi@re version"
#eu8i@me version & en !-/, l'abb$ Marius 1errin pr$cise, dans A+ec Sartre au Stala R66
#, qu'on lui doit la li&ération du philosophe %rTce A un 'eu d'$critures qui lui permit de
mentionner sur le livret militaire du philosophe & ; )trabisme entraWnant des troubles dans la
direction ?" 1rofitant d'une directive de l'AbZehr qui invitait A lib$rer les ; incurables ?, )artre
s'est pr$sent$ A la visite m$dicale devant un parterre de quatre hommes, dont un membre de la
Iestapo, et fut lib$r$" Le strabisme paraissant tout de m>me une modalit$ douce de la maladie
incurable, <oseph Iilbert y voit une confirmation de sa th@se & ; Cous les camarades de )artre
furent convaincus qu'il recevait la r$compense de *ariona ? 6!!9"
Croisi@me version & Lucien 7ebatet le fit savoir, mais, apr@s %uerre, c'$tait parole de
fasciste contre parole de *eauvoir, )artre aurait b$n$fici$, comme d'autres, de l'intervention de
#rieu la 7ochelle, par solidarit$ entre $crivains" Y l'appui de cette th@se, Iilles et <ean57obert
7a%ache 6.09 citent l'e8trait d'un carnet de #rieu sur lequel l'auteur de R/+euse &oureoisie avait
not$ des noms d'$crivains, dont celui de )artre & ; #emander la lib$ration des auteurs U
contrepartie de mon action A la +"7"F" ?" Le mot employ$ est bien & li&ération"
Puelles que soient les versions 6remerciements pour )ariona, acte d'$criture d'un ami
complice ou intervention d'un $crivain notoirement collaborateur9, )artre fut administrativement
li&éré et put reprendre en toute libert$ le chemin de )aint5Iermain5des51r$s" #@s lors, on
sursaute en lisant la narration de cet $v$nement par )imone de *eauvoir qui, parlant de )artre
qu'elle vient de retrouver, $crit dans La $orce de l'Ie 64-29 & ; (l me raconta d'abord son
$vasion ? U on aura bien lu & é+asion"
(l n'y a rien A se reprocher d'avoir $t$ officiellement lib$r$ et, quels qu'aient $t$ les
v$ritables motifs, peu %lorieu8 au demeurant, ce qui importe ici est moins le manque d'h$ro]sme
que le menson%e sciemment utilis$ pour cr$er une l$%ende" Car *eauvoir donne les d$tails de
cette ; $vasion ?" )outenu par les d$tails d$velopp$s par ses soins, le mot ne saurait donc >tre un
lapsus & b$n$ficiant de complicit$s dans le camp, des prisonniers auraient fourni A )artre des
cartes, des v>tements et des plans d'$vasion" #evant le bureau de naOis, le philosophe aurait
d'abord dit souffrir de ; palpitations cardiaques ? avant de se faire mettre A la porte avec un coup
de pied au derri@re 6m$thode assur$ment naOie D9" )artre revient en chan%eant de motif 6D9 & ; _(l`
tira sur sa paupi@re, d$nudant de faVon path$tique son Bil presque mort & ; Croubles de
l'$quilibre ? 64-29 U ce qui aurait suffi" *eauvoir a'oute que si le strata%@me n'avait pas
fonctionn$, ; il serait de toute faVon parti huit 'ours plus tard, A pied comme il l'avait pro'et$ ?"
(nterlude sartrien 2 & ; Pu'est5ce qu'un collaborateur Q ?
)artre ne semble pas souffrir de l'Occupation" On est sid$r$ de lire dans Paris sous
l':ccupation, un te8te paru dans $rance li&re, A Londres en !-43" )artre ressent une certaine
compassion pour les Allemands qui occupent 1aris, il ne parvient pas A les ha]r, la preuve, ; ils
offraient, dans le m$tro, leur place au8 vieilles femmes, ils s'attendrissaient volontiers sur les
enfants et leur caressaient la 'oue J on leur avait dit de se montrer corrects et ils se montraient
corrects, avec timidit$ et application, par discipline J ils manifestaient m>me parfois une bonne
volont$ na]ve qui demeurait sans emploi ? 6!/9 U l'Occupation, pas si terrible que ce que l'on dit Q
Le m>me )artre s'attardant sur l'analyse de son sentiment compassionnel en pr$sence d'un
accident de la circulation qui met en dan%ereuse posture un ; colonel allemand ? 62!9 ne cache
pas qu'il doit lutter fermement et ; souvent ? pour ne pas ; ha]r ? les Alli$s avec leurs
bombardements" Le philosophe trouve $%alement qu'en entretenant leurs locomotives pour
qu'elles soient en $tat de marche, d'une certaine mani@re, les cheminots collaboraient & ; le O@le
qu'ils mettaient A d$fendre notre mat$riel servait la cause allemande ? 6:.9" Ces consid$rations ne
choquent pas )artre qui, en !-4-, n'$carte pas ce te8te et les publie A nouveau dans le volume
intitul$ Situations 666"
On trouve dans ce livre un autre te8te intitul$ Fu'est8ce qu'un colla&orateur K initialement
publi$ dans La Répu&lique 9ran0aise en aoSt !-43" Gne phrase m$rite l'attention & ; La plupart de
ceu8 qui ont $crit dans la presse ou particip$ au %ouvernement $taient des ambitieu8 sans
scrupules, cela est certain ? 639" Faut5il souli%ner que )artre associe dans une m>me r$probation
l'auteur d'articles dans les 'ournau8 et le ministre du %ouvernement de 1$tain, bien qu'il ait lui5
m>me publi$ dans une presse collaborationniste Q
<ean51aul )artre $crit en effet dans le premier num$ro de la revue Com>dia le 2! 'uin
!-4!" Pu'est5ce que cette revue Q Gn hebdomadaire des arts, des spectacles et des lettres qui, $crit
+athalie L$%er dans son #ictionnaire des lettres 9ran0aises S le RR
e
si3cle, ; devient l'un des
ma%aOines culturels les plus actifs et les plus pris$s de l'Occupation ?" ,lle pr$cise quelques
li%nes plus loin & ; )ous couvert d'apolitisme et tout en conservant une certaine libert$ de ton,
l'hebdomadaire 'ouait un rXle collaborationniste subtil ?" C'est donc dans ce support que )artre
accepte d'$crire"
La l$%ende sur ce su'et, ici comme ailleurs, est construite par )imone de *eauvoir" ,lle
pr$tend en effet, dans La $orce de l'Ie, que )artre $crivit une seule 9ois dans cette revue avant
qu'il comprenne son erreur & ; ,lle fut aussi la derni@re car, une fois le num$ro sorti, )artre r$alisa
que Com>dia $tait moins ind$pendant que ne l'avait dit, et sans doute esp$r$, #elan%e ? 64-/9 U
le directeur du 'ournal" *eauvoir l'affirme donc noir sur blanc & )artre n'a publi$ qu'un seul
article"
)elon *eauvoir, )artre n'a publi$ qu'un seul article, dont acte" Mais il y en eut trois, dont
le dernier A une poi%n$e de semaines du #$barquement est consacr$ A <ean Iiraudou8, l'ami de
von 7ibbentrop, ministre des Affaires $tran%@res du (((
e
7eich, un auteur qui $crivait dans Pleins
Pou+oirs 6!-:-9 contre le m$tissa%e et le cosmopolitisme, notamment celui des AshK$naOes &
; +ous les trouvons %rouillants sur chacun de nos arts ou de nos industries nouvelles ou
anciennes, dans une %$n$ration spontan$e qui rappelle celle des puces sur un chien A peine n$" ?
,t plus loin & ; Le pays ne sera sauv$ que provisoirement par ses seules fronti@res J il ne peut
l'>tre d$finitivement que par la race franVaise, et nous sommes pleinement d'accord avec Litler
pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme sup$rieure que si elle est raciale" ? EoilA
l'homme salu$ par )artre en f$vrier !-44 dans une revue dans laquelle, si l'on en croit *eauvoir, il
n'$crit plus depuis 'uin !-4! D La $orce de l'Ie $crit tout de m>me & ; La premi@re r@%le sur
laquelle s'accord@rent les intellectuels r$sistants, c'est qu'ils ne devaient pas $crire dans les
'ournau8 de la Oone occup$e ? 64-/9" Gn syllo%isme A la *rochier conclurait que, puisque )artre a
$crit dans des 'ournau8 de la Oone occup$e, )artre n'$tait pas un intellectuel r$sistant"
1r$cisons $%alement que )artre ne s'est pas content$ de collaborer A Com>dia de 'uin 4! A
f$vrier 44 avec des articles ou par un entretien, mais aussi en si$%eant dans un 'ury de s$lection
de sc$narios or%anis$ par l'hebdomadaire au8 cXt$s de Iiraudou8 et de quelques autres, dont
7ebatet 6qui publie Les #écom&res en !-42, premier te8te des "émoires d'un 9asciste9,
Montherlant 6qui se r$'ouit de la victoire allemande dans Solstice de juin en !-4!9, Colette 6qui
publie dans La 4er&e ou Com&ats, le 'ournal de la Milice9, ,dZi%e Feuill@re 6qui apprit ce
qu'$tait le march$ noir apr@s la %uerre9"
)artre a donn$ un entretien A Com>dia lors de la repr$sentation des "ouches U une pi@ce
A laquelle la censure allemande n'avait rien trouv$ A redire" )artre fit savoir A la Lib$ration que
son Buvre $tait crypt$e et que le public, lui, saisissait ce que les occupants sp$cialistes naOis de la
censure en mati@re de culture, eu8, les ballots, ne comprenaient pas" Les soir$es d'apr@s
repr$sentation permettaient A )artre et *eauvoir de deviser avec les responsables allemands de la
censure th$Ttrale 6%heatreruppe9, un verre A la main" 7approchons ces 9aits du te*te intitul$
Paris sous l':ccupation 6!-439 dans lequel )artre $crit A propos des Allemands & ; +ous nous
rem$morions la consi%ne que nous nous $tions donn$e une fois pour toutes & ne 'amais leur
adresser la parole ? 629"
Y la Lib$ration, lors de l'enqu>te dili%ent$e contre Com>dia, le 'u%e [oussman, char%$
d'instruire le dossier, reVut de )artre une lettre class$e au8 Archives nationales sous la cote [0,
n" !, !3. dans laquelle il affirme avoir $t$ sollicit$ par le directeur de la revue, certes, mais
n'avoir 'amais particip$" Eoici ses mots & ; <e d$cidai, apr@s consultation de mes amis _sic`, de
m'abstenir de toute collaboration _sic D`" <e le fis non par d$fiance de Com>dia _sic`, mais pour
que le principe d'abstention ne souffrWt aucune e8ception" ? *eauvoir ment sur la pr$tendue
$vasion, elle ment sur la participation de )artre A cette revue collaborationniste 6un seul article,
puis plus rien9, )artre ment lui aussi sur ce su'et 6'amais aucun article9, et la presse se contente de
reprendre ce menson%e qui devient une v$rit$" La $orce de l'Ie $crit la l$%ende 6*eauvoir, 4-/9,
le bio%raphe la duplique 6Cohen5)olal, 244, Codd, :/9, le biblio%raphe confirme 6Contat, /:9,
les autres la r$p@tent 6)allenave, 23/9 et le menson%e r$it$r$ devient une v$rit$ inscrite dans le
marbre du #ictionnaire Sartre 6Adrian Ean den Loven, :2:9"
(nterlude sartrien : & Gne r$sistance transcendantale
La l$%ende d'un )artre cr$ant un r$seau de 7$sistance intitul$ ; )ocialisme et Libert$ ?
64-/9 est sculpt$e dans le marbre ha%io%raphique de La $orce de l'Ie" Apr@s son ; $vasion ?,
)artre sur%it en h$ros d$sireu8 d'action & ; )'il $tait revenu A 1aris, ce n'$tait pas pour 'ouir des
douceurs de la libert$, mais pour a%ir" c Comment Q lui demandai5'e abasourdie & on $tait
tellement isol$s, tellement impuissants D c <ustement, me dit5il, il fallait briser cet isolement,
s'unir, or%aniser la r$sistance ? 64-49" )uivent des aventures di%nes d'un roman bien fait &
l'ur%ence est d'abord de ne rien faire, puis de s'accorder un r$pit, enfin de se promener dans 1aris
U dans l'ordre donn$ par l'auteur"
,nsuite, *eauvoir si%nale que, s'il avait voulu se mettre en r@%le avec l'administration,
)artre aurait dS se faire d$mobiliser en Oone libre & ; Mais l'Gniversit$ n'y re%arda pas de si pr@s J
on lui rendit son poste au lyc$e 1asteur ? 64-39 U il aura suffi que )artre pr$sente les papiers de sa
lib$ration officielle, puis si%ne un formulaire attestant qu'il n'$tait ni 'uif ni franc5maVon" Y ce
propos, )artre reproche A *eauvoir d'avoir si%n$ 6*eauvoir, 34-9, avant de parapher lui5m>me
6<oseph, !/.9, puis de faire savoir qu'il n'avait 'amais commis une pareille i%nominie 6Ierassi9"
Ayant montr$ sa docilit$ envers l'administration de Eichy, )artre reprend ses cours, revoit sa
bande, parle, parle, parle" ,t s'ima%ine en r$sistant"
#ans le feu de l'action, )artre propose d'or%aniser un attentat contre #$at D Mais *eauvoir
sent bien que l'action combattante n'est pas trop leur affaire & ; +otre principale activit$, outre le
recrutement _sic`, consisterait pour l'instant A recueillir des rensei%nements et A les diffuser par un
bulletin et des tracts ? 64-39" 7$unions A La Closerie des Lilas" *ost prom@ne avec lui une
machine A ron$otyper U ind$plaVable pour ceu8 qui connaissent le poids de pareil en%in" )artre
$crit donc dans ces bulletins dont parle )imone de *eauvoir U mais 'amais personne n'en a trouv$
trace, ni m>me de brouillons" )artre pr$tend avoir r$di%$ un pro'et de constitution destin$ A la
France d'apr@s la Lib$ration et distribu$ ce document autour de lui" +ulle trace de ce %ros Buvre,
aucune copie retrouv$e, pas une seule preuve U alors que )ariona, une pi@ce $crite au )tala%, a
$t$ sauv$e" Ce temps des pr$tendues écritures résistantes est aussi et surtout l'$poque oN )artre
$crit pour Com>dia et *eauvoir travaille pour 7adio5Eichy U une activit$ qu'elle l$%itime dans
La $orce de l'Ie 632/9 et dont on ne retrouve aucune trace dans Les .crits de Simone
de )eau+oir qui si%nalent 'uste L'6n+itée en %uise d'$criture entre !-:. et !-44" )artre lui a trouv$
ce poste dans cette radio aupr@s du directeur de Com>dia 6; hebdomadaire collaborationniste ?,
$crit Cohen5)olal, 2449" (l $crit A )imone de *eauvoir le / 'uillet !-4: & ; <'ai accept$ pour vous
d'enthousiasme ?"
Y Maurice +adeau, )artre dit & ; #ans un an nous devrons avoir $tudi$ la nature de l'Ftat
$difi$ par Eichy ? U dans 4rIces leur soient rendues" Eoici probablement ce que )artre pouvait
faire en mati@re de 7$sistance, penser l'$v$nement U voilA m>me ce qu'il n'a pas fait" Les
pitoyables analyses de Paris sous l':ccupation sont bien loin de ce qu'aurait $t$ un v$ritable livre
sur et contre 1$tain et le p$tainisme"
#ani@le )allenave $crit dans Castor de uerre que, pendant ces ann$es d'occupation,
*eauvoir a dS composer avec la mort lors d'un ; accident de bicyclette en Oone sud oN elle l'a
hfrXl$ei ? 62/49 U en fait le te8te de *eauvoir dit ; touch$e ? 63!!9" On apprend aussi dans ces
pa%es $difiantes que le vin blanc n'est pas pour peu dans cette sortie de route" Ia%eons qu'elle ne
la frXla que cette fois5ci" ,t restons5en lA concernant les pantalonnades de cette r$sistance
transcendantale qui ne fit de tort A personne U mais tant de bien A la l$%ende"
Avec et sans 7irette
M>me l'historio%raphie anarchiste n'$vite pas la l$%ende" Labituellement, on aborde peu
la question de la politique d'Albert Camus" Puand d'aventure le su'et se trouve trait$, on apprend
que le philosophe serait un social5d$mocrate A sensibilit$ libertaire" Camus a propos$ une version
libre et nouvelle, radicalement in$dite, de l'en%a%ement anarchiste et libertaire au MM
e
si@cle"
1arce qu'il ne fut pas anarchiste comme un d$vot identifiable A une chapelle U *aKounine,
RropotKine, )tirner ou 1roudhon U mais en penseur pra%matique cherchant moins les solutions
libertaires dans un corpus de biblioth@que que dans une r$fle8ion ori%inale, Camus fut n$%li%$
comme penseur anarchiste et philosophe libertaire"
Lou Marin effectue un e8cellent travail de re%roupement de te8tes de Camus sous le titre
Camus et les li&ertaires @AMNT8AMUOB" Mais on lit dans sa pr$face cette th@se souvent reprise &
; C'est 7irette MaWtre'ean qui sensibilisa Camus A la pens$e libertaire et lui fit d$couvrir le milieu
anarchiste ? 6!:9 U c'est aller un peu vite" #'abord, pr$cisons qui est 7irette MaWtre'ean" Y
l'$poque oN Camus la rencontre, elle travaille A Paris8Soir" Mais avant cela, elle a $t$ une
militante anarchiste ayant suivi les conf$rences d'Albert Libertad au cours desquelles il $tait
question, entre autres su'ets, de +ietOsche et de )tirner" Apr@s la mort de Libertad, elle s'occupe
de la r$daction et de la publication du 'ournal L'Anarchie" ,n !-!-, elle rencontre Eictor )er%e
qui devient son compa%non et travaille avec elle A la publication militante" Cous deu8 vivent A
7omainville, un villa%e habit$ par quelques futurs acteurs de la bande A *onnot" Cette pro8imit$
lui vaudra des ennuis avec la police" #'autant qu'on retrouve cheO elle des armes, des papiers et
un livret de caisse d'$par%ne vol$s A un a%riculteur de l',ure, des ob'ets d$pos$s par un ami, dit5
elle" On peut la croire, car 7irette MaWtre'ean d$fend une li%ne individualiste anarchiste asseO
critique sur la propa%ande par le fait" ,lle $crit par e8emple dans Le "atin du !/ aoSt !-!: &
; #erri@re l'ill$%alisme, il n'y a pas m>me des id$es" Ce qu'on y trouve & de la fausse science et
des app$tits" )urtout des app$tits" #u ridicule aussi et du %rotesque" ?
7irette MaWtre'ean a surv$cu A Camus" ,lle a particip$ A un volume d'homma%es pr$par$
par les ouvriers du livre apr@s la mort du philosophe" ,lle t$moi%ne de la nature d'une relation qui
a dur$ trois mois" 7irette MaWtre'ean pr$cise qu'elle a d'abord connu Camus A Paris8Soir, A 1aris,
oN elle $tait correctrice" ,lle entretenait avec lui des ; relations asseO lointaines _l`" On se
connaissait comme Va" On bavardait un peu ?" Y Lyon, elle parle de lui comme d'un bon
compa%non, d'un ami tr@s sSr, d'un homme d'une %rande qualit$ humaine, serviable" ,lle rapporte
des balades faites dans la campa%ne auver%nate, dit que lors de ces sorties en voiture Camus $tait
%entil et amusant" ,lle assure qu'il $tait tr@s accueillant et que son pri8 +obel ne l'a pas chan%$"
,lle pr$cise enfin l'avoir vu plus A l'aise avec les ouvriers typos qu'avec les 'ournalistes dont il se
m$fiait" 7ien qui t$moi%ne d'une initiation ( l'anarchie d'Albert Camus par 7irette MaWtre'ean"
#'autant que le rapport de Camus A l'anarchie ne date pas de !-4 D Puand le philosophe
rencontre la compa%ne de Eictor )er%e, il connaWt d$'A bien la pens$e libertaire" 7appelons un
certain nombre de faits historiques et bio%raphiques & en !-:, l'oncle boucher qui l'accueille cheO
lui lors de sa tuberculose a eu un pass$ anarchiste & Camus a di85sept ans J en !-::, A vin%t ans, il
lit 1roudhon avec son ami Fr$minville J A cette $poque, Camus pr>te A un ami L';nique et sa
propriété de Ma8 )tirner, un individualiste anarchiste qu'il a lu J en !-:3, avec ses amis, il $crit
Ré+olte dans les Asturies pour soutenir les antifranquistes parmi lesquels, on le sait, les
anarchistes ont 'ou$ un rXle consid$rable J en !-:0, son compa%non Eincent )olara, qui travaillait
avec lui au Ch$Ttre du travail, $tait anarchiste J son ami 1ascal 1ia auquel il doit son embauche A
Aler répu&licain en !-:/ $tait lui aussi de sensibilit$ libertaire J le fondateur de ce 'ournal,
<acques 7$%nier, est un descendant de la famille anarchiste des 7eclus" 1ascal 1ia dit qu'A cette
$poque, !-:/ donc, soit deu8 ans avant de rencontrer 7irette MaWtre'ean, les sympathies de
Camus allaient ; au8 libertaires, au8 ob'ecteurs de conscience, au8 syndicalistes A la 1elloutier,
bref A tous les r$fractaires ?" Puand Aler répu&licain p$riclite, 1ia d$cide de cr$er un 'ournal
vendu A la cri$e, Le Soir répu&licain" Camus fait partie de l'aventure d@s le !3 septembre !-:-
comme r$dacteur en chef" Le 'ournal connaWtra cent di85sept num$ros avant son interdiction le
! 'anvier !-4" L'un des bio%raphes de Camus $crit & ; 1ia et Camus, qui s'entendaient comme
larrons en foire, ne tard@rent pas A en faire un or%ane anarchiste ? 6Lottman, 22.9"
1uis, en dehors de cette bio%raphie d'un Camus connaisseur de la sensibilit$ anarchiste
depuis son plus 'eune T%e, il faut en appeler au8 te8tes, car les dates de publication constituent
d'incontestables 'u%es de pai8" L'historio%raphie anarchiste dominante consid@re que la
publication d'un article dans une revue anarchiste, estampill$e comme telle, fait la loi, ou que la
citation d'homma%e e8plicite et $lo%ieuse d'un penseur anarchiste faisant partie du cat$chisme
r$volutionnaire constitue une preuve" Y d$faut de ces laisseO5passer, les anarchistes peinent A >tre
vraiment libertaires"
Pu'est5ce qu'un libertaire Q
Puel est donc le premier te8te libertaire de Camus Q Caliula" Le deu8i@me Q La Peste"
Le troisi@me Q L'.tat de si3e" Autrement dit, des Buvres respectivement publi$es en mai !-44,
'uin !-4. et octobre !-4/" #es produits de l'Listoire en %$n$ral et de la )econde Iuerre mondiale
en particulier" Ce8tes li&ertaires Q Oui, si l'on prend soin de d$finir ce terme" Le #ictionnaire
culturel en lanue 9ran0aise en fait une cr$ation de 1roudhon en !/3/, pour le mot, et de [ola en
!-!, pour l'ad'ectif qualificatif" Eoici sa d$finition & ; Pui n'admet, ne reconnaWt aucune
limitation de la libert$ individuelle, en mati@re sociale, politique ?" ,lle renvoie A ; anarchiste ?"
Mais, contrairement A ce qu'affirme le dictionnaire, le substantif se trouve pour la
premi@re fois un an avant, en !/3., sous la plume de <oseph #$'acque, auteur d'une lettre A
1roudhon dans laquelle il oppose le lib$ral partisan du march$ libre au libertaire qui critique le
capitalisme" Ce quarante5huitard a connu les barricades, la prison, l'e8il en An%leterre et au8
Ftats5Gnis, il vit A La +ouvelle5Orl$ans et travaille comme peintre en bTtiment" (l lutte contre la
phallocratie, l'esclava%isme et publie en mai !/3. cette fameuse Lettre ( Proudhon @sur l'/tre
humain, mIle et 9emelleB dans laquelle apparaWt ce mot utilis$ pour se distin%uer du penseur
socialiste, lib$ral A ses yeu8, et en faire une violente critique" ,n !/3/, il commence la
publication d'un 'ournal intitul$ Le Li&ertaire, journal du mou+ement social qu'il sera souvent
seul A r$di%er" ,n !/0!, apr@s le vin%t5septi@me num$ro, le 'ournal s'arr>te" (l rentre en France et
meurt en !/04"
L'immense 1ncyclopédie anarchiste de )$bastien Faure totalise pr@s de trois mille pa%es
publi$es entre !-23 et !-:4" ,lle consacre un tr@s %ros article A ; libert$ ?, mais aucun A
; libertaire ?" Le mot et la chose %>nent souvent les ; anarchistes ?, plus doctrinaires, d$vou$s A
leur cat$chisme, soucieu8 d'orthodo8ie, prompts A instruire des proc@s, allumer des bSchers et se
s$parer des libertaires qui revendiquent leur libert$, y compris parmi ceu8 qui veulent $lar%ir les
libert$s D Les libertaires sont donc les anarchistes de l'anarchie" Albert Camus est l'un d'entre eu8"
Cali%ula & portrait du pouvoir
Le premier te8te v$ritablement libertaire de Camus est donc Caliula, et non, comme
souvent dit, tel ou tel entretien donn$ A une revue ouvri@re ou A un follicule syndicaliste apr@s la
%uerre" 1ourquoi cette pi@ce de th$Ttre rel@ve5t5elle de l'$crit libertaire Q 1arce qu'elle d$monte les
roua%es du pouvoir, elle pr$sente les m$canismes de la su'$tion, de la soumission, elle d$veloppe,
dans l'esprit de La *o$tie, une analyse de la servitude volontaire, elle d$crit l'e8ercice du pouvoir
et double cette description d'une anatomie de la psycholo%ie de l'homme qui l'e8erce J puis, elle
propose une r$ponse au pouvoir en sc$no%raphiant une fi%ure rebelle qui refuse, dit non, a%it dans
cette direction et pratique le tyrannicide" Cali%ula e8erce une politique sans $thique, et Cherea,
son assassin, une $thique politique, une pens$e et une action libertaires"
Ainsi, cette repartie de l',mpereur romain A son intendant & le fonctionnaire s'$tonne de
devoir concr$tiser le souhait de Cali%ula e8i%eant que les patriciens d$sh$ritent leurs enfants et
fassent de l'Ftat leur l$%ataire universel" 7$ponse de Cali%ula & ; (l n'est pas plus immoral de
voler directement les citoyens que de %lisser des ta8es indirectes dans le pri8 des denr$es dont ils
ne peuvent se passer" Iouverner, c'est voler, tout le monde sait Va ? 6(" ::39" Cynisme, violence,
brutalit$, caprice, arbitraire, in'ustice, despotisme, tyrannie, cruaut$, le portrait de cet homme de
pouvoir vaut cheO Camus portrait de l'homme politique embl$matique d@s qu'il n'est pas retenu
par l'$thique, tenu par la loi, %uid$ et canalis$ par la morale" Cali%ula nomme en chacun ce qui se
r$pand si rien n'est fait pour le contenir & l'empire sur les autres et le monde entier" )on nom est
celui de la volont$ de puissance U au sens trivial et commun du terme & d$sir de maWtrise, envie de
domination, soif de soumission"
Cali%ula couche avec sa sBur, veut l'impossible, la lune en l'occurrence, pour >tre bien sSr
de ne 'amais l'obtenir, ainsi dispose5til d'une 'ustification de ses col@res politiques par la
frustration" Lorsqu'il rentre dans ces d$chaWnements hyst$riques, il e8p$rimente la 'ouissance
d'une libert$ sans limites et connaWt l'ivresse du bonheur dans le crime sans crainte d'un reproche
puisqu'il a le pouvoir, il est le pouvoir, et ne reconnaWt aucune limite A sa libert$ qui est pouvoir U
ou A son pouvoir qui est libert$" Le tyran est l'homme du pouvoir absolu J le libertaire, celui de la
puissance contenue par une $thique, celui qui s'emp/che" Cette puissance contenue par une
$thique nomme l'ordre libertaire"
L',mpereur humilie sa cour patricienne, il tue, ourdit des complots, prostitue les femmes
des s$nateurs en la pr$sence de leurs maris, condamne A mort pour le plaisir d'en 'ouir J il man%e
comme un porc, crache ses d$chets dans le plat, envoie ses noyau8 d'olive dans l'assiette de ses
voisins, se cure les dents et les on%les A table J il d$cide de fermer les %reniers publics pour
d$clencher une famine et se donner le plaisir d'arr>ter la p$nurie selon son caprice J il se moque
des dieu8 J il se vernit les on%les des pieds J il simule l'a%onie pour $pier la r$action de ses
courtisans & l'un offre son ar%ent et l'autre sa vie pour le sauver J r$v$lant le subterfu%e, il prend
les imprudents au8 mots, e8i%e le tr$sor du premier et la vie du second J il or%anise des concours
de po$sie puis distribue les blTmes et les f$licitations dans le plus pur arbitraire J il se rit de
l'amiti$ J il se moque tout autant de l'amour et $tran%le sa maWtresse uniquement pour e8ercer le
pouvoir de d$truire qui surpasse celui de cr$er J il veut e8terminer les contradicteurs et la
contradiction J il clame que tout le monde est coupable, qu'il n'e8iste aucun innocent et d$cr@te
qu'infli%er la mort au8 coupables est un effet de la raison bien conduite"
Lo%ique du crime lo%ique
Cali%ula pr$tend >tre lo%ique, il pousse cette dialectique 'usqu'au bout et d$fend le crime
lo%ique" Ainsi & un homme sort une petite fiole pour en boire le contenu J Cali%ula demande de
quoi il s'a%it J d'un ; contrepoison ? 6(" :329, dit5il, en l'occurrence d'un m$dicament contre
l'asthme J s'il s'a%it d'un contrepoison, ce mot est fatal, puisqu'il si%nifie que son interlocuteur
craint que Cali%ula ne l'empoisonne J d@s lors, Mereia, c'est son nom, est coupable & soit d'avoir
pu ima%iner que son ,mpereur veuille l'empoisonner, soit, si tel $tait son bon vouloir, de
s'opposer A la volont$ imp$riale J dans les deu8 cas, l'homme est condamn$ A mort par l'effet de
cette lo%ique sp$cieuse" Mereia r$cuse les termes de cette alternative" Cali%ula rebondit alors avec
la m>me sophistique & troisi@me crime, puisqu'il r$cuse cette lo%ique cali%ulesque, l'asthmatique
prend l',mpereur pour un imb$cile"
#@s lors, le C$sar d$cr@te disposer de trois chefs d'accusation obtenus selon l'ordre des
raisons & Mereia est soit coupable d'avoir suspect$ son ,mpereur, soit coupable de s'opposer au
d$sir qu'aurait pu avoir son ,mpereur de vouloir l'empoisonner, soit coupable de r$cuser la
dialectique imp$riale" Cali%ula d$cide que, de ces trois chefs d'accusation, seul le deu8i@me est
honorable & s'opposer, se r$volter, se rebeller" (l mourra donc pour ce motif louable" Cali%ula le
brutalise, lui rentre la fiole de verre dans la bouche, l'$crase A coups de poin% sur le visa%e et
lib@re le poison qui tue l'homme" Gn courtisan v$rifie, il s'a%issait bien d'une potion contre
l'asthme" 1eu importe, conclut Cali%ula, puisqu'il faut mourir un 'our, un peu plus tXt, un peu plus
tard"
Gn autre caprice de despote soutenu par la rh$torique esquisse un nouveau crime lo%ique &
un vieu8 patricien informe Cali%ula d'un complot se tramant contre lui" L',mpereur affirme qu'il
ne peut pas croire le vieil homme car & s'il dit vrai, il trahit ses amis J s'il trahit ses amis, il est
lTche J s'il est lTche, il m$rite la mort pour avoir trahi" Cali%ula prend l'homme A t$moin & est5il
traWtre et lTche Q #evant sa r$ponse n$%ative, l',mpereur conclut qu'il ne saurait donc y avoir de
complot mais que, faute ma'eure tout de m>me, le patricien lui a menti" Eenu pour sauver
Cali%ula d'une mort annonc$e, le patricien comprend qu'il pourrait payer ce %este de sa propre
disparition D Cali%ula affirme que, puisqu'il n'a $t$ ni lTche ni traWtre, son interlocuteur est donc un
homme d'honneur, mais, nouveau rebondissement sophistique, pareille e8emplarit$ $thique, il ne
pourrait lon%temps la supporter" (l demande donc au vieu8 patricien de d$%uerpir s'il veut sauver
sa peau"
Cherea le libertaire
Cali%ula dort deu8 heures par nuit, le reste du temps il erre dans son immense palais"
Camus montre un homme bris$, cass$, qui brise et casse" #ans ses Carnets de l'ann$e !-:., il
$crit & ; La politique et le sort des hommes sont form$s par des hommes sans id$al et sans
%randeur" Ceu8 qui ont une %randeur en eu8 ne font pas de politique ? 6((" /439" 1ropos
libertaires" Cali%ula est sans id$al et sans %randeur J les hommes politiques $%alement J Cali%ula
nous rensei%ne donc sur l'>tre des hommes politiques, de tous les hommes politiques"
Cette pi@ce de th$Ttre montre donc un homme de pouvoir, certes, mais $%alement son
antidote & Cherea, le rebelle, le r$volt$ qui refuse un pouvoir sans limites, une puissance que ne
contraindrait pas un id$al $thique" Cali%ula dit de Cherea qu'il est ; anarchiste ?" #ans une note
des Carnets 6((" /-09, Camus $crit & ; Cali%ula" Le %laive et le poi%nard ?" Cet autre titre potentiel
pour Caliula r$sume bien l'alternative & le %laive du pouvoir imp$rial tyrannique contre le
poi%nard du tyrannicide anim$ par le recouvrement de la libert$" Cali%ula contre Cherea" Le
liberticide contre le libertaire"
Cherea incarne la fi%ure libertaire de cette pi@ce" (l ensei%ne d'abord la m$canique du
pouvoir avant d'inviter A l'enrayer quand elle n'est pas inde8$e sur une $thique" Au8 patriciens
humili$s qui veulent tuer Cali%ula, il dit & ; )acheO d'abord le voir comme il est, vous pourreO
mieu8 le combattre ? 6(" :429" Autrement dit & la connaissance du tyran constitue le premier
temps de la dialectique qui m@ne au tyrannicide" Pu'ensei%ne d'autre Ftienne de La *o$tie
6souvent pr$sent$ comme un anc>tre de la pens$e libertaire9 dans son #iscours de la ser+itude
+olontaire Q
#ans ses Carnets de !-:., Camus ima%ine une fin pour sa pi@ce & ; +on, Cali%ula n'est
pas mort" (l est lA, et lA" (l est en chacun de vous" )i le pouvoir vous $tait donn$, si vous avieO du
cBur, si vous aimieO la vie, vous le verrieO se d$chaWner, ce monstre ou cet an%e que vous porteO
en vous ? 6((" /!29" #e la m>me mani@re qu'il dira que la peste se trouve en chacun de nous, le
philosophe propose une analyse ontolo%ique et anthropolo%ique du pouvoir & chacun porte en lui
une potentialit$ dont l'Listoire fait un Cali%ula, ou un Cherea" Or l'Listoire, c'est ce que nous
faisons" Le tyran n'est pas hors de nous, mais en nous J il n'est pas un tiers, mais nous U de m>me
pour le r$sistant au tyran" (l e8iste en chacun de nous du %laive ou du poi%nard, tTchons de
vouloir le poi%nard libertaire contre le %laive liberticide"
Cherea parle avec Cali%ula & le second ne m$prise pas le premier, m>me s'il est cruel,
nuisible, $%o]ste et vaniteu8 U car ce tyran n'est pas heureu8" Cherea sait qu'une partie de Cali%ula
se trouve $%alement en lui" Le dictateur n'i%nore pas que son interlocuteur veut le tuer, mais il
$chan%e avec lui tout de m>me" Y propos de Cali%ula, Camus parlait de ; suicide sup$rieur ? 6("
44.9 & le philosophe faisait de l',mpereur un homme conscient de son >tre et de son action, une
personne ayant l'intelli%ence de son destin, m>me s'il s'a%issait de l'e8ercer dans le mal"
Cali%ula incarne le nihilisme & pour lui, tout se vaut, tout est permis, rien n'est interdit" (l
n'y a ni bien ni mal, ni bon ni mauvais" (l est en%a%$ dans une folie A laquelle il donne son
mouvement, sa force et son d$roul$" (l veut e8ercer la libert$ totale, absolue, sans limites, sans
retenue, il sait qu'il paiera cet e8ercice de sa propre vie" Ce d$lire en fait un tyran intelli%ent,
conscient, un fou lo%ique, un fou rationnel, un fou calculateur et sophiste" Le pouvoir ne rend pas
fou J mais il est le pire des mau8 entre les mains du fou qui parle et ar%umente"
Cherea, en anti5Cali%ula embl$matique, n'aime pas mentir, il n'a pas peur de la mort, il
veut vivre et >tre heureu8 et il sait qu'on ne peut >tre heureu8 sans les autres ou mal%r$ eu8" (l
n'i%nore pas que, si son %este n'aboutit pas, d'autres r$sistants, d'autres rebelles porteront la main
sur lui" Le 'our venu, Cherea frappe Cali%ula au visa%e" Cali%ula mourant, presque mort, se
vidant de son san%, s'$crie & ; <e suis encore vivant ? 6(" ://9" Le rideau tombe"
La peste contre La Peste
Constatant que son r@%ne a $t$ trop heureu8, sans reli%ion cruelle, sans coup d'Ftat, sans
peste, Cali%ula d$cide ceci & ; C'est moi qui remplace la peste ? 6(" :.-9" Le portrait de Cali%ula
peut donc se lire en relation avec La Peste, ce fameu8 roman qui a fait couler beaucoup d'encre"
#ans un compte rendu qui passe totalement A cXt$ de la nature all$%orique de l'Buvre 6reproche5t5
on A La Fontaine de manquer son su'et philosophique parce qu'il recourt au renard et au
corbeau Q9, 7oland *arthes dit au moins une chose 'uste & ; La Peste a commenc$ pour son auteur
une carri@re de solitude ? 6Œu+res compl3tes, (" 4339 U en l'occurrence, et Va n'est pas le moindre
parado8e, A cause de %ens comme *arthes"
Le livre paraWt en !-4." La %uerre vient de se terminer" La communaut$ intellectuelle n'a
pas beaucoup r$sist$, c'est le moins qu'on puisse dire" Le 1CF a tard$ pour entrer dans la
7$sistance" Le pacte %ermano5sovi$tique qui allie Litler et )taline dans une m>me complicit$
militaire, %uerri@re, id$olo%ique et imp$riale vaut cat$chisme pour le 1CF qui suit la li%ne $dict$e
par Moscou & >tre communiste entre le 2: aoSt !-:- et le 22 'uin !-4, c'est pendant di8 mois
faire du national5socialisme un alli$ strat$%ique du mar8isme5l$ninisme"
Les historiens di%nes de ce nom d$construisent au'ourd'hui la l$%ende $crite par les
communistes sur leur propre parti" )elon la mytholo%ie, le 1CF aurait $t$ un %rand parti r$sistant"
Avec ses .3 fusill$s 6il y en eut 4 32 au total et tous ne furent pas communistes9, ses h$ros
comme Iuy MXquet, le parti aurait beaucoup donn$ pour la 7$sistance et men$ le combat
antifasciste d@s la premi@re heure" ,n re%ard de l'Listoire, les choses sont tout autres" Le pacte
%ermano5sovi$tique se double en effet d'un essai de collaboration entre le 1CF et les autorit$s
d'Occupation allemande A 1aris & d@s la d$faite de 'uin 4, le parti envoie deu8 responsables,
Maurice Cr$and, responsable des cadres, et #enise Iinollin, pour n$%ocier la reparution du
'ournal L''umanité et obtenir la l$%alisation des activit$s du parti"
L'ar%umentaire est simple" )elon l'aveu m>me du 1CF, le parti se retrouve sur nombre de
points avec la doctrine des nationau85socialistes, ce dont t$moi%nent les notes retrouv$es sur les
deu8 n$%ociateurs communistes arr>t$s par la police et relTch$s trois 'ours plus tard &
l'anticapitalisme forcen$, la haine des %ouvernements bour%eois, l'antiparlementarisme, la
vindicte contre les ministres 'uifs et les banquiers 'uifs responsables de la d$cadence contre
laquelle il faut lutter, l'implantation ouvri@re et le culte des masses" Les n$%ociations durent deu8
mois et n'aboutissent pas" Le Rremlin donne son accord pour cette li%ne mais d$plore la rencontre
d'un n$%ociateur communiste avec Otto AbetO, une situation trop e8plicite" Gn ; appel du
! 'uillet ? !-4, pr$sent$ comme un contre5appel du !/ <uin, sera r$$crit dans les ann$es !-3 et
publi$ dans un fau8 num$ro de L''umanité antidat$ pour accr$diter la th@se d'un 1CF r$sistant de
la premi@re heure" Puant A Iuy MXquet, une caution morale bien utile par la suite, il est arr>t$
pour avoir distribu$ des tracts 'ustifiant le pacte %ermano5sovi$tique, donc la collaboration avec
l'occupant, et fusill$ comme ota%e en r$pression A l'abatta%e d'un soldat allemand par d'autres"
Les ann$es d'apr@s %uerre, le 1CF r$$crit son histoire et construit sa l$%ende" 1our nombre
d'intellectuels dont l'en%a%ement n'a pas $t$ la premi@re vertu pendant les ann$es d'occupation, la
tentation est %rande de c$l$brer l'h$ro]sme du parti, le parti c$l$brant en retour la %randeur de
ceu8 qui les absolvent" +ombre de personna%es $quivoques se refont une vir%init$ avec un 1CF
qui en profite pour effacer son rXle douteu8 'usqu'A 'uin !-4!" )artre a b$n$fici$ de ce %enre d'eau
lustrale" 1as Camus qui n'avait pas besoin de ce type de malversation intellectuelle & ses $tats de
service impeccables suffisaient"
*arthes critique La Peste coupable de mise en sc@ne all$%orique au d$triment d'un abord
historique et politique" +$ en !-!3, l'$crivain a vin%t5quatre ans quand la %uerre commence,
vin%t5neuf quand elle se termine, un T%e qui permet lar%ement de s'en%a%er" (l se contente de faire
ses $tudes de lettres, de continuer son m$tier de professeur sans licence d'ensei%nement, de
prendre des leVons de chant aupr@s du baryton suisse Charles 1anOera, de se faire r$former de tout
service militaire" (l soi%ne une tuberculose au sanatorium, $crit des comptes rendus, dont celui de
L'.traner qui rend homma%e A l'$criture blanche et neutre de Camus" ,n octobre !-4:, il
s'inscrit en m$decine avec l'id$e de se sp$cialiser en psychiatrie" (l vit la Lib$ration au fond de
son lit" 1ersonne ne le lui reproche" ,n !-3!, $crivant contre Caillois, tr@s tXt lucide sur les
m$faits du totalitarisme communiste, il parle de ; l'inqui$tude salutaire _sic` que le mar8isme
continue d'inspirer au monde, en d$pit de ses O$lateurs et de ses sceptiques ? 6(" !49"
#e faVon all$%orique, La Peste renvoie dos A dos les deu8 totalitarismes & celui des
fascismes bruns europ$ens de Mussolini, d'Litler et de Franco, mais $%alement celui des
fascismes rou%es des pays de l',st U la Lon%rie est le seul pays mentionn$ dans le roman" On
comprend que cette d$nonciation de tous les totalitarismes puisse valoir A Camus d'entrer dans
une lon%ue solitude intellectuelle & il aura en effet contre lui les communistes, les mar8istes, la
%auche officielle et la droite U lire L':pium des intellectuels de 7aymond Aron" Camus n'eut
'amais l'indi%nation s$lective & La Peste nous dit pourquoi"
La raison all$%orique
La Peste paraWt le ! 'uin !-4. apr@s plusieurs ann$es de maturation" On trouve en effet
des notes sur ce su'et d@s !-:/" Le pro'et du roman date d'avril !-4!" Camus commence la
r$daction au 1anelier en septembre !-42, il note la date d'ach@vement & d$cembre !-40" 1endant
les quatre ann$es du travail 6de 42 A 409, le philosophe accumule les documentations, les notes,
les r$dactions, les plans, il modifie ses pro'ets d'$criture, lit des trait$s de m$decine, des ouvra%es
d'$pid$miolo%ie, des manuels de patholo%ie, des r$cits historiques" #es premi@res heures de ce
pro'et au point final, l'arri@re5plan historique se manifeste sous forme de tra%$dies & triomphe de
fascismes en (talie et en ,spa%ne, mont$e des p$rils, d$claration de la %uerre, invasion de la
France par les troupes naOies, occupation, e8ode, collaboration, lib$ration, $puration,
reconstruction U tout cela, bien sSr, se retrouve cod$, crypt$ dans le roman"
1our qui sait lire, Camus donne le mode d'emploi d@s l'e8er%ue e8trait de #aniel #efoe &
; (l est aussi raisonnable de repr$senter une esp@ce d'emprisonnement par une autre que de
repr$senter n'importe quelle chose qui e8iste r$ellement par quelque chose qui n'e8iste pas ? 6(("
::9" Les droits du romancier se trouvent donc revendiqu$s avant m>me la premi@re phrase du
roman" ; La 1este ? incarne donc une all$%orie, elle dit une fable, elle montre une parabole, elle
est une m$taphore U ensuite, comprenne qui pourra"
Lisons la d$finition de l'alléorie dans Les $iures du discours de Fontanier & ; ,lle
consiste dans une proposition A double sens, A sens litt$ral et A sens spirituel tout ensemble, par
laquelle on pr$sente une pens$e sous l'ima%e d'une autre pens$e, propre A la rendre plus sensible
et plus frappante que si elle $tait pr$sent$e directement et sans aucune esp@ce de voile" ? Ce
roman de Camus est, au moins, A double sens & la peste r$elle, autrement dit l'$pid$mie bien
connue, bien sSr, mais $%alement la peste symbolique que l'auteur ne d$finit pas avec pr$cision
afin de laisser la porte ouverte au8 sens"
Le fascisme Q Le totalitarisme Q La dictature Q Le franquisme Q Le national5socialisme Q
Oui" Le r$%ime de Eichy, le mar$chalisme, l'Ftat franVais, la 7$volution nationale Q Oui, aussi"
Mais tout aussi bien le mar8isme5l$ninisme, le sovi$tisme, la r$volution qui veut le san%, le
r$%ime qui s'appuie sur la %uillotine et 'ustifie la mort d'un homme et fonde la politique de la
terreur" Ou bien encore & toute politique pass$e et toute politique future qui se nourrit de la
pulsion de mort" On pourrait en effet $tablir un si%ne d'$quivalence entre la peste et la pulsion de
mort U non pas au sens freudien, biolo%ique, somatique, fatal, mais au sens $tholo%ique"
#e la m>me mani@re que Caliula montre la pulsion de mort A l'Buvre cheO un homme de
pouvoir qu'aucune pulsion de vie ne retient, ne contient, ne limite, La Peste raconte les rava%es
de cette m>me pulsion sur le terrain non plus de l'individu, mais de la communaut$" La pi@ce de
th$Ttre racontait la pulsion de mort dans l'Tme noire d'un homme f>l$, cass$, bris$ qui f>lait,
cassait, brisait le monde J le roman, pour sa part, rapporte l'odyss$e de cette m>me force n$%atrice
dans le cBur d'une communaut$ U en l'occurrence un Oran de fiction"
Camus recourt donc A la raison all$%orique" Gn pari risqu$ avec les lecteurs sans
ima%ination ontolo%ique U du %enre *arthes ou )artre" #e la m>me mani@re que La Fontaine
utilise cette m>me raison all$%orique 6ou bien encore OrZell dans La $erme des animau*, un
livre qui paraWt dans sa traduction franVaise la m>me ann$e que le roman de Camus9, le
philosophe d$construit le fascisme sans souci de savoir s'il est brun ou rou%e, s'il s$vit au nom de
la 7ace ou du 1rol$tariat, s'il sert #ieu ou le #iable" Au contraire des partisans ayant renonc$ A
leur intelli%ence et A leur esprit critique, Camus n'a pas l'indi%nation s$lective" La radicalit$ de sa
d$nonciation est simple, elle s'enracine dans la parole d'un p@re absent, mais pr$sent par ses
leVons"
)ouvenons5nous en effet que, devant les cadavres mutil$s, d$capit$s, $mascul$s de ses
compa%nons d'infortune, leurs se8es rentr$s dans leurs bouches, le p@re du philosophe requis pour
une %uerre coloniale au Maroc avait dit au soldat avec lequel il partait pour assurer la rel@ve de
ses camarades $quarris & ; Gn homme, Va s'emp>che ?" La Peste est le roman de ceu8 qui ne
s'emp>chent pas U autrement dit, le roman de ceu8 qui ne sont pas des hommes parce qu'ils tuent
d'autres hommes U des hommes compa%nons des rats, sinon des rats eu85m>mes"
Pu'est5ce qu'un pamphlet Q
#ans ses Carnets, Camus $crit ; La Peste est un pamphlet ? 6((" !0.9" All$%orie et
pamphlet Q 1ourquoi le mot ; pamphlet ? apparaWt5il en italiques dans le te8te Q Pue faut5il
entendre par ce mot et comment comprendre cet artifice typo%raphique Q #emandons ses
lumi@res au #ictionnaire de la lanue 9ran0aise & au sens vieilli, le pamphlet est une
; brochure ?" Certes, le roman n'atteint pas le format de 4uerre et pai* ou d'Anna Varénine, pour
autant, il n'a rien d'un fascicule, d'un opuscule" Gn deu8i@me sens associe le mot A cela & ; 1etit
livre, court $crit satirique, qui attaque avec violence le pouvoir $tabli, les institutions, un
personna%e connu ?" )uit cette s$rie de mots & ; #iatribe, factum, libelle, satire ?" L'$tymolo%ie
proc@de de l'an%lais qui si%nifie ; brochure sur un su'et d'actualit$ ?"
La bri@vet$ ne saurait >tre retenue" La satire ne semble pas non plus $vidente & de qui se
moque5t5on dans ce roman Q Ou de quoi Q Aucune fi%ure av$r$e, r$elle ou symbolique, fictive ou
reconnaissable tel un personna%e historique, n'est identifiable & pas de dictateur pour critiquer la
dictature, par de tyran pour sti%matiser la tyrannie" Caliula offrait le portrait d'une peste sans
su'ets U 'uste un tyran et une cour de s$nateurs pitoyables J La Peste est le r$cit d'un c$sarisme
sans C$sar U 'uste un pr$fet minable et une administration invisible"
On ne voit donc pas d'attaque des institutions & rien contre l'Ftat, la r$publique ou un
r$%ime clairement identifi$ et tout aussi nettement d$nonc$, rien contre un chef d'Ftat
reconnaissable, aucune allusion A un homme ressemblant A Mussolini, Franco, 1$tain ou )taline"
1as plus on ne voit de violence dans ce roman & une description chirur%icale, sans pathos, une
analyse froide, une chronique, une leVon d'anatomie calme et pos$e d'un mal qui arrive, tue, se
stabilise, s'$loi%ne, disparaWt, mais menace encore"
+i la bri@vet$, ni la violence, ni l'attaque habituellement associ$s au pamphlet ne
caract$risent ce roman U L'.traner comporte soi8ante5douOe pa%es dans l'$dition de la 1l$iade,
La Peste, cent treiOe J la violence n'est nulle part & la mort rXde, emporte en silence, tue sans un
mot, op@re un %$nocide mutique, les rats se faufilent, puis deviennent invisibles J en dehors des
tirs diri%$s contre les fuyards d$sireu8 de quitter la ville, personne ne tue personne, il n'y a pas un
crime, pas un assassinat, pas une %uillotine, pas un peloton d'e8$cution, 'uste des tas de cadavres
et des fosses communes dans lesquelles les corps p$tillent presque sans bruit sous la chau8 vive
ou se d$mat$rialisent en fum$es dans les cr$matoires" Le narrateur ne vocif@re pas, ne crie pas, ne
se met pas en col@re, pas plus qu'un autre personna%e du roman" L'all$%orie n'a pas besoin de
bruit"
Alors qu'est5ce que ce pamphlet all$%orique U ou cette all$%orie pamphl$taire Q Gn
portrait du mal, non pas avec une ma'uscule, comme en font les professionnels de la philosophie
confits en d$votion platonicienne, mais selon les lo%iques du philosophe5artiste qui sc$no%raphie
une fiction pour mieu8 cerner la v$rit$ de la r$alit$, voire la r$alit$ de la v$rit$" Le Mal n'e8iste
pas en soi, dans l'absolu, mais relativement, il se trouve partout, en chacun de nous, personne n'y
$chappe"
Le roman montre un pr/tre proclamant en chaire que la peste est une punition divine" (l
invite A prier pour se d$barrasser du mal, puis $volue vers la r$sistance au mal par un en%a%ement
concret" (l passe donc de la r$si%nation fataliste appuy$e sur la croyance dans une providence
divine A la possibilit$ de contrarier, donc de contredire, le dessein de #ieu" 1assant $%alement
d'un bord l'autre, un journaliste qui voulait A tout pri8 quitter la Oone pestif$r$e finira, une fois le
'our et l'heure du passa%e confirm$s par des trafiquants et autres acteurs du march$ noir, par
rester avec les victimes de l'$pid$mie" 1reuve que ces deu8 repr$sentants d'une cat$%orie
professionnelle n'ayant pas les faveurs de Camus pouvaient aussi vouloir lutter contre le mal,
autrement dit & faire 6le9 bien, et avoir pu passer de l'un A l'autre"
Cette all$%orie qui ne montre 'amais le Mal 6comme le ferait un philosophe au sens
classique du terme9 mais les effets du mal 6comme le fait l'artiste9 est un pamphlet parce qu'elle
affirme violemment une ontolo%ie noire & les hommes portent la n$%ativit$ en eu8" (l e8iste au
creu8 de l'Tme de chacun une force qui vise la mort et veut la destruction, elle aspire au san%
vers$, elle esp@re le cadavre" 1our Camus, l'homme est le mammif@re qui conduit son semblable A
la %uillotine U l'$ner%ie mauvaise d$sireuse de ce %este homicide, voilA la peste"
7$%ime liberticide et id$al libertaire
Camus $crit contre tout r$%ime politique liberticide 6on pourrait aussi $crire & il $crit
contre tout r$%ime ontolo%ique liberticide9 au nom d'un id$al libertaire" (l pense en termes
$tholo%iques & il e8iste en l'homme de quoi d$faire l'homme, une capacit$ A soumettre autrui,
comme dans la nature le mTle dominant aspire A poss$der, dominer, contraindre, assu'ettir"
Cali%ula laisse faire sa nature obscure, la peste est l'$tat dans lequel se trouve une soci$t$ quand
elle laisse faire une pareille nature"
Mais il y a $%alement dans l'homme de quoi sauver l'homme, une part lumineuse" )i les
darZiniens de droite, +ia )pencer, insistent sur la lutte pour la vie qui s$lectionne les plus
adapt$s, les darZiniens de %auche, +ia RropotKine, pointent un tropisme naturel positif,
constructeur, par lequel l'adaptation s'effectue $%alement" Cette force positive se manifeste dans
l'association, la solidarit$, le secours au8 moins adapt$s" #arZinisme de droite et darZinisme de
%auche, le lib$ral )pencer et le libertaire RropotKine, pulsion de mort et pulsion de vie, Cali%ula
et Cherea, Cottard et 7ieu8, la Collaboration et la 7$sistance, Litler et <ean Moulin, l'envers et
l'endroit, l'e8il et le royaume, Cipasa et 1aris, l',urope 'ud$o5chr$tienne et l'Al%$rie
m$diterran$enne, les r$%imes liberticides et l'id$al libertaire, Camus connaWt le perp$tuel
mouvement de balancier entre ces deu8 pXles ma%n$tiques"
)a philosophie Q #ire non au pXle n$%atif et oui au pXle positif" +e pas souscrire au8
th@ses du lib$ral )pencer, mais A celles que d$veloppe RropotKine, le 1rince anarchiste russe,
dans L'1ntraide" 1ass$ la mer M$diterran$e, le nietOsch$isme de Camus se fait plus personnel &
un %rand ; oui ? A tout supposerait $%alement un %rand oui A la peste" Or on ne peut consentir A
ce fl$au ontolo%ique" #@s lors, il faut dire non" La Peste est le roman de ceu8 qui disent oui, de
ceu8 qui disent non, puis de ceu8 qui h$sitent, ou de ceu8 qui choisissent de ne pas choisir, ou
bien encore de ceu8 qui disaient oui et finiront par dire non" Y chacun de trouver ensuite le fil
d'Ariane du labyrinthe de son >tre"
Le r$%ime liberticide tue l'amour, l'amiti$, la discussion, l'$chan%e, il interdit l'avenir et les
d$placements" Avec lui, on n'aime plus, on ne parle plus, on ne discute plus, on n'esp@re plus, on
ne bou%e plus" La mort rXde partout, elle peut emporter en silence quiconque se croit $ternel" La
vie n'a plus les pleins pouvoirs" Oran, c'est l'anti5Cipasa, La Peste, le contraire de 2oces, mais
comme le recto constitue l'in$vitable contraire du verso d'une m>me feuille"
; Chacun la porte en soi, la peste ?
Camus $crit & ; Chacun la porte en soi, la peste ? 6((" 2-9" Ce roman propose donc une
ontolo%ie tou'ours selon la m$thode d'une ph$nom$nolo%ie non philosophique activ$e dans ses
pr$c$dents ouvra%es" *arthes se trompe en faisant du livre un ob'et qui $choue parce que centr$
sur la morale et non sur la m$taphysique D C'est tout A fait le contraire & cheO Camus, il y a
d'a&ord une m$taphysique, ensuite une morale" ,t c'est m>me d'ailleurs parce qu'il e8iste une
m$taphysique que sur%it une $thique"
1r$cisons toutefois que le mot ; m$taphysique ? semble inappropri$ pour Camus qui n'a
'amais pens$, selon les raisons $tymolo%iques, qu'il y aurait une physique, autrement dit un
monde, et un au5delA de la physique, en d'autres termes & un arri@re5monde" 1our l'auteur de
2oces ( %ipasa, un seul monde e8iste, le nXtre, dont il se propose de rapporter l'>tre et ses
modalit$s" EoilA pourquoi, au lieu de ; m$taphysique ?, 'e pr$f@re ; ontolo%ie ? & l'ontolo%ie
nomme la m$taphysique du mat$rialiste moniste"
La Peste est donc un trait$ d'ontolo%ie ph$nom$nolo%ique non philosophique" 1our
Camus, le roman, on le sait, permet un discours philosophique & ; On ne pense que par ima%e" )i
tu veu8 >tre philosophe, $cris des romans ? 6((" /9" Le roman est donc l'occasion de penser avec
des ima%es, mais aussi avec des fictions, des personna%es, des situations" )ouvenons5nous de la
th$orie du roman telle qu'elle apparaWt dans le compte rendu de La 2ausée de )artre & r$aliser la
fusion de l'e8p$rience et de la pens$e, de la vie et de la r$fle8ion sur sa si%nification, concilier la
th$orie et la fiction, le tout dans un dosa%e $quilibr$"
#ans le roman, Camus ne veut pas la philosophie pure et dure, abstraite, conceptuelle,
apollinienne, mais l'efflorescence dionysiaque" 1as question de proc$der A la faVon d'un lourd
trait$ de m$taphysique, avec la rh$torique des professionnels format$s par l'Gniversit$ ou les
%randes $coles qui c$l@brent la forme au d$triment du fond" Le roman permet de susciter,
solliciter le lecteur, il su%%@re, $veille" Puand il commence A r$fl$chir A son pro'et d'$criture
romanesque, Camus $crit dans ses Carnets & ; La v$ritable Buvre d'art est celle qui dit moins ?
6((" /029" La lecture des trait$s d'ontolo%ie du MM
e
si@cle nous apprend qu'A l'inverse ils disent
plus et dans des volumes consid$rables" On peut comprendre qu'A cette aune La Peste dise moins
et soit un te8te bref" Mais dans le cas de ce roman, dire moins c'est dire mieu8"
Cette ontolo%ie dite par le roman est politique" )i la peste %Wt en nous, la politique devient
affaire de nature humaine, de psycholo%ie, d'anthropolo%ie et non d'$conomie, d'histoire ou des
disciplines qui arrivent apr@s, lon%temps apr@s" )i le mal e8iste, il n'est pas le produit de
circonstances e8t$rieures sur lesquelles on pourrait a%ir pour les supprimer, comme le pensent les
mar8istes" ,n rousseauiste convaincu, Mar8 croit en effet que la nature est bonne et que la soci$t$
capitaliste a ali$n$ les hommes" 1our en finir avec cette ali$nation, une r$volution $conomique
supprimera la propri$t$ priv$e des moyens de production et r$alisera l'appropriation collective
des machines, des usines, des outils du travail" Alors, comme par miracle dialectique, le mal
disparaWtra et le paradis se r$alisera sur terre" Au nom de cette vision simpliste de l'Listoire qui
fait l'impasse sur l'ontolo%ie, le MM
e
si@cle se couvre de cadavres"
Camus n'est ni optimiste comme les r$volutionnaires ni pessimiste A la faVon des contre5
r$volutionnaires, il n'est disciple ni de Rarl Mar8 ni de <oseph de Maistre, il est tra%ique &
autrement dit il ne voit pas le r$el mieu8 ou pire que ce qu'il est, mais tel qu'il est" La peste se
trouve en chacun de nous, dit5il & le mar8iste refuse cette th@se et croit qu'elle s'enracine dans
l'or%anisation de la soci$t$, elle est donc conséquence et non cause J le contre5r$volutionnaire
souscrit A son caract@re secondaire, mais il la pense issue du p$ch$ ori%inel et ind$racinable" #@s
lors, le contre5r$volutionnaire fait de l'Ftat la machine s$v@re et n$cessaire qui punit l'homme
p$cheur" Camus pense la peste comme une partie de l'>tre de l'homme, de la m>me mani@re
qu'e8iste en lui une partie capable de lutter contre elle"
Au contraire de Mar8, Camus choisit la lucidité sur la peste & elle n'est pas le produit d'un
capitalisme en d$composition J contre de Maistre, il active une radicale +olonté d'en emp/cher
l'e*pansion S elle n'est pas l'autre nom du mal radical? Oppos$ au8 doctrines $conomistes et
th$olo%iques, il aura donc comme adversaires la %auche communiste et la droite dans sa totalit$"
Cette anthropolo%ie anarchiste prend A rebours l'optimisme de l'ontolo%ie mar8iste et le
pessimisme de la m$taphysique chr$tienne au profit du tra%ique de l'ontolo%ie libertaire" EoilA
pourquoi La Peste est un pamphlet A sa mani@re U un contre Mar8 qui $nerve les mar8istes, <ean5
1aul )artre le premier, un contre de Maistre qui froisse les chr$tiens, Iabriel Marcel en t>te de
pont" On comprend qu'avec ce livre, Camus entre en effet dans une lon%ue solitude"
Gn pamphlet politique
,n plus d'>tre un pamphlet ontolo%ique, La Peste est $%alement un pamphlet politique"
L'all$%orie antinaOie est visible dans la totalit$ du roman et, au5delA, l'all$%orie antifasciste se
d$duit d'un court passa%e oN la peste se trouve associ$e A un ancien militant communiste qui se
souvient d'avoir cri$ avec les loups mar8istes5l$ninistes" )i chacun porte la peste en lui, elle
pouvait >tre hier brune ou rou%e, elle peut >tre verte aussi au'ourd'hui ou d'une autre couleur
demain" Le bacille est ontolo%ique, ses rava%es politiques"
Camus ne communie pas dans les optimismes politiques de %rande enver%ure & il pr$f@re
une politique modeste, r$elle et concr@te, efficace et pratique, A une politique arro%ante, id$ale,
plan$taire et mortif@re" On lui a souvent reproch$ le manque d'$clat et d'enver%ure de ses
solutions, mais son pra%matisme n'a que faire d'effets de manche th$oriques et conceptuels" (l ne
croit pas A l'Lomme nouveau souhait$ dans un m>me temps par Mar8 et L$nine, Mussolini et
Litler" (l ne croit pas A l'Lomme total des mar8istes, au 7eich aryen des naOis, A la 7$volution
nationale mar$chaliste, mais A un homme qui s'emp/che pour le dire dans les mots de son p@re &
autrement dit, A l'individu qui fait taire la b>te en lui" Certes, cette proposition modeste lutte
difficilement contre les envol$es lyriques abstraites des adversaires de Camus, mais il vaut mieu8
une modestie qui dit non A la pulsion de mort ici et maintenant qu'A une suffisance qui lui d$roule
le tapis rou%e en attendant que l'Listoire lui donne raison demain U alors que d$'A au'ourd'hui elle
lui donne tort"
La Peste formule un br$viaire d'ath$isme politique & sur ce terrain5lA, Camus n'est pas
croyant, il ne sacrifie A aucune divinit$ U le 1euple, le 1rol$tariat, l'Aryen, la 7ace, le *on
FranVais" IrTce A <ean Irenier et Louis Iuillou8, il connaWt les livres du philosophe Ieor%es
1alante puisqu'il le cite dans une note de L''omme ré+olté 6(((" :/9" Ce nietOsch$en de %auche
parle d'; ath$isme social ? dans Les Antinomies entre l'indi+idu et la société 62/-9 pour e8primer
son impi$t$ sociolo%ique et politique et son incroyance dans les idoles politiques du moment"
Camus s'inscrit dans ce li%na%e en $vitant le double $cueil optimiste et pessimiste" (l souscrit
donc A l'invite libertaire & ni dieu ni maWtre U ni dieu8 ni maWtres" 1as de lendemains qui chantent,
pas de n$%atif au'ourd'hui pour un positif demain, pas de peste dans l'instant pour une
hypoth$tique sant$ A venir"
La leVon politique camusienne est modeste mais e8i%eante, efficace et responsabilisante"
,lle refuse les lendemains qui chantent et veut l'au'ourd'hui radieu8 par l'e8ercice d'une volont$
d$termin$e" ,lle e8i%e le possible ici5bas et ne communie pas dans l'impossible au5delA d'une
Listoire achev$e apr@s5demain" )a solution fait son%er A celle d'Ftienne de La *o$tie, souvent
pr$sent$ dans les histoires de l'anarchisme comme un pr$curseur au8 cXt$s du #io%@ne qui r$cuse
Ale8andre avec son ; Xte5toi de mon soleil ? ou du 7abelais de l'abbaye de Ch$l@me ensei%nant
; Fay ce que vouldras ?"
Pue dit La *o$tie Q Le pouvoir n'est pas en dehors de soi mais en soi puisque seul notre
consentement le cr$e, le fonde, le l$%itime, l'entretient et lui donne sa force" Autrement dit & la
peste est en nous, il convient de ne pas la laisser se r$pandre" Puestion de vouloir" La pens$e
centrale du #iscours de la ser+itude +olontaire constitue un pro%ramme politique ma'eur, c'est
celui de Camus & ; )oyeO r$solus de ne plus servir, et vous voilA libres" ? ,n d'autres termes &
; 7$cuseO la peste en vous, et vous voilA immunis$s" ? Ou bien encore & ; Le fascisme ne vient
pas de l'e8t$rieur, il est une construction des hommes J il ne descend pas du ciel, il monte de la
terre" +e le vouleO pas, il ne sera pas" ?
Le fascisme transcendantal
#ans La Peste, le d$roulement de la fiction co]ncide avec celui de l'Listoire concr@te"
Eoici le sch$ma conceptuel & pr$mices et av@nement de la catastrophe, e8ercice de la n$%ativit$,
n$%ation de la n$%ation, effacement de la catastrophe, disparition du p$ril U du moins, p$ril en
veilleuse puisque susceptible de r$activations" Ce qui donne sur le terrain romanesque &
d$couverte de rats morts A cause de la peste, d$claration officielle du fl$au, rava%es de l'$pid$mie,
e8pansion pand$mique, atteinte d'un seuil ma8imal, d$clin de la maladie, recouvrement de la
sant$, fin de la peste U m>me si le bacille veille" Le sch$ma conceptuel et le d$roulement
romanesque co]ncident avec le d$veloppement historique de la )econde Iuerre mondiale &
mont$e des p$rils, installation des fascismes, e8ercice de la brutalit$ 6%uerres, massacres, tortures,
pers$cutions, e8terminations9, chute des dictateurs, $croulement des r$%imes, lib$ration,
$puration U risque de reprises"
#ans la lo%ique de l'Ftat franVais, de Eichy, du mar$chal 1$tain, la %rille est plus pr$cise
encore & d$claration de la %uerre, invasion de la troupe allemande 'usqu'A 1aris, e8ode,
occupation, collaboration, r$sistance, lib$ration, $puration" Camus a connu ces moments
historiques comme acteur et spectateur" (l puise le mat$riau de son roman dans sa vie A cette
$poque et la transfi%ure par la cr$ation artistique, la production romanesque" Mais les
mouvements internes du roman restent induits par les secousses de l'Listoire"
La Peste raconte donc les modalit$s transcendantales du fascisme" Ainsi, l':ccupation &
boucla%e de la ville J interdiction de sortie J r$duction des communications J limitation du
ravitaillement J rationnement de l'essence J $conomie d'$lectricit$ J diminution de la circulation
des voitures J au%mentation des pi$tons dans les rues J ralentissement de l'activit$ $conomique J
fermeture des ma%asins de lu8e J annonce de p$nuries alimentaires dans les $piceries J files
d'attente sur les trottoirs J accumulation de stocKs cheO certains commerVants J apparition du
march$ noir J au%mentation des pri8 J imposition du couvre5feu J d$couverte de la faim en ville J
abondance de victuailles en campa%ne J circulation de patrouilles J s$paration des familles entre
Oone libre et Oone occup$e J p$nurie de caf$ J manque de papier pour imprimer les 'ournau8 J
$mission de messa%es radios venus de l'$tran%er J d$claration de ; l'Ftat de si@%e ? 6((" !349 J
construction de camps d'internement avec des toiles de tente dans un stade J sentinelles, murs,
haut5parleurs J or%anisation de fili@res pour franchir une Oone de d$marcation J tirs sur ceu8 qui
cherchent A la franchir"
Autre moment constitutif du fascisme transcendantal & la Colla&oration" Camus met en
sc@ne la collusion entre le r$%ime et le cler%$" On sait qu'en France l'F%lise catholique,
apostolique et romaine a fait bon m$na%e avec le r$%ime antis$mite et anticommuniste de Eichy"
L'$piscopat soutenait le Mar$chal qui mit en place la politique de collaboration avec le r$%ime
national5socialiste" #e son cXt$, le Eatican a d$cr$t$ l'e8communication de tout communiste quel
qu'il soit et n'a 'amais r$serv$ le m>me sort au8 naOis" Le pape a mis les livres de )artre et
*eauvoir A l'(nde8, il n'a 'amais fait de m>me avec "ein Vamp9 d'Adolf Litler" L'Ftat du Eatican
a fourni des passeports diplomatiques au8 criminels de %uerre naOis afin de leur permettre de
quitter l',urope pour $chapper A un proc@s" +ombre d'anciens naOis ont pu alors $mi%rer dans des
pays oN ils ont coul$ des 'ours tranquilles 'usqu'A leurs morts tardives" ,n ,urope, les monast@res
servaient de caches et de relais lors des e8filtrations" L'F%lise catholique s'est pareillement
compromise avec l'(talie mussolinienne et l',spa%ne franquiste"
7ien d'$tonnant A tout cela, car l'ontolo%ie chr$tienne l$%itime ce compa%nonna%e & la
croyance A la 1rovidence, au p$ch$ ori%inel, A la r$demption par le repentir et la p$nitence
permettent une lecture particuli@re de la peste & elle est volont$ divine, dessein de #ieu, messa%e
en direction des hommes pour les convaincre qu'ils sont punis de n'avoir pas $t$ asseO chr$tiens,
d'avoir pr$f$r$ la 'ouissance et le corps, le plaisir et le bon temps A la morale asc$tique de cette
reli%ion" 1our un chr$tien, la peste a pour cause l'impi$t$ des hommes J elle se combat par la
pri@re et le retour A la foi" EoilA la th@se de 1anelou8, le cur$ de La Peste qui tonne et ra%e contre
ses ouailles dans un pr>che qui effectue des variations sur cette id$olo%ie" C'est celle du Mar$chal
dans nombre de ses discours"
Cette collaboration ontolo%ique se double d'une collaboration triviale & celle d'hommes
qui trouvent dans l'association avec les occupants une e8cellente occasion de prendre leur
revanche et d'e8ercer leur ressentiment sans retenue" Les humili$s peuvent A leur tour humilier"
Ainsi, Camus brosse le portrait de Cottard, un petit rentier impliqu$ dans le march$ noir qui
or%anise les passa%es en dehors de la Oone contamin$e" Ce rat$ qui $choua m>me A se suicider
6; ,ntreO, 'e suis pendu ? 6((" 409, avait5il $crit sur sa porte9 avait des choses A se reprocher U on
ne saura 'amais lesquelles, on apprend 'uste qu'elles auraient int$ress$ la police" Ce moins que
rien avant le fl$au devient beaucoup %rTce A lui" #'oN cette repartie & ; <e m'y trouve bien, moi,
dans la peste, et 'e ne vois pas pourquoi 'e me m>lerais de la faire cesser ? 6((" !4:9" Y la
Lib$ration, il s'enfermera cheO lui, ne sortira que la nuit" 1uis il se retranchera dans son
appartement, tirera sur la foule, blessera un %endarme, tuera un chien, avant de se faire cueillir
par la police" Gn a%ent en profitera pour le bourrer de coups"
Puid de la mort d'un enfant Q
Occupation, collaboration, mais aussi résistance" La r$sistance permet A Camus de ne plus
suivre +ietOsche dans son invitation A dire un %rand ; oui ? A la vie" Le nietOsch$isme int$%ral de
2oces n'est plus d$fendable dans la confi%uration de La Peste & dire oui A la peste Q Aimer la
peste Q Eouloir la peste Q <ouir de la peste Q #e la m>me mani@re que la col@re contre l'aumXnier
dans L'.traner permet A Meursault d'acc$der A la 'ubilation simple d'>tre au monde, donc de
r$v$ler son nietOsch$isme, la r$bellion contre le pr>che de 1anelou8 permet A 7ieu8 de n'>tre pas
nietOsch$en U et de dire non, un %rand ; non ? A ce qui, dans la vie, est la mort"
1arado8alement, le nietOsch$en dans ce roman, c'est le cur$ qui ensei%ne au8 fid@les
venus l'$couter dans son $%lise que #ieu a d$cr$t$ la peste en %$n$ral et son d$tail en particulier &
il a voulu les rats pestif$r$s, la contamination, la maladie, les souffrances, les a%onies, les
cadavres, leur d$composition, leur puanteur" #ire non A la peste, c'est dire non A la volont$ de
#ieu, d@s lors, c'est se rebeller, se faire semblable au diable, un an%e d$chu pour avoir d$sob$i,
c'est $%aler Lucifer" #ans cette confi%uration spirituelle, #ieu a voulu aussi la mort d'un enfant U
1hilippe, le fils du 'u%e Othon"
ON et quand 1anelou8 pense5t5il en nietOsch$en Q #evant le corps de l'enfant mort"
L'infection, les bubons, les convulsions, les articulations bloqu$es, le visa%e d$compos$, les
%$missements, l'odeur de la sueur, l'aveu%lement et le mutisme, les frissons, les tremblements, la
fi@vre, les hal@tements, les larmes, les paupi@res enflamm$es, les 'ambes crisp$es,
l'amai%rissement en quelques 'ours, un effroyable cri qui entraWne celui de tous les malades dans
la salle, l'a%onie de cet enfant est terrible"
<uste apr@s sa mort, le docteur 7ieu8 quitte la chambre" Le pr>tre l'arr>te" 7ieu8 se fTche
et se r$volte face A la mort d'un innocent" (l dit ; non ? J le cur$ dit ; oui ? A l'$v$nement et le
'ustifie de la sorte & ; 1eut5>tre devons5nous aimer ce que nous ne pouvons pas comprendre ?
6((" !/49" 1ropos d'un surhomme qui ensei%ne l'amor 9ati D Y cela, 7ieu8 dit ; non ?" +on et non,
trois fois non" (mpossible, ici, d'>tre nietOsch$en" La mort et le mal, on ne saurait les aimer U il
faut les combattre"
#@s lors, Camus sera nietOsch$en autrement U en l'occurrence dans son refus de toute
t$l$olo%ie en mati@re de philosophie de l'histoire, dans son antih$%$lianisme, dans sa
consid$ration que le mod@le th$olo%ique fait tou'ours la loi en mati@re de politique, dans son
refus de l'historicisme, dans son invitation A mettre l'histoire au service de la vie, et autres leVons
de la deu8i@me Considération intempesti+e de +ietOsche intitul$e #e l'utilité et des incon+énients
de l'histoire pour la +ie"
Aimer et b$nir la cr$ation parce qu'elle est l'Buvre de #ieu et que ne pas l'aimer ce serait
insulter son Cr$ateur Q Eouloir ce qui est parce que ce qui est proc@de d'un dessein divin et qu'on
ne saurait s'y opposer sans p$cher Q Consentir A la mort d'un enfant innocent parce que la
1rovidence l'a voulue Q Faire de l'a%onie du petit %arVon un pro'et divin ayant ses raisons dans
l'ordre th$olo%ique Q 7envoyer la faute sur l'homme coupable du p$ch$ ori%inel pour d$fausser
#ieu qui n'aurait pas voulu ce que l'homme a choisi Q (mpossible de souscrire A pareille
ontolo%ie" La mort d'un enfant repr$sente le scandale absolu, on ne peut ni vouloir ni aimer un tel
$v$nement" 7ieu8 dit & ; <e refuserai 'usqu'A la mort d'aimer cette cr$ation oN des enfants sont
tortur$s ? 6((" !/49" Ce refus, c'est celui de L''omme ré+olté J et l'homme r$volt$, c'est le
r$sistant"
Le docteur 7ieu8 incarne l'anticur$ 1anelou8" Autrement dit & l'homme de raison en
antipode A l'homme de foi, le philosophe en antith@se du croyant" Camus fait co]ncider la mort du
pr>tre avec le palier de la peste, le moment A partir duquel elle d$croWt avant de disparaWtre" Faut5il
y voir un si%ne nietOsch$en Q Le pr>tre a $volu$ & le '$suite interpr$tant la peste comme une
punition divine voulue par la 1rovidence est devenu r$sistant" Lui qui croyait au8 pri@res et au8
actions de %rTces pour infl$chir la volont$ divine souscrit d$sormais au8 th@ses du m$decin" Le
d$fenseur de l'amour de ce qui est se met A lutter contre ce qui est" Cet homme qui 'ustifiait
th$olo%iquement la peste l$%itime philosophiquement que l'on doive tout de m>me lutter contre
elle"
Le '$suite qui travaillait sur Au%ustin et ses rapports avec l'F%lise africaine 6su'et du
travail universitaire de Camus9 tranche en faveur de sa con%r$%ation contre l'au%ustinisme & les
'$suites croient en effet au discernement, A l'usa%e de la raison et A l'e8istence du libre arbitre J les
au%ustiniens, au p$ch$ ori%inel, au mal radical, A la %rTce accord$e par #ieu, A la pr$destination"
Le pr>che d$livr$ dans la cath$drale d'Oran s'effectuait sous le si%ne de saint Au%ustin J
l'en%a%ement dans la 7$sistance, sous celui d'(%nace de Loyola"
Ce chan%ement ontolo%ique permet A Camus de d$fendre l'id$e qu'il n'e8iste pas des
; L$ros ? et des ; )alauds ? embl$matiques, autrement dit des individus qui incarneraient
absolument ces (d$es de la raison pure, mais des personnes travaill$es par l'h$ro]sme et la vilenie,
chacune pouvant passer d'un $tat A l'autre sans qu'on ait A 'u%er leurs volte5face e8istentielles"
Collaborateur ontolo%ique hier avec sa th$orie de l'$pid$mie comme volont$ de #ieu, r$sistant
pra%matique au'ourd'hui dans son en%a%ement aupr@s des >tres qui sauvent concr@tement les
corps, le pr>tre a effectu$ un tra'et qui l'honore selon l'$thique de Camus" Mais il aurait men$ le
chemin inverse que le philosophe ne l'aurait pas pour autant condamn$"
Le cur$ meurt, mais on ne sait pas v$ritablement s'il s'a%it de la peste" )ur le formulaire
administratif, le docteur 7ieu8 $crit & ; Cas douteu8 ? 6((" !-!9 U avec toute l'ambi%u]t$ possible
associ$e A cette e8pression" Cette mort ressemble au sacrifice d'un bouc $missaire & avec sa mort
christique, la peste se calme et finit par disparaWtre" )'a%it5il d'une faVon subtile pour Camus de
dire que le christianisme v$ritable, sinc@re, d$fendable, authentique, ne saurait >tre 'ustification
th$olo%ique du r$el mais r$volte contre le mal Q <$sus crucifi$ pour racheter les p$ch$s du monde
contre l'F%lise unique comme machine A l$%itimer le n$%atif sous pr$te8te de faute adamique Q Le
corps du Christ souffrant et supplici$ contre le Eatican pourvoyeur de bSchers, d'inquisitions, de
%uerre de reli%ion, de souffrances e8istentielles, de culpabilit$ Q Gn Christ r$sistant contre un
Eatican collaborateur Q 1ourquoi pas"
Pu'est5ce qu'un r$sistant Q
Pu'est5ce qui caract$rise le r$sistant dans La Peste Q On entre dans les ; formations
sanitaires ? 6((" !249 secr@tes, discr@tes, par cooptation" ,n faire partie est dan%ereu8 & on peut y
trouver la mort" Ces formations s'a%encent en r$seau8" Le mot d'ordre Q ; Combattre la peste ?
6((" !239" Le narrateur insiste pour que ces r$sistants ne soient pas consid$r$s comme des h$ros"
,8hiber les belles actions est une mauvaise chose & si on les pr$sente comme rares, on n'affirme
que le caract@re trivial et courant du mal" 1arado8alement, en parlant de vertu h$ro]que, on rend
un homma%e au vice, car la raret$ vertueuse t$moi%ne d'un vice r$pandu" L'$tonnant n'est pas
qu'on ait pu r$sister mais qu'on ait pu ne pas r$sister" La peste $tant l'affaire de tous, il fallait
combattre pour $viter de vivre A %enou8" 7ien d'autre n'$tait pensable ou possible"
Le roman parle d'un s$rum contre la peste fabriqu$ avec les souches microbiennes
autochtones" On peut son%er que Camus distin%ue Eichy de *erlin, 1$tain de Litler, le fascisme
franVais du national5socialisme allemand quand il $crit & ; Gn s$rum fabriqu$ avec les cultures du
microbe m>me qui infestait la ville aurait une efficacit$ plus directe que les s$rums venus de
l'e8t$rieur, puisque le microbe diff$rait l$%@rement du bacille de la peste, tel qu'il $tait
classiquement d$fini ? 6((" !239" #'oN l'e8cellence du recrutement int$rieur de la r$sistance, plus
efficace pour lutter sur place contre le mal" On son%e A Londres et A Lyon, deu8 hauts lieu8 de la
7$sistance franVaise" #ans le roman, une voi8 venue de l'$tran%er parvient dans la ville pestif$r$e
par la radio" Certes, c'est une aide, mais il faut aussi, et surtout, des %ens sur place pour s'occuper
de l'intendance et du terrain" Le travail s'effectue dans l'ombre & constitution de r$seau8, rep$ra%e
de lieu8, convoya%es, transports, information, r$daction d'or%ani%rammes, de fiches et de
statistiques de cette arm$e secr@te" #es secours arrivent par air et par route"
La r$sistance transcendantale nomme le refus de consentir A la pulsion de mort" La peste
en nous pousse ses m$tastases & y consentir, c'est collaborer J les combattre, c'est r$sister" (l n'y a
ni honneur, ni %randeur, ni h$ro]sme A r$sister, 'uste de l'humanit$" Gne fois de plus, il faut
entendre la leVon donn$e par le p@re de Camus & ; un homme, Va s'emp>che ?, alors il n'est
d'homme que dans l'emp>chement A la n$%ativit$, dans le refus de la pulsion de mort $tholo%ique,
dans le combat contre la peste" Le collaborateur n'est pas un sous5homme J le r$sistant n'est pas
non plus un surhomme U 'uste un homme" C'est peu, mais c'est tant, c'est beaucoup, et c'est
souvent tout"
Lib$ration, $puration, etc"
Apr@s l'Occupation, la Collaboration, la 7$sistance arrive la Li&ération" La description
donn$e dans La Peste fait $videmment son%er A celle de 1aris, puis de la France & 'oyeuset$s dans
la ville J orchestres au8 carrefours J p$tards d'enfants J foules rieuses et bruyantes J 'ubilation
%$n$ralis$e J reprise des communications J %rands titres dans la presse J annonces officielles A la
radio J communiqu$s de la pr$fecture J retour des voitures dans les rues J musique et danse dans
les quartiers J sonnerie des cloches A toute vol$e J coups de canon J nuits illumin$es J feu8
d'artifice J rumeurs mont$es de la ville J caf$s d$bordant de monde J alcool A profusion J couples
enlac$s J fraternisation dans les rues d'individus que tout oppose J retour de l'espoir"
*ien sSr, l'.puration suit la Lib$ration" La plupart e8a%@rent leur rXle dans la 7$sistance U
Camus pense probablement au petit milieu des %endelettres parisiens, )artre en t>te" Lors des
proc@s qui suivent cette p$riode, le docteur 7ieu8 t$moi%ne, certes, non pas contre les
collaborateurs, mais pour leurs victimes" Le m$decin qui fut effectivement r$sistant le sait &
; *eaucoup de nos concitoyens c$deraient au'ourd'hui A la tentation d'en e8a%$rer le rXle ?
6((" !249" Les plus actifs ne furent pas les plus bavards U parfois m>me, ils ont $t$ les plus
mutiques"
Camus montre une France dans laquelle, contrairement A la pens$e binaire e8prim$e dans
L'e*istentialisme est un humanisme U la fameuse conf$rence du 2- octobre !-43 publi$e l'ann$e
suivante U, il n'y a pas d'un cXt$ le h$ros qui s'en%a%e dans la 7$sistance, l'individu authentique,
et de l'autre le ; salaud ?, personna%e inauthentique, qui se donne de bonnes raisons de n'avoir
pas fait le bon choi8 en pr$te8tant n'avoir pas eu le choi8" 1our )artre 6qui n'a pas choisi le bon
camp9, on ne peut pas ne pas choisir, d@s lors il fallait faire le bon choi8 sous peine d'>tre un
; salaud ? J pour Camus, qui s'est trouv$ d@s le d$but septembre !-:- du bon cXt$ de la barricade,
le choi8 n'est pas tou'ours aussi simple"
1este brune et peste rou%e
Le fond romanesque de La Peste t$moi%ne pour une all$%orie antifasciste brune" Certes"
Mais elle permet $%alement une all$%orie antifasciste rou%e" Puels $l$ments permettent de penser
que ce roman est une all$%orie du fascisme brun en %$n$ral et du national5socialisme en
particulier Q L'abondance de morts J les entassements de cadavres J les immenses fosses
communes dans lesquelles on pr$cipite les tr$pass$s recouverts de chau8 vive J l'usa%e de ; fours
cr$matoires ? 6((" !3.9 pour transformer en cendres les squelettes sortis de leur concession A
perp$tuit$ afin de faire place au8 d$funts nouveau8, mais aussi pour se d$barrasser des
pestif$r$s J la fum$e des cr$mations r$pandues sur la ville J le tramZay utilis$ pour convoyer les
d$funts J les Za%ons qui ondulent en direction du four cr$matoire J les camps avec leurs
sentinelles"
Puels autres $l$ments en faveur d'une all$%orie du fascisme rou%e Q Le discours d'un
homme 6<ean Carrou9 qui raconte un 'our sa vie & fils d'un avocat %$n$ral, il e8plique avoir connu
la peste bien avant cette peste" )on p@re $tait obs$d$ par les horaires de train qu'il connaissait par
cBur, une passion qui faisait la 'oie de son fils pendant son enfance" Y di85sept ans, son p@re
l'invite A une s$ance d'assises" )id$ration & le 'eune homme d$couvre et comprend qu'un inculp$,
c'est aussi et d'abord un homme" Le r$quisitoire envoie le condamn$ A la %uillotine +ia l'avocat
%$n$ral qui a requis la peine de mort" (mm$diatement, la sympathie de l'adolescent va au
coupable devenu victime et non pas A son p@re dont il d$couvre qu'il envoie r$%uli@rement des
'usticiables A la mort" (l le quitte alors"
(nd$pendant de sa famille d@s l'T%e de di85huit ans, il connaWt la mis@re, les petits boulots"
1uis il veut r$%ler son compte A ce fameu8 'our d'assises" (l entre alors en politique avec pour
ob'ectif premier d'$viter d'>tre un pestif$r$ & il s'en%a%e contre la soci$t$ capitaliste qui repose,
pense5t5il, sur la peine de mort" Combattre cette soci$t$, c'est combattre la peine de mort" #@s
lors, tous les combats men$s en ,urope contre le capitalisme et ses %uillotines deviennent les
siens"
Certes, dans le camp oN il militait, on activait aussi des couperets mortels, mais pour la
bonne cause & on d$capitait au'ourd'hui pour n'avoir plus A d$capiter demain, on tuait ici et
maintenant pour pr$parer un futur dans lequel on ne tuerait plus 'amais" Cet aveu%lement cesse
quand il assiste A une e8$cution capitale en Lon%rie" Ce pays est communiste depuis mars !-!-,
Camus date la peste des ann$es !-4, on peut donc ima%iner que cette e8$cution s'effectue sous
un r$%ime communiste" #ans un premier 'et, le manuscrit si%nalait ; en ,spa%ne ?, Camus
corri%e et remplace par ; en Lon%rie ? 6((" !!-:9, inau%urant ainsi une lon%ue et belle amiti$ avec
ce pays"
Ce communiste par anticapitalisme, cet anticapitaliste par opposition A la peine de mort,
cet abolitionniste d$fendant l'e8$cution capitale sous pr$te8te de pr$parer dialectiquement la
n$%ation, donc l'abolition de la peine capitale, renonce A la peste rou%e quand il voit de ses
propres yeu8 la boucherie d'un abatta%e l$%al U souvenir, une fois encore, du rXle ma'eur tenu
dans la vie de Camus par le souvenir du p@re" La dialectique, l'id$olo%ie, la sophistique, la
rh$torique, la philosophie peuvent 'ustifier cet in'ustifiable & tuer pour ne plus tuer J mais
l'intelli%ence, la raison, le bon sens ne sauraient consentir A ces paralo%ismes de doctrinaires" La
peste est la peste, il n'y en a pas de bonnes clairement distinctes des mauvaises & elles sont toutes
condamnables" Puelles leVons a tir$ ce fils d'avocat %$n$ral communiste apr@s avoir vu la
bestialit$ d'un peloton d'e8$cution Q ; <'ai d$cid$ de refuser tout ce qui, de pr@s ou de loin, pour
de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou 'ustifie qu'on fasse mourir ? 6((" 2-9"
C'est donc cet homme, <ean Carrou, qui affirme savoir d$sormais que la peste est inscrite
en chacun de nous, que personne n'en est indemne, que nous devons lutter contre elle, nous
surveiller, nous emp>cher, pour le dire dans le vocabulaire paternel camusien" La peste est
naturelle J la r$sistance, culturelle" Le philosophe n'a pas A entretenir le penchant animal et bestial
des hommes, il doit solliciter son tropisme humain, autrement dit, son aptitude A la compassion,
sa capacit$ A la piti$, son talent pour l'empathie, sa disposition A la sollicitude" LeVon libertaire &
; <e dis seulement qu'il y a sur cette terre des fl$au8 et des victimes et qu'il faut, autant qu'il est
possible, refuser d'>tre avec le fl$au ? 6((" 2!9" Camus a choisi le camp des victimes U pas )artre"
La peste est nomade
La fin de la peste n'est pas la fin" Camus ne pouvait que fTcher le petit monde d'une tr@s
%rande partie des $crivains, des philosophes et des penseurs d'apr@s %uerre tout A leur
compa%nonna%e avec le communisme, soucieu8 alors de prendre leur place dans le monde des
lettres franVaises" Y l'heure oN le 1CF connaWt des records $lectorau8 62/,0 n en 'uin !-409 et
for%e sa l$%ende avec d'autres faussaires ayant int$r>t A cette mytholo%ie pour se faire
reconnaWtre, Camus termine son roman en $crivant qu'on n'en finit 'amais avec la peste U cette
conclusion t$moi%ne en faveur d'un trait$ d'ontolo%ie politique plus que d'un roman de
circonstance"
Y la Lib$ration, la foule est en liesse, elle connaWt la 'oie des rescap$s" Mais 7ieu8 ne se
r$'ouit pas car il sait que ; le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaWt 'amais, qu'il peut rester
pendant des diOaines d'ann$es endormi dans les meubles et le lin%e, qu'il attend patiemment dans
les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut5>tre, le 'our
viendrait oN, pour le malheur et l'ensei%nement des hommes, la peste r$veillerait ses rats et les
enverrait mourir dans une cit$ heureuse ? 6((" 24/9" #u vivant de Camus, les rats ont envahi
nombre de pays & (talie, ,spa%ne, France, Allema%ne, mais aussi G7)) et ; pays de l',st ?, Chine
et Cuba, Cor$e du +ord, apr@s lui encore Cambod%e, Ir@ce, Chili, Ar%entine, etc" #es diOaines
de millions de morts"
Certes, les officiels construisent apr3s des monuments au8 morts avec des plaques et le
nom des victimes %rav$ dans le marbre" )ous les drapeau8, en pr$sence d'anciens combattants
bard$s de m$dailles, pleins de componction, les %ens de pouvoir lisent leurs discours sans en
croire un seul mot" (ls d$posent des %erbes, en appellent A la m$moire, multiplient les
comm$morations inutiles" #ans ses derni@res pa%es, La Peste raconte cet in$vitable m$moriel et
passe au5delA" L'important n'est pas la comm$moration mais la vi%ilance, non pas la m$moire du
pass$ mais la haute tenue du pr$sent, non pas la reli%ion nostal%ique mais l'action r$sistante"
L'ontolo%ie politique de Camus n'est pas un monument de l'apr@s, mais une machine de %uerre
libertaire contemporaine"
Cr$er un mythe antifasciste
#e la m>me mani@re qu'apr@s la Lib$ration l'Listoire devait se r$p$ter dans les formes
tra%iques que nous savons, Camus r$it$ra ses e8ercices d'ontolo%ie politique libertaire" Apr@s
Caliula et La Peste, il met au point L'.tat de si3e, un travail commenc$ en !-42 pour faire
suite A un premier 'et de <ean5Louis *arrault et d'Antonin Artaud" Caliula se veut un %enre de
peste, La Peste annonce l'état de si3e, L'.tat de si3e raconte la peste A son tour" Cette trilo%ie
d$fend une m>me vision libertaire du monde"
Cette pi@ce finie en 'anvier !-4/ est 'ou$e le 2. octobre de la m>me ann$e" Cette fois5ci,
l',spa%ne est clairement nomm$e & il s'a%it donc de la peste franquiste" #ans l'avertissement A
l'$dition du te8te, Camus propose de construire ; un mythe qui puisse >tre intelli%ible pour tous
les spectateurs de !-4/ ? 6((" 2-!9" (l ne s'a%it pas d'une adaptation du roman de Camus J pas plus
il ne s'a%it de mener A bien le premier pro'et de *arrault5Artaud & adapter le Journal de l'année de
la peste de #aniel #efoe" Camus ne veut pas d'une pi@ce de th$Ttre classique, il souhaite un
spectacle total qui associe le monolo%ue lyrique, le th$Ttre collectif, le 'eu muet, le dialo%ue
classique, la farce, le chBur" La cr$ation de l'Buvre s'effectue avec une musique de Lone%%er,
des d$cors et des costumes de *althus"
Gne com@te passe dans le ciel de Cadi8, une ville espa%nole fortifi$e, elle annonce un
mauvais pr$sa%e & la peste" +ada 6; 7ien ? en espa%nol9 qui ne croit ni en #ieu ni en #iable, ni au
ciel ni au8 enfers, seulement au vin, interpelle les soldats et leur reproche de ne 'amais mourir au
combat, mais tou'ours dans leurs lits" Ce nihiliste espa%nol voudrait que le monde soit un taureau
pour le mettre A mort plus facilement" La peste arrive, personnifi$e par un homme qui prend le
pouvoir, v>tu d'un uniforme" +ada dit alors & ; 1este ou %ouverneur, c'est tou'ours l'Ftat ?
6((" :!/9" L'F%lise affirme une fois de plus que l'$pid$mie proc@de d'un chTtiment divin A cause de
l'impi$t$ des hommes"
)ous le %ouvernement de la peste 6ou sous la peste du %ouvernement9, certains portent des
si%nes distinctifs" La d$nonciation est une vertu civique r$compens$e" Le 'u%e, Kantien
embl$matique, dit & ; <e ne sers pas la loi pour ce qu'elle dit, mais parce qu'elle est la loi ?
6((" ::39 U et l'on ne discute pas la loi" On ne discute donc pas le 'u%e non plus" On trahit parce
qu'on a peur J on a peur parce que personne n'est pur" Les votes hostiles au %ouvernement sont
consid$r$s comme des votes nuls" L'amour est interdit" On marque les maisons des pestif$r$s
avec une $toile noire U 'aune dans le manuscrit de la premi@re version oN il $tait $%alement
question d'abat5'our en peau humaine" L'$tat de si@%e suppose le couvre5feu, les laisseO5passer, les
sentinelles, les barreau8 au8 fen>tres, les fusils, les barbel$s, les miradors, les matricules, la
p$nurie, les ticKets de rationnement, les tatoua%es sous les aisselles 6comme le num$ro de
matricule des naOis9, les certificats de naissance pour attester des identit$s" Le te8te parle de
camps de concentration et de d$portation, de r$quisition et de radiation, de tortures, d'e8$cution
d'ota%es" #e fours cr$matoires aussi" La vie priv$e n'e8iste plus" Les comptabilit$s, les
statistiques, l'administration du crime triomphent" On $tablit des listes" 1our la peste, ; l'id$al,
c'est d'obtenir une ma'orit$ d'esclaves A l'aide d'une minorit$ de morts bien choisis ? 6((" :029"
Camus donne la solution pour en finir avec la peste, il s'a%it tou'ours de la th@se la
bo$tienne & le pouvoir n'e8iste que parce qu'on y consent, si l'on refuse son consentement, alors il
s'effondre de lui5m>me" La servitude est volontaire" (l y a peste parce qu'il y a ; oui ? A la peste J
d@s qu'il y a ; non ?, refus, r$volte et r$bellion, elle disparaWt" La peste part, vaincue par l'amour
de ; Eictoria ? et de ; #ie%o ? & elle avait promis la vie sauve A qui renoncerait A la r$volte"
Eictoria a voulu mourir pour #ie%o U qui meurt tout de m>me" La r$volte a eu raison de la peste U
elle annonce qu'elle reviendra"
La pi@ce fut unanimement $reint$e" Iabriel Marcel, philosophe mar$chaliste pendant
l'Occupation, se scandalisa qu'elle se passe en ,spa%ne et d$nonce donc le franquisme U elle eut
un moment pour titre L'6nquisition ( Cadi*" Le penseur vichyste aurait pr$f$r$ la voir situ$e dans
les pays de l',st" *arthes et )artre A %auche, Iabriel Marcel A droite avec tant d'autres, la cur$e
s'annonVait" Camus commenVait en effet son tra'et solitaire"
1our n'avoir pas eu d'indi%nations s$lectives, pour avoir condamn$ tout totalitarisme
ind$pendamment de sa couleur, il concentra sur son nom la haine de la droite qui lui reprochait sa
critique des dictatures fascistes et celle de la %auche mar8iste qui lui en voulait de d$noncer les
camps sovi$tiques" )a pi@ce de th$Ttre ne parvint pas A cr$er un mythe antifasciste, mais elle
contribua A la construction de la pens$e d'un philosophe antifasciste qui a%it, par5delA les ann$es,
non pas comme un mythe, mais comme une r$f$rence %rTce A son ontolo%ie politique libertaire,
l'autre nom d'une arme de %uerre antifasciste redoutable & la Résistance"

2
1rincipes d'utopie modeste
Comment faire la r$volution sans Mar8 Q
; Les questions qui provoquent ma col@re & le nationalisme, le colonialisme, l'in'ustice
sociale et l'absurdit$ de l'Ftat moderne" ?
Camus, 1ntretien a+ec Chiaramonte 6((" .29"

M$taphysique du fait divers
; <ournaliste A la )orbonne, professeur au $iaro ?, disait un certain %$n$ral de Iaulle de
7aymond Aron" Cette saillie %$n$ralissime r$sume asseO bien le risque encouru par un
philosophe A donner son avis sur toute chose dans la presse d@s qu'il dispose d'un $ditorial le
contrai%nant A remettre sa copie chaque semaine dans l'ur%ence" La patience du travail m$ditatif
fait mauvais m$na%e avec la vitesse 'ournalistique" La lecture lon%ue et lente de pens$es
comple8es, l'analyse critique et sereine d'un monde lourd de sens obscurs, la r$fle8ion 'uste et
ad$quate sur un univers en mouvement, tout cela installe dans un monde au8 antipodes des d$lais
de boucla%e et de la course A l'e8clusivit$"
Alain, professeur de philosophie c$l@bre, philosophe notable et 'ournaliste au lon% cours,
a donn$ plus de trois mille Propos A des 'ournau8 divers" La vul%ate pr$tend qu'en philosophant
dans les 'ournau8 il se proposait de ; hisser le fait divers A la hauteur de la m$taphysique ?" Gn
chiasme facile met en $vidence le risque encouru avec pareil pro'et & ; descendre la m$taphysique
au niveau du fait divers ?" Le dan%er e8iste, d'Alain A Aron, en passant par Camus, de ne pas
trouver le bon $quilibre et de sacrifier la philosophie au fait divers U le contraire ne posant pas de
probl@me" Lorsque Alain disserte sur les m$faits de la technolo%ie moderne avec pour pr$te8te le
d$raillement d'un train, le pittoresque ferroviaire peut prendre le dessus sur la critique de la
modernit$ qui, dans l'absolu, n'a pas besoin d'une occasion triviale pour s'e8ercer" Mais c'est la loi
du %enre 'ournalistique de prendre appui sur le concret le plus immanent pour conduire un peu le
lecteur vers le transcendantal D
Y ce su'et, retenons que Maurice Clavel se r$clamait du ; 'ournalisme transcendantal ?
pour caract$riser ses interventions de philosophe dans la presse de son temps" 1our ce croyant en
#ieu et en Rant, la 1rovidence se manifeste dans l'Listoire & la tTche du 'ournaliste transcendantal
consiste donc A chercher puis A trouver dans les faits les modalit$s conceptuelles de cette
$piphanie" 1our pr$senter un recueil d'articles parus dans Com&at et Le2ou+el :&ser+ateur,
Clavel rapporte, dans Com&at" #e la résistance ( la ré+olution, qu'un philosophe lui demanda un
'our d'$crire ; le livre de philosophie qui est en fili%rane de _sic` vos articles ?" #e fait, quand le
philosophe qui s'e8erce au 'ournalisme est %rand, il e8iste tou'ours un livre en fili%rane dans ses
articles $parpill$s"
Camus ne fut donc pas 'ournaliste A la )orbonne, et pour cause, et pas plus professeur A
Com&at oN il s'est e8erc$ A penser en philosophe une actualit$ alors confondue avec l'Listoire" Le
fait divers e8istait A peine tant il co]ncidait A cette $poque avec le ton du moment fait de bruit et
de fureur, de san% et de %uerre, de terreur et de tyrannie" La moindre petite histoire proc$dait de la
%rande, et Camus 'ournaliste avait le talent vif et clair pour aller au nerf de l'$v$nement afin d'en
saisir le caract@re %$n$ral, universel, voire transcendantal" Cette aptitude A fi8er le noyau id$al du
ph$nom@ne puis d'en rendre compte dans la lan%ue d'un moraliste franVais 6il avait une passion
pour Chamfort dont il pr$faVa les "a*imes9 caract$rise son art d'$crire dans les 'ournau8"
Gn #io%@ne moderne
Ainsi A Aler répu&licain qu'il int@%re en !-:/ comme r$dacteur en chef A l'T%e de vin%t5
cinq ans" #ans les comptes rendus de proc@s, ou dans les onOe articles donn$s au 'ournal entre le
3 et le !3 'uin !-:- sur la mis@re en Rabylie, il e8iste d$'A un li+re en 9ilirane qui montre un
Camus d$fenseur des minorit$s arabes et musulmanes, critique du m$canisme colonial, farouche
opposant A la 'ustice de classe, en%a%$ bec et on%les contre toutes les formes d'erreurs 'udiciaires
ou d'arbitraire 'uridique" ,n un mot, un Camus d$'A libertaire"
Le premier num$ro de ce 'ournal de %auche coop$ratif et non communiste s'ouvre sur une
d$claration d'intention politique" Le 'ournal revendique un certain nombre de combats politiques &
l'$%alit$ politique imm$diate pour tous les FranVais quels qu'ils soient, donc pour les indi%@nes
d'Al%$rie, l'acc@s pour tous les habitants de ce pays au8 m>mes services sociau8 que les habitants
du continent, la constitution d'un peuple homo%@ne A partir de la diversit$ des communaut$s
vivant dans ce pays" Camus publiera une cinquantaine d'articles entre le premier num$ro dat$ du
0 octobre !-:/ et le dernier paru le !3 septembre !-:-, date A laquelle 1ia cr$e Le Soir
répu&licain, un 'ournal moins lourd en papier, donc moins coSteu8 en fabrication"
#ans ce support, Camus pense et $crit comme un #io%@ne moderne & il 'oue au chat et A la
souris avec la censure, invente des phrases pr>t$es A des auteurs c$l@bres dont l'aura enfume la
relecture polici@re, propose une pr$tendue citation de 7avachol 6; )upprimons les
scomb$ro]des ?, en fait, une vari$t$ de poisson, mais comme la censure l'i%nore, elle fait sauter le
mot, ce qui a'oute un blanc dans la pa%e9" Camus soumet A l'officier qui taille dans le te8te une
1rovinciale de 1ascal qui paraWt amput$e, puis un te8te de Iiraudou8, alors commissaire A
l'(nformation dans le %ouvernement franVais, ar%uant ensuite aupr@s du fonctionnaire qu'il ne
pouvait tout de m>me pas censurer 1ascal et son sup$rieur hi$rarchique D
)a li%ne politique est claire & avec humour et cynisme, ironie et col@re, persifla%e et vertu,
Camus d$fend le droit de %r@ve, critique la censure, bien sSr, y compris quand elle s'e8erce contre
ses adversaires communistes, il s'en%a%e au8 cXt$s des plus modestes, des ouvriers humili$s par
leurs patrons, des %ens de peu e8ploit$s par les colons, il se met au8 cXt$s des musulmans" (l
peste contre la charit$ des dames patronnesses catholiques et veut la 'ustice en lieu et place de
cette fausse vertu, un vrai vice qui entretient la mis@re afin de permettre le salut $%o]ste des
acharn$s de la bonne Buvre" (l soutient la cause des travailleurs immi%r$s, sous5prol$tariat
e8ploit$ en m$tropole" (l invite A lutter contre le chXma%e avec de %rands chantiers nationau8 A la
faVon des quarante5huitards" (l d$fend les con%$s pay$s, un acquis du Front populaire mis en p$ril
par les radicau85socialistes proches des patrons et par les communistes ob$issant au8 ordres de
Moscou pour qui l'heure n'est pas A la r$volution mais A la reprise du travail" (l d$nonce le
caract@re profond$ment inique du code de l'indi%$nat" Fvidemment, il attaque violemment les
fascismes europ$ens" (l d$fend le droit A l'avortement" (l prend parti pour le pro'et *lum5Eiollette
qui envisa%e d'accorder la nationalit$ franVaise A un %rand nombre d'Al%$riens" (l manifeste une
v$ritable compassion pour les ba%nards qu'il voit embarquer dans le port d'Al%er" (l soutient les
ob'ecteurs de conscience et milite pour sa l$%alisation" #3s décem&re AMPM, il critique les r$%imes
totalitaires, dont l'Gnion sovi$tique fusti%$e pour son imp$rialisme" (l dit sa d$testation pour
Litler et )taline" 7appelons que ces positions politiques se trouvent d$fendues par un 'eune
homme entre l'T%e de vin%t5quatre et vin%t5si8 ans"
Avec 1ascal 1ia, il r$di%e une Pro9ession de 9oi $videmment censur$e dans laquelle il se
dit pacifiste, d$sireu8 de pr$server la pai8, non pas en n$%ociant avec Litler, mais en travaillant A
la construction d'un front international du refus susceptible d'emp>cher le pire" Camus pensait que
l'hitl$risme avait des causes et invitait A a%ir contre elles & par e8emple, en acc$dant A la demande
d'une ren$%ociation du trait$ de Eersailles humiliant pour le peuple allemand, puis en am$na%eant
cette dette de %uerre impossible A honorer" (l croyait qu'en a%issant contre les causes de la %uerre,
on pouvait en emp>cher l'av@nement"
Camus $nerve beaucoup & des lecteurs, les actionnaires du 'ournal, l'autorit$ de censure,
les $diles al%$riens" Convoqu$ au commissariat qui croulait sous les plaintes contre lui, bravache,
il a'oute un certain nombre de motifs oubli$s par la censure" #io%@ne et #on Puichotte D Le
! 'anvier !-4, le 'ournal est suspendu" Camus assiste au retournement des actionnaires contre
lui, ils lui reprochent le saborda%e du 'ournal dans un esprit anarchiste D Gn proc@s se profile"
#eu8 mois plus tard, il part pour 1aris"
Eertu de l'insurrection
La %rande aventure 'ournalistique de Camus est indissociable de Com&at, un 'ournal issu
en !-4! de la fusion des bulletins du "ou+ement de li&ération 9ran0aise et d'autres supports
clandestins, dont Vérités et Li&erté" Ce combat5lA renvoie au "on com&at d'Litler, le 'ournal
ayant failli un temps s'appeler 2otre com&at D Y ses d$buts, la r$daction n'est pas oppos$e A
1$tain, mais A son entoura%e" (l faut attendre mai !-42 pour qu'elle associe le Mar$chal au8
mar$chalistes et cite dans le m>me num$ro une d$claration du %$n$ral de Iaulle" La croi8 de
Lorraine apparaWt dans le si%le du 'ournal A l'automne !-42" ,n novembre de cette ann$e5lA, une
phrase de la #$claration Monta%narde du 24 'uin !.-: indique la voie en faisant une r$f$rence A
la 7$volution franVaise & ; Puand le %ouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est
pour le peuple le plus sacr$ des droits et le plus indispensable des devoirs" ? ,n d$cembre, le
'ournal fait du %$n$ral de Iaulle un chef et un symbole" (l propose pour r$%ime politique &
; 7$publique socialiste et d$mocratie en actes ?" ,n f$vrier !-4:, le 'ournal envisa%e l'apr@s5
Lib$ration et souhaite une autre 7$publique, la 7$volution socialiste qui est ; r$volution de
l'esprit ?" ,n 'anvier !-4:, nouvelles fusions avec d'autres mouvements" Com&at est alors sous5
titr$ ; Or%ane du Mouvement de lib$ration nationale ?" Le 'ournal n'envisa%e pas le recycla%e de
la vieille classe politique ayant failli et re'ette les partis" Y la Lib$ration, Com&at prend pour
sous5titre ; #e la 7$sistance A la 7$volution ?" Camus souscrit concr@tement A ces deu8
pro%rammes & la 7$sistance, on l'a vu, et la 7$volution, on va le voir"
Camus dispose d'une fausse carte d'identit$ dat$e du 2 mai !-4: au nom d'Albert Math$,
preuve de son activisme dans la 7$sistance A cette date" )on adh$sion date asseO probablement de
la p$riode du 1anelier, soit au milieu de l'ann$e !-42" ,n 'uillet !-4:, il r$di%e sa ; 1remi@re
lettre A un ami allemand ? qui paraWt clandestinement dans la Re+ue li&re" Y l'automne, Camus
int@%re l'$quipe du 'ournal sous le pseudonyme de *auchard" ,n novembre de cette m>me ann$e,
il devient lecteur cheO Iallimard" (l $crit la ; #eu8i@me lettre A un ami allemand ? en d$cembre,
elle paraWt d$but !-44 dans les Cahiers de la Li&ération" ,n mars !-44, il publie son premier
te8te dans Com&at clandestin & ; Y %uerre totale, r$sistance totale ?" 1lus de cent cinquante
articles suivront 'usqu'au : 'uin !-4."
#$but !-44, lorsque 1ia part en missions de r$sistance, Camus assure les principales
tTches de la r$daction, apr@s avoir $t$ d'abord char%$ de la mise en pa%e" Outre la r$daction
d'articles, il intervient sur d'autres terrains & le transport des 'ournau8, leur mise en place, la
diffusion" CTches risqu$es" #ans sa correspondance avec sa femme, il $voque des ; missions
d'inspection et de liaison ?, un rXle d'; inspecteur pour 1aris ? du Mouvement de lib$ration
nationale" On le recherche, il se cache, puis reprend sa tTche" Fin aoSt !-44, Camus commande
un reporta%e sur la lib$ration de 1aris A un certain <ean51aul )artre U une tTche probablement
assur$e par *eauvoir et si%n$e par )artre qui pourra ainsi faire savoir bientXt que, deu8 mois
apr@s le d$barquement alli$ en +ormandie, il contribuait A un 'ournal de la 7$sistance"
Gne $thique du 'ournalisme
Avant de subir la haine des 'ournalistes avec L''omme ré+olté, Camus manifestait d$'A
des r$serves sur ce m$tier dans Aler répu&licain U sa correspondance avec <ean Irenier en
t$moi%ne" Ce pourrait >tre le plus beau des m$tiers s'il se proposait une $thique & la v$rit$, la
libert$, la 'ustice, autrement dit s'il n'$tait pas A la solde des actionnaires du 'ournal qui aspirent A
une seule chose & des b$n$fices cons$quents" (l a connu Paris8Soir et les ficelles 'ournalistiques,
la d$ma%o%ie, la s$duction, le menson%e, l'opportunisme, la facilit$, la sensiblerie" )on travail de
secr$taire de r$daction lui a r$v$l$ les coulisses du 'ournal"
#ans ses ; 7$fle8ions sur une d$mocratie sans cat$chisme ? paru dans La 4auche, le
'ournal du 7assemblement d$mocratique r$volutionnaire, il $crit & ; +ous man%eons du
menson%e A lon%ueur de 'ourn$e, %rTce A une presse qui est la honte de ce pays ? 6((" .!/9" La
presse d$pend de la banque qui la finance" <adis, A Al%er, avec 1ia, Camus a connu le
fonctionnement du 'ournal coop$ratif avec des actionnaires moins soucieu8 d'en%ran%er des
b$n$fices que de rendre possible, soutenir et d$fendre une presse de qualit$ dans laquelle le
'ournaliste pense l'$v$nement en totale libert$"
1enser l'$v$nement, certes, mais aussi et surtout l'analyser sous un an%le politique
libertaire, c'estA5dire nullement inf$od$ A un parti, A une id$olo%ie" 1as question, pour Camus, de
presse militante, de 'ournal portant la voi8 d'une formation emp>chant de penser parce qu'elle ne
viserait qu'A entretenir les convictions de ses lecteurs" Le 'ournaliste est un homme avec des id$es
personnelles et non les id$es de l'or%ane qui l'appointe" (l doit prendre le temps de la r$fle8ion et
ne pas souscrire au temps des e8clusivit$s 'ournalistiques pour arriver avant les confr@res" (l ne
faut pas informer vite, mais bien"
Camus souhaite une information accompa%n$e d'un commentaire critique" Le 'ournaliste
doit fournir des analyses utiles pour comprendre l'$v$nement" (l donnera ses sources, confrontera
les provenances, mettra en pa%e de faVon A ne pas conclure mais A permettre au lecteur de le faire
dans les meilleures conditions" (l l'$clairera au lieu de vouloir lui plaire" (l indiquera les de%r$s de
cr$dibilit$ des provenances d'information" (l visera la v$rit$, m>me si, en histoire, elle paraWt
fra%ile" (l e8pliquera comment fonctionnent les a%ences de presse internationales afin de solliciter
le sens critique du lecteur" (l proposera un commentaire politique et moral sachant que le %oSt de
la v$rit$ n'emp>che pas de prendre parti" (l montrera le sens du relatif, un certain talent pour
l'ironie, une volont$ tou'ours tendue de ne 'amais 'ouer l'instituteur, le professeur de morale ou le
'u%e" (l sera prudent, soucieu8 d'ob'ectivit$" (l ne confondra pas %rande et petite information" (l
saura que le droit A la critique dont il dispose se double d'un devoir d'autocritique" Ainsi se d$finit
un journalisme critique soucieu8 ; de cr$er un esprit public et de l'$lever A la hauteur du pays lui5
m>me ? 6((" 32:9" Ce souhait d'apr@s %uerre reste A r$aliser"
Gne pens$e en archipel
Cette th$orie du 'ournalisme se double d'une pratique de la profession dans des r@%les
$dict$es th$oriquement" )es plus de cent cinquante articles donn$s dans Com&at sont r$unis sous
le titre Actuelles? Chroniques AMNN8AMNT" L'e8ercice p$rilleu8 met en relation des te8tes $crits
dans la br@ve dur$e 'ournalistique avec la lon%ue dur$e d'un autre temps" Certes, la r$union
d'articles $parpill$s fait une somme, mais cette somme constitue une efflorescence sauva%e
d'id$es, de th@ses et de th@mes, d'anecdotes et de r$fle8ions, de %rande et de petite histoire" La
lisibilit$ du 'our de parution du 'ournal n'est plus celle du livre en librairie" Le conte8te effac$,
l'$ni%me %randit" Le temps chaud du marbre et des morasses laisse place au temps froid des
biblioth@ques"
#ans le court te8te de pr$sentation de ce premier volume d'Actuelles, Camus si%nale les
limites de l'e8ercice" (l a'oute m>me que, le temps passant, ce qu'il $crivait en !-44 ou dans les
ann$es suivantes, il ne le pense plus tou'ours en !-3, date de la mise en circulation du volume
en librairie" Les cinq ann$es qui s$parent le #$barquement de cette ann$e inau%urale d'une
nouvelle d$cennie re%or%ent d'$v$nements historiques & lib$ration de 1aris et de la France, chute
de l'Allema%ne naOie, fin de l'(talie fasciste, installation au pouvoir du %$n$ral de Iaulle avec des
ministres communistes au %ouvernement, triomphe du stalinisme, construction de camps de
concentration sovi$tiques, conf$rence de ealta, d$peVa%e de l',urope, bolchevisation de l',st" On
comprend facilement que, sur tel ou tel su'et, Camus puisse ne plus soutenir totalement les
m>mes th@ses"
Certes, le philosophe pr$cise qu'il a chan%$ d'avis, qu'il lit au'ourd'hui certains te8tes avec
malaise et tristesse et doit lutter contre lui pour les livrer au public" Mais l'e8ercice d'Actuelles
e8i%e la publication de ce qui fut un 'our $crit" Gne pr$face permettrait de pr$ciser ce qui a
chan%$ et pourquoi" Car, A d$faut de d$tails donn$s par l'auteur lui5m>me, on peut ima%iner que
rien de ce qui a $t$ pens$ par lui dans les ann$es !-4 n'est encore valable" 1ar e8emple &
l'$thique du 'ournalisme est5elle tou'ours d'actualit$ Q ,t le pro'et d'associer une $conomie
collectiviste avec la libert$ politique Q Pu'en est5il de ces moments phares de sa pens$e politique &
la d$mocratie modeste, l'utopie relative, le nouvel ordre international, le f$d$ralisme europ$en,
l'$mancipation des colonies, l'abolition des fronti@res, le %ouvernement mondial Q A5t5il tou'ours
envie de supprimer l'$cole libre Q
Y l'$vidence, cinq ans plus tard, un certain nombre des id$es fortes du philosophe
demeurent d'actualit$" On ima%ine mal un chan%ement d'avis sur les principes de son $difice
intellectuel et spirituel & la critique des totalitarismes bruns et rou%es, le combat au8 cXt$s des
r$publicains espa%nols et la lutte contre le franquisme, la d$nonciation des camps sovi$tiques en
m>me temps que la critique de l'usa%e de l'arme nucl$aire am$ricaine, la lutte contre toute forme
de peine de mort, le refus du crime l$%al, l'envie de 'ustice et de libert$ U la %uerre men$e A tout
ce qui ressemble de pr@s ou de loin A la peste"
Lourra l'Oural D
Y d$faut de notes, de pr$cisions, de commentaires r$di%$s de la main de Camus, on ne
conclura pas" Mais on peut, sans risquer de se tromper, $mettre l'hypoth@se qu'un certain
philosovi$tisme de Camus ne serait plus de mise" 1endant la %uerre, avec et apr@s )talin%rad, les
)ovi$tiques 'ouent un rXle ma'eur dans la destruction du national5socialisme en ,urope" Y cette
$poque, m>me si Camus n'est pas dupe du r$alisme politique de l'G7)), du caract@re fautif de sa
philosophie de l'histoire et du coSt humain tr@s $lev$ de pareille m$prise intellectuelle, bien qu'il
sache que les mar8istes5l$ninistes 'u%ent, d$portent et suppriment les anarchistes, les socialistes
et les lib$rau8, toutes choses d$nonc$es dans ses chroniques, lucide mais r$aliste il sait que la
7ussie sovi$tique a collectivis$ pour des raisons sociales, qu'elle r$cuse l'ar%ent et son pouvoir, et
produit ainsi une nouvelle civilisation"
Camus se reproche probablement d'avoir donn$ A cette $poque la priorit$ au r$alisme et
fait peu de cas de cette lucidit$ qui lui faisait $crire quelques mots sur la n$%ativit$ sovi$tique
dans un article %lobalement positif sur ce %rand pays" Cette chronique dat$e du ! avril !-43,
donc 'uste apr@s la victoire des troupes de )taline sur le front de l',st, invite A prendre en
consid$ration l'e8p$rience de la 7$volution bolchevique & la France aurait refus$ !-!., puis
contraint la 7ussie de L$nine A militariser ses fronti@res, avant de faire courir le bruit que le pays
connaissait un d$sordre sans nom" Camus va 'usqu'A faire du pacte %ermano5sovi$tique un effet
r$aliste A mettre en perspective avec Munich U bien qu'il fasse tout de m>me de ce pacte ; une
tra%$die morale ? 6((" 0!29"
)i l'G7)) sovi$tise certains pays d',urope, par e8emple la Cch$coslovaquie, elle en a le
droit puisque la France a perdu la place qu'elle occupait traditionnellement en ,urope faute
d'avoir effectu$ les bons choi8 en !-:- D Camus prend soin de dire qu'il n'est pas communiste,
puis il a'oute dans la foul$e que l'G7)) cr$e une civilisation 'eune, vivante et vi%oureuse, une
n$cessit$ en mati@re d'histoire, car les vieilles cultures doivent se ra'eunir" 1uis il $crit cette
phrase sid$rante sous sa plume & ; #e ce seul point de vue 6et il y en a bien d'autres9, sachons voir
que l'antisovi$tisme est une stupidit$ aussi redoutable que le serait l'hostilit$ syst$matique A
l'An%leterre ou au8 Ftats5Gnis ? 6((" 0!:9" On dirait du )artre"
La pr$sence de ce te8te dans Actuelles est tout A l'honneur d'Albert Camus qui, A cette
$poque, 'uin !-3, travaille A L''omme ré+olté D (l lui aurait $t$ facile, entre la composition du
volume et la correction des $preuves, de passer sous silence ce %enre de te8te, d'en $vincer
d'autres, de r$$crire ceci ou cela, pour sculpter sa propre statue, afin de donner une ima%e lisse de
lui" Mais il n'a pas voulu r$$crire son pass$ A la lumi@re de son pr$sent, encore moins le peaufiner
en re%ard de l'id$e qu'il pouvait se faire de son futur" )e montrer tel qu'il fut, en mouvement,
d'une certaine mani@re en contradiction avec son pass$, souli%ne son honn>tet$, sa droiture, sa
rectitude U sa vertu"
Le livre en fili%rane
Ces chroniques m$lan%ent intimement l'$cume des 'ours et la pens$e substantielle" La
lecture d'un pareil volume pose des probl@mes & comment s$parer le bon %rain philosophique de
l'ivraie anecdotique Q Car, m>me si l'un fournit le pr$te8te A l'autre, le fait divers ph$nom$nal
recouvre la substance transcendantale" Faits divers & une $lection municipale en Al%$rie, une
parole d'Fmile Lenriot, la mort de 7oosevelt, un article de Mauriac, le proc@s de 1$tain, la
lib$ration de l'Alsace, la formation d'un %ouvernement en *el%ique, la r$duction du tira%e des
'ournau8 par le minist@re de l'(nformation, l'e8$cution de communistes r$sistants par les Irecs,
un po@me de Claudel hier mar$chaliste au'ourd'hui %aulliste, une e8action de Franco, une
d$mission de Mend@s France, etc" Commentaire substantiel & des r$fle8ions sur le pouvoir,
l'opportunisme, la realpolitiK, le sens de l'Listoire, l'e8ercice de la 'ustice, la responsabilit$ des
intellectuels, les conditions du pardon, le compa%nonna%e ontolo%ique de l'F%lise et des
fascismes, le manque de lucidit$ des intellectuels, leur responsabilit$, etc"
)'il fallait e8traire de ces articles le li+re en 9ilirane, il faudrait probablement supprimer
l'$cume des 'ours, les choses trop dat$es, les anecdotes du moment, la politique politicienne, le
fait divers au sens traditionnel du terme" Mais comment dissocier te8te et pr$te8te Q Car l'e8ercice
semble moins conceptuel que pra%matique & il part du r$el et y revient en passant par le moment
proprement r$fle8if impossible A d$%a%er de la %an%ue triviale" Gn choi8 de te8tes n'$viterait pas
l'ine8tricable attela%e du r$el immanent et de sa pens$e"
Ce livre en fili%rane ne peut donc >tre constitu$ d'e8traits, puisque les chroniques,
chacune A leur mani@re, constituent d$'A des e8traits, des fra%ments d$tach$s d'une Buvre non
faite" Ces pa%es %roup$es sous le titre Actuelles m$ritaient une pr$face de Camus, elle aurait
permis de dater, de conte8tualiser, de hi$rarchiser les propos, de tirer un fil d'Ariane dans le
labyrinthe historique" <ustifiant son titre, Camus fait du 'ournaliste ; un historien au 'our le 'our ?
6((" 32!9, autrement dit un o8ymore puisque l'historien, par d$finition, ne saurait l'>tre du pr$sent,
mais du pass$, fSt5il le plus imm$diat" (l lui faut le recul, une mise A distance que la pr$face
rendait possible comme un e8ercice d'intempestivit$"
7este donc au'ourd'hui A proposer une esquisse de ce livre invisible pour rendre 'ustice A
Camus qui proposait avec Actuelles un difficile e8ercice de pens$e pour le lecteur & le nietOsch$en
de Cipasa a pr$f$r$ le chantier dionysiaque A l'architecture apollinienne" #@s lors, on a peu ou
pas, voire mal entendu ce qu'il avait A dire sur le terrain politique U trop brouillon, trop confus,
trop dissimul$ pour les lecteurs press$s, autrement dit pour le lecteur d'au'ourd'hui" Car, deu8
ann$es avant la parution de L''omme ré+olté, il e8istait en librairie ce %rand livre de Camus qui
interdit pour tou'ours de le ran%er du cXt$ des ennemis du socialisme"
1arce qu'il ne d$fendait pas le socialisme des camps, )artre et les siens ont fait de lui un
bour%eois, un conservateur, un r$actionnaire, un ennemi de classe, un compa%non de route de la
droite ou, dans la meilleure des hypoth@ses, un r$formiste social5d$mocrate, alors qu'il fut le
d$fenseur d'un socialisme li&ertaire qui constitue le fil rou%e de sa pens$e politique depuis
l'avant5%uerre d'Aler répu&licain et qui, +ia la %uerre de Com&at et l'apr@s5%uerre de L'1*press,
demeurera le sien 'usqu'A sa mort pr$matur$e" Les trois publications des Actuelles et L''omme
ré+olté t$moi%nent en ce sens" 1as $tonnant que l'on i%nore encore au'ourd'hui le d$tail de la
pens$e politique de Camus puisqu'elle fut $crite dans ce livre invisible, ce livre en fili%rane des
Actuelles et que, pour y acc$der, il faut lire l'Buvre, un e8ercice pass$ de mode D
1our une anarchie positive
Conservons le sch$ma chronolo%ique de l'Listoire qui fut aussi celui de La Peste pour lire
Actuelles & 7$sistance, Collaboration, Lib$ration, Fpuration, 7econstruction U en l'occurrence, les
propositions pour $viter le retour de la peste" On d$couvrira, sous le si%ne de ce que 1roudhon
aurait appel$ une anarchie positi+e, ce qu'auraient pu >tre les titres du livre formidable cach$
dans les chroniques & ; La d$mocratie modeste ? 6((" 42/9, ; L'utopie relative ? 6((" 4439, ; La
d$mocratie internationale ? 6((" 44/9, ; Le nouvel ordre universel ? 6((" 4409, ; Le choc des
civilisations ? 6((" 44-9, ; L'$conomie internationalis$e ? 6((" 3/.9, ; La F$d$ration $conomique
mondiale ? 6((" 3-09"
1remier temps & laRésistance" 1ersonne mieu8 que Camus, qui fut un r$sistant historique,
concret, en%a%$, r$el, ne peut mieu8 c$l$brer l'e8istence d'une r$sistance transcendantale,
autrement dit d'un li%na%e qui, de )partacus A <ean Moulin, +ia Charlotte Corday, oppose un
%rand ; non ? au8 forces noires qui assurent le triomphe de la pulsion de mort, de l'ordre, de
l'autorit$, de la hi$rarchie, de la su'$tion" Le 7$sistant dit ; oui ? A la vie, A la libert$, A la 'ustice,
A la fraternit$, A la morale" <amais il n'a tu$ de victimes innocentes, et si tel avait $t$ le cas, il n'en
aurait pas 'oui et n'aurait pas sc$no%raphi$ ses meurtres A la faVon des naOis"
Ceu8 qui, pendant l'Occupation, ont dit ; non ? A Eichy, au Mar$chal, au8 lois de 1$tain,
A l'ordre moral de la 7$volution nationale, mais aussi A la collaboration avec l'envahisseur
national5socialiste, ne peuvent apr@s la Lib$ration dire ; oui ? au8 m$faits du capitalisme et de sa
formule lib$rale qui produit pauvret$, pr$carit$, souffrances des pauvres et mis@re des %ens de
peu" 7efuser le totalitarisme de l'Ftat franVais de !-4 A !-44 suppose apr@s !-43 la r$cusation
de la dictature naOie tout autant que le d$sordre capitaliste qui, fort avec les faibles et faible avec
les forts, %$n@re une paup$risation inacceptable" La leVon de la 7$sistance historique d'hier Q La
r$volution A venir"
Pu'est5ce que cette r$volution voulue par Camus Q )urtout pas une r$volution par le san%,
avec violence et $chafauds, de ces fausses r$volutions qui, au sens $tymolo%ique, op@rent un
vira%e A trois cent soi8ante de%r$s, autrement dit r$activent les m>mes vices que la veille au nom
d'une pr$tendue vertu r$volutionnaire" On %arde le pouvoir, on chan%e 'uste ceu8 qui l'e8ercent J
tels ou tels su'ets de la veille deviennent alors les despotes du 'our J les rois sont r$tro%rad$s au
ran% de su'ets sans droits J parfois m>me on les d$capite, roi de France ou tsar de toutes les
7ussies par e8emple" Or, dans ce %enre d'op$ration san%lante, le peuple chan%e tout simplement
de maWtres, une fois de plus il fait les frais de l'Listoire, paie un lourd tribut et ne voit pas
modifier ses conditions de vie concr@tes & il dispose de droits nouveau8 sur le papier, certes, mais
il travaille tou'ours avec peine, il chan%e de 'ou% et passe A la %uillotine ou au Knout, il doit
encore ob$ir, se soumettre, courber l'$chine" La police ne disparaWt pas, ni les prisons, ni les
banques, ni les casernes, ni les percepteurs U bien au contraire D
1our m$moire, et afin de comprendre ce qui anime un anarchiste, lisons ou relisons cette
belle citation de 1roudhon e8traite d'6dée énérale de la Ré+olution au R6R
e
si3cle & ; Htre
%ouvern$, c'est >tre %ard$ A vue, inspect$, espionn$, diri%$, l$%if$r$, r$%lement$, parqu$,
endoctrin$, pr>ch$, contrXl$, estim$, appr$ci$, censur$, command$ par des >tres qui n'ont ni titre,
ni la science, ni la vertu" Htre %ouvern$, c'est >tre, A chaque op$ration, A chaque transaction, A
chaque mouvement, not$, enre%istr$, recens$, tarif$, timbr$, tois$, cot$, cotis$, patent$, licenci$,
autoris$, apostill$, admonest$, emp>ch$, r$form$, redress$, corri%$" C'est, sous pr$te8te d'utilit$
publique, et au nom de l'int$r>t %$n$ral, >tre mis A contribution, e8erc$, ranVonn$, e8ploit$,
monopolis$, concussionn$, pressur$, mystifi$, vol$ J puis, A la moindre r$sistance, au premier mot
de plainte, r$prim$, amend$, vilipend$, ve8$, traqu$, houspill$, assomm$, d$sarm$, %arrott$,
emprisonn$, fusill$, mitraill$, 'u%$, condamn$, d$port$, sacrifi$, vendu, trahi, et pour comble,
'ou$, bern$, outra%$, d$shonor$ ? 6:449" Le 7$sistant ne veut >tre %ouvern$ que par lui et les siens
selon une lo%ique contractuelle U l'ordre libertaire"
La r$volution spirituelle de Camus est politique, elle s'inspire de La *o$tie et de
1roudhon" LeVon en provenance du #iscours de la ser+itude +olontaire & le pouvoir e8iste
uniquement parce qu'on y consent, n'y plus consentir, donc se rebeller, r$sister, c'est
imm$diatement abolir ce pouvoir" LeVon issue de la lecture du 1roudhon auteur de la Création de
l'ordre dans l'humanité ou principe d'oranisation politique & le %ouvernement impos$ d'en haut
est ill$%itime, seul est l$%itime celui que l'on se choisit en bas et qui prend la forme contractuelle,
coop$rative, mutualiste, f$d$rative" La r$volution de La *o$tie, de 1roudhon et de Camus repose
sur l'intelli%ence, pas sur la force"
L'$thique pour politique
La r$volution libertaire est pacifique" 1our Camus, elle commence avec le remplacement
du personnel politique corrompu" La classe politique d'avant %uerre a failli" 1as question de la
voir r$apparaWtre apr@s la Lib$ration alors qu'elle a $t$ incapable de prendre en consid$ration la
mont$e des p$rils, d'emp>cher la %uerre, puis de r$sister moralement, intellectuellement et
physiquement" Gne autre %$n$ration, a%uerrie, form$e au combat r$el et concret de la 7$sistance,
doit la remplacer & ; Les affaires de ce pays doivent >tre %$r$es par ceu8 qui ont pay$ et r$pondu
pour lui" Cela revient A dire que nous sommes d$cid$s A supprimer la politique pour la remplacer
par la morale ? 6((" 3209" LA oN la r$volution du socialisme c$sarien enferme, d$porte,
emprisonne, torture et assassine, la r$volution du socialisme libertaire $carte, d$place, remplace,
supplante les hommes sans qualit$ par des individus ayant fait leurs preuves en faveur de la
libert$ et de la 'ustice, de l'humanit$ et de l'action"
Camus parle de morale" #@s lors, il fait rire les cyniques qui, lecteurs de L$nine, de
CrotsKi ou de )taline, e8cellent dans la sophistique" Le cr$ateur de l'Arm$e rou%e, le massacreur
des marins libertaires de Rronstadt, L$on CrotsKi, $crivit Leur morale et la n-tre & il s'a%it d'un
chef5d'Buvre pour les dictateurs d'hier, d'au'ourd'hui et de demain" (l distin%ue en effet la morale
bour%eoise de la morale r$volutionnaire en interdisant de 'u%er la r$volution avec les cat$%ories
de la morale bour%eoise et en e8i%eant un 'u%ement selon les crit@res de la morale
r$volutionnaire"
Ainsi, fusiller, torturer, envoyer au Ioula% est certes mau+ais pour le bour%eois, mais &on
pour le r$volutionnaire, puisque ces n$%ativit$s pr$sent$es comme des ba%atelles dialectiques
sont appel$es A produire la positivit$ de l'av@nement de la r$volution prol$tarienne, du moins
pour la poi%n$e qui aura surv$cu" La lo%ique cons$quentialiste et opportuniste de cette morale
r$volutionnaire sans principes convenait aussi bien A Litler qu'A L$nine, A Mussolini qu'A )taline,
A 1$tain qu'A CrotsKi, A Franco qu'A Mao, elle convenait aussi A )artre U elle ne convint 'amais A
Camus"
La pens$e post5totalitaire a conserv$ un r$fle8e totalitaire quand elle dissocie $thique et
politique" )'appuyant sur Machiavel ou se r$clamant de 7ousseau, bon nombre pensent en effet
au'ourd'hui que la morale et la politique constituent deu8 re%istres s$par$s et que ce qui est bon
pour l'une ne l'est pas forc$ment pour l'autre" Ceu8 qui dissocient les deu8 instances $tablissent
cette antinomie pour 'ustifier l'immoralisme et l'immoralit$ des ventes d'armes, des %uerres, de la
raison d'Ftat, du r$alisme $conomique" Le Prince fait l'$lo%e de la ruse du renard ou de la force
du lion J pour sa part, le #iscours de la ser+itude +olontaire ne renvoie pas au8 animau8, mais A
la volont$ des hommes, A leur coura%e, A leur d$termination" La 7$sistance ne fut pas florentine,
elle fut libertaire"
La lo%ique mar8iste s'appuie sur la doctrine selon laquelle l'infrastructure $conomique
conditionne la superstructure id$olo%ique U en d'autres termes & le mode de production des biens
induit la faVon individuelle et collective de penser" #@s lors, si l'on accepte ce postulat, une
r$volution qui remplace la propri$t$ priv$e des moyens de production par une appropriation
collective, autrement dit le capitalisme par le communisme, produit automatiquement une
r$volution intellectuelle et spirituelle" )upprimer le propri$taire priv$ de l'usine, de la mine ou de
la terre, le remplacer par un cartel de l'avant5%arde $clair$e du prol$tariat assurant une dictature
6le mot et le pro'et sont e8plicites cheO Mar8 et les mar8istes9, ce serait donc chan%er l'homme"
Camus pense l'inverse & on ne r$volutionne pas l'$conomie avec pour ob'ectif de chan%er
l'homme J mais on chan%e l'homme pour qu'il r$volutionne ensuite l'$conomie et la mette non
plus au service du capital, des propri$taires, des poss$dants, mais du peuple" Mar8 croit A
l'$conomie d'abord J Camus, A l'anthropolo%ie, A la psycholo%ie, A l'$tholo%ie, A l'ontolo%ie" Le
premier, en di%ne $l@ve europ$en de Le%el, sacrifie A la reli%ion des id$es, de la dialectique, des
concepts et des noum@nes J le second, en fils d'ouvrier a%ricole et de femme de m$na%e, en
disciple de la M$diterran$e, en compa%non des pauvres, en ami fid@le des d$sh$rit$s du quartier
de *elcourt, pense d'abord au8 hommes concrets" C'est dans cette perspective qu'il faut
comprendre son invitation A ; sauver les corps ? 6((" 4:/9" 1our Mar8, la politique n'a pas A >tre
$thique, ni m>me une $thique J pour Camus, l'$thique est une politique"
Le sabre et le %oupillon
#eu8i@me temps & la Colla&oration" Camus ne s'acharne pas sur la collaboration bas de
%amme, mais sur la complicit$ lourde de l'F%lise catholique et des %rands patrons franVais" )oit
celle du pouvoir spirituel et du pouvoir de l'ar%ent r$unis sous la banni@re de l'intelli%ence avec
l'ennemi" 7$%uli@rement, quand il aborde le fascisme espa%nol, Camus d$nonce la collusion entre
les militaires et le cler%$, le sabre et le %oupillon, cet attela%e luttant contre le mat$rialisme ath$e
du mar8isme5l$ninisme" Mais quid de ce spiritualisme chr$tien qui 'ustifie que des pr>tres
b$nissent des armes et des soldats qui partent au combat ou des condamn$s A mort li%ot$s A un
poteau d'e8$cution Q
#ans sa chronique du 20 d$cembre !-44, Camus se f$licite du messa%e radiodiffus$ de
+okl dans lequel le pape, un peu plus d'une demi5ann$e apr@s le d$barquement des Alli$s sur les
pla%es de +ormandie, reconnaWt, en9in, la valeur de la d$mocratie D Mais il d$plore, d'une part,
que 1ie M(( ran%e la r$publique et la monarchie sous la rubrique d$mocratique, et, d'autre part,
que le souverain pontife invite A la mod$ration dans l'e8ercice d$mocratique" Ce qui est reprendre
d'une main ce qui aurait pu >tre donn$ de l'autre"
Gne note scandaleuse des $ditions de La 1l$iade parle de ; l'impartialit$ ? 6((" !2039 du
pape 1ie M(( pendant cette p$riode tra%ique D (mpartial 1ie M(( qui refuse l'inscription de "on
com&at d'Adolf Litler A l'(nde8 alors que <ean51aul )artre s'y trouve, ainsi que )imone de
*eauvoir Q (mpartial 1ie M(( qui se f$licite de la victoire de Franco Q (mpartial 1ie M(( qui revient
sur la condamnation de l'Action franVaise, antis$mite et anticommuniste Q (mpartial 1ie M(( se
taisant sur les lois antis$mites de Mussolini et les rafles contre les 'uifs effectu$es sous les
fen>tres du Eatican Q (mpartial 1ie M(( qui ne prend pas position contre les lois antis$mites de
Eichy Q (mpartial 1ie M(( qui, en 'uillet !-4-, e8communie tout communiste parce qu'il est
communiste, alors qu'aucun naOi ne l'a $t$ pour cause de naOisme Q (mpartial 1ie M(( qui, apr@s
%uerre, a mis ses monast@res europ$ens au service d'une fili@re permettant l'e8filtration des
criminels de %uerre naOis vers l'Am$rique du )ud oN ils $chappaient au8 poursuites de la 'ustice
humaine et pouvaient ainsi envisa%er de finir leurs 'ours tranquillement en Am$rique du )ud oN
ils conseillaient le %ouvernement am$ricain pour fomenter des coups d'Ftat militaires
anticommunistes et installer des 'untes militaires san%uinaires au pouvoir Q
Camus, scandalis$ par la partialit$ de 1ie M(( et de l'F%lise catholique, apostolique et
romaine dans sa complicit$ avec les fascismes europ$ens en %$n$ral et avec le naOisme en
particulier, dans sa compromission avec les politiques de collaboration de nombre de
%ouvernements europ$ens avec le 7eich antis$mite et anticommuniste, dans son silence sur
l'e8termination des 'uifs alors qu'elle $tait au courant depuis d$but !-42, Camus, donc, $crit le
lendemain de +okl !-44 & ; #isons5le clairement, nous aurions voulu que le pape prWt parti, au
cBur m>me de ces ann$es honteuses, et d$nonVTt ce qui $tait A d$noncer" (l est dur de penser que
l'F%lise a laiss$ ce soin A d'autres, plus obscurs, qui n'avaient pas son autorit$, et dont certains
$taient priv$s de l'esp$rance invincible dont elle vit" Car l'F%lise n'avait pas A s'occuper alors de
durer ou de se pr$server" M>me dans les chaWnes, elle n'eSt pas cess$ d'>tre" ,t elle y aurait trouv$
au contraire une force qu'au'ourd'hui nous sommes tent$s de ne pas lui reconnaWtre ? 6((" 429"
L'F%lise a collabor$ J la 7$sistance a port$ la flamme qu'aurait dS faire briller cette instance
spirituelle"
Le Eatican a failli, et il faillit encore en c$l$brant la d$mocratie mod$r$e, autrement dit
une politique qui laisse les choses en l'$tat et n'aspire surtout pas A plus de 'ustice humaine, dans
le but non avou$ de rendre possibles encore lon%temps ses entreprises de charit$ et ses
processions reli%ieuses" 1ie M(( 'ustifie ontolo%iquement la mis@re, la pauvret$, les in'ustices, les
in$%alit$s, puisqu'elles proc@dent du p$ch$ ori%inel contre lequel il n'y a rien A faire, sinon prier,
prier encore et tou'ours prier" 1our le pape, il faut $%alement se soumettre au pouvoir en place U
pourvu qu'il ne soit pas communiste" Car ; tout pouvoir vient de #ieu ?, ensei%ne saint 1aul
67om" E" 2-9, mais il faudrait a'outer & sauf le communisme qui, lui, probablement, vient du
#iable"
Face A l'imp$ritie de l'F%lise catholique, Camus avance des th@ses qui, peut5>tre,
pourraient faire partie de celles qu'il ne d$fendrait plus en !-3" Le 2. mars !-43, il aborde la
question de l'allocation %ouvernementale de cr$dits A l'$cole priv$e" Eichy avait, d@s !-4,
lar%ement subventionn$ l'ensei%nement catholique" La la]cit$, dans cette p$riode postvichyste,
%arantit la libert$ de conscience et de choi8, y compris, et surtout, sur le terrain de la reli%ion" )i
l'Ftat peut transmettre des v$rit$s reconnues de tous, l'instruction civique par e8emple, il ne peut
inculquer la reli%ion selon les m>mes principes car, comment ensei%ner la foi qui ne s'apprend
pas plus que l'amour Q Les croyants ayant des certitudes reli%ieuses, un domaine oN pourtant
'amais rien ne saurait >tre certain, ne peuvent demander A l'Ftat qu'il subventionne l'ensei%nement
de leurs points de vue"
1our Camus, un demi5si@cle de la]cit$ a permis la pai8 sociale et rel$%u$ l'anticl$ricalisme
au rayon des vieu8 souvenirs" L'$cole la]que fonctionne comme un lieu oN le dialo%ue entre
croyants et incroyants peut avoir lieu J ce qui n'est pas le cas de l'$cole confessionnelle qui ne
laisse pas de place au d$bat, A la discussion et A l'$chan%e" #es ensei%nants chr$tiens peuvent
professer A l'$cole communale, au coll@%e, au lyc$e, A l'universit$, la chose se voit souvent J en
revanche, l'$cole priv$e n'accueille 'amais de m$cr$ants ou d'ath$es"
Camus pr$cise que s'il $tait catholique, et l'on ima%ine bien qu'il invite les catholiques A se
comporter selon l'ordre des raisons qu'il indique, il supprimerait purement et simplement l'$cole
dite libre parce que dans l'$cole la]que le d$bat a lieu et qu'il est pr$f$rable pour un chr$tien de
d$battre et de d$fendre ses convictions dans le cadre de cette $cole qui vit de confrontations et
d'$chan%es seulement en milieu ferm$, en dehors du monde" Gn catholique di%ne de ce nom
devrait donc participer A l'ensei%nement la]c national" Ce qui permettrait A sa communaut$ de se
m$lan%er au peuple, de le voir et de le cXtoyer" Cette mi8it$ sociale serait du meilleur effet
spirituel et $thique" 1ar ailleurs, on peut ima%iner qu'en sortant de leurs %hettos confessionnels les
chr$tiens feraient une e8p$rience sociolo%ique et politique utile" Y terme, on peut m>me ima%iner
que l'F%lise pourrait perdre ses tendances r$actionnaires et acqu$rir une relation authentique avec
le monde tel qu'il est"
Conclusion & Camus n'est pas pour la subvention des $coles confessionnelles chr$tiennes
par l'Ftat J il r$cuse le maintien de deu8 $coles, l'une, ouverte, qui dialo%ue, l'autre, ferm$e sur
elle5m>me, qui n'accepte pas le d$bat d'id$es J ou bien encore & l'une, tol$rante et la]que, qui
accepte les ensei%nants croyants, l'autre, intol$rante et reli%ieuse, qui les refuse J il pr$tend que,
s'il $tait chr$tien, il voudrait la fin des deu8 $coles au profit d'un %rand service public la]c unifi$
dans lequel se m$lan%eraient les reli%ions, les ori%ines sociales, les diversit$s spirituelles J il
pense enfin que cette $cole unique en%a%erait l'F%lise sur la voie de la modernit$"
La collaboration industrielle
La collaboration avec l'ennemi a $%alement concern$ les %rands industriels franVais, Louis
7enault en particulier" Y la Lib$ration, les %rands patrons protestent de leur innocence & ils $taient
obli%$s, contraints, soumis J ils risquaient la confiscation de leurs biens J d@s lors, rester au8
commandes leur permettait de ralentir la production, donc de r$sister A leur mani@re J ils
ob$issaient au8 in'onctions d'un %ouvernement l$%al auquel il $tait impossible de refuser le
consentement U et autres sophisteries cens$es 'ustifier leurs en%a%ements condamnables"
Or, dit Camus, les patrons ont d$'A montr$ dans l'Listoire leur capacit$ A d$sob$ir au8
in'onctions d'un %ouvernement l$%al & par e8emple, lors des %r@ves de !-:0, les chefs
d'entreprise, les maWtres des for%es, les propri$taires se sont sciemment mis hors la loi" Contre les
ouvriers, les travailleurs, les syndicalistes, les manBuvres, contre les radicau85socialistes, les
socialistes et les communistes, les patrons savaient alors dire non, refuser, m>me si la loi leur
en'oi%nait d'ob$ir" Mais dire non au Front populaire et oui A Eichy s'inscrit bien dans l'ordre des
choses du monde patronal"
Y la Lib$ration, le %ouvernement r$quisitionne les biens de Louis 7enault, puis d$cide de
leur confiscation" Le capitaine d'industrie devait >tre 'u%$ J il est mort avant" L'Ftat a donc
nationalis$ 7enault" +ormal, $crit Camus & ; l'ar%ent a des devoirs ? 6((" 3039, il ne fait pas que
donner des droits dont les propri$taires ont lar%ement us$ avant et pendant la %uerre" Construire
une soci$t$ sur l'ar%ent e8clut la %randeur et la 'ustice" Avec cette nationalisation, le
%ouvernement r$alise une politique $thique, il active une $thique politique, car il ; a estim$ que
ces richesses avaient autoris$ asseO de privil@%es sans responsabilit$s correspondantes, et
devaient servir maintenant au bien de tous ? 6((" 3039" Louis 7enault a pr$f$r$ l'ar%ent A la
r$sistance, le d$shonneur A l'honneur, d@s lors les nationalisations constituent une r$ponse
appropri$e A ce qu'il fut et A ce qu'il a fait"
#e la m>me mani@re que la r$ponse $thique A la collaboration de l'F%lise catholique avec
Eichy est la la]cit$, la riposte morale A l'implication active des industriels dans le r$%ime de
1$tain, ce sont les nationalisations" Camus veut ; une $conomie collectiviste et une politique
lib$rale ? 6((" 3:-9, mais pas l'une sans l'autre & une $conomie collectiviste sans la libert$, c'est la
dictature, et pr$cis$ment celle de l'Gnion sovi$tique J une libert$ sans l'$conomie collective, c'est
un autre %enre de tyrannie, celle des Ftats5Gnis" La collectivisation sans libert$ abolit l'initiative
individuelle et toute libert$ sin%uli@re J la soci$t$ libre sans propri$t$ collective donne les pleins
pouvoirs A l'ar%ent" Camus veut le social de l'G7)) et la libert$ des Ftats5Gnis"
Le mar8isme5l$ninisme et le lib$ralisme incarnent deu8 id$olo%ies qui, chacune A leur
mani@re, constituent des utopies concr@tes coSteuses en vies humaines" Y l',st, on croit au
pro%r@s, au sens de l'histoire, A la dialectique, A la n$%ativit$ accoucheuse de positivit$, A la
r$volution, A la r$alisation de l'humanit$, A la lib$ration du %enre humain, A la fin de l'ali$nation,
du salariat et du capitalisme U et l'on a voulu, pour acc$l$rer une fin pourtant pr$sent$e comme
in$luctable, des camps, des barbel$s, des polices, des milices, des potences J A l'Ouest, on
communie dans la reli%ion de l'$conomie de march$, de la main invisible r$%ulatrice, de
l'enrichissement de tous par celui de quelques5uns, de la vertu de la libre entreprise, de l'ar%ent
comme si%ne de %rTce, de la constitution d'une vertu publique par l'a%encement de vices priv$s U
et l'on constate que cette imparable lo%ique pr$vue pour le bien de l'humanit$ s'accompa%ne de
paup$risation, de la mis@re du plus %rand nombre, de violences et de brutalit$s sociales, de
d$linquance et de prisons pour y punir les pauvres bou%res qui donnent tort au8 do%mes de cette
utopie" Fin !-44, Camus ne veut ni la soci$t$ totalitaire sovi$tique sans la libert$, ni la soci$t$
barbare lib$rale sans la collectivisation"
Camps de concentration et bombe atomique
Car les choses sont claires pour Camus & l'G7)), ce sont les camps J les Ftats5Gnis, la
bombe atomique" ,n octobre !-4/, il $crit A d'Astier de la Ei%erie" Ce 'ournaliste venu de
l'e8tr>me droite de l'Action franVaise pass$ au compa%nonna%e avec le parti communiste franVais,
+ia la 7$sistance, lui reproche, en r$cusant de la m>me mani@re l'G7)) et les Ftats5Gnis, de ne
pas choisir et de ne pas prendre parti" ,n n'$lisant pas la peste ou le chol$ra, Camus ferait le 'eu
de la bour%eoisie, du capital et du capitalisme U paralo%isme puisque, pour faire le 'eu de la
droite, il lui faudrait clairement d$fendre les th@ses de la droite, ce qu'il ne fera 'amais"
Camus refuse de l$%itimer les camps, quelles que soient les raisons de leur e8istence & un
camp naOi ou un camp bolchevique ne saurait >tre ponctuellement bon parce que na5i ou
&olche+ique, car il est tou'ours mauvais du simple fait d'>tre un camp" L'$pith@te n'est pas le
probl@me, mais le substantif" (l n'e8iste aucune 'ustification A quelque camp que ce soit" (l $crit &
; <e vais vous donner un bon e8emple de violence l$%itim$e & les camps de concentration et
l'utilisation comme main5d'Buvre des d$port$s politiques" Les camps faisaient partie de l'appareil
d'Ftat, en Allema%ne" (ls font partie de l'appareil d'Ftat en 7ussie sovi$tique, vous ne pouveO
l'i%norer" #ans ce dernier cas, ils sont 'ustifi$s, paraWt5il, par la n$cessit$ historique ? 6((" 4009"
EoilA donc la chose dite en !-4/ & les camps naOis et les camps bolcheviques rel@vent d'une
m>me ontolo%ie contre laquelle le philosophe se bat"
#e la m>me faVon qu'il ne saurait donner son aval A un r$%ime qui massacre des hommes
au nom de Mar8, Camus ne souscrit pas A un syst@me politique qui donne l'ordre de lar%uer des
bombes atomiques sur Liroshima et +a%asaKi sous pr$te8te de hTter la fin d'une %uerre qui allait
s'arr>ter de toute faVon" #eu8 'ours apr@s le crime am$ricain, le / aoSt !-43, Camus publie une
chronique dans laquelle il condamne radicalement cette arme de folie et son usa%e" (l $crit & ; La
civilisation m$canique vient de parvenir A son dernier de%r$ de sauva%erie ? 6((" 4-9"
Lorsque les communistes vomiront les th@ses de L''omme ré+olté et que, sous la plume
de 1ierre Lerv$, dans La 2ou+elle Critique, ils r$pandront les habituelles insultes et contrev$rit$s
qui leur servent de m$thode, Camus r$pondra dans une lettre ouverte intitul$e Ré+olte et police"
7evenant sur Liroshima, il rappelle une chose bien oubli$e au'ourd'hui tant la l$%ende d'un 1CF
pacifiste recouvre l'histoire d'un parti dont la morale n'a 'amais $t$ le fort & ; Pue disaient, dans
leurs 'ournau8, M" Lerv$ et ses amis Q (ls se r$'ouissaient, avec la presse qu'ils appellent
bour%eoise, de cette victoire sans bavures ? 6(((" 439" )achons nous en souvenir" M" Lerv$,
professeur de philosophie par ailleurs, $crivit si8 articles au moment de l'affaire dite des blouses
blanches A Moscou pour 'ustifier la mise A mort de m$decins 'uifs d$cid$e par )taline et 'ustifier
une campa%ne antis$mite de %rande enver%ure en G7))" #ans cette prose parue dans Ce soir,
'ournal diri%$ par 1ierre #ai8, il fusti%e le cosmopolitisme d$%$n$r$, les ; sionistes5trostKystes ?,
la finance 'uive qui a commandit$ Litler" 1ierre Lerv$ mourut %aulliste, apr@s un passa%e par la
)F(O, en !--:"
; +i bourreau8, ni victimes ?, $crivit5il dans une chronique rest$e c$l@bre & Camus ne
souhaite pas se laisser enfermer dans le manich$isme qui, au MM
e
si@cle, a eu raison des plus
belles intelli%ences qui n'ima%in@rent pas une seule seconde que l'on puisse $viter de choisir entre
le socialisme concentrationnaire et la barbarie du capitalisme lib$ral en ne voulant ni l'un ni
l'autre" Y consentir au8 termes de l'alternative, les intellectuels se retrouvaient A 'ustifier les
camps parce qu'ils ne voulaient pas de la bombe, ou A l$%itimer l'arme atomique parce qu'ils
refusaient le Ioula%" +e pas vouloir d'un mal A cause du Mal les conduisait A vouloir un autre
mal, au nom du *ien" Camus fut le seul A refuser cet enfermement rh$torique qui emp>chait de
penser & ni le collectivisme sans lib$ralisme, ni le lib$ralisme sans collectivisme, mais, ensemble,
le lib$ralisme pour la soci$t$ et le collectivisme pour l'$conomie, et ce dans un m>me pays U
avant une %rande f$d$ration avec d'autres peuples"
La lib$ration apr@s la Lib$ration
Croisi@me temps & la Li&ération" 1our Camus, la lib$ration doit se poursuivre apr@s la
Lib$ration" )es chroniques racontent l'entr$e des chars dans 1aris, les barricades dans les rues, les
tirs des Allemands embusqu$s, la lib$ration de la capitale, la 'oie dans les quartiers, la liesse
populaire" Les 7$sistants ayant combattu pendant quatre ann$es les armes A la main, ceu8 qui ont
mis leur vie en 'eu, vu mourir leurs amis, leurs camarades, les femmes et les hommes qui ont pris
des risques, ceu85lA ne peuvent ima%iner, A ce moment de l'histoire, qu'ils ont a%i pour que la
classe politique coupable d'imp$ritie, de lTchet$, de trahison, revienne au pouvoir et retrouve ses
pr$bendes"
Y l'heure du bonheur, la pens$e des 7$sistants va bien sSr au8 copains morts & cette
all$%resse n'est5elle pas obsc@ne Q Le rire, la f>te, la %aiet$, le vin, les d$bordements, les corps
tout A la volupt$, tout cela est5il d$fendable Q +e faudrait5il pas plutXt rester A l'$cart des cris de
'oie, se souvenir, penser au8 d$funts Q +on, dit Camus & les compa%nons d'armes se sont battus
pour l'e8istence de ces 'ourn$es, pour que la libert$ revienne et soit f>t$e dans cette e8plosion
d'enchantements" F>ter la lib$ration, c'est donc l$%itimer leurs sacrifices, 'ustifier leur tr$pas,
donner un sens A leurs combats et A leur abn$%ation" Leur $thique d$bouche sur une politique"
Ces 'ourn$es c$l@brent la vie recouvr$e U les survivants leur doivent un %rand ; oui ? nietOsch$en"
Htre fid@le au8 7$sistants est moins une affaire de devoir de m$moire que d'e8i%ence pour
le futur" Certes, il ne faut pas les oublier, mais la meilleure faVon de s'en souvenir ne passe pas
par la componction des amis esseul$s, ni par les comm$morations officielles doucement moqu$es
dans les derni@res pa%es de La Peste, mais par la reprise du flambeau & ils r$sistaient A la
tyrannie Q 7$sistons au8 tyrannies nouvelles U en l'occurrence, celles qui s'imposent au'ourd'hui
au nom du 1rol$tariat ou du Capital comme 'adis au nom du 7eich ou de l'Ftat franVais"
Ce combat libertaire, Camus le m@ne avec la col@re du 'uste d@s la premi@re heure" Ainsi,
lors de la lib$ration des camps, le !. mai !-43, il parle de #achau, des pou8, des puces, des 'uifs
morts, des tas de cadavres, des odeurs de putr$faction" Le camp a $t$ lib$r$ par les troupes
am$ricaines" Mais, huit 'ours plus tard, la plupart des d$port$s attendent tou'ours qu'on s'occupe
d'eu8, qu'on les soi%ne et les rapatrie" *eaucoup meurent de faim, de soif, du typhus ou des suites
de leurs conditions d'incarc$ration" 1endant ce temps, dehors, les Allemands man%ent A leur faim,
les officiers naOis aussi, puisqu'ils b$n$ficient d'une humanit$ %arantie par le droit international"
Ce qui met Camus en col@re Q Le rapatriement des ; d$port$s d'honneur ? 6((" 4!/9 par
avion" #éportés d'honneur D L'e8pression %lace le san%" Comment qualifier les autres d$port$s Q
Les d$port$s du d$shonneur Q Camus ne donne pas le nom des $lus de cette surhumanit$ prot$%$e
et privil$%i$e d'apparatchiKs de %auche, de syndicalistes, de ministres et de %ens de pouvoir"
Crente5deu8 personnes intern$es A *uchenZald b$n$ficient en effet du vol sp$cial qui se pose au
*our%et le !/ avril" #e qui s'a%it5il Q #'hommes politiques ayant $t$ ministres et responsables
sous la (((
e
7$publique & parmi eu8, 1aul #aladier, l'homme des accords de Munich, L$on *lum,
le pr$sident du Conseil ayant refus$ d'armer les r$publicains espa%nols qui r$sistaient au fascisme
espa%nol soutenu par le fascisme naOi, 1aul 7eynaud, munichois, puis ministre de la #$fense
nationale et de la %uerre, donc de la d$bTcle de 'uin 4 U etc"
Cou'ours au8 cXt$s de ceu8 sur lesquels s'e8erce le pouvoir, et 'amais avec ceu8 qui
l'e8ercent U une autre e8cellente d$finition du libertaire U, Camus $crit, concernant les d$port$s
sans noms et sans visa%es & ; Gn seul des cheveu8 de ces hommes a plus d'importance pour la
France et l'univers entier qu'une vin%taine de ces hommes politiques dont des nu$es de
photo%raphes enre%istrent les sourires" ,u8, et eu8 seuls, ont $t$ les %ardiens de l'honneur et les
t$moins du coura%e ? 6((" 4!/9" La r$volution spirituelle a laquelle il aspire passe par une s$v@re
mise A l'$cart du vieu8 personnel politique ayant failli, puis par la promotion de ces d$port$s et de
ces r$sistants qui, loin des circuits politiques classiques ont moins $t$ soucieu8 d'acqu$rir des
honneurs que de porter haut l'Lonneur d'une +ation qui ne voulait pas renoncer A la Libert$, A
l'F%alit$ et A la Fraternit$"
; Les forces de la ven%eance ?
Puatri@me temps & l'.puration" Avec le temps de la Lib$ration vient celui de la
reconstruction & mais que faire des collaborateurs Q #es centaines de milliers de %ens ne s'$taient
pas r$volt$s et n'avaient pas dit non A l'occupant naOi, au r$%ime de Eichy, A la politique du
mar$chal 1$tain" Cependant ils n'avaient pas non plus forc$ment dit oui U ils avaient attendu,
vivant au 'our le 'our, travaillant, tTchant d'e8ister mal%r$ tout dans cette p$riode difficile" +i
h$ros ni salauds, la France profonde, celle qui n'eut l'occasion ni d'un fait d'armes e8emplaire, ni
d'une vilenie ind$l$bile" Le petit peuple silencieu8, mutique, soumis, bien que secr@tement
d$sireu8 de recouvrer une libert$ simple, celle d'aller au travail sans passer sous les drapeau8 A
croi8 %amm$e, ou de se rendre dans un caf$ pour un ap$ritif avec les copains sans devoir croiser
des uniformes verts de %ris" Mais pour ceu8 qui ont clairement choisi le d$shonneur Q
#'abord il s'a%it d'$tablir scrupuleusement les v$ritables responsabilit$s car, si d'aucuns
e8a%@rent leur rXle dans la r$sistance en pr$tendant parfois faussement en avoir fait partie, un
m>me flou r@%ne A l'autre bord politique oN l'on se presse en affirmant n'avoir pas $t$ complice
des Allemands" ,n effet, la Collaboration posait aussi un probl@me d'$tablissement des faits &
pour certains, ce fut clair, parce qu'ils $taient notoirement au8 cXt$s de l'occupant J pour d'aucuns,
ce fut moins net J pour d'autres encore, totalement fau8, le ressentiment trouvant A cette $poque
d'e8cellentes occasions pour r$%ler des comptes personnels" #ans cette confi%uration passionn$e
et passionnelle, l'e8ercice serein de la 'ustice relevait de la %a%eure"
Camus a $volu$ sur ce su'et" Le combat abolitionniste de toute sa vie a vacill$, bien que
visc$ralement inscrit dans sa vision du monde puisque architectonique de l'Buvre enti@re" Ainsi,
avec 1ierre 1ucheu & ce normalien, militant d'e8tr>me droite avant %uerre, industriel dans la
sid$rur%ie, banquier, membre du %ouvernement de Eichy, puis ministre de l'(nt$rieur, a cr$$ les
)ections sp$ciales et les Iroupes mobiles de r$serve 6IM79 pour 'u%er les r$sistants dans des
cours dites de 'ustice qui, au m$pris du droit, ont envoy$ A la %uillotine une %rande quantit$ de
personnes" ,n novembre !-42, quand lui aussi sent tourner le vent de l'Listoire, 1ucheu se
rapproche de la r$sistance, part A Al%er retrouver le %$n$ral Iiraud" Y la Lib$ration, il est arr>t$,
'u%$ et condamn$ A mort" #e Iaulle refuse sa %rTce" (l est fusill$ le 2 mars !-44" 1ucheu devient
le premier membre du %ouvernement de Eichy A >tre e8$cut$"
#ans un article des Lettres 9ran0aises de mai !-44, Camus, qui, on le sait, a tou'ours dit
son opposition A la peine de mort, ne la d$fend pas, mais la comprend, la tol@re, et pourrait m>me
aller 'usqu'A la 'ustifier" #evant le cadavre de cet homme, il se dit pour la premi@re fois de sa vie
sans haine et sans compassion" L'article permet au philosophe de r$fl$chir sur ce que peuvent >tre
des crimes sans ima%ination, des assassinats de fonctionnaires, des meurtres de bureaucrates, des
mises A mort de techniciens, des peines de mort administratives" Camus fait de ce criminel de
bureau un assassin sans ima%ination, incapable de concevoir ce que supposaient concr@tement les
e8$cutions d$cid$es sur le papier U ce qui est faire peu de cas de son inhumanit$ concr@te"
)i 1ucheu manquait d'ima%ination, Camus, lui, n'en manque pas" EoilA pourquoi il $crit &
; C'est dans la pleine lumi@re de l'ima%ination que nous apprenons en m>me temps, et par un
parado8e qui n'est qu'apparent, A admettre sans r$volte qu'un homme puisse >tre ray$ de cette
terre ? 6((" -2:9" Ainsi, sans haine et sans piti$, mais sans prendre le temps toutefois d'e8pliquer
pourquoi ce parado8e ne serait qu'apparent, Camus l$%itime intellectuellement cette e8$cution en
affirmant que le 'u%e inique d'hier qui envoyait A la mort a $t$ 'ustement condamn$ au'ourd'hui A
la m>me peine, ce qui, somme toute, l$%itime la loi du talion, cette in$vitable rh$torique des
d$fenseurs de la peine de mort" Camus n'a pas d$ro%$, il ne renonce pas A son abolitionnisme et
ne dit pas clairement qu'il est pour la peine de mort, mais dans cette confi%uration de l'$puration,
au8 premi@res heures de la libert$ recouvr$e, il comprend qu'on puisse n$antiser 1ucheu"
Gn autre moment de la barbarie naOie contemporain de cette r$fle8ion sur l'affaire 1ucheu
permet de comprendre que Camus, A cette $poque, mai !-44, n'est pas encore pr>t pour l'e8ercice
serein d'une 'ustice sereine U mais apr@s quatre ann$es de clandestinit$, on ne peut, calme et
tranquille, passer du feu de l'action r$sistante au froid principe de la 'ustice" (l publie dans
Com&at clandestin un te8te intitul$ ; 1endant trois heures ils ont fusill$ des FranVais ? dans
lequel il rapporte la sauva%erie avec laquelle les occupants ont r$pondu au sabota%e d'une li%ne
de chemin de fer ayant fait d$railler deu8 Za%ons sans tuer personne" Gn officier allemand abat
froidement le chef de %are et tire sur deu8 de ses coll@%ues" #ans le villa%e, il rassemble quatre5
vin%t5si8 ota%es sur la place & pendant trois heures, m$ticuleusement, A raison de deu8 minutes
par personne, quatre5vin%t5si8 innocents sont abattus"
Camus ne doute pas une seconde qu'il faudra faire payer l'occupant" 1uis il conclut &
; #evant ce nouveau massacre, nous nous d$couvrons la solidarit$ du martyre et les forces de la
ven%eance ? 6((" -!.9" 1hilosophe, Camus plus qu'un autre sait que la ven%eance n'est pas la
'ustice, qu'elle en est m>me e8actement l'inverse" C'est d'ailleurs pour $viter le talion qu'au travers
des T%e, les hommes inventent une r$ponse qui n'est plus Bil pour Bil, dent pour dent, mais
punition 'uste, $quilibr$e, proportionn$e en paiement au domma%e, de faVon A ne pas r$pondre au
crime barbare par le crime inhumain, mais par une sentence humaine U ce qui d$finit un pro%r@s
$thique" 1our l'heure, le futur auteur des Ré9le*ions sur la uillotine e8p$rimente une sensation
humaine, trop humaine & le d$sir de ven%eance"
Puelques mois plus tard, en 'uillet !-44, tou'ours dans Com&at clandestin, sous le titre
; Eous sereO 'u%$s sur vos actes ?, Camus persiste dans cette direction" Cette fois5ci, il s'appuie
sur le couple 1$tain et Laval & pas dupe du 'eu qui leur ferait, pour le premier, parler de la France,
et pour le second, de l'Allema%ne, Camus les r$unit dans un m>me opprobre" )euls les actes
importent, et ces deu8 hommes ont a%i en criminels, en traWtres, en malfaiteurs" Camus appelle A
la %uerre totale, le compromis n'est plus d'actualit$ si d'aventure il l'a $t$ un 'our" 1as question de
pardonner" Chacun doit choisir son camp et il n'y en a que deu8 & ; La France de tou'ours et ceu8
qui seront d$truits pour avoir tent$ de la d$truire ? 6((" -29" Ce te8te r$active un m>me
ar%umentaire & 'u%er les 'u%es, tuer les tueurs, d$truire les destructeurs" Autrement dit, laisser
faire en soi ce qui ressemble au8 %ermes de la peste"
Croisi@me te8te & le : aoSt !-44, dans Le %emps du mépris, Camus rapporte le massacre
de trente5quatre r$sistants franVais par des ))" Les corps ont $t$ abandonn$s dans les foss$s de
Eincennes" Comme tou'ours, loin de la mise A distance par le concept, fid@le A sa m$thode,
Camus pr$sentifie les choses, il les raconte en d$tail, les montre, les dit, y revient, fournit des
pr$cisions & d$sarm$s, d$v>tus, mutil$s, $ventr$s, d$chiquet$s, les victimes ont eu les yeu8
$cras$s par les talons de leurs tortionnaires tous semblables A des hommes ordinaires, comme
Limmler qui rentrait le soir cheO lui sans faire de bruit pour ne pas r$veiller son canari"
Ceu8 qui torturent veulent torturer, ils humilient sciemment, ils choisissent de d$truire le
corps, mais aussi d'humilier l'Tme, ils cherchent A pulv$riser la di%nit$ de leurs victimes" Ces
hommes5lA transforment la torture en science e8acte, ils savent que, dans la psycholo%ie d'un
homme, il e8iste tou'ours un moment pour la faille & ils la cherchent, parfois la trouvent, s'y
en%ouffrent, $cartent les chairs de la psych$ pour y porter le feu du mal" La barbarie n'est 'amais
un accident, elle est tou'ours une construction volontaire"
Pui peut alors pardonner Q Pui veut oublier Q Malheureusement, l'Listoire du moment
donne ses leVons & l'$p$e ne se vainc pas par l'esprit mais par l'$p$e" #@s lors, sans haine, il faut la
m$moire et la 'ustice" Camus invite A ; frapper terriblement pour les plus coura%eu8 d'entre nous
dont on a fait des lTches en d$%radant leur Tme, et qui sont morts d$sesp$r$s, emportant dans un
cBur pour tou'ours rava%$ leur haine des autres et leur m$pris d'eu85m>mes ? 6((" :/:9" $rapper
terri&lement comme e8ercice de la 'ustice" Camus ne donne pas le d$tail de cette frappe terrible,
mais il dit bien, A cette date encore, combien il e8i%e de la ri%ueur, de la r$solution, de la fermet$"
(l semble qu'A cette $poque de l'ann$e !-44, dans les semaines qui suivent la Lib$ration, il
demeure prisonnier des 9orces de la +eneance? La 'ustice est une patience" Pui lui reprocherait
d'avoir besoin de temps, lui qui, bientXt, ira si vite sur ce su'et Q
La 'ustice est une patience
!
Au contact de la r$alit$, Camus $volue" (l a voulu une $puration s$v@re qui fut tout de
m>me 'uste et fid@le A la m$moire des amis disparus et des martyrs de la 7$sistance" (l si%ne le
manifeste des $crivains qui pr$conisent l'$puration litt$raire et entre dans le Comit$ national de
l'$dition 6C+,9" 1armi les plus ultras, le Comit$ rassemble )artre, qui $crivait encore le 3 f$vrier
!-44 pour la revue collaborationniste Com>dia J )imone de *eauvoir, qui, de 'anvier A
avril !-44, travaillait A 7adio5Eichy J Ara%on, qui d$fendait le pacte %ermano5sovi$tique et
souscrivait au refus motiv$ par l'appareil du parti communiste de r$sister A l'occupant 'usqu'A mi5
!-4! J ,luard, qui a publi$ dans la +7F de #rieu en !-4!" Pu'on n'ait pas $t$ %lorieu8 A cette
$poque peut se comprendre J en revanche, pas qu'on fasse la morale A la Lib$ration, ni qu'on 'u%e
ses pairs sans avoir $t$ impeccable"
1our information & un d$cret du Journal o99iciel paru le !! 'uillet !-40 apprend A Camus
que le %$n$ral de Iaulle lui d$cerne la rosette de la 7$sistance U une distinction sup$rieure A la
m$daille, il y eut 42 -2 m$dailles et seulement 4 :43 rosettes" Louis Iermain, son instituteur, le
f$licite par lettre" (l r$pond & ; <e ne l'ai pas demand$e et 'e ne la porte pas" Ce que ''ai fait est peu
de chose et on ne l'a pas encore donn$e A des amis qui ont $t$ tu$s A cXt$ de moi ? 6Lottman 4-9"
(l refusa la L$%ion d'honneur, en revanche il accepta que le %ouvernement espa%nol en e8il le
d$core de la m$daille de l'ordre de la Lib$ration le 2 f$vrier !-4- pour son action en faveur de la
lib$ration de l',spa%ne franquiste" Lors de la remise du pri8 +obel, son $pouse avait achet$ la
7osette de la L$%ion d'honneur pour qu'il la porte, il a refus$ de l'arborer, mais portait la
distinction du %ouvernement l$%al de l',spa%ne en e8il"
#ans ce Comit$ national de l'$dition, 1aulhan, #uhamel et Mauriac sont les moins
intransi%eants" Camus, habituellement class$ du cXt$ des ultras, se d$place vers les pra%matiques"
(l envoie une lettre de d$mission du C+, A <ean 1aulhan & l'aspect tribunal r$volutionnaire, la
haine et le ressentiment plus moteurs que le sens de la 'ustice, l'$vident opportunisme de tels ou
tels qui se servent du Comit$ pour se refaire une sant$ intellectuelle et une vir%init$ morale dans
le petit monde des lettres parisien et saisir l'occasion d'un compa%nonna%e avec le 1CF qui
noyaute lui aussi afin de faire oublier son entr$e tr@s tardive dans la 7$sistance, voilA autant de
motifs de ven%eance plus que de 'ustice" Camus ne souscrit pas A cette lo%ique"
Albert Camus a assist$ A au moins un proc@s d'$puration U $tait5ce celui de 1$tain auquel
il se rendit sans 'amais en faire le compte rendu Q Gne lettre A <ean Irenier pr$cise les choses"
Lisons ces phrases $crites au )anatorium du Irand LXtel de Leysin le 2! 'anvier !-4/ & ; <'ai
tou'ours la r$action $l$mentaire qui me dresse contre le chTtiment" Apr@s la Lib$ration, 'e suis
all$ voir un des proc@s de l'$puration" L'accus$ $tait coupable A mes yeu8" <'ai quitt$ pourtant le
proc@s avant la fin parce que j'étais a+ec lui et 'e ne suis plus 'amais retourn$ A un proc@s de ce
%enre" #ans tout coupable, il y a une part d'innocence" C'est ce qui rend r$voltante toute
condamnation absolue" On ne pense pas asseO A la douleur" L'homme n'est pas innocent et il n'est
pas coupable" Comment sortir de lA Q ?
Camus ne r$pond pas, mais pr$cise sa philosophie & une r$action visc$rale, une
idiosyncrasie, une sympathie, une empathie au8 sens $tymolo%iques de ces deu8 mots, puis, au5
delA de la r$action $pidermique, une ontolo%ie & personne n'est totalement coupable, personne
n'est totalement victime, il e8iste une part de culpabilit$ cheO la victime, une part d'innocence
cheO le bourreau" Or, on sait que Camus souhaite n'>tre ni bourreau ni victime" (l n'est pas du
%enre A distin%uer de faVon manich$enne le )alaud et le L$ros pour condamner radicalement le
premier et c$l$brer le second sans r$serve" Lui qui a r$ellement r$sist$ d@s la premi@re heure, il ne
'ette pas la pierre au r$sistant ayant craqu$ sous la torture" Pui sait ce qu'il ferait apr@s des heures
de supplice Q
1our comprendre la position de Camus, on lira 2e jue5 pas, un te8te dat$ du
: d$cembre !-44 A propos de 7en$ Lardy" Cet homme n$ pr@s d'Ar%entan dans l'Orne or%anisait
d@s !-4! les sabota%es dans le chemin de fer au sommet de l'appareil" ,ntre les mains de Rlaus
*arbie, et sous la torture, $crit Camus, il a livr$ des noms ayant conduit A l'arrestation de <ean
Moulin" (l n'a pas $t$ plus fort que la torture J qui le 'u%era Q +e char%eons pas celui qui n'aura
pas eu la force" Choisir le chemin le plus escarp$ et n'avoir pas vaincu la douleur dans la torture
reste mal%r$ tout plus respectable que n'avoir rien risqu$ ni fait" Gn tribunal peut 'u%er 7en$
Lardy, mais seule sa conscience pourra le faire" Le re%ard qu'il porte sur lui est pire que tous les
re%ards possibles"
<ustice ou charit$ Q
Gn dialo%ue avec Mauriac t$moi%ne de son $volution A propos de l'$puration" #ans Le
$iaro du !- octobre !-44, l'$crivain catholique s'$l@ve contre la parodie de 'ustice A l'Buvre
dans les Comit$s d'$puration & ils font plus son%er A la vindicte des tribunau8 r$volutionnaires
qu'A la s$r$nit$ des pr$toires en d$mocratie" Mauriac refuse la 'ustice politique, e8@cre les
tribunau8 d'e8ception, r$cuse les principes au profit d'un pra%matisme catholique & comment
reconstruire la France si l'on traWne devant les tribunau8 tous ceu8 qui n'ont pas $t$ impeccables
pendant cette p$riode Q Puelles $lites pourront remettre la France en marche puisque la plupart
n'ont pas $t$ %lorieuses Q ,n vertu de cette lo%ique r$aliste, Mauriac en appelle A l'indul%ence, au
pardon chr$tien" Camus rechi%ne"
7appelons qu'avec quelques autres $crivains, Mauriac a lui aussi personnellement int$r>t
A l'indul%ence D #ans Le $iaro du : 'uillet !-4, cet homme de droite mobilise tout son lyrisme
pour c$l$brer le mar$chal 1$tain & ; Ce vieillard $tait d$l$%u$ par les morts de Eerdun et par la
foule innombrable de ceu8 qui, depuis des si@cles, se transmettent le m>me flambeau que
viennent de laisser tomber nos mains d$biles" ? Apr@s l'armistice, ce futur %aulliste transi persiste
dans le soutien au Mar$chal, ''en veu8 pour preuve un article paru dans Le $iaro le lendemain
de l'appel du !/ <uin & ; Apr@s que le mar$chal 1$tain eut donn$ A son pays cette supr>me preuve
d'amour, les FranVais ont entendu une autre voi8, qui leur assurait que 'amais la France n'avait $t$
aussi %lorieuse" ,h bien, non D ? Cou'ours dans Le $iaro, le m>me Mauriac condamne le
bombardement an%lais de la flotte franVaise A Mers el5R$bir le : 'uillet !-4" Cette op$ration
militaire permettait au8 *ritanniques d'emp>cher qu'A la faveur de l'armistice la flotte franVaise ne
tombe entre les mains de l'arm$e hitl$rienne" ,n !-4!, Mauriac l$%itime la reprise de la +7F par
le collaborateur notoire 1ierre #rieu la 7ochelle U quatre ans apr@s la %uerre, en !-4-, dans une
lettre A Iide, il trouve m>me que c'$tait une e8cellente occasion de maintenir A flot l'esprit
franVais D ,n septembre !-42, Mauriac devient r$sistant et si%ne le manifeste clandestin du Front
national des $crivains U les victoires sovi$tiques sur l'arm$e du 7eich d$clenchent alors nombre
de vocations r$sistantes cheO quelques anciens p$tainistes" 1lus prudents encore, Mitterrand et
Mar%uerite #uras attendront l'$t$ !-4:"
#ans Justice et charité, un article paru le !! 'anvier !-43, Camus refuse l'alternative dans
laquelle, malin, Mauriac l'enferme & refuser la charit$ ce serait vouloir la haine J or Camus refuse
la charit$ J donc Camus pr$conise la haine" Ce %enre de sophisme contraint A se ran%er au8 cXt$s
des d$fenseurs chr$tiens de l'option charitable sous peine d'>tre un personna%e haineu8" Mais on
peut ne vouloir ni la charit$ ni la haine, mais tout simplement la 'ustice et la m$moire" 1as le
pardon, mais le 'u%ement s$v@re et 'uste"
1endant l'Occupation, Camus demande A 1ascal 1ia 62/ 'anvier !-4:9 l'envoi contre
remboursement de #u mensone de <anK$l$vitch U un autre philosophe au tra'et impeccable"
1reuve que l'auteur du "ythe de Sisyphe lisait le philosophe qui travaillait alors A son %raité des
+ertus 6!-4-9" ,n revanche, on ne sait si <anK$l$vitch a lu Camus mais, dans Le Pardon 6!-0.9 et
Pardonner K 6!-.!9, les deu8 philosophes r$fl$chissent sur ces su'ets A partir des m>mes bases &
seul l'offens$ peut pardonner, car il s'av@re impensable qu'un >tre pardonne une offense faite A
autrui D Au nom de quoi peut5on se substituer A celui qui, seul, peut accorder un pardon Q ,t si
l'offens$ est mort de cette offense Q Alors le crime devient impardonnable" <anK$l$vitch a'oute
que, pour accorder un pardon, une deu8i@me condition s'impose & que l'offenseur demande lui5
m>me A l'offens$ qu'on le lui accorde D Y d$faut, le pardon devient inenvisa%eable"
Comme tou'ours, et selon l'ordre des raisons 'ournalistiques qui pr$sident A l'$criture dans
Com&at, Camus part d'e8emples & dans Justice et charité 6!! 'anvier !-439, il r$pond A Mauriac
qui souhaite qu'on soit 'uste et charitable qu'il ne le trouve ni 'uste ni charitable" Camus ne veut ni
l'amour du Christ, ni la haine des hommes, mais la 'ustice n$cessaire qui ne passe pas
obli%atoirement par le pardon" (l $crit & ; <e pardonnerai ouvertement avec M" Mauriac quand les
parents de Eelin, quand la femme de Leynaud m'auront dit que 'e le puis ? 6((" 449" ,n attendant,
le pardon est impossible, impensable" On le verra bientXt, Camus chan%era d'avis"
Pui $tait Eelin Q L'un des pseudonymes d'Andr$ *ollier, un ami de Camus, le responsable
technique de Com&at clandestin" Arr>t$, tortur$, $vad$, il est tu$ A l'T%e de vin%t5quatre ans lors
de l'attaque de l'imprimerie clandestine du 'ournal A Lyon" Pui $tait Leynaud Q #$dicataire des
Lettres ( un ami allemand, il $tait l'ami r$sistant de Camus, arr>t$ lui aussi et fusill$ par les
Allemands le !: 'uin !-44" Camus ne ferme pas toute porte au pardon comme <anK$l$vitch en
faisant de l'offens$ leur seul >tre l$%itime pour pardonner, ce qui, on le voit bien, interdit de 9acto
le pardon, mais il $lar%it la possibilit$ du pardon au8 parents, A l'$pouse U au8 proches" ,n
attendant ce 'our 6qu'A cette heure Camus estime improbable mais qu'il saura bientXt possible9, il
en appelle A la fid$lit$ au8 morts et A leur m$moire, puis il interdit qu'on les trahisse"
,t puis il e8iste pour Camus une autre raison au refus du pardon & ces collaborateurs
pr$sent$s au'ourd'hui comme des martyrs sur lesquels on souhaite attirer la piti$ ont $t$ de
redoutables pr$dateurs qui n'h$sitaient pas A envoyer A la mort" 1ar ailleurs, ils ont trahi leur pays"
Comment peut5on inviter A aimer des traWtres Q Gne telle proposition $thique banalise la traWtrise"
#e plus, elle fait de la m$diocrit$ un sentiment ordinaire et commun, A peine critiquable puisque
pardonnable" Gn 'our, un homme commet des horreurs J le lendemain, on les lui pardonne J le
surlendemain, le criminel a repris sa place parmi les autres U d@s lors, A quoi bon la vertu si l'on
se contente de payer le vice avec cette petite monnaie $thique Q
,n appeler au Christ, c'est d$tourner le re%ard des hommes" )ans avoir le souci de sauver
son semblable, Camus pr$cise avoir 'uste envie de ne pas le d$sesp$rer" (l veut bien faire son
deuil de #ieu et de l'esp$rance, mais pas de l'homme dont il faut aimer, d$sirer et vouloir
ardemment la 'ustice" Mauriac l$%itime le pardon par le recours A la transcendance J Camus ne
peut le suivre, lui qui veut la 'ustice construite sur la plus totale immanence"
1our une $puration $clair$e
Camus milite pour une $puration $clair$e & pas question d'une 'ustice qui masquerait la
violence et la brutalit$ du ressentiment" L'e8amen scrupuleu8 des cas permet d'e8primer une
sentence appropri$e, il s'a%it de moduler les sanctions, de les d$cider avec discernement & on ne
saurait par e8emple assimiler dans un m>me opprobre le recruteur de la L$%ion des volontaires
franVais qui enrXle de 'eunes FranVais au combat contre les )ovi$tiques au8 cXt$s des soldats
naOis, et un 'ournaliste pacifiste responsable de la rubrique litt$raire d'un 'ournal
collaborationniste" Certes, dans la confi%uration de la )econde Iuerre mondiale, le pacifisme est
ind$fendable parce qu'il conduit A une collaboration avec l'envahisseur" #u moins, l'id$e de
d$part que la pai8 vaut mieu8 que tout demeure honorable, m>me si elle reste utopique" *ien sSr,
r$di%er des articles dans la presse qui soutient l'Allema%ne naOie n'est pas pardonnable, m>me s'il
s'a%it de rendre compte de parutions litt$raires sans port$e politique" Mais ces erreurs lourdes se
distin%uent nettement de la faute ma'eure du militantisme prohitl$rien"
Le 'u%ement qui condamne A cinq ans de travau8 forc$s le pronaOi ayant recrut$ des
hommes pour tuer et massacrer et A huit ann$es le 'ournaliste pacifiste n'ayant 'amais d$nonc$
personne est in'uste" #@s lors, une conclusion s'impose & ; (l est certain d$sormais que l'$puration
en France est non seulement manqu$e, mais encore d$consid$r$e" Le mot d'$puration $tait d$'A
asseO p$nible en lui5m>me" La chose est devenue odieuse" ,lle n'avait qu'une chance de ne point
le devenir qui $tait d'>tre entreprise sans esprit de ven%eance ou de l$%@ret$" (l faut croire que le
chemin de la simple 'ustice n'est pas facile A trouver entre les clameurs de la haine, d'une part, et
les plaidoyers de la mauvaise conscience, d'autre part" L'$chec en tout cas est complet ? 6((" 4.9"
+ous sommes le : aoSt !-43 & Camus tourne la pa%e de l'$puration"
7$di%eant une introduction au8 po@mes posthumes de son ami 7en$ Leynaud en !-4.,
Camus rapporte le d$tail de l'arrestation de son ami fusill$ A trente5neuf ans & les rafales d'armes
automatiques des miliciens dans les 'ambes, la prison, l'incarc$ration, le transfert de di85neuf
r$sistants dans un bois, l'abatta%e A la mitraillette dans le dos, les coups de %rTce, le miracle d'un
rescap$ qui se traWne 'usqu'A une ferme et raconte la sc@ne" <ournaliste, Leynaud $tait
profond$ment chr$tien" (l aimait les po@tes du ME(
e
si@cle et avait le pro'et, apr@s la %uerre, d'un
%rand po@me dans lequel il versifierait tout ce qu'il avait A dire" Camus rapporte l'amiti$ simple et
vraie, les ci%arettes parta%$es, les conversations sur la bo8e, le campin%, les bains de mer, le
silence sur leurs activit$s clandestines mutuelles, leur rendeO5vous rat$ avec un ami de Camus,
; un dominicain $ner%ique et frondeur, qui disait d$tester les d$mocrates chr$tiens et r>vait d'un
christianisme nietOsch$en ? 6((" ./9, leur dernier entretien et leur pro'et, apr@s %uerre, de 9aire
quelque chose pour la morale"
#ans les quelques li%nes e8tr>mement denses d'amiti$ qui terminent ce bref te8te, Camus
dit que Leynaud avait mis en lui une ima%e souvent interro%$e par le philosophe, une ima%e et
une vertu ayant son nom et son visa%e" La mort de son ami l'a aveu%l$ et r$volt$ J or, l'ima%e en
lui de cet ami n'aurait probablement pas consenti A cette r$volte" Cette ima%e chr$tienne d$pos$e
par son ami po@te dans le cBur du philosophe ath$e le conduit en un autre endroit que celui oN, se
r$clamant de Leynaud, il e8pliquait A Mauriac le chr$tien l'impossibilit$ de consentir au pardon"
Puand Camus renonce A son renoncement au pardon, il s'a%it moins du triomphe de Mauriac que
de celui, modeste et discret, de 7en$ Leynaud"
Puand on conclut ce duel entre Mauriac et Camus par une victoire conc$d$e par le second
au premier lors d'un e8pos$ effectu$ au couvent des dominicains de Latour5Maubour% en !-4/,
on oublie tou'ours que, m>me si son nom n'est pas prononc$, l'ombre lumineuse de Leynaud rXde
dans ce monast@re des Fr@res de saint #ominique" Camus montre ce qu'est une morale sans #ieu,
une $thique ath$e" Contre le pape ou Iabriel Marcel, il fusti%e des chr$tiens si peu chr$tiens
qu'ils en oublient les valeurs du Christ au8quelles il souscrit bien volontiers, lui, l'incroyant &
vouloir le bien qui est tout simplement l'emp>chement du mal U dont chacun sait qu'il est la
n$%ation d'autrui"
7ebatet, *rasillach et C$line
Le temps passe" (l estompe tout, y compris la col@re et la r$volte contemporaines de la
Lib$ration" Marcel Aym$, qui donna romans et nouvelles en feuilletons A La 4er&e et A Je suis
partout, de francs supports collaborationnistes et ne fut 'amais inqui$t$, sollicite Camus, en
appelle A la fraternit$ litt$raire, avance qu'il e8iste du hasard dans les opinions politiques et
souhaite le paraphe du philosophe pour obtenir la %rTce de *rasillach" Camus r$pond dans une
lettre dat$e du 2. 'anvier !-43 & il si%ne, non pas pour l'$crivain qu'il n'estime pas, ni pour
l'homme visc$ralement m$pris$, mais pour le principe d'opposition A la peine de mort U principe
dont se moquerait l'ancien normalien qui, dans ses articles de presse, manifestait un
antis$mitisme et un philonaOisme sans mesure" Gne fois de plus, Camus son%e A l'ami Leynaud et
A quelques autres compa%nons abattus" Camus si%ne J pas )artre ni *eauvoir, sous pr$te8te de
porter haut, bien sSr, la fid$lit$ A la m$moire de leurs amis r$sistants D Le %$n$ral de Iaulle
refuse la %rTce, estimant que le talent et le statut d'$crivain cr$ent des devoirs" L'auteur des Sept
Couleurs est fusill$ le 0 f$vrier !-43 au fort de Montrou%e" (l avait trente5cinq ans, son proc@s a
dur$ si8 heures et le d$lib$r$ vin%t minutes"
L'ann$e suivante, on le sollicite encore" Cette fois5ci pour 7ebatet qui fut l'auteur d'un
best5seller sous l'Occupation & Les #écom&res, un livre antis$mite et pronaOi salu$ en !-4:
comme le meilleur de l'ann$e par 7adio5Eichy U la radio qui embauche *eauvoir l'ann$e
suivante" M>me r$action J m>mes motivations" #ans la lettre envoy$e au %arde des )ceau8 le
3 d$cembre !-40, na]f, Camus croit que les tourments de son Tme en prison, l'an%oisse de se
savoir condamn$ A mort et peut5>tre bientXt e8$cut$, sa mauvaise conscience suffisent comme
punitions" Ayant renonc$ A la 'ustice et clairement pris le parti de la piti$ et de la cl$mence, il
estime montrer ainsi la sup$riorit$ de qui sait surmonter son ressentiment sur celui qui, hier,
e8acerbait cette passion triste" +a]f une seconde fois, Camus croit qu'en cas de %rTce, 7ebatet
comprendrait l'$tendue de son erreur"
La condamnation A mort de Lucien 7ebatet a $t$ commu$e par Eincent Auriol, devenu
pr$sident de la 7$publique, en d$tention A perp$tuit$ en 'uillet !-4." (ncarc$r$ A la prison de
Clairvau8 'usqu'en !-32, 7ebatet publie tranquillement des livres au8 $ditions Iallimard,
notamment Les #eu* .tendards en !-3!, Les .pis m!rs en !-34" Lib$r$ le !0 'uillet !-32,
d'abord assi%n$ A r$sidence, il retrouve 1aris en !-34" (l a $t$ ensuite 'ournaliste A Ri+arol et A
Valeurs actuelles" ,n !-03, il vote pour le candidat d'e8tr>me droite Ci8ier5Ei%nancour au
premier tour de la pr$sidentielle et pour FranVois Mitterrand au second" (l meurt en !-.2 A l'T%e
de soi8ante5neuf ans"
+a]f, ai5'e $crit, Camus l'a $t$ en effet car, outre que 7ebatet n'a 'amais rien re%rett$, n'est
'amais revenu sur son antis$mitisme, n'a nullement fait amende honorable, il a utilis$ ses vin%t
ann$es de libert$ recouvr$e, d'abord A ne 'amais connaWtre la ; mauvaise conscience ? que lui
supposait Camus, mais ensuite, et surtout, A manifester une r$elle conscience mauvaise 'usqu'au
bout" Camus note en effet ceci dans ses Carnets, alors qu'il vient d'obtenir le pri8 +obel &
; 7ebatet ose parler de ma nostal%ie de commander des pelotons d'e8$cution alors qu'il est un de
ceu8 dont ''ai demand$, avec d'autres $crivains de la 7$sistance, la %rTce quand il fut condamn$ A
mort" (l a $t$ %raci$, mais il ne me fait pas %rTce ? 6(E" !2009"
#ans le m>me esprit que Lucien 7ebatet, un autre $crivain ne lui fera pas %rTce non plus &
<ean51aul )artre" Le philosophe de La 2ausée donne en effet des entretiens A <ohn Ierassi en vue
d'une bio%raphie autoris$e" ,n f$vrier !-.2, il vomit sur Camus pr$sent$ comme un 1ied5noir
e8tr>mement r$actionnaire, d$fenseur de l'Al%$rie franVaise" )artre d$taille la vie priv$e du
philosophe, puis, parlant des %emps modernes, il dit & ; +ous avions des disputes s$rieuses pour
savoir, par e8emple, s'il fallait punir les collaborateurs" Camus voulait que *rasillach soit e8$cut$
par e8emple" Mauriac ne voulait pas ? 62/09" )ans commentaire"
,n 'anvier !-3, la revue hebdomadaire 'adis fond$e par <oseph #$'acque, Le Li&ertaire,
sollicite des intellectuels, des $crivains, des philosophes sur l'opportunit$ du proc@s C$line &
l'auteur de )aatelles pour un massacre supporte en bou%onnant son e8il au #anemarK oN il
b$n$ficie du statut de r$fu%i$ politique, ce qui lui vaut la protection des #anois qui refusent son
e8tradition" La cour de 'ustice de la )eine le 'u%e donc par contumace pour faits de collaboration"
Puestion du 'ournal qui s'$l@ve contre les proc@s d'opinion & ; Pue penseO5vous du proc@s
C$line Q ?" 7$ponse de Camus & ; La 'ustice politique me r$pu%ne" C'est pourquoi 'e suis d'avis
d'arr>ter ce proc@s et de laisser C$line tranquille" Mais vous ne m'en voudreO pas d'a'outer que
l'antis$mitisme, et particuli@rement l'antis$mitisme des ann$es 4, me r$pu%ne au moins autant"
C'est pourquoi 'e suis d'avis, lorsque C$line aura obtenu ce qu'il veut, qu'on nous laisse
tranquilles avec son hcasi ? 6(((" /0/5/0-9"
Louis5Ferdinand C$line, qui affirmait dans ses pamphlets d$lirants qu'Litler $tait 'uif, est
finalement condamn$ A un an de prison, mais la prescription efface cette peine, puis A une
amende et A l'indi%nit$ nationale U le tout disparaWt sous le coup d'une %rTce accord$e en
avril !-3!" (l rentre alors en France" Iallimard lui propose de nouveau8 contrats" La vie reprend
normalement" 1our information, C$line $crivait A <ean Eoilier le 2 octobre !-4. & ; )artre et
Camus et consorts tous aussi fumiers" Criste clique de petits branl$s A blanc qui sont plutXt
dispos$s A o p listes noires qu'A me faire sortir du p$trin ? 6Lettres, 1l$iade, -049"
La leVon politique de la %uerre
Occupation, 7$sistance, Collaboration, Fpuration constituent nombre d'occasions de
d$velopper une positivit$, certes, mais n$%ativement & contre la politique sans $thique de
l'occupation, Camus propose l'$thique comme politique de la r$volution non mar8iste A venir J
contre la politique de collaboration de l'F%lise, il pr$conise une spiritualit$ la]que
radicale travaillant A la disparition de l'ensei%nement priv$ J contre le m>me fourvoiement des
industriels, il veut un pro%ramme de confiscation des biens et de nationalisation J contre
l'$puration inde8$e sur les passions tristes comme la ven%eance et le ressentiment, il aspire A une
'ustice ferme visant A terme le pardon"
Puelles leVons %lobales Camus tire5t5il de la Iuerre U s'il faut entendre sous ce vocable
%$n$rique et %$n$ral les fascismes europ$ens, la mont$e des p$rils, la d$claration de %uerre
proprement dite, l'invasion, l'e8ode, l'armistice, Eichy, 1$tain, le p$tainisme, la collaboration, la
r$sistance, la lib$ration, l'$puration Q Gne fois de plus, les articles de Com&at r$unis dans le
premier volume d'Actuelles permettent de r$pondre & au sortir de la %uerre, Camus a trente et un
an, il dispose d$'A d'une philosophie politique claire & un socialisme libertaire internationaliste" ,n
octobre !-4/, dans des entretiens avec +icola Chiaramonte, il l'affirme clairement & ; Les
questions qui provoquent ma col@re & le nationalisme, le colonialisme, l'in'ustice sociale et
l'absurdit$ de l'Ftat moderne ? 6((" .29" 1eut5on >tre plus clair Q
Les questions coloniales, d'in'ustice sociale ou d'Ftat moderne constituent des variations
sur un seul et m>me th@me & le nationalisme" Camus n'est pas nationaliste" (l n'a pas le
nationalisme s$lectif comme certains FranVais qui fusti%ent la France, son histoire, son pass$, ses
traditions, son hymne, ses %rands hommes, son drapeau, mais ne trouvent pas ridicule de c$l$brer
en face ce qu'ils conchient cheO eu8 & l'hymne, le drapeau, la nation U pourvu qu'il soit occitan,
corse, basque ou al%$rien"
Puand Camus critique le nationalisme, il critique tous les nationalismes & une option
politique A ne 'amais oublier pour comprendre ses positions sur la %uerre d'Al%$rie" #ans la
%rande tradition libertaire, il r$cuse le nationalisme au nom d'un internationalisme avec abolition
des fronti@res" Le s$cessionnisme r$%ionaliste ou ind$pendantiste fonctionne A rebours de
l'internationalisme & quand Camus se bat pour faire tomber les fronti@res, d'autres combattent
pour en dessiner de nouvelles J il travaille A la fin des drapeau8, d'aucuns en cousent des neufs J il
souhaite abolir les hymnes patriotiques, certains en composent d'in$dits"
#@s le / f$vrier !-:., quand il se bat pour une culture m$diterran$enne lors de sa
conf$rence inau%urale faite A la Maison de la culture, il prend soin de se d$marquer de l'usa%e
nationaliste du sol et du soleil, de la terre et des racines" (l vise A l'$poque Maurras et le
maurrassisme" b%$ de vin%t5quatre ans, il pense déj( le nationalisme comme un si%ne de
d$cadence & son apparition co]ncide tou'ours avec le moment nihiliste de l'Listoire" #ans Aler
répu&licain, le !/ aoSt !-:-, il met en relation la mont$e du nationalisme al%$rien avec
l'accumulation des humiliations, des frustrations, de l'e8ploitation" 1our lui, le nationalisme est
une r$ponse d'or%ueil et d'arro%ance, une maladie politique, une patholo%ie dan%ereuse" #ans Le
Soir répu&licain, il d$fend la libert$ de critiquer, le droit A l'ob'ection de conscience et le
pacifisme comme autant de rem@des A la mont$e des p$rils nationalistes europ$ens" Lucide, il sait
que l'imp$rialisme est la forme supr>me du nationalisme" Ainsi, d@s !-:-, il critique les vis$es
imp$rialistes de droite et de %auche U 7eich d'Litler 6((" .0-9 et Gnion sovi$tique de )taline
6((" ./9 confondus"
Contre les nations et le nationalisme, Camus promeut tr@s tXt 6le - octobre !-:-9 le
f$d$ralisme 6(" /409, la %rande id$e anarchiste de 1ierre5<oseph 1roudhon" Apr@s %uerre, il pense
pareillement et aspire plus que 'amais A la fin des nations" ,n !-33, par e8emple, dans L'1*press
6(((" !0/9, il d$fend une auche li&ertaire capable de proposer le f$d$ralisme pour l'Al%$rie
d$chir$e, et non une $ni@me r$ponse nationaliste et communiste, il parle de ; ceu8 qui d$sirent
que le cadre national soit d$pass$ ?, puis il a'oute & ; 'e suis de ceu85lA ? 6(((" !0-9"
Abolir les fronti@res
1endant la %uerre, Camus a $%alement d$fendu cette th@se antinationaliste dans ses
Lettres ( un ami allemand" Ce te8te compos$ de quatre lettres dont trois sont parues dans des
revues clandestines 6La Re+ue li&re en !-4:, les Cahiers de Li&ération la m>me ann$e, Li&ertés
en !-43 pour la troisi@me $crite en avril !-449 constitue un manifeste de combat antinationaliste,
un te8te d$di$ A l'ami 7en$ Leynaud" #ans cet $chan%e avec un correspondant de papier,
l'Allemand et le FranVais d$fendent deu8 faVons d'>tre nietOsch$en"
#ans la pr$face A l'$dition italienne de ce petit livre, Camus $crit & ; <'aime trop mon pays
pour >tre nationaliste ? 6((" .9" 1uis il donne les raisons de son acceptation A faire reparaWtre ces
lettres hors de France & ; C'est la premi@re fois qu'elles paraissent hors du territoire franVais et,
pour que 'e m'y d$cide, il n'a pas fallu moins que le d$sir oN 'e suis de contribuer, pour ma faible
part, A faire tomber un 'our la stupide fronti@re qui s$pare nos deu8 territoires ? 6((" .9" Puels
deu8 territoires Q 1uisqu'il s'a%it d'une pr$face pour l'(talie & les fronti@res entre la France et
l'(talie" #ans un premier $tat d'$criture, Camus avait $crit & ; qui s$pare deu8 territoires qui avec
l',spa%ne forment une nation ? 6((" !!:29" Mais comme les lettres opposent un Allemand et un
FranVais, on peut aussi ima%iner que les fronti@res concernent $%alement ces deu8 pays" #ans les
deu8 $tats d'$criture, Camus pense tou'ours A son pro'et m$diterran$en d'abolir les fronti@res entre
pays latins" Mais l'ambi%u]t$ demeure & la suppression des fronti@res pourrait aussi concerner les
deu8 fr@res ennemis s$par$s par le 7hin"
Le conflit qui oppose les deu8 pays depuis !-4 est celui de l'$p$e %ermanique contre
l'esprit franVais" Or, Camus le croit, l'esprit triomphe tou'ours de l'$p$e" Aimer son pays si%nifie
une chose pour un habitant de *erlin, une autre pour un citoyen de 1aris & le premier ne met rien
au5dessus de l'amour de son pays, de sa patrie, de sa nation, il aime une id$e pure, un
concept sec J le second ne sacrifie pas la v$rit$, la libert$ et la 'ustice A son pays, car il ch$rit une
passion" #ans cette %uerre, l'Allema%ne est col@re J la France, intelli%ence" Le 7eich veut la
puissance J la France d$fend les valeurs de sa 7$publique"
L'Allema%ne naOie voulait une ,urope bien particuli@re, celle du san%, de la race dite
pure, celle qui permettait au pays qui l'initiait de viser plus %rand encore et de r$aliser l',mpire,
elle pensait en termes de territoire, d'espace vital, de %$o%raphie, de propri$t$ J la France aspirait
A une ,urope des Lumi@res, des id$es, des pens$es et des cultures, des %rands hommes de la
litt$rature et des beau85arts, de la spiritualit$, elle envisa%eait les choses sur le terrain de l'esprit"
L'Allema%ne construisait son ,urope sur le socle mill$naire chr$tien J la France int$%rait l'$pop$e
chr$tienne, certes, mais comme un $l$ment constitutif parmi d'autres influences deu8 fois
mill$naires U on son%e A la M$diterran$e, bien sSr, au8 Irecs pr$socratiques, au8 sa%esses
pa]ennes pr$chr$tiennes, au8 influences orientales pass$es par l'Afrique du +ord puis
transfi%ur$es par le *erb@re saint Au%ustin, au n$oplatonisme ale8andrin aussi"
Camus oppose $%alement deu8 faVons de lire +ietOsche & la mauvaise, l'allemande,
produite par la sBur du philosophe, une faussaire, on le sait d$sormais, ayant r$di%$ un fau8, La
Volonté de puissance, pour faire de son fr@re un pr$curseur antis$mite, belliciste, patriote et
nationaliste des fascismes europ$ens et du naOisme J la bonne, la franVaise, convaincue que
+ietOsche est le moins allemand des philosophes, le plus franVais et le plus europ$en des
penseurs" Le +ietOsche %ermanis$ suppose qu'on fasse fautivement de la volont$ de puissance
une force a%ressive de domination d'autrui, une saine brutalit$ A lib$rer contre la civilisation, et
du surhomme un barbare immoral i%norant la piti$, la sympathie, la compassion, un primitif
'ouissant de la duret$ et du cynisme envers les faibles J le +ietOsche franVais est voltairien,
briseur d'idoles, m$decin de la civilisation, ennemi du nihilisme et du pessimisme, amoureu8 des
vertus dionysiaques solaires qui disent ; oui ? A la vie et ; non ? A la mort" Ce +ietOsche5lA est
portraitur$ dans la bio%raphie de #aniel Lal$vy, La Vie de 2iet5sche, d'abord parue en !-- puis
en !-44 dans sa version d$finitive, un livre ma'eur pour l'entr$e en France du philosophe
allemand"
Contre son ami allemand, mais d'une mani@re fine, avec lui parce qu'il lui pr>te cette
culture commune avec laquelle il rep$rera la citation de +ietOsche, Camus, fid@le A Cipasa,
$crit contre l'Allemand ayant choisi l'in'ustice & ; <'ai choisi la 'ustice au contraire, pour rester
fid@le A la terre ? 6((" 209 U la 9idélité ( la terre est une invitation d'Ainsi parlait Jarathoustra, elle
si%nifie la passion pour ce qui est, au8 antipodes de l'aspiration A l'id$al" Le nietOsch$isme
allemand transfi%ure +ietOsche en barbare J le nietOsch$isme franVais propose une philosophie de
l'individu qui se cr$e libert$" +ietOsche des for>ts noires contre +ietOsche des ruines romaines
$cras$es sous le soleil m$diterran$en, un +ietOsche de l',8il, un +ietOsche du 7oyaume"
Avec l'invasion et l'occupation de la France, l'Allema%ne abolit ce royaume en emp>chant
tout bonheur d'>tre, tout plaisir d'e8ister, toute b$atitude A se sentir vivant U le sens v$ritable de
cette fid$lit$ A la terre" Le nietOsch$isme nocturne apporte avec lui les prisons, les tortures, les
a%onies, les camps de prisonniers, les rafles, les carna%es, les d$portations" L'Allema%ne voulait
l'h$ro]sme et fusti%eait le bonheur J la France a pr$f$r$ la 'ouissance A l'or%ueil, elle c$l$brait le
nietOsch$isme solaire simple U ; 'ouir du cri des oiseau8 dans la fraWcheur du soir ? 6((" 2.9" L'un
faisait du surhomme un soldat sans foi ni loi J l'autre, un po@te de la pr$sence au monde"
Les Lettres ( un ami allemand n'$chappent pas A un essentialisme asseO peu dans l'esprit
de Camus" Car, en dehors de ce conte8te historique pr$cis de la 7$sistance, le philosophe brille
plutXt dans le paysa%e intellectuel franVais comme l'une des rares intelli%ences pra%matiques,
concr@tes, immanentes" Iardons pr$sent A l'esprit que ces te8tes s'inscrivent dans une lo%ique
combattante, r$sistante, militante, %uerri@re, qu'ils contribuent A la 7$sistance de papier
susceptible de %alvaniser l'esprit, de raidir les consciences, de tendre les $ner%ies" 7espectivement
$crites en 'uillet !-4:, d$cembre !-4:, avril !-44 et 'uillet !-44, elles rel@vent du style $pique"
Allema%ne, ann$e O$ro
Loin de l'$pop$e, Camus aborde la question de l'Allema%ne de l'apr@s5%uerre sur le terrain
concret" Le temps oN il veut la 'ustice s$v@re et 'uste qui lui fait 'ustifier l'$puration au nom de
l'$thique contre le pardon charitable des chr$tiens correspond A celui oN il souhaite une
occupation s$v@re du pays vaincu" Le !- octobre !-44, il se f$licite que les troupes franVaises
participent A l'occupation de l'Allema%ne d$barrass$e de son dictateur" 1as de haine ou de
ven%eance, pas de ressentiment, mais, lA encore, de la 'ustice & il s'a%it de manifester sa force tout
de suite afin de pouvoir, plus tard, se montrer %$n$reu8" Camus ne perd pas de vue qu'une 'ustice
s$v@re pr$pare tou'ours un temps pacifi$"
#u : 'uin au !! 'uillet !-43, Camus visite l'Allema%ne sous l'uniforme franVais du
correspondant de %uerre" (l rapporte ses impressions dans 6maes de l'Allemane occupée"
Comme il s'y $tait pr$par$, il traverse des paysa%es d'apocalypse & des villes en ruine, des
cimeti@res militaires partout, des d$combres A perte de vue, des %ens courb$s sous le poids de la
d$faite, une terre %or%$e du san% de millions de morts tomb$s depuis un si@cle et trois %uerres"
Lui, le penseur solaire, il e8p$rimente le malaise dans cette patrie de la pulsion de mort"
Coutefois, le bonheur et la tranquillit$ semblent aussi r$%ner sur place" Camus trouve en
effet la 7h$nanie prosp@re A cXt$ de certaines r$%ions franVaises travers$es pour atteindre cette
r$%ion allemande" Le spectacle d'enfants bien roses, frais, correctement nourris tranche sur celui
des petits FranVais de Montmartre cachectiques, pTles et maladifs" Les soldats franVais sortent
avec de 'olies 'eunes filles blondes, s'amusent au bord d'un lac, na%ent, canotent" Les sc@nes
semblent sorties des cartes postales folKloriques" L'Occupation, s$v@re mais 'uste, punit
$%alement les pilla%es et les viols effectu$s par les troupes alli$es" #$sob$ir au8 lois de
l'occupation se paie cher" Le %ouvernement militaire tient les choses avec une main de fer" Les
locau8 sont r$quisitionn$s" Mais la vie continue, simple et limpide"
L'habitant qui l'h$ber%e vient lui souhaiter bonne nuit, d$bite les platitudes, fusti%e la
%uerre, c$l@bre la pai8 en %$n$ral et celle du Christ en particulier, la pai8 $ternelle que ledit Fils
de #ieu apporterait A chaque homme" Camus $crit & ; <e pensais A cette femme que 'e sais,
d$port$e en Allema%ne, prostitu$e au8 )")" et A qui ses bourreau8 ont tatou$ sur la poitrine & hA
servi pendant deu8 ans au camp de )")" deli ? 6((" 0:9" (l avoue ne pas pouvoir tirer d'autre
conclusion A son voya%e que celle5ci & deu8 mondes e8istent bel et bien dans cette ,urope
d$chir$e, parta%$e entre ses victimes franVaises et ses bourreau8 allemands, en qu>te d'une
impossible 'ustice et d'un improbable pardon"
Mais, comme sur le su'et de l'$puration, Camus $volue & l'homme bless$ laisse place au
philosophe qui pense, le r$sistant $prouv$, priv$ de ses amis abattus, tortur$s, tu$s, s'efface au
profit du penseur d$sireu8 de construire concr@tement la 'ustice, le combattant $cBur$ par la
barbarie s'estompe en faveur du sa%e qui aspire A la pai8, A la r$conciliation" Combien de temps
faut5il A la visc$ralit$ pour disparaWtre sous l'effet de la r$fle8ion Q CheO Camus, vin%t5trois mois,
le temps qui s$pare ce bref r$cit de voya%e de l'article intitul$ Anni+ersaire paru dans Com&at le
. mai !-4."
1our la date comm$morative de la chute du 7eich naOi, Camus se refuse A parader" 1as
question de se r$'ouir, la victoire est moins l'occasion de droits A humilier que de devoirs de
'ustice" Pue faire Q (l y eut la haine, puis la m$fiance, une va%ue rancune, ensuite un %enre
d'indiff$rence lass$e, enfin une distraction quelque peu m$prisante" Gne r$conciliation Q
Comment oublier le naOisme qui apprit la haine au8 ,urop$ens et habitua l',urope au mal Q
L'Allema%ne naOie fut moins en proie A une furie destructrice et meurtri@re qu'A un calme et froid
calcul administratif de fonctionnaires de l'apocalypse" La passion du mal laisse des traces moins
profondes que l'activation %laciale d'un dispositif A d$truire la vie" Oublier Q (mpossible"
1our autant, dans cette confi%uration ontolo%ique, se r$'ouir serait mal venu en vertu de
l'$thique chevaleresque pratiqu$e par Camus & on ne pi$tine pas un vaincu" 1uisque la 'ustice
absolue est impensable, impossible, que l'oubli ou le pardon semblent hors d'acc@s $thique,
restent les leVons d'un sa%e et correct usa%e de la raison, l'e8ercice de la sa%esse modeste, le %oSt
du bonheur, l'envie de vivre mal%r$ tout, l'obli%ation de remettre les choses A leur 'uste place U ni
trop ni trop peu, ni haine ni pardon, ni ven%eance ni oubli, ni ressentiment ni indul%ence"
Loin des d$bats th$or$tiques, la raison pratique et pra%matique ayant sa faveur, Camus
nous ensei%ne ceci & la pai8 europ$enne et mondiale e8i%e une Allema%ne pacifi$e, et la
pacification contraint A ne pas maintenir ce pays vaincu au ban des nations punies" Gn autre usa%e
de la m>me raison r$aliste nous fournit une autre donn$e fondamentale & l'Allema%ne est devenue
un en'eu entre les Ftats5Gnis et l'Gnion sovi$tique" )on devenir au%urera celui de l',urope, donc
du monde" La pai8 avec l'Allema%ne n'est pas envisa%eable selon l'ordre des raisons charitables et
chr$tiennes, mais en vertu de l'usa%e rationnel et raisonnable d'une raison qui veut encore et
tou'ours la pai8, la 'ustice et la libert$" Les fins $thiques 'ustifient les moyens politiques"
)ous le si%ne de 1roudhon
Eoici donc la %rande et premi@re leVon de la %uerre cheO le philosophe & abolir les
fronti@res" LeVon anarchiste depuis bien lon%temps & rappelons pour m$moire que le but encore
proclam$ au'ourd'hui par la F$d$ration anarchiste consiste A r$aliser ; une soci$t$ libre, sans
classes ni Ftats, sans patries ni fronti@res ?, un id$al que le philosophe a tou'ours poursuivi en
pramatique soucieu8 de lier l'id$al et la r$alit$, la fin et les moyens U autrement dit au8
antipodes des doctrinaires de l'anarchisme qui rechi%nent si souvent A faire de lui l'un des leurs
parce qu'il avait moins le souci de %arder intactes les lois sacr$es de l'anarchie que de r$aliser
concr@tement cet id$al U, Camus fut un anarchiste pra%matique U comme 1roudhon, une raret$
dans cet univers oN l'esprit pr>tre commet nombre de rava%es"
EoilA donc la fin libertaire de la politique de Camus A la sortie de ces ann$es d'$preuves &
faire tomber les fronti@res qui s$parent les nations et les peuples" Puels sont les moyens propos$s
pour parvenir A ces fins Q #ans un premier temps, la r$alisation des ; Ftats5Gnis d',urope ?
6(E" 2/09 J dans un second, ; les Ftats5Gnis du monde ? 6i&id?9" EoilA le pro%ramme politique
camusien" #e bonne foi, chacun mesure toute la distance s$parant ce pro'et politique de celui de
la social5d$mocratie qui ne remet pas en cause les fronti@res et les nations aussi nettement que lui
et qui ne propose pas non plus des $lections mondiales, un parlement mondial, un %ouvernement
mondial des peuples qui abolissent les $lections nationales, les parlements nationau8 et les
%ouvernements nationau8"
L'internationalisme libertaire camusien interdit de faire de lui un social5d$mocrate & sa
r$volution non mar8iste ne fait aucun doute, et Va n'est pas parce que sa r$volution n'est pas
mar8iste qu'elle n'est pas r$volution" Les mar8istes, )artre et les sartriens en t>te, feront beaucoup
pour interdire A toute r$volution de %auche non mar8iste le simple droit intellectuel de se dire
r$volution" ,n plus de cet interdit doctrinaire, les intellectuels mar8istes ne reculeront devant rien
pour affirmer de faVon $hont$e que, non content de ne pas >tre une r$volution, la r$volution
libertaire est conservatrice, r$actionnaire, petite5bour%eoise, qu'elle fait le 'eu du %rand capital,
des trusts, des %rands patrons et, in 9ine, qu'elle est l'une des ruses de la droite" Eouloir 1roudhon
contre Mar8, c'$tait pour eu8 prendre le parti du capital contre la r$volution" +ous en sommes
encore lA"
L'instrument de cette r$volution libertaire Q Le f$d$ralisme 6((" 40.9 U cet instrument est
clairement proudhonien" Puel rapport Camus entretenait5il avec la pens$e de 1roudhon Q (l l'a lu,
le connaWt, en parlait dans sa 'eunesse avec son ami Fr$minville" Mais il le cite peu" <e tiens d'une
conversation priv$e avec <ean #aniel que ce qui emp>chait Camus de se r$clamer de 1roudhon,
c'$taient les proudhoniens D Formule 'uste car 1ierre5<oseph 1roudhon fut un %enre d'o%re
intellectuel cheO qui se trouve le meilleur et le pire, cheO lui bien sSr, mais aussi cheO certains de
ses disciples autoproclam$s"
Le meilleur cheO l'auteur de Fu'est8ce que la propriété K Le f$d$ralisme, le mutualisme, la
coop$ration, la passion pour la 'ustice, un r$el %oSt pour la libert$, une faVon d'>tre anarchiste
m>me avec l'anarchie, c'est5A5dire, A cette $poque, avec lui5m>me, la notion d'; anarchie
positive ?, A savoir l'envie d'incarner des principes concr@tement doubl$e du refus de l'id$alisme
doctrinaire, un pra%matisme le conduisant A affiner sa pens$e, donc A tenir des discours
apparemment contradictoires & critique puis d$fense de la propri$t$, critique puis d$fense de
l'Ftat, critique des $lections puis candidature personnelle U mais l'on comprend cette lo%ique si
l'on saisit que 1roudhon critique la propri$t$ capitaliste et d$fend la propri$t$ libertaire, qu'il
fusti%e l'Ftat d$fenseur du capital mais c$l@bre l'Ftat %arantie des processus f$d$ralistes,
mutualistes et f$d$ratifs, qu'il s'oppose au8 $lections bour%eoises mais les d$fend quand il s'a%it
de porter le pro'et anarchiste" Le pire cheO 1roudhon Q L'antis$mitisme, la miso%ynie, la
phallocratie, la d$fense de la %uerre"
,t cheO ceu8 qui s'en sont r$clam$s Q Le ; Cercle 1roudhon ? qui, de !-!2 A !-!4,
s'appuie sur le philosophe bisontin pour rassembler des monarchistes, des syndicalistes
r$volutionnaires, des nationalistes, des r$publicains f$d$ralistes, tous critiques du r$%ime
parlementaire, afin d'envisa%er un %enre de r$volution nationale" Autour de Ieor%es Ealois, et
avec Charles Maurras, il $tait facile de pr$lever cheO 1roudhon mati@re A un corpus de droite
r$volutionnaire & la d$fense de la petite propri$t$ terrienne contre le communisme, l'$lo%e du
travail comme vertu, la c$l$bration de la famille traditionnelle, la paysannerie et la ruralit$
pr$f$r$es A l'ouvrier et A la ville, le %oSt pour la virilit$ r$v$l$ dans la %uerre, la femme s'occupant
des enfants dans la cuisine" Ce Cercle qui mariait la carpe anarchiste et le lapin nationaliste n'$tait
pas viable U il avorte bien vite, mais v$cut asseO pour servir de r$f$rence A Eichy"
L'utopie modeste
L',urope doit en finir avec les fantasmes %uerriers, imp$rialistes, conqu$rants, militaires
de l'Allema%ne naOie" On a vu les r$sultats" ; L',urope doit r$apprendre la modestie ? 6(((" :039 U
non pas apprendre, mais r$apprendre" Pu'est5ce A dire Q Avant les fascismes, l',urope se
composait de d$mocraties" Certes, la d$mocratie est moins intellectuellement e8altante que l'id$al
r$volutionnaire d'une humanit$ pr$tendument pacifi$e & vouloir la pai8, l'$chan%e cordial, le d$bat
honn>te, le respect de l'adversaire, la discussion franche, r$cuser la sophistique, refuser les
habilet$s dialectiques et les tours de passe5passe rh$toriques, e8cite moins l'intellectuel que les
'eu8 th$or$tiques, la r$volution plan$taire, la l$%itimation dialectique de la pai8 pour demain qui
'ustifierait au'ourd'hui la %uerre pour y parvenir"
La modestie d$finit le pro'et pra%matique et concret lA oN l'immodestie si%nale l'id$al
e8trava%ant" La li%ne de parta%e entre les id$alistes et les pra%matiques parta%e $%alement
l'univers libertaire" Mais elle distin%ue nettement le socialisme h$%$lien, mar8iste, c$sarien, du
socialisme m$diterran$en, n$oproudhonien et solaire de Camus" Le pro'et mar8iste, parce que
e8cessivement id$aliste et dan%ereusement utopique, conduit vers l'abWme & plus l'id$al est
impraticable, plus le r$el d$cevra, plus les croyants de cet id$al forceront le r$el afin qu'il aille
plus vite vers l'Absolu" Y vouloir contraindre l'id$al, les mar8istes forcent les hommes U d'oN les
camps"
Camus veut donc une utopie modeste U il parle d'; utopie relative ? 6((" 4439" (l ne r$cuse
pas l'utopie, mais son $pith@te & une utopie d$finit souvent non pas l'irr$alis$ mais l'irr$alisable" (l
souhaiterait qu'elle d$finisse le pas encore réalisé qui soit mal%r$ tout le tout ( 9ait réalisa&le, et
non un pro'et messianique fabriqu$ sur le principe des reli%ions qui promettent le paradis sur terre
pour demain" Eouloir descendre l'Fden du ciel des id$es dans lequel il scintille sans domma%es
sur la plan@te tr@s terrestre oN il commet des d$%Tts, c'est se pr$parer A l'$chec, donc A la
d$ception" La droite r$cuse toute utopie J la %auche s'en r$clame" Mais cette %auche s'ouvre en
deu8 & sa partie id$aliste croit au Irand )oir politique, sa partie pra%matique ne croit qu'A ce
quelle voit et elle ne voit que ce qu'elle peut r$ellement faire"
L'utopie immodeste croit au8 lois de l'Listoire, elle sacrifie au caract@re in$luctable du
pro%r@s, elle pense que toute n$%ativit$ pr$pare l'av@nement de la positivit$, en d'autres termes
que le mal du camp de concentration ici et maintenant travaille A l'av@nement du bien d'une
soci$t$ sans camp de concentration, elle communie dans l'optimisme" L'utopie modeste se m$fie
de ce sch$matisme reli%ieu8 activ$ sur le terrain politique, elle propose un ath$isme social & il
n'e8iste pas de sens a priori A l'Listoire, 'uste celui qu'on lui donne" L'optimisme est le premier
pas vers le pire, le pessimisme n'est pas pour autant la solution 6c'est celle de la droite qui
essentialise la n$%ativit$9, le tra%ique en revanche dit 'uste et vrai & le pire menace, il est la pente
naturelle J le meilleur se conquiert, il proc@de d'un vouloir doubl$ d'une intelli%ence"
L'utopie modeste ne veut pas le bien J elle se contente de ne pas vouloir le mal"
L'humiliation, le crime, l'assassinat, le meurtre l$%al, la peine de mort, le crime de fonctionnaire,
le camp de concentration, la torture, le peloton d'e8$cution, la %uerre civile, en un mot, la peste,
voilA ce qu'il faut A tout pri8 ne pas vouloir" M>me et surtout quand ceu8 qui d$fendent
ponctuellement ces modalit$s du mal affirment son caract@re n$cessaire et dialectique,
momentan$ et passa%er, dans le processus qui conduit au8 lendemains qui chantent" 7efuser
l'id$al, souscrire encore et tou'ours A l'invitation nietOsch$enne de fid$lit$ A la terre & comme le
serpent de [arathoustra qui %arde le contact avec le sol avec son ventre, cesser de croire que la
v$rit$ du monde se trouve dans le ciel des id$es rempli par les r>ves infantiles et les souhaits des
innocents"
; #e la 7$sistance A la r$volution ?
L'abolition des fronti@res nationales et l'e8ercice d'une utopie modeste, voilA le
pro%ramme avec lequel se constituent les Ftats5Gnis d',urope U un vieu8 pro'et hu%olien
puisqu'on lui doit l'e8pression .tats8;nis d'1urope dans un #iscours prononc$ au Con%r@s
international de la pai8 le 2! aoSt !/4- et dans lequel il pr$voyait la fin des nations, des
fronti@res, donc des conflits et des %uerres" 1as besoin d'une r$volution dans le san%, ni
d'$chafauds pour raccourcir les r$calcitrants & la r$volution pour la pai8 ne se fait pas avec la
%uerre, la r$volution pour la fraternit$ ne s'effectue pas avec la %uerre civile, la r$volution pour le
salut de l'humanit$ ne se r$alise pas en mettant l'humanit$ en p$ril, elle s'obtient avec la pai8, la
fraternit$ et l'humanit$ U avec et pour elle"
La France peut >tre e8emplaire dans ce processus d'union de tous les Ftats europ$ens et
de suppression des fronti@res & il lui suffit de r$aliser le pro'et du sous5titre de Com&at & ; #e la
7$sistance A la r$volution ? D )i l'on compare les pro'ets du philosophe et du Conseil national de
la 7$sistance dat$ du !3 mars !-44, on constate d'incroyables conver%ences & abolir les anciennes
f$odalit$s $conomiques et industrielles J soumettre les int$r>ts particuliers A l'int$r>t %$n$ral J
nationaliser la production, l'$ner%ie et les sous5sols J r$server le m>me traitement au8 assurances
et au8 banques J d$velopper les coop$ratives de production, d'achat et de vente a%ricole et
artisanale J associer les travailleurs A la direction de l'$conomie J promouvoir un nouveau droit du
travail soucieu8 de la di%nit$ des ouvriers & le repos, le salaire, le pouvoir d'achat, la retraite J
renforcer le pouvoir des syndicats r$or%anis$s J instaurer une s$curit$ sociale J $tablir un droit au
travail et une s$curit$ de l'emploi J r$%lementer les conditions d'embauche et de licenciement en
faveur des travailleurs J r$tablir les d$l$%u$s d'atelier J manifester une r$elle solidarit$ avec le
monde a%ricole et paysan J $tendre ces droits au8 peuples des colonies J d$cr$ter la %ratuit$ de la
scolarit$ et de la culture J promouvoir socialement les enfants issus des classes modestes pour
leur permettre d'acc$der au8 char%es les plus hautes dans cette soci$t$ nouvelle"
Ce pro%ramme, Camus le fait sien nombre de fois dans ses articles de Com&at & une
nouvelle constitution 6((" 3!/9 J des nationalisations 6((" 3:-9 J la destruction des trusts 6((" 3!/9 J
la collectivisation de l'$conomie 6((" 349 J l'$mancipation de l'(ndochine 6((" 049 J une Al%$rie
libre, car il s'a%it pour l',urope de lib$rer ; tous les hommes qui d$pendent de l',urope ?
6((" 029 J le subventionnement d'une seule $cole, l'$cole la]que 6((" 029 J le pouvoir politique
donn$ au8 personnes ayant fait leur preuve dans la 7$sistance 6((" 3209 J la di%nit$ rendue au
travail et au travailleur contre le capital et les capitalistes 6((" 30:9 J la r$alisation sans d$lai d'une
; vraie d$mocratie populaire et ouvri@re ? 6((" 3!.9 U voilA une r$volution de %auche non
mar8iste"
Gn internationalisme libertaire
Gne r$volution de ce type en France a%irait en moteur d'une ,urope elle5m>me motrice
d'un nouveau monde" EoilA la dynamique de Camus" (l sait impossible la r$volution dans un seul
pays" 1r$voyant la %uerre froide, dans la confi%uration de cette nouvelle r$volution franVaise, les
Ftats5Gnis, $crit5il en novembre !-40, d$clencheraient une ; %uerre id$olo%ique ? 6((" 4439" 1as
question, donc, d'envisa%er ce chan%ement seul" EoilA pourquoi Camus propose d'$lar%ir A la
plan@te sa r$volution de %auche non mar8iste"
#ans un $ditorial de Com&at dat$ du !/ d$cembre !-44, il pr$cise donc son souhait &
; Gne or%anisation mondiale oN les nationalismes disparaWtront pour que vivent les nations, et oN
chaque Ftat abandonnera la part de souverainet$ qui %arantira sa libert$" C'est ainsi seulement que
la pai8 sera rendue A ce monde $puis$" Gne $conomie internationalis$e, oN les mati@res premi@res
seront mises en commun, oN la concurrence des commerces tournera en coop$ration, oN les
d$bouch$s coloniau8 seront ouverts A tous, oN la monnaie elle5m>me recevra un statut collectif,
est la condition n$cessaire de cette or%anisation ? 6((" 3/.9" (nternationalisation de la r$volution,
abolition des nationalismes, collectivisation mondiale, coop$ration plan$taire, mutualisation
%lobale, pai8 universelle, postcolonialisme, monnaie commune A tous les peuples U voilA l'utopie
modeste d'Albert Camus +ia pour une unification par le bas"
)i nous ne voulons pas cette r$volution par capillarit$, nous aurons l'ordre infli%$ par les
Ftats5Gnis ou l'Gnion sovi$tique, une discipline impos$e par le sommet de faVon arbitraire,
violente et brutale" Cet ordre, les deu8 superpuissances l'imposeront avec le feu nucl$aire, et il y
aura des millions de morts" L'alternative est simple & soit l'ordre li&ertaire+ia l'or%anisation des
peuples par eu85m>mes avec des $lections plan$taires, un 1arlement international et un
%ouvernement populaire mont$ de la base au sommet, issu des principes d'une r$volution
continuant la 7$sistance, avec la France et l',urope en moteurs J soit l'ordre mondial am$ricain
ou sovi$tique, autoritaire, inde8$ sur la pulsion de mort, un ordre disciplinaire impos$ par la
brutalit$ capitaliste ou la barbarie sovi$tique" L'Listoire a montr$ de quoi le capitalisme et le
mar8isme $taient capables U elle n'a pas encore laiss$ sa chance au socialisme libertaire"
! )ur l'impossible 'ustice de l'$puration, voir cahier photos, p" 0"

:
C$l$bration
de l'anarcho5syndicalisme
Pu'est5ce que la pens$e de midi Q
; _l` ma sympathie allant au8 formes libertaires du syndicalisme ?"
Camus, Con9érence 9aite en Anleterre 6!-3!9, 6(((" !--9"

Corri%er la cr$ation
Y partir de 'uinj'uillet !-4., une poi%n$e de notes diss$min$es dans ses Carnets en
t$moi%nent, Camus eut envie d'un livre de mille cinq cents pa%es qui se serait appel$ Le Syst3me
ou La Création corriée et dont le su'et aurait $t$ l'abomination des camps de concentration
naOis" Eoici l'une d'entre elles & ; Création corriée ou Le Syst3me U %rand roman q %rande
m$ditation q pi@ce in'ouable ? 6((" !/39" Le philosophe eut d$'A le souhait d'une pi@ce in'ouable
avec L'.tat de si3e" Ce pro'et ne manque pas d'ori%inalit$ formelle et conceptuelle, il m$lan%e
les %enres, confond les re%istres et propose une esth$tique de l'Buvre d'art totale susceptible de
fondre dans une m>me forme Cervant@s, +ietOsche et )haKespeare U pour emprunter A son
panth$on personnel"
#ans les cartons des archives Camus A la biblioth@que M$'ane d'Ai85en51rovence, on
trouve dans une enveloppe Kraft un paquet de photo%raphies faites A la lib$ration des camps"
1eut5>tre font5elles partie de la documentation r$unie par le philosophe pour ce pro'et" On le
retrouverait alors fid@le A sa m$thode & partir du r$el, r$fl$chir sur le concret, penser le monde
dans son $piphanie la plus brutale, saisir l'immanence, ne pas aborder le su'et en biais, par ce que
les livres en disent d$'A apr@s la d$formation op$r$e par les concepts et les id$es"
Ce livre n'eut pas lieu" 1ourquoi Q On peut ima%iner que, tou'ours dans l'esprit camusien,
l'archive du pass$ lui importait moins que la r$alit$ du pr$sent" Lui qui ne pensait pas la
philosophie comme une activit$ s$par$e du monde, mais comme une discipline permettant d'a%ir
sur le cours des choses pour l'infl$chir vers plus de 'ustice et de libert$, plus d'humanit$ et de
droiture, il a pu $carter l'id$e d'un livre sur le pass$ du totalitarisme afin de concentrer ses efforts
sur son pr$sent et, malheureusement, son futur probable" Camus aurait ainsi pr$f$r$ une
d$construction du totalitarisme rou%e tr@s actif apr@s %uerre au d$monta%e de sa formule brune
dans les ruines fumantes de l',urope postnaOie"
On peut $%alement penser que Camus renonce A ce tr@s %ros livre parce qu'il e8iste d$'A,
et qu'il ne trouve aucune bonne raison de se mettre A la tTche pour r$di%er une Buvre e8i%eante et
coSteuse en temps, en $ner%ie, en travail, en force" Lisons en effet cette autre note des Carnets &
; 7ousset" Ce qui me ferme la bouche, c'est que 'e n'ai pas $t$ d$port$" Mais 'e sais quel cri
''$touffe en disant ceci ? 6((" !!.9" Puand cette citation se trouve utilis$e, c'est parfois, voire
souvent, sans le nom propre qui lui donne son sens" #@s lors, le patronyme de #avid 7ousset
pass$ sous silence, on conclut que Camus n'a pas $crit ce livre parce qu'il n'a pas $t$ lui5m>me
d$port$"
L'id$e n'est pas fausse J mais pas totalement 'uste non plus" Certes, Camus allait au5devant
de reproches en $crivant sur les camps sans avoir $t$, comme 7obert Antelme, 1rimo Levi ou
#avid 7ousset, un t$moin direct de la barbarie naOie" Mais A cette $poque, le r$cit de retour de
camp de concentration n'est pas pris$ par les $diteurs qui ne voient pas d'aubaine commerciale
dans ce %enre d'ouvra%e" La difficult$ rencontr$e par 1rimo Levi pour faire $diter Si c'est un
homme en t$moi%ne U di85sept $diteurs refus@rent en effet son manuscrit" La France traduira ce
%rand livre trente ans apr@s sa parution en (talie, en !-0." Mais le travail effectu$ par #avid
7ousset pourrait avoir dissuad$ Camus de s'installer sur le m>me terrain, arm$ des seules armes
de la fiction, de l'ima%ination et de la licence litt$raire" #'oN le sens de cette note qui renvoie
e8plicitement A 7ousset"
Pui est #avid 7ousset Q
#avid 7ousset a un an de plus que Camus J il lui survivra trente5sept ans" Fils de pauvre
lui aussi, il peut, %rTce A son p@re qui, d'ouvrier m$tallo, est devenu cadre, s'inscrire A la )orbonne
en philosophie et en litt$rature" Adh$rent A la )F(O A di85neuf ans, puis e8clu pour avoir
rencontr$ CrotsKi en France pendant trois 'ours, il contribue A fonder le 1arti ouvrier
internationaliste en !-:0 et lutte contre le colonialisme en Al%$rie et au Maroc" 1endant
l'Occupation, il s'occupe du 1O( clandestin, se fait arr>ter le !0 octobre !-4:, torturer,
emprisonner, d$porter A *uchenZald et transf$rer dans deu8 camps, dont +euen%amme" Y la
Lib$ration, il fait partie des files de d$port$s conduites par les naOis pour $chapper au8 troupes
alli$es" (l recouvre la libert$ en avril !-43"
7evenu en France, il publie L';ni+ers concentrationnaire au8 Fditions du 1avois en
!-40, et, cheO le m>me $diteur, Les Jours de notre mort en !-4." Avec le premier ouvra%e, il
obtient le pri8 7enaudot J le second se pr$sente comme un ; roman ?, mais 7ousset prend soin,
dans une note liminaire, de pr$ciser & ; Ce livre est construit avec la technique du roman, par
m$fiance des mots" _l` Coutefois, la fabulation n'a pas part A ce travail" Les faits, les
$v$nements, les personna%es sont tous authentiques" (l eSt $t$ pu$ril d'inventer alors que la r$alit$
passait tant l'ima%inaire" ? 7oman vrai, donc, compos$ de nombreu8 t$moi%na%es recueillis par
l'auteur" 7oman et non r$cit, peut5>tre pour $viter de laisser croire possible un compte rendu de
cette e8p$rience par des mots, m>me quand on a v$cu ce que l'on raconte U surtout quand on l'a
v$cu"
Ce %ros livre de sept cent quatre5vin%t5si8 pa%es $crit par un r$sistant, prisonnier, tortur$,
d$port$, qui, mal%r$ tout, se place sous le si%ne du roman par d$fiance A l'endroit des mots, a pu
convaincre Camus que son e8p$rience e8istentielle et ontolo%ique ne lui permettait pas d'a'outer
A la litt$rature concentrationnaire un point de vue venu de l'e8t$rieur" On aurait pourtant pu lui
r$torquer qu'une pens$e de l'$v$nement peut >tre plus 'uste, m>me si on ne l'a pas v$cu, qu'une
narration faite par un su'et incapable de la restituer U ce qui n'$tait pas le cas de #avid 7ousset
dont la performance livresque est remarquable"
,n !-4/, trois 'ours apr@s le Coup de 1ra%ue, 7ousset cr$e le 7assemblement
d$mocratique r$volutionnaire, le 7#7, avec un certain <ean51aul )artre m$lan%$ A d'authentiques
r$sistants et de r$elles fi%ures militantes de %auche de d'e8tr>me %auche" Le pro'et Q )e tenir A
$%ale distance du capitalisme d$compos$, de l'imp$ritie et de l'impuissance de la social5
d$mocratie et du stalinisme du parti communiste" Y %auche, certes, mais sans aucune de ses
composantes officielles" Comme son nom l'indique, le rassemblement rassemble & autrement dit,
il permet la double appartenance" On peut >tre dans un parti classique et, en m>me temps, au
7#7" La plupart des activistes adh$rents sont des intellectuels qui se r$clament de la 7$volution
franVaise, de la r$volution de 4/ et de la 7$sistance" Camus fr$quente le %roupe, mais n'y adh@re
pas" (l publie deu8 articles dans le 'ournal du 7#7, La 4auche, pour pol$miquer contre
,mmanuel d'Astier de la Ei%erie qui nie l'e8istence des camps de concentration sovi$tiques et
c$l@brer Iarry #avis, cet ancien pilote de bombardier am$ricain ayant arros$ des villes
allemandes qui se proclame citoyen du monde apr@s avoir remis son passeport A l'ambassade des
Ftats5Gnis A 1aris"
Le 7#7 lutte contre l'imp$rialisme am$ricain et le totalitarisme sovi$tique" La crainte
d'une Croisi@me Iuerre mondiale est alors r$elle J leurs militants souhaitent lutter de toutes leurs
forces contre cette perspective nihiliste" (ls aspirent A une ,urope socialiste qui construirait sa
%auche avec la base et les syndicats" Camus souscrit A ces th@ses & la f$d$ration europ$enne avec
des pays socialistes, le combat pacifiste contre la %uerre, le refus de s'ali%ner sur le capitalisme
am$ricain autant que sur le communisme sovi$tique, la r$cusation du 71F du %$n$ral de Iaulle et
du 1CF ali%n$ sur Moscou"
Gn Appel du Comité pour le R#R est publi$ le 2. 'uin !-4/ dans Com&at et $ranc8%ireur"
Ce te8te aurait dS paraWtre dans Les %emps modernes, mais, sous couvert de Merleau51onty, alors
directeur politique de la revue de )artre, la publication est a'ourn$e au dernier moment pour ne
pas indisposer les communistes" #e fait, la presse communiste se d$chaWne contre ce te8te" Le
1CF et )artre 'ouent au chat et A la souris avec n$%ociations discr@tes, promesses de luttes en
commun, invitations au compa%nonna%e, rencontres priv$es et afficha%e dans la presse
communiste d'une opposition radicale avec l'auteur de 'uis clos" )artre rapporte le d$tail de cet
$tran%e 'eu de s$ductions mutuel dans les 1ntretiens sur la politique avec #avid 7ousset et
I$rard 7osenthal"
7ousset sollicite des intellectuels et des syndicats am$ricains, dont certains sont
anticommunistes, pour financer le 7#7 U que )artre, c'$tait l'une de ses qualit$s, finanVait avec
%$n$rosit$" )artre y voit l'abandon du principe de neutralit$ du 7assemblement A l'endroit des
Ftats5Gnis et de l'G7))" (l quitte donc le 7#7 en octobre !-4-, pour se rapprocher des
communistes et de l'Gnion sovi$tique, neutralit$ obli%e sSrement D 7ousset si%nala plus tard que
)artre $tait un homme d'id$es, do%matique, c$r$bral, dou$ pour le 'eu intellectuel et le
mouvement des id$es, mais totalement d$pourvu d'int$r>t pour le r$el, le monde et les autres"
1our ou contre les camps sovi$tiques Q
Le mois suivant le d$part de )artre qui reproche au 7#7 son vira%e A droite, #avid
7ousset fait paraWtre dans Le $iaro littéraire du !2 novembre !-4- un te8te dans lequel il r$v@le
l'e8istence du Ioula% au %rand public" Les Lettres 9ran0aises d'Ara%on et L''umanité se
d$chaWnent contre l'initiative de 7ousset alors accus$ de tous les mau8 & a%ent de l'imp$rialisme
am$ricain, pay$ par les services secrets G), diffamateur de l'Gnion sovi$tique, etc" L'ancien
d$port$ porte plainte contre le 1arti du pacte %ermano5sovi$tique et %a%ne son proc@s" Cet article
invite ses compa%nons de d$portation A cr$er une commission d'enqu>te sur ce su'et" Les
d$fenseurs de la %auche communiste reprochent A 7ousset d'avoir fait paraWtre son appel dans un
'ournal de droite" (ma%ine5t5on que L''umanité lui aurait ouvert ses colonnes Q
RravtchenKo publie J'ai choisi la li&erté en !-4." Les Lettres 9ran0aises font de son
auteur un a%ent am$ricain U lui aussi porte plainte pour diffamation" Mar%aret *uber5+eumann
t$moi%ne en faveur de RravtchenKo" La belle5fille du philosophe Martin *uber rapporte ce qu'elle
a v$cu & en !-:/, un simulacre de proc@s dans un tribunal sovi$tique lui vaut d'>tre condamn$e A
cinq ann$es de d$tention pour men$es contre5r$volutionnaires, les bolcheviques l'envoient en
camp de concentration A Rara%anda, au RaOaKhstan U un camp %rand comme deu8 fois le
#anemarK D ,lle y passe deu8 ann$es avant, pacte %ermano5sovi$tique obli%e, que )taline ne livre
A Litler les communistes allemands r$fu%i$s en G7))" Les )ovi$tiques remettent donc Mar%aret
*uber5+eumann A la Iestapo qui l'emprisonne A 7avensbracK pour cinq ann$es" ,n avril !-43,
crai%nant l'avanc$e des troupes alli$es qui lib@rent les camps, elle fuit l'arm$e sovi$tique A pied A
travers l'Allema%ne en ruine"
,n !-4-, elle peut donc t$moi%ner de l'e8istence des camps de concentration sovi$tiques
et des camps de concentration naOis U puisqu'elle connaWt les deu8" Les Lettres 9ran0aises perdent
leur proc@s" Y cette date, a+ril AMNM, plus aucun intellectuel franVais ne peut i%norer que, dans le
pays de la r$volution bolchevique de !-!., dans l'Gnion des r$publiques socialistes et sovi$tiques
de L$nine, on tue, comme A AuschZitO, pour des raisons politiques et id$olo%iques"
,n !-3!, #avid 7ousset d$crit le proc@s de Mar%aret *uber5+eumann dans Pour la +érité
sur les camps concentrationnaires, tou'ours au8 Fditions du 1avois" Le 24 'anvier !-3, il cr$e la
; Commission franVaise d'enqu>te contre le r$%ime concentrationnaire ? avec d'anciens d$port$s"
Cette instance devient ; Commission internationale contre le r$%ime concentrationnaire ?
6C(C7C9 en octobre !-3 et m@ne des enqu>tes en ,spa%ne et en Ir@ce" ,lle publie ses
conclusions sous forme de Livres blancs" L'G7)) refuse d'accorder un visa d'entr$e A #avid
7ousset" Pu'A cela ne tienne & il or%anise le !
er
'uin !-3 un tribunal public sur les camps
sovi$tiques" #e !-32 A !-3:, il enqu>te en Chine J puis en Al%$rie en mai !-3." EoilA qui se
cache derri@re le ; 7ousset ? de la note du carnet de Camus"
Le pr$sent concentrationnaire
Camus a connu #avid 7ousset, sa vie et son Buvre, ses livres et son travail, son action et
son en%a%ement, son militantisme et ses combats" On peut penser que, A la lecture de ses deu8
ouvra%es ma'eurs, Le Syst3me concentrationnaire et Les Jours de notre mort, il puisse renoncer A
$crire La Création corriée" #@s lors, il fait moins Buvre d'archéoloue du passé na5i comme il
en avait l'intention que de phénoménoloue du présent concentrationnaire" (l y avait en effet plus
d'ur%ence politique A d$noncer ce qui est qu'A analyser ce qui 9ut" On ne ressuscite
malheureusement pas les innocents r$duits en cendres par le feu naOi J en revanche, on peut $viter
que des contemporains meurent sous la botte de commissaires politiques bolcheviques" L''omme
ré+olté semble donc le contrepoint d'ur%ence A La Création corriée"
,n !-3, Camus publie un "ani9este au* hommes li&res & ; 1riv$ du droit de dire non,
l'homme devient un esclave" ? (l travaille A L''omme ré+olté" Cette ann$e5lA, )artre si%ne avec
Merleau51onty un article de quinOe pa%es intitul$ Les Jours de notre mort qui paraWt dans Les
%emps modernes" On peut au'ourd'hui le lire sous le seul nom de Merleau51onty dans Sines
publi$ cheO Iallimard en !-0" Ce r$quisitoire contre #avid 7ousset est un plaidoyer pour
l'Gnion sovi$tique des camps"
1etit a parte sur Merleau51onty & le professeur a%r$%$ du lyc$e Carnot 'adis tr@s soucieu8
de sa th@se et de sa carri@re a probablement oubli$, A cette heure oN il tient pour n$%li%eable
l'e8istence des camps sovi$tiques, que pendant l'Occupation, en novembre !-42 pour >tre pr$cis,
il a proc$d$ A une qu>te pour remplacer deu8 portraits de 1$tain lac$r$s par des $l@ves de sa
classe de philo" Ein%t5quatre heures apr@s, le futur auteur de 'umanisme et terreur avait rapport$
au directeur de l'$tablissement de quoi remplacer les icXnes taillad$es D Puelques mois plus tard,
pour le +okl du Mar$chal, sa classe se distin%ue en $tant la plus %$n$reuse D Les sceptiques
v$rifieront les informations concernant son O@le salu$ par le proviseur au8 Archives du 7ectorat
de 1aris A la cote A< !0"
7etour A Camus & la parution de L''omme ré+olté le !/ octobre !-3! fournit l'occasion
d'un tir de barra%e des mar8istes, des l$ninistes, des communistes, de )artre, des sartriens, du
1arti communiste franVais, de la presse du parti et de tous les d$fenseurs des camps de la mort
sovi$tiques" On connaWt la pol$mique ayant oppos$ Camus et Les %emps modernes" Les attaques
de la part de )artre, *eauvoir et Merleau51onty, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'ont
%u@re r$sist$ A l'occupant naOi, montrent qu'ils ne comprirent pas plus qu'il fallait $%alement lutter
contre le socialisme des camps parce qu'il pr$sentait un dan%er totalitaire semblable A celui du
fascisme brun"
1our $viter de devoir e8aminer une pens$e de %auche critique, de d$battre avec un
r$volutionnaire non mar8iste, d'envisa%er le dialo%ue avec un d$fenseur de l'anarcho5
syndicalisme libertaire, pour se dispenser de remettre en cause ses certitudes, ses convictions, par
confort intellectuel et suffisance personnelle, par opportunisme carri$riste aussi 6le 1CF $tait plus
a%r$able A vivre au quotidien comme ami que comme ennemi9, <ean51aul )artre $crivit une
Réponse ( Al&ert Camus parue en aoSt !-32 dans lequel il propose sans s'en douter un
autoportrait"
On y retrouve en effet le normalien donneur de leVons, le professeur de philosophie qui
corri%e une copie, l'h$ritier qui moque l'ori%ine sociale modeste de son vis5A5vis, le petit5
bour%eois qui interdit la fid$lit$ A la pauvret$ dont il i%nore tout, l'a%r$%$ bien n$ qui humilie
l'autodidacte orphelin, le fils de riche affirmant qu'avoir $t$ pauvre et ne l'>tre plus interdit de
parler au nom de ceu8 qui vivent tou'ours dans le d$nuement, le sophiste habile qui enfile les
formules, les traits d'esprit et les vacheries pour se dispenser de d$battre sur le fond, le 1arisien
qui ridiculise le M$diterran$en, le vindicatif qui pr$f@re les attaques ad hominem A l'e8amen
critique des th@ses" Car, de la v$ritable interro%ation & comment peut8on /tre communiste et
dé9endre encore l';nion so+iétique quand on sait qu'elle se constelle de camps de concentration
oW l'on donne la mort comme dans les camps na5is K, il ne sera 'amais question dans l'article de
<ean51aul )artre" On ima%ine combien, en France et A l'$tran%er, hier comme au'ourd'hui, la
lecture de L''omme ré+olté fut conditionn$e par la r$ception sartrienne de cet ouvra%e qu'A
l'$poque on n'a pas lu par passion et que, depuis un demi5si@cle, par paresse intellectuelle, on n'a
pas plus et mieu8 lu"
Le retour de la 1remi@re (nternationale
L''omme ré+olté est un %rand livre antifasciste, antitotalitaire, anticapitaliste,
anticommuniste" Or la critique a beaucoup insist$ sur la partie n$%ative, ou n$%atrice, de ce %rand
ouvra%e porteur d'une positivit$ libertaire & $lo%e de la Commune, de l'anarchisme espa%nol, du
; socialisme libertaire ? 6(((" !/-9, de l'anarcho5syndicalisme, de la tradition r$volutionnaire
franVaise, de )partacus et de Fernand 1elloutier, mais aussi de *aKounine et de 1roudhon, des
r$volutionnaires russes de !-3, des marins de Rronstadt assassin$s par l'Arm$e rou%e cr$$e par
CrotsKi, de la C+C espa%nole, de la capacit$ politique de la classe ouvri@re, de l'auto%estion des
travailleurs et de toutes les occasions d'une %auche positive qui ne soit pas de ressentiment, mais
affirmative, solaire, constructive, r$aliste, pra%matique U cette positivit$ constitue ce qu'il appelle
la ; pens$e de midi ?"
#ans une #é9ense de l''omme ré+olté, Camus, qui pouvait compter ses soutiens sur les
doi%ts de la main, assure lui5m>me sa plaidoirie & il n'a pas critiqu$ la r$volution et le socialisme,
comme la presse communiste $ructante, )artre et les sartriens, le lui reprochent, mais le nihilisme
historique 'ustifiant le crime l$%al au nom de l'id$al r$volutionnaire qui se trouve ainsi
malheureusement d$voy$" Camus n'est pas un contre5r$volutionnaire, mais un r$volutionnaire
contre & contre les camps, contre les barbel$s, contre la formule bolchevique du mar8isme, contre
l'usa%e de Mar8 fait par L$nine, contre le totalitarisme mar8iste5l$niniste, et ce au nom de
l'e8cellence des fins r$volutionnaires & la libert$, la 'ustice, l'$%alit$, la fraternit$, la pai8, la
di%nit$, l'humanit$"
Contre ceu8 qui lui reprochent d'avoir $crit contre la r$volution, contre toute r$volution, il
pr$cise & ; Le succ@s du syndicalisme libre depuis le M(M
e
si@cle, l'effort des mouvements
libertaires et communautaires en ,spa%ne ou en France sont les rep@res au8quels 'e me suis r$f$r$
pour montrer au contraire la f$condit$ d'une tension entre la r$volte et la r$volution ? 6(((" :.!9"
#onc & r$volution accompa%n$e de r$volte, la sienne, contre la r$volution qui mate la r$volte,
celle de l'G7)) et de )artre"
Les combats autour de L''omme ré+olté r$activent les en'eu8 de la 1remi@re
(nternationale qui, d@s septembre !/00 A Ien@ve, opposaient Mar8 A *aKounine et 1roudhon,
autrement dit deu8 formes de socialisme, sa formule autoritaire avec l'intellectuel allemand, son
option libertaire avec l'o%re russe et l'anarchiste franVais" Mar8 n'a recul$ devant aucun moyen
pour parvenir A ses fins & l'h$%$monie sur le mouvement ouvrier international U intri%ues, coups
bas, d$sinformation, calomnies, m$disances, insinuations sur la personne de *aKounine, une
technique qui rappelle celle du couple <eanson et )artre contre Camus" La d$consid$ration
id$olo%ique du camp libertaire a consist$ A pr$senter les proudhoniens qui d$fendaient la
r$volution immanente par le mutualisme, la coop$ration, la f$d$ration, le cr$dit %ratuit, et qui
souhaitaient une $mancipation ouvri@re en dehors d'une improbable %r@ve %$n$rale et d'un
hypoth$tique soul@vement dans la violence, comme une ruse de la raison capitaliste"
#e la m>me faVon que )artre avec Camus, et selon les m>mes lo%iques, parfois avec le
m>me ar%umentaire sophistique et rh$torique, 1roudhon, lui aussi, a $t$ sali humainement &
Mar8, lui aussi, fut d'abord l'ami de celui dont il ferait bientXt son ennemi & dans La Sainte
$amille, il rendit m>me un homma%e appuy$ A Fu'est8ce que la propriété K avant de casser le
lendemain ce qu'il avait admir$ la veille, pour des raisons ayant plus A voir avec la domination du
champ intellectuel et politique contemporain qu'avec la v$rit$, la 'ustice ou le salut de la classe
ouvri@re J Mar8, lui aussi, a pass$ de lon%ues heures A discuter philosophie au coin du feu, A
1aris, avec celui qu'il d$clarerait ensuite inapte A la comprendre parce qu'il ne la d$chiffrait pas
comme lui J Mar8 le %rand bour%eois intellectuel lecteur des philosophes allemands ricanait, lui
aussi, de l'amateurisme de l'ouvrier 1roudhon en $crivant, par e8emple, sur ; le %auche et
d$sa%r$able p$dantisme de l'autodidacte qui fait l'$rudit ? J Mar8, l'homme des villes, le fils
d'avocat, le mari d'une comtesse, a, lui aussi, m$pris$ 1roudhon, le fils de tonnelier, le petit
paysan venu de sa campa%ne franc5comtoise, il $crit par e8emple ceci & ; L'e85ouvrier qui a perdu
la fiert$ de se savoir penseur ind$pendant et ori%inal et qui, maintenant, en parvenu de la science,
croit devoir se pavaner et se vanter de ce qu'il n'est pas et de ce qu'il n'a pas ? J Mar8 sti%matisait,
lui aussi, la pr$tendue incapacit$ de 1roudhon A comprendre les %rands te8tes philosophiques, la
dialectique de Le%el d$'A J Mar8 recourait A l'ironie doubl$e d'une plume assassine, lui aussi,
pour d$truire la d$marche proudhonienne, c'est tout le sens de la publication de sa "is3re de la
philosophie pour d$truire la Philosophie de la mis3re de 1roudhon J Mar8, lui aussi, disqualifiait
la d$marche socialiste libertaire de 1roudhon comme non scientifique, non dialectique, utopique,
petite5bour%eoise, contre5r$volutionnaire, faisant le 'eu de la bour%eoisie et du capital"
Mar8 n'ayant h$sit$ devant rien, insoucieu8 de la morale, de l'$l$%ance, de la v$rit$, tout A
son d$sir de vaincre par une %uerre totale, sans merci, eut raison de 1roudhon et des
proudhoniens" )es th$ories pr$tendument scientifiques, mat$rialistes, dialectiques, mais
v$ritablement messianiques, mill$naristes, apocalyptiques, l'emport@rent" L'avant5%arde $clair$e
du prol$tariat constitu$e en dictature recourant A la violence pour forcer ce qui, pourtant, $tait
pr$sent$ dans le corpus doctrinaire comme devant obli%atoirement se r$aliser en fonction des lois
dialectiques de l'Listoire, put montrer de quoi elle $tait capable & le coup d'Ftat mar8iste de la
1remi@re (nternationale inau%ura une lon%ue s$rie de putschs sur le principe militaire" Mar8 et
ceu8 qui s'en r$clam@rent eurent plus d'un demi5si@cle la 7ussie et nombre de pays de l',st pour
e8p$rimenter leurs th@ses U Camus s'est 'uste content$ de faire savoir, devant les camps et au pied
des miradors, qu'on pouvait pr$f$rer un autre socialisme que celui5ci" L''omme ré+olté fut le
livre noir de cette odyss$e de Mar8 en ,urope U il fut aussi celui de l'aventure libertaire $crite en
fili%rane dans l'ouvra%e" Gn %enre de Contre5Mar8 doubl$ d'un 1our51roudhon U du moins & d'un
contre les mar8istes et pour les proudhoniens, contre la pens$e nocturne de minuit et pour la
pens$e solaire de midi"
1rendre les livres au s$rieu8
L''omme ré+olté est le livre d'un homme qui prend les livres au s$rieu8" )ouvenons5nous
du rXle tenu par l'$crit dans l'enfance, l'adolescence et les 'eunes ann$es de Camus & la lecture des
Croi* de &ois de #or%el@s effectu$e par l'instituteur ancien combattant de la %uerre de !45!/ qui
si%nifie discr@tement au8 orphelins de %uerre de sa classe, dont Camus, combien il les aime plus
encore que les autres, par fid$lit$ A ses compa%nons morts sur le champ de bataille J la d$couverte
de La #ouleur d'Andr$ de 7ichaud, un roman qui rapporte l'histoire simple d'une femme veuve
de %uerre d$Vue par une improbable histoire d'amour avec un prisonnier allemand, un r$cit qui
prouve A son 'eune lecteur qu'on peut raconter les histoires simples de %ens simples et que le
monde des livres ne se coupe pas obli%atoirement du r$el J la passion des volumes emprunt$s A la
biblioth@que municipale, le retour A la maison dans les rues d'Al%er, le feuilleta%e sous les
r$verb@res, l'odeur de l'encre, du papier, la couleur des pa%es sous le rond de lumi@re dessin$ par
la lampe A p$trole sur la toile cir$e sur laquelle repose le tr$sor J la r$v$lation des Gles de son
professeur de philosophie <ean Irenier lui faisant miroiter qu'il pourra peut5>tre, lui aussi, $crire
U donc chan%er de monde"
Au contraire de )artre qui raconte dans Les "ots combien le livre, la lecture, la
biblioth@que, l'$criture rel@vent de la donn$e familiale, de la tradition de la maison, de l'h$rita%e,
puisque son %rand5p@re a publi$ et que l'enfant a vu arriver au domicile familial les paquets
d'$preuves A corri%er" Le futur auteur de L'6diot de la 9amille $crit m>me qu'il d$couvre
; l'e8ploitation de l'homme par l'homme ? 6229 en entendant son %rand5p@re pester contre son
$diteur A la r$ception de ses droits d'auteur sous pr$te8te qu'il lui volait de l'ar%ent"
)artre naWt, %randit et vit dans un univers de livres, les murs en sont tapiss$s" Le %rand
p@re passe sa vie avec, il va les chercher sur le rayonna%e, les e8trait, les ouvre A la bonne pa%e,
les feuillette, les lit, les replace A l'endroit ad hoc J la %rand5m@re est abonn$e A la biblioth@que,
chaque semaine elle rend ses emprunts et remporte ses nouveau8 pr>ts J sa m@re, dont il est
amoureu8, lui lit des contes en le savonnant dans la bai%noire et en le frictionnant d'eau de
Colo%ne J il pr$l@ve Aristote, C$rence, Fontenelle, 7abelais dans la biblioth@que familiale, il
fur@te dans le Irand Larousse, il lit des r$cits de voya%es, des encyclop$dies, des dictionnaires,
des livres illustr$s"
Le 'eune homme pense un 'our ce que l'adulte )artre croit tou'ours & ; <e sais ce que 'e
vau8 ? 6!49" Le petit5fils raffolant de Courteline, le %rand5p@re l'invite A lui $crire une lettre et
l'accompa%ne dans la r$daction de sa missive dans laquelle il laisse traWner quelques fautes" )ans
aucune difficult$, le petit %arVon $lu si%ne tout simplement & ; Eotre futur ami ? 6:09" L'auteur de
%héodore cherche des allumettes, mais aussi d';ne lettre charée, ne r$pondit pas, une
indiff$rence qui froissa Charles )chZeitOer" )artre pr$cise en r$di%eant Les "ots que, soi8ante
ans plus tard, il lui est rest$, ; vice mineur ? 6:09, cette 9amiliarité avec les %rands auteurs"
+$ avec une petite cuill@re conceptuelle dans la bouche, <ean51aul )artre $crit &
; 1latonicien par $tat, ''allais du savoir A son ob'et J 'e trouvais A l'id$e plus de r$alit$ qu'A la
chose, parce qu'elle se donnait A moi d'abord et parce qu'elle se donnait comme une chose" C'est
dans les livres que ''ai rencontr$ l'univers & assimil$, class$, $tiquet$, pens$, redoutable encore J et
''ai confondu le d$sordre de mes e8p$riences livresques avec le cours hasardeu8 des $v$nements
r$els" #e lA vint cet id$alisme dont ''ai mis trente ans A me d$faire ? 62052.9" On pourra ne pas
souscrire A ce dia%nostic de %u$rison pos$ par le malade"
Camus pense le livre comme une conqu>te, non comme un h$rita%e & pas de livres A la
maison, encore moins de biblioth@que familiale, un %rand5p@re mort, une m@re qui ne sait ni lire
ni $crire, une %rand5m@re brutale et m$chante, le 'eune Albert Camus n'est pas du %enre A penser
qu'il est $lu dans le monde de la litt$rature et que, d@s lors, il peut se permettre de la familiarit$
avec les %loires litt$raires du moment ou de l'histoire %$n$rale de la litt$rature" (l ne l'a pas pens$
quand il n'avait pas di8 ans J il ne le pensa 'amais, se trouvant d'ailleurs tou'ours ill$%itime dans
l'univers des %endelettres dont, lui plus qu'un autre, il comprit tr@s tXt et tr@s vite l'inaptitude au
r$el, l'incomp$tence en mati@re d'immanence, le tropisme id$aliste et le vice associ$ quand ce
tropisme devient une passion furieuse, et qu'elle f$conde une id$olo%ie"
Contre le ; nihilisme de salon ?
Camus se sort d'un monde sans livres A l'aide des livres J )artre souhaite sortir d'un monde
de livres avec les livres, mais restera toute sa vie un philosophe de papier" Camus prend appui sur
les livres pour entrer de plain5pied dans un monde qu'il veut comprendre pour le chan%er, la
litt$rature est pour lui une affaire visc$rale, il $crit avec son san%, p@se des mots nourris de sa
fid$lit$ au8 siens, les %ens de peu J )artre prend la litt$rature en ota%e pour un pro'et e8istentiel
tr@s simple & la c$l$brit$, la renomm$e U aspirations bour%eoises A souhait" #ans ses Carnetsde la
dr-le de uerre, )artre peste contre les $v$nements qui l'emp>chent de se faire un nom" *eauvoir
le rapporte dans sa correspondance avec lui ou dans les lettres de %uerre & il veut >tre ; A la fois
)pinoOa et )tendhal ? U Camus, plus modestement, veut >tre Albert Camus, fils fid@le de son p@re
ouvrier a%ricole et de sa m@re femme de m$na%e"
Lorsque l'on vient au monde dans une famille intellectuellement d$munie, issu d'une
parent@le en d$licatesse avec la lan%ue franVaise, il faut apprendre A parler sa lan%ue dite
maternelle comme une lan%ue $tran%@re, avec effort et difficult$, patience et coura%e" #e m>me
avec les r$f$rences culturelles qui ne sont pas in%ur%it$es au biberon & la peinture, la litt$rature, la
musique, la philosophie, le th$Ttre, les id$es, le concert, le cin$ma, mais aussi le restaurant, les
vacances, les voya%es A l'$tran%er, la fr$quentation des mus$es, constituent autant de bastilles A
prendre, de mondes A conqu$rir de haute lutte" #'oN le respect de Camus pour ce qui a $t$ acquis
par l'effort" Ainsi, il ne lui serait pas venu A l'esprit, comme )artre le fit, d'uriner sur la tombe de
Chateaubriand A )aint5Malo"
On ne trouvera donc pas cheO Camus de familiarit$ avec les auteurs et leurs pens$es, il ne
consid@re pas la philosophie comme un 'eu d'enfant dont les r@%les lui auraient $t$ apprises d@s le
plus 'eune T%e, 'amais il n'en fera un petit monde ludique oN l'on brille A peu de frais en r$p$tant
les recettes transmises par un membre de la famille" (l n'h$rite pas d'un patrimoine intellectuel J il
le conquiert" #'oN son refus du dilettantisme litt$raire, du chan%ement d'id$es pour satisfaire A la
nouveaut$, du d$bat intellectuel v$cu comme une 'oute plaisante sans en'eu8 concrets, il d$teste
l'art pour l'art, l'esth$tisme, la frivolit$ mondaine des %endelettres, la d$sinvolture avec les id$es
utilis$es comme des pelotes A 'on%ler, la c$r$bralit$ %ratuite 'amais suivie d'effets,
l'incons$quence des faussaires qui professent des id$es qu'ils ne pratiquent pas"
#@s lors, il part en %uerre contre le ; nihilisme de salon ? 6(((" !:-9 et demande des
comptes A la litt$rature et A la philosophie" )i l'on veut continuer A croire au pouvoir des id$es et
des livres, ces id$es doivent >tre suivies d'effets et ces livres induire des r$alit$s" 1arce qu'il prend
la litt$rature au s$rieu8, Camus demande au8 litt$rateurs d'>tre s$rieu8, donc de ne pas $crire
n'importe quoi, de ne pas penser n'importe comment, de ne pas affirmer ou ensei%ner des inepties
dan%ereuses, autrement dit d'$viter d'a'outer au d$raisonnable du monde"
#ans sa %$n$alo%ie du nihilisme contemporain, Camus n'$par%ne aucune des valeurs sSres
de l'$poque" Lui qui a d$couvert la v$rit$ des choses dans la lumi@re franche du d$pouillement de
son enfance pauvre, il affirme sans ver%o%ne que le 7oi est nu en pr$sence des %ens de plume qui
vantent la beaut$ de ses atours et la ma%nificence de ses habits" )ade Q +on pas un divin Marquis,
mais le pr$curseur des camps de concentration naOis" 7imbaud Q +on pas l'homme au8 semelles
de vent, mais le petit5bour%eois du Larar d$sireu8 de faire fortune et de se marier" Lautr$amont Q
+on pas le po@te %$nial et sans visa%e, mais le Comte (sidore #ucasse, fr@re dans le mal du
Marquis inventeur des camps" Les surr$alistes Q +on pas des promesses de bonheur intellectuel,
mais des destructeurs fascin$s par la table rase et la violence %ratuite" Le dandy Q +on pas une
fi%ure rebelle, solitaire et sauva%e, mais un pitoyable personna%e qu>tant son identit$ dans le
re%ard du premier venu" On comprend que ce tir A vue sur ces idoles de )aint5Iermain5des51r$s
puisse mobiliser la tribu de ces beau8 quartiers si loin de *elcourt"
Camus n'est pas du %enre A tirer sur des ambulances" Puand, dans L''omme ré+olté, il
s'attaque A ces idoles %ermanopratines, il vise le ma%ist@re de Iuillaume Apollinaire, le cr$ateur
de la l$%ende d'un )ade libertaire et lib$rateur, r$volutionnaire et f$ministe" ,n tapant sur l'auteur
des ACO journées de Sodome, il blesse $%alement Maurice *lanchot, 1ierre RlossoZsKi et
Ieor%es *ataille" Contre )ade, il a'uste aussi le tir sur Andr$ *reton, l'ami du po@te des
Callirammes avec lequel il s'affiche tous les 'ours dans les caf$s, mais il arrose aussi la cour du
1ape du )urr$alisme, ,luard, Ara%on, )oupault, Crevel, Eitrac, #esnos" #e m>me, quand il
ironise sur 7imbaud et Lautr$amont, il envoie une nouvelle salve contre les m>mes qui adoubent
ces deu8 po@tes en anc>tres du surr$alisme, ce dont t$moi%ne l'Antholoie de l'humour noir" ,n
prenant Mar8 pour cible, il fTche obli%atoirement )artre et *eauvoir, Merleau51onty et nombre
d'$pi%ones de seconde Oone, de Ranapa A #esanti, en passant par toute l'$quipe des %emps
modernes" ,n fusti%eant Le%el, il maltraite <ean Lyppolite, l'auteur de 4en3se et structure de la
phénoménoloie de l'esprit de 'eel, et Ale8andre Ro'@ve qui a profess$ entre !-:: et !-:- des
leVons tr@s courues par le Cout51aris sur le philosophe d'($na A l'Fcole pratique des hautes $tudes,
un cours publi$ en !-4. sous le titre 6ntroduction ( la lecture de 'eel U on y a vu sur les m>mes
bancs Lacan, *ataille, Caillois, Aron, 1aulhan, RlossoZsKi, <ean 2ahl, Levinas, Leiris, Royr$,
Lippolyte, Merleau51onty, *reton, Pueneau, Fric 2eil"
On comprend qu'en attaquant tout seul sur autant de fronts, les ralliements soient nuls"
Eenus d'oN Q )imone 2eil, probablement, cit$e $lo%ieusement dans le livre, mais elle dormait
dans la terre an%laise depuis le 24 aoSt !-4:" 7en$ Char, bien sSr, l'impeccable 7en$ Char, lui
aussi salu$ par Camus dans l'ouvra%e libertaire, l'auteur d'une sublime lettre d'ami d@s la
r$ception de L''omme ré+olté, mais Char lui aussi $tait un solitaire, sans meute derri@re lui"
1our information, pour la 'ubilation, pour la beaut$ de l'amiti$, pour la v$rit$ de l'$chan%e
de ces deu8 7$sistants authentiques de la premi@re heure, et en contrepoison au8 te8tes de
<eanson et )artre, puis de tant d'autres plumitifs d'alors, 'e ne r$siste pas A citer cette lettre en
entier & ; Mon Cher Albert, Apr@s avoir lu et relu votre 'omme ré+olté ''ai cherch$ qui et quelle
>u+re de cet ordre U le plus essentiel U avait pouvoir d'approcher de vous et d'elle en ce temps Q
1ersonne et aucune Buvre" C'est avec un enthousiasme r$fl$chi que 'e vous dis cela" Ce n'est
certes pas dans le carr$ blanc d'une lettre que le volume, les li%nes et l'e8traordinaire profonde
surface de votre livre peuvent >tre r$sum$s et propos$s A autrui" #'abord ''ai admir$ A quelle
hauteur famili@re 6qui ne vous met pas hors d'atteinte, et en vous faisant solidaire, vous e8pose A
tous les coups9 vous vous >tes plac$ pour d$vider votre fil de foudre et de bon sens" Puel
%$n$reu8 coura%e D Puelle puissance et irr$futable intelli%ence tout au lon% D 6Ah D cher Albert,
cette lecture m'a ra'euni, rafraWchi, raffermi, $tendu" Merci"9 Eotre livre marque l'entr$e dans le
combat, dans le %rand combat int$rieur et e8terne aussi des vrais, des seuls ar%uments U actions
valables pour le bienfait de l'homme, de sa conser+ation en risque et en mou+ement" Eous n'>tes
'amais na]f, vous peseO avec un scrupule" Cette monta%ne que vous $leveO, $difieO tout A coup,
refu%e et arsenal A la fois, support et tremplin d'action et de pens$e, nous serons nombreu8,
croyeO5le, sans possessif e8a%$r$, A en faire notre montane" +ous ne dirons plus hil faut bien
vivre puisquei mais hcela vaut la peine de vivre parce quei" Eous aveO %a%n$ la bataille
principale, celle que les %uerriers ne %a%nent 'amais" Comme c'est ma%nifique de s'enfoncer dans
la v$rit$" <e vous embrasse" 7en$ Char
!
" ?
Le crime litt$raire
Camus n'aura donc eu de cesse, en attaquant le nihilisme de salon, de mener une %uerre
contre les id$es qui conduisent au8 camps mar8istes5l$ninistes" (l propose une %$n$alo%ie
intellectuelle, une arch$olo%ie conceptuelle des crimes litt$raires, philosophiques, conceptuels
ayant pr$par$ les esprits et les consciences, les intelli%ences et les entendements, au8 crimes
historiques" (l prend la litt$rature au s$rieu8 parce qu'il croit au pouvoir de la litt$rature en dehors
des salons & les id$es tuent, les livres assassinent, les po@mes ou les romans, les trait$s ou les
manifestes esth$tiques peuvent conduire A armer un fusil, affSter le couteau d'une %uillotine,
d$vider des rouleau8 de barbel$s, construire des camps, bander les muscles d'un tortionnaire dans
une salle oN l'on infli%e des supplices" Camus souhaite en finir avec l'incons$quence des %ens de
plume qui c$l@brent le crime sur le papier, le meurtre dans un po@me, l'assassinat dans un roman
et invitent au massacre sous pr$te8te de licence po$tique, de libert$ litt$raire ou de beau %este
esth$tique"
1our d$plorer le crime littéraire, Camus e8amine le cas de )ade" (l voit bien que, dans le
petit monde litt$raire parisien, )ade a le vent en poupe" On trouve dans sa biblioth@que les
Buvres du Marquis $dit$es par Maurice +adeau et <ean5<acques 1auvert, les $tudes de Maurice
*lanchot sur Lautréamont et Sade, le livre de 1ierre RlossoZsKi, Sade mon prochain, et la Vie du
marquis de Sade de Iilbert Lely" Camus fait de )ade un romancier philosophe, autrement dit le
contraire d'un romancier A th@se U une qualit$ A ses yeu8, puisqu'il l'associe A #osto]evsKi,
Melville, 1roust, RafKa"
)ade fut lon%temps 6et encore au'ourd'hui9 ce qu'Apollinaire en fit l'ann$e !-- dans une
lon%ue pr$face pr$sentant une antholo%ie dans la collection ; Les maWtres de l'amour ? pour la
; *iblioth@que des curieu8 ? sous le titre L'Œu+re du marquis de Sade & un h$ros de la lib$ration
se8uelle, un f$ministe amoureu8 des femmes lib$r$es, un partisan de la se8ualit$ sans entraves,
un ami du %enre humain, un psycholo%ue pr$freudien, un moraliste postchr$tien, un %rand
homme de lettres sublimant par la plume ce qu'il ne pouvait $panouir par la chair, un opposant A
la peine de mort, un aristocrate qui renonce A sa particule pour $pouser la cause r$volutionnaire,
un anarchiste victime de trois r$%imes U Monarchie, 7$publique, ,mpire U, une victime du
syst@me in'ustement emprisonn$e pendant vin%t5sept ann$es"
Gne lecture crois$e des Buvres, de sa bio%raphie et de sa correspondance montre un )ade
historique, au8 antipodes de la l$%ende apollinarienne & un libertin f$odal auteur de plusieurs
crimes se8uels concrets, un homme dans le 'ardin duquel on a retrouv$ des ossements humains,
un violeur compulsif, un miso%yne forcen$, un immoraliste radical, un d$fenseur de la tyrannie et
du bonheur dans le crime, un abolitionniste par opportunisme 6le te8te invitant A l'abolition de la
peine de mort est $crit en cellule, A l'ombre d'une %uillotine que la 7$volution franVaise
promettait au marquis contre5r$volutionnaire qu'il $tait9, un prisonnier pur%eant des peines de
prison infli%$es pour des crimes se8uels r$els" )ade historique, contre )ade l$%endaire"
Camus envisa%e la m$taphysique et la philosophie de )ade, car il n'est pas qu'un auteur de
fictions, un raconteur d'histoire, c'est aussi un homme qui propose une vision du monde, donc une
pratique du monde" )ade fonctionne en disciple invers$ de 7ousseau & il croit l'homme
naturellement cruel, totalement d$pourvu de libre arbitre, d$termin$ par la n$cessit$ naturelle,
ob$issant A un fatalisme aveu%le, soumis au8 caprices de la mati@re" )on isolisme, le maWtre mot
de son syst@me philosophique, suppose que chacun se trouve m$taphysiquement condamn$ A
l'$%otisme" #ieu n'e8iste pas, ni la faute ni la punition, ni le vice ni la vertu" 7ien d'autre ne se
produit en dehors d'un %rand entrecroisement de forces noires dans lesquelles chacun 'oue un rXle
qu'il n'a pas choisi"
Cette lecture d'un monde sans #ieu, d$pourvu de sens, d$bouche sur un nihilisme dans
lequel chacun occupe une place qu'il ne peut pas ne pas occuper & le maWtre et l'esclave, le
bourreau et la victime, le tueur et le tu$, le violeur et le viol$, le libertin et l'abus$, le pr$dateur et
la proie, le marquis et le vilain U le bour%eois et le prol$taire" #ans un pareil univers,
l'asservissement est une fatalit$, de m>me que l'assu'ettissement, la servitude, la subordination"
On ne peut rien faire, sinon 'ouir de ce spectacle pourvu que l'histoire permette au libertin du
r$%ime f$odal de laisser libre cours A ses instincts en passant par pertes et profits les victimes
$tran%l$es par le marquis qui a 'oui"
#ans les ACO journées de Sodome, )ade met en place un dispositif politique qui pr$fi%ure
la modernit$ la plus noire de notre nihilisme & on rafle dans la rue des victimes destin$es A des
pr$dateurs J on les incarc@re dans une forteresse inaccessible et prot$%$e par la force J on tond les
victimes, on les tatoue, on leur associe des tissus de couleur en fonction de leur destin J on
humilie, on d$shumanise J on raffine les tortures et on multiplie les faVons de faire souffrir J on
assassine, on tue J on 'ette des innocents vivants dans des fours J on comptabilise les morts sur
des re%istres J les bourreau8 'ouissent que la nature mauvaise les ait plac$s du bon cXt$ de la
barri@re ontolo%ique" Camus $crit & ; deu8 si@cles A l'avance, sur une $chelle r$duite, )ade a
e8alt$ les soci$t$s totalitaires au nom de la libert$ fr$n$tique que la r$volte en r$alit$ ne r$clame
pas" Avec lui commence r$ellement l'histoire et la tra%$die contemporaines ? 6(((" !9"
Comment cette idée d'une ; r$publique barbel$e ? 6(((" -.9, car il s'a%it plus d'une id$e
que d'une fiction 6A quoi bon, sinon, mobiliser et citer dans ses Buvres les philosophes Lelv$tius
et d'Lolbach, #iderot et La Mettrie, F$ret et Montesquieu, Eoltaire et 7ousseau, Lobbes et
Fontenelle9, peut5elle s$duire autant d'intellectuels, de philosophes et de penseurs Q 7$ponse de
Camus & l'auteur de La Philosophie dans le &oudoir ; a souffert et il est mort pour $chauffer
l'ima%ination des beau8 quartiers et des caf$s litt$raires _l`" Le succ@s de )ade A notre $poque
s'e8plique par un r>ve qui lui est commun avec la sensibilit$ contemporaine & la revendication de
la libert$ totale, et la d$shumanisation op$r$e A froid par l'intelli%ence ? 6(((" !9"
Les po@tes du crime
Autres modalit$s du crime litt$raire & les po@tes" Ob'ectifs vis$s Q Le satanisme de
*audelaire, le nihilisme de Lautr$amont, la r$volte de papier de 7imbaud, le non5conformisme de
parade des surr$alistes" Le satanisme de )audelaire & th$oricien et praticien du dandysme, l'auteur
de "on c>ur mis ( nu th$orise sa vie plus qu'il ne la vit, il la met A distance par l'esth$tisation
mais, pour ce faire, il s'en s$pare, incapable de l'incarner v$ritablement" Le dandy se croit
sup$rieur, aristocrate, il revendique une e8tr>me solitude et un sursto]cisme, mais, dans les faits,
il a besoin de l'assentiment d'autrui, car seul son re%ard le constitue, on ne fait donc pas plus
servile, pas plus esclave que cette caricature de %rande et belle individualit$" (l s'ima%ine unique,
mais autrui le constitue comme une chose A sa merci"
Camus ne s'$tonne pas que, dans $usées, *audelaire fasse de <oseph de Maistre le maWtre
A penser qui lui apprend A raisonner" Le penseur de la contre5r$volution croit en #ieu, donc au
#iable et A son pouvoir mal$fique J il pense le mal et la n$%ativit$ dans la lo%ique du p$ch$
ori%inel contre lequel on ne peut rien, il e8isterait donc une fatalit$ du mal consubstantiel A l'Tme
noire de l'homme J il c$l@bre le pouvoir purificateur du bourreau dans la soci$t$ qu'il veut terrible
pour contenir la foule J il offre une solution reli%ieuse A la souffrance des hommes, la pri@re et le
sacrifice" #ans ce silla%e, *audelaire c$l@bre le satanisme, la r$volte romantique lucif$rienne, le
crime et l'assassinat comme purifications $thiques, il invite A la f$rule pour le peuple, il appelle A
s'enivrer du parfum des $leurs du mal" Mais tout cela reste sur le papier & l'artiste dandy, le
romantique sataniste ont le choi8 entre mourir 'eune, devenir fou ou faire carri@re, poser pour la
post$rit$ et se proposer comme des mod@les"
Le nihilisme de Lautréamont & comme *audelaire et Lacenaire, Lautr$amont fait du crime
l'un des beau85arts" Les Chants de "aldoror, en effet, c$l@brent l'apocalypse, la destruction, le
crime, le mal, l'assassinat, le plaisir de tuer, d$pecer, d$chiqueter, maltraiter, nuire" Maldoror,
quand il embrassait les 'oues roses d'un enfant, avait envie de les lui enlever avec un rasoir"
Lautr$amont $crit & ; Moi, 'e fais servir mon %$nie A peindre les d$lices de la cruaut$ D ? 64.9"
)$v@re, Camus associe le te8te de Lautr$amont A la corv$e d'un e8ercice scolaire, A la
r$volte adolescente, au8 r$bellions infantiles" (l transforme les Chants du po@te en une monta%ne
de monstruosit$s, d'accouplements de l'homme et de la b>te accouchant d'une souris & le
conformisme $thique et la banalit$ morale" (l veut la r$volte pure J il obtient le nihilisme" Camus
affirme sans sourciller & ; Les Chants de "aldoror sont le livre d'un coll$%ien presque %$nial ?
6(((" !:9" Andr$ *reton n'aimera pas"
La ré+olte de papier de Rim&aud & autre idole des surr$alistes, l'auteur du )ateau i+re" La
confrontation de la vie et de l'Buvre s'effectue au d$triment du po@te" Le %$nie pr$coce, le
cr$ateur des 6lluminations et d';ne saison en en9er fut en effet aussi, et peut >tre surtout, du
moins pour Camus, l'homme de sa correspondance dans laquelle se d$couvre le contraire d'un
homme r$volt$" Le 'eune %arVon rebelle venu de ses Ardennes natales devient en Afrique un
marchand d'armes, un trafiquant d'esclaves, un acariTtre qui empoisonne des centaines de chiens,
un fau8 d$tach$ du monde qui conserve les lettres d'admirateurs lui parvenant au Larar, un avare
portant de tr@s lourdes ceintures d'or qui lui d$traquent les intestins, un c$libataire souhaitant faire
un bon maria%e, un indicateur de la police" 1our l'auteur de 2oces, le %$nie suppose de ne pas
renoncer au %$nie J or, 7imbaud y a renonc$ J donc""" Le mythe rimbaldien n'efface pas la v$rit$
qui s'impose & 7imbaud ensei%ne l'accablement nihiliste"
Le non8con9ormisme de parade des surréalistes & apr@s avoir donn$ du canon contre
quatre pr$curseurs ma'eurs du surr$alisme, Camus s'attaque A la tribu d'Andr$ *reton" #e fait, on
ne peut $viter, en lisant les deu8 "ani9estes du surréalisme, de trouver que, parfois, la licence
litt$raire autorise cheO lui quelques propositions probl$matiques d'un point de vue $thique"
Comment d$fendre en effet cette affirmation de *reton pour qui ; l'acte surr$aliste le plus simple
consistait A descendre dans la rue, revolver au poin%, et A tirer au hasard dans la foule ?
6(((" !49 Q Ou bien cette invitation au suicide, mais pour les autres qu'on laisse s'enfumer, en
prenant bien soin, quant A soi, de se pr$parer A mourir centenaire dans un fauteuil"
L'$lo%e surr$aliste du crime, du meurtre, de l'assassinat, la transformation de Eiolette
+oOi@re, l'empoisonneuse de sa m@re et de son p@re qui en meurt, en h$ro]ne embl$matique de
leur mouvement, leurs pratiques violentes du coup de main, leur $lo%e de la beaut$ de l'a%ression,
leur 'ustification de la trahison, leur terrorisme intellectuel radical, le refus du dialo%ue et de la
discussion, leur d$fense de la peine de mort, voilA qui constitue un nihilisme radical" A'outons A
cela la destruction de la raison occidentale remplac$e par une dilection pour l'occultisme, la
ma%ie, l'irrationnel, l'alchimie, le myst@re, le r>ve, le m$pris de la m$thode cart$sienne $cart$e au
profit du chamanisme freudien, ou bien encore l'invitation A d$truire la synta8e, tout cela
au%mente la n$%ativit$ et n'y rem$die pas"
Apr@s avoir appel$ au meurtre et au crime, c$l$br$ la table rase radicale, apr@s avoir invit$
A d$truire tout ce qui r$sistait au d$sir et propos$ de le satisfaire sans entraves, apr@s avoir opt$
pour la r$volution politique la plus coSteuse en brutalit$, Andr$ *reton d$livre une nouvelle
morale" Laquelle Q Pue peut5on attendre apr@s ce vent d'hiver appel$ sur la raison occidentale Q
LA encore, d$ception, la monta%ne surr$aliste accouche d'une souris $thique & *reton rentre A la
maison, le chien fou et enra%$ se met alors A d$fendre l'amour" )ourire de Camus"
Les crimes philosophiques
Apr@s un premier 'eu de massacre des $crivains et des po@tes proph@tes du nihilisme,
Camus en propose un second avec les philosophes" )ade pouvait fi%urer dans ce re%istre mais le
penseur des Lumi@res noires m$lan%e les %enres U litt$rature, philosophie, th$Ttre, dialo%ues et
contes" Cette fois5ci, les cibles camusiennes rel@vent clairement de l'histoire de la pens$e
occidentale" Camus attaque en effet & Le%el et sa reli%ion de la 7aison, sa sophistique dialectique,
son $thique d$sesp$rante, sa philosophie de l'histoire chr$tienne, sa destruction de la
transcendance, sa doctrine erron$e de la fin de l'histoire J Mar8 et son mill$narisme, sa reli%ion de
l'humanit$, son d$terminisme $conomiste, ses limites de penseur inscrit dans son temps, mais
Camus d$nonce aussi sa trahison par les r$volutionnaires bolcheviques J +ietOsche enfin et la
dan%erosit$ de son d$terminisme de la volont$ de puissance, le caract@re risqu$ de son
surhomme, mais il souli%ne $%alement la 'ustesse de son dia%nostic sur le devenir c$sarien du
socialisme au MM
e
si@cle"
,n lecteur attentif de l'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie de <ean Irenier, Camus souscrit A ce
qu'$crivait son professeur de philosophie & ; +os temps sont vou$s A Le%el, comme ils le sont au
cancer et A la tuberculose ? 6!39" Camus a lu cet ouvra%e, bien sSr, et l'on retrouve cheO lui
nombre de th@ses de ce livre qui, A mes yeu8, est le meilleur de Irenier & critique de l'Ftat qui
limite les libert$s J analyse de l'orthodo8ie comme doctrine de l'e8clusion J e8plication du succ@s
de celle5ci par la peur de penser seul et par l'an%oisse calm$e par l'a%r$%ation dans une tribu J
tropisme de la meute cheO les intellectuels J pro8imit$s t$l$olo%iques entre christianisme et
mar8isme J implication du surr$alisme dans le nihilisme contemporain J ralliement massif de
l'intelli%entsia de %auche au communisme J devenir reli%ion du mar8isme J limites de cette
id$olo%ie qui ne saurait rendre compte de tout J d$nonciation du rXle sophistique de la
dialectique J d$terminisme des idiosyncrasies J surench@re intellectuelle des nouveau8 convertis A
un parti J refus du manich$isme contemporain transformant en fasciste quiconque n'est pas
communiste J possibilit$ d'un socialisme non mar8iste J d$monta%e de la croyance au pro%r@s et
de l'optimisme rationaliste J n$%ation du d$terminisme $conomique U l'infrastructure $conomique
ne conditionne pas la superstructure id$olo%ique, mais, A l'inverse, l'esprit veut l'$conomie J
opposition A la dictature intellectuelle du moment, cons$quemment, invitation A une n$cessaire
solitude J aveu%lement de Mar8 sur le devenir imm$diat de l'Listoire U il n'a pas pr$vu que les
classes moyennes souscriraient au capitalisme plus qu'A la r$volution, que le socialisme
deviendrait national, que la r$volution irait A droite et le conservatisme A %auche J dissociation
des id$es de r$volution et de %auche, d$couverte que la droite peut >tre r$volutionnaire J
affirmation que la r$volution est d'abord spirituelle et non $conomique J d$fense forcen$e de la
libert$ de penser J promotion d'une nouvelle culture populaire J transformation de l'h$%$lianisme,
+ia Cousin, en philosophie officielle franVaise J r$habilitation, en contrepoison, du +ietOsche de
la consid$ration inactuelle sur l'Listoire J et puis, $lo%e de formes alternatives au socialisme
autoritaire & IodZin et l'anarcho5communisme, OZen et l'anti$tatisme, 1roudhon et le
mutualisme, *aKounine et l'anarcho5syndicalisme, l',spa%ne et l'anarchisme catalan" ,n !-:/, ce
livre est proph$tique"
L'autre source de Camus, concernant Le%el, est le cours de Ro'@ve auquel Camus n'a pas
assist$, mais qu'il a lu et annot$ & l'6ntroduction ( la lecture de 'eel? Le0ons sur la
Phénoménoloie de l'esprit se trouvait dans sa biblioth@que" On peut m>me ima%iner que, pour la
critique de la dialectique, Camus lit Irenier, et Ro'@ve pour la relation maWtrejesclave" )artre et
les sartriens lui ont beaucoup reproch$ d'hypoth$tiques lectures de seconde main, notamment sur
Le%el" +ous n'aurons pas la cruaut$ de commenter cet e8trait du #ictionnaire Sartre &
; L'6ntroduction ( la lecture de 'eel 6publi$e en !-4.9 apparaWt dans les Cahiers pour une
morale comme un livre de r$f$rence de premi@re importance, avec 4en3se et structure de la
phénoménoloie de l'esprit de 'eel 6!-409 de <ean Lyppolite, peut5>tre m>me plus _sic` que le
te8te de Le%el lui5m>me ? 62.29" On a'outera cette autre perle, dans le m>me ouvra%e & ; Le petit
livre de Lefebvre5Iuterman, les "orceau* choisis de Le%el, dut certainement _sic` >tre familier A
)artre" Mais quand il cite Le%el dans L'Etre et le 2éant, il le fait avec une certaine d$sinvolture ?
62!:9" Commenter des commentaires et travailler sur des morceau8 choisis Q )i l'on en croit les
sartrolo%ues, )artre semble mal plac$ pour donner une leVon A Camus"
Gne 1rovidence repeinte
Premi3re critique" Camus critique l'id$e de Le%el selon laquelle le r$el est rationnel et le
rationnel r$el" 1areille th@se, en effet, vaut b$n$diction de tout ce qui arrive du simple fait qu'il
arrive" Cette reli%ion du fait accompli ne laisse place A rien d'autre qu'au consentement A ce qui
est" )i l'on adh@re au vocabulaire de l'(d$alisme allemand, un abWme conceptuel s'ouvre sous les
pas du lecteur J si l'on n'y souscrit pas, on d$couvre une id$e banale sous un arsenal th$orique
intimidant & la 1rovidence chr$tienne" Car, si l'on saisit une s$rie d'$quivalences h$%$liennes, tout
devient clair"
Eoici cette s$rie & 7$el ^ (d$e ^ Concept ^ 7aison ^ Lo%os ^ ,sprit ^ Erai ^ Monde
^ #ieu" #@s lors, la pens$e de Le%el manifeste une tautolo%ie & ce qui est est divin, rationnel, r$el,
id$al, vrai" Puand on lit que la 7aison ou l',sprit se manifeste dans l'Listoire, il faut comprendre
que #ieu se manifeste dans l'Listoire" Ainsi, les choses paraissent plus claires" Ce que confirme
cette citation de La Raison dans l'histoire & ; #ieu %ouverne le monde J le contenu de son
%ouvernement, l'accomplissement de son plan est l'histoire universelle" )aisir ce plan, voilA la
tTche de la philosophie de l'histoire, et celle5ci pr$suppose que l'(d$al se r$alise, que seul ce qui
est conforme A l'(d$e est r$el ? 6!9" #@s lors, sous ses aspects modernes et contemporains,
d$%uis$s dans les beau8 habits de l'id$alisme allemand, les propos de Le%el r$activent
banalement le cat$chisme chr$tien de la manifestation de la 1rovidence dans l'Listoire" Au%ustin,
*ossuet, Le%el m@nent un m>me combat"
#eu*i3me critique" Camus d$plore la conception h$%$lienne de la dialectique" Cet artifice
de papier fut en effet l'occasion de l$%itimer concr@tement la n$%ativit$ comme moment
n$cessaire A l'av@nement d'une positivit$ & cette id$e a tu$" Car la n$%ativit$ nomme l'Ftat policier,
la militarisation de la soci$t$, les camps de concentration, la tenue de proc@s fantoches, les
pelotons d'e8$cution, la construction de prisons, et autres attributs du totalitarisme, sous pr$te8te
aujourd'hui de produire demain un monde sans Ftat, sans police, sans militaires, sans camps, sans
proc@s, sans peine de mort, sans prison D Le%el permettait le mal ici et maintenant dans la
perspective d'un bien A venir, d'un futur pacifi$, d'une humanit$ r$concili$e avec elle5m>me"
Puelques pa%es de la Science de la loique lues par Mar8 lui5m>me, comment$es par L$nine,
d$bouchent sur la 'ustification de la dictature militaire bolchevique" 1r$cisons qu'une m>me
lecture d'un tel te8te peut $%alement servir de caution philosophique au r$%ime national5
socialiste"
%roisi3me critique" Le passa%e de la Phénoménoloie de l'esprit concernant la dialectique
maWtrejesclave a beaucoup servi dans la pens$e du MM
e
si@cle" #e *ataille A Lacan, en passant par
)artre et Camus, sans compter les auditeurs du cours de Ro'@ve, la seconde va%ue h$%$lienne
franVaise, apr@s celle de Eictor Cousin, s'est beaucoup construite sur le commentaire du
commentaire Ko'$vien de ce passa%e du %ros livre de l'odyss$e de la conscience universelle r$di%$
par Le%el"
La dialectique 'oue aussi un rXle dans ce moment classique de l'histoire de la philosophie
europ$enne" #es universitaires d$battent sur l'opportunit$ de la traduction Ko'$vienne du te8te
h$%$lien et proposent de remplacer le couple maHtreXescla+e par maHtriseX+alétude, un couple plus
proche du te8te ori%inal que Ro'@ve aurait %auchi en le mar8isant" On comprend d@s lors que la
lecture de ces quelques pa%es de Le%el avec le prisme d'une traduction Ko'$vienne mar8isante ait
politis$ l'auteur r$actionnaire, conservateur et th$iste des Principes de la philosophie du droit"
Camus commente un commentaire de Le%el J mais comme la plupart des philosophes de
cette $poque" Le te8te permet une multiplicit$ de pro'ections" La lutte pour la reconnaissance de
soi oppose donc deu8 >tres dont l'un vainc, l'autre est vaincu & le second ne l'est qu'apr@s avoir $t$
$par%n$ par le premier auquel il a demand$ %rTce et qui a acc$d$ A sa demande" Cant qu'il n'y a
pas demande de l'un et consentement de l'autre, il n'y a ni maWtre ni esclave"
Mais le maWtre ne saurait obtenir une reconnaissance de son >tre de maWtre par un esclave,
il lui faut l'assentiment d'un semblable J d'oN la poursuite des luttes entre semblables pour que se
d$terminent de nouveau8 couples de forces" L'esclave, quant A lui, parvient A la lib$ration en
investissant dans le travail qui est conditionn$ par l'an%oisse de la mort et qui permet la
transformation du monde" La 7$volution franVaise marque le terme de cette lib$ration, elle
permet A l'esclave de devenir d'abord un bour%eois pr$r$volutionnaire, ensuite le citoyen
napol$onien incarnant l'universel"
Le de%r$ de comple8it$ de l'e8pos$ h$%$lien permet de lon%ues et savantes e8$%@ses U
contradictoires" Camus a donn$ la sienne" Comme tou'ours avec un philosophe, elle rensei%ne
moins sur celui qu'il lit que sur celui qui lit" Camus reproche A cette th$orie de l'intersub'ectivit$
d'inscrire toutes les relations humaines dans des rapports de force dans lesquels il n'y a d'issue
que dans la victoire du maWtre ou la d$faite de l'esclave" Cette lecture du monde $conomise la
psycholo%ie, car toute relation ne se construit pas forc$ment sur le d$sir de mettre A mort D
L'Buvre compl@te de RierKe%aard, par e8emple, t$moi%ne en faveur de l'inverse"
Cette lecture sombre et d$sesp$rante, tout enti@re diri%$e vers la mort et la mise A mort,
l$%itime une politique de la brutalit$ cheO les h$%$liens de %auche" 1uisqu'il faut $chapper A la
servitude, la maWtrise doit >tre obtenue, quel qu'en soit le coSt" Ainsi, la n$%ativit$ tenant le rXle
$piphanique du r$el que l'on sait, elle trouve tou'ours sa 'ustification, puisqu'il s'a%it de r$aliser la
Libert$ qui ne saurait >tre autre chose que la 1rovidence d'un #ieu qui se dit aussi (d$e ou
7aison" Le cercle reste la %rande fi%ure du syst@me h$%$lien qui est tautolo%ique & d@s lors, on
comprend le sens de cet id$alisme"
Camus sait qu'il e8iste des intersub'ectivit$s qui $chappent A la description h$%$lienne"
)ouvenons nous, dans La Peste, du bain de minuit entre 7ieu8 et Carrou 6((" 2!29, deu8
résistants A la peste & dans un air satur$ par le parfum d'al%ues et d'iode, les deu8 hommes entrent
dans l'eau huileuse de la lune et noire de la nuit, la mer semble respirer comme un animal
primitif, les va%ues montent et descendent sur les rochers, l'eau ti@de enveloppe les corps, la na%e
cr$e des bouillons $cumants, les $toiles scintillent, l'un et l'autre fendent l'eau dans un m>me
rythme, semblables en vi%ueur" 7evenus sur la pla%e, ils %ardent le silence U mais savent avoir
v$cu un bonheur sans maWtrise et sans esclava%e, en $%au8"
Cette fraternit$ e8istentielle, cette e8p$rience commune, ce plaisir parta%$, ces combats
men$s ensemble, le roman les rapporte parce que la vie les lui a appris & la participation de Camus
A la 7$sistance prouve par les faits que la th$orie h$%$lienne est fausse et dan%ereuse"
L'intersub'ectivit$ ne se r$duit pas A la %uerre de tous contre tous, tout le temps J elle est aussi
fraternit$, complicit$, amiti$, amour et autres passions %aies" La sympathie, l'empathie, la piti$, la
compassion e8istent $%alement" Comment rendre 'ustice A ces modalit$s de l'intersub'ectivit$ qui
contredit l'hypoth@se que chacun vise tou'ours la mise A mort d'autrui pour >tre lui5m>me et
acc$der A sa libert$ Q
Fuatri3me critique" Camus reproche A Le%el d'avoir supprim$ toute transcendance, d@s
lors d'avoir emp>ch$ tout principe, donc toute valeur" )a philosophie invite A ob$ir au8 faits et A
nous contenter d'eu8" )'il l'on cherche des directions pour a%ir, on les trouve dans l'ob$issance
au8 lois et coutumes de son pays" La tautolo%ie h$%$lienne obli%e A affirmer que ce monde est, et
que, tel qu'il est, il ne peut >tre autrement" Les Principes de la philosophie du droit racontent en
effet comment l'individu trouve son sens et sa v$rit$ en ob$issant au8 valeurs traditionnelles,
Cravail, Famille, 1atrie, et en se soumettant A l'Ftat, 'usqu'au sacrifice si ce dernier l'e8i%e" Le%el
$crit & ; (l faut donc v$n$rer l'Ftat comme un >tre divin5terrestre ? 6f 2.2 add9" On sait ce que
pareille invite produit cheO L$nine, %rand lecteur de Le%el U ou cheO Litler"
Cinqui3me critique" Le%el a eu tort J mieu8 & il a m>me eu tort de son vivant" On sait que
la fin de l'histoire constitue une %rande th$matique h$%$lienne" Le philosophe allemand pensait
que +apol$on achevait l'histoire, que l',mpereur avait vaincu le nihilisme & la Phénoménoloie
de l'esprit et +apol$on mettaient ensemble fin au temps D Mais, en !/., l'histoire continue tout
de m>me, quoi qu'en ait dit, pens$ et cru le penseur prussien" La fameuse stabilisation du temps
n'a dur$ que sept ans U un petit septennat ridicule en re%ard des lon%ues dur$es d'avant et d'apr@s D
Le%el croyait A l'abolition du nihilisme J le nihilisme a aboli Le%el" ,t ses fils spirituels bTtissent
des camps de concentration"
Mar8 contre les mar8istes
L'h$%$lianisme se r$alise dans le mar8isme" Camus 'oue Mar8 contre les mar8istes, du
moins un certain Mar8" L'analyste des m$canismes du capitalisme et des modalit$s de l'ali$nation
m$rite, A ses yeu8, un salut sp$cial car l'auteur de L'6déoloie allemande fut, dit5il, ; un
d$niaiseur incomparable ? 6(((" 2::9" La pens$e de Mar8 s'inscrit dans un mouvement, elle $volue
avec le temps, le travail, les soubresauts de l'histoire, l'affina%e de sa propre force de frappe
intellectuelle" Y sa mort, il laisse un chantier consid$rable compos$ de notes destin$es A la
construction du Capital" )elon Camus, cette documentation t$moi%ne en faveur d'une $volution
qui aurait rendu caduques certaines th@ses du "ani9este du parti communiste"
Les mar8istes falsifient Mar8" La preuve, l'$dition de ses Buvres compl@tes en russe a $t$
suspendue parce que certaines de ses th@ses entrent en contradiction avec ce que les bolcheviques
font dire A leur pr$tendu mentor" ,n !-:3, l'G7)) met fin A cet immense chantier de traduction
alors qu'il restait plus de trente volumes A publier" Pue voulaient cacher les l$ninistes en mettant
sous les verrous la pens$e dont ils se r$clament Q Gn certain nombre de choses, dont celle5ci,
ma'eure & Mar8 e8pliquait la n$cessit$ de r$unir un certain nombre de conditions $conomiques
pour envisa%er une r$volution avec succ@s" Or, en re%ard de ces analyses, la 7ussie de !-!. fait
partie des pays dans lesquels la r$volution se trouve fatalement vou$e A l'$chec"
Camus sauve $%alement un Mar8 $thique, celui qui, la chose est rare en philosophie,
pense la condition ouvri@re, se soucie de la mis@re prol$tarienne, critique les e8ploiteurs, analyse
le travail ali$n$ des salari$s, d$cortique les m$canismes de la division du travail puis montre la
corr$lation avec l'humiliation et la d$ch$ance des employ$s d'usine J il soutient le Mar8 qui
c$l@bre l'homme total, r$concili$ avec lui5m>me, capable de briller dans les tTches manuelles et
d'e8celler en m>me temps dans le re%istre intellectuel, celui qui fait l'$lo%e du loisir et de la
cr$ation, des vraies richesses qu'il souhaite rendre accessibles A tous les travailleurs"
Ce Mar85lA, habituellement connu comme le Mar8 des "anuscrits de ATNN, peut >tre
revendiqu$ par les libertaires" (l n'est pas le Mar8 de la dictature du prol$tariat, de la violence des
e8propriations, de la %uerre civile, des solutions violentes et brutales" Ce Mar8 humaniste peut
servir contre le Mar8 momifi$ des )ovi$tiques" Ces pa%es en d$fense de Mar8 prouvent que
L''omme ré+olté n'est pas un livre antimar8iste, mais antibolchevique J qu'il n'est pas un livre
oppos$ au socialisme, mais A sa formule autoritaire A laquelle Camus pr$f@re l'option libertaire"
La reli%ion mar8iste
L'G7)) a sovi$tis$ Mar8" La r$volution bolchevique s'est construite sur ce qu'il y a de
plus dan%ereu8 cheO l'auteur du "ani9este du parti communiste & le mill$narisme apocalyptique,
le messianisme r$volutionnaire, la reli%ion de l'histoire, la th$olo%ie du pro%r@s" ,lle a transform$
cette pens$e politique en pens$e reli%ieuse" #@s lors, la raison ne peut plus >tre utilis$e lA oN
triomphent foi et croyance, soumission au do%me et renoncement A l'esprit critique" #ans cet
ordre d'id$e, Camus $tablit une relation entre le contre5r$volutionnaire catholique <oseph de
Maistre et le r$volutionnaire ath$e Rarl Mar8 & tous les deu8 revendiquent le r$alisme politique,
c$l@brent l'usa%e de la discipline, pr$conisent le recours A la force, manifestent un r$el %oSt pour
l'autorit$, d$fendent l'usa%e de la peine de mort, s$parent le monde en orthodo8es et h$t$rodo8es"
Mar8 et de Maistre parta%ent une conception lin$aire du temps qui leur permet de recourir
A un m>me sch$ma pour pr$senter leur vision du monde & dans le pass$, il y eut un paradis, avant
le p$ch$ ori%inel pour l'un, avant la propri$t$ pour l'autre J puis advint la faute, la consommation
du fruit d$fendu de l'arbre de la connaissance cheO le catholique, l'appropriation priv$e des
richesses et des biens cheO le r$volutionnaire J d@s lors, pour r$soudre le probl@me du mal, il faut
une volont$ & ici, croire, prier et pr$parer la parousie du Christ ici5bas, lA, faire la r$volution et
permettre le r@%ne du prol$tariat J en cons$quence, le futur s'envisa%e sous le si%ne du paradis & la
cit$ de #ieu peupl$e de corps %lorieu8, la cit$ des hommes rayonnant d'individus r$concili$s avec
eu85m>mes"
Camus inscrit Mar8 dans l'Listoire" (l s$pare le bon %rain Mar8 de l'ivraie mar8iste" 1uis
il sort cet homme de l'e8traterritorialit$ historique dans laquelle le confinent, un comble, les
tenants du tout histoire" Gn philosophe qui $crit et pense, qui plus est l'$conomie et la politique au
M(M
e
si@cle, ne saurait >tre pertinent sur tous les su'ets dans une $poque oN deu8 bombes
atomiques ont $t$ lar%u$es du ciel par des bombardiers am$ricains" (l est normal qu'une partie de
sa r$fle8ion soit tomb$e en d$su$tude U mais pas pour les )ovi$tiques qui ont construit un corpus
A la faVon d'un cat$chisme qu'il suffirait d'apprendre par cBur et de r$citer" La %randeur d'un
certain Mar8 n'emp>che pas l'$chec d'un certain mar8isme"
#roit d'inventaire
1arce qu'il n'est pas un d$vot de Mar8, ni de qui que ce soit, Camus $tablit une liste de ce
qui, dans l'id$olo%ie mar8iste, pose probl@me et %$n@re des catastrophes sur le terrain politique
concret & l'$conomie ne saurait >tre le fin mot de tout J la dialectique est une sophistique fautive et
dan%ereuse J la r$volution ne s'inscrit pas m$caniquement dans le processus historique J le
capitalisme n'en%endre pas naturellement sa disparition" Ch@ses d$'A pr$sentes cheO <ean Irenier"
Camus si%nale $%alement des erreurs de 'u%ement cheO Mar8" (l s'est tromp$ sur un
certain nombre de points & le capital ne s'est pas concentr$, il a profit$ A de petits poss$dants, d@s
lors, la loi de paup$risation qui voudrait que les pauvres soient de plus en plus nombreu8 et de
plus en plus pauvres, en m>me temps que les riches de moins en moins nombreu8 et de plus en
plus riches, est une id$e fausse & le d$veloppement des classes moyennes en t$moi%ne J les
nations n'ont pas disparu au nom de l'internationalisme prol$tarien, elles se sont renforc$es et
elles ont %$n$r$ leurs patholo%ies avec le nationalisme A l'ori%ine de plusieurs %uerres depuis
Mar8 J le syndicalisme et le r$formisme ont am$lior$ les conditions d'e8istence des classes
laborieuses, elles ont $t$ positives concr@tement et, en m>me temps, elles amoindrissaient la
n$%ativit$ dont Mar8 pensait qu'elle ne serait combattue qu'avec la r$volution J la fin de la
sp$cialisation des tTches n'a pas eu lieu, au contraire, le taylorisme s'est d$velopp$ et 'amais les
ouvriers n'ont $t$ autant asservis A des tTches sp$cifiques, ce qui nourrit fortement le m$canisme
de l'ali$nation J la conscientisation de classe du prol$tariat est rest$e lettre morte, on a vu en effet
nombre d'ouvriers partir la fleur au fusil pour combattre en Allema%ne un peuple diabolis$"
Autres raisons de d$sesp$rer & le socialisme industriel tel qu'il s$vit en G7)) et dans les
pays de l',st n'a pas am$lior$ le statut de la classe ouvri@re J il n'a pas permis au8 travailleurs de
recouvrer une di%nit$ et une humanit$ dont le capitalisme les avait spoli$s J il n'a pas aboli
l'e8ploitation consubstantielle au travail ali$n$ J l'homme total n'a pas remplac$ l'homme mutil$ J
le prol$taire reste prisonnier de son labeur tout aussi d$%radant que sous le r$%ime capitaliste J en
acc$l$rant le processus d'industrialisation, le socialisme sovi$tique a m>me %$n$ralis$ l'esclava%e"
Ces erreurs de 'u%ement av$r$es, ces pr$dictions fausses, ce proph$tisme condamn$ par
les faits, montrent cruellement que la doctrine de Mar8 n'est pas un socialisme scientifique, au
contraire de ce que le philosophe allemand affirmait pour opposer son utopie A celle des autres
qu'il sti%matisait 'ustement en la d$clarant utopique" Y rebours $%alement de ce que professent
l'Gnion sovi$tique et les mar8istes de part et d'autre du 7hin, l'id$olo%ie mar8iste ne repose sur
rien d'autre que sur des con'ectures id$alistes, des propositions conceptuelles %ratuites" Mar8 est
un philosophe qui r>ve J les mar8istes, des id$olo%ues qui e8terminent symboliquement ou
r$ellement quiconque ne souscrit pas A ces r>ves"
Le passa%e de Mar8 au mar8isme s'effectue par un homme qui fut lecteur de Le%el,
admirateur de la 7$volution franVaise en %$n$ral, et de 7obespierre en particulier, strat@%e
militaire, dictateur cynique auquel on doit la militarisation de la soci$t$ russe & L$nine" On lui
doit l'instrumentalisation de la r$volution et de ses id$au8 %$n$reu8 au profit d'un ; syst@me
concentrationnaire ? 6(((" 2009" On peut l$%itimement se demander si Mar8 aurait consenti A cet
usa%e de ses th@ses" Mar8 fut d$%rad$ en mar8isme, le mar8isme le fut plus encore en l$ninisme"
,t +ietOsche dans tout Va Q
+ietOsche fait partie des philosophes convoqu$s au tribunal de L''omme ré+olté" On se
souvient du nietOsch$isme de Cipasa et de l'$poque du %rand ; oui ? A la vie" Mais c'$tait le temps
du royaume m$diterran$en, l'$poque de la mer et du soleil, de l'$cume des va%ues et du parfum
des asphod@les, des ruines romaines et des eau8 lustrales pa]ennes, un temps r$volu depuis que
Camus a franchi la mer pour s'installer A 1aris oN, en moins de di8 ans, il a v$cu les fascismes
europ$ens, la %uerre, l'Occupation, la 7$sistance, la Lib$ration, l'Fpuration et d$couvert
l'e8istence du %oula%"
+ietOsche n'a cess$ d'accompa%ner Camus" Mais la th$orie de l'amor 9ati, ou celle du
surhomme, sinon le point de doctrine de la volont$ de puissance, ne se pensent pas de la m>me
mani@re dans les ann$es insouciantes de l'Al%$rie solaire et dans les ann$es noires de l',urope des
totalitarismes" Lire un philosophe dont les naOis se sont r$clam$s, m>me indSment, obli%e A
revoir ses positions" Iandhi, par e8emple, n'$tait pas susceptible de d$voiement, ni La *o$tie ou
Choreau" #io%@ne ou Aristippe non plus" Gn penseur n'est pas coupable de ce qu'on lui fait dire,
surtout quand il a dit le contraire, mais il entre un peu de sa responsabilit$, $crit Camus, A ne pas
avoir $crit ce qui aurait emp>ch$ une r$cup$ration"
<e n'entrerai pas dans le d$tail qui prouverait l'e8istence dans l'Buvre de pa%es enti@res qui
emp>chent la revendication de +ietOsche par le national5socialisme & sa critique de l'Ftat, son
philos$mitisme doubl$ d'un virulent m$pris des antis$mites, son combat perp$tuel contre les
nations %$o%raphiques et la d$fense d'une ,urope spirituelle, et non %uerri@re ou militaire, sa
d$consid$ration de la politique au sens habituel du terme, voilA qui interdisait au 7eich
nationaliste et antis$mite, belliciste et politique, de pr$senter +ietOsche comme un pr$curseur de
leur id$olo%ie"
)elon Camus, la pens$e nietOsch$enne de l'innocence du devenir est malheureusement
compatible avec l'entreprise naOie & en invitant A dire ; oui ? A tout ce qui est, +ietOsche interdit la
r$volte, la r$bellion, la r$sistance" 1our le dire en d'autres termes, la philosophie d'Ainsi parlait
Jarathoustra ne permet pas de Iaulle ou <ean Moulin" 1our un nietOsch$en de stricte ob$dience,
la r$sistance et la collaboration, Londres et *erlin, la croi8 de Lorraine et la croi8 %amm$e,
l'appel du !/ <uin et la construction d'AuschZitO, rel@vent d'une m>me n$cessit$ ontolo%ique &
tout ce qui a lieu arrive n$cessairement, pas besoin d'inviter A plus de ceci ou moins de cela car il
y aura ceci et cela en quantit$s impossibles A vouloir librement pour les hommes, puisque, dans
tous les cas de fi%ure, il s'a%it de manifestations de la volont$ de puissance qui s'incarnent en
vertu d'un ordre cosmique et non d'un ordre des raisons choisies" La volont$ de puissance produit
aussi bien *rasillach que Camus, ni l'un ni l'autre n'ont choisi d'>tre ce qu'ils sont, car ils sont
voulus plus qu'ils ne veulent"
Camus n'est pas un nietOsch$en de stricte observance U et l'on peut parier que +ietOsche
aurait aim$ qu'on fSt nietOsch$en de cette mani@re & en rebelle, en r$volt$, en homme libre" La
lecture crois$e de ses Carnets et de sa correspondance en t$moi%ne, il reste ambivalent sur
+ietOsche" ,n !-3!, il note & ; L'acceptation de ce qui est, si%ne de force Q +on, la servitude s'y
trouve" Mais l'acceptation de ce qui a $t$" #ans le pr$sent, la lutte ? 6(E" !!.9" 1uis, dans une
lettre A Maria Casar@s, fin f$vrier !-3, il $crit sur +ietOsche & ; C'est le seul homme dont les
$crits aient e8erc$, autrefois, une influence sur moi" ,t puis 'e m'en $tais d$tach$" ,n ce moment
il tombe A pic" (l apprend A aimer ce qui est, A se faire un appui de tout, et de la douleur d'abord ?
6Codd, 3!9" Le pr$sent & l'aimer Q Lutter contre lui Q L'aimer parce qu'on ne parvient pas A lutter
contre lui avec asseO de force Q Lutter contre lui parce qu'on ne peut l'aimer asseO Q Les livres
i%norent le doute J le lecteur en connaWt la morsure"
1our donner raison A +ietOsche, et pas tort A Camus, disons que l'e8i%ence ontolo%ique du
philosophe allemand est $lev$e & la r$volte de Camus ne serait pas pour lui un effet de sa volont$
libre, de sa d$cision d$lib$r$e, mais un effet de sa volont$ de puissance J de m>me que la
collaboration de 7ebatet ne rel@verait pas du choi8 d$coulant de l'usa%e d'un libre arbitre mais la
r$sultante de son idiosyncrasie" #ans son 1ssai sur le li&re ar&itre, )chopenhauer a $tudi$ le
m$canisme des motifs involontaires pr$sidant au8 d$cisions que l'on croit volontaires & personne
ne choisit, tout le monde est choisi" MaWtre et esclaves sont les 'ouets d'une force cosmique contre
laquelle on ne peut rien" Avant m>me qu'il y ait lutte des consciences de soi oppos$es, pour le
dire dans le vocabulaire h$%$lien, le r$sultat est d$'A connu" +ietOsche r$active la pr$destination
int$%rale, mais en physicien et en po@te, pas en th$olo%ien" Camus dit, pense et croit qu'il choisit
la r$volte contre la soumission J +ietOsche lui dirait qu'il est choisi r$volt$ ou soumis par plus fort
que lui, la volont$ de puissance, et qu'il aura beau faire, il ne pourra rien contre ce destin U sinon
l'aimer J ''a'outerai & pour ne pas en pleurer D
,n nietOsch$en de %auche, Camus a lu attentivement l'analyse que le philosophe allemand
propose du socialisme comme matrice d'un totalitarisme A venir" ,t il souscrit A cette pr$vision
d'une %rande lucidit$" 1uis il a'oute $%alement cette id$e ori%inale & ; Le mar8isme5l$ninisme a
pris r$ellement en char%e la volont$ de +ietOsche, moyennent l'i%norance de quelques vertus
nietOsch$ennes ? 6(((" !2-9" Autrement dit, +ietOsche a produit des effets de totalitarisme dans le
national5socialisme et dans le mar8isme5l$ninisme, soit dans les deu8 modalit$s du totalitarisme
du MM
e
si@cle, m>me s'il a fallu, pour parvenir A ce r$sulter, violenter la pens$e du philosophe"
+ietOsche proposait de dire oui A la vie, donc A ce qui est J Mar8 invite aussi A une m>me
approbation, mais avec ce qui de+ient" (l s'a%it donc, pour les mar8istes qui corri%ent +ietOsche,
non pas de dire oui A tout, mais oui A l'Listoire" Cet $tran%e attela%e de Le%el, Mar8 et +ietOsche
produit le si@cle que nous savons et que Camus d$finit comme celui de la servitude" #e la
servitude, mais aussi du nihilisme et des camps" #ire ; oui ? conduit dans des impasses politiques
consid$rables & oui A la n$%ativit$ sauv$e par la dialectique, oui A l'Listoire pens$e comme
parousie de l'(d$e et de la v$rit$, oui A la volont$ de puissance, m$comprise dans sa nature
ontolo%ique et fauss$e par des contaminations biolo%iques et politiques, $tholo%iques et
sociolo%iques, la philosophie allemande nourrit les camps de concentration naOis et sovi$tiques"
Cette philosophie nocturne, sombre, noire, m$rite sa critique et son d$passement au profit d'une
pens$e solaire, diurne et lumineuse" Ce sera le sens de la pens$e de midi oppos$e A cette pens$e
de minuit"
Gne esquisse libertaire de !./-
L'id$olo%ie allemande est donc coupable, certes, mais elle a'oute A tout un pan de la
pens$e et de l'Listoire tout aussi condamnable & l'id$olo%ie franVaise, et plus particuli@rement
celle de la 7$volution franVaise constell$e de fi%ures noires & )aint5<ust et la Cerreur, Marat et la
Iuillotine, 7obespierre et son Htre supr>me %arantissant la vertu par l'$chafaud" L'historio%raphie
dominante, en mati@re de 7$volution franVaise, fut lon%temps communiste, mar8iste, l$niniste,
donc robespierriste" Au temps de Camus, c'est le cas" Les lectures libertaires de la 7$volution
franVaise sont rares, celle de #aniel Iu$rin, La Lutte des classes sous la Premi3re Répu&lique?
)oureois et Y &ras8nus Z @A[MP8A[M[B demeure in$%al$e A ce 'our, mais elle reste tr@s anarcho5
communiste" Camus propose une esquisse d'histoire libertaire de la 7$volution franVaise"
,squisse parce qu'il faut chercher dans le te8te des indications ponctuelles, comme de
petites taches dans une toile impressionniste, voire pointilliste" Ainsi, Camus cite avec respect
Earlet, l'un des ,nra%$s U mais en passant" On comprend que le philosophe libertaire d'un
quartier pauvre d'Al%er s'emballe pour l'orateur des faubour%s, le tribun de la pl@be, 'uch$ sur un
petit escabeau portatif, l'auteur du Projet d'un mandat spécial et impérati9 rappelant au8 d$put$s
qu'ils ne le sont que par le renoncement A la souverainet$ individuelle des $lecteurs, mais dans la
stricte mesure oN ils repr$sentent ceu8 qui les mandatent" Le d$put$ dispose d'un mandat que l'on
peut lui retirer d@s la preuve donn$e qu'il n'incarne pas la volont$ du peuple 6par laquelle et pour
laquelle il est lA9, et se contente de 'ouir des avanta%es de la sin$cure" La souverainet$ ne peut ni
se d$l$%uer ni se repr$senter" )i le peuple n'e8erce pas un droit de re%ard et un droit de censure
sur le repr$sentant qui ne repr$sente pas, peu, ou qui repr$sente mal, alors le d$put$ oublie qu'il
si@%e par d$l$%ation"
Le Earlet de Camus, c'est probablement aussi celui qui invite A lutter contre les a%ioteurs,
les accapareurs, les monopolistes, les spoliateurs qui accumulent des fortunes consid$rables en
volant le bien public J l'homme qui veut une $ducation nationale et la fin de l'ensei%nement priv$
avec pr$cepteurs particuliers J le citoyen qui pense autrement la d$claration des droits de l'homme
et la Constitution avec pour ob'ectif l'abolition des chefs J le radical qui e8i%e qu'on permette au
peuple d'e8ercer un authentique contrXle de ses mandataires avec pouvoir de les destituer et de les
punir en cas de forfaiture J l'ultra qui souhaite que le peuple nomme et $lise directement au8
fonctions publiques J le personna%e qui interdit le cumul des mandats J le la]c qui refuse de
salarier les pr>tres, mais souhaite pour eu8 une retraite d$cente J celui qui veut le bonheur du
peuple J ou bien encore le contribuable e8i%eant avant de le payer que l'on 'ustifie la n$cessit$ de
l'impXt" ,n !.-:, Earlet r$di%e une #éclaration solennelle des droits de l'homme dans l'.tat
social & il y d$fend l'e8istence et l'usa%e de la propri$t$ priv$e" 1r$cisons en passant que, dans ce
te8te, Earlet se r$clame A plusieurs reprises de ; la France libre ? D ,t dans L'1*plosion, dat$e du
! Eend$miaire An ((( 6!.-49, Earlet s'$crie & ; 1our tout >tre qui raisonne, %ouvernement et
r$volution sont incompatibles, A moins que le peuple ne veuille constituer ses fond$s de pouvoir
en permanence d'insurrection contre lui5m>me, ce qu'il est absurde de croire ?" C'est cette id$e de
l'incompatibilit$ entre %ouvernement et r$volution que reprend Camus dans L''omme ré+olté"
On nommait ; ,nra%$s ? le %roupe compos$ de <oseph ChTlier, <acques 7ou8, un cur$
rou%e, Ch$ophile Leclerc, mais aussi les femmes de la )oci$t$ des citoyennes r$publicaines
r$volutionnaires, 1auline L$on et Claire Lacombe et <ean Earlet" (ls souhaitaient la ta8ation des
denr$es et des mesures $conomiques et sociales en faveur des plus pauvres" Camus n'aurait
sSrement pas aim$ leur d$fense de la peine de mort pour les a%ioteurs, les accapareurs et autres
pr$varicateurs U mais voilA du moins des crimes et d$lits faciles A $viter pour ne pas finir sous le
couperet de la %uillotine D 1our eu8, la libert$ est un vain mot si l'on ne man%e pas A sa faim et
qu'une classe d'hommes peut en affamer une autre selon son bon vouloir, le tout en pleine
impunit$" L'$%alit$ est une fiction, la fraternit$ aussi, quand les riches mettent A mort les pauvres
en les affamant" Les ,nra%$s reprochent A la Convention de faire des lois par les riches et pour les
riches" On ne s'$tonnera pas que 7obespierre, le h$ros de L$nine et des mar8istes, les fasse arr>ter
d@s septembre !.-:"
Le pro%ramme des sans5culottes pouvait $%alement s$duire Camus & $conomie diri%$e,
d$mocratie directe, ; $%alit$ des 'ouissances ?, nationalisation ou municipalisation du commerce
de subsistance, protection de la petite propri$t$ et limitation de la %rande, critique de la %rande
entreprise, d$fense de la petite production ind$pendante et ta8ation des riches, droit A
l'instruction, souverainet$ populaire, contrXle d'$lus r$vocables, mandat imp$ratif, contrXle du
peuple, droit de p$tition collective, tutoiement fraternel, promotion de l'union libre, d$fense des
enfants naturels, solidarit$s populaires, cette politique voulue par une base de boutiquiers et
d'artisans, de compa%nons et de 'ournaliers, de %ens de peu, sans les culottes des bour%eois
port$es par 7obespierre et les siens, ne pouvait que r$'ouir Albert Camus, fid@le au petit peuple
de son enfance A *elcourt"
#ans L''omme ré+olté, Earlet se trouve associ$ A 1roudhon" 7ien que de tr@s normal, car
1roudhon le f$d$raliste a $t$ tr@s critique A l'endroit de cette 7$volution franVaise ayant permis
l'av@nement de droits formels et r$alis$ le passa%e de la f$odalit$ A la bour%eoisie & la vie
quotidienne des travailleurs, des ouvriers, des paysans n'a pas du tout chan%$" #e m>me, cette
r$volution contre le pouvoir d'un seul, le roi, a %$n$r$ le pouvoir d'un seul, l'Ftat" Le 'acobinisme
a triomph$, et, avec lui, l'Ftat centralis$, le pouvoir de 1aris, la rel$%ation des provinces en
p$riph$rie" La formule autoritaire, hi$rarchis$e, pyramidale du r$%ime f$odal a $t$ conserv$e,
sinon durcie, renforc$e" 7obespierre a triomph$ J pas Earlet, ni les ,nra%$s ou les sans5culottes"
,ncore moins les Iirondins"
; Les $ternels Iirondins ?
#ans une conf$rence donn$e en novembre !-4/ A un meetin% international d'$crivains,
Camus parle des ; $ternels Iirondins ? oppos$s au8 ; Monta%nards en manchettes de lustrine ?
6((" 4-39, ces derniers qualifiant les artistes et les intellectuels qui refusent l'endoctrinement,
l'embri%adement au8 cXt$s des bourreau8 mar8istes5l$ninistes qui veulent le statut de
fonctionnaire et la reconnaissance de l'Ftat pour l'accomplissement de leurs forfaits" Les
v$ritables artistes se trouvent du cXt$ de la vie, de la positivit$, de l'affirmation, ils tournent le dos
au8 tristes fi%ures qui l$%itiment et 'ustifient la mort au nom des id$es" Le Iirondin, ici, est
l'individu qui refuse le pouvoir centralis$ U dans l'esprit de Camus, celui de Moscou" Les
Iirondins historiques, on le sait, s'opposaient A la peine de mort pour Louis ME(, refusaient le
principe d'un Cribunal r$volutionnaire" La province leur $tait ma'oritairement acquise parce
qu'elle r$cusait la dictature centralis$e de la Monta%ne parisienne" Cette sensibilit$ f$d$rale et
libertaire $tait celle de Camus"
Leur conver%ence s'effectue sur la question de la d$capitation du roi" Les d$fenseurs de la
peine de mort s'appuient sur 7ousseau, qui la pr$conise dans son Contrat social, et )aint5<ust" 1ar
un effet de sophistique, il s'a%it de remplacer une transcendance par une autre & du cXt$ du roi, on
ima%ine sa personne inviolable, donc le proc@s ill$%itime J du cXt$ des ennemis de la monarchie,
on croit inviolable la souverainet$ du peuple, donc le roi peut >tre 'u%$ comme un usurpateur"
1our )aint5<ust, le peuple $tant v$rit$ $ternelle, il faut bien que la royaut$ soit crime $ternel" Htre
roi, c'est donc par nature >tre coupable"
Le roi, parce qu'il se trouve hors contrat social, ne saurait b$n$ficier de la %arantie assur$e
par le pacte" #ans la #octrine du droit, Rant lui aussi 'ustifie l'impossibilit$ de la protection
l$%ale et 'uridique A un enfant n$ hors maria%e ou A une victime du duel, parce que le nourrisson
adult$rin et le duelliste mortellement bless$ $voluent dans une e8traterritorialit$ 'uridique qui les
prive de la protection du droit" 1our )aint5<ust, il suffit donc de transformer le 7oi en une
personne sans e8istence 'uridique afin de 'ustifier sa d$capitation"
Les Iirondins en appelaient au peuple pour 'u%er le roi J )aint5<ust le rousseauiste ar%uk
de la diff$rence entre volont$ %$n$rale et volont$ de tous pour l$%itimer le r$%icide & la premi@re
est d$cision de tous dans la perspective de l'int$r>t de tous, le bien public J la seconde, somme
anarchique des suffra%es individuels, personnels et sub'ectifs" )i la volont$ de tous d$cidait
d'$par%ner Louis Capet, la volont$ %$n$rale ne le pourrait pas" ,t Camus de commenter cette
sophisterie r$volutionnaire en prenant A t$moin <acques 7ou8, le compa%non de <ean Earlet, un
,nra%$ lui aussi, et *rissot, le Iirondin embl$matique"
L'abolitionniste forcen$ qu'est Camus ne peut souscrire au meurtre du roi & ; Certes, c'est
un r$pu%nant scandale d'avoir pr$sent$ comme un %rand moment de notre histoire l'assassinat
public d'un homme faible et bon" Cet $chafaud ne marque pas un sommet, il s'en faut" (l reste au
moins que, par ses attendus et ses cons$quences, le 'u%ement du roi est A la charni@re de notre
histoire contemporaine ? 6(((" !0:9" ,n effet, avec ce crime, la mort du roi qui incarnait le pouvoir
de #ieu sur terre co]ncide avec la mort de #ieu & la politique cesse de puiser dans le ciel des id$es
chr$tiennes pour monter de la terre d'un peuple pens$ comme une divinit$" Les r$volutionnaires
portent un coup fatal au christianisme"
Fid@le A sa m$thode pra%matique qui consiste A se m$fier des id$es pures et des concepts
pour leur pr$f$rer une description d$taill$e, ce que 'e nomme une ph$nom$nolo%ie non
philosophique, Camus d$crit les derniers moments de Louis ME( & dans sa prison, le roi lit
l'6mitation, il efface peu A peu le monde e8t$rieur, insoucieu8 des bruits qui lui parviennent, il se
soucie de ses derniers moments et les souhaite chr$tiens, non pas sur le papier, mais dans sa vie
personnelle, il vit le christianisme de faVon e8istentielle, s'appuie sur son confesseur" Au dernier
moment, il connaWt une d$faillance, le pr>tre lui rappelle son devoir de vivre cette 1assion comme
le Christ J il se ressaisit, ; puis il se laisse aller, fr$missant, au8 mains i%nobles du bourreau ?
6(((" !049" On tue le 7oi"
La suite est connue" La mort du 7oi et l'abolition de la th$ocratie ouvrent une @re
nouvelle marqu$e par la naissance du 1euple57oi soutenu par la th$ocratie de la 7aison pure"
#ieu laisse place A l'Htre supr>me J les $%lises, au8 Cemples de la 7aison" La Cerreur devient le
moyen d'instaurer sur terre, du moins selon 7obespierre, )aint5<ust, Marat et leurs amis, la vertu,
la morale, le pouvoir du peuple elle se fait l'instrument de la volont$ %$n$rale, elle dit le vrai, le
bon, le bien, le 'uste" ,lle est la r$publique que les r$volutionnaires interdisent de critiquer J ils ne
veulent m>me pas que l'on y soit indiff$rent J ils commandent la %$nufle8ion U sinon la mort"
Cette 7$volution devient la matrice des autres r$volutions"
Camus montre de faVon impressionniste quelle 7$volution franVaise est la sienne & le
souci du peuple et du bien public J le bonheur comme souverain bien J le compa%nonna%e discret
avec les ,nra%$s ou les sans5culottes J l'$%alit$ des 'ouissances J la m$fiance A l'endroit de la
repr$sentation J le f$d$ralisme contre l'$tatisme J le refus de la peine de mort J le pouvoir
contrXleur J la r$cusation de la mystique r$volutionnaire J le combat contre le centralisme 'acobin
et le caract@re violent des Monta%nards U et autres options libertaires A contre5courant de
l'historio%raphie robespierriste dominante dans les ann$es !-3 & la possibilit$ d'une r$volution
non violente, d'une %auche non autoritaire, d'un socialisme populaire non c$sarien, voilA les pistes
libertaires rep$rables dans L''omme ré+olté"
Gne e8plication avec l'individualisme anarchiste
La composition de L''omme ré+olté peut d$router" ,lle ob$it A la vitalit$ dionysienne et
ne se soucie pas des usa%es classiques, des e8pos$s apolliniens comme on apprend A les
construire A l'Fcole normale sup$rieure" ,lle est moins 'ardin A la franVaise que 'ardin A
l'an%laise J on n'y trouve pas d'all$es trac$es selon l'ordre des raisons cart$siennes, mais des
massifs, des taillis, des efflorescences, des buissons, des plantes dispers$es, des maquis parfois"
Ce %rand ouvra%e libertaire n'est malheureusement pas pr$sent$ comme tel" )es
adversaires, sinon ses ennemis, insistent beaucoup sur la partie critique et laissent croire qu'il se
r$sume au pamphlet anticommuniste d'un homme de droite, ou d'un social5d$mocrate ce qui, pour
un communiste des ann$es !-3, si%nifie la m>me chose" Gn livre contre Mar8, contre la
7$volution, contre l'G7)), contre les camps, contre le surr$alisme, contre Le%el, contre
l'h$%$lianisme et les h$%$liens, finalement, un livre sans aucune positivit$"
Or, cette positivit$ e8iste, mais elle se trouve elle aussi $parpill$e" (l nous faut la ramasser,
la r$unir et la pr$senter dans une forme plus visible A ceu8 qui n'ont pas lu, lisent mal ou ne
veulent pas lire" Car ce livre propose une alternative au socialisme autoritaire et c$sarien, un
antidote A la r$volution violente et san%lante, un contrepoison A la terreur et au8 %uillotines de
%auche, avec la promotion d'un socialisme libertaire et f$d$raliste, d'une r$volution non violente
spirituelle et d'une politique du peuple selon le principe de la d$lib$ration contractuelle"
On se prend A penser que, plutXt que de perdre un temps pr$cieu8 A r$pondre point par
point au8 critiques malveillantes de L''omme ré+olté, Camus aurait pu consacrer son $ner%ie A
composer un ouvra%e qui c$l@bre l'anarchie positi+e pour utiliser A nouveau l'e8pression de
1roudhon" Pue de temps perdu A prendre la plume pour se 'ustifier aupr@s des d$fenseurs des
camps de concentration sovi$tiques et des r$%imes bolcheviques D Pue d'heures %Tch$es A
batailler dans les revues pour faire pr$valoir ses th@ses qu'on %auchissait, caricaturait,
ridiculisait sans ver%o%ne D Pue de forces perdues A tTcher de persuader des 'ournalistes
convaincus que leurs erreurs du 'our $taient des v$rit$s de tou'ours D
Les mentions de Earlet et 1roudhon, puis des Iirondins, se doublent d'une lecture critique
de )tirner et de *aKounine que l'historio%raphie anarchiste pr$sente la plupart du temps comme
les penseurs embl$matiques, pour le premier, de l'individualisme anarchiste, pour le second, de
l'anarchisme communiste" Camus n'aime pas la radicalit$ $%otiste de l'un, ni la m$thode violente
de l'autre" <'ai d$'A d$fini le libertaire comme celui qui $tait anarchiste, m>me et surtout avec les
%randes fi%ures de l'anarchisme U Camus e8celle dans ce %enre d'e8ercice libertaire"
(l y aurait beaucoup A dire sur ceu8 qui adoubent le nihilisme de )tirner comme une
modalit$ de l'anarchisme" Car cet h$%$lien de %auche qui veut mettre le monde A feu et A san%,
qui souhaite d$truire tout ce qui lui r$siste dans l'univers pour assurer la manifestation violente et
brutale, immorale et cynique, de sa puissance, de son e%o, de sa sub'ectivit$, n'a aucun souci
d'une soci$t$ dans laquelle la condition ouvri@re serait radicalement transfi%ur$e" )tirner insulte
l'ouvrier incapable de s'approprier par la force ce qui lui appartiendrait sinon"
Certes, L';nique et sa propriété, l'unique livre d'un auteur unique, souscrit A la formule
; +i #ieu, ni MaWtre ?, mais il fait du socialisme, de l'anarchisme, du proudhonisme, du
socialisme, des cibles au m>me titre que le lib$ralisme ou le capitalisme" Cout ce qui fait la 'oie
de l'habituel massacre anarchiste se trouve conchi$ sous sa plume & la police, l'arm$e, les impXts,
l'F%lise, le christianisme, le pape, l'Ftat, la patrie, la nation, les fonctionnaires, les 'u%es, la
hi$rarchie, #ieu, le sacr$, la foi, les pr>tres, le p$ch$, la reli%ion, le travail, la famille, le maria%e,
l'ar%ent, l'$ducation, l'autorit$, la soci$t$, la mono%amie, la fid$lit$, le devoir, l'amiti$, l'amour,
l'h$rita%e, le devoir, l'honneur, le bien, la vertu, la raison"
1our quelle positivit$ Q Lui, Ma8 )tirner D Lui et sa force, lui et sa puissance, lui et son
$%o]sme, lui et sa capacit$ A >tre et A nuire D (l 'ustifie le criminel et affirme que l'important n'est
pas le crime, mais la ruse qui permet d'$chapper A la 'ustice et si%ne de 9acto la 'ustesse du crime"
(l d$fend l'inceste" (l tient l'e8istence d'autrui pour nulle et non avenue" (l c$l@bre le menson%e, le
par'ure, la violation de la parole donn$e" Certes, il prXne l'association, mais uniquement pour
au%menter la force de frappe des forfaits de l'unique" )tirner $crit & ; <e le veu8, donc c'est 'uste" ?
(l manifeste ainsi le fonds immature tou'ours pr$sent cheO une certaine vari$t$ d'anarchiste &
; Moi <e, dSt le monde en p$rir ? D
Pue pense Camus de )tirner Q Pu'il est un nihiliste satisfait auquel r$pu%ne la r$volution"
Pue ce 'eune h$%$lien de %auche qui part en %uerre contre les (d$es, c$l@bre, 'ustifie et l$%itime le
crime" Pue, de ce fait, il se trouve A l'ori%ine d'une tradition r$volutionnaire anarchiste, celle du
terrorisme, de la propa%ande par le fait, de la reprise individuelle et de tout un ill$%alisme que
Camus ne fait pas sien U l'anarchisme des 7avachol ou de la bande A *onnot 6ce que mon ami
Michel 1erraudeau, l'auteur d'un #ictionnaire de l'indi+idualisme li&ertaire, appelle les
ra+acholades et les &onnoteries9 et, un temps, de RropotKine qui, dans Le Ré+olté de
d$cembre !//, d$finissait ainsi la propa%ande par le fait & ; 7$volte permanente par la parole,
par l'$crit, par le poi%nard, par le fusil, par la dynamite" Cout est bon pour nous, qui n'est pas la
l$%alit$ ?" Luit ans plus tard, il $crira & ; Gn $difice fond$ sur des si@cles d'histoire ne se d$truit
pas avec quelques Kilos d'e8plosifs ?"
)tirner nourrit les nihilistes russes, et une partie de la r$fle8ion de #osto]evsKi" Le
nihilisme russe fournit une contribution id$olo%ique A la r$volution bolchevique" Cette 'eunesse
diplXm$e, cultiv$e, d$sempar$e, d$sorient$e, sans travail, nourrie A l'id$olo%ie allemande en
%$n$ral, et A Le%el et )chellin% en particulier, voue un culte A la science et A la raison, mais aussi
au peuple" +ombre d'entre eu8 ont $t$ emprisonn$s, d$port$s, e8$cut$s, certains ont m>me
sombr$ dans la folie" Camus pr$cise qu'en 7ussie, la pens$e allemande s'impose parce que rien ne
l'emp>che, alors qu'en France, cette m>me id$olo%ie doit composer, ; lutter et s'$quilibrer avec le
socialisme libertaire ? 6(((" !/-9"
)ur la violence r$volutionnaire anarchiste
L'anarchisme de )tirner ne saurait convenir A Camus parce que L';nique et sa propriété
est plus qu'un manifeste nihiliste que d'un $crit libertaire" Ce te8te d'une rare brutalit$, qui fut, dit5
on, le livre de chevet de L$nine et de Mussolini, fonde le terrorisme auquel Camus ne donnera
'amais son assentiment" Pu'en est5il de l'anarchisme communiste de *aKounine Q Autre 7usse, lui
aussi converti A la r$volution par Le%el qui fut un temps en 7ussie une passion furieuse au point
qu'un hurluberlu mit en vers la Science de la loique"
Michel *aKounine fut un o%re en tout" )a r$volution se propose la m>me fin que celle de
Mar8, mais elle diff@re par les moyens & le 7usse ne croit pas A la dictature du prol$tariat dont il
pr$voyait qu'elle serait, et elle le sera, la dictature d'une partie du prol$tariat sur une autre J il ne
veut pas d'un centralisme autoritaire qui ne parviendrait 'amais A l'abolition de l'Ftat, mais
contribuerait au contraire A son renforcement J il r$cuse l'id$e d'une avant5%arde scientifiquement
$clair$e habilit$e A conduire la r$volution et lui pr$f@re la mobilisation des %ueu8, des r$prouv$s,
des prisonniers et de toutes les victimes du Knout tsariste"
Camus ne se propose pas un livre sur *aKounine, ni sur les modalit$s de l'anarchisme du
personna%e, encore moins sur la soci$t$ f$d$raliste A laquelle il aspire 6comme 1roudhon9, mais il
pr$l@ve dans l'Buvre de quoi critiquer son %oSt pour la violence, sa passion pour la destruction, sa
lecture de la n$%ativit$ n$%atrice comme une positivit$ constructrice" (l cite donc correctement
des passa%es 'ustes qui respectent la pens$e de son auteur, afin de soutenir, $tayer et illustrer sa
th@se & *aKounine fut en effet le d$fenseur d'; un fort pouvoir dictatorial ? 6(((" !-.9" Iaston
Leval lui reproche avec violence de n'avoir pas beaucoup lu *aKounine, de s'>tre content$
d'e8traits, de n'avoir pas plac$ l'anarchiste russe dans le conte8te qui lui faisait 'ustifier
ponctuellement la violence"
1our d$fendre Camus, on aurait pu r$pondre A Iaston Leval que l'$lo%e de la violence se
trouve partout dans l'Buvre de *aKounine & en !/3!, dans sa Con9ession, il raconte quelle
r$volution il fomente et a'oute & ; tout devait >tre soumis A un pouvoir dictatorial ? 6!4-9 J
en !/.5!/.!, il affirme dans L'1mpire <nouto8ermanique que la 7$volution ne peut se faire
qu'avec du d$sordre, que la %uerre civile sera indispensable 6Œu+res compl3tes, V666" :29, qu'elle
seule permet l'$mancipation des peuples, qu'il y aura des troubles publics, que la violence est
in$vitable 6..9, qu'il faut recourir A la %uerre pour mettre le diable au corps de la classe ouvri@re
63.9 J en !/., dans Les :urs de )erne et l':urs de Saint8Péters&our, *aKounine $crit & ; Les
r$volutions ne sont pas un 'eu d'enfants _l`" La r$volution c'est la %uerre et qui dit %uerre dit
destruction des hommes et des choses" (l est sans doute fTcheu8 pour l'humanit$ qu'elle n'ait pas
encore invent$ un moyen plus pacifique de pro%r@s mais 'usqu'A pr$sent, tout pas nouveau dans
l'histoire n'a $t$ r$ellement accompli qu'apr@s avoir reVu le bapt>me du san% _l`" (l est donc
impossible d'>tre soit un r$volutionnaire soit un r$actionnaire v$ritable sans commettre des actes
qui, au point de vue des codes criminels et civils, constituent incontestablement des d$lits ou
m>me des crimes, mais qui au point de vue de la pratique r$elle et s$rieuse, soit de la r$action,
soit de la r$volution, apparaissent comme des malheurs v$ritables ? 6E" 339 J en !/., dans La
Science et la Fuestion +itale de la ré+olution, il persiste et c$l@bre ; la passion de la destruction ?
6E(" 2-/9 J en !/., dans les Lettres ( un $ran0ais sur la crise actuelle, *aKounine estime
n$cessaire le moment de %uerre civile 6E((" !2!9, il aspire A ; or%aniser partout la puissance
populaire par le d$chaWnement des passions r$volutionnaires ? 6E((" !2-9 J en !/.:, dans
.tatisme et anarchie, il $crit & ; (l n'y a pas de r$volution sans destruction profonde et passionn$e,
destruction salvatrice et f$conde parce que pr$cis$ment d'elle, et seulement par elle, se cr$ent et
s'enfantent des mondes nouveau8 ? 6(E" 22:9"
#e !/3 A !/.:, soit pendant vin%t5trois ann$es, *aKounine d$fend dans la th$orie et sur
le papier la %uerre civile, la violence, la destruction des hommes et des choses, le bapt>me du
san%, les d$lits et les crimes comme d'in$vitables malheurs n$cessaires A l'av@nement de la soci$t$
heureuse qu'il annonce" (l soutient ces m>mes id$es sur toutes les barricades europ$ennes,
de !/4:, date de sa conversion A la r$volution par 2eitlin% A l'T%e de vin%t5neuf ans en )uisse,
'usqu'A sa mort en !/.0" Iaston Leval a donc tort de reprocher A Camus d'avoir pr$lev$ dans
l'Buvre l'$lo%e fait une fois par *aKounine de )atan et de la 'ouissance de d$truire & l'anarchiste
russe fut toute sa vie d$fenseur de la violence sous le pr$te8te h$%$lien qu'elle $tait un moment de
n$%ativit$ n$cessaire dans l'av@nement d'une positivit$ qui ne manquerait pas de venir un 'our"
Gn anarchisme solaire
Camus ne choisit pas plus l'individualisme anarchiste que l'anarchisme communiste qui,
tous deu8, 'ustifient la violence et la mise A mort d'autrui" ,st5ce suffisant pour conclure que
Camus tourne le dos A la pens$e anarchiste parce qu'il n'en d$fend pas la modalit$ individualiste
ou collectiviste Q +on, bien sSr" Car la pens$e anarchiste est forte de beaucoup d'autres
possibilit$s libertaires" On pourrait $crire une histoire de cette pens$e en opposant moins des
hommes que des temp$raments & )tirner d$fend l'individu, certes, et *aKounine la communaut$,
bien sSr, ils se s$parent donc sur ce su'et, mais se retrouvent en h$%$liens consomm$s pour
'ustifier et l$%itimer le recours A la violence" Cette id$olo%ie allemande est contamin$e par la
pens$e de l'auteur de La Science de la loique"
Mais il e8iste une autre pens$e anarchiste" ,lle n'est plus h$%$lienne, nocturne, san%lante,
allemande, %ermanique, prussienne, slave, mais franVaise, latine, solaire U il s'en faudrait de peu
que Camus n'a'oute m$diterran$enne" On chercherait en vain cheO les th$oriciens franVais de
l'anarchie 6voire les th$oriciens de l'anarchie franVaise9 que sont 1ierre5<oseph 1roudhon,
Anselme *elle%arri%ue, )$bastien Faure, Flis$e 7eclus, ,rnest Armand, Lan 7yner, une
'ustification A des violences r$volutionnaires assimilables A des %uerres civiles U m>me si, parfois,
ils peuvent comprendre leur caract@re r$actif" ,n France, on croit que l'$conomie, le mutualisme,
la coop$ration, la solidarit$, l'$ducation, l'instruction, la p$da%o%ie, constituent des moyens qui ne
contredisent pas les fins vis$es par un anarchiste qui veut pacifiquement la pai8, intelli%emment
le socialisme, humainement la fraternit$" Camus s'inscrit dans ce li%na%e libertaire franVais,
tellement diff$rent du li%na%e allemand"
Le nom du personna%e important sur lequel peut se construire ce socialisme libertaire
apparaWt dans L''omme ré+olté & Fernand 1elloutier" Pui est Fernand 1elloutier 6!/0.5!-!9 dont
Camus d$sesp@re qu'il disparaisse sous Mar8 Q Gn 'ournaliste r$publicain ori%inaire de )aint5
+aOaire qui adh@re au socialisme de Iuesde et croit A la possibilit$ d'une %r@ve universelle l$%ale
et pacifique capable de satisfaire les revendications du 1arti ouvrier" )on compa%nonna%e avec
Iuesde dure un temps, mais 1elloutier s'oriente vers la pens$e anarchiste en fr$quentant des
libertaires, tout en r$sistant au8 faits et m$faits de 7avachol, au verbia%e r$volutionnaire, A la
%esticulation irresponsable et A la propa%ande par le fait" (l a le souci pra%matique d'effets
concrets et se d$tourne d'une solution qui passerait par l'Ftat & les ouvriers doivent eu85m>mes
r$aliser leur lib$ration" L'anarchisme peut d@s lors $viter de recourir A la dynamite et au8
machines infernales" #@s !/-3, 1elloutier affirme l'identit$ du syndicalisme et de l'anarchisme"
Le syndicat active une microsoci$t$ libertaire contractuelle dans laquelle il n'y a pas de
chef, 'uste un secr$taire et un tr$sorier r$vocables" Les syndicalistes d$battent eu85m>mes de
leurs probl@mes et d$cident de leurs actions" Le d$bat produit une d$cision A laquelle la ma'orit$
souscrit U ou non" Chaque s$ance suppose un d$l$%u$, un pr$sident et un pr$pos$ A l'ordre, mais
pour la forme" Le syndicalisme lutte contre l'influence des politiciens collectivistes et $tatistes"
1ar ailleurs, si la r$volution arrivait, les syndicats constitueraient d$'A des instances susceptibles
de prendre en main les affaires de la %estion commune" 1elloutier, atteint d'un lupus tuberculeu8
qui le fera horriblement souffrir, disparaWt en !-! A l'T%e de trente5quatre ans"
La pens$e de 1elloutier se nourrit de l'Buvre de 1roudhon" (l le cite plusieurs fois dans
son ouvra%e sur l''istoire des )ourses du tra+ail" (l a lu et m$dit$ #u principe 9édérati9 et
%héorie de l'imp-t" #ans un te8te de 'eunesse, #e la ré+olution par la r3+e énérale, 1elloutier
cite #e la capacité politique des classes ou+ri3res, l'ouvra%e de 1roudhon le plus A m>me de
nourrir une r$fle8ion sur l'anarcho5syndicalisme" #ans La Re+ue socialiste, il publie avec un ami
un Proudhon philosophe citant les ouvra%es ma'eurs du penseur qu'ils $tudient sans m$na%er les
critiques"
1elloutier et 1roudhon se ressemblent A plus d'un titre & l'un et l'autre sont ori%inaires d'un
milieu populaire J tous les deu8 sont anti5autoritaires J ensemble, ils d$fendent la n$cessit$ de
l'action directe et font de la th$orie un levier pour la pratique, et non une fin en soi id$aliste et
id$alis$e J les deu8 individus croient que l'$ducation et l'instruction construisent des hommes
n'ayant pas besoin de %ouvernement parce que capables de se %ouverner eu85m>mes J de part et
d'autre, on croit que la classe ouvri@re doit d$velopper sa sin%ularit$ sans aspirer au8 valeurs des
petits5bour%eois J pour l'un comme pour l'autre, l'atelier fera disparaWtre le %ouvernement, et non
la dictature du prol$tariat ou l'Ftat 'acobin centralisateur J le syndicaliste et le philosophe
d$fendent une m>me soci$t$ avec f$d$ration et mutualisation d'institution de production"
Certes, il e8iste des diff$rences entre les deu8 hommes" Mais retenons que le 1elloutier de
Camus incarne un socialisme libertaire dont les moyens concrets passent par les *ourses du
travail, anc>tres des syndicats contemporains" #ans une Lettre au* anarchistes dat$e du
!2 d$cembre !/--, 1elloutier d$finit le rXle du syndicat dans l'$ducation et la promotion de la
r$volution" +ous sommes au8 antipodes de l'id$olo%ie allemande qui l$%itime la brutalit$ par la
dialectique, il est question de ; l'Buvre d'$ducation morale, administrative et technique n$cessaire
pour rendre viable une soci$t$ d'hommes libres ?"
Y la question ; qui >tes vous Q ?, l'auteur de l'article r$pond & ; #es r$volt$s de toutes les
heures, des hommes vraiment sans dieu, sans maWtre et sans patrie, les ennemis irr$conciliables de
tout despotisme moral ou mat$riel, individuel ou collectif, c'est5A5dire des lois et des dictatures 6y
compris celles du prol$tariat9 et les amants passionn$s de la culture de soi5m>me" ? 1uis,
quelques li%nes plus loin, il invite A ; pr>cher au8 quatre coins de l'horiOon le %ouvernement de
soi par soi5m>me ?" (l livre aussi sa m$thode & ; )emer dans la soci$t$ capitaliste le %erme de
%roupes libres de producteurs par qui semble devoir se r$aliser notre conception communiste et
anarchiste" ? )on but Q ; L'affranchissement des esprits et des corps" ?
Fducation morale, propa%ande par l'instruction, culture de soi, %ouvernement de soi,
pra%matisme de l'essaima%e libertaire, affranchissement spirituel, lib$ration corporelle & ce
pro%ramme anarcho5syndicaliste, ou syndicaliste r$volutionnaire, constitue une plate5forme
libertaire que Camus souhaite voir revenir sur le devant de la sc@ne occup$e par le socialisme
autoritaire h$%$lien et sovi$tique" C'est le sens de l'article publi$ dans L'1*press du 23 novembre
!-33 qui invite les syndicats franVais A se pr$parer intellectuellement et spirituellement A la
%estion de la soci$t$ pour les travailleurs dans le sens de l'abolition du salariat, et ce ; en cessant
d'$craser 1elloutier sous Mar8 ? 6(((" !3!9"
Flo%e de la Commune
#ans l'esprit de Camus, la %rande r$volution est moins la 7$volution franVaise que la
Commune" Y ce moment de l'histoire ouvri@re, on ne trouve ni tribunal r$volutionnaire, ni proc@s
politiques instrumentalis$s par la %auche, ni potence, ni $chafaud, ni %uillotine au service de la
cause" Les intellectuels n'y 'ouent aucune part, on chercherait en vain les Crait$s, les Manifestes,
les Adresses et autres professions de foi r$volutionnaire comme il y en eut en !./-" La Commune
est en %rande partie proudhonienne, c'est5A5dire pratique et pra%matique, concr@te et r$aliste U
m>me si elle rassemble aussi des blanquistes, des fouri$ristes, de simples r$publicains" 1roudhon,
h$las, $tait mort depuis si8 ann$es J Mar8 n'aima pas beaucoup la Commune qui n'$tait pas
mar8iste D
Pue fut la Commune de 1aris Q Gne br@ve insurrection populaire qui dura deu8 mois,
entre le !/ mars et le 2/ mai !/.!" 1endant ces di8 semaines, les communards r$alisent un
nombre incroyable de %estes r$volutionnaires & remise des loyers non pay$s J suppression des
ventes du Mont5de51i$t$ J abandon des poursuites pour loyers non pay$s J allon%ement des d$lais
pour le paiement des dettes J attribution de pensions pour les bless$s, les veuves, les orphelins, les
%ardes nationau8 tu$s au combat J r$quisition des lo%ements inhabit$s J cr$ation d'orphelinats J
ventes publiques d'aliments au8 pri8 coStants J distribution de repas J instauration du mandat
imp$ratif J affirmation du droit sacr$ A l'insurrection J proclamation de la 7$publique universelle
pour r$aliser dans les faits l'abolition de l'esclava%e vot$e en !/4/ J incendie de la %uillotine place
Eoltaire, suppression de la peine de mort J attribution des ateliers abandonn$s au8 coop$ratives
ouvri@res apr@s indemnit$s au8 propri$taires J r$duction du temps de travail A di8 heures par 'our J
encadrement ouvrier dans les usines et les ateliers J interdiction du travail de nuit pour les
enfants J $%alit$ des salaires entre hommes et femmes J cr$ation d'un salaire minimum J
reconnaissance de l'union libre J maria%es par consentement mutuel J %ratuit$ des actes
notariau8 J s$paration de l'F%lise et de l'Ftat J rupture avec le Concordat J suppression du bud%et
des cultes J s$cularisation des biens du cler%$ J $cole %ratuite et la]que J la]cisation des hXpitau8 J
libert$ de la presse J reconnaissance de droit des enfants ill$%itimes J instauration d'une inspection
des prisons J cr$ation d'$coles professionnelles"
,n soi8ante5douOe 'ours, le mutualisme, la f$d$ration, la coop$ration, et autres techniques
r$volutionnaires proudhoniennes, produisirent plus d'effets que 'amais" On sait que la r$pression
des versaillais fit vin%t mille morts e8$cut$s sans 'u%ements U trente mille selon l''istoire de la
Commune de Lissa%aray" )i le san% fut vers$ par les communards, ce fut dans l'en%rena%e de la
%uerre civile d$clench$e par Chiers et les siens" Ce qui donne raison A Camus luttant de toutes ses
forces contre tout ce qui s$pare et d$chire A mort les habitants d'une m>me communaut$ U y
compris, et surtout, en Al%$rie"
Camus fait tr@s tXt l'$lo%e de la Commune" Y vin%t5si8 ans, pour Aler répu&licain dans
lequel il tient la rubrique d'un ; Cabinet de lecture ?, il rend compte du livre d'Albert Ollivier, La
Commune" *ien sSr, il ne peut ima%iner que cet auteur $crira plus tard A ses cXt$s des $ditoriau8 A
Com&at D 1our l'heure, il est lecteur A la +7F et secr$taire de Iaston Iallimard" Camus
chronique le livre sous le titre La Pensée enaée, dans une chronique parta%$e avec le Scandale
de la +érité de *ernanos et les 2ou+eau* Cahiers des $ditions de la rue )$bastien5*ottin"
Le Compte rendu paru le 4 'uillet !-:- souli%ne que, pendant la Commune, le pouvoir a
$t$ pris par des %ens impr$par$s & pas question de r$volutionnaires professionnels, d'activistes
politis$s, de doctrinaires bard$s de certitudes intellectuelles, le petit peuple prend en char%e son
destin avec seulement une envie de 'ustice et de libert$, de di%nit$ et de fraternit$" La question de
la Commune est bien celle de l'articulation entre une pens$e de la r$volution et une pratique de
l'insurrection, un corpus id$olo%ique et une action concr@te" #ans ces quelques semaines
lumineuses, puis san%lantes, il y eut des doctrinaires inactifs 6on son%e au8 mar8istes9 et des
actifs sans doctrine 61roudhon reposant sous terre, les proudhoniens avanVaient sans cap franc9"
Le san% a coul$ parce que la r$volution n'$tait pas pr$par$e" Or la pr$paration d'une
r$volution s'effectue avec calme et patience, dans un amont discret et silencieu8, loin des feu8 de
la rampe" Le r$volutionnaire manifestera donc de l'humilit$" Cette r$fle8ion n'est pas
intempestive & elle paraWt alors que les hostilit$s %rondent en ,urope" #eu8 mois apr@s son article
sur la Commune, le : septembre, la Irande5*reta%ne et la France d$clarent la %uerre A
l'Allema%ne, Camus n'est plus au parti communiste, mais il aspire tou'ours A un nouvel ordre
social A %auche" La Commune indique des directions possibles pour une %auche de combat non
mar8iste et libertaire" Camus conclut son te8te sur la r$pression & ; C'est ainsi que la premi@re
e8p$rience de f$d$ralisme vrai a $t$ aussi sa derni@re et que cette id$e f$conde qui eSt pu >tre
celle de l'avenir s'est dess$ch$e sous les caillots de san% ? 6((" /409"
1lus tard, dans un article de Com&at dat$ du : avril !-43, Camus chronique l'attribution
de la croi8 de la Lib$ration A la Eille de 1aris" (l y eut un d$fil$ militaire et le %$n$ral de Iaulle a
prononc$ un discours A l'LXtel de Eille" Cette f>te est celle d'un peuple lib$r$, d'une ville qui a
recouvr$ la libert$, d'une promesse de politique nouvelle, celle de la rencontre d'une +ation, de
son arm$e et de son peuple, celle d'une cit$ ayant fourni les soldats du front et les rebelles de
l'insurrection, celle de ; la con'onction de l'esprit national et de l'esprit r$volutionnaire qui $tait,
et qui reste notre plus %rande, notre seule esp$rance, et c'$tait elle qu'il fallait relever ? 6((" 009 &
Camus salue ici la +ation des )oldats de l'An ((, de Ealmy, de la 7$volution franVaise du peuple
et non de ses $lites, l'arm$e de LaOare Carnot, la nation qui est l'autre nom du peuple, celle de la
cocarde, celle du temps oN l'on i%norait encore le nationalisme"
Le %$n$ral de Iaulle a donc donn$ un discours, mais ce ne fut pas celui de la nation U
'uste celui d'une faction, d'un fra%ment de la nation & sainte Ienevi@ve et <eanne d'Arc, Lenri (E
et le cler%$, la noblesse et le tiers $tat" Mais le 7$sistant du !/ 'uin !-4 a oubli$ une autre partie
de la France & celle de !/:, de !/4/ et de la Commune 6((" 009, cette France des barricades
pour la libert$ qui fut prop$deutique A celles de la lib$ration de 1aris" La %randeur du peuple
r$side dans son %$nie col$rique, dans sa capacit$ d'indi%nation, dans sa force de nouveaut$, dans
sa vertu r$volutionnaire" Puatre ann$es de r$sistance franVaise auraient dS convaincre le premier
des 7$sistants A penser la France comme la nation de +otre5#ame de 1aris et du mur des
F$d$r$s, celle des fl@ches des cath$drales %othiques et du pav$ de 1aris" La Commune reste un
point de rep@re camusien, un mod@le de r$volution non mar8iste"
Camus r$di%e un troisi@me $lo%e de la Commune" La premi@re fois le 4 'uillet dans Aler
répu&licain, la deu8i@me le : avril !-43 dans Com&at, la troisi@me le !/ octobre !-3!, date de la
parution de L''omme ré+olté" Le philosophe propose une e8plication des causes pour lesquelles
la tradition du socialisme libertaire franVais a disparu sous celle du socialisme autoritaire
%ermanique, pourquoi Fernand 1elloutier plie sous le 'ou% de Rarl Mar8, ou pour quelles raisons
le communisme stalinien emporte les suffra%es dans une $poque oN le nom de 1roudhon n'est
'amais cit$"
Outre les intri%ues violentes et pernicieuses de Mar8 et des mar8istes qui ont lTch$ les
chiens contre *aKounine et les proudhoniens lors de la 1remi@re (nternationale, il pr$cise & ; La
capacit$ r$volutionnaire des masses ouvri@res a $t$ frein$e par la d$capitation de la r$volution
libertaire, pendant et apr@s la Commune ? 6(((" 2409" Camus d'a'outer & ; Cette $puration
automatique de la r$volution s'est poursuivie, par les soins des Ftats policiers, 'usqu'A nos 'ours ?
6i&id?9" Les versaillais ont en effet massacr$, e8$cut$, emprisonn$, condamn$ au8 travau8 forc$s,
d$port$ les communards, dans des Za%ons A bestiau8, puis par bateau8, ils en ont e8il$ presque
cinq mille en +ouvelle5Cal$donie" On ima%ine que les trente mille morts, les cinq mille d$port$s,
la condamnation A mort de presque une centaine d'entre eu8, ont vid$ de son san% le corps
r$volutionnaire du peuple de 1aris qui voulait, sans la violence, instaurer un ordre social plus
'uste"
,n !/., dans un te8te pour l'Association internationale des travailleurs, Mar8
recommandait au peuple de 1aris de ne surtout pas s'insur%er apr@s la d$faite franVaise face au8
1russiens" (l invitait A ne pas renverser le %ouvernement et A travailler dans la r$publique afin de
se renforcer et de pr$parer la 7$volution 6mar8iste9 A venir" 1lus tard, le 22 f$vrier !///, l'auteur
de La 4uerre ci+ile en $rance $crit A +ieuZenhuis que la Commune ne fut pas socialiste D (l
a'oute ce qu'elle aurait dS faire A l'$poque & ; Avec une petite dose de bon sens, elle aurait pu
pourtant obtenir de Eersailles un compromis avanta%eu8 pour toute la masse du peuple & c'est tout
ce que l'on pouvait alors atteindre ?" Autrement dit & n$%ocier avec Chiers"
Mar8 ne voyait de r$volution que par lui et les siens, en rapport avec sa seule doctrine"
(nsoucieu8 du peuple et des travailleurs, m$prisant A l'endroit des d$port$s politiques ou de la
m$moire des combattants morts sur les barricades communardes, abattus par le plomb de Chiers,
plutXt du cXt$ des versaillais que des communards pour des raisons de strat$%ies et de tactiques
opportunistes 6l'heure de la r$volution mar8iste n'$tant pas arriv$e, l'heure d'aucune r$volution ne
devait >tre arriv$e9, allant m>me 'usqu'A nier que la Commune fut socialiste parce qu'elle fut
beaucoup proudhonienne et surtout pas mar8iste, il en profita pour d$cr$ter qu'avec l'appareilla%e
pr$tendument scientifique de son socialisme, les choses ne se seraient pas pass$es ainsi" La
France de Camus et de )artre est tou'ours celle de 1roudhon et de Mar8, de la Commune de 1aris
et de !-!., du drapeau noir et du drapeau rou%e, du peuple et des $lites r$volutionnaires, de
l'atelier et de la dictature du prol$tariat, de l'auto%estion et de l'Ftat 'acobin U autrement dit & de la
libert$ socialiste et des camps bolcheviques"
Le malentendu d'un Camus social5d$mocrate
<'ai plusieurs fois fait savoir dans ce livre que la question politique cheO Camus avait $t$
peu trait$e, et, quand elle l'avait $t$, mal trait$e" Puelques brochures anarchistes militantes font
de Camus un compa%non de route des libertaires, mais l'ar%umentation reste en surface & il a
connu 7irette MaWtre'ean qui $tait anarchiste, elle lui a pr$sent$ des militants de la cause J il a
publi$ dans un certain nombre de revues anarchistes J ici ou lA, dans l'Buvre, il dit du bien de
*aKounine, m>me si le %ardien du temple Iaston Leval a corri%$ sa copie, il a finalement fait
amende honorable A l'endroit du r$dacteur en chef du Li&ertaire, ce qui compte pour adh$sion
virtuelle J il a soutenu sans coup f$rir la C+C, le syndicat anarchiste espa%nol, et il a manifest$
publiquement des diOaines de fois sa solidarit$ avec les r$publicains espa%nols J il aurait m>me
$t$ anarchiste parce que amateur de football, nous dit s$rieusement un libertaire qui, dans une
intervention au8 'ourn$es de l'association ; 7encontres m$diterran$ennes Albert Camus ?
publi$es dans Le #on de la li&erté S les relations d'Al&ert Camus a+ec les li&ertaires, parle du
; football comme outil d'$ducation populaire au8 pratiques libertaires ? 6..9 D
#'autres, et parmi les camusiens les plus honorables 6Lerbert 7" Lottman et Olivier Codd
dans leurs bio%raphies respectives, <eanyves Iu$rin dans son Camus? Portrait de l'artiste en
citoyen et dans la direction du monumental #ictionnaire Al&ert Camus9, souli%nent, bien sSr, sa
fibre libertaire, mais pour en faire dans le fond un social5d$mocrate r$aliste" Ea pour le r$alisme J
mais pas pour le social5d$mocrate" 7$aliste, il l'est en effet et sait que les $lections au suffra%e
universel ne suffisent pas pour r$aliser la r$volution libertaire et non violente A laquelle il aspire"
Le penseur qui affirme dans ses Lettres sur la ré+olte en mai !-32 & ; *aKounine est
vivant en moi ? 6(((" 4!9 et a'oute que les conclusions de son livre sont baKouninistes par leurs
r$f$rences au8 F$d$rations franVaises, 'urassiennes et espa%noles, puis A la 1remi@re
internationale J le Camus qui $crit de *aKounine qu'il est persuad$ que ; sa pens$e peut utilement
f$conder une pens$e libertaire r$nov$e et s'incarner d3s maintenant dans un mouvement dont les
militants de la C+C et du syndicalisme libre, en France et en (talie, attestent en m>me temps la
permanence et la vi%ueur ? 6(((" 4!9 U le d3s maintenant est souli%n$ par lui J le philosophe qui
a'oute dans les te8tes e8pliquant son 'omme ré+olté qu'il pense, avec ce livre, avoir ; contribu$,
mal%r$ ses d$fauts, A rendre plus efficace cette pens$e _libertaire` ? 6(((" 4!!9 J le fils d'une m@re
espa%nole qui parle en !-34 du ; %$nie libertaire espa%nol ? 6(((" -249 nourri de la Commune de
1aris qui nous $tonnera dans les ann$es A venir J l'homme qui, le 23 novembre !-33, dans un
article de L'1*press intitul$ Les #éracinés, souhaite ; l'abolition du salariat ? 6(((" !3!9 J le 1ri8
+obel T%$ de quarante5si8 ans qui va mourir quelques 'ours plus tard et donne A la revue
ar%entine Reconstruir en d$cembre !-3- un te8te 6qui paraWt en mai !-0 dans ce support
anarchiste auquel il avait c$d$ %racieusement les droits d'auteur de 2i +ictimes, ni &ourreau*9
pour un ultime entretien dans lequel il affirme & ; Le pouvoir rend fou celui qui le d$tient ?
6(E" 009, profession de foi on ne peut plus anarchiste J cet Albert Camus5lA ne saurait >tre
qualifi$ de social5d$mocrate"
Alors pourquoi ce malentendu Q 1ar pr$l@vement et e8acerbation dans l'Buvre compl@te
d'une prise de position isol$e de son conte8te et utilis$e par les mar8istes, )artre en t>te, pour
faire de Camus ce social5d$mocrate qu'il n'est pas" Puel est ce te8te Q Gn article publi$ dans
L'1*press A l'occasion d'accords entre les ouvriers de 7enault et leur direction, accords ayant
%$n$r$ des am$liorations obtenues sans %r@ve" Camus se r$'ouit de cette situation, car la %r@ve,
peu de %ens savent combien elle coSte A la classe ouvri@re qui, mis$reuse, se voit priv$e des
salaires perdus pendant les 'ours de lutte" #'aucuns refusent les r$formes sous pr$te8te qu'elles
retarderaient la r$volution" (l veulent tout & la r$volution, ou rien U la plupart du temps, ils n'ont
rien" ,t la condition ouvri@re en attendant Q #ans l'esp$rance du %rand soir, elle continue de
souffrir"
Camus ne veut pas qu'un inaccessible et improbable paradis demain emp>che ou interdise
de v$ritables conditions de vie meilleures ici et maintenant" (l $crit & ; +ous ne devons ni
m$priser les r$formes, au nom d'une soci$t$ encore lointaine, ni, A l'occasion des r$formes,
oublier le but dernier qui est la r$int$%ration de la classe ouvri@re dans tous ses droits par
l'abolition du salariat" CXt ou tard, la r$sistance des privil@%es devra c$der devant l'int$r>t %$n$ral"
Mais ce sera plus tXt que plus tard si nous envisa%eons d@s maintenant que les syndicats doivent
participer A la %estion du revenu national ? 6(((" !3!9" Or Camus ne veut pas que, dans l'attente
de l'abolition du salariat A laquelle il aspire, rien ne soit tent$ ou fait, et que les r$formes soient
refus$es sous pr$te8te qu'elles a'ournent la r$volution"
Le r$formisme n'est donc pas l'id$al de Camus qui reste r$volutionnaire, mais l'occasion
d'un %ain pra%matique ici et maintenant, un %ain que m$prisent les intellectuels tout A leur
id$olo%ie r$volutionnariste, mais auquel ne rechi%nent pas les familles ouvri@res pour lesquelles
une au%mentation du pouvoir d'achat, une am$lioration des conditions de vie, un abaissement du
temps de travail hebdomadaire, un d$part plus tXt A la retraite, une s$curit$ sociale plus efficace,
une $ducation %ratuite pour leurs enfants ou rien, cela ne si%nifie pas la m>me chose" #ans cet
article Camus souhaite que 1elloutier ne disparaisse pas sous Mar8 afin que le syndicalisme
devienne le bras arm$ d'une r$volution concr@te"
C'est dans le m>me esprit que, dans une Con9érence 9aite en Anleterre en !-3!, il fit
l'$lo%e du r$formisme" Mais il faut >tre de mauvaise foi pour $vacuer les circonstances de cette
allocution, le conte8te et le pr$ambule donn$ par Camus lui5m>me A cet $lo%e du travaillisme
an%lais, ou du socialisme scandinave, qu'il d$fend dans la perspective d'une ,urope socialiste
susceptible de faire avancer son pro'et d'une ,urope f$d$rale libertaire" Eoici ce liminaire
anarcho5syndicaliste & ; Avant toute chose, 'e trouverais malhonn>te de cacher mes pr$f$rences"
*ien que 'e ne sois pas r$ellement socialiste, ma forme de sympathie allant au8 formes libertaires
du syndicalisme, ''ai souhait$ que les travaillistes fussent vainqueur de ces $lections ? 6(((" !!9"
Les choses sont claires & Camus n'$tant point doctrinaire, il a pour ob'ectif l'abolition du salariat
et ne r$cuse aucune des voies qui conduisent au pro%r@s vers cette fin, ici le syndicalisme, lA le
militantisme, ailleurs le r$formisme" 1ra%matique, il a le souci de l'am$lioration de la condition
ouvri@re J en revanche, les id$olo%ues du %enre )artre n'ont cure des prol$taires et se soucient
uniquement de la puret$ id$ale de leur doctrine et des 'eu8 rh$toriques et sophistiques qu'elle
autorise"
Puel $tait le conte8te de cette d$fense du travaillisme an%lais et du socialisme
scandinave Q Camus pense que la mis@re, la pauvret$, l'e8ploitation, le chXma%e constituent
autant de causes qui conduisent les travailleurs vers le communisme" )i l'on veut lutter contre lui,
puisque sa formule europ$enne mar8iste5l$niniste passe par le %oula%, il faut tarir la source des
m$contentements" Ce communisme europ$en concret e8ploite et trompe la classe ouvri@re, il
parle en son nom, mais remplit les prisons, d$porte, e8$cute" On ne peut d$fendre ce socialisme
des barbel$s alors qu'un socialisme libertaire est possible"
Lorsque Camus vante les m$rites du travaillisme an%lais et du socialisme scandinave, Va
n'est pas comme une fin en soi, on s'en doute" L'homme qui, A cette $poque, aspire A l'abolition du
salariat, ne peut ima%iner que la social5d$mocratie suffirait A r$aliser son pro'et" (l constate que
ces deu8 r$%imes sont parvenus A ; r$aliser, un peu A tTtons, un minimum de 'ustice dans un
ma8imum de libert$ politique ? 6(((" !-.9" Pui pourrait penser, en toute bonne foi, que Camus
puisse se contenter d'un minimum de justice et d'une m$thodolo%ie de l'( tItons, lui qui affirme
porter *aKounine en lui et le lire pour r$activer et actualiser un socialisme libertaire pour nos
temps de servitude Q
Camus propose de %a%ner la %uerre froide, autrement dit de ne pas faire triompher le
capitalisme am$ricain ou le bolchevisme sovi$tique, mais un socialisme libertaire pra%matique
qui passe par une realpolitiK concr@te de soutien A la social5d$mocratie europ$enne comme
instrument capable de d$sarmer les troupes bolcheviques en les privant de la n$%ativit$ dont elles
se nourrissent" Ce combat est motiv$ par un souci tr@s terre A terre & il faut $viter la Croisi@me
Iuerre mondiale qui menace, un conflit dans lequel l'arme atomique 'ouerait un rXle d$vastateur"
Abstention, pi@%e A cons
Ce m>me souci de pai8, de pra%matisme, cette semblable envie de con'urer et con%$dier
la violence, l'id$olo%ie, les totalitarismes nationalistes, mar8istes ou tiers5mondistes, le feront
voter pour Mend@s France et soutenir les candidats du front r$publicain lors des l$%islatives du
2 'anvier !-30 U autrement dit toutes les %auches, moins le 1arti communiste franVais, la courroie
de transmission de l'id$olo%ie sovi$tique en France" ,st5ce suffisant pour faire de Camus un
mend$siste Q )Srement pas" (l publie dans L'1*press un article intitul$ ; ,8plication de vote ?
dans lequel il donne ses raisons de voter 1MF"
Camus avoue d'abord sa m$fiance pour le traditionnel 'eu $lectoral d$mocratique mais
repousse cette m$fiance instinctive au nom d'un r$alisme responsable & il vote" Lisons & ; Eoici
d'abord pourquoi 'e ne m'abstiendrai pas" On peut estimer, et c'est le cas des vrais libertaires par
e8emple, que cette soci$t$ est inacceptable dans son entier et qu'il faut se %arder de toute
complicit$ avec elle, tTchant seulement de d$velopper, par l'a%itation, le sens social de chaque
individu" (l me semble m>me que 'e pourrais d$fendre ce point de vue avec de bons ar%uments"
Le fait est cependant que ces ar%uments n'ont pas emport$ ma conviction ? 6(((" !0-9" Gne fois
de plus, Camus se m$fie de la puret$ intellectuelle consubstantielle A l'id$olo%ie et se moque du
r$el au profit des seules id$es"
Certes, pour parodier 1$%uy parlant de Rant et des Kantiens, le +rai li&ertaire a les mains
propres, mais il n'a pas de mains" CheO le libertaire embl$matique, le cat$chum@ne anarchiste,
l'id$al est beau, certes, les principes e8cellents, bien sSr, la ri%ueur parfaite, $videmment, la
puret$ au rendeO5vous, incontestablement, mais le r$el qu'ils critiquent sans s'y colleter
concr@tement demeure intact" Avec leur abstentionnisme, la n$%ativit$ continue, et ils en font un
spectacle, ce sont des esth@tes de la politique, tout A leur monde d'id$es, souhaitant presque que
rien ne chan%e afin de pouvoir continuer de sacrifier au8 do%mes de leur reli%ion et de parler dans
le vide sid$ral qu'ils nourrissent"
+e pas voter, c'est voter pour le statu quo J ne pas vouloir chan%er, c'est vouloir
l'immobilit$ J ne pas $lire un homme, c'est laisser en $lire un autre" Camus n'a pas la reli%ion du
vote, il n'est pas social5d$mocrate, il associe tou'ours sa d$fense de la social5d$mocratie A un
pr$liminaire si%nalant qu'il n'est pas luim>me social5d$mocrate, mais libertaire, et qu'il d$fend
l'anarcho5syndicalisme" 1our lui, voter n'est pas l'horiOon ind$passable de la politique, mais le
moindre mal dans un monde qui va tr@s mal"
#ans cette m>me 1*plication de +ote, il pr$cise une fois de plus les choses & dans la
perspective d'une ,urope f$d$rale, post5nationale, il faut que la nation soit d'abord" +on pas pour
le nationalisme, mais pour pr$parer le d$passement des nations" Lisons & ; +aturellement, on peut
estimer qu'il est sans int$r>t que la France en tant que nation survive ou non" Ce n'est pas mon
avis" Mais m>me ceu8 qui d$sirent que le cadre national soit d$pass$, et 'e suis de ceu85lA, ne
doivent pas i%norer qu'on ne peut se d$passer sans >tre" (l n'y aura ni ,urope, ni F$d$ration
franVaise, sans une France consciente de ce qu'elle est" L'unit$ est d'abord une harmonie de
diff$rences ? 6(((" !0-5!.9" )i l'on accepte de sortir des perspectives id$ales pour $viter
concr@tement les catastrophes, on ne peut voter pour la droite complice du capital, ni pour la
%auche complice des %oula%s, reste alors, ponctuellement, dans le cadre de cette consultation
$lectorale, le soutien par un vote d'un ; travaillisme franVais ? 6(((" !.!9 U ce qui n'emp>che pas,
idéalement, de continuer le combat libertaire"
1endant les $lections, le combat continue
Albert Camus r$di%e donc cet $lo%e pra%matique et concret du travaillisme A la franVaise
en d$cembre !-33" Y cette $poque, il si%ne des articles dans La Ré+olution prolétarienne U ce qui
t$moi%ne concr@tement que son id$al libertaire sait compter et composer avec la r$alit$ $lectorale
ind$pendamment de tout double 'eu" Puand il meurt en !-0, cette revue publie une notice
n$crolo%ique et pr$cise combien Camus $tait des leurs & ; L'artiste, le penseur, le moraliste Albert
Camus, quand il prenait sa place dans l'action, c'$tait vers le syndicalisme r$volutionnaire qu'il se
tournait" )a raison et son cBur l'y conduisaient ?" L'auteur de l'article rapporte une anecdote &
apr@s avoir obtenu le pri8 +obel qui, en plus de la haine, lui valait des invitations plan$taires,
Camus avait accept$ celle du Cercle d'$tudes syndicales des correcteurs A la *ourse du travail"
#evant un public d'environ deu8 cents personnes, il improvise ses r$ponses" L'un des participants
lui demande une li%ne directrice pour l'action" (l r$pond & ; <e refuse $ner%iquement d'>tre
consid$r$ comme un %uide de la classe ouvri@re" C'est un honneur que 'e d$cline" <e suis tou'ours
dans l'incertitude et ''ai constamment besoin d'>tre $clair$" (l est trop facile vraiment de d$cider
d'un cabinet de travail ce que doit faire le salari$ ? 6La Ré+olution prolétarienne, nr 44.,
f$vrier !-0, ; Albert Camus et nous ?, 7" Iuillor$9" Y la fin de cet article, l'auteur si%nale en
note & ; Camus a tou'ours compt$ parmi les abonn$s de soutien de La Ré+olution prolétarienne? ?
)ocial5d$mocrate le compa%non de route des anarchistes de cette revue qui le reconnaissent
comme l'un des leurs Q
#ans ses Lettres sur la ré+olte, en !-32, Camus r$pond A la critique d'avoir donn$ bonne
conscience A l'humanisme bour%eois avec L''omme ré+olté U une all$%ation de 1auZels et de
)artre r$unis dans une m>me communaut$ de vue" (l r$pond qu'il a critiqu$ la morale bour%eoise
dans ce livre et que, ni la droite du $iaro, ni la %auche de L''umanité, n'ont voulu le voir, mais
qu'il a l'habitude des dissimulations, des travestissements et des menson%es de la corporation
'ournalistique" 1uis il a'oute & ; C'est mentir aussi que de passer sous silence, comme tout le
monde d'ailleurs, ma r$f$rence e8plicite au syndicalisme libre" Car il e8iste heureusement une
autre tradition r$volutionnaire que celle de mon e8aminateur" C'est elle qui a inspir$ mon essai et
elle n'est pas encore morte puisqu'elle lutte tou'ours, pour ne donner qu'un e8emple, dans les
colonnes d'une revue qui s'appelle & La Ré+olution prolétarienne" *ien des %ens dont vous aveO
parl$, et dont 'e comprends qu'ils se sentent seuls A la lecture de la presse parisienne,
reprendraient un peu de confiance s'ils la connaissaient cette coura%euse revue ouvri@re ?
6(((" :--9"
Pu'$tait cette revue U qui e8iste tou'ours Q ; Gne revue syndicaliste r$volutionnaire ? dont
voici le pro%ramme & ; L'$mancipation des travailleurs ne sera l'Buvre que des travailleurs eu85
m>mes ?, qui ne r$f@re A une formule de la 1remi@re (nternationale" ,lle publie des enqu>tes sur
)imone 2eil, l'G7)), les pays de l',st, la r$volution et le prol$tariat" Franchement libertaire, elle
fait l'$lo%e de l'anarcho5syndicalisme" ,n aoSt !-::, tr@s tXt donc, elle $tablit un parall@le entre
l'Ftat stalinien et l'Ftat fasciste" Camus si%ne une diOaine de contributions dans cette revue pour y
d$fendre les combats de l',spa%ne r$publicaine, la libert$ en %$n$ral et celle de la presse en
particulier, il y critique la r$pression ouvri@re en Lon%rie en !-30 ou le san% vers$ en Al%$rie en
!-3." 1reuve qu'il pouvait voter factuellement Mend@s France pour $viter le pire et travailler au
meilleur en d$fendant la cause libertaire et la technique anarcho5syndicaliste"
C$l$bration de l'anarcho5syndicalisme
Le torrent de boue critique ayant recouvert en son temps L''omme ré+olté, on a peu dit
quelle positivit$ portait ; La pens$e de midi ?" ,t comme on l'a peu dit dans les ann$es !-3, on
le dit encore moins ensuite, donc on le sait peu au'ourd'hui" La pens$e de midi renvoie clairement
au +ietOsche d'Ainsi parlait Jarathoustra et plus particuli@rement au chant intitul$ #e la
rapetissante +ertu qui invite ; au %rand Midi ?" Pu'est5ce que l'heure de midi Q Le moment du
O$nith, l'instant sans ombre, celui de la plus %rande lumi@re dans sa plus %rande intensit$" C'est
$%alement l'heure qui dit minuit, son inverse, et ensei%ne l'$ternel retour du M>me, donc la fi%ure
de [arathoustra"
Camus rapproche la pens$e de midi et l'anarcho5syndicalisme" Le syndicalisme
r$volutionnaire s'oppose en tout au socialisme c$sarien & d'un c-té de la barricade, un souci
concret et pra%matique du r$el, une tradition latine et franVaise, une prodi%ieuse am$lioration de
la condition ouvri@re, une auto%estion partant de la base pour y revenir, un %oSt pour la vie J de
l'autre, une reli%ion doctrinaire, id$aliste et conceptuelle, un li%na%e %ermanique et slave, des
formes nouvelles d'asservissement du peuple, un pouvoir pyramidal, centralis$, d$cidant du
sommet vers le prol$tariat, une passion pour la mort" #ans l'esprit du petit %arVon de *elcourt
devenu %rand & un socialisme libertaire et nietOsch$en de Cipasa ou bien un socialisme autoritaire
et h$%$lien europ$en"
Cette opposition architecture deu8 visions du monde" C-té royaume méditerranéen & les
anarchistes franVais, italiens et espa%nols J les forces lumineuses de la vie J les myst@res pa]ens de
la nature J la bonne mesure de la commune J le souci de la soci$t$ concr@te J l'e8ercice de la
libert$ r$fl$chie J ; l'individualisme altruiste ? 6(((" :!.9 J l'e8p$rience de la rue J le %oSt et le
plaisir du 'our J l'homme de chair d'au'ourd'hui" C-té e*il européen & les nihilistes et les
bolcheviques russes J les terroristes slaves J la lumi@re noire de la mort J les %randes villes
d$sesp$rantes J les do%mes du monoth$isme 'ud$o5chr$tien J la monstruosit$ de l'Ftat J la soci$t$
id$ale for%$e A coups de concepts h$%$liens J la libert$ abstraite et de papier J l'$%o]sme nihiliste J
la reli%ion des fictions c$r$brales J l'homme id$alis$ de demain"
Autrement dit & Cipasa contre *erlin, 1lotin contre )ade, 1roudhon contre Mar8,
1elloutier contre L$nine, la Commune de 1aris contre le Ioula% de )ib$rie, !/.! contre !-!.,
<ean Earlet contre )aint5<ust, les sans5culottes contre 7obespierre" Ou, en d'autres termes & la
clart$ stylistique de L''omme ré+olté qui propose une %$n$alo%ie du totalitarisme contemporain
et s'y oppose, contre la n$buleuse Critique de la raison dialectique r$di%$e avec des doses
massives d'amph$tamines qui l$%itime le totalitarisme, pourvu qu'il soit de %auche, et 'ustifie la
; violence d'e8termination ? 64349 comme fraternit$ D
,n traversant la M$diterran$e, en quittant Al%er pour 1aris, Camus modifie sa pens$e" Ce
qui, du cXt$ africain, $tait %$nie m$diterran$en devient, une fois pass$ le port de Marseille, %$nie
libertaire" Gne correction de manuscrit en t$moi%ne" 1rintemps !-34, il publie dans %émoins 6une
autre revue anarchiste suisse dans laquelle, A cette $poque, il fi%ure au comit$ de r$daction, il en
devient le correspondant l'ann$e suivante9 un te8te qui rassemble deu8 interventions & la premi@re
a $t$ donn$e en !-3!, sous les auspices de la Maison de la Catalo%ne qui c$l$brait le triste
anniversaire du coup d'Ftat de Franco J la seconde a $t$ prononc$e le : 'uin !-3: A la Mutualit$
pour protester contre la r$pression des ouvriers de *erlin5,st par la police mar8iste5l$niniste" Gn
premier te8te avait $t$ publi$ dans Solidaridad o&rera, le support de la C+C, le syndicat
anarchiste espa%nol, avec pour titre Pour l'1urope et pour nous, sou+ent sans le sa+oir, +ous a+e5
été et +ous /tes des maHtres de li&erté U une citation de Camus" Puand il corri%e ce te8te pour une
parution dans %émoins, il arran%e deu8 ou trois choses" #ans la version !-3!, le te8te parle de
; %$nie m$diterran$en ? J la version !-3: remplace cette formule par ; %$nie libertaire ?
6(((" !42.9" )ocial5d$mocrate, Albert Camus Q
! Lettre e8traite de Albert Camus et 7en$ Char, Correspondance, AMNU8AMLM, $dition
$tablie, pr$sent$e et annot$e par FrancK 1aneille, Iallimard, 2."

4
La %uerre civile d'un Africain
Pu'est5ce qu'une $thique de responsabilit$ Q
; Ftant africain du +ord, et non pas europ$en""" ?
6Camus, (((" !05!.9

*erlin contamine Cipasa
Comment un homme qui, tr@s tXt, a d$nonc$ s$v@rement la mis@re du peuple Kabyle alors
que les intellectuels europ$ens i%noraient m>me pour la plupart qu'il y eSt une Rabylie, comment
un philosophe radicalement oppos$ A toute forme de peine de mort, comment un 'ournaliste
al%$rien soucieu8 de d$monter l'iniquit$ du syst@me colonial depuis qu'il si%ne des articles dans la
presse, comment un socialiste libertaire anticolonialiste, comment un nietOsch$en de %auche
amoureu8 fou de l'Al%$rie, comment un philosophe artiste ayant fait de Cipasa un concept
po$tique et politique, comment un anarcho5syndicaliste e8tr>mement m$fiant A l'endroit des
id$olo%ies, comment un fils de pauvre $lev$ dans le quartier mis$reu8 de *elcourt A Al%er,
comment un r$sistant qui sort de la %uerre radicalement convaincu de la n$cessit$ de penser
d$sormais la politique de faVon postnationale et internationaliste, comment un boursier de l'$cole
r$publicaine du coll@%e de la rue Aumerat devenu pri8 +obel de litt$rature, comment un r$volt$
se disant habit$ par *aKounine, comment Albert Camus, donc, a5t5il pens$ et v$cu cette %uerre
civile d$sormais baptis$e ; %uerre d'Al%$rie ? Q
)ouvenons5nous & dans ses 'eunes ann$es, Camus souhaitait, que l'Al%$rie et le bassin
m$diterran$en 'ouent un rXle civilisateur dans l',urope devenue nihiliste" C'$tait l'$poque du
Ch$Ttre de l'Buvre, puis du Ch$Ttre du travail, le temps de la Maison de la culture et de
l'Gniversit$ populaire, celle de la conf$rence intitul$e La Culture indi3ne? La 2ou+elle Culture
méditerranéenne et des en%a%ements dans le 1arti communiste al%$rien d'avant %uerre, autrement
dit du 1C de l'anticolonialisme internationaliste" Le na%eur des pla%es brSlantes de Cipasa
souhaitait que les lumi@res pa]ennes de la M$diterran$e $clairent l',urope des p$rils et des
totalitarismes, de la %uerre et des camps" C'$taient les ann$es oN il pr$conisait 1lotin l'F%yptien et
Au%ustin le *erb@re comme antidotes A Le%el le 1russien et Mar8 le *erlinois" Puel Al%$rien a
mieu8 aim$ l'Al%$rie que lui Q
7appelons5nous $%alement & A la lib$ration de 1aris, lui qui, par deu8 fois, voulut
s'en%a%er dans les troupes franVaises pour lutter contre l'occupation nationale5socialiste et fut
refus$ pour raisons de sant$, lui qui e8cella en r$sistant impeccable n'ayant 'amais e8hib$ ses
$tats de service, lui qui crut A l'$puration par id$al moral avant de comprendre que la m$chancet$
des hommes interdisait qu'on envisa%e plus lon%uement ce l$%itime e8ercice manqu$, in'uste, ce
Camus5lA, donc, invite apr@s %uerre A une r$volution sociale dans l'esprit de la 7$sistance avec
pour ob'ectif de mettre fin A la mis@re capitaliste" 1our ce faire, il confirme les hypoth@ses de ses
Lettres ( un ami allemand & finissons5en avec les nations et les nationalismes" (l veut des Ftats5
unis d',urope, puis des Ftats5unis du monde & il aspire A la fin des nationalismes"
Comment pourrait5il d@s lors se r$'ouir de voir l'Al%$rie A laquelle il a confi$ une mission
civilisatrice 6A l'Al%$rie, pr$cisons5le, et non A la m$tropole9 emprunter le chemin d'une nation
suppl$mentaire, d'un nationalisme nouveau Q Camus n'aime ni les drapeau8 ni les hymnes, ni les
fronti@res ni les Ftats, ni les arm$es ni les violences politiques U et ce pays ne souhaite pas donner
l'e8emple m$diterran$en de la mesure solaire A la France continentale, A l',urope 'ud$o5
chr$tienne et au reste du monde, puisqu'il aspire A ce qui entretient le nihilisme & un nouveau
drapeau, un nouvel hymne, une nouvelle fronti@re, un nouvel Ftat, une nouvelle arm$e, de
nouvelles m$dailles, une nouvelle police, de nouvelles violences politiques" ,n !-:., Cipasa
devait terrasser *erlin J en !-34, *erlin a contamin$ Cipasa"
)alir pour ne pas lire
)ur cette question, comme sur toutes les autres, Camus a pens$ le r$el et non les id$es" (l a
tourn$ le dos A l'id$olo%ie parce qu'il connaissait concr@tement l'Al%$rie et les probl@mes du
m$canisme colonial" Le 'ournaliste d'Aler répu&licain et du Soir répu&licain n'a cess$ de mettre
A 'our les roua%es du syst@me inique que les ; Arabes ?, comme il dit dans un mot neutre pour
lui, subissaient au quotidien" )a pens$e sur la question al%$rienne s'est trouv$e une fois encore
noy$e dans les commentaires factuels" 1our e8traire la li%ne de force anticolonialiste et libertaire,
il faut lire l'ensemble de son Buvre afin de constater combien elle demeure tendue, coh$rente,
'uste"
)ur la question al%$rienne
!
, la paresse franVaise et la malveillance parisienne ont vite fait
de transformer Camus en petit *lanc penseur de son milieu" Mais de quel milieu Q L'orphelin de
p@re mort A la %uerre Q Le pupille de la nation Q Le fils d'une m@re femme de m$na%e illettr$e Q
Le boursier de l'Fducation nationale Q Le 'eune homme de treiOe ans dont les vacances sont
consacr$es A travailler pour rapporter de l'ar%ent A la maison Q L'adolescent tuberculeu8 envoy$
en pension cheO son oncle boucher car, dans cette maison, il pourra man%er de la viande Q Le
'eune homme qui d$couvre le monde dans la biblioth@que municipale de pr>t parce que chaque
sou est compt$ au foyer et qu'acheter un livre s'av@re une d$pense inenvisa%eable Q EoilA le petit
*lanc A l'esprit colonial dont les donneurs de leVons parisiens nous entretiennent Q
)alir permet de ne pas lire" #e <ean51aul )artre A Albert Memmi 6qui obtint une pr$face
de Camus pour La Statue de sel en !-3:, avant d'en r$cup$rer une de )artre pour son Portrait du
colonisé en !-3.9 en passant par *eauvoir et l'$quipe des %emps modernes, ou bien 7aymond
Aron 6qui, dans L'Alérie et la répu&lique, parle en pensant A lui de ; l'attitude de colonisateur de
bonne volont$ ?9 ou, plus tard, ,dZard )a]d 6Camus, c'est ; le colon $crivant pour un public
franVais ?, $crit5il dans Al&ert Camus, ou l'inconscient colonial9, et quelques autres plumitifs
moins connus du %enre *rochier 6pour Camus, ; les Arabes ne sont acceptables que dans la
mesure oN ils sont stupides et e8ploitables ?, $crit5il dans Camus, philosophe pour classes
terminales9, Camus d$fendrait le colonialisme dont il se contenterait de proposer l'am$na%ement D
(l aurait $t$ le philosophe des 1ieds5noirs, le penseur des colons, la caution intellectuelle des
FranVais d'Al%$rie D 1uis, en %lissant d'infamie en infamie, l'id$olo%ue de l'OA) U cr$$e apr@s sa
mort D
La %uerre froide dispose d'une m$thode & la criminalisation de l'adversaire, le refus de
prendre en consid$ration ce qu'il $crit ou dit r$ellement, l'insinuation malveillante, le proc@s
d'intention, la condamnation avant l'e8amen du dossier, le recours A l'insulte, la d$formation des
th@ses, la lecture binaire du monde oN le bien et le mal se s$parent comme deu8 moiti$s d'oran%e,
l'attaque ad hominem" Cette m$thode fut celle de )artre U elle reste celle de ses thurif$raires,
souvent a%uerris au 1CF des ann$es !-3, un parti sovi$tophile dont ils furent les idiots utiles
pendant des ann$es"
)i d'aventure ces belles Tmes avaient lu Actuelles 666? Chroniques alériennes @AMPM8
AMLTB, elles auraient pu d$battre, ar%umenter, confronter les points de vue, $chan%er, m>me
vivement, mais la m$thode de la %uerre froide prend des leVons cheO l'affSteur des lames de
%uillotine" Gn %enre de fatalit$ mauvaise accompa%ne les trois s$ries d'Actuelles 'amais
v$ritablement lues & le premier +olume montre un Camus r$volutionnaire A %auche, partisan de
nationalisations en $conomie accompa%n$es par des libert$s r$elles dans la soci$t$, il permet de
d$couvrir un Camus r$sistant, mais sans le mar8isme sovi$tique, un philosophe post5national qui
souhaite en finir avec les fronti@res pour r$aliser les Ftats5unis d',urope, puis les Ftats5unis du
monde, un h$ritier de la Iironde r$volutionnaire d$fendant le parlement international comme
instrument d'une politique libertaire immanente J le deu*i3me +olume d$fend la tradition de
%auche non mar8iste et propose un $lo%e de l'anarcho5syndicalisme, une critique radicale des
totalitarismes de droite et de %auche, une r$habilitation de l'esprit libertaire constitutif d'une
alternative cr$dible et pacifique A la reli%ion de l'histoire messianique mar8iste, une d$fense du
li%na%e anarchiste, des ,nra%$s de la 7$volution franVaise, au8 libertaires de la C+C espa%nole,
en passant par une invitation A lire ou relire 1roudhon et *aKounine J le troisi3me +olume
concerne l'Al%$rie, on y d$couvre un Camus critiquant la politique coloniale de la m$tropole
vin%t ans avant le d$but du conflit, un philosophe refusant toutes les formes de violence et de
terreur dans l'histoire, celle du pouvoir d'Ftat et celle des terroristes nationalistes, un penseur qui
n'est pas pour un camp contre l'autre, mais pour les deu8 belli%$rants vivant en pai8 dans un
m>me pays, un libertaire oppos$ A tout nationalisme, A tout culte de l'Ftat, un $crivain qui persiste
dans l'anarchie positive ch@re au cBur de 1roudhon en proposant des solutions & avant %uerre le
communalisme des douars, apr@s %uerre une France f$d$rale postnationale U et tant d'autres id$es
riches qui m$ritaient autre chose que le m$pris de )aint5Iermain5des51r$s bien d$cid$, avec
l'Al%$rie, A ne pas passer A cXt$ de l'Listoire, comme ce fut le cas pendant l'Occupation, en
sur'ouant l'en%a%ement de papier comme une occasion r>v$e de faire enfin la %uerre qu'ils
n'avaient pas faite, mais en beaucoup moins risqu$, dans les caf$s de )aint5Iermain5des51r$s"
La r$ception d'Actuelles 666? Chroniques alériennes @AMPM8AMLTB fut nulle" Camus venait
de recevoir le pri8 +obel quand parut l'ouvra%e" On ima%ine mal quelle haine s'est ensuivie cheO
les envieu8, les 'alou8, les rat$s, les %ens de ressentiment, une importante corporation A 1aris" La
distinction su$doise, la renomm$e du philosophe et la %ravit$ du su'et al%$rien 'ustifiaient un
traitement intellectuel di%ne de ce nom avec couvertures de presse, pa%es d$bats, articles
substantiels, sollicitations de plumes capables de d$battre sans m$priser" Au lieu de cela, le livre
est oubli$, n$%li%$, sinon trait$ avec l$%@ret$" La presse libertaire n'insulte pas, c'est d$'A
beaucoup" #eu8 ou trois si%natures le d$fendent, dont la %rande Iermaine Cillion, r$sistante d@s
!-4, d$port$e A 7avensbracK, ethnolo%ue anticolonialiste, totalement sur la m>me li%ne
qu'Albert Camus sur la question du terrorisme des militants nationalistes al%$riens" Concernant
cette troisi@me livraison d'Actuelles, la re%rett$e <acqueline L$vi5Ealensi parle d'un ; volume que
l'intelli%entsia et la presse ont superbement i%nor$ ? 6(E" !42!9" Y propos de ce livre, 7obert
Iallimard fit savoir A Claudie et <acques *royelle que ; la distribution fut ici et lA sabot$e par les
syndicats U particuli@rement en Al%$rie ? 6Les 6llusions retrou+ées, !-29"
#es p$pites politiques
1our ce volume, comme pour les deu8 autres, les li%nes de forces th$oriques se trouvent
camoufl$es, dissimul$es dans la broussaille dionysienne des id$es, des th@ses, des e8emples" Le
principe de l'ouvra%e e8clut la composition du livre au profit d'une 'u8taposition d'articles
re%roup$s chronolo%iquement" Ces te8tes parus sur plusieurs ann$es subissent parfois des
infl$chissements avec le temps & l'actualit$ les suscite, mais le d$tail du pr$te8te disparaWt avec le
temps" Le su'et qui faisait sens pour les lecteurs du 'ournal du moment laisse parfois dans
l'e8pectative celui qui les d$couvre des ann$es plus tard dans un livre qui rapporte la lettre
fid@lement, mais sans l'esprit du moment"
On retrouve dans cette troisi@me intempestive camusienne le peu de passion qu'il a pour
sophistiquer ses plans ou la composition de ses ouvra%es & il $crit comme poussent les plantes
tout A leur qu>te de lumi@re" Le reporta%e sur la mis@re en Rabylie cXtoie les articles parus dans
L'1*press, puis un te8te sous forme de lettre envoy$ A un 'ournal al%$rien" Puelques autres
feuillets de circonstance 6pour intervenir en faveur d'un ind$pendantiste emprisonn$9 pr$c@dent
deu8 livraisons au "onde" Gne introduction et une poi%n$e de pa%es en %uise de conclusion
r$v@lent des choses ma'eures, mais en deu8 phrases, trois mots, une belle formule" Les p$pites se
dissimulent dans les taillis qu'il faut aborder A la machette, comme dans une 'un%le"
Ces paillettes d'or qui scintillent sont les id$es libertaires de Camus U comme tou'ours & un
anticolonialisme visc$ral, v$cu, et non c$r$bral ou id$olo%ique J un sens ai%u de la 'ustice que ne
saurait entraver la passion doctrinale, abstraite, th$orique J un d$sir d'; anarchie positive ? moins
clinquante que le th$or$tique normalien, mais soucieu8, lui, d'effets concrets dans la r$alit$ J un
souci de ne 'amais s$parer la pens$e et l'action, l'$thique de conviction et l'$thique de
responsabilit$ U Camus a%it en homme de pens$e, pense en homme d'action, moins attentif au
concept et au8 id$es pures qu'au8 principes A maintenir dans la r$alit$ J une r$fle8ion sur la r$alit$
du monde colonial et non sur l'id$e de ce monde J une s$rie de propositions concr@tes inspir$es
par la tradition libertaire & le communalisme et le f$d$ralisme comme occasions concr@tes
d'$conomiser le pouvoir transcendant de l'Ftat parisien J la passion pour une terre, l'Al%$rie, et sa
connaissance de terrain U autant d'id$es au8 antipodes des clich$s sartriens d'un Camus penseur
pied5noir, d'un philosophe pour petits *lancs, d'un doctrinaire na]f du r$%ime colonial, sinon d'un
su'et Bdipien mal d$%rossi pr$f$rant sa m@re A la 'ustice"
Gn maurrassisme de %auche
)es premiers articles publi$s en t$moi%nent, Camus fut oppos$ au syst@me colonial depuis
le d$but de sa r$fle8ion sur le monde" #@s !-:., quand il aborde la question de l'identit$
al%$rienne, il ne la pense pas en relation avec la m$tropole, mais avec la M$diterran$e" 1as
question pour lui d'en appeler au ridicule ; nos anc>tres les Iaulois ? pour comprendre cette terre
qu'il aime par5dessus tout & l'Al%$rie" #@s cette $poque, il fusti%e le nationalisme en %$n$ral et
celui de Maurras en particulier" Comment aurait5il pu, pendant la %uerre d'Al%$rie, soutenir une
position maurrassienne, comme l'$tait celle du Front de lib$ration nationale Q
Le combat entre la M$diterran$e et l',urope oppose la Eie et l'abstraction, autrement dit
l'Al%$rie et la France, les parfums de l'Orient et les concepts de l'Occident, le %rouillement vivant
et dionysiaque d'Al%er et l'ordre mortif@re et apollinien de 7ome" Puand Camus, T%$ de vin%t5
trois ans, r$fl$chit sur La Culture indi3ne et sous5titre son intervention La 2ou+elle Culture
méditerranéenne, il pense déj( dans le cadre internationaliste, autrement dit postnational J quand
il analyse la ; %uerre d'Al%$rie ?, il la pense comme une %uerre civile en Afrique, et non comme
un mouvement de lib$ration nationale" Les partisans du FL+ et les poseurs de bombes $taient des
nationalistes" Comment Camus, libertaire et anarchiste positif, internationaliste et non violent,
postnational et pacifiste, pourrait5il souscrire au pro%ramme du FL+ qu'un Maurras n'aurait pas
d$savou$ Q Le nationalisme int$%ral J le rXle politique de la reli%ion instrumentalis$e A des fins de
coh$sion sociale identitaire J le refus des valeurs de la 7$volution franVaise U Libert$, F%alit$,
Fraternit$ J le culte de la tradition J le %oSt pour un r$%ime d'ordre et d'autorit$ J la pr$f$rence de
la violence au dialo%ue J l'opposition du pays r$el de la tribu, du local, de la famille, du m$tier, au
pays l$%al des institutions r$publicaines m$tropolitaines J la th$ocratie contre la d$mocratie"
7appelons les attendus de l'; Appel au peuple al%$rien ? $dict$ par le secr$tariat national
du FL+ le !
er
novembre !-34 & il en appelle au pays r$el, fort ; de l'histoire, de la %$o%raphie, de
la lan%ue, de la reli%ion et des mBurs du peuple al%$rien ? qu'incarnent les ; militants de la cause
nationale ? J il revendique pour lui seul la l$%itimit$ contre le pays l$%al r$duit A ; l'imp$rialisme
et ses a%ents administratifs et autres politicailleurs v$reu8 ? J il se r$clame de l'; int$r>t
national ?, sollicite les ; patriotes al%$riens ? et vise ; la restauration de l'Ftat al%$rien
souverain ?, un Ftat qui n'a 'amais e8ist$ en tant que tel J il inscrit son combat ; dans le cadre des
principes islamiques ? dont on sait qu'il font peu de cas des acquis de la 7$volution franVaise,
Libert$, F%alit$, Fraternit$, et du li%na%e libertaire franVais aff$rent & La]cit$, F$minisme,
Abolitionnisme en mati@re de peine de mort J usant de m$taphores hy%i$nistes, le FL+ propose
l'; assainissement politique ? et l'; an$antissement de tous les vesti%es de corruption et de
r$formisme ? et parle des ; $ner%ies saines du peuple al%$rien ? J il l$%itime ; la lutte par tous les
moyens ? pour parvenir A la lib$ration nationale"
Le / f$vrier !-:., dans la conf$rence prononc$e par Camus le 'our de l'inau%uration de la
Maison de la culture 6il est alors adh$rent au 1arti communiste al%$rien9, le 'eune philosophe
pr$cise le pro%ramme de cette maison de %auche & ; contribuer A l'$dification, dans le cadre
r$%ional, d'une culture dont l'e8istence et la %randeur ne sont plus A d$montrer" Y cet $%ard,
a'oute5t5il, il y a peut5>tre quelque chose de d$tonnant dans le fait que des intellectuels de %auche
puissent se mettre au service d'une culture qui semble n'int$resser en rien la cause qui est la leur,
et m>me, en certain cas, a pu >tre accapar$e 6comme pour Maurras9 par des doctrinaires de
droite ? 6(" 3039" 1as question, donc, de souscrire A un quelconque maurrassisme de droite ou de
%auche" L'Al%$rie n'est pas une id$e, mais une sensation" On tue pour des id$es J 'amais pour une
sensation"
Contre le colonialisme italien
Camus souhaite mettre cette Maison de la culture au service d'une renaissance de la
culture m$diterran$enne activ$e par l'Al%$rie afin d'in'ecter A la vieille ,urope un san%
dionysiaque" #ans son te8te inau%ural, il critique l'imp$rialisme et le colonialisme de *enito
Mussolini" Y l'heure oN Camus attaque clairement l'(talie mussolinienne, un certain <ean51aul
)artre T%$ de trente5deu8 ans envoie une lettre A )imone de *eauvoir dans laquelle il $crit & ; ma
m@re me donne mes di8 francs chaque matin ? 6septembre !-:.9" L'ann$e pr$c$dente, le vieu8
%arVon c$libataire vivant cheO sa m@re $tait all$ en vacances en (talie avec son $pouse de papier"
L'un et l'autre avaient obtenu des billets de train A pri8 r$duit en se rendant A l'ambassade de
l'(talie mussolinienne qui faisait alors des promotions touristiques de propa%andes"
*eauvoir pr$cise les choses dans La $orce de l'Ie & ; Cette ann$e5lA, Mussolini avait
or%anis$ A 7ome une he8position fascistei et, pour y attirer les touristes $tran%ers, les chemins de
fer italiens leur consentaient une r$duction de . n" +ous en profitTmes sans scrupules" ? 6!09"
1uis, pa%e suivante & ; 1our faire valider nos billets A pri8 r$duits, il nous fallut nous pr$senter A
l'e8position fasciste" +ous 'etTmes un coup d'Bil sur les vitrines oN $taient e8pos$s les revolvers
et les matraques des hmartyrs fascistesi" U *eauvoir ne trouve pas qu'il y ait mati@re A
commenter ce %enre d'information" ,lle passe donc ensuite A des consid$rations sur la fresque de
)i%norelli A Orvieto, puis sur Eenise, enfin sur la Cruci9i*ion du Cintoret"
#e son cXt$, )artre $crit une tr@s lon%ue lettre A Ol%a 6vin%t5sept pa%es dans le volume
$dit$ par Iallimard, sans compter les feuillets manquants9 dans laquelle il file la m$taphore de la
salet$ napolitaine, de la crasse, des pou8, des infirmit$s, il d$crit les visa%es ron%$s par l'ecO$ma,
la %ale, les yeu8 crev$s, les dents pourries, les verrues, les moi%nons, le derri@re nu des enfants
dans la rue, il compare ce peuple italien au8 sin%es dans un Ooo, A des animau8 malades,
souffreteu8, il raconte les petits %arVons qui se tripotent le se8e, les petites filles qui se %rattent
l'entre'ambe sous leurs 'upes, il rapporte en toute innocence la mendicit$ et le vol, il d$crit ce
peuple comme manquant d'intelli%ence, paresseu8, mou"
Concernant le fascisme italien, on note tout 'uste deu8 mentions de )artre, une pour
si%naler que Mussolini d$truira un quartier malfam$ pour y construire de ; %rands immeubles
sains A di8 $ta%es ? 6.:9, une autre pour si%naler que le fascisme ; a mis bon ordre ? 6/.9 A la
prostitution puisqu'on ne voit plus de bordels dans +aples" Mussolini est au pouvoir depuis
presque quinOe ans, mais, trentenaire, le savant auteur de La %ranscendance de l'eo n'en a cure &
il est en vacances et r$di%e d'interminables cartes postales"
Au contraire de )artre, Camus a l'Bil politique" Puelques mois plus tard, entre l'$t$ !-:0
des vacances sartriennes, et la conf$rence donn$e A l'inau%uration de la Maison de la culture, le
/ f$vrier !-:., il critique la politique coloniale et imp$rialiste de Mussolini en Fthiopie" )artre a
trente5deu8 ans et ne voit rien A redire A Mussolini et A son r$%ime lors de ses vacances
napolitaines J Camus a vin%t5trois ans et critique le #uce qui, comme un C$sar de la 7ome
imp$riale, sacrifie ; la v$rit$ et la %randeur A la violence sans Tme ? 6(" 30-9" 1uis il attaque les
intellectuels qui d$fendent la politique du dictateur fasciste dans la corne est de l'Afrique et
d$plore l'e8altation d'une pr$tendue ; Buvre civilisatrice de l'(talie dans l'Fthiopie barbare ?
6(" 30/9" Cette id$e se trouve dans le ; Manifeste des intellectuels franVais pour la d$fense de
l'Occident ? publi$ dans Le %emps du 4 octobre !-:3" 1armi plus de huit cents si%natures
soutenant ce te8te, on relevait les noms de Chierry Maulnier, 1ierre Ia8otte, Marcel Aym$,
1ierre #rieu la 7ochelle, 1ierre Mac5Orlan, Lenri Massis, Abel *onnard, L$on #audet, Lenri
*$raud et Charles Maurras"
,n faveur de Eiollette
#ans et avec la Maison de la culture, Camus s'en%a%e en faveur d'un pro'et politique issu
du Front populaire socialiste, radical et communiste" )ous l'$%ide de cette machine de %uerre
anticolonialiste qu'est la Maison, un ; Manifeste des intellectuels d'Al%$rie en faveur du pro'et
Eiollette ? paraWt dans le bulletin Jeune "éditerranée en mai !-:." Pue veut ce manifeste Q
; 7estituer au8 masses musulmanes leur di%nit$ ? 6(" 3.:9" ,n %ramscistes, Camus et les
si%nataires s'installent sur le terrain de la culture pour aborder le continent politique"
Pue dit ce manifeste Q (l $tablit un constat & en Al%$rie, la culture s'av@re impossible parce
que la di%nit$ est bafou$e J la civilisation ne peut prosp$rer dans un r$%ime promul%uant des lois
qui l'$crasent J la privation d'$coles et la mis@re infli%$e au peuple interdisent toute culture J
Camus et les siens d$noncent ; des lois d'e8ception et des codes inhumains ? 6(" 3.:9 J il associe
le bien de la culture et des masses populaires au sort de la culture musulmane" 1uis il propose une
solution dans l'esprit du Front populaire & soutenir le pro'et Eiollette qui veut donner la voi8 au8
musulmans, cette partie du pays e8ploit$e par une autre, et permettre l'$mancipation
parlementaire int$%rale des musulmans" Les si%nataires inscrivent ce pro'et dans le cadre des
devoirs de la France" Contre la politique men$e par la m$tropole sur la terre al%$rienne, contre les
r$sistances capitalistes et lib$rales, dans la lo%ique d'une nouvelle France, celle de L$on *lum et
de ses partenaires, Camus s'en%a%e pour ce pro'et concret" (l a vin%t5trois ans"
Pue fut ce pro'et Eiollette Q Maurice Eiollette $tait char%$ des affaires al%$riennes dans le
%ouvernement du Front populaire" La coalition de %auche a le pro'et d'am$liorer la condition des
peuples d'Al%$rie" Faut5il pr$ciser qu'A l'$poque ni la )F(O de L$on *lum ni le 1arti radical5
socialiste d'Fdouard Lerriot, ni le 1CF de Maurice ChoreO n'envisa%ent l'ind$pendance de
l'Al%$rie Q Cette ann$e5lA, Ferhat Abbas en personne, future $minence du FL+, souscrit au pro'et
Eiollette" 1areillement pour le 1arti communiste al%$rien" Les oul$mas ne s'y opposent pas" )eul
Messali Lad', sympathisant communiste, d$fend l'ind$pendance depuis d$but !-2."
Ce pro'et de loi propose la citoyennet$ franVaise et l'e8ercice des m>mes droits politiques
que les FranVais de la m$tropole A vin%t et un mille Al%$riens choisis parmi l'$lite indi%@ne
musulmane en re%ard des services rendus A la France continentale pendant la 1remi@re Iuerre
mondiale, A des d$cor$s de %uerre, des fonctionnaires de l'Ftat franVais, des responsables
syndicau8 U pourvu qu'ils renoncent au statut coranique, autrement dit qu'ils souscrivent au droit
positif la]c et cessent de se r$f$rer au droit reli%ieu8 dont les recommandations et les interdits
sont puis$s dans le Coran ou les hadiths du 1roph@te, les prescriptions reli%ieuses incompatibles
avec les valeurs la]ques de la 7$publique"
Ce pro'et propose $%alement un vaste pro%ramme $conomique et social & faciliter l'acc@s
au cr$dit, approvisionner en eau un ma8imum de villa%es, $dicter de radicales mesures d'hy%i@ne
publique, lancer une politique massive de scolarisation des enfants" Franc5maVon, la]c, socialiste,
membre de la Li%ue des droits de l'homme, partisan de l'assimilation r$publicaine, Maurice
Eiollette souhaite l'approbation de ce pro'et par l'Assembl$e nationale afin de tenir A $%ale
distance les revendications brutales des colons et les aspirations ind$pendantistes" Les deu8
forces, déj(, font barra%e & les colons et les ind$pendantistes, comme plus tard l'OA) et le FL+,
'ouent la carte du pire, nourrissant de part et d'autre ce qui deviendra une %uerre civile" )ous la
double pression, L$on *lum retire le pro'et"
Avec les indi%@nes de la 7$publique
Ce ; Manifeste des intellectuels en faveur du pro'et Eiollette ? paraWt donc en mai !-:."
7appelons, pour m$moire, qu'Albert Camus quitte le parti communiste en aoSt5septembre de la
m>me ann$e parce que ce parti, tout au8 ordres de Moscou, a reni$ son en%a%ement
internationaliste en faveur des peuples colonis$s U car )taline a d$cid$ que l'ordre du 'our n'$tait
plus celui5lA, mais l'union contre le fascisme europ$en" Y cette $poque tricolore du 1CF, les
diri%eants du parti saluent le drapeau franVais, renoncent A l'anticolonialisme, invitent A se soucier
bien plutXt de la lutte antifasciste que de la lib$ration des peuples"
Camus fait alors partie du Comit$ Amsterdam51leyel, un mouvement procommuniste qui
lutte pour la pai8" Le philosophe a pris sa carte au parti mi5!-:3 et le quitte en !-:. parce qu'il ne
supporte pas d'avoir A tourner le dos A des amis musulmans que le 1C lui avait demand$ de rallier
et qu'il faudrait d@s lors r$cuser par discipline de parti" Y cette $poque, les communistes al%$riens
d$noncent le 1arti du peuple al%$rien de Messali Lad' comme a%ent du fascisme international"
,ntre le 1CF qui renonce A la lutte contre le colonialisme, et Messali Lad' qui souhaite avec son
11A un parlement al%$rien, la terre au8 fellahs, des $coles arabes, le respect de l'islam, Camus
choisit de soutenir les indi%@nes 6Codd, !39"
(l prend parti pour les indi%@nes d@s qu'il le peut dans les colonnes d'Aler répu&licain en
!-:/ et dans le Soir répu&licain en !-:-" #ans un avertissement au8 lecteurs dat$ du 0 octobre
!-:/, le 'ournal Aler répu&licain donne le mode d'emploi du nouveau 'ournal & fonci@rement
r$publicain, il d$fend l'int$r>t public et travaille au rassemblement populaire" #ans cette lo%ique,
il sait qu'il aura pour ennemis les capitalistes, les fascistes, les patrons, les banquiers, les
propri$taires terriens, les colons, et s'en r$'ouit" (l veut lutter contre l'antis$mitisme, les privil@%es
des familles de colons, le conservatisme social et tout ce qui ; entend maintenir nos amis
indi%@nes sur un plan d'inf$riorit$ ? 6(" /3:9" 1uis cette phrase pro%rammatique & ; 1our Aler
répu&licain, il ne saurait y avoir deu8 sortes de FranVais, mais une seule et qui en%lobe $%alement
le 1arisien indi%@ne de 1aris, le Marseillais, indi%@ne de Marseille, et l'Arabe, indi%@ne d'Al%$rie"
C'est pourquoi nous r$clamons l'$%alit$ sociale imm$diate de tous les FranVais, quelles que soient
leur ori%ine, leur confession ou leur philosophie" C'est pourquoi nous r$clamons le b$n$fice, pour
les populations de l'Afrique du +ord, des lois sociales et des mesures d'assistance et d'hy%i@ne
dont b$n$ficient les habitants de la m$tropole ? 6(" /349"
#ans ce m>me 'ournal, trois si%nataires publient ; Y nos fr@res musulmans ?, un te8te
dans lequel ils se r$'ouissent de l'e8istence d'un support qui va permettre chaque 'our de traiter les
affaires r$%ionales dans un souci d'$%alit$ et de mutuelle fraternit$ entre ,urop$ens et Al%$riens"
#ans un esprit %ramscien, les trois 'ournalistes se proposent d'$duquer les masses populaires
al%$riennes et de travailler ; inlassablement au rapprochement ethnique de ce pays, A la fusion
totale des cBurs et des esprits dans cette France d'outre5mer ? 6(" /349" Camus devient le
r$dacteur en chef de ce 'ournal"
Eoya%e en Rabylie
Aler répu&licain publie entre le 3 et le !3 'uin !-:- un reporta%e de Camus intitul$
"is3re dans la Va&ylie" Ces onOe articles constituent un r$quisitoire clair et net contre ce que la
m$tropole a fait, du moins, n'a pas 9ait, dans cet endroit d'Al%$rie" On peut ima%iner que Camus,
%rand amateur de Iide qui devient son ami A 1aris et lui loue un appartement sur le m>me palier,
a peut5>tre pens$ au Voyae au Cono publi$ en !-2. ou au Retour du %chad paru l'ann$e
suivante, deu8 te8tes implacables qui d$noncent la mis@re et ceu8 qui la rendent possible"
Mais Iide n'$tait pas con%olais ou tchadien, alors que Camus est al%$rien, donc franVais"
#@s lors, il ne saurait s'amputer d'une part de lui5m>me au profit d'une autre" (l ne pense pas en
termes de FranVais de France ou d'Al%$rien d'Al%$rie, puisqu'il est n$ sur cette terre al%$rienne
devenue franVaise depuis un si@cle" Pui reprocherait au'ourd'hui A un 'eune FranVais de vin%t ans
n$ en France de parents venus d'Al%$rie il y a un demi5si@cle de n'>tre pas franVais Q )inon des
racistes" 1as plus que la nation, la nationalit$ n'est affaire d'id$e et de papier, de san% ou de
quartiers de noblesse, mais une affaire de sentiment, de d$sir, de passion pour une terre A parta%er
fraternellement"
#ans son reporta%e en Rabylie, Camus d$nonce donc ce que certains FranVais font A
d'autres FranVais, et non pas ce que des colons de France feraient A des colonis$s d'Al%$rie" #ans
une partie intitul$e ; Le d$nuement ?, le philosophe5'ournaliste analyse les multiples raisons de
cette mis@re" 1as question, dans cette enqu>te sociolo%ique et politique, de se contenter d'une
pens$e courte qui $lirait un bouc $missaire bien utile pour en finir avec la comple8it$ des
difficult$s avec un mot simplissime recouvrant une cause unique U le colonialisme par e8emple"
La Rabylie souffre de deu8 mau8 & le surpeuplement d'une terre et le fait qu'elle
consomme plus qu'elle ne produit, voilA la source de toutes les difficult$s" Le peuple Kabyle,
affam$, quitte sa terre" Ceu8 qui restent au villa%e arrachent de rares racines pour les man%er" La
famine s$vit" Les enfants A demi nus et couverts de pou8, ron%$s par la vermine, fouillent les tas
d'ordures dans l'espoir de trouver quelque chose A avaler" Les chiens se battent avec eu8 et
s'arrachent un d$tritus A en%loutir" Les enfants meurent 'our apr@s 'our" Puelques5uns p$rissent
apr@s avoir d$vor$ des plantes v$n$neuses" 1auvrissimes, les paysans restent plusieurs 'ours sans
man%er" 1arfois, ils a'outent des ai%uilles de pin A leur mai%re pitance" Les autorit$s les
poursuivent pour vol de bois s'ils ramassent quelques branches s@ches pour faire du charbon ou
allumer leurs feu8 l'hiver et se prot$%er du %el" (ls cueillent des orties et s'en nourrissent" *ien sSr,
dans ce r$%ime de pauvret$ e8tr>me, les Rabyles ont des dettes et l'Ftat franVais pr$l@ve des
arri$r$s d'impXts sur leurs revenus ridicules" ,nfin, quand la nei%e recouvre tout, la catastrophe
empire & les d$placements deviennent impossibles et la pitance arrach$e au8 pierres ne peut
m>me plus >tre pr$lev$e" Camus, qui ne connaWt pas encore totalement la facilit$ avec laquelle
une partie des intellectuels parisiens de %auche se servent de la pauvret$ pour philosopher dans
les salons, $crit & ; La mis@re ici n'est pas une formule ni un th@me de m$ditation ? 6(E" :!!9"
Y d$faut d'une politique sociale di%ne de ce nom, et surtout di%ne de la France qui se
pr$tend patrie des droits de l'homme et de la 7$volution franVaise, les officiels or%anisent la
charit$ qui, on le sait, est tr@s e8actement le contraire de la 'ustice" Les dames patronnesses, les
bour%eois bien5pensants, les belles Tmes qui vaticinent dans les pr$fectures, r$cup@rent de quoi se
faire aimer par leurs victimes" La distribution de nourritures s'effectue selon le principe du
client$lisme & on %ratifie d'abord ceu8 qui votent ou voteront pour les donateurs" Les ca]ds et les
conseillers municipau8, autrement dit des musulmans complices de *lancs dans l'e8ercice d'un
m>me pouvoir, or%anisent la combine" Les infirmes coStent trop cher et ne sont pas rentables d'un
point de vue $lectoral" (ls ne sont donc pas soi%n$s"
Y cXt$ des paysans pauvres, des chXmeurs utiles pour faire baisser le pri8 de la main5
d'Buvre, des enfants d$charn$s et cachectiques, des infirmes d$laiss$s, quelques Rabyles
travaillent" Mais des salaires ind$cents ne leur permettent pas de subvenir A leurs besoins
$l$mentaires" Le temps de travail de ce cXt$ de la M$diterran$e se r$v@le >tre le double de la
dur$e l$%ale pour un salaire bien moindre" Certains doivent parcourir di8 Kilom@tres de leur
domicile A leur lieu de travail" (ls partent A trois heures du matin et rentrent A di8 heures du soir"
)ans nourriture, ils sont sans force J sans force, on les paie moins J moins pay$s, ils man%ent
moins J moins nourris, ils perdent encore de leur force, etc" ; Le r$%ime du travail en Rabylie est
un r$%ime d'esclava%e ? 6(E" :!09, $crit Camus qui connaWt le poids des mots U un réime
d'escla+ae"
Les enfants, bien sSr, sont tr@s peu scolaris$s" Or les Rabyles savent que la culture permet
l'$mancipation, y compris et surtout pour les filles" Certes, il e8iste une politique de construction
de %randes $coles somptuaires et pharaoniques avec leur d$bauche de mosa]ques, mais dans les
%randes villes et les sites touristiques" Camus invite A abolir cette politique qui reproduit le
sch$ma centralisateur et 'acobin du %ouvernement de l'Ftat franVais et A multiplier les petites
$coles dans les villa%es de campa%ne" #e m>me, la m$tropole s$pare les ensei%nements avec,
d'un cXt$, une $cole pour les ,urop$ens, de l'autre, une $cole pour les Rabyles D Comment
envisa%er l'assimilation, l'int$%ration, la fusion des communaut$s dans une m>me 7$publique
avec ce r$%ime d'apartheid communautariste Q
La faute coloniale
On a reproch$ A Camus de n'avoir pas d$nonc$ le colonialisme responsable, selon les
commentateurs, de l'$tat de fait si pr$cis$ment d$crit" ; Colonisateur de bonne volont$ ?, $crira
m>me Albert Memmi dans une formule assassine et d$finitive, sartrienne A souhait, qui reste
accol$e A la r$putation du philosophe et se trouve utilis$e ad nauseam par des auteurs paresseu8"
Mais d$noncer le r$%ime colonial, chercher un bouc $missaire, l'$lire, et s'acharner sur lui $tait5il
de meilleur rendement intellectuel Q
Eouloir l'ind$pendance al%$rienne en 'uin !-:-, $tait5ce la solution qui, d'un coup de
ba%uette ma%ique, aurait permis le paradis sur la terre al%$rienne en %$n$ral, et dans la Rabylie en
particulier Q ,n appeler A la disparition des colons, sous quelque forme qu'on envisa%e cette
$viction, constituait5il une solution viable, efficace, pra%matique Q 1our souscrire A pareille
vision, il fallait croire de faVon binaire que le colonialisme est l'unique cause de tous les
probl@mes, quels qu'ils soient, et l'ind$pendance la %arantie de toutes les solutions" L'Al%$rie
ind$pendante d'apr@s !-02 a5t5elle $radiqu$ toute la mis@re en Rabylie Q ,t dans le restant de
l'Al%$rie Q Gn demi5si@cle plus tard, le temps est venu d'en appeler au 'u%ement de l'Listoire"
)i Camus n'a pas fait de son reporta%e une char%e anticolonialiste e8plicite et militante, il
a $crit l'essentiel pour qui sait lire, a lu, et veut bien retenir ce qu'il y a A lire & Camus d$nonce, on
l'a vu, le ; r$%ime d'esclava%e ? 6(E" :!09 impos$ par la m$tropole en Al%$rie J il fusti%e ; le
m$pris %$n$ralis$ oN le colon tient le malheureu8 peuple de ce pays" ,t ce m$pris, A mes yeu8,
$crit5il, 'u%e ceu8 qui le professent ? 6(E" :!-9 J il sait qu'on ne peut rien attendre des colons et
qu'on ne saurait compter sur eu8 pour am$liorer les conditions de travail et de vie en Rabylie J il
ra%e que la colonie d$cerne des m$dailles au8 anciens combattants qui manquent de pain et
pr$f$reraient un travail et de meilleures conditions A ces pitoyables breloques J il $crit $%alement &
; )i la conqu>te coloniale pouvait 'amais trouver une e8cuse, c'est dans la mesure oN elle aide des
peuples conquis A %arder leur personnalit$ ? 6(E" ::09 U autrement dit, la conqu>te de l'Al%$rie
par les FranVais en !/: n'est e8cusable que si elle sait conserver au pays conquis sa personnalit$"
,t qu'est5ce qu'on e*cuse Q )inon une faute" Fallait5il componction plus bruyante Q Camus aurait5
il dS, pour plaire au8 'u%es p$nitents de 1aris, or%aniser un th$Ttre de contrition, de repentance et
de r$sipiscence avec coulpe battue A %rands bruits Q
Gne forme politique Kabyle
E$rit$ de La 1alisse, on ne peut faire que ce qui a $t$ n'ait pas eu lieu" Cette faute
coloniale a plus d'un si@cle d'e8istence" (l eSt mieu8 valu, en effet, au re%ard des crit@res
d'au'ourd'hui, que l'arm$e franVaise ne foule pas le sol al%$rien en !/:" Mais voilA, l'Listoire a
eu lieu et les deu8 communaut$s vivent ensemble depuis plus de cent ans" Le colonialisme est
ind$fendable, tout autant que ceu8 qui le constituent dans les faits & les r$%imes politiques qui
promul%uent des lois iniques et discriminantes, l'administration franVaise qui veille au respect de
cette l$%islation in'uste, l'Ftat centralisateur et 'acobin qui recourt A la loi et A la force pour
maintenir l'ordre r$publicain de <ules Ferry, les %ros propri$taires spoliateurs de la di%nit$ et de
l'humanit$ des Arabes qu'ils e8ploitent"
Mais faut5il faire de tout *lanc un coupable, responsable lui aussi de cette mis@re, du
simple fait qu'il soit sur cette terre non pas par sa propre volont$, mais par celle d'un anc>tre venu
trois ou quatre %$n$rations avant lui, en vertu d'un hasard de naissance Q ,st5on coupable d'une
faute, reconnue comme telle par Camus, commise par un lointain parent venu pouss$ par la faim
et la mis@re et non par l'id$olo%ie Q #e la m>me faVon qu'il y aurait des victimes de naissance qui
ne pourraient rien faire pour $viter ce statut du fait qu'elles seraient marqu$es de faVon ind$l$bile
par le san% transmis, faudrait5il parler d'un *lanc des ann$es !-3 comme d'un sabreur de t>te de
l'arm$e franVaise qui s'installe en Al%$rie en !/: Q Les ,urop$ens d'Al%$rie seraient5ils tous
coupables d'>tre n$s Q
e aurait5il, comme avec le p$ch$ ori%inel des chr$tiens, une transmission ontolo%ique de
la faute cheO les innocents Q Camus ne le croit pas" Les deu8 communaut$s sont lA, et les
coupables ne se trouvent pas dans un camp, les victimes dans l'autre & le ca]d musulman complice
du sous5pr$fet qui impose la loi inique est responsable et coupable, mais pas le p@re de Camus,
ouvrier a%ricole, ou sa m@re, femme de m$na%e, qui n'e8ploitent personne, ne volent personne, ne
spolient personne, ne font de tort A personne en louant leur force de travail A de plus riches *lancs
qu'eu8" Camus souhaite que les deu8 communaut$s continuent de vivre en pai8 et qu'ensemble
elles en finissent avec le r$%ime d'e8ploitation colonial"
"is3re dans la Va&ylie ne se contente pas de d$crire la mis@re" On trouve en effet dans
ces pa%es une positivit$ politique i%nor$e par tous tant elle rompt avec les sch$mas binaires de la
pens$e classique & puisque Camus n'a pas pris parti pour le FL+, il faut bien qu'il ait $t$ partisan
de l'Al%$rie franVaise au sens que l'OA) contribue A lui donner apr@s son accident de voiture
mortel, autrement dit qu'il ait ob'ectivement soutenu le r$%ime colonial franVais D Cette th@se
6sartrienne9 fr$quemment r$pandue fait fi de la proposition concr@te du philosophe"
#ans sa lo%ique libertaire insoucieuse des cat$%ories 'acobines, centralisatrices, $tatiques,
robespierristes, indiff$rente A la pens$e binaire selon laquelle qui n'est pas avec moi est contre
moi, Camus demande A l'Al%$rie de donner des leVons A la France" Le voilA dans le rXle du
M$diterran$en qui propose des solutions solaires, nietOsch$ennes, radieuses, inde8$es sur la
pulsion de vie, au8 antipodes du tropisme franVais et europ$en, nocturne, h$%$lien et mar8iste,
inde8$ sur la pulsion de mort" Le nationalisme al%$rien est encore un nationalisme, autrement dit
un sch$ma d'importation occidentale" Puid, en effet, de la forme .tat dans l'Afrique des ann$es
d'avant les colonisations Q L'Ftat est un mal venu d',urope" Camus propose en antidote A cette
peste $tatique un bien autochtone, un produit politique formel n$ du sol Kabyle" Pui l'a souli%n$ Q
Le communalisme libertaire
Camus n'a probablement pas lu le %estament de l'abb$ Meslier, mais, sans le savoir, il
propose une politique libertaire d$'A d$fendue par ce cur$ inventeur franVais de l'ath$isme, du
mat$rialisme, de l'h$donisme, du sensualisme et, comme tel, beaucoup pill$, tr@s lu au si@cle des
Lumi@res, rarement cit$, massacr$ par Eoltaire, e8ploit$ par les penseurs mat$rialistes du
ME(((
e
si@cle, et, bien sSr, pass$ A la trappe de l'historio%raphie dominante" 1ar capillarit$
intellectuelle, +ia les manuscrits clandestins, les Earlet et 1roudhon, les 1elloutier et *aKounine
c$l$br$s dans L''omme ré+olté $taient eu8 aussi, sans le savoir, des fils spirituels de ce
philosophe d$fenseur du communalisme libertaire"
<ean Meslier fait de la famille la cellule de base des villa%es qui contractent afin de
r$aliser des occasions concr@tes de pai8 et de prosp$rit$ sociale" Le but Q Gne soci$t$ dans
laquelle chacun travaille, man%e A sa faim, habite une maison saine, propre et chauff$e, s'habille
de v>tements qui le prot@%ent des intemp$ries, une or%anisation rurale, a%ricole, campa%narde
mutualis$e et coop$rative qui permette de se soi%ner, d'envoyer ses enfants A l'$cole" Ce
communalisme local sous Louis M(E $tendu A l'universel suppose l'internationalisation" Meslier
$crit qu'il s'adresse A tous les peuples de la terre & avant l'heure, il pense local pour le %lobal, il
part de la petite commune de campa%ne pour parvenir A la plan@te" Le villa%e est la matrice du
monde, son r$sum$, son laboratoire"
Cette id$e du communalisme libertaire a ses adeptes dans l'histoire de la pens$e libertaire,
du %estament de <ean Meslier 6!02-9 'usqu'A Pour un municipalisme li&ertaire de Murray
*ooKchin 6n$ en !-2!9, en passant par un certain nombre de d$veloppements de RropotKine dans
La Conqu/te du pain 6!/-29 ou L'1ntraide 6!-29, sinon le phalanst@re 6une commune a
posteriori9 cher au cBur de Fourier dans son 2ou+eau monde industriel et sociétaire 6!/2-9, sans
parler de la brochure de Ieor%es 1alante, #u nou+eau en politique 6!-!-9 J l'id$e que la
Commune constitue une cellule de base capable d'initier la transformation sociale de faVon
capillaire constitue une potentialit$ $cras$e par le rouleau compresseur r$volutionnaire
insurrectionnel dominant dans l'historio%raphie anarchiste officielle beaucoup plus mar8isante
qu'elle ne le croit"
L'id$e communaliste libertaire a r$ellement fonctionn$ A plusieurs reprises dans l'Listoire
avec plus ou moins de bonheur & les communes m$di$vales ch@res au cBur des Fr@res et )Burs du
Libre ,sprit J la Commune de 1aris, bien sSr, et l'on sait combien elle 'oue un rXle
architectonique dans la pens$e politique de Camus, plus que la 7$volution franVaise J les
communaut$s dites utopiques am$ricaines au M(M
e
J les e8p$riences des Milieu8 libres dans les
premi@res ann$es du MM
e
si@cle, A la p$riode dite de la *elle Fpoque J la commune libre de
Rronstadt de !-!. J les communes de la r$volution libertaire espa%nole en !-:0 J les
communaut$s post5soi8ante5huitardes" Cette li%ne de force tr@s peu spectaculaire,
intellectuellement moins flamboyante, mais efficace et concr@te, pra%matique et r$aliste, se
trouve n$%li%$e, voire caricatur$e, par la tradition anarchiste r$volutionnaire insurrectionnelle,
violente, brutale, paramilitaire, pour tout dire contamin$e par le mar8isme"
La pens$e de Camus sur la question al%$rienne en !-:- prend sa place dans ce continent
du communalisme ou du municipalisme libertaire" Les solutions camusiennes, comme tou'ours,
tournent le dos A la r$volution transcendantale, fSt5elle anarchiste J elles refusent et r$cusent
l'id$alisme, la croyance A l'id$olo%ie comme A une reli%ion J elles s'installent au8 antipodes des
formules doctrinaires, intellectuelles et conceptuelles J elles ne partent pas d'un pro%ramme
pr$$tabli avec obli%ation de faire entrer le r$el dans les sch$mas et, en cas de r$sistance du r$el,
d$cision de le d$truire plutXt que de renoncer au8 sch$mas J elles rel@vent d'une $thique de la
responsabilit$ A l'endroit des peuples e8ploit$s qui ne sacrifie pas les convictions libertaires A
l'e8ercice concret de la politique"
Camus part du r$el U l'id$e n'a qu'A bien se tenir, et suivre, si elle veut, mais pas pr$c$der"
Cette anarchie positive est empirique, un mot disqualifi$ par la tradition id$aliste obnubil$e par le
transcendantal" ,lle envisa%e de r$volutionner le r$el en partant du r$el, A la base, de faVon
radicalement immanente, en cr$ant de nouveau8 a%encements, des r$seau8 horiOontau8 in$dits"
1our Camus, l'action libertaire cr$e de nouvelles id$es, au contraire de l'habitude anarchiste qui
'on%le avec de belles id$es, certes, mais qui avortent depuis deu8 si@cles A cause de leur
impraticabilit$" 1our Camus, le r$el a plus d'ima%ination que les id$es"
Le ; douar5commune ?
Camus souhaite que les Rabyles s'emparent de leur destin" ,n fid@le de La *o$tie, le
philosophe pense que le pouvoir ne se conquiert pas par la violence et la brutalit$, l'insurrection
militaire ou le coup d'Ftat san%lant, mais, tout simplement, par le refus de consentir au pouvoir
qu'on ne veut plus, puis par la volont$ de cr$er la forme de sa lib$ration et celle de sa libert$" +ul
besoin d'$%or%er les colons, il suffit de ne plus consentir au colonialisme en d$veloppant cette
alternative pacifique et libertaire du ; douar5commune ? 6(E" :249"
Pu'est5ce qu'un douar8commune Q Le douar5commune remonte au M(M
e
si@cle" Cr$$ A
partir de la tribu, il se constitue A partir d'un %roupe de tentes et de familles" I$r$ par une
assembl$e 6djemaa9, le douar dispose A sa t>te d'un ad'oint indi%@ne 6ca7d9" Le douar5commune
administre les biens qui lui appartiennent, il d$cide des travau8 publics de voirie, il %@re ses
finances, il d$limite et modifie ses territoires, il r$partit les biens communau8, il contin%ente et
distribue les denr$es" Le douar Kabyle est $lu par les Rabyles, pour les Rabyles"
L'amateur de pouvoir direct qui cite Earlet, l'anarcho5syndicaliste qui renvoie A 1elloutier,
le libertaire qui parle de 1roudhon, l'anarchiste qui dit son %oSt pour *aKounine, ne pouvait que
se r$'ouir du douar5commune qui permet d'$lire ses repr$sentants et de s'en d$faire dans le cas oN
le mandat ne se trouve pas honor$ selon les modalit$s du contrat $lectif repr$sentatif" Contre le
scrutin de liste, Camus pr$f@re l'$lection directe des individus A la proportionnelle"
Les douars5communes sont destin$s A se mutualiser, A coop$rer, A se f$d$rer" Formule
Kabyle d'un proudhonisme concret" Cette lo%ique d'unions multiples A des de%r$s divers constitue
un f$d$ralisme libertaire U c'est, en !-:-, la formule anarchiste que propose A nouveau le
philosophe lors de la %uerre civile dans son pays" #ans l'un des articles qui compose "is3re dans
la Va&ylie intitul$ ; L'avenir politique ?, Camus $crit & ; Ainsi se trouverait r$alis$e au cBur du
pays Kabyle une sorte de petite r$publique f$d$rative inspir$e des principes d'une d$mocratie
vraiment profonde ? 6(E" :209"
Eoici comment, d'une part, les Rabyles peuvent r$soudre leurs probl@mes en Rabylie, en
dehors de tout soul@vement san%lant et de toute %uerre civile coSteuse en vies humaines J voilA
comment, d'autre part, concr@tement, l'Al%$rie pourrait, au nom de sa tradition m$diterran$enne,
de son antique culture berb@re pr$islamique, donner des leVons A la France m$tropolitaine, puis A
l',urope, donc au reste du monde" )i d'aventure les lecteurs m$tropolitains de Camus n'avaient eu
le tropisme europ$ocentriste, ils auraient pu faire du douar5commune une formule parente de la
démocratie athénienne U si bien port$e dans l'intelli%entsia" Mais le 1aris de )artre veut bien
prendre des leVons d'Ath@nes ou de *erlin, sSrement pas de Cipasa et d'Al%er"
Camus ne souhaite pas une ind$pendance de la +ation al%$rienne 6qui, selon lui, n'e8iste
pas, parce que cette terre porte une multitude de communaut$s et de peuples, des Rabyles et des
*erb@res, des MoOabites et des Couare%s, des ,urop$ens et des M$diterran$ens, mais aussi des
reli%ions diff$rentes, des 'uifs et des musulmans, des animistes et des chr$tiens, sans parler de la
trentaine de lan%ues9, mais une ind$pendance des douars5communes & non pas un nouvel Ftat
avec son drapeau et ses hymnes, conquis par les armes et le san%, mais des communes libres,
auto%$r$es, des mutualisations, des coop$rations, r$alis$es par la parole donn$e, le contrat,
l'$chan%e, la communaut$ pacifique" Puelle formule semble la mieu8 A m>me d'en finir avec la
mis@re en Rabylie Q Gn Ftat centralis$, transcendantal, 'acobin, robespierriste Q Ou une
f$d$ration de communaut$s, immanente, concr@te, effective, pratique et pra%matique Q
L'Listoire, dont on dit souvent fautivement qu'en Al%$rie elle a donn$ tort A Camus, n'a
donn$ d'occasion de v$rification qu'A la premi@re formule" Pui sait si celle de Camus n'aurait pas
plus et mieu8 donn$ raison, non pas A la reli%ion du fait accompli qui transforme ce quiest en
vrai, en bien, en 'uste et en bon, vieu8 tropisme h$%$lien, mais A la sa%esse pratique d'une
e8p$rience libertaire moins s$duisante pour les amateurs de concepts et d'id$es pures, certes, mais
plus efficace pour les %ens d$sireu8 de man%er A leur faim et de vivre en pai8, dans la 'ustice et la
libert$, l'honneur et la di%nit$ Q
Gne microlo%ie politique
,n dehors de cette formule libertaire th$orique, Camus propose des solutions encore plus
concr@tes pour sortir la Rabylie de sa mis@re & au%menter le pouvoir d'achat, r$duire le d$cala%e
entre les importations et les e8portations, revaloriser le travail et la production, r$sorber le
chXma%e, payer des salaires di%nes, supprimer la concurrence sur le march$ du travail, r$tablir le
contrXle des pri8, instaurer une inspection du travail, mener une politique $tatique d'embauche
avec cr$ation de %rands chantiers, comme en !/4/, %$n$raliser l'ensei%nement professionnel,
or%aniser l'$mi%ration, revaloriser la production, l'accroWtre en quantit$, l'am$liorer en qualit$,
stabiliser les pri8 A la vente, faciliter la location d'un lo%ement ou l'acquisition d'un habitat"
#e la m>me mani@re que le dernier 1roudhon $crivait dans %héorie de la propriété que
l'Ftat pouvait e8ister dans un r$%ime anarchiste dans la mesure oN il cessait d'>tre un instrument
de domination entre les mains du capital pour devenir un outil de r$%ulation entre les instances
f$d$r$es, l'Ftat, cheO Camus, se char%erait de cette politique de %auche qui d$borde le douar5
commune en tant que tel mais concerne leur f$d$ration" #ans %héorie de l'imp-t, 1roudhon $crit &
; L'Ftat surveille l'e8$cution des lois J il est le %ardien de la foi publique et le %arant de
l'observation des contrats ? 6009" #ans la pens$e du dernier 1roudhon, l'Ftat offre A chacun la
%arantie que la loi le prot@%e des mauvais usa%es de la libert$ d'autrui, il %arantit le respect des
libert$s individuelles dans le cadre de l'int$r>t %$n$ral et du bien public dont il assure la caution"
C'est dans cet esprit qu'en plus des douars5communes f$d$r$s Camus attend de l'Ftat
franVais qu'il r$alise la 'ustice" 1as question, A l'heure de conclure son enqu>te sur la mis@re en
Rabylie, de d$si%ner des coupables" Le philosophe confesse manquer de talent pour le m$tier
d'accusateur" Le probl@me n'est pas ce qui n'a pas $t$ fait, aurait dS >tre fait, mais ce qu'il faut
faire, ce qui reste A faire" Camus pr$cise que le colonialisme est ; une Buvre dont au'ourd'hui
nous ne sommes pas fiers ? 6(E" ::09" Fallait5il acte de contrition plus tonitruant Q #evait5il battre
sa coulpe sur la poitrine des autres Q Aurait5il dS inviter A 'eter les colons dans un bScher Q
L'auteur de 2oces et le militant de la Maison de la culture a tr@s tXt propos$ que la
M$diterran$e donne des leVons d'humanit$ et de vitalit$ A l',urope qui inventait les camps du
totalitarisme et communiait dans des or%ies de pulsion de mort" La mis@re en Rabylie est un effet
de la France m$tropolitaine, donc de l',urope 'ud$o5chr$tienne" La Rabylie ancestrale,
pr$islamique, arabe, porte des valeurs capables de mettre A mal cette n$%ativit$ & l'or%anisation
politique immanente du douar5commune, par e8emple, propose une formule solaire, immanente
et libertaire lA oN l'Ftat 'acobin se montre nocturne, transcendantal et autoritaire" Camus propose
une microlo%ie politique dans un monde habitu$ au8 %rosses machines id$olo%iques et A leurs
dispositifs doctrinau8 monstrueu8" #ans les ann$es !-:, en Rabylie, puis en Al%$rie, le
philosophe 'oue le #iscours de la ser+itude +olontaire de La *o$tie contre Le Prince de
Machiavel" Ce pari sur l'intelli%ence libertaire restera le sien 'usqu'A son dernier souffle"
Gn 'ournaliste qui pense
Anticolonialiste de la premi@re heure, en%a%$ contre la politique de Mussolini en
Fthiopie, d$sireu8 de substituer la formule libertaire des douars5communes f$d$r$s A la lo%ique
autoritaire colonialiste de l'Ftat m$tropolitain, Camus a $%alement manifest$ son soutien au8
populations arabes victimes de l'in'ustice coloniale dans ses activit$s de chroniqueur 'udiciaire A
Aler répu&licain" Le 'ournalisme est le plus beau des m$tiers du monde U quand il n'est pas le
pire & le plus beau s'il prend le parti de la v$rit$ et de la 'ustice, s'il d$fend la veuve et l'orphelin,
s'il enqu>te et d$nonce les scandales U le pire s'il se met au8 ordres d'une id$olo%ie, d'un syst@me,
des puissants, ou s'il donne A l'homme du ressentiment les pleins pouvoirs et l'impunit$ de son
support"
Camus fit du 'ournalisme une $thique, un combat politique, un en%a%ement
philosophique" #ans ce support de %auche, il d$nonce les mBurs de la classe politique, les
politiciens corrompus, la lo%ique client$liste J il pointe la d$ma%o%ie des $lus locau8 J il part en
%uerre contre les fonctionnaires de l'Ftat m$tropolitain qui relaient la politique coloniale
parisienne J il salue les combattants des *ri%ades internationales espa%noles J il pourfend la
politique imp$rialiste et coloniale italienne J il critique les conditions d'inhumanit$ r$serv$es au8
ba%nards qui embarquent sur le port d'Al%er J il r$cuse toute r$ponse militaire au8 questions
politiques U nous sommes avant %uerre J il soutient le droit de %r@ve des travailleurs remis en
cause de part et d'autre de l'$chiquier politique J il d$nonce les $lections truqu$es dans la ville
qu'il habite et dans laquelle il travaille J il critique l'usa%e de la torture J il d$fend l'ob'ection de
conscience J il promeut les th@ses pacifistes J il d$fend le droit A l'avortement U le 2 aoSt !-:- D
Ftonnons5nous qu'avec une cinquantaine d'articles de cet acabit, Camus ait des ennuis avec les
autorit$s, qu'il accumule les blTmes et subisse une suspension temporaire"
A'outons A cela que Camus prend parti pour des causes indi%@nes & il d$nonce les
disparit$s de salaire entre l'ouvrier europ$en et son semblable al%$rien J il s'indi%ne qu'aucun $lu
musulman ne si@%e au conseil municipal d'Al%er J il prend fait et cause pour les travailleurs
immi%r$s al%$riens e8ploit$s en m$tropole J il d$nonce les assureurs qui spolient le Rabyle venu
travailler en France en le privant d'une couverture sociale di%ne de ce nom, mal%r$ sa cotisation J
il s'insur%e contre la condition sanitaire pitoyable des travailleurs al%$riens e8pos$s dans les
banlieues franVaises A la tuberculose et A la syphilis J il analyse dans le d$tail la mis@re et
l'esclava%e de cette population e8ploit$e et humili$e"
Camus d$fend $%alement des causes qui lui permettent de prendre parti pour les Arabes
contre les ,urop$ens quand l'in'ustice coloniale frappe tel ou tel musulman dans des affaires
p$nales en Al%$rie" )'il ne d$nonce pas le colonialisme transcendantal, il en d$nonce dans le
d$tail les modalit$s empiriques & par e8emple, lors de l'affaire Michel Lodent, puis celle dite des
; incendiaires ? d'Auribeau, enfin concernant le cheiKh ,l5OKbi, trois causes qui lui permettent
de d$monter les m$canismes du colonialisme dans les faits, et non de faVon id$olo%ique,
doctrinale ou th$orique"
; #ieu est trop vieu8, il faut en chan%er ?
Le dimanche 2 aoSt !-:0, le muphti Rahoul succombe A un attentat dans les rues d'Al%er"
On accuse ,l5OKbi, un cheiKh responsable du Con%r@s musulman, la fi%ure embl$matique d'un
islam d$barrass$ de ses superstitions U le maraboutisme, le charlatanisme" (l luttait $%alement
contre l'analphab$tisme" Avec sa d$l$%ation, ,l5OKbi avait d$fendu les positions du Con%r@s pr@s
du %ouvernement *lum & rattachement de l'Al%$rie A la France avec un coll@%e unique, maintien
du statut coranique personnel, redistribution de la terre ine8ploit$e au8 paysans, promotion du
bilin%uisme" 7eVue par L$on *lum A 1aris, la d$l$%ation entreprend, d@s son retour A Al%er, de
rendre compte publiquement de sa mission dans le stade municipal"
Le muphti Rahoul r$cuse la l$%itimit$ de cette d$l$%ation" (l attaque quelques5uns de ses
membres et d$nonce leur manque de pi$t$ & ils ne vivraient pas selon les principes du Coran, ils
auraient adopt$ le mode de vie occidental, ils ne mettraient 'amais les pieds A la mosqu$e" Cet
homme plaide pour le maintien du statut quo en Al%$rie et vante les m$rites de l'administration
franVaise, il accuse ,l5OKbi de men$es subversives" Puand Rahoul tombe, assassin$ dans la foule
qui se rend au stade, le coupable semble tout de suite trouv$ & le cheiKh ,l5OKbi"
L'affaire est compliqu$e & instruction mal men$e J interro%atoires bTcl$s J preuves
effac$es J t$moins suborn$s J prostitu$s et voyous instrumentalis$s J utilisation de la torture J
aveu8 e8torqu$s J calomnies et menson%es en quantit$ J r$tractations en chaWne" Camus rapporte
tout cela dans un style vif" Y un moment, il rapporte une sc@ne plus tard int$%r$e dans
L'.traner & le 'u%e d'instruction montre un crucifi8 A l'accus$ et dit & ; )i tu es reli%ieu8, nous
pouvons nous comprendre, 'e suis un chr$tien ? 6(" .!9" Camus n'utilisera pas la suite qui,
pourtant, ne manque pas de piquant & au 'u%e qui lui demande s'il croit en #ieu, l'accus$ r$pond &
; +on, ''ai dit, 'e ne crois pas en #ieu" (l est trop vieu8" (l faut le chan%er _sic` ?" Le ; sic ? est de
Camus"
Le philosophe prend position pour ,l5OKbi" La partie civile a attaqu$ les oul$mas J la
d$fense prend leur parti J Camus souscrit au8 ar%uments de la d$fense" Les milieu8 coloniau8
voient en ,l5OKbi un personna%e dan%ereu8 J Camus en fait un personna%e honorable ayant lutt$
contre le racisme et l'hitl$risme, il va m>me 'usqu'A $crire qu'il ; rappelle )ocrate et Ialil$e ?" ,l5
OKbi est acquitt$ J des inculp$s secondaires sont condamn$s au8 travau8 forc$s A perp$tuit$"
Olivier Codd $crit A propos de la couverture de ce proc@s par Camus qu'il ; se laisse emporter par
son m$pris de l'administration coloniale ? 6Codd, !-9" *ien apr@s la mort de Camus, en !-., on
saura le fin mot de cette affaire & un militant du FL+ fit savoir en effet que le cheiKh ,l5OKbi $tait
bel et bien derri@re ce crime" La partie civile qui avait dit & ; Allah est %rand et Machiavel est son
proph@te ? 6(" .2.9 n'avait donc pas tout A fait tort"
Contre la 'ustice des colons
Camus s'en%a%e $%alement en faveur de Michel Lodent qui travaille A la )oci$t$ indi%@ne
de pr$voyance 6)(19, une instance issue du Front populaire qui r$%ule le commerce des %rains" La
)(1 ach@te et entrepose les r$coltes, %@re les stocKs afin d'$viter la sp$culation des %ros
propri$taires et des interm$diaires qui amassent des fortunes en passant" Lodent subit des
pressions des colons pour ne pas faire de O@le et coop$rer A leurs combines" (l refuse, donc il se
retrouve emprisonn$ le 2: aoSt !-:/ avec un employ$ et si8 indi%@nes"
On l'accuse d@s lors d'avoir fait pour lui ce qu'il n'a pas voulu faire pour les autres &
d$tourner du bl$ et le vendre pour son compte" La v$rification des stocKs les r$v@le e8c$dentaires,
il n'a donc pas commis l'acte qu'on lui reproche" Pu'A cela ne tienne & la mafia des colons trouve
un autre motif pour l'accabler & il aurait falsifi$ des bordereau8 pour d$tourner les b$n$fices
d'indi%@nes venus vendre leur bl$ A la coop$rative" Michel Lodent rentre donc en prison avec
Mas, le ma%asinier de la soci$t$, et si8 clients indi%@nes suspect$s de complicit$"
6Cette pr$cision, en passant & )ylvie IomeO, petite fille du ma%asinier Mas, soutiendra
une th@se sur Albert Camus A *ordeau8 en 2- U La Polyphonie dans l'>u+re de Camus" ,lle
$crit en note & ; <e rends un homma%e particulier A ce 'ournaliste audacieu8 car c'est %rTce A son
intervention que mon %rand5p@re a $t$ innocent$, que ma %rand5m@re et ma m@re ont pu retrouver
la di%nit$ que la pauvret$ ne leur interdisait pas" <'ai donc eu connaissance de cet $pisode comme
par hasard, par cette confidence A la fois fi@re et encore teint$e d'opprobre ancienne de ma m@re
qui n'avait 'usque5lA pas os$ $voquer ce temps oN l'emprisonnement d'un p@re $quivalait A un
m$pris d$'A impos$ par la pr$carit$ et l'indi%ence" )ans cette intervention de Camus, le cours des
$v$nements aurait $t$ chan%$ et 'e n'aurais certainement pas $t$ lA pour en t$moi%ner" Cette
confidence quasi accidentelle et la mort pr$matur$e de ma m@re m'ont ouvert ce lon% chemin de
la th@se qui est pour moi A la fois remerciement, r$conciliation, homma%e 6-9" ?9
,n prison, Michel Lodent $crit une lettre et l'envoie A Camus U qui entame une enqu>te et
r$di%e quatorOe articles pour le d$fendre" (l va voir les familles, rencontre les t$moins, visite les
prota%onistes" 1uis il publie" Y l'approche du proc@s Camus $crit & ; C'est aussi les m$thodes
d'une certaine administration qui seront 'u%$es" Cependant, nous n'arr>terons pas lA nos efforts
pour la v$rit$ ? 6(" 02!9" La cour d$cide d'acquitter tous les pr$venus U et, comme promis, Camus,
'ournaliste et philosophe, militant et anticolonialiste, continue le combat en faveur de plus de
'ustice et plus d'humanit$"
Ainsi avec les ; incendiaires ? d'Auribeau U les %uillemets sont de Camus car, dans cette
affaire, il prend le parti de douOe ouvriers a%ricoles qui avaient r$clam$ des salaires d$cents et
refus$ l'embauche en d$but de saison pour faire pression sur les employeurs" Les colons plient et
consentent A une au%mentation" Mais, comme par hasard, le soir m>me, un feu embrase des
%ourbis inhabit$s" Les propri$taires ont tXt fait de d$si%ner des coupables & les ouvriers sont
arr>t$s, tortur$s, condamn$s A de lourdes peines de travau8 forc$s J ils se pourvoient en
cassation J refus de la cour" La presse se ran%e au8 cXt$s des colons et de leur 'ustice"
Aler répu&licain, seul, r$siste et prend le parti des ouvriers condamn$s" Camus d$monte
comment cette pr$tendue 'ustice fabrique des char%es, insinue, invente, d$tourne des sens, utilise
des lan%a%es retors et recourt A des subtilit$s dialectiques pour transformer des innocents en
coupables et, en m>me temps, couvrir les v$ritables coupables & les colons" Le 'ournal prend le
parti de ces ouvriers J la cour, celle des colons J les ouvriers sont condamn$s au ba%ne & ils
totalisent soi8ante ann$es d'incarc$ration" Camus son%e A un proc@s en r$vision, il n'aura pas lieu"
La %uerre des Al%$riens
Aler répu&licain fut interdit de publication le ! 'anvier !-4" Le conseil
d'administration du 'ournal rend Camus responsable d'avoir sabord$ le 'ournal avec ses
provocations anarchisantes 6Lottman 2:!,2:29 qui ont r$%uli@rement attir$ la censure" La %uerre
se d$clare" Camus, on le sait, souhaite s'en%a%er, l'administration le refuse A deu8 reprises A cause
de sa tuberculose" (l $crit, publie" 1uis entre dans la 7$sistance, devient 'ournaliste A Com&at,
d$nonce l'occupation, invite A la r$sistance, raconte la lib$ration, r$fl$chit sur l'$puration, pense
l'apr@s5%uerre en post5nationaliste f$d$raliste, puis s'en%a%e dans le combat antitotalitaire contre
l',spa%ne franquiste et la 7ussie sovi$tique" Puid de l'Al%$rie Q
Les troupes dites coloniales ont pay$ un lourd tribut A la )econde Iuerre mondiale &
l'Afrique du +ord a fourni un contin%ent de huit cent mille soldats dont les deu8 tiers d'indi%@nes"
Ces hommes qui n'avaient connu que leur terre d$couvrent la m$tropole parce qu'elle leur
demande de faire la %uerre pour elle" Cette instrumentalisation, on le comprend, modifie les
consciences & quand il s'a%it de leur assurer une vie dans la di%nit$, la France se soucie comme
d'une %ui%ne des Al%$riens J quand elle a besoin d'eu8 pour se d$fendre, elle se souvient qu'elle
dispose avec eu8 de troupes taillables et corv$ables A merci" +ombre des futurs combattants
nationalistes al%$riens eurent d'abord A supporter le nationalisme m$tropolitain dans ses
cons$quences les plus dramatiques"
Y l'heure de la Lib$ration, Camus aborde la question du colonialisme" #ans un article de
Com&at publi$ le !: octobre !-44, il commente le propos de 7en$ 1leven, r$sistant depuis
'uillet !-4, ancien des Forces franVaises libres" Ce ministre des Colonies du %ouvernement
provisoire de la 7$publique franVaise souhaite que la fid$lit$ des populations indi%@nes soit pay$e
par une autre politique plus en leur faveur" 1leven veut donner au8 colonies le ma8imum de
personnalit$ politique" Camus souscrit, mais pose la question & comment faire dans un pays oN se
m>lent, certes, plusieurs populations, mais au moins deu8 & les indi%@nes et les FranVais Q
*ien sSr, le philosophe souhaite l'acc$l$ration du processus d'; affranchissement
politique ? 6((" 3449" ,n mars !-44, le %$n$ral de Iaulle abolit toutes les mesures d'e8ception
applicables au8 musulmans, il permet A tous l'acc@s au8 emplois civils et militaires, il $lar%it leur
repr$sentation au8 assembl$es locales" Camus veut plus, mais il n'oublie pas que la population
d'ori%ine franVaise en Al%$rie a massivement soutenu le r$%ime de Eichy qui revenait sur la
politique lib$rale du Front populaire en mati@re de rapports avec les pays de l',mpire" Eichy en
effet prenait radicalement le parti des colons contre les vell$it$s ind$pendantistes des indi%@nes
entendues par le %ouvernement *lum" ; L'esprit colon, $crit Camus, s'est tou'ours dress$ contre
toute innovation, m>me demand$e par la 'ustice la plus $l$mentaire ? 6((" 3449" A'outons sur le
mode syllo%istique & or Camus a tou'ours souhait$ les innovations, donc il ne soutient pas l'esprit
colon"
La d$faite de 'uin !-4 a pu l$%itimement donner des id$es au8 indi%@nes & le peuple
arabe, fier, scrupuleu8 sur l'honneur, soucieu8 de virilit$, $crit Camus, pourrait avoir envie de se
s$parer d'une nation vaincue" #e l'autre cXt$, cette m>me d$bTcle peut donner id$e au8 colons
d'en ra'outer dans la force pour compenser le presti%e perdu A cette $poque" 7efusant les risques
de surench@re ind$pendantiste et colonialiste, Camus souhaite pr$server la pai8 entre les deu8
peuples" 1our ce faire, il en appelle A plus de 'ustice, A de la %$n$rosit$, mais aussi, et surtout, A
l'$%alit$ entre les deu8 communaut$s" Mais l'Listoire va s'emballer"
I$n$alo%ie de la catastrophe
La Lib$ration fut une 'oie dans les rues de 1aris, mais $%alement dans le moindre villa%e
de France" Ce fut aussi une occasion d'all$%resse en Afrique du +ord" ,n Al%$rie, les indi%@nes
se s$paraient déj( en deu8 camps & les partisans d'une autonomie accompa%n$e d'un partenariat
avec la France et les nationalistes intransi%eants d$sireu8 d'obtenir l'ind$pendance par
l'insurrection avec l'appui de la Li%ue arabe r$cemment cr$$e" Les premiers souhaitent pour
; l'Al%$rie une r$publique autonome f$d$r$e A une r$publique franVaise r$nov$e ? J les seconds,
une Al%$rie al%$rienne coupant le cordon ombilical avec la France"
1our f>ter la Lib$ration et la capitulation allemande, les nationalistes mod$r$s sont
autoris$s par le %ouvernement %$n$ral A manifester dans la rue, A la condition de ne pas arborer
de drapeau al%$rien, de ne pas scander de slo%ans antifranVais, de ne pas >tre arm$s" Le / mai
!-43, le d$fil$ a lieu dans les diff$rentes villes d'Al%$rie U mais avec des drapeau8 et des slo%ans
politiques comme A )$tif oN, dans la foule, on voit le drapeau al%$rien et l'on peut lire sur des
calicots ; Eive l'Al%$rie libre et ind$pendante ?" Gn commissaire veut s'emparer du drapeau J la
police et quelques manifestants en viennent au8 mains J des coups de feu partent" On d$plore des
morts parmi les manifestants J une vin%taine d',urop$ens sont massacr$s dans les rues" Certains
de ces meurtres d',urop$ens semblent avoir $t$ pr$m$dit$s" Y cette heure, avec ce premier tir, on
peut dater le d$but de cette terrible %uerre civile que l'Listoire a baptis$ ; %uerre d'Al%$rie ?"
#es $meutes $clatent dans la petite Rabylie" Les manifestants en appellent au d'ihad" #es
fermes et des maisons foresti@res occup$es par des *lancs sont attaqu$es, les habitants sont
massacr$s, des femmes viol$es, des bTtiments pill$s" Y Iuelma, les m>mes actes de barbarie se
r$p@tent, on tranche les deu8 mains du secr$taire du parti communiste J des $meutiers encerclent
des villa%es J les populations europ$ennes se retranchent dans des forteresses de fortune avec
barbel$s $lectrifi$s, meurtri@res, herses renvers$es" Le nombre de victimes est consid$rable"
Le !! mai !-43, le %$n$ral de Iaulle, alors chef du %ouvernement franVais provisoire,
ordonne la r$pression" ,lle sera terrible" (l donne la troupe, mobilise l'arm$e" 7ien n'est $par%n$
au8 indi%@nes dans cette brutalit$ insi%ne & l'artillerie de la marine avec un croiseur et un contre5
torpilleur, les bombes de l'aviation qui rase des villa%es, l'infanterie avec les l$%ionnaires, les
spahis, les tirailleurs s$n$%alais, des soldats al%$riens, les balles et les obus des automitrailleuses
et des blind$s" Le sous5pr$fet arme une milice qui se d$chaWne" #es corps d'indi%@nes sont 'et$s
dans une fosse commune ou brSl$s dans des fours A chau8"
Le nombre de victimes reste probl$matique" )uivant qu'on se r$f@re A la police ou au8
nationalistes, on s'en doute, le bilan de toutes les e8actions de cette %uerre civile ma'ore ou
minore" L'histoire peut difficilement s'$crire en dehors des passions militantes, doctrinales,
id$olo%iques & le chiffre fonctionne comme un ar%ument de propa%ande" (l en va de l'ima%e et de
la l$%ende qui se construisent en diabolisant l'adversaire" (l faut un coupable barbare J il faut une
victime innocente et sacrificielle" Or, dans cette aventure tra%ique, il y eut &ar&arie dans les deu*
camps"
La r$pression %aulliste du massacre de )$tif fut sans conteste une barbarie d'Ftat" #ans
ses "émoires de uerre? Le salut, le %$n$ral de Iaulle consacre une seule li%ne A )$tif & ; ,n
Al%$rie, un commencement d'insurrection survenu dans le Constantinois et synchronis$ avec les
$meutes syriennes du mois de mai a $t$ $touff$ par le %ouverneur %$n$ral Chatai%neau ? 6/-5
/!9" Le fameu8 $touffement fit en effet des milliers de victimes & entre / et !3 morts du
cXt$ indi%@ne 6! !03 selon le %ouverneur, 43 selon l'Ftat al%$rien9, !: du cXt$ franVais" Les
incarc$rations furent nombreuses, dont Ferhat Abbas qui r$cuse alors l'usa%e de toute violence et,
A cette heure, inscrit encore son combat dans le cadre de la l$%alit$"
Y l'$poque, le 1arti communiste franVais fusti%e non pas la r$pression %aulliste, mais
l'insurrection al%$rienne D La lecture des num$ros du 'ournal L''umanité est e8tr>mement
$difiante D Comme d'habitude quand on lit vraiment, elle met A mal toute la l$%ende communiste
qui c$l@bre son en%a%ement au8 cXt$s des peuples en lutte et en faveur de la lib$ration des
populations colonis$es" Le 1CF votera les pouvoirs sp$ciau8 du %ouvernement franVais pour
mater la r$bellion al%$rienne le !2 mars !-30 & 433 voi8, dont !40 communistes, donnent en effet
au socialiste Iuy Mollet la possibilit$ de faire ce que bon lui semble, sans en r$f$rer A
l'Assembl$e nationale, pour entamer ce qui devient la %uerre d'Al%$rie" )oi8ante5seiOe d$put$s
ont vot$ contre U mais aucun communiste"
1our )$tif, L''umanité $crivit dans son $dition du !- mai !-43 & ; Ce qu'il faut, c'est
punir comme ils le m$ritent les tueurs hitl$riens _sic` ayant particip$ au8 $v$nements du / mai et
les chefs pseudo5nationalistes qui ont sciemment essay$ de tromper les masses musulmanes,
faisant ainsi le 'eu des cent sei%neurs dans leur tentative de rupture entre les populations
al%$riennes et le peuple de France" ? 1r$cisions, pour la bonne intelli%ence de ce te8te, que les
; tueurs hitl$riens ? sont les nationalistes al%$riens, et non la troupe envoy$e par de Iaulle qui, le
temps venu, aura lui aussi le droit A l'$pith@te infamante"
)$tif, ; un massacre al%$rien ?
Pue fait Albert Camus entre le / mai !-43 et le 22 mai, date officielle de la fin des
op$rations militaires Q U Les e8actions commises par la soldatesque m$tropolitaine continuent
cependant sporadiquement apr@s cette date" Camus, on s'en souvient, vit A 1aris et couvre la
lib$ration de la capitale pour Com&at" (l publie si8 articles entre le !: et le 2: mai" 1r$cisons que
la censure %aulliste fait son travail & ce qui s'est pass$ de l'autre cXt$ de la M$diterran$e ne fait pas
les %ros titres de la presse franVaise, les v$ritables informations manquent, les donn$es fiables
font d$faut, la propa%ande s'active de part et d'autre" Le $iaro parle de la disette comme cause
principale du d$but de l'insurrection J L''umanité, on l'a vu, d'un ; attentat fasciste ? J $rance8
Soir, d'un complot venu de l'$tran%er orchestr$ par Ferhat Abbas J La #ép/che alérienne,
d'; $meutes san%lantes ? J Aler répu&licain s'$l@ve contre les massacres, mais ces deu8 'ournau8
ne sont pas accessibles A 1aris oN il vit" L'auteur de "is3re dans la Va&ylie souscrit, dans un
premier temps, A la th@se de la mis@re comme cause des soul@vements"
Les articles parus dans Com&at proc@dent d'un voya%e effectu$ par Camus en Al%$rie
pendant trois semaines, le mois qui a pr$c$d$ les $v$nements" Leur lecture dans le 'ournal A la
date du !:5!4 mai ne doit donc pas faire illusion & quand ces papiers sont r$di%$s, )$tif n'a pas eu
lieu J quand ils paraissent, si" ,ntre les deu8, peu inform$, mal inform$, Camus mentionne tout de
m>me l'$v$nement dans quelques li%nes de pr$ambule" (%norant alors tout du d$tail de )$tif, il
refuse d'en parler comme d'une situation ; tra%ique ? et pr$f@re l'$pith@te ; s$rieuse ?"
Le te8te propose ensuite l'analyse de Camus A son retour de voya%e" On y lit ses
habituelles positions & ni pour les colons ni pour les nationalistes, mais pour une Al%$rie parta%$e,
fraternelle, dans laquelle il faut envisa%er un chan%ement de comportement des colons pour
obtenir une autre lo%ique cheO les nationalistes" Camus d$plore l'i%norance m$tropolitaine du
peuple arabe et sa d$valorisation & ; (l s'a%it au contraire d'un peuple de %randes traditions et dont
les vertus, pour peu qu'on veuille l'approcher sans pr$'u%$s, sont parmi les premi@res" Ce peuple
n'est pas inf$rieur, sinon par la condition de vie oN il se trouve, et nous avons des leVons A
prendre cheO lui, dans la mesure m>me oN il peut en prendre cheO nous ? 6(E" ::/9" 7$it$ration
des th@ses d$fendues depuis la Maison de la culture en !-:. & %randeur et %$nie m$diterran$en du
peuple al%$rien, leVons A prendre en Occident de ses traditions et de ses vertus, e8istence dans le
peloton de t>te de son e8cellence $thique, d$nonciation de ses conditions d'e8istence sociales,
mais aussi, affirmation d'une r$ciprocit$ $thique & Arabes et ,urop$ens ont mutuellement des
leVons A prendre" Pui, de bonne foi, peut lire dans ces li%nes de mai 43 6qui reprennent les th@ses
du discours d'inau%uration de la Maison de la culture le / f$vrier !-:.9 des th@ses colonialistes,
une pens$e de petit *lanc, l'id$olo%ie des futurs 'usqu'au5boutistes de l'OA) Q
#ans la note a'out$e dans un post5scriptum d'une diOaine de li%nes et qui int@%re une
r$fle8ion sur ce qu'il est convenu d$sormais d'appeler fort A propos les ; massacres de )$tif ?,
Camus d$plore que, sur la foi de rensei%nements impr$cis et d'informations inv$rifi$es, le 'ournal
$rance8Soir ait tort, concernant les ; troubles d'Al%$rie ? 6(E" ::-9, de rendre Ferhat Abbas
responsable en associant son nom au8 ; riches familles doriotistes _l` A la solde d'$l$ments
$tran%ers ? 6(E" !4:09" Puelles que soient les r$serves possibles sur ce militant nationaliste et son
mouvement des ; Amis du manifeste ?, Camus conclut & ; On ne r$%lera pas un si %rave
probl@me par des appels inconsid$r$s A une r$pression aveu%le ? 6(E" ::-9"
#ans le pr$liminaire A l'article du !:5!4 mai !-43, Camus parle de )$tif comme d'une
situation ; s$rieuse ? mais, dans le post5scriptum, d'un ; %rave probl@me ? et de ; troubles
d'Al%$rie ? U puis il d$plore la ; r$pression aveu%le ? de ces manifestations" #ans un deu*i3me
temps, Camus chan%e de vocabulaire & le !3 'uin !-43, soit trente5neuf 'ours plus tard, plus
inform$, mieu8 inform$, il parle alors du ; massacre al%$rien ? 6(E" :39 U non pas d'un massacre
en Al%$rie, mais d'un massacre alérien, autrement dit & entre Al%$riens" Camus disculpe Messali
Lad' tout autant que les oul$mas qui sont des r$formistes acquis A la politique d'assimilation
'usqu'en !-:/"
)i responsabilit$ il y a, cherchons5la dans ce que n'ont pas fait les %ouvernements
respectifs sur la question al%$rienne" La th@se de Camus est simple, il la soutient avant %uerre le
2/ aoSt !-:- dans sa d$fense de militants du 1arti populaire al%$rien arr>t$s par le pouvoir le
!4 'uillet de cette m>me ann$e & ; La mont$e du nationalisme al%$rien s'accomplit sur les
pers$cutions dont on le poursuit" ,t 'e puis dire sans parado8e que l'immense et profond cr$dit
que ce parti rencontre au'ourd'hui aupr@s des masses est tout entier l'Buvre des hauts
fonctionnaires de ce pays _l`" La seule faVon d'enrayer le nationalisme al%$rien, c'est de
supprimer l'in'ustice dont il est n$ ? 6(" .3!5.329" Apr@s les massacres de )$tif, Camus campe sur
ces positions"
Mais il sent bien que les chances de continuer A d$fendre cette th@se pacifiste, non
violente, raisonnable, rationnelle, en dehors de tout conte8te passionnel, s'amenuise de 'our en
'our, car )$tif 'oue un rXle mal$fique dans ce conte8te & la haine prend le pas sur une politique
d'apaisement" Camus $crit & ; Les massacres de Iuelma et de )$tif ont provoqu$ cheO les
FranVais d'Al%$rie un ressentiment profond et indi%n$" La r$pression qui a suivi a d$velopp$ dans
les masses arabes un sentiment de crainte et d'hostilit$" #ans ce climat, une action politique qui
serait A la fois ferme et d$mocratique voit diminuer ses chances de succ@s ? 6(E" :3!9" ,n !-43,
Camus y croit encore"
La Coussaint rou%e
+euf ans plus tard, le !
er
novembre !-34, les nationalistes d$clenchent une va%ue
d'attentats en Al%$rie & une trentaine d'attentats connus au'ourd'hui comme constituant la
; Coussaint rou%e ? marquent le d$but de la %uerre d'Al%$rie" Le Mouvement pour le triomphe
des libert$s d$mocratiques 6MCL#9 de Messali Lad' et l'Gnion d$mocratique du Manifeste
al%$rien 6G#MA9 de Ferhat Abbas, forment au printemps !-34 un Comit$ r$volutionnaire
d'union et d'action 6C7GA9, l'embryon du futur Front de lib$ration nationale 6FL+9 fond$ en
octobre !-34" Le C7GA d$cide de cette date symbolique, le jour des morts selon les chr$tiens,
pour d$clencher un bain de san%"
1armi les morts se trouve un instituteur, Iuy Monnerot, un 'eune homme venu avec son
$pouse pour instruire les enfants dans les villa%es les plus recul$s des Aur@s" )a femme et lui sont
fauch$s par une rafale de mitrailleuse, apr@s avoir $t$ descendus du bus conduit par un complice
des meurtriers" L'e8p$dition visait le ca]d Lad' )adoK" Le tir automatique n'$par%ne pas ceu8 qui
accompa%nent l'homme que )artre et *eauvoir transforment en ; collaborateur ? des FranVais, un
sous5homme ayant donc bien m$rit$ la rafale qui le supprime"
Le chauffeur demande que le corps du ca]d soit remis dans le car et conduit A la ville la
plus proche U car il s'a%it d'un musulman" ,n revanche, lui et les siens abandonnent l'instituteur
franVais et sa femme, chr$tiens, donc infid@les, sur le bas5cXt$ de la route, bai%nant dans leur
san%" Monnerot meurt de ses blessures J sa femme survit" La Coussaint rou%e fait sept morts U
dont deu8 musulmans" ,n direct du Caire, l'$mission de radio ; La voi8 des Arabes ? commente
ainsi l'$v$nement & ; Au'ourd'hui, cinqui@me 'our du mois de rabbi, correspondant au
!
er
novembre !-34, A une heure du matin, l'Al%$rie a commenc$ A vivre une vie di%ne et
honorable" Au'ourd'hui une puissante $lite d'enfants libres de l'Al%$rie a d$clench$ l'insurrection
de la libert$ al%$rienne contre l'imp$rialisme franVais en Afrique du +ord" ? *en *ella fait partie
de l'$tat5ma'or insurrectionnel bas$ en F%ypte" La %uerre d'Al%$rie a commenc$" #ans la di%nit$
et dans l'honneur Q
Condamn$s A vivre ensemble
Le FL+, qui redoute le succ@s manifeste de la politique franVaise en mati@re de
d$sarmement des membres de l'Arm$e de lib$ration nationale 6AL+9, la branche arm$e du FL+,
or%anise les massacres de 1hilippeville les 2 et 2! aoSt !-33" Le FL+ parie sur une strat$%ie de
non5retour et opte pour le massacre de civils innocents afin de radicaliser la situation" 1our ce
faire, il a mobilis$ plusieurs milliers de paysans arm$s de haches, de pioches, d'armes blanches,
pour les lancer A l'attaque d'une trentaine de villes et de villa%es afin de semer la terreur dans le
Constantinois d'abord, puis dans toute l'Al%$rie" #es 1ieds5noirs, des musulmans fid@les A la
m$tropole, des notables al%$riens mod$r$s ayant si%n$ un appel condamnant ; toute violence d'oN
qu'elle vienne ?, sont assassin$s, massacr$s, martyris$s" Gne enfant de quatre 'ours %Wt dans son
san%, $%or%$e et mutil$e" #i%nit$ et honneur Q
Avec la mort de cent soi8ante et onOe europ$ens, le FL+ entend en%a%er la France dans
une lo%ique de %uerre" Le massacre d'innocents doit s$parer d$finitivement les deu8
communaut$s" La r$pression franVaise est impitoyable J rafles de milliers de personnes,
enfermement dans un stade municipal transform$ en camp de prisonniers, massacre A la
mitrailleuse, enterrement au bulldoOer dans des fosses communes" ,n dehors des villes et
villa%es, les militaires franVais abattent des Al%$riens au hasard, brSlent des hameau8, d$truisent
le b$tail" #i%nit$ et honneur Q
Camus r$a%it A ce massacre dans sa Lettre ( un militant alérien & quoi qu'il en soit,
envers et contre tout d$fenseur de la raison et de l'intelli%ence, il refuse d'entrer dans le 'eu voulu
par le FL+ qui, pour des raisons id$olo%iques, militantes, %uerri@res, construit la l$%ende d'une
Al%$rie uniquement compos$e de deu8 clans & les riches colons blancs occidentau8 contre les
pauvres arabes musulmans, seuls ayant droit au titre d'Al%$riens" Or il e8iste de riches
propri$taires musulmans et nombre d',urop$ens modestes, sinon pauvres"
Camus $crit & ; Puatre5vin%t pour cent des FranVais d'Al%$rie ne sont pas des colons, mais
des salari$s ou des commerVants ? 6(E" :3-9" 1uis il a'oute que ces *lancs sont aussi e8ploit$s
par la m$tropole, que leurs statuts ne sont pas les m>mes, leurs droits non plus, ni leurs avanta%es
sociau8" )ont5ils les profiteurs de la colonisation Q )Srement pas" #@s lors, pas question que cette
ma'orit$ de petites %ens soit massacr$e pour une minorit$ de colons condamnables" 7appelons
que Camus parle dans L'1*press du 2! octobre !-33 du ; 'uste proc@s fait enfin cheO nous A la
politique de colonisation ? 6(E" :3-9"
Les coupables Q )elon Camus, ce sont moins les FranVais comme tels que les
%ouvernements franVais qui, depuis des ann$es, n'entendent pas les souffrances al%$riennes
pourtant d$nonc$es par ses soins depuis vin%t ann$es qu'il publie dans la presse & la France est
coupable d'avoir sabord$ le pro'et *lum5Eiollette J la France est coupable d'avoir fait la sourde
oreille au8 cris de mis@re et de pauvret$ venus d'Al%$rie J la France est coupable de la r$pression
de )$tif J la France est coupable d'avoir censur$ la presse sur ces massacres dans le
Constantinois J la France est coupable d'avoir profit$ $conomiquement de l'$conomie de ces
territoires d'outre5mer J la France est coupable d'avoir entretenu un r$%ime A deu8 vitesses de
citoyennet$ en Al%$rie J la France est coupable de n'avoir pas investi dans des $coles dans les
endroits les plus inaccessibles de l'Al%$rie J la France est coupable d'avoir consid$r$ comme des
esclaves les ouvriers immi%r$s venus si souvent de Rabylie J la France est coupable d'avoir fait
fonctionner une 'ustice de classe sur la terre al%$rienne J la France est coupable d'avoir oubli$
que, A trois reprises en trente ann$es, les Al%$riens ont combattu au8 cXt$s des soldats de la
m$tropole U !45!/, :-543 et (ndochine U, voilA pourquoi ; une %rande, une $clatante r$paration
doit >tre faite, selon moi, $crit5il, au peuple arabe" Mais par la France tout enti@re et non avec le
san% des FranVais d'Al%$rie ? 6(E" :0!9"
1ourtant, mal%r$ tout ces chefs d'accusation port$s par le philosophe, Camus l'$crit, le
pense, le croit, et l'affirme 'usqu'au bout & ; +ous sommes condamn$s A vivre ensemble ?
6(E" :3:9, $crit5il A son interlocuteur Ressous" )ur di8 millions d'habitants, la population
al%$rienne se compose d'un million de personnes issues de mis$reu8 venus d',urope il y a plus
d'un si@cle" Les neuf millions d'Arabes et le million d',urop$ens ont les uns et les autres droit A
vivre sur leur terre" Le san% n'est pas une solution" Camus veut le dialo%ue, encore le dialo%ue,
tou'ours le dialo%ue & chacun doit d$fendre le calme dans son propre camp" Cout recours A la
violence entraWne immanquablement une r$ponse violente & ne pas faire cesser l'en%rena%e des
violences, c'est aller vers tou'ours plus de violence, 'usqu'A la destruction des deu8 camps et
l'$puisement des peuples de cette terre al%$rienne"
Le philosophe en appelle A l'Ftat & on ne r$pond pas au terrorisme nationaliste al%$rien par
le terrorisme l$%al de l'Ftat franVais" La terreur n'est pas le rem@de A la terreur, mais sa nourriture"
Camus renvoie dos A dos les deu8 belli%$rants responsables A parts $%ales de l'$tat de fait" La
lame du couteau du militant du FL+ et les obus de la soldatesque m$tropolitaine ne r$solvent
rien" Le terrorisme nationaliste al%$rien fait des victimes civiles, il tue des enfants, des innocents,
il au%mente le racisme des colons radicau8, puis des *lancs qui se rallient pro%ressivement A leur
combat, il emp>che les lib$rau8 franVais de d$fendre la cause al%$rienne identifi$e A la brutalit$
san%uinaire, il fait douter de la maturit$ politique de ceu8 qui n'envisa%ent pas autre chose que le
san%, la violence, la brutalit$, le massacre U la barbarie" Puant au terrorisme $tatique
m$tropolitain, il entretient cette lo%ique du pire"
7etour A Al%er
L'assimilation a $chou$ U d'abord parce que rien n'a $t$ fait pour elle" Arabes et FranVais
disposent de deu8 personnalit$s s$par$es, il n'est plus question, d$sormais, de d$truire l'une ou
l'autre" (l faut reconnaWtre la personnalit$ arabe, $radiquer la mis@re arabe, supprimer la
discrimination des Arabes, arr>ter le d$racinement des Arabes, mais, en m>me temps, assurer le
droit A la s$curit$ des FranVais d'Al%$rie" Camus en appelle A une droite intelli%ente capable de
lutter contre l'in'ustice et l'inhumanit$ des traitements r$serv$s par le r$%ime colonial au8
musulmans J en m>me temps, il souhaite une %auche intelli%ente qui cesse de 'ustifier la violence"
,n attendant ce 'our hypoth$tique oN les deu8 sensibilit$s politiques renonceraient au pire qui les
caract$rise, Camus en appelle A l'humanit$ la plus $l$mentaire et souhaite que, de part et d'autre,
on $par%ne les populations civiles"
1artant du principe que, quoi qu'il arrive, cette %uerre se terminera un 'our, on ne peut
ima%iner que ce conflit d$bouche sur la destruction de la totalit$ des communaut$s al%$riennes ou
l'an$antissement de la population europ$enne, sinon l'e8il d'un million d',urop$ens vers un pays
n'ayant 'amais $t$ le leur" )ans pr$sumer des d$tails de la fin de cette %uerre civile, Camus ne
veut pas insulter l'avenir, il son%e déj( A l'apr@s" Le ! 'anvier !-30, il demande donc une tr>ve
pour les civils afin que les combats nationalistes et leur r$pression par l'Ftat franVais $par%nent
les femmes, les enfants, les vieillards, les innocents, et tous ceu8 qui n'ont rien fait pour >tre
$%or%$s par une lame FL+ ou abattus par les munitions d'une arme lourde m$tropolitaine"
Cet Appel pour une tr/+e ci+ile en Alérie est donc un moment prop$deutique A l'Listoire
car, ce qu'il faut viser, c'est la n$%ociation & la rencontre des parties prenantes, la discussion,
l'$chan%e, la parole pour remplacer les armes" Camus fait cette proposition de tr>ve A Al%er le
22 'anvier !-30" #es amis l'invitent A une conf$rence, il pr$f@re un bref e8pos$ suivi d'un d$bat"
La r$union ne peut >tre ouverte au public, Camus a reVu des lettres de menaces, il risque
l'a%ression, l'enl@vement ou la mort" Le Comit$ pour l'Appel A la tr>ve civile qui or%anise la
soir$e opte pour une r$union priv$e sur invitation" Mais de fau8 ticKets d'entr$e circulent"
Lors des r$unions pr$paratoires A cette soir$e, Camus s'enfonce dans le pessimisme & il lui
semble que son pays atteint un point de non5retour" Les uns et les autres ne voient plus que par la
violence & la violence coloniale, pr$sent$e comme responsable de la violence de la lib$ration
nationale J le terrorisme ind$pendantiste, l$%itim$ comme riposte au terrorisme $tatique" Le san%
vers$ par le FL+ se dit revanche du san% r$pandu par l'Ftat franVais" Y quoi bon parler encore Q
Puel sens rev>t cette soir$e qui appelle A la tr>ve alors que chacun hausse le ton et que Camus
risque d'>tre physiquement attaqu$ par les ultras du nationalisme al%$rien et les e8tr$mistes du
colonialisme m$tropolitain Q
Les or%anisateurs de cette r$union pour la tr>ve affichent donc en surface leur volont$ de
faire entendre le discours de pai8 d'Albert Camus, mais les musulmans A ses cXt$s dans les
coulisses sont en fait des militants du FL+" Le service d'ordre qui prot@%e Camus est celui du
FL+, il s'en aperVoit en entrevoyant l'$cusson d'un combattant sous le v>tement de l'un d'entre
eu8" 1ass$ le premier mouvement d'$tonnement, le philosophe se r$'ouit de pouvoir rencontrer
des militants du nationalisme al%$rien afin de pouvoir leur parler franchement" Mais pourquoi
ceu8 qui or%anisent clandestinement ces attentats qui tuent d$lib$r$ment des victimes civiles et
des enfants peuvent5ils en m/me temps vouloir cette r$union avec Camus qui appelle A une tr>ve
d@s lors destin$e au8 poubelles de l'Listoire Q Car, pendant qu'ils participent au Comit$ pour la
tr>ve, les militants du FL+ publient un communiqu$ qui d$savoue l'initiative de cette m>me
tr>ve" 1ourquoi Q )inon pour masquer la v$rit$ clandestine de ceu8 qui, quoi qu'il arrive, ont
d$cid$ d'aller 'usqu'au bout des massacres d'enfants et de victimes innocentes"
Les ultras de droite promettant de rendre cette r$union impossible, le FL+ a mobilis$ plus
de mille militants discr@tement arm$s pour s$curiser les alentours de la maison oN le philosophe
intervient, avec ordre d'$viter les incidents" #ehors, certains colons font le salut fasciste et crient
; Y mort Camus D ?" La place est noire de monde" #ans la salle, le cheiK ,l5OKbi 'adis d$fendu
par Camus, bien que malade, a tenu A venir sur une civi@re" Le philosophe le re'oint au fond de la
salle et s'accroupit pour l'embrasser" Ferhat Abbas arrive en retard" Camus parle, il s'arr>te, se
l@ve, et $treint le militant nationaliste" Fmotion dans la salle"
Pue dit5il dans cette intervention A haut risque Q Ce qu'il affirme depuis le d$but de cette
%uerre civile & refus de toute violence J appel au dialo%ue J respect de toutes les convictions J
appel A une tr>ve pour les civils J d$sir d'$par%ner des souffrances A tous les habitants d'Al%$rie J
revendication apolitique J inscription de son intervention dans la pure et simple lo%ique de la
cause humanitaire J invitation A ce que chacun se mette A la place de son adversaire pour
e8aminer sinc@rement ses raisons J condamnation de toute %uerre J c$l$bration de l'usa%e de la
raison J refus des surench@res de part et d'autre" Comment un >tre sain d'esprit peut5il refuser
pareil pro%ramme Q
(l fut refus$ par tous, la droite, la %auche, les nationalistes al%$riens, les colons europ$ens"
PuinOe 'ours plus tard, le socialiste Iuy Mollet, nouveau pr$sident du Conseil, arrive A Al%er" Ce
0 f$vrier !-30, les ultras de droite le criblent de tomates" Alors qu'il voulait nommer un
%ouverneur lib$ral, il chan%e d'avis et se d$cide pour un dur" #ans la foul$e, il refuse de donner
suite au8 demandes du Comit$ pour la tr>ve civile" )on ministre de la <ustice, un certain FranVois
Mitterrand, refuse quatre5vin%t pour cent des recours en %rTce qu'on lui propose & pendant les
seiOe mois qui suivent, il envoie A la %uillotine quarante5cinq nationalistes al%$riens"
Fvidemment, les attentas continuent"
Faire son m$tier de philosophe
Avant la )econde Iuerre mondiale 6d@s !-:.9, dans les ann$es qui suivent )$tif 6de !-43
A !-349, mais $%alement apr@s la Coussaint rou%e 6!-349 et les massacres de 1hilippeville 6!-339,
Camus croit tou'ours que la m$tropole doit mettre en Buvre une autre politique envers les
Al%$riens, mais ne surtout pas entrer dans l'en%rena%e de la violence, encore moins l'entretenir" (l
appelle tou'ours A des valeurs dont se moquent aussi bien les colons propri$taires que les
nationalistes, les uns voulant pr$server leurs acquis, leurs biens, leurs fortunes, leurs revenus,
sans aucun souci des autres qui souhaitent une Al%$rie diri%$e par leurs soins apr@s un bapt>me
dans des flots de san% humain" Ces deu8 communaut$s minoritaires se ha]ssent, mais elles ne sont
pas toute l'Al%$rie" Or Camus parle pour toute l'Al%$rie en appelant les colons A une mesure qui,
si elle devait faire d$faut, pourrait pr$cipiter la radicalisation des hommes de bonne volont$"
#@s lors, parler de 'ustice, d'humanit$, de pai8, de tol$rance, de di%nit$, de fraternit$,
d'honneur, de vertu, de morale, alors que les uns n'entendent que le lan%a%e des banquiers, des
boutiquiers, des marchands, des commerVants, des militaires, des policiers, des %ouverneurs, des
sous5pr$fets, et que les autres revendiquent de faVon obstin$e et na]ve l'ind$pendance d'une terre
comme seul et unique s$same susceptible de r$%ler tous leurs probl@mes, c'est aller au5devant des
d$convenues"
Mais c'est aussi faire son m$tier de philosophe dans un monde qui inau%ure, avec )artre,
une nouvelle fonction pour le vieu8 m$tier de sa%e ou de penseur & celui de renoncer A
l'intelli%ence et A la raison pour appeler A la ven%eance et A la haine, puis d'inviter A la %uerre
civile pour r$%ler les probl@mes avec les armes U mais dans la tranquillit$ de son bureau parisien"
)aint5Iermain5des51r$s comme quartier %$n$ral d'op$rations militaires A partir duquel on d$cide
d'envoyer les autres A la boucherie pour d$fendre son id$olo%ie concoct$e dans le confort
bour%eois de c$nacles, sinon pour construire son ima%e, entretenir sa l$%ende, voilA ce A quoi
Camus l'Al%$rien ne se r$soudra 'amais" (l ne se fera 'amais %$n$reu8 avec le san% d'autrui"
#ans ses Carnets de !-32 on lit & ; 1arvenus de l'esprit r$volutionnaire nouveau8 riches et
pharisiens de la 'ustice" )artre, l'homme et l'esprit, déloyal ? 6(E" !!409" Puelques mois apr@s la
mort de Camus, le m>me )artre $crit dans sa pr$face au8 #amnés de la terre de FrantO Fanon
cette terrible et c$l@bre phrase & ; (l faut tuer & abattre un ,urop$en c'est faire d'une pierre deu8
coups, supprimer en m>me temps un oppresseur et un opprim$ & restent un homme mort et un
homme libre J le survivant, pour la premi@re fois, sent un sol national sous la plante de ses
pieds ? 6Situations V, !/:9" Appeler au meurtre au nom de la nation, quelle $tran%e posture pour
un philosophe se voulant pro%ressiste D #@s qu'il parle sous un portrait de Mar8 ou de L$nine,
)artre est, au MM
e
si@cle, l'autre nom de #$roul@de"
Gne autre citation montre qu'en septembre !-0! )artre s'en prend encore A Camus, bien
que mort, en moquant ; le strip5tease de notre humanisme" Le voici tout nu, pas beau & ce n'$tait
qu'une id$olo%ie menteuse, l'e8quise 'ustification du pilla%e J ses tendresses et sa pr$ciosit$
cautionnaient nos a%ressions" (ls ont bonne mine, les non5violents & ni victimes ni bourreau8 D
Allons D )i vous n'>tes pas victimes, quand le %ouvernement que vous aveO pl$biscit$, quand
l'Arm$e oN vos 'eunes fr@res ont servi, sans h$sitation ni remords, ont entrepris un h%$nocidei,
vous >tes indubitablement des bourreau8 ? 6!/09"
Le #ictionnaire Sartre nous l'apprend, en !-30 le philosophe ; ne revendique pas encore
_sic` l'ind$pendance pour l'Al%$rie" ,n plus, A cette $poque, il se montre plutXt r$serv$ A l'$%ard
du Front de lib$ration nationale 6FL+9 conseillant A ses coll@%ues des %emps modernes de ne pas
aller trop loin dans leur soutien pour cette or%anisation, refl$tant ainsi probablement _sic`
l'influence du 1arti communiste franVais dont )artre est proche A ce moment5lA ? 6209" ,n
'uillet5aoSt !-3-, dans un entretien au 'ournal Vérité8Li&erté intitul$ ; <eunesse et %uerre
d'Al%$rie ?, )artre affirme & ; La %auche franVaise doit >tre solidaire avec le FL+" Leur sort est
d'ailleurs li$" La victoire du FL+ sera la victoire de la %auche ? 6Les .crits de Sartre, :309" )artre
n'entre donc dans la %uerre d'Al%$rie qu'au milieu de l'ann$e !-3-, soit vin%t ans apr@s "is3re
dans la Va&ylie, quatorOe ans apr@s )$tif, cinq ans apr@s la Coussaint rou%e, trois ans apr@s une
%uerre ayant dur$ huit ans"
La 'ustice des assassins
Apr@s l'affaire des tomates, Camus renonce A s'e8primer publiquement sur la question
al%$rienne" (l confie A <ean #aniel qu'il n'$crira plus rien sur ce su'et, ni dans L'1*press, ni
ailleurs" Y la date du - octobre !-33, le 'ournal de <ean Irenier rapporte cette conversation avec
Camus A propos de l'Al%$rie & ; Le soir, on sort arm$ dans la rue" Ma m@re est terrifi$e parce que,
dans son quartier de *elcourt l'autre soir, un commerVant arabe qui baissait son rideau de fer a $t$
poi%nard$ ? 6!0.9" ,n 'uillet !-3., il confie, tou'ours au m>me, que sa m@re reste cloWtr$e cheO
elle, qu'elle ne sort plus par peur de mourir $%or%$e ou tu$e par un en%in e8plosif 62:39"
,n mars !-30, ,mmanuel 7obl@s rend visite au philosophe qui lui r$v@le une pens$e
appel$e A commettre d'importants d$%Tts une fois e8ploit$e par les ennemis de Camus" 7obl@s
note d@s son retour & ; )i un terroriste 'ette une %renade au march$ de *elcourt que fr$quente ma
m@re et qu'il la tue, 'e serais responsable dans le cas oN, pour d$fendre la 'ustice, ''aurais
$%alement d$fendu le terrorisme" <'aime la 'ustice, mais ''aime aussi ma m@re ? 6Lottman, 3/09"
EoilA, on le comprend, le brouillon de la fameuse phrase prononc$e A )tocKholm le !4 d$cembre
!-3."
,ntre le silence d$cid$ en mars !-30 et la phrase du +obel de !-3., la %uerre civile
continue de plus belle" +otamment avec les attentats d'Al%er en septembre !-30 et le ; massacre
de MelouOa ? le 2/ mai !-3." #ans la pr$face A Actuelles 666? Chroniques alériennes 6r$di%$e en
mars5avril !-3/9, Camus d$nonce ; le terrorisme appliqu$ par le FL+ au8 civils franVais comme,
d'ailleurs, et dans une proportion plus %rande, au8 civils arabes ? 6(E" 2--5:9" Cette phrase
renvoie e8plicitement au8 moments de terreur de MelouOa et Al%er" C'est de cette ; 'ustice ?
terroriste, pr$tendue 'ustice, bien sSr, dont il est question dans la phrase qui concerne la 'ustice et
sa m@re & entre la 'ustice des assassins qui posent des bombes et sa m@re qui pourrait succomber A
cause de ces e8plosifs diss$min$s dans Al%er, Camus choisit sa m@re U au nom de la 'ustice, la
vraie, celle qui ne suppose pas l'in'ustice pour sa r$alisation"
MelouOa, 2/ mai !-3. & les combattants du FL+ entrent dans le villa%e qui abrite des
partisans du Mouvement national al%$rien 6M+A9 messaliste" #ans sa propa%ande, le FL+ se
pr$tend la seule, l'unique instance de lib$ration nationale" #e m>me, il pr$tend disposer du
soutien de la totalit$ du peuple al%$rien" Or il e8iste plusieurs tendances cheO les nationalistes, et
une %rande partie des Al%$riens n'a cure de l'ind$pendance nationale et souhaiterait tout
simplement de meilleures conditions de vie"
Le FL+ condamne un certain nombre de pratiques et les punit & fumer & neO coup$ J aller
au cin$ma & Bil crev$ J payer ses impXts A l'administration franVaise & main coup$e" (l interdit les
'eu8 de hasard, d'avoir des chiens, de porter des v>tements europ$ens, d'accepter des soins de
m$decins chr$tiens, de travailler cheO un ,urop$en" Puiconque trans%resse ces lois tribales et
musulmanes est abattu & les nationalistes $%or%ent leurs compatriotes al%$riens et fendent leur
visa%e d'une oreille l'autre pour obtenir ce qu'ils nomment le ; %rand sourire ?" 1arfois, ils se
contentent de mutiler en coupant le neO, les l@vres ou les mains" (l faudra sept ann$es de cette
barbarie pour terroriser suffisamment la population afin qu'elle se ran%e derri@re le seul FL+"
1endant les presque trois premi@res ann$es de la %uerre civile, entre la Coussaint rou%e de
novembre !-34 et les massacres de MelouOa de mai !-3., les rebelles tuent ! :3 ,urop$ens" 1t
U PLC musulmans 61ierre Laffont, 4249"
MelouOa fait partie de ce dispositif visant A assurer l'h$%$monie du FL+ & le FL+ encercle
le villa%e, rassemble la population sur la place" Ces Al%$riens coupables de sympathies envers le
M+A sont conduits par les Al%$riens du FL+ dans un hameau A pro8imit$ et sont massacr$s A
coups de pioche, de couteau, de hache et autres armes blanches" Ce 'our5lA, :: habitants sont
massacr$s" ,n Al%$rie et en France, les seuls a99rontements entre mem&res du "2A et du $L2
9eront AO OOO morts et 2: bless$s 6*en'amin )tora, !!39"
Amateur de di%nit$ et d'honneur, on s'en souvient, le FL+ r$di%e un communiqu$ pour
attribuer ce massacre au8 autorit$s franVaises" #ans le te8te du tract, le Front de lib$ration
nationale parle d'une population ; sauva%ement assassin$e ?" (l affirme $%alement & ; )i ce
carna%e s'inscrit normalement dans la lon%ue liste des crimes collectifs or%anis$s avec
pr$m$ditation et e8$cut$s froidement par l'arm$e franVaise dite de paci9ication, il d$passe de
beaucoup ce qu'un esprit sain peut ima%iner ? U en effet" Le FL+ conclut son tract en s'adressant
; solennellement A la conscience universelle pour proclamer A la face du monde civilis$ son
indi%nation devant la sauva%erie de cette tuerie dont seule l'arm$e franVaise assume l'enti@re
responsabilit$ ?" ,n septembre !--!, dans Les Années alériennes, un documentaire de *en'amin
)tora, le colonel Mohamed )a]d reconnaWt avoir donn$ l'ordre d'e8$cuter les villa%eois de
MelouOa" <ustice Q <ustice, disent les assassins J 'ustice, disent les sartriens"
La 'ustice s$lective
Camus r$cuse toute id$e de 'ustice s$lective & il constate que d'aucuns critiquent l'usa%e
effectu$ par les militaires franVais de la torture en Al%$rie mais, en m>me temps, il constate qu'ils
; ont tr@s bien di%$r$ MelouOa ? 6(E" :9 et se taisent sur le su'et" On son%e en effet au8 d$bats
qui accueillent la parution de La Fuestion d'Lenri Alle% en mars !-3/, au moment oN Camus
r$di%e sa pr$face A Actuelles 666" Certes, il faut d$noncer la torture de l'arm$e franVaise, mais
comment peut5on en m>me temps 'ustifier les massacres nationalistes al%$riens U comme le font
Alle%, <eanson, )artre et les sartriens, puis les porteurs de valises Q
Albert Camus critique les deu8 terreurs & celle du tortionnaire franVais, celle du poseur de
bombe al%$rien" Les malveillants qui lui ont reproch$ son silence sur la torture montrent qu'ils ne
l'ont pas lu" #ans Actuelles 666 il $crit en effet sur ce su'et & ; Celle5ci a peut5>tre permis de
retrouver trente bombes, au pri8 d'un certain honneur, mais elle a suscit$ du m>me coup
cinquante terroristes nouveau8 qui, op$rant autrement et ailleurs, feront mourir plus d'innocents
encore ? 6(E" 2--9" 1eut5on >tre plus clair dans sa condamnation Q
Les attentats du FL+ et la ; Puestion ? de l'arm$e franVaise constituent l'avers et le revers
d'une m>me m$daille nihiliste U et Camus, on le sait, refuse le nihilisme" (l ne croit pas possible
de lutter contre le nihilisme avec des armes nihilistes" EoilA pourquoi les cent cinquante attentats
qui ensan%lantent Al%er entre 'uin et aoSt !-30 J voilA pourquoi les bombes pos$es par des
femmes le 20 'anvier !-3. au ; MilK *ar ? 6deu8 morts, une soi8antaine de bless$s, douOe
personnes amput$es, dont des enfants, un de huit ans, trois de douOe ans, un de treiOe ans9, au
; Coq hardi ? 6cinq morts, soi8ante bless$s9, A ; L'Otomatic ? ou au ; Mauretania ? oN la char%e
n'a pas e8plos$ J voilA pourquoi la bombe pos$e au stade municipal qui tue di8 personnes et en
blesse des centaines d'autres le ! f$vrier !-3. J et tous ces actes terroristes qui occasionnent la
mort de 2 civils europ$ens et al%$riens et blessent 2! innocents ne sauraient recevoir la
b$n$diction de Camus, pas plus que l'usa%e de la %$%@ne, le supplice de l'eau, les brSlures de
ci%arettes, les s$vices se8uels commis par l'arm$e franVaise"
L'Listoire retient le nom du math$maticien communiste Maurice Audin, victime
embl$matique des tortures de l'arm$e franVaise, et c'est heureu8 J mais qui peut donner A brSle5
pourpoint le patronyme d'une seule des victimes innocentes des attentats du FL+ Q 1ersonne
n'i%nore les noms de Massu, *i%eard ou Aussaresses J mais qui se souvient de #aniele Minne,
[ahia Rerfallah, [oubida Fadila, #'amila *ouaOOa qui d$pos@rent les bombes dans les caf$s
d'Al%er Q Camus ne d$fend ni les uns ni les autres, il ne pratique pas la 'ustice s$lective et ne
souscrit pas A la justice 9ran0aise de la torture ou A la justice nationaliste des massacres" #@s lors,
il aura contre lui les tueurs et leurs amis des deu8 bords qui n'ima%inent pas qu'on puisse
revendiquer une justice juste"
1enser le terrorisme
Avec Les Justes, Camus a pens$ le terrorisme d@s !-3" ,n f$vrier, lors de la parution du
te8te, le bandeau annonVait, d$'A, ; Cerreur et 'ustice ?" Apr@s %uerre, Camus $crivait & ; La
violence est A la fois in$vitable et in'ustifiable" <e crois qu'il faut lui %arder son caract@re
e8ceptionnel et la resserrer dans les limites qu'on peut ? 6((" 34.9" 1arce qu'il a $t$ r$sistant, le
philosophe sait impossible de camper sur des positions strictement ir$nistes et d$cr$ter mauvaises
toutes les violences, d'oN qu'elles viennent" +ombre de pacifistes radicau8 rescap$s de la
1remi@re Iuerre mondiale avaient dit ; 1lus 'amais Va ?" 1uis ils s'$taient retrouv$s devant de
%raves dilemmes face A la mont$e des p$rils en ,urope, l'arriv$e de Litler au pouvoir et la
d$claration d'une )econde Iuerre mondiale" #'aucuns se sont 'et$s dans les bras du mar$chal
1$tain, d'autres ont franchement collabor$" #ans son 'ournal in$dit, Alain souhaite la d$faite du
%$n$ral de Iaulle et la victoire de Litler U sous pr$te8te que ce dernier aime son peuple" Certains
anarchistes pacifistes comme Louis Lecoin, futur ami de Camus, passent la dur$e des hostilit$s en
prison" 1endant que tels ou tels, peintre comme L$%er, po@te comme *reton, artiste comme
#uchamp, philosophe comme Maritain, professeur de philosophie comme Royr$, ethnolo%ue
comme L$vi5)trauss, $crivain comme <ulien Ireen, musicien comme Milhaud, s'installent A +eZ
eorK"
Camus propose donc une di$t$tique de la violence" L''omme ré+olté permet de savoir ce
que Camus pense du terrorisme d'Ftat J Les Justes, du terrorisme individuel" Le philosophe a
document$ sa pi@ce de th$Ttre avec l'anarchiste +icolas LaOarevitch, un collaborateur de la
publication libertaire La Re+ue prolétarienne" (l cr$e avec lui les Iroupes de liaison
internationale afin de venir en aide au8 victimes des totalitarismes" LaOarevitch a colli%$ les
te8tes d'une antholo%ie sur les nihilistes russes publi$e sous le titre %u peu* tuer cet homme U
cheO Iallimard, dans la collection ; ,spoir ? diri%$e par Camus"
La pi@ce de th$Ttre tourne autour d'un personna%e ayant vraiment e8ist$ dans la 7ussie de
!-3 et qui incarne le terroriste U dans la pi@ce & )tepan Fedorov, un ancien ba%nard" Cet homme
ne s'aime pas et n'aime pas les autres au8quels il pr$f@re son id$al r$volutionnaire" 1oseur de
bombes, il dit & ; <e n'aime pas la vie, mais la 'ustice qui est au5dessus de la vie ? 6(((" !!9" C'est,
sans avoir eu le temps de le pr$ciser dans sa r$ponse, cette justice au8dessus de la +ie que Camus
refuse A )tocKholm & cette 'ustice in'uste de ceu8 qui, ce 'our r$el, tuent et massacrent en son nom
sous pr$te8te d'abolir, un 'our tr@s hypoth$tique, toute in'ustice" Puand il tue un homme, il
pr$tend ne pas tuer un homme, mais supprimer le despotisme qui est en lui" (l croit dur comme
fer qu'il faut frapper le peuple pour le bien du peuple" (l i%nore les limites & rien n'est interdit de
ce qui sert la cause" (l d$fend le meurtre des enfants en affirmant qu'un enfant tu$, ici, c'est cent
enfants $par%n$s, ailleurs, enfants qui, de toute faVon, seraient morts de faim si l'on n'avait pas
supprim$ l'un d'entre eu8"
Le terroriste russe donne la mort, tue, massacre, pose des bombes, fait des victimes, mais
refuse qu'on le prenne pour un criminel & il se veut un combattant r$volutionnaire" 7appelons5
nous la rencontre d'Ali la 1ointe et de eaasef )aadi, les patrons du FL+ al%$rois, des )tepan
Fedorov dans leur %enre, avec Iermaine Cillion, un dialo%ue rapport$ par Camus dans ses
Carnets" Les nationalistes al%$riens disent A leur interlocutrice & ; Mais vous nous preneO pour
des assassins" ? 7$ponse de Iermaine Cillion & ; Mais vous >tes des assassins ? 6(E" !2039 " Le
terroriste ne veut pas parta%er sa cellule avec des prisonniers de droit commun, il e8i%e le statut
de prisonnier politique, puisqu'il tue pour le bien du peuple et l'av@nement de la 'ustice sur terre"
Gn autre terroriste propose une autre vision de la cause r$volutionnaire et de l'usa%e de la
terreur" Camus ne cache pas sa pr$f$rence et sa sympathie pour celui5lA U (van Raliayev dans la
pi@ce" (van croit au8 limites & on ne peut pas tout pour la cause" Ainsi, la mort d'un enfant ne se
'ustifie pas, on ne saurait sacrifier un innocent sans devenir soi5m>me coupable et sans salir son
pro'et d'une tache ind$l$bile" (van aime la vie, il ch$rit une femme, #ora" (l refuse qu'on
commette une in'ustice pour r$aliser la 'ustice, qu'on tue pour r$aliser un monde dans lequel on
ne tuerait plus, qu'on massacre pour faire advenir un monde qui i%norerait pour tou'ours le
massacre" (van veut aimer les hommes ici et maintenant et non ceu8 qui viendront dans trois ou
quatre %$n$rations" Massacrer les enfants, c'est renoncer A l'honneur, et l'honneur, c'est ; la
derni@re richesse du pauvre ? 6(((" 2:9 U or la r$volution ne peut faire l'$conomie de l'honneur"
#ans un Ajout au pri3re d'insérer pour la comédie de l'1st r$di%$ en !-33, autrement dit
un an apr@s le d$but de la %uerre d'Al%$rie, Camus pr$sente cette pi@ce et $crit & ; La 'ustice
d'au'ourd'hui sert d'alibi au8 assassins de toute 'ustice ? 6(((" 3/9" Cette phrase r$apparaWt dans la
pr$face A l'$dition am$ricaine de Caliula et trois autres pi3ces" LA aussi, lA encore, on comprend
que, pour lui, la justice ré+olutionnaire n'est pas la 'ustice et qu'A cette parodie de 'ustice il
pr$f@re sa m3re qui incarne l'innocence" #ans les rues d'Al%er, et pour le bien de la vieille femme,
)tepan tuerait la m@re de Camus J Raliayev, non" Faut5il insister Q Le couple )tepan Fedorov j
(van Raliayev au th$Ttre se nomme <ean51aul )artre j Albert Camus A la ville"
L'art de ne pas lire
)ur la question al%$rienne, Camus a $t$ sali, souill$, macul$, i%nor$, vilipend$, critiqu$,
caricatur$, ridiculis$, m$pris$" Mais il e8iste une autre faVon de d$truire une pens$e qu'on ne veut
pas entendre, discuter, e8aminer & l'i%norer" Camus a $t$ i%nor$ A chacune de ses propositions
positives au8quelles on a pr$f$r$ les analyses critiques ou n$%atives" ,n !-3, dans Actuelles?
Chroniques AMNN8AMNT, un livre qui, pour une %rande part, rassemble les chroniques de Com&at,
on a vu le 'ournaliste commentant la Lib$ration ou l'$puration J mais on ne s'est pas arr>t$ sur le
libertaire d$fenseur d'une r$volution postnationale de %auche dans le cadre d'une f$d$ration
europ$enne, puis d'un %ouvernement mondial avec $lections plan$taires" ,n !-3!, dans L''omme
ré+olté, on a mis en e8er%ue la critique du totalitarisme sovi$tique, de la reli%ion mar8iste, du
messianisme et du proph$tisme r$volutionnaire J mais on a i%nor$ sa proposition d'une positivit$
anarcho5syndicaliste pour les combats contemporains et A venir" ,n !-3:, dans Actuelles 66?
Chroniques AMNT8AMLP, on a souli%n$ le combat anticommuniste, on a moqu$ le plaidoyer pro
domo d'un homme condamn$ par l'intelli%entsia parisienne, donc franVaise, on a %los$ sur une
pr$tendue na]vet$ de boy5scout parce qu'il parlait morale dans un petit monde qui s'en moquait J
mais on a pass$ sous silence la revendication du li%na%e baKouninien et l'inscription de sa pens$e
et de son action dans le cadre d'un socialisme anti5autoritaire" ,n !-3/, avec Actuelles 666?
Chroniques alériennes @AMPM8AMLTB, on a sti%matis$ son refus de s'en%a%er pour la cause
nationaliste, on a moqu$ sa critique du terrorisme comme l'effet d'un moraliste na]f et d'une belle
Tme, on a ri de son appel A la tr>ve pr$sent$ comme preuve de son incapacit$ A comprendre
l'Listoire, on a fait de sa pens$e une s$cr$tion coloniale J mais on n'a 'amais pris soin d'e8aminer
sa double proposition du douar5commune et d'une f$d$ration entre les peuples habitant la terre
al%$rienne et la terre m$tropolitaine U d@s lors, on a tu la positivit$ libertaire des solutions
apport$es par Camus pour aller au5delA du statu quo colonialiste ou de la r$volution nationale
ind$pendantiste al%$rienne et musulmane" Or Camus fut subtil et %rand dans une positivit$
syst$miquement mise sous le boisseau par les intellectuels parisiens"
Gne pens$e postcoloniale
La pr$face A Actuelles 666 le dit & ; Le temps des colonialismes est fini, il faut le savoir
seulement et en tirer les cons$quences ? 6(E" :29" Camus le sait, l'a vu, l'a dit et $crit depuis
!-:. & si le temps colonial, c'est celui de l'e8ploitation des indi%@nes par les m$tropolitains, en
effet, ce temps5lA est r$volu" #ans l'Buvre compl@te de Camus, y compris dans sa correspondance
oN se manifeste sa pens$e intime, on ne trouve aucun mot pour 'ustifier cette e8ploitation de
l'homme par l'homme" Au contraire, il en a d$nonc$ les m$canismes et montr$ combien la
paup$risation proc$dait des lo%iques du r$%ime colonial"
,n dehors des militants, la %rande ma'orit$ des Al%$riens n'ont 'amais souhait$
massivement l'ind$pendance avant que le FL+, par son r$%ime de terreur, ne la leur fasse vouloir"
Camus faisait partie de l'Al%$rie d'en bas, celle qui vivait de son travail et n'e8ploitait personne
pour %a%ner son pain" )es parents travaillaient au service de propri$taires blancs & oN $taient les
colons Q Camus ne pense pas selon les termes de l'imp$rialisme en opposant colonisateurs blancs
et colonis$s indi%@nes, mais selon les cat$%ories du socialisme libertaire" #@s lors, il n'oppose pas
le chr$tien, le 'uif et le musulman, le *lanc et le +oir, l'Arabe et l',urop$en, mais celui qui a du
pouvoir et celui qui n'en a pas, en s'installant tou'ours du cXt$ de ceu8 qui subissent"
On peut le voir d'ailleurs dans ses actions discr@tes en faveur des militants du FL+ pour
lesquels il se bat dans l'ombre afin de leur $viter la %uillotine ou d'obtenir leur lib$ration" 1ar
e8emple, le 4 d$cembre !-3., il intervient aupr@s du pr$sident de la cour d'assises de la )eine
pour qu'on ne tranche pas le cou de *en )adoK qui, le 20 mai !-3., dans les tribunes du match de
foot de la Coupe de France, assassine l'ancien pr$sident de l'Assembl$e al%$rienne coupable de
vouloir maintenir le lien entre l'Al%$rie et la m$tropole" #ans sa lettre au pr$sident, Camus
souhaite qu'on ne donne pas de publicit$ A sa d$marche afin d'$viter une e8ploitation politique,
car il a%it mS par deu8 convictions & lutter contre toute peine de mort et travailler au8 chances de
la pai8 A venir"
Camus sait donc le colonialisme termin$ et la n$cessit$ d'envisa%er autre chose" Y quoi Q
Les nationalistes al%$riens pensent en termes occidentau8 & un Ftat ind$pendant, une nation
souveraine, un hymne martial, un drapeau flambant neuf, une constitution pleine de bonnes
intentions 'uridiques, une police O$l$e, une arm$e au8 ordres, des prisons sur lesquelles flotte la
nouvelle oriflamme, une %uillotine nationale, des services secrets performants, un personnel
politique se servant de l'Ftat plus qu'il ne le servirait, un ordre moral soutenu par les principes de
l'islam, etc" Camus libertaire peut5il se satisfaire de ce %enre de pr$tendues solutions appel$es A
constituer bien plutXt de nouveau8 probl@mes Q +on, bien sSr"
Le FL+ pense avec les cat$%ories franVaises h$rit$es de !./- & une r$volution 'acobine,
centralis$e, un pouvoir fort concentr$ dans une capitale, un m$pris des solutions %irondines et
libertaires, d$centralis$es, f$d$ralistes, qui laissent une place au8 diff$rences et ne souhaitent pas
les abolir en imposant une lan%ue unique, une seule reli%ion, une faVon d'>tre et de faire, mais
permettent A chacun de conserver sa sp$cificit$ lin%uistique, cultuelle, spirituelle, e8istentielle,
r$%ionale, provinciale" Louis ME(, 7obespierre et le FL+, incarnent une seule et m>me faVon de
concevoir le pouvoir de l'Ftat" La 7$volution franVaise 'acobine a produit +apol$on et l',mpire J
elle %$n@re $%alement le pro'et politique du FL+"
Fid@le A son %oSt pour le f$d$ralisme %irondin et les solutions libertaires proudhoniennes,
Camus pense l'avenir de l'Al%$rie dans un cadre postnational que ne peuvent comprendre ni les
militants du FL+ ni ceu8 qui les soutiennent, parce que tous se perVoivent dans le cadre 'acobin
et l$niniste de l'Ftat fort et tout5puissant, avec pour bras arm$ l'avant5%arde dite $clair$e
mobilis$e sur le mode paramilitaire" M>me les ultras de l'Al%$rie franVaise, les colons blancs, les
riches propri$taires, pensent selon le sch$ma 'acobin de l'Ftat centralisateur fort et tout5puissant,
$crasant les diff$rences au nom d'une unit$ nationale qui lisse la diversit$ U puis la d$truit"
Le contrat f$d$raliste
Camus ne veut pas prendre le parti des *lancs europ$ens contre les indi%@nes musulmans,
ou l'inverse & il veut que, et les *lancs europ$ens, et les indi%@nes musulmans, parta%ent une
m>me terre en vertu d'un contrat politique radicalement nouveau" ,n France, penser en dehors
des cadres, de l'ordre binaire et des sch$mas dominants s'av@re presque impossible" 1r$f$rer la
v$rit$ qui coSte A la l$%ende qui s$curise n'est pas dans les habitudes de l'intelli%entsia parisienne
toute A sa fabrication des mytholo%ies avec lesquelles la pens$e renonce A son e8ercice au profit
de la croyance et de la foi" #ans un monde intellectuel parisien, autoritaire, monta%nard,
mar8iste, l$niniste, Camus africain, libertaire, %irondin, proudhonien, f$d$raliste n'avait aucune
chance de se faire entendre U voire aucune chance d'>tre lu, donc compris"
1ourtant, Camus a clairement propos$ un plan, une solution, une issue au8 impasses
brutales et violentes" #ans la conclusion de l'avant5propos d'Actuelles 666, il e8plique son souhait
empirique et pratique, concret et pacifique, r$aliste et tan%ible & ; Gne Al%$rie constitu$e par des
peuplements f$d$r$s, et reli$e A la France, me paraWt pr$f$rable, sans comparaison possible au
re%ard de la simple 'ustice, A une Al%$rie reli$e A un empire d'(slam qui ne r$aliserait A l'intention
des peuples arabes qu'une addition de mis@res et de souffrances et qui arracherait le peuple
franVais d'Al%$rie A sa patrie naturelle ? 6(E" :39" +ous sommes en mars5avril !-3/"
Ce pro'et f$d$raliste, la]c et pra%matique s'oppose au souhait du FL+ nationaliste,
reli%ieu8 et id$olo%ique" 7appelons que l'; Appel au peuple al%$rien ? du FL+ dat$ du
!
er
novembre !-34, 'our du d$but de la %uerre civile, souhaite ; un Ftat al%$rien souverain ?
inscrit ; dans le cadre des principes islamiques ? et ; dans le cadre arabo5musulman ?" #@s lors,
pas question pour les nationalistes al%$riens d'une f$d$ration de communaut$s soud$e par le
principe de la]cit$ et respectueuses de la diversit$ cosmopolite du pays" Libertaire, Camus ne
souhaite pas un Ftat th$olo%ique arabo5musulman, mais une conf$d$ration la]que de populations
multiples"
Le Camus d'apr@s %uerre veut l'abolition des fronti@res en ,urope J pourquoi le Camus
contemporain de la %uerre civile en Al%$rie militerait5il pour la cr$ation de nouvelles
fronti@res dans son pays Q F$d$raliste il est sur les ruines fumantes de l',urope postnaOie,
f$d$raliste il demeure sur les d$combres d'une Al%$rie embras$e par les attentats nationalistes" (l
ne saurait, sans volte5face intellectuelle, aspirer A un %ouvernement mondial par les peuples et
vouloir en m>me temps au%menter le nombre des %ouvernements nationau8" Lui qui d$sire un
parlement universel des peuples et des $lections plan$taires, comment pourrait5il vouloir la
cr$ation de nouvelles nations en sachant tout ce que porte le nationalisme de violence,
d'intol$rance A ce qui n'est pas lui Q L'auteur des Lettres ( un ami allemand a tout dit de ce qu'il
pensait des nationalismes & ils sont fauteurs de %uerres" ,n !-3/, l'Al%$rie en feu lui donne une
fois de plus raison"
Avec les anarchistes
Pui $crit ceci Q ; (l serait parado8al que les anarchistes, qui d$noncent les fronti@res
comme des r$alit$s ha]ssables, approuvent sans r$serve des id$olo%ies dont l'ob'et est d'en cr$er
de nouvelles" (l serait parado8al que les anarchistes, qui d$noncent les m$faits de l'emprise
reli%ieuse, approuvent sans r$serve l'action d'hommes dont il est notoire qu'ils sont inf$od$s A un
esprit reli%ieu8 proche du fanatisme" (l serait parado8al que les anarchistes, qui d$noncent toutes
les formes de l'e8ploitation, approuvent sans r$serve une lutte dont le r$sultat sera de hlib$reri le
prol$tariat indi%@ne de l'e8ploitation des ,urop$ens pour le livrer A celle de sa propre bour%eoisie"
_l` 1euples nord5africains D Eous aveO raison de vous insur%er contre ceu8 qui vous
asservissent" Mais vous aveO tort de le faire sous l'$%ide d'un nationalisme et d'un fanatisme
reli%ieu8 %$n$rateur de nouvelles servitudes ? Q L'anarchiste Maurice Fayolle, dans un article
intitul$ ; Les fruits de la col@re ? publi$ par Le "onde li&ertaire en d$cembre !-34"
Pui $crit ceci Q ; On ne voit absolument pas pourquoi l'$%alit$ absolue des droits
politiques et civiques ne pourrait pas >tre conquise par les Al%$riens de souche arabo5berb@re
dans les cadres 6provisoires9 de la nationalit$ franVaise, ni comment une fronti@re de plus U un
Ftat de plus avec le Coran pour base et l'arabe pour lan%ue officielle U serait un pro%r@s pour di8
millions d'habitants du Ma%hreb, qui, pour autant qu'ils lisent et $crivent, m>me sur le ton du
nationalisme int$%ral, le font au'ourd'hui en franVais ? Q L'anarchiste Andr$ 1rudhommeau8, dans
Le "onde li&ertaire de novembre !-33"
Pui $crit ceci Q ; L'anarchisme tend A la lib$ration de tous les hommes, quelle que soit la
classe ou la nation A laquelle ils appartiennent J or, cette lib$ration ne saurait avoir lieu, ni par
l'interm$diaire de la classe, ni par celle de la nation" _l` Comme la %uerre des nations, la %uerre
des classes divise perp$tuellement l'humanit$ en vainqueurs et vaincus, les premiers 'ouissant de
leur triomphe, les autres %uettant leur revanche" _l` (l r$sulte de ce qui pr$c@de que l'anarchisme
ne saurait s'identifier A aucune cause nationale ou classiste _l`" 1ar lA m>me, l'anarchisme sera
amen$ A re'eter les scories de la tradition %aribaldienne5maOOinienne et de la tradition mar8iste
6c'est5A5dire d'une part le principe des nationalit$s et de l'autre la dialectique des classes,
consid$r$s comme facteurs r$volutionnaires universels9 et il leur substituera le principe de
l'individualit$, en lutte contre toutes les nations et toutes les classes qui l'oppriment en tant
qu'elles tendent A r$duire l'homme au FranVais ou A l'Allemand, au Capitaliste, au 1rol$taire ou
autres abstractions sociolo%iques ? Q Le m>me anarchiste Andr$ 1rudhommeau8 dans le m>me
"onde li&ertaire d'octobre !-30"
Pui $crit ceci Q ; (l y a une cause fondamentale & les membres du FL+ combattent au nom
du nationalisme al%$rien" Le but fondamental du I17A est l'$tablissement d'un Ftat al%$rien
ind$pendant" _l` Les cadres issus de l'insurrection et les poss$dants auront pour premi@re tTche
de constituer un %ouvernement, une arm$e, une police et de se choisir un hymne, un drapeau
_l` J peut5on parler de r$volution Q ? Q Les anarchistes anonymes, auteurs du tract du Iroupe
)$bastien5Faure de *ordeau8 6)ylvain *oullouque, -!9 en mai !-3/"
Pui $crit ceci Q ; +ous sommes contre le colonialisme, contre la %uerre d'Al%$rie _l`"
+ous sommes d$cid$s A faire tout ce que nous pouvons contre la %uerre et le colonialisme, mais
ne nous demandeO pas de nous en%a%er A aider l'arm$e al%$rienne ? Q Le militant anarchiste 1aul
Lapeyre, un coiffeur auteur de Fu'est8ce que le syndicalisme ré+olutionnaire K, un te8te de !-:.,
qui s'e8prime en con%r@s, une intervention reprise dans le )ulletin intérieur de la 9édération
anarchiste en 'uillet !-0"
Pui $crit ceci Q ; La solution r$side dans la coe8istence fraternelle de deu8 collectivit$s et
dans l'association de l'Al%$rie et de la France et avec le plus %rand nombre possible de pays
susceptibles de l'aider dans l'$conomie et la pratique de la libert$ ? Q L'anarchiste Iaston Leval
qui a bataill$ contre Camus lors de la parution de L''omme ré+olté et qui s'e8prime dans les
Cahiers du socialisme li&ertaire en octobre !-0"
Pui $crit ceci Q & ; <e suis contre la %uerre, contre toutes les %uerres & nationales,
d'ind$pendance, civiles ou de lib$ration" <e suis contre la violence or%anis$e quelle qu'elle soit,
d'oN quelle vienne" <e suis pour la non5violence J cela ne veut pas dire r$sistance passive mais
pour une r$sistance active avec tout ce que cela implique dans un combat d'action non violente,
contre les oppresseurs et les e8ploiteurs"
; Pue m'importe alors le drapeau sous lequel s'or%anise la croisade %uerri@re et militaire"
)ans doute certains souriront en s'ima%inant les r$sultats inefficaces qu'un tel comportement peut
impliquer" Avant de 'u%er qu'ils relisent les $crits des principau8 th$oriciens anarchistes,
r$volutionnaires, syndicalistes" <e suis certain qu'ils trouveront cheO eu8 tout l'ensei%nement qu'ils
se devraient d'utiliser A bon escient" On pourrait y apporter quelques corrections de d$tail, vu les
r$alit$s pr$sentes J le pacifisme et l'action de la r$sistance non violente n'en sortiraient que
fortifi$es"
; ,n effet, depuis plus d'un demi5si@cle, les %r@ves, les insurrections, les r$volutions,
toutes ces batailles sans lendemain, ont montr$ l'inanit$ de la violence dans l'$mancipation d'une
soci$t$ en marche vers la libert$" La violence, c'est l'autorit$, et quelle autorit$" _l` (l serait trop
facile d'accr$diter la %uerre, sous le fallacieu8 pr$te8te de %uerre d'ind$pendance" Y ce compte5lA,
les bellicistes auraient beau 'eu J A chaque fois, de telles %uerres seraient lou$es et 'ustifiables ?"
1uis & ; ,ntre cette d$mocratie franVaise et ce %ouvernement d'ind$pendance nationale, mon
choi8 est impossible, car, pour moi l'$quivoque des ob'ectifs reste constant" Alors pourquoi
choisirais5'e un camp plutXt que l'autre, 'e n'$prouve point l'envie ? Q L'anarchiste Lem #ay, dans
$reedom le . 'anvier !-0!"
Camus s'inscrit dans cette %alerie d'anarchistes que la %uerre, le terrorisme, le
nationalisme, le militarisme, le patriotisme, la torture ne sauraient convaincre" Pue ces lo%iques
soient mises au service de la cause ind$pendantiste al%$rienne ou d'une autre, elles ne sont 'amais
d$fendables A ses yeu8" (l croit au8 r$volutions qui $conomisent le san%, l'assassinat, la torture,
l'e8termination" Le combat qu'il m@ne contre la brutalit$ sovi$tique se poursuit dans celui qu'il
conduit contre les e8actions du FL+ et de l'arm$e franVaise"
Camus l'Africain
1renons au s$rieu8 cette affirmation du descendant d'une famille qui arrive en Al%$rie
vers !/:, de l'arri@re5petit5fils d'un homme n$ A Al%er en !/3, du fils d'un p@re n$ A Ouled
Fayet en !//3 et d'une m@re n$e A *irKhadem en !//2, de l'enfant du quartier *elcourt, de
l'$colier de la rue Aumerat, de l'adolescent du Irand Lyc$e de *ab ,l Oued, du 'eune homme
h$doniste des pla%es de Cipasa, de l'$crivain d$butant d'Al%er qui s'e8prime ainsi au d$tour d'une
conversation avec un 'ournaliste %rec & ; Ftant africain du +ord et non pas europ$en ? 6(((" !05
!.9" Camus est africain"
Certes, la colonisation a $t$ brutale, violente, %uerri@re, militaire, san%lante U et
ind$fendable" Mais elle a eu lieu en !/:" Puid de ceu8 qui descendent de ceu85lA apr@s trois ou
quatre %$n$rations Q )ont5ils franVais, alors qu'ils n'ont 'amais mis les pieds en m$tropole Q Ou
al%$riens, alors que d'autres, e8hibant une pr$sence plus ancienne, leur chicanent le droit de se
dire d'ici Q Y partir de quand est5on d'un lieu quand les siens y habitent depuis plus d'un si@cle Q
Y la Coussaint rou%e, la famille de Camus habite, vit et travaille en Al%$rie depuis cent vin%t5
quatre ans" ,st5il encore un $tran%er Q
#ans Le Premier 'omme, A la faveur d'un chapitre intitul$ ; Mondovi & La colonisation et
le p@re ?, Camus raconte l'arriv$e en Al%$rie de Puarante5huitards A qui la Constituante a vot$
des cr$dits pour financer une e8p$dition parce qu'ils cr@vent de mis@re en France A cause du
chXma%e" #es colons Q #es pauvres, des affam$s croyant A l',ldorado, des %ens venus des
banlieues crasseuses et mis$rables de 1aris" Le %ouvernement r$volutionnaire promet A chacun
une habitation et un peu de terre A cultiver, entre deu8 et di8 hectares" PuinOe mille hommes
partent en di85sept convois de p$niches tract$es par des chevau8 de hala%e, accompa%n$es par la
fanfare municipale, b$nies par les cur$s" )ur le bateau, un drapeau porte le nom du villa%e encore
ine8istant que vont bTtir ces pauvres h@res" Cinq semaines de bateau8 A roue dans les cales, avec
la crasse, le vomi, le froid, la faim, l'odeur de fumier" (ls arrivent dans un pays hostile avec les
moustiques et le soleil accablant, les mar$ca%es et les pluies interminables" ,nsuite vient le
chol$ra qui emporte une diOaine de personnes par 'our" Les deu8 tiers des $mi%rants meurent"
1lus tXt, A 1aris, la monarchie louis5philipparde ramasse les enfants abandonn$s, elle embarque
$%alement des chXmeurs et des prostitu$es au8quels elle fait miroiter un futur de r>ve" Les voilA
ces fameu8 colons D Certes, la colonisation, il eSt mieu8 valu qu'elle n'eSt pas lieu, mais elle avait
eu lieu D Fallait5il la faire payer cher cinq %$n$rations plus tard Q Oui, dit )artre" Ou penser les
choses autrement Q *ien sSr, affirme l'auteur de 2oces ( %ipasa"
Camus l'Africain pense l'Al%$rie du plus loin qu'elle vient et cherche ce qui pourrait
constituer son identit$" ,st5elle e8clusivement arabo5musulmane, comme l'affirment les
nationalistes d$sireu8 d'un li%na%e monolithique Q Ou bien Kal$idoscopique, multiple,
cosmopolitique, comme le pense Camus Q La l$%ende nationale a tou'ours besoin de se cr$er des
anc>tres d$cr$t$s %$n$alo%iques, mais tou'ours au d$triment de l'histoire v$ritable satur$e d'un
divers vivant et %rouillant de peuplades"
Al%$rien Q )i l'on veut, mais aussi et surtout africain" Camus se veut, se vit, se croit et se
dit africain" #ans un te8te intitul$ 2otre ami Ro&l3s, il $crit & ; L'Afrique commence au8
1yr$n$es ? 6(E" 0!09" Car, qu'est5ce que l'Al%$rie, sinon un point de rencontre, un creuset, un lieu
de m$lan%es Q Le nationaliste al%$rien Ferhat Abbas disait & ; <'ai beau scruter, interro%er les
cimeti@res al%$riens, nulle part 'e ne trouve trace de la nation al%$rienne" ? ,n effet, si l'on
demande A l'histoire ; qui peut >tre dit al%$rien Q ?, elle r$pond & une communaut$ ma'oritaire de
musulmans, certes, mais qui descendent des Maures espa%nols, de Rabylie ou de *erb$rie
islamis$es, de l',mpire ottoman 6Ir@ce et Curquie9, mais $%alement une communaut$
d',urop$ens, certains venus d'Alsace5Lorraine pour fuir l'occupation allemande, d'autres de
)uisse, mais $%alement des Corses, des Maltais, des )ardes, des Apuliens 6venus des 1ouilles9,
des Andalous, des Ma'orquins, des Minorquins, des (biOiens, des 1almesans 61alma9, des (taliens"
#es 'uifs $%alement pr$sents dans le pays depuis trois mille ans, d'autres arriv$s de Livourne
apr@s la 7econquista chr$tienne des territoires musulmans en ,spa%ne et au 1ortu%al"
EoilA pourquoi Camus peut $crire & ; )i bien dispos$ qu'on soit envers la revendication
arabe, on doit cependant reconnaWtre qu'en ce qui concerne l'Al%$rie, l'ind$pendance nationale est
une formule passionnelle" (l n'y a 'amais eu encore de nation al%$rienne" Les <uifs, les Curcs, les
Irecs, les (taliens, les *erb@res, auraient autant de droit A r$clamer la direction de cette nation
virtuelle" Actuellement, les Arabes ne forment pas A eu8 seuls toute l'Al%$rie" L'importance et
l'anciennet$ du peuplement franVais, en particulier, suffisent A cr$er un probl@me qui ne peut se
comparer A rien dans l'Listoire" Les FranVais d'Al%$rie sont, eu8 aussi, et au sens fort du terme,
des indi%@nes ? 6(E" :/-9" ON l'on retrouve le combat des Iirondins d$fenseurs des provinces
contre les <acobins de l'Ftat centralisateur, niveleur et destructeur d'identit$s r$%ionales"
Chan%er d'imp$rialisme Q
La revendication nationaliste al%$rienne ne se r$sume pas au d$sir de construire une
nation de plus, car, en effet, avec son succ@s, il faudrait compter avec un ,mpire de plus & celui
du panarabisme" Camus sait qu'en soutenant le FL+, l'F%ypte de +asser et l'G7)) 'ouent la carte
de l'anti5occidentalisme" ,n effet, des armes venues de 7ussie sovi$tique et destin$es A l'Arm$e
de lib$ration nationale al%$rienne sont intercept$es le 24 octobre sur un car%o $%yptien qui
transporte soi8ante5di8 tonnes d'armes tch@ques pour les maquis al%$riens" La eou%oslavie de
Cito, la Cch$coslovaquie et la Lon%rie sovi$tis$es soutiennent $%alement le FL+, mais aussi la
Chine de Mao, le Eietnam communiste" A'outons A ces compa%nonna%es, l',spa%ne franquiste &
le Caudillo soutient en effet la Li%ue arabe depuis sa cr$ation en !-43 afin d'asseoir son r$%ime
dans les relations internationales" Certes, la France socialiste et coloniale de Iuy Mollet pouvait
bien >tre critiqu$e en mati@re de d$mocratie, de r$publique et de droits de l'homme, mais
sSrement pas par ces pays totalitaires D L',mpire colonial franVais critiqu$ au nom d'un ,mpire
panarabe Q )i l'on veut, mais pas au nom de la 'ustice et de la libert$"
Camus ne souhaite pas au%menter le nombre des Ftats, encore moins celui des empires"
)a solution se veut innovante, in$dite et inhabituelle dans le paysa%e politique franVais issu du
'acobinisme" Apr@s avoir $crit ; l'@re du colonialisme est termin$ ? 6(E" :-9 Camus propose
autre chose & ; ,n Afrique du +ord comme en France, nous avons A inventer de nouvelles
formules et A ra'eunir nos m$thodes si nous voulons que l'avenir ait encore un sens pour nous ?
6(E" ::-9" +ouvelles formules, nouvelles m$thodes"
Gn testament politique
Fid@le au8 propositions f$d$ralistes faites apr@s la lib$ration des camps pour sortir de la
)econde Iuerre mondiale, Camus souhaite A nouveau donner sa chance au8 peuples avec un
r$%ime de ; libre association ? 6(E" :-!9 susceptible de %$n$rer ; une structure f$d$rale franVaise
qui r$alisera le v$ritable CommonZealth franVais ? 6(E" :-:9" Le mot ; CommonZealth ? est
important" 1n AMLT, choisi e8plicitement par Camus qui en connaWt le sens et le poids, ce terme
e8prime une position politique tr@s claire"
Pu'est5ce que le CommonZealth Q ,n an%lais, il si%nifie communauté" #ans l'Listoire, il
qualifie, au 7oyaume5Gni, l'association d'Ftats ind$pendants r$unissant les anciennes colonies et
l'ancien royaume" La plupart des pays reconnaissent la 7eine comme souveraine, elle est
repr$sent$e sur place par un %ouverneur au pouvoir uniquement symbolique" Le #ictionnaire
culturel en lanue 9ran0aise d'Alain 7ey donne cette d$finition d'un mot entr$ dans le
dictionnaire en !-4/ & ; ,nsemble des Ftats et territoires $mancip$s de l'ancien ,mpire
britannique, li$s entre eu8 par le seul serment d'all$%eance A la Couronne britannique" ? On aura
bien lu & territoires émancipés"
Cette proposition constitue le testament politique d'Albert Camus" ,lle se trouve dans un
te8te intitul$ Alérie AMLT, en conclusion A Actuelles 666, dans trois pa%es ayant pour titre
; L'Al%$rie nouvelle ?" Camus propose la f$d$ration comme seule forme permettant A diff$rentes
communaut$s de vivre ensemble en pai8 sur une m>me terre" (l renvoie A la Conf$d$ration
helv$tique, mais pour pr$ciser les limites de cette comparaison & en )uisse, les diff$rentes
communaut$s vivent dans des r$%ions s$par$es J en Al%$rie, de multiples populations vivent
imbriqu$es sur une m>me terre" 1as question de fondre et de lisser, de faire disparaWtre les
diff$rences A unir"
Cette f$d$ration permettrait de respecter les particularit$s arabes et europ$ennes, 'uives,
chr$tiennes et musulmanes, puis d'associer les deu8 plus %randes populations A la %estion de leurs
int$r>ts" #ans un premier temps, et selon un scrutin proportionnel, deu8 sections seraient cr$$es
au parlement franVais & une m$tropolitaine avec des $lus m$tropolitains et franVais d'outre5mer,
une autre avec des musulmans de statut coranique qui d$battrait des questions propres au8
musulmans" 7$unies, ces deu8 chambres d$lib$reraient de ce qui rel@ve des deu8 communaut$s J
s$par$es, elles s'occuperaient chacune de leurs probl@mes"
#ans un second temps, apr@s le moment n$cessaire A la r$conciliation et le roda%e du
m$canisme, Camus envisa%e une suite in$dite & ; ,n effet, contrairement A tous nos usa%es,
contrairement surtout au8 pr$'u%$s solides h$rit$s de la 7$volution franVaise, nous aurions
consacr$ au sein de la r$publique deu8 cat$%ories de citoyens $%ales, mais distinctes" #e ce point
de vue, il s'a%it d'une sorte de r$volution contre le r$%ime de centralisation et d'individualisme
abstrait, issu de !./-, et qui, A tant d'$%ards, m$rite A son tour le titre d'Ancien 7$%ime ?
6(E" :-:9" Fid@le A l'esprit de la 7$volution franVaise, le philosophe applique les principes de
!./- A la 7$volution franVaise 'acobine pour lui substituer l'autre 7$volution franVaise & la
%irondine"
Ce CommonZealth franVais concernerait les autres pays du Ma%hreb et les pays d'Afrique
noire" Gne assembl$e r$%ionale al%$rienne d$ciderait de l'Al%$rie pendant que la f$d$ration qui
comprendrait cette r$%ion disposerait du pouvoir l$%islatif concernant l'arm$e et les affaires
$tran%@res" Ce %ouvernement f$d$ral serait $lu par les ressortissants de chaque r$%ion" *ien sSr,
cette association a vocation A inventer un nouveau rapport avec les institutions europ$ennes
au8quelles Camus a d$'A consacr$ de nombreuses pa%es" Y partir de l'Al%$rie, par capillarit$, +ia
la m$tropole, puis le Ma%hreb et l'Afrique, puis l',urope f$d$r$e et f$d$rale, Camus boucle son
pro'et politique & un monde sans fronti@res nationales et nationalistes, mais avec des contrats, des
f$d$rations, des associations, des coop$rations, des mutualisations U tout l'arsenal politique
proudhonien" Camus souhaite le triomphe de cette id$e en Al%$rie afin de sauver ce qui peut
encore l'>tre"
Le r>ve qu'il poursuivait en !-:., A l'$poque de l'inau%uration la Maison de la culture A
Al%er, de faire de l'Al%$rie un pays solaire qui donnerait une leVon de vie A l',urope nocturne qui,
elle5m>me r$nov$e, chauff$e A blanc par un soleil politique nietOsch$en, irradierait la plan@te
enti@re, reste d'actualit$" #ans l'attente de cette aurore A venir, le philosophe conclut & ; C'est le
dernier avertissement que puisse formuler, avant de se taire A nouveau, un $crivain vou$, depuis
vin%t ans, au service de l'Al%$rie ? 6(E" :-49" )on appel ne fut pas entendu U alorsil se tut?
!0 ! !-3.
Le !0 octobre !-3., Camus d$'eune dans un restaurant oN il apprend que le +obel vient
de lui >tre d$cern$" La presse couvre le philosophe d'insultes" #$tails inutiles" Le pri8 est remis
en )u@de le ! d$cembre" Camus $chan%e des lettres avec son ami 7o%er Martin du Iard, laur$at
en !-:. & il s'inqui@te du protocole, la rencontre du roi et de la reine, les habits A porter lors du
discours, puis, pour la soir$e, les usa%es de l'$tiquette" Y cette occasion, peut5>tre s'est5il souvenu
que sa m@re, A qui il avait dit en !-3! avoir $t$ invit$ A rencontrer le pr$sident Eincent Auriol,
mais n'y $tait pas all$, lui avait r$pondu & ; Cu as bien fait, mon fils" Ce ne sont pas des %ens pour
nous ? 6Lottman, 3:9" Le %amin du quartier de *elcourt reVu par le souverain su$dois pour >tre
distin%u$ par l'Acad$mie +obel, voilA de quoi stresser un Camus d$'A $puis$"
#ans ses Carnets !-3., il note & ; !. octobre" +obel" Ftran%e sentiment d'accablement et
de m$lancolie" Y vin%t ans, pauvre et nu, ''ai connu la vraie %loire" Ma m@re" ? 6(E" !2009"
Comment lire et comprendre ce & ; Ma m@re ? Q )uivent une s$rie de notes sur des crises
d'$touffement a%%rav$es par des paniques claustrophobiques, des crises d'effroi, plusieurs
minutes d'impression de folie totale, des $puisements et des tremblements, des an%oisses
interminables pendant la nuit, un redoublement de son an8i$t$" Le +obel, sa m@re, l'an%oisse"
Le 'eudi !2 d$cembre !-3., A la Maison des $tudiants de )tocKholm, Camus accepte une
rencontre plutXt qu'une conf$rence" (l r$pond A toutes les questions, m>me s'il n'aime pas
improviser U ses rares interventions radiodiffus$es et t$l$vis$es sont soi%neusement $crites,
apprises, puis r$cit$es" #'oN leur manque de spontan$it$" Comme un 'oueur de tennis contraint de
reprendre A la vol$e, il r$pond A des questions sur le cin$ma, l'ob'ection de conscience, la peine
de mort, la libert$ d'opinion et celle de la presse, la sociolo%ie des $tudiants A l'universit$ d'Al%er"
Gn 'eune Al%$rien d'une trentaine d'ann$es %rimpe sur sc@ne" #ans la salle, des acolytes
l'accompa%nent" (l tend un doi%t accusateur vers le philosophe et lui dit & ; Eous aveO si%n$
beaucoup de p$titions pour les pays de l',st mais 'amais, depuis trois ans, vous n'aveO rien fait
pour l'Al%$rie ? 6Codd, 0--9" (l parle, parle, parle" )on intervention n'en finit pas" (l conclut en
proclamant & ; L'Al%$rie sera libre D ?, puis il redescend dans la salle et consulte sa bande"
1r$cisons d'abord que trois ann$es en amont correspondent A l'ann$e !-34" Or, pendant
ces trois fois douOe mois, Camus publie quatorOe chroniques consacr$es A l'Al%$rie dans
L'1*press, son ; Appel pour la tr>ve civile ? et un autre te8te d$fendant la m>me th@se parus dans
#emain, puis deu8 articles publi$s par Le "onde le : mai !-30 et les 453 'uin !-30" )oit un total
de di85huit papiers sur ce su'et" )ans parler des interventions discr@tes ou des rendeO5vous priv$s
U Camus rencontre par e8emple Mohamed Leb'aoui, le chef clandestin du FL+ en m$tropole, il
d$'eune avec lui d'un couscous dans un restaurant parisien" )on interlocuteur constate qu'il avait
$volu$, et qu'une entente aurait $t$ possible entre le philosophe et le FL+" ,n quittant la table du
Lo%%ar, Camus lui prend le bras, lui donne son adresse et dit & ; Ma maison est A vous" Eous
pouveO vous y r$fu%ier quand bon vous semblera ? 6Lottman, 09"
Le 'eune homme revient sur sc@ne apr@s avoir discut$ bri@vement avec les siens" (l
reprend la parole" Camus r$pond & ; <e me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne si%nifie pas
que ''aie cess$ d'a%ir" <'ai $t$ et 'e suis tou'ours partisan d'une Al%$rie 'uste, oN les deu8
populations doivent vivre en pai8 et dans l'$%alit$" <'ai dit et r$p$t$ qu'il fallait faire 'ustice au
peuple al%$rien et lui accorder un r$%ime pleinement d$mocratique, 'usqu'A ce que la haine de
part et d'autre soit devenue telle qu'il n'appartenait plus A un intellectuel d'intervenir, ses
d$clarations risquant d'a%%raver la terreur" (l m'a sembl$ que mieu8 vaut attendre 'usqu'au
moment propice d'unir au lieu de diviser" <e puis vous assurer cependant que vous aveO des
camarades en vie au'ourd'hui %rTce A des actions que vous ne connaisseO pas" C'est avec une
certaine r$pu%nance que 'e donne ainsi mes raisons en public" <'ai tou'ours condamn$ la terreur"
<e dois condamner aussi un terrorisme qui s'e8erce aveu%l$ment, dans les rues d'Al%er par
e8emple, et qui un 'our peut frapper ma m@re ou ma famille" <e crois A la 'ustice, mais 'e
d$fendrai ma m@re avant la 'ustice ? 6Codd, .9" Cette derni@re phrase va tuer Camus U mais il
ne le sait pas encore"
La 'ustice, donc sa m@re
1our qui comprend le franVais, a lu Camus, connaWt sa pens$e concernant la %uerre civile
en Al%$rie, n'i%nore rien de tous ses combats men$s depuis !-:. en faveur de la 'ustice et contre
l'in'ustice, le sens de cette phrase ne fait aucun doute & il faut entendre s'il 9aut choisir entre la
justice des terroristes et ma m3re qui pourrait mourir de cette prétendue justice, je choisis ma
m3re et les miens" Mais l'occasion est trop belle d'a'uster le tir pour ses nombreu8 ennemis"
A%ress$, fati%u$, fra%ile, $puis$, nerveu8, le Camus qui improvise sur tous les su'ets, r$pond A
des questions sottes, 'oue le 'eu, pour offrir le plaisir d'une rencontre A des $tudiants, formule
comme on formule A l'oral, sans trop de pr$cautions th$oriques ou oratoires, en sachant que
l'auditeur saisira ce que le verbe permet de comprendre quand on le met en relation avec la
pens$e pr$cise d'un philosophe l'ayant consi%n$e par $crit U une pens$e v$rifiable dans ses te8tes
et dans sa vie" Camus d$fenseur de la 'ustice pr$sent$ comme un Camus se moquant de la 'ustice,
A 1aris pareille aubaine ne repasserait pas D
Le 'ournaliste e8$cuteur des basses Buvres travaille pour Le "onde" (l se pr$cipite sur le
t$l$phone et contacte sa r$daction" Le patron du 'ournal, Lubert *euve5M$ry, se fait confirmer
l'information" <ubilation du directeur e8cit$ par le san% & ; <'$tais tout A fait certain que Camus
dirait des conneries ? 6Codd, .9 dit5il" 61r$cisons, pour information, que *euve5M$ry fut
directeur de l'Fcole d'Gria%e dans la France p$tainiste de !-45!-4! & cette institution fournissait
des cadres au8 chantiers de 'eunesse de Eichy" ,n !-4!, dans un article publi$ par 1sprit, la
revue personnaliste chr$tienne, Ré+olutions nationales, ré+olution humaine, *euve5M$ry $crit &
; (l faut A la r$volution un chef, des cadres, des troupes, une foi, ou un mythe" La r$volution
nationale a son chef et, %rTce a lui, les %randes li%nes de sa doctrine" Mais elle cherche ses
cadres" ? EoilA pourquoi *euve5M$ry fit don de sa personne A la cause, avant, comme beaucoup,
de comprendre en !-42 qu'au re%ard du cours de l'Listoire, la 7$sistance offrait de meilleures
perspectives de carri@re" (l devient directeur du "onde le !/ d$cembre !-449"
Le directeur du "onde tient donc l'occasion de salir Camus lA m>me oN il est le plus
irr$prochable & son combat pour la 'ustice" Les 'ournau8 'ubilent & le voilA donc, le philosophe de
la 'ustice D Finalement, il lui pr$f@re sa m@re et les siens U autrement dit & les ,urop$ens, les
*lancs, les colons, les 1ieds5noirs, les e8ploiteurs D Le san% vers$, les lecteurs affluent, le 'ournal
reVoit des lettres de lecteurs indi%n$s, $tonn$s, suffoqu$s" La direction propose A Camus un
entretien, un article pour une mise au point & il refuse" 1robablement pour rester fid@le A son vBu
de silence sur la question al%$rienne" )a fid$lit$ pr$cipite son calvaire"
)imone de *eauvoir, qui $crit la l$%ende de )artre et sculpte la statue de son %rand
homme en sacrifiant toute v$rit$ A leur mytholo%ie, donne la version parisienne, donc franVaise,
donc europ$enne, donc mondiale, de l'$v$nement" ,lle $crit dans La $orce des choses & ; #evant
un vaste public, Camus d$clarera & h<'aime la 'ustice, mais 'e d$fendrai ma m@re avant la 'usticei,
ce qui revenait A se ran%er du cXt$ des 1ieds5noirs" La supercherie, c'est qu'il fei%nait en m>me
temps de se tenir au5dessus de la m>l$e, fournissant ainsi une caution A ceu8 qui souhaitaient
concilier cette %uerre et ses m$thodes avec l'humanisme bour%eois ? 6409"
C'est dans le m>me livre que la lib$ration de )artre de son )tala% en avril !-4!,
probablement %rTce A l'intervention du pronaOi #rieu la 7ochelle, devient une $vasion J que la
participation de )artre A la revue collaborationniste Com>dia pendant la %uerre est pr$sent$e
comme une erreur commise une seule fois, en !-4! 6*eauvoir, 4-/9, alors que le philosophe
participe A un 'ury du 'ournal en septembre !-4: et qu'il y $crit encore le 3 f$vrier !-44 pour y
faire l'$lo%e fun@bre d'un Iiraudou8 ayant c$l$br$ les vertus du 7eich naOi J et autres v$rit$s
concernant la 7$sistance du fameu8 couple"
Camus paie pour sa rectitude, sa droiture, la 'ustesse de ses combats, il paie pour son
honn>tet$, sa passion pour la v$rit$, il paie pour avoir $t$ r$sistant A l'heure oN beaucoup
r$sistaient si peu, il paie pour ses succ@s, ses formidables ventes de livres, il paie pour son talent,
il paie pour son +obel, bien sSr, il paie pour n'>tre pas corruptible, il paie pour n'avoir pas eu
besoin de mentir en traVant son chemin droit, il paie pour sa 'eunesse, sa beaut$, son succ@s
aupr@s des femmes, il paie parce que sa vie philosophique $tait un reproche A l'e8istence de tant
de faussaires, il paie la fid$lit$ A son enfance, au milieu des petites %ens dont il vient, il paie de
n'avoir rien trahi ni vendu, il paie d'>tre un fils de pauvre entr$ par effraction dans le monde
%ermanopratin des %ens bien n$s, il paie d'avoir choisi la 'ustice, la libert$ et le peuple dans un
univers d'intellectuels fascin$s par la violence, la brutalit$ et les id$es, il paie d'>tre un
autodidacte ayant r$ussi, il paie parce que enfant d'une m@re illettr$e, il n'aurait 'amais dS $crire
les livres que se r$servaient les $lus bien n$s, il paie parce que le ressentiment, l'envie, la haine, la
'alousie font la loi U A 1aris plus qu'ailleurs puisque le pouvoir s'y trouve et que les 7asti%nac s'y
donnent rendeO5vous" C'est pourquoi, pour con'urer l'e8il europ$en et retrouver un peu du
royaume m$diterran$en, il avait achet$ une maison A Lourmarin en septembre !-3/ pour s'y laver
des miasmes de la capitale" C'est entre Lourmarin et 1aris que la mort le surprend le 4 'anvier
!-0"
Crois post5scriptum
Premier post8scriptum & cet accident de voiture fatal l'emp>cha de voir comment se
termine cette %uerre civile en Al%$rie" (l ne sut pas que l'arm$e franVaise avait lar%u$ du napalm
sur des villa%es al%$riens, que le terrorisme s'$tait %$n$ralis$ et avec lui la torture des soldats
disposant de l'accord tacite du %$n$ral de Iaulle, que de nouveau8 massacres eurent lieu en
quantit$" (l i%nora que, le !. octobre !-0!, la police franVaise assassina entre deu* cents et trois
cents Alériens qui manifestaient pacifiquement contre l'obli%ation pour eu8 de se soumettre au
couvre5feu" Alors que la manifestation se d$roulait dans le calme, le pr$fet de police Maurice
1apon, soutenu tacitement par le %$n$ral de Iaulle, fit tirer dans la foule" #es arrestations, des
emprisonnements, des tortures, des disparitions eurent lieu en masse dont la )eine charria les
cadavres pendant des semaines" #'aucuns furent renvoy$s en Al%$rie"
Le philosophe n'eut pas A connaWtre la cr$ation de l'OA) le !! f$vrier !-02" Cette
or%anisation de l'arm$e secr@te s'est illustr$e dans une politique de la terre brSl$e" ,lle ne fut pas
en reste de barbarie elle non plus" On lui doit deu8 attentats au domicile parisien de <ean51aul
)artre, le !
er
novembre !-0! et le . 'anvier !-02 et un autre A *our%5la57eine, cheO Malrau8, un
attentat qui blessa %ri@vement une petite fille de quatre ans" ,n quelques mois, ces 'usqu'au5
boutistes de la haine firent plus de deu* mille morts et cinq mille +ictimes? )i%nature de cette
en%eance & la destruction d'$coles et l'incendie de biblioth@ques"
Camus avait envisa%$ que, si les nationalistes al%$riens du FL+ l'emportaient, cela
si%nifierait ; l'ind$pendance de l'Al%$rie diri%$e par les chefs militaires les plus implacables de
l'insurrection, c'est5A5dire l'$viction d'un million deu8 cent mille ,urop$ens d'Al%$rie et
l'humiliation de millions de FranVais avec les risques que cette humiliation comporte ? 6(E" :49"
(l ne pouvait concevoir que les accords d'Fvian auraient lieu, et que, donc, les nationalistes
al%$riens auraient leur drapeau, leur hymne, leur police, leur Ftat, leurs prisons, leurs %uillotines"
(l ne pouvait ima%iner non plus que, contrairement au8 en%a%ements de cl$mence pris lors des
accords d'Fvian A l'endroit des harKis, d'effroyables massacres accompa%n$s de supplices sans
nom seraient perp$tr$s contre ces hommes ayant choisi l'association avec la France et que de
Iaulle abandonna" Cette boucherie perp$tr$e pendant plusieurs mois fit entre trente mille et cent
cinquante mille +ictimes musulmanes & des soldats bouillis vivants dans des marmites, des
v$t$rans de l'arm$e contraints A creuser leur tombe, A avaler leurs m$dailles, avant d'>tre abattus
avec leurs femmes et leurs enfants, puis 'et$s dans des fosses communes"

#eu*i3me post8scriptum & <os$ LenOini rapporte dans Les #erniers Jours d'Al&ert Camus
que, pour un autre ouvra%e consacr$ au philosophe, L'Alérie de Camus, il avait retrouv$ la trace
du 'eune homme de )tocKholm" #$sormais octo%$naire, )a]d Ressal vivait en banlieue de la
capitale su$doise" Apr@s avoir plusieurs fois refus$ une rencontre, il avait fini par consentir A un
rendeO5vous" L'enqu>teur rapporte son propos & ; ,n fait, les relations qui ont $t$ faites de
l'incident sont asseO $loi%n$es de la r$alit$ ? 6!:/9" #ont acte"
Le vieil homme donne sa version & il est entr$ par hasard dans la salle, il avait quitt$
l'Al%$rie di8 ans en amont, il n'$tait pas militant nationaliste, il i%norait qui $tait vraiment Camus,
il s'est $nerv$ qu'A plusieurs reprises le philosophe lui demande son T%e, puis il rapporte la
fameuse phrase" 1lus tard, il d$couvre "is3re dans la Va&ylie et les articles publi$s dans
Actuelles 666? Chroniques alériennes" )id$r$ par la pertinence des analyses, il lit l'Buvre
compl@te et souhaite rencontrer le philosophe" 1eu de temps apr@s le 4 'anvier !-0, il rend visite
A <ules 7oy U qui lui apprend l'accident de voiture fatal" )a]d Ressal descend A Lourmarin et
d$pose des fleurs sur la tombe de Camus"

%roisi3me post8scriptum & en !-.2, )imone de *eauvoir fait paraWtre %out compte 9ait"
L'Al%$rie ind$pendante que )artre et elle avaient voulue au pri8 du san%, des fleuves de san%, et
de la mort, des diOaines de milliers de morts, la d$Voit" Eue de )aint5Iermain5des51r$s, la nation
nouvelle n'a pas tenu ses promesses & le socialisme et la prosp$rit$ escompt$s manquent A l'appel"
Mis@re, chXma%e, pauvret$, $mi%ration massive vers la France d'un demi million de travailleurs,
renoncement des diri%eants A l'instauration du socialisme, A la collectivisation des terres, A
l'auto%estion dans l'industrie, toutes formules au8quelles les hi$rarques du FL+ ont pr$f$r$ ; un
capitalisme d'Ftat ? 64349, retour ; au8 valeurs arabo5islamiques ? 6i&id"9, politique nataliste,
d$plorable condition des femmes que l'on tient $loi%n$es des $coles et de l'$ducation, port du
voile, patriarcat, soumission A l'autorit$ des hommes, *eauvoir va 'usqu'A affirmer que Fanon
s'est tromp$ en croyant que, vu leur rXle 'ou$ dans la %uerre d'ind$pendance, les femmes
$chapperaient A la domination masculine, politique int$rieure nationaliste et r$actionnaire U voilA
le bilan d'une d$cennie d'ind$pendance al%$rienne" )i d'aventure )imone de *eauvoir et )artre
avaient lu Camus, ils auraient vu que l'auteur d'Actuelles 666 avait annonc$ la venue de cette s$rie
de catastrophes en cas d'av@nement du FL+ au8 commandes d'une nation ind$pendante" #i8
ann$es seulement auront suffi A constater ce qu'un demi5si@cle plus tard Claude LanOmann, l'un
des amants de *eauvoir, lui aussi compa%non de route du FL+, confirme en 2- dans Le Li3+re
de Pataonie"
! )ur la ; 'ustice ? terroriste en Al%$rie, voir cahier photos, p" /"

3
Gn art de vivre en temps
de catastrophe
Pu'est5ce qu'un ordre libertaire Q
; Le monde d'au'ourd'hui est compos$ pour les trois quarts de policiers ou d'admirateurs
de policiers" ?
6Carnets E((" (E" !!.09

7equins et r$moras
,ntre la lib$ration de 1aris et sa disparition accidentelle dans l'eonne, soit pendant les
quinOe ann$es qui s$parent !-44 des quatre premiers 'ours de !-0, Camus diss$mine dans ses
Carnets intimes les notes d'un portrait psycholo%ique" La souffrance y tient une %rande part"
Camus qui fut le philosophe du bonheur A Cipasa, le penseur de la 'oie m$diterran$enne, le
chantre d'un nietOsch$isme solaire al%$rien, l'$crivain du soleil et de la mer, apparaWt sous un 'our
tra%ique, en compa%non de route e8istentiel des douleurs v$cues par RierKe%aard et +ietOsche en
leur temps"
; La furieuse passion de vivre qui fait le sens de mes 'ourn$es ? 6((" /::9 avant %uerre, en
mars !-:3 pour >tre pr$cis, laisse place A une e8istence encombr$e de passions tristes & la vie
parisienne, la d$couverte des futilit$s et des mesquineries de la tribu de )aint5Iermain5des51r$s,
l'occupation de la France par les naOis" Les notes de cette p$riode dans la capitale froide et fausse
t$moi%nent d'un d$senchantement" La maladie des poumons, la tyrannie de la libido, les fiestas
'usqu'au petit matin qui l@ve le couvre5feu, le panier de crabes oN %rouillent les %ens de plume,
leurs 'eu8 intellectuels insoucieu8 de la v$rit$, mais aussi la nostal%ie de l'Al%$rie, prennent une
%rande place dans ces cahiers"
L'espoir d'une belle fraternit$ de la 7$sistance poursuivie dans une immense solidarit$
initi$e par ses fr@res d'armes s'effondre" Le totalitarisme national5socialiste contre lequel ses amis
et lui ont lutt$ pendant plusieurs ann$es se trouve remplac$ par un totalitarisme sovi$tique, les
camps de l'un valant les camps de l'autre" Le fascisme d'avant %uerre n'a pas $t$ $radiqu$ mal%r$
le sacrifice de millions d'hommes & le %$n$ral Franco pr$side tou'ours au8 destin$es de l',spa%ne
vid$e de son san% libertaire et r$publicain" L'Al%$rie de son enfance, sur laquelle il tente depuis
des ann$es d'attirer l'attention pour en r$volutionner le quotidien, bai%ne dans le san% de fr@res
qui s'$%or%ent mutuellement" Cout cela noircit le ciel historique et politique qui p@se sur lui"
A'outons A cela des raisons personnelles d'assombrissement & le petit mari%ot parisien,
mafieu8 A souhait, a d$cid$ de lui rendre la vie impossible" Le milieu intellectuel d'apr@s %uerre
est imbib$ de communisme" Oubli$es les vilenies du 1CF & le pacte %ermano5sovi$tique, l'entr$e
tr@s tardive dans la 7$sistance, la p$riode de complicit$ antis$mite avec l'occupant naOi auquel on
demande l'autorisation de faire reparaWtre L''umanité pendant l'Occupation" Les communistes
sont parvenus A remiser l'Listoire et A imposer leur l$%ende" Le mar8isme fait d$sormais la loi
dans le milieu intellectuel" Or, Camus ne 'ustifie 'amais les camps, quel que soit le drapeau
flottant sur les miradors" La meute est lTch$e" )artre e8celle dans l'art de conduire les chiens"
Lisons cette note de !-4- & ; La plupart des litt$rateurs manqu$s vont au communisme"
C'est la seule position qui leur permet de 'u%er de haut les artistes" #e ce point de vue, c'est le
parti des vocations contrari$es" Iros recrutement, on s'en doute ? 6(E" !09" #@s lors, dans la
lo%ique intellectuelle de la %uerre froide, l'anticommunisme de %auche de Camus est transform$
par la %auche mar8iste en anticommunisme de droite" Les %ens bien n$s, l$%itimes dans le monde
des lettres, n'attaquent pas les th@ses du philosophe, mais d$nient que ce soient des th@ses et
qu'elles proviennent d'un philosophe & tout 'uste des opinions, des id$es %$n$rales, des notes de
lectures d'un autodidacte, des avis personnels et sub'ectifs transform$s en v$rit$s par un homme
pr$sent$ par *eauvoir comme caract$riel, ombra%eu8, vaniteu8, suffisant, arro%ant" La p$riode de
L''omme ré+olté permet A la tribu %ermanopratine d'$vincer l'importun qui crut pouvoir disposer
d'un rond de serviette au8 repas de cette coterie" Le critique litt$raire *ernard FranK $crit de lui &
; )on style soutenu, pr$cautionneu8 est le style d'un timide, d'un homme du peuple qui, les %ants
A la main, le chapeau encore sur la t>te, entre pour la premi@re fois dans un salon" Les autres
invit$s se d$tournent, savent, ils savent A qui ils ont affaire" On va finir par s'apercevoir qu'il n'a
'amais rien $crit" ? Ce 'ournaliste fut le ventriloque de ce petit monde"
La %uerre d'Al%$rie fournit un deu8i@me pr$te8te pour assassiner un homme qui ne
pratique pas les codes de la tribu parisienne, ne se soumet pas A la reli%ion mar8iste et persiste
dans les plis du drapeau noir" #e la m>me mani@re qu'il fallut inventer des th@ses introuvables
dans L''omme ré+olté pour en triompher d'autant plus facilement qu'elles ne s'y trouvaient pas, la
corporation pr>te une fois de plus A Camus des id$es qu'il ne d$fendait pas sur cette %uerre dans
son pays natal" La lecture d'Actuelles 666? Chroniques alériennes n'ayant 'amais $t$ faite par ces
malfrats de papier, on a transform$ son auteur en maWtre A penser des petits *lancs d'Al%$rie et
des %ros colons esclava%istes U autrement dit, des e8ploiteurs de sa m@re"
Gn troisi@me pr$te8te sur%it avec l'attribution du pri8 +obel, une reconnaissance
internationale m$rit$e qu'il ne fit rien pour obtenir, mais accepta parce que, pour refuser, il faut
une dose de vanit$ et un or%ueil sans mesure en croyant qu'on vaut mieu8 que Va et que le pri8 ne
nous m$rite pas" La cohorte de ces vaniteu8 et de ces or%ueilleu8, si prompts A pr>ter A autrui les
perversions morales qui les conduisent et, de ce fait, qu'ils ne peuvent s'avouer, se d$chaWne dans
la presse" On comprend mieu8 cette note des Carnets & ; )elon Melville, les rémoras, poissons
des mers du )ud, na%ent mal" C'est pourquoi leur seule chance d'avancer consiste A s'accrocher au
dos d'un %rand poisson" (ls plon%ent alors une sorte de tube 'usque dans l'estomac d'un requin, y
pompent leur nourriture, et se propa%ent sans rien faire en vivant de la chasse et des efforts du
fauve" Ce sont les mBurs parisiennes ? 6(E" !!::9" ,lles lui p@sent plus que de raison"
Lourmarin, antidote A la p@%re de 1aris
Gne lettre de Camus A 7en$ Char permet de savoir qu'il n'y eut pas de d$samour du
philosophe avec 1aris, car il n'y eut 'amais d'amour" Au 1anelier, le : 'uin !-4., il $crit & ; 1uis5
'e maintenant vous demander un service, comme A un vieu8 camarade Q EoilA & 'e suis fati%u$ de
1aris et de la p@%re qu'on y rencontre" Mon d$sir profond serait de re%a%ner mon pays, l'Al%$rie,
qui est un pays d'hommes, un vrai pays, rude, inoubliable" Mais pour des raisons tr@s diff$rentes
ce n'est pas possible" Or le pays de France que 'e pr$f@re est le vXtre, et plus particuli@rement le
pied du Luberon, la monta%ne de Lure, Lauris, Lourmarin, etc" U <usqu'ici la litt$rature ne m'avait
pas enrichi" Mais La Peste va me rapporter un peu d'ar%ent" <e voudrais acheter une maison dans
ce pays" 1ouveO5vous m'aider Q ? )uivent quelques d$tails d'intendance & une maison simple, mais
asseO %rande pour le confort des deu8 enfants, il voudrait y lo%er sa m@re de temps en temps, il la
veut $cart$e du monde, meubl$e, plus commode que confortable, devant un paysa%e susceptible
d'>tre lon%uement re%ard$" Ce sera Lourmarin, mais pas avant septembre !-3/"
1ourquoi douOe ann$es avant de s'offrir ce plaisir A mi5chemin du royaume de Cipasa et
de l'e8il parisien Q Lui qui, en !-40, avait $crit dans ses carnets & ; Lourmarin" 1remier soir apr@s
tant d'ann$es" La premi@re $toile au5dessus du Luberon, l'$norme silence, le cypr@s dont
l'e8tr$mit$ frissonne au fond de ma fati%ue" 1ays solennel et aust@re U mal%r$ sa beaut$
bouleversante ? 6((" !0.9" Lui qui avait lu et aim$ Saesse de Lourmarin de son vieu8 maWtre
<ean Irenier qui disait & ; Puand 'e viens dans ce pays, pensai5'e, quelque chose se d$lie en moi,
mon inqui$tude int$rieure prend fin & c'est comme si l'on posait une main ferme et douce sur une
blessure qui commencerait A se fermer" C'est une sensation de fraWcheur ? 6:49" Lui qui, plus
qu'un autre, savait qu'il avait besoin d'un antidote puissant au8 miasmes parisiens U l'air, la
lumi@re, les paysa%es, le soleil m$diterran$ens D
1ourquoi avoir attendu si lon%temps ce cordial facile A administrer Q La sant$ tr@s fra%ile
de sa femme Q L'obli%ation de ne 'amais >tre tr@s loin pour elle des m$decins n$cessaires Q Le
th$Ttre en %$n$ral et telle ou telle com$dienne en particulier Q Le temps qui manque Q L'ar%ent de
La Peste qui se trouve d$pens$ Q La vie qui va vite et fait remettre au lendemain ce qu'on devrait
faire le 'our m>me Q Camus $crit A 7en$ Char le 23 septembre !-3/ & ; <'ai achet$ une maison A
Lourmarin, elle est 'olie, et elle est A vous" <e vous en parlerai" ? ,lle est simple, asseO %rande
pour les deu8 enfants, commode plus que confortable, il aurait pu y lo%er sa m@re, mais elle est
dans un bour%" Puant au paysa%e qu'il aurait pu re%arder lon%uement, il est celui duquel, A partir
de la terrasse, on voit au'ourd'hui se profiler le petit cimeti@re dans lequel il repose"
Autoportrait psycholo%ique
CXt$ cour intime du philosophe, la d$cennie de l'apr@s5%uerre brille d'un noir qui absorbe
tout & m$lancolie, tristesse, an8i$t$, id$es suicidaires r$currentes, insomnie, mauvais
pressentiments, ennui, an%oisse, cafard, envie de plon%er dans un lon% sommeil, voire un
sommeil d$finitif" Le ! aoSt !-4-, dans les notes d'un voya%e effectu$ en Am$rique du )ud, il
$crit & ; Obli%$ de m'avouer que, pour la premi@re fois de ma vie, 'e suis en pleine d$bTcle
psycholo%ique" Ce dur $quilibre qui a r$sist$ A tout s'est effondr$ mal%r$ tous mes efforts" ,n
moi, ce sont des eau8 %lauques, oN passent des formes va%ues, oN se dilue mon $ner%ie" C'est
l'enfer, d'une certaine mani@re, que cette d$pression ? 6(E" !4/9" Or, cet homme qui avoue
s'effondrer n'a pas encore pris les coups donn$s lors de la parution de L''omme ré+olté, ni ceu8
de la %uerre d'Al%$rie, pas plus que ceu8 de l'attribution du +obel D )ans parler de la sant$
psychique de sa femme, une autre $preuve tout aussi redoutable que la somme des deu8
premi@res U sinon plus"
)i l'on poursuit la lecture des Carnets, on d$couvre r$%uli@rement des annotations
concernant cette immense souffrance e8istentielle" #es ann$es plus tard, pass$ les salves
sartriennes et les souffrances u8orales, il $crit le / aoSt !-3. & ; 1our la premi@re fois apr@s la
lecture de Crime et chItiment, doute absolu sur ma vocation" <'e8amine s$rieusement la
possibilit$ de renoncer ? 6(E" !20!9" Le +obel n'arran%e rien" Au contraire" Puelques semaines
apr@s cette cons$cration internationale, il s'enfonce dans la souffrance & crises d'$touffement,
panique claustrophobique, $puisements, tremblements" (l recourt A des calmants" (l aborde le
d$but de l'ann$e !-3/ avec un mieu8, mais psycholo%iquement d$vast$" (l se contente de l'an8i$t$
qui demeure" ,n d$cembre !-3-, dans les derni@res li%nes de son neuvi@me et dernier carnet, il
parle de cette crise dans laquelle il se trouve et $voque une ; sorte d'impuissance ? 6(E" !:09 U il
lui reste quelques 'ours A vivre"
La femme de #on <uan
La l$%ende pr$sente Camus comme un %rand s$ducteur, un collectionneur de femmes, un
homme au charme indiscutable U %rand, un m@tre soi8ante5di85sept, imper mastic, silhouette A la
Lumphrey *o%art" )artre croit bon de pr$ciser dans Les "ots que, pour sa part, il est petit, mais
pas nain, ne fait pas le poids aupr@s des filles des caf$s et des boWtes de nuit de )aint5Iermain5
des51r$s" L'$crivain qui, dans La Chute, d$finit le charme comme ; une mani@re de s'entendre
r$pondre oui sans avoir pos$ aucune question claire ? 6(((" .229 sait de quoi il parle" Gne analyse
de la relation que )artre entretint intellectuellement et philosophiquement avec Camus qui
prendrait en compte le charme de l'un et la laideur de l'autre 6de l'aveu m>me des "ots9,
n'e8pliquerait pas tout, mais ne manquerait pas d'int$r>t" ,lle dirait aussi beaucoup sur ce que
*eauvoir, l'ha%io%raphe de )artre, a fait de Camus qui lui fit l'affront de repousser ses avances
se8uelles pendant l'Occupation" On ne peut souscrire A la pertinence de la lecture Ko'$vienne de la
relation transcendantale maWtrise5servitude sans souscrire A sa validit$ empirique D
La bio%raphie de Camus e8plique probablement qu'il fit de #on <uan un compa%non de
route intellectuel, philosophique et spirituel de sa br@ve e8istence" (l tient le rXle de #on <uan
dans L'6n+ité de pierre de 1ouchKine qu'il monte au Ch$Ttre du travail A Al%er en !-:. U il a
vin%t5quatre ans J il analyse les modalit$s du don'uanisme dans Le "ythe de Sisyphe d@s !-:- J il
son%e A mettre en sc@ne la pi@ce de Moli@re J A la fin de sa vie, il entame la traduction de
L'A&useur de Sé+ille et l'in+ité de pierre S #on Juan de Cirso de Molina J il prend des notes pour
$crire une pi@ce qui allierait Faust et #on <uan et, fin !-34, il arr>te son titre & apr@s #on Juan
$aust, elle devient #on $aust, mais reste A l'$tat de pro'et J dans un plan de travail pour la
d$cennie !-0, il avait pr$vu de cr$er un mythe qui aurait pris place dans un essai faisant trilo%ie
avec une tra%$die, #on $aust, un roman, Le Premier 'omme, et un essai oN il aurait $t$ question
d'amour"
Le portrait qu'il donne de cette fi%ure dans Le "ythe de Sisyphe est un autoportrait
travesti, bien sSr & le don'uanisme constitue l'une des modalit$s de la vie absurde" Les Carnets
racontent A mots couverts la fati%ue ontolo%ique de qui $puise son corps et sa chair sans nourrir
son Tme et aspire A la chastet$ comme faVon de sublimer la libido dans son an$antissement afin
d'$viter qu'elle ne d$truise l'>tre qui lui ob$irait" Lucide, se refusant A esp$rer, riant, accumulant
les conqu>tes, #on <uan se rebelle contre le Commandeur qui incarne la raison, l'ordre, la loi,
mais sans rien obtenir d'autre qu'une collection de femmes, un chantier inutile pour entamer
l'absurdit$ de l'e8istence" La liste des victimes du pr$dateur se8uel t$moi%ne plutXt en faveur d'un
acquiescement A l'absurde qu'A son d$passement" Le corps de Camus en aura inform$ son
intelli%ence qui cis@le une conclusion avec cet aphorisme redoutable & ; 1ourquoi faudrait5il
aimer rarement pour aimer beaucoup Q ? 6(" 20.9 U imp$ratif cat$%orique du libertin"
1arodions la fin de ce premier livre de philosophie du 'eune Camus qui proposait
d'ima%iner )isyphe heureu8 et proposons ceci & il faut ima%iner #on <uan mari$ D #@s lors, on
retrouve le cas d'Albert Camus, tr@s tXt mari$, A son $poque dandy, avec une 'eune et tr@s belle
h$ro]nomane issue des beau8 quartiers d'Al%er, prototype de la s$ductrice, intelli%ente et
libertine, cultiv$e et provocatrice" Cr@s tXt tromp$, tr@s tXt s$par$, tr@s vite malheureu8 U )imone
Li$ fut, dans sa vie, le sur%issement sous forme de femme de ce qu'il sera avec les con%$n@res de
cette voluptueuse famili@re de la destruction de soi"
1uis il y eut Francine, la m@re de ses deu8 enfants" Francine Faure, e8cellente pianiste qui
adore *ach, belle Oranaise, au8 antipodes de la libertine si vite quitt$e" ,lle a suivi une formation
de math$maticienne, il la rencontre A l'automne !-:." ,n m>me temps que Francine, A qui il
raconte l'avancement de ses manuscrits, ses $tats d'Tme, son commentaire de la politique
internationale, il entretient une autre relation avec Christiane Ialindo, une belle brune bronO$e
qui l'accompa%nait A Cipasa quand il d$cida d'$crire 2oces et A qui il confie le 23 'uillet !-:-
qu'il a peur de revoir Francine & ; <'ai envie de la voir et 'e ne veu8 pas renouer quoi que ce soit
parce que ''ai mieu8 A faire" (l vaut peut5>tre mieu8 laisser mourir tout Va" <'ai besoin pour mon
Buvre de ma libert$ d'esprit et de ma libert$ tout court" ? Camus part A 1aris J elle ensei%ne en
Al%$rie J elle donne peu de si%nes" (l rencontre une autre femme en France" Mais il $pouse
Francine A Lyon le : d$cembre !-4" La %uerre se passe, puis la Lib$ration" Le 3 septembre !-43
naissent les 'umeau8 Catherine et <ean" EoilA #on <uan mari$ pour la seconde fois et deu8 fois
p@re de famille A l'T%e de trente5deu8 ans"
Gn s$ducteur amoureu8
)$ducteur et mari$" On a beaucoup racont$ le talent du philosophe pour la s$duction et
souvent b>tement conclut A la nature caduque de son maria%e" Albert et Francine n'entrent pas
dans l'histoire de la philosophie du MM
e
si@cle %rTce A la rubrique ha%io%raphique des amours
n$cessaires et des amours contin%entes librement contract$es" Francine ne 'oue pas le rXle que
)imone de *eauvoir endosse malré elle parce que )artre le lui demande U ; <ean51aul, comme il
faut que 'e vous aime pour vouloir mal%r$ tout _sic` 'ouer avec vous les 'eu8 qui vous plaisent ?,
lui $crit5elle le samedi 2! septembre !-2- 6Cahiers de jeunesse, ./39 apr@s qu'elle eut accept$ le
contrat synalla%matique, autrement dit sans appel, r$di%$ par le seul )artre" Le futur auteur du
#eu*i3me Se*e naWt femme mono%ame J elle devient l'inverse en se faisant sartrienne"
Francine Camus, n$e Faure, fut l'$pouse d'un homme qui aimait les femmes U y compris
la sienne" Le sch$ma habituel, occidental, mono%ame et familialiste, suppose qu'aimer ici interdit
d'aimer ailleurs" #'oN la lo%ique s$duction, maria%e, tromperie, divorce, puis, temps de latence,
s$duction, remaria%e, etc" Mais si aimer plusieurs femmes en m>me temps va bien avec son
idiosyncrasie, il n'en va pas de m>me avec sa conscience, une humeur to8ique fabriqu$e par plus
de mille ans de civilisation & Camus a aim$ sa femme, puis d'autres, et, le poids de la civilisation
aidant, il a culpabilis$ de ce libertina%e se 'ouant de lui plus qu'il n'en 'ouait"
Albert Camus a aim$ Francine Camus U ce qui ne l'a pas emp>ch$ d'aimer en dehors
d'elle" )i aimer c'est souffrir de la souffrance d'un >tre dans une m>me mesure, un m>me rythme,
une m>me cadence des peines et des affects J si c'est m$connaWtre l'indiff$rence, l'insouciance,
l'indolence face au8 formes prises par le mal dans l'Tme ou la chair de l'autre J si c'est ressentir en
soi un m>me san% $puis$ pour deu8, un m>me souffle court pour deu8, une m>me chair abWm$e
pour deu8 U alors Albert Camus a aim$ Francine Faure" Coutes les photos vol$es des autres
femmes, les correspondances avec telle ou telle, les confidences tard venues sur une 'olie
'eunesse entr$e dans les derni@res ann$es de sa vie n'y chan%ent rien" La Chute fut le Journal
d'un séducteur de ce RierKe%aard africain"
Cenir l'ai%uille dans son poin%
1udique, Camus s'en ouvre seulement A l'ami" ,t l'ami, c'est 7en$ Char" ,n 'anvier !-34,
il confesse sa souffrance" (l se trouve au8 cXt$s de sa femme U triste, malheureu8, effondr$"
Francine Faure souffre d'une tr@s %rave d$pression" Camus le M$diterran$en solaire est aussi
Camus le 'ud$o5chr$tien nocturne format$ par mille ans de catholicisme romain" Fils de la mer de
Cipasa et d'Au%ustin l'$v>que d'Lippone berb@re, il se sait un m$lan%e de vitalit$, de bonheur, de
'oie, de chair voluptueuse 6il aime na%er, 'ouer, boire, rire, danser, parler, fumer, s$duire,
caresser9 et de m$lancolie, de souffrance, de douleur, de culpabilit$ U l'e8il et le royaume, l'envers
et l'endroit"
Fcorch$, hypersensible, A vif, il ne peut s'emp>cher de mettre en relation la d$pression
nerveuse de son $pouse et son libertina%e" ,st5il responsable Q Coupable Q )i oui & pour quelles
fautes Q #e quels crimes Q )a belle5famille le lui fait savoir & elle pense que son don'uanisme
cause la %rave affliction psychique de sa femme" Mais l'ami Char dit l'inverse" )oulev$ par ses
mots puissants, on peut m>me aller 'usqu'A se demander si ce tropisme libertin n'est pas l'effet de
l'$tat d$pressif de sa femme" #on <uan se trouverait donc conduit au libertina%e par la nature
d$pressive de son $pouse"
Le po@te et le philosophe parlent de cette situation" Le soir du 'eudi 2/ 'anvier !-34,
l'auteur de $ureur et myst3re $crit A celui de 2oces & ; <e voulais vous dire, Albert, que Francine
tenait en naissant, dans son poin%, l'ai%uille qui la tourmente au'ourd'hui dans son Tme et dans sa
t>te" Mais le souffle a tant de ressources, lui qui cause tant de peines D Les >tres comme elle sont
d$chir$s par l'air, par le sable, par la voi8 quotidienne, par rien" C'est le myst@re de la vie au
centre duquel se consume notre v$rit$ U ou notre destin U tou'ours sai%nant, h$las D +e soyeO pas
bless$, au moins, vous, cher Irand Albert" +e vous laisseO pas abattre ? 6!!/9" Y la fin de ce
m>me mois, Camus craint pour la vie de Francine, la petite vie d'un tout petit corps de quarante5
cinq Kilos accroch$e A un fil t$nu"
Cet $tat de %rande fra%ilit$ psychique est ancien" #$'A, dans une lettre A <ean Irenier
dat$e de d$cembre !-3:, Camus $crit & ; <'ai trouv$ au contraire sa d$pression a%%rav$e en
neurasth$nie et compliqu$e de manifestations d'an%oisse et d'obsession" <e suis bien inquiet et me
reproche de ne pas avoir pris plus au s$rieu8 les premiers symptXmes" ? 1our rester pr@s d'elle, il
annule des voya%es U en F%ypte, puis en Al%$rie" (l renonce A donner des conf$rences" Puand il
doit se d$placer, il r$duit au minimum la dur$e de ses s$'ours" Cout tourne autour d'elle J il se
r$fu%ie dans l'$criture"
#ans la maison de sant$ oN elle suit un traitement, elle s'assied parfois dans son lit,
re%arde fi8ement devant elle, alors que son mari se trouve A ses cXt$s" Chacun dans son monde"
Camus ne rencontre presque personne et se consacre presque enti@rement A elle" Cous les apr@s5
midi, il lui rend visite, mais mesure chaque 'our son impuissance" Gne psychanalyse est
envisa%$e" Mais sans suite U en !-3., Camus $crit dans ses Carnets & ; Freud ne se sentait aucune
vocation m$dicale, aucun hpenchant pour l'humanit$ souffrantei ? 6(E" !2029" ,lle est soumise A
de terribles s$ances d'$lectrochocs qui l'abWment" (l assiste A ces soins qui emportent A vif une
partie de l'>tre que l'on ima%ine %u$rir"
Gn 'our, Francine saute par la fen>tre" ,lle se brise le bassin" )oi%n$e, plTtr$e, elle souffre
d'escarres" Les m$decins la plon%ent dans un coma hypo%lyc$mique" #'aucuns ter%iversent sur la
nature de l'acte U imprudence, accident, inconscience du dan%er Q 1our Camus, il ne fait aucun
doute & cette chute est une tentative de suicide" Le p@re de famille confie ses enfants A la %arde de
tiers & Catherine A sa %rand5m@re Faure, <ean A des amis de )aint57$my5de51rovence" (ls ont huit
ans"
Cout le monde culpabilise & Camus son%e A sa relation publique avec Maria Casar@s et A
d'autres libert$s J sa belle5famille lui reproche e8plicitement un mode de vie directement
responsable de l'$tat de fait U facile bouc $missaire J Francine elle5m>me s'en veut de n'>tre ni
l'$pouse id$ale ni la m@re qu'il faudrait" La souffrance est %$n$ralis$e" Camus souffre d'>tre priv$
de sa femme et de ses enfants" (l va de chambres d'hXtel en studios pr>t$s" (l trouve un petit
appartement dans le m>me immeuble que l'ami Char, rue de Chanaleilles et s'y installe" Gne
photo de +ietOsche repose sur un rayonna%e de sa biblioth@que" Gne autre de sa m@re" La
tuberculose pro%resse"
Le tribunal de la raison familiale
Cette culpabilit$ nourrit La Chute $crite en !-33" Camus h$sitait entre plusieurs titres qui,
tous, disent un peu de lui et de la situation dans laquelle il se trouve & Le Cri, Le Pilori, ;n
puritain de notre temps, Le "iroir, L':rdre du jour, #élateur, Le )on Ap-tre" On y retrouve la
double li%ne de force qui travaille ce livre et le rend difficile A comprendre parce que plurivoque
U au sens $tymolo%ique & A plusieurs voi8, polyphonique" #'une part, la souffrance, la douleur, le
tourment, l'instrument de torture J d'autre part, ce qui devient la th$matique du 'u%e5p$nitent, le
'u%ement, le proc@s, le procureur, le tribunal" Gn m$lan%e d'autoportrait, de portrait de )artre et
des sartriens, le tout dans un nBud de vip@res oN se dissimule $%alement un portrait de lui tel que
Camus ima%ine que les sartriens le brossent, notamment lors du contentieu8 de L''omme ré+olté"
Gne conversation avec 7o%er Martin du Iard, comme 7en$ Char, un ami int@%re, droit,
moralement impeccable, auquel il rend homma%e dans une belle pr$face destin$e A la parution de
ses Buvres en 1l$iade, arr>te le titre & La Chute" 1our qui se souvient de celle qu'effectue
volontairement Francine Camus par la fen>tre de l'hXpital oN on la soi%ne pour une souffrance
psychique 6d'aucuns h$sitent entre psychose et n$vrose9, les sources autobio%raphiques du livre
ne font aucun doute"
#ans une lettre envoy$e par Camus A <ean *loch5Michel, une phrase permet d'appuyer
cette hypoth@se & ; Le livre pourrait blesser Francine ? 6(((" !:3/9" 1our confirmer, a'outons A
cela la r$action de sa femme A la lecture du manuscrit & ; Celui5lA, tu me le dois ? 6Codd, /..9"
,lle avait $%alement dit & ; Cu es tou'ours en train de plaider pour la cause des uns et des autres"
Mais est5ce que tu entends, toi, les cris qu'on te lance Q ? 6(((" !:3/9" Le philosophe qui prend en
char%e la mis@re du monde, le penseur qui intervient pour toutes les victimes de la plan@te,
l'intellectuel tou'ours au8 cXt$s de l'humanit$ souffrante, le voilA mis en cause au plus intime de
lui5m>me, accus$, traWn$ au tribunal de la raison familiale & il n'$couterait pas les appels au
secours de son $pouse"
Comment une Tme normalement constitu$e, et Camus disposait d'un sens $thique
sup$rieur, aurait5elle pu rester insensible, impassible, devant pareille accusation Q (l avait eu la
bonne intuition, 'adis, en $crivant A Christiane Ialindo que l'Buvre e8i%e le c$libat, la libert$, la
disponibilit$, qu'elle est un sacerdoce qui remise femme et enfants au second plan" Puand il
reVoit le +obel et doit d$cevoir telle ou telle de ne pas l'accompa%ner en ces 'ours de
r$'ouissance, il part avec Francine en pr$cisant A Mi, une 'eune fille de vin%t5deu8 ans sa cadette
qu'il vient de rencontrer & ; Francine a $t$ A la peine, il est normal qu'elle soit A l'honneur ?
6Codd, 0-29"
L'enfer, c'est soi
La Chute se pr$sente comme le lon% monolo%ue d'un homme A un autre qui reste
myst$rieusement silencieu8" )ur cet autre qui $coute, on sait seulement ce que les artifices
d'$criture permettent de savoir & Camus rensei%ne son portrait avec des phrases interro%atives que
le lecteur doit restaurer sur le mode affirmatif ou avec des artifices de plume qui, VA et lA,
constituent un portrait en tr@s petites touches" ,n finissant la lecture de ce récit, et non roman, on
sait peu de choses sur lui & quadra%$naire, bien habill$, bour%eois au8 mains lisses, cultiv$, il
r$a%it A l'usa%e des sub'onctifs de son interlocuteur J il connaWt les Fcritures J riche, il n'a 'amais
parta%$ ses richesses avec des pauvres J il vient de 1aris oN il a $t$ avocat" Cet homme sans nom
ressemble au personna%e principal, <ean5*aptiste Clamence, qui, lui aussi, ressemble A un certain
Albert Camus U mais, sous l'an%le du 'u%e5p$nitent, ce peut >tre aussi <ean51aul )artre ou
n'importe quel autre intellectuel de ce si@cle"
Le r$cit se passe A Amsterdam, l'anti5Cipasa U la ville des brumes et de l'eau croupie
contre la cit$ du soleil m$diterran$en, l'e8il du +ord contre le royaume du )ud" Clamence parle
des canau8 comme des cercles de l'enfer cheO #ante" (l semble avec son interlocuteur dans la
m>me relation que #ante et Eir%ile qui le conduit au plus profond de l'enfer et lui fait descendre
les neuf cercles qui conduisent au fond de la souffrance" Cet autre est psychopompe, autrement
dit, selon l'acception mytholo%ique, porteur de l'Tme des morts vers son s$'our" Ce voya%e au
bout de la nuit dure cinq 'ours" Lors de ce tra'et, le po@te italien nous dit dans La #i+ine Comédie
qu'on entend ; les cris du d$sespoir ? 61n9er, ((" !!39"
Camus semble donner sa m$thode de composition du portrait de <ean5*aptiste Clamence
en e8pliquant comment son h$ros proc@de pour pratiquer la confession publique & ; <e m>le ce
qui me concerne et ce qui re%arde les autres" <e prends les traits communs, les e8p$riences que
nous avons ensemble souffertes, les faiblesses que nous parta%eons, le bon ton, l'homme du 'our
enfin, tel qu'il s$vit en moi et cheO les autres" Avec cela, 'e fabrique un portrait qui est celui de
tous et de personne" Gn masque en somme, asseO semblable A ceu8 du carnaval, A la fois fid@les
et simplifi$s, et devant lesquels on se dit & hCiens, 'e l'ai rencontr$, celui5lAi" Puand le portrait est
termin$, comme ce soir, 'e le montre, plein de d$solation & hEoilA, h$las D ce que 'e suisi" Le
r$quisitoire est achev$" Mais, du m>me coup, le portrait que 'e tends A mes contemporains devient
un miroir ? 6(((" .0!9"
Masque et miroir, faiblesse et souffrance, soi et autrui, carnaval et d$solation, Camus
propose un 1cce homo du MM
e
si@cle, mais de faVon intempestive, il donne le portrait d'un
homme comme un moraliste franVais pourrait le faire & un Chamfort sur lequel il $crivit de belles
pa%es, un La 7ochefoucauld ou un La *ruy@re" )artre, qui a aim$ La Chute, se souvient5il de cet
art du portrait quand il termine le sien dans Les "ots avec cette phrase c$l@bre en forme de bilan &
que reste5t5il apr@s cet e8ercice autobio%raphique Q ; Cout un homme, fait de tous les hommes et
qui les vaut tous et que vaut n'importe qui ? 6!:-9, une phrase si peu sartrienne dans sa modestie
et donc tellement camusienne"
Gn autoportrait infernal
Comment Camus r$pond5il A la vieille question Kantienne A laquelle le philosophe
allemand r$duit toute interro%ation dans sa Loique & ; Pu'est5ce que l'homme Q ? Y la moiti$ du
MM
e
si@cle, Camus n'$prouve pas le besoin de tenir pour valables la mytholo%ie freudienne et les
d$lires d'une psychanalyse a%itant un comple8e d'\dipe, un meurtre du p@re, un inceste avec la
m@re, une horde primitive, un banquet cannibale, pour tenter de d$chiffrer l'imm$moriale psych$
des hommes" Le lecteur de 'umain trop humain sait qu'un philosophe du M(M
e
est plus
contemporain qu'un autre du MM
e
qui $crit des sottises viennoises sur l'Tme des hommes D #ans
son te8te sur Chamfort, Camus souli%ne que le moraliste que +ietOsche prisait tant est l'auteur
d'un n$olo%isme utile pour caract$riser cette m$thode livr$e par Clamence & ; sarcasmatique ?
6(" -2/9" Le portrait camusien de l'homme du MM
e
si@cle est sarcasmatique"
Ce voya%e dans les limbes d$moniaques nous permet de d$couvrir que l'enfer, Va n'est pas
les autres, mais soi" Eoici le portrait de l'homme & com$dien, s$ducteur, vaniteu8, $%o]ste, hant$,
an%oiss$, sadique, masochiste, col$reu8, voleur, affabulateur, coupable" Ces aveu8 sont de <ean5
*aptiste Clamence, l'homme qui donne l'onction et clame dans le d$sert, qui baptise et parle au8
pierres, mais c'est aussi une confession masqu$e d'Albert Camus qui nourrit son personna%e de sa
vie de quadra%$naire" )i Clamence donne l'illusion de parler A quelqu'un, on verra bien vite que
c'est A lui qu'il s'adresse" Cette petite voi8 int$rieure, souvent prise pour sa conscience, est l'autre
en soi qui nous 'u%e U mais cet autre en soi, c'est encore soi" Le locuteur et l'interlocuteur
constituent l'avers et le revers d'une m>me m$daille e8istentielle"
Comédien & on sait le rXle tenu par le th$Ttre dans la vie de Camus, de sa 'eunesse au8
derni@res heures de sa vie, en passant par l'$criture de pi@ces, la mise en sc@ne, le 'eu comme
acteur lui5m>me" (l a aim$ la sc@ne et le monde des planches U et ceu8 qui hantent ce monde"
#$but !-0, Malrau8, alors ministre de la Culture, lui aurait probablement confi$ la direction
d'un th$Ttre" Clamence 'oue un rXle, il endosse le costume du d$fenseur de la veuve et de
l'orphelin" 1oli, courtois, %entil, pr$venant, attentionn$, altruiste, %$n$reu8, serviable, il va au8
enterrements de %ens qu'il connaWt A peine ou n'aime pas" (l fait le bien mais, comme on le sait
depuis les moralistes en %$n$ral, et +ietOsche en particulier, il y a de la 'ouissance A faire le bien,
sinon de la cruaut$, car on 'ubile de co]ncider avec l'id$al de saintet$ pr$sent$ comme une
perfection" On chosifie celui qu'on honore de sa bont$" On s'aime dans le rXle de celui qui place
en retrait l'amour de soi sous pr$te8te de mettre en avant l'amour de son prochain" Mais ce qu'on
aime quand on aime autrui, c'est tou'ours soi" Com$die"
Séducteur & lA aussi, Clamence porte le masque de Camus" L'homme qui se parle avoue
avoir poss$d$ des femmes en quantit$" (l livre ses strat$%ies de s$duction et les tactiques qui font
s'effondrer une forteresse f$minine & ne pas aller directement au but, $viter la trivialit$ d'une
franche proposition J d'abord parler, beaucoup parler, le verbe a%it comme la m$lop$e d'une flSte
pour charmer le serpent J simuler la tendresse, cacher l'ardeur violente des instincts, la puissance
de la libido, et dire un d$sir subtil, fin J tenir A sa proie le discours qu'elle souhaite & lui dire sa
beaut$, son ori%inalit$, sa sin%ularit$, son e8cellence, sa raret$, feindre son unicit$, lui dire qu'elle
n'a rien A voir avec les autres J laisser croire qu'on avait fait son deuil de l'amour mais que tout
s'effondre avec cette $piphanie d'un >tre sans double J pr$tendre que le pass$ sans elle s'av@re
sans commune mesure avec le pr$sent dans sa compa%nie J envisa%er le futur en termes d'$ternit$,
etc" Clamence confesse qu'il 'ouissait moins des femmes que du plaisir narcissique de constater
l'infaillibilit$ de son pouvoir sur elles"
Vaniteu* & la vanit$ et l'arro%ance font partie des reproches formul$s par les sartriens
contre Albert Camus" (l semble $tran%e toutefois que ce trait de caract@re n'apparaisse 'amais
dans sa vie, ce que prouvent les deu8 bio%raphies faisant autorit$, ni dans la correspondance oN
l'on d$couvre m>me l'inverse U l'humilit$, le manque de confiance en soi, la modestie" Clamence
prononce une phrase devenue proverbiale & ; 1our la modestie, vraiment, ''$tais imbattable ?
6(((" .!/9" (l se croit sup$rieur, se pense au5dessus de tout et de tous, au point qu'il n'aime rien tant
qu'occuper les situations oN il domine physiquement & les ponts, les balcons, les terrasses, les bus
A imp$riale, et tout ce qui lui permet de surplomber" 7$miniscence nietOsch$enne, il avoue m>me
une dilection particuli@re pour les feu8 allum$s sur l'$minence des collines"
1hilosophie de la culpabilit$
.o7ste & concentr$ sur lui5m>me, Clamence n'a aucun souci d'autrui, du monde et de ce
qui advient A autrui" 7epli$ sur son e%o, rien n'e8iste en dehors de sa personne, de son confort, de
sa tranquillit$" Gne sc@ne du livre constitue la cl$ de voSte du r$cit, elle donne son sens au titre, A
la fin du livre et peut5>tre m>me au8 raisons d'>tre de ce te8te tout entier & A une heure du matin,
dans la bruine parisienne, alors qu'il vient de quitter une amie, Clamence croise une femme
pench$e sur un parapet & elle fi8e l'eau noire de la )eine du haut du pont 7oyal" (l passe"
Cinquante m@tres plus loin, il entend le bruit d'un corps qui tombe A l'eau" (l s'arr>te" (l ne se
retourne pas" (l entend un cri" )uivi d'autres cris" 1uis plus rien" Le silence recouvre tout" (l a
envie de courir, mais ne bou%e pas" (l tremble" )e dit qu'il faut a%ir et n'a%it pas" (l reprend son
chemin sans rien dire A personne" F%o]ste, $%otiste, autiste m>me, il reste A soi, en soi, incapable
de sortir de lui pour aller vers l'autre" )on interlocuteur lui parle, autrement dit la petite voi8 de sa
conscience l'interro%e" ; Puoi Q Cette femme Q Ah D <e ne sais pas vraiment, 'e ne sais pas" +i le
lendemain, ni les 'ours qui suivirent, 'e n'ai lu les 'ournau8 ? 6(((" .2-9 U comme si le r$el
n'e8istait qu'une fois dit par les 'ournau8"
*ien sSr, le retour A son domicile, dans la nuit, apr@s avoir pass$ la soir$e avec une
probable maWtresse, cette femme qui chute pour se donner la mort, son $tat de d$sesp$r$ sur le
pont, l'indiff$rence manifest$e par Clamence, le cri, les cris, la noyade, le d$dain de ces appels au
secours, la d$sinvolture du t$moin qui n'a rien vu, rien entendu, rien dit, rien fait, l'insouciance de
cet homme qui ne croit du r$el que ce que les 'ournau8 lui disent, mais aussi les moments de
doute, se retourner ou non, y aller ou pas, porter secours ou s'en abstenir, puis, A la faVon de
Meursault, consentir A ce qui advient dans l'impassibilit$ la plus radicale, voilA de quoi blesser
Francine U voilA $%alement ce qui permet A l'$pouse de dire A son mari que ce livre, il le lui doit"
Cet $%o]sme d'un homme qui, 'adis, fit le bien, devient le p$ch$ ori%inel de sa culpabilit$" (l
paiera cher de n'avoir pas a%i U cette chute l'entraWnera lui aussi"
'anté & la culpabilit$ prend la forme de rires ou de cris" #eu8 ou trois ans apr@s cette
chute, lorsqu'il lon%e la )eine, Clamence entend des rires dans son dos" Gne autre fois, sur le pont
sup$rieur d'un transatlantique, il avise un bateau au loin et croit qu'une personne tombe A la mer
et se noie" (l ne supporte pas la vue de cette noyade, d$tourne le re%ard, mais revient A la sc@ne
puis d$couvre qu'il ne s'a%it pas d'un homme, mais d'un d$bris lar%u$ par les marins" ; <e compris
alors, sans r$volte, comme on se r$si%ne A une id$e dont on connaWt depuis lon%temps la v$rit$,
que ce cri qui, des ann$es auparavant, avait retenti sur la )eine, derri@re moi, n'avait pas cess$,
port$ par le fleuve vers les eau8 de la Manche, de cheminer dans un monde, A travers l'$tendue
illimit$e de l'oc$an, et qu'il m'avait attendu 'usqu'A ce 'our oN 'e l'avais rencontr$" <e compris
aussi qu'il continuerait de m'attendre sur les mers et les fleuves, partout enfin oN se trouverait
l'eau am@re de mon bapt>me ? 6(((" .405.4.9" 1our Camus, la faute n'est pas h$rit$e du p$ch$
ori%inel 'ud$o5chr$tien, mais, pa]enne, constitu$e par notre $%o]sme de naissance contre lequel il
faut tou'ours lutter" L'imp$ratif consiste tou'ours A s'emp>cher"
Anoissé & Clamence a peur de la mort" +on qu'il ait tou'ours $t$ tenaill$ par cette
souffrance ontolo%ique, mais parce qu'elle sur%it un 'our bien particulier" (l se met A compter le
temps qui lui reste A vivre, cherche dans l'histoire des fi%ures d$'A mortes A son T%e, ressent des
bouff$es d'inqui$tude A l'id$e de ne pouvoir mener A bien un travail entam$, se demande si ce
qu'il fait m$rite d'>tre continu$ ou s'il ne doit pas plutXt cesser ce qui s'av@re une vanit$ parmi les
vanit$s" #e plus, il a peur de mourir sans avoir avou$ tous ses menson%es & les livrer, c'est s'en
d$livrer, non pas A #ieu, mais au8 hommes, A un ami ou A une femme aim$e 6Francine Q9, qui
rendrait possible l'effacement de ce qui devient d$finitif pour n'avoir 'amais $t$ avou$"
L'an%oisse, la mort, le menson%e, la culpabilit$, l'aveu U l'Tme de Clamence souffre"
Sadique & comme tou'ours avec celui qui 'ouit de faire mal, nul ne veut volontairement la
m$chancet$, puisqu'il est voulu par plus fort que lui" Cette an%oisse constitue une force
susceptible d'>tre diri%$e sur autrui ou retourn$e contre soi" )adique quand elle se trouve pro'et$e
sur un tiers J masochiste quand elle reste en nous" Ce saint la]c dou$ pour le bien connaWt les
affres de la pulsion sadique" (l confesse avoir envie de bousculer les aveu%les dans la rue, de
crever les pneus des fauteuils roulants des handicap$s, d'insulter les pauvres qui %a%nent leur
pitance sur les chantiers, de %ifler les nourrissons dans le m$tro" (l r>ve de tout cela, mais n'en fait
rien"
"asochiste & retourn$es contre lui5m>me, les pulsions a%ressives commettent des d$%Tts"
L'$%o]ste s'infli%e des souffrances" L'homme qui boit, s'attarde dans les caf$s 'usqu'au petit matin,
fr$quente les boWtes de nuit, assiste au8 spectacles de transformistes, consomme des prostitu$es,
leur fait concurrence dans la quantit$ de corps entass$s, celui qui se bat dans les rues, reste plant$
debout au comptoir et se perd dans d'interminables monolo%ues en pr$sence de plus ivres ou de
plus d$truits que lui, cet homme, donc, se fait le bourreau et la victime de lui5m>me"
'éautontimorouménos, $crivait *audelaire"
1ortrait, suite
Coléreu* & on ne cache pas que la col@re fut un trait de caract@re d'Albert Camus" (l avait
des indi%nations, des col@res de papier, mais pas de celles qui se terminent par des coups"
Lorsque Camus se fTche avec )artre et *eauvoir, A l'issue d'une soir$e trop arros$e cheO les Eian,
mi5novembre !-40, parce qu'il estime 9ort justement que, soutenu par )artre, Merleau51onty
'ustifie les camps sovi$tiques dans un article intitul$ Le \oi et le Commissaire, il se l@ve, sort,
claque la porte derri@re lui, et, poursuivi par )artre et Eian, refuse de revenir U mais rien qui
ressemble A une habitude" La Chute se contente de raconter une altercation avec un motard dont
l'en%in r$calcitrant emp>che la circulation A un feu rou%e & Clamence demande sans animosit$ au
conducteur de la moto qu'il d$place son en%in" ,n peu de temps, le bref $chan%e verbal s'ach@ve
avec un coup donn$ par l'homme qui s'enfuit sur son en%in p$taradant" Clamence rumine sa
ven%eance, sc$no%raphie sa vendetta, bout dans le ressentiment, et s'ima%ine rossant le rosseur"
Voleur & m>me remarque avec ce deu8i@me trait de caract@re qui paraWt plus encore un rXle
de composition" Clamence rec@le une toile de Ean ,ycK subtilis$e dans la cath$drale )aint5*avon
A Iand, L'Aneau mystique, et plus particuli@rement l'un des panneau8 de ce polyptique Les
Jues int3res" Gn soir de beuverie, elle a $t$ achet$e par le patron du bar au voleur imbib$"
L'Buvre a $t$ e8pos$e dans le bistrot un temps, avant d'>tre r$cup$r$e par Clamence qui la %arde
dans un placard et 'ouit de ce mauvais tour 'ou$ au8 visiteurs de l'F%lise qui se pTment devant
une copie, lui seul pouvant se d$lecter du spectacle des v$ritables 'u%es p$nitents D
A99a&ulateur & fi$vreu8, avouant lui5m>me que, peut5>tre, il s'est content$ de r>ver ce qu'il
raconte, Clamence nourrit son autoportrait d'informations e8otiques & pape dans un camp de
prisonnier 6)artre au )tala% M(( Q9, mobilis$ A la %uerre mais n'ayant 'amais vu le feu 6)artre
encore Q9, tent$ par la r$sistance mais sans plus 6)artre A nouveau Q9, passa%e par l'Al%$rie, d$sir
vell$itaire de re'oindre Londres, voya%e en Cunisie pour suivre une amie, arrestation par les
Allemands, incarc$ration dans un camp A Cripoli 6plus )artre du tout9"
1ens$es pour lui5m>me
Coupa&le & le trait de caract@re de Clamence correspondant le plus A Camus c'est donc la
culpabilit$" Au point qu'il estime, et Camus aussi dans d'autres te8tes, son%eons au8 tr@s s$rieuses
Ré9le*ions sur la uillotine, que personne, 'amais, n'est totalement indemne de culpabilit$"
; +ous avons tous fait du mal dans notre vie, m>me si ce mal, sans tomber sous le coup des lois,
allait 'usqu'au crime inconnu" (l n'y a pas de 'ustes, mais seulement des cBurs plus ou moins
pauvres en 'ustice ? 6(E" !3/9, $crit5il dans son plaidoyer abolitionniste"
Clamence invite chacun A reconnaWtre sa culpabilit$" (l affirme que s'il a parl$ pendant
cinq 'ours, c'est pour ; faire taire les rires ? 6(((" .3.9, autrement dit en finir avec la culpabilit$, la
mauvaise conscience, $touffer en lui cette petite voi8 qui fait entendre son 'u%ement, celle qui
prend la parole dans le creu8 m>me de l'>tre" Car La Chute est un monolo%ue dans le m>me esprit
que les Pensées pour moi8m/me de Marc5Aur@le" Le re%rett$ 1ierre Ladot proposait une autre
traduction de ce te8te sans titre 6le manuscrit de La Chute porte ce titre, mais r$di%$ par une main
qui n'est pas celle de Camus9 & , moi8m/me" C'est un autre ( moi8m/me que ce r$cit effectu$ par
Camus A son intention U Clamence parta%e trop de traits communs avec cet interlocuteur pour
qu'il lui soit e8t$rieur"
Ce te8te est une Con9ession dans l'esprit du saint Au%ustin lu et travaill$ par Camus pour
son diplXme universitaire" On le sait, le docteur de l'F%lise construit son livre sur la culpabilit$ lui
aussi U le vol de poires quand il a seiOe ans, pour le seul plaisir de 'ouir de la trans%ression" 1uis
la vie dissolue, a&surde, qui fut la sienne avant sa conversion au christianisme" La Chute s'inscrit
dans ce silla%e de la con9essio d'une faute" Mais A qui s'en ouvrir dans un monde sans dieu, sans
%rTce, sans pardon, sans possibilit$ de r$sipiscence Q La Chute initie une course vers un abWme
sans fond & >tre coupable sans possibilit$ d'obtenir un pardon U d'oN Q #e qui Q
Cette confession faite A soi5m>me r$v@le un savant m$lan%e d'e8amen de conscience
pa]en et de culpabilit$ chr$tienne, un mi8te sin%ulier de sto]cisme et de catholicisme, une fusion
entre l'empereur romain Marc5Aur@le et l'$v>que berb@re saint Au%ustin" La confession
auriculaire initi$e par le quatri@me concile de Latran e8i%eait un p$nitent et son 'u%e, deu8
personnes s$par$es, l'une qui confesse ses p$ch$s, ses fautes, l'autre qui, rituellement, et en vertu
des pouvoirs conf$r$s par l'F%lise, fi8e les modalit$s de l'absolution, b$nit et absout" Mais dans
l'impossibilit$ d'une pareille confi%uration pour qui ne souscrit pas A l'F%lise catholique,
apostolique et romaine, quelle issue Q Aucune"
Y lui5m>me, Clamence 6se9 dit & ; Alors raconteO5moi, 'e vous prie, ce qui vous est arriv$
un soir sur les quais de la )eine et comment vous aveO r$ussi A ne 'amais risquer votre vie"
1rononceO5vous m>me les mots qui, depuis des ann$es, n'ont cess$ de retentir dans mes nuits, et
que 'e dirai enfin par votre bouche & hX 'eune fille, 'ette toi encore dans l'eau pour que ''aie une
seconde fois la chance de nous sauver tous les deu8 Di ? 6(((" .039" Mais voilA, ce qui a eu lieu
une fois ne revient 'amais et ne peut pas ne pas avoir eu lieu" Clamence ne pourra 'ouer A
nouveau ce qui se 'oue une fois seulement" LeVon donn$e par le fleuve d'L$raclite & Francine
n'en'ambera pas une seconde fois sa fen>tre pour donner une occasion d'>tre h$ro]que" +e l'avoir
pas $t$ quand il l'aurait fallu une fois suffit A la condamnation" 1as de pardon"
Le principe du malconfort
La faute sans possibilit$ de %rTce et de r$mission, de pardon et de rachat, voilA l'une des
cons$quences de la mort de #ieu et du nihilisme qui s'ensuit" Camus ne le d$plore pas, il ne tient
pas un discours ontolo%iquement r$actionnaire sur ce su'et, mais il constate que la Ir@ce i%norait
la faute, le p$ch$, que le christianisme a invent$ la culpabilit$ et que la mort de #ieu nous laisse
avec ce malaise e8istentiel sans le rem@de qui l'accompa%nait 'adis" La faute demeure, mais sans
la %rTce qui l'effaVait" EoilA l'ontolo%ie du si@cle d'apr@s la mort de #ieu"
Camus philosophe respecte la lan%ue franVaise, comme quiconque doit l'apprendre dans
son enfance A la faVon d'une lan%ue $tran%@re parce qu'elle n'est pas donn$e et s'obtient de haute
lutte" (l $crit un franVais clair, simple, il ne s'interdit pas d'>tre lyrique ou po$tique, mais 'amais
au d$triment du sens" On chercherait donc en vain cheO lui des n$olo%ismes ou des concepts
for%$s le re%ard tourn$ vers les chaires universitaires de la philosophie allemande" EoilA pourquoi
il peut ironiser dans ses Carnets et $crire, un Bil sur )artre probablement & ; Ceu8 qui $crivent
obscur$ment ont bien de la chance & ils auront des commentateurs" Les autres n'auront que des
lecteurs, ce qui, paraWt5il, est m$prisable ? 6(E" !/.9"
Y d$faut de cr$ation de concepts, la manie philosophante du MM
e
si@cle th$oris$e par
#eleuOe, Camus recourt A un ancien mot pour lui donner une force ontolo%ique & le malconfort"
Aucun dictionnaire ne le mentionne" Le mot apparaWt sept fois dans La Chute et nulle part
ailleurs" Camus en donne une d$finition pr$cise A son interlocuteur & ; C'est vrai, vous ne
connaisseO pas cette cellule de basse5fosse qu'au Moyen b%e on appelait le malconfort" ,n
%$n$ral, on vous y oubliait pour la vie" Cette cellule se distin%uait des autres par d'in%$nieuses
dimensions" ,lle n'$tait pas asseO haute pour qu'on s'y tWnt debout, mais pas asseO lar%e pour qu'on
pSt s'y coucher" (l fallait prendre le %enre emp>ch$, vivre en dia%onale J le sommeil $tait une
chute, la veille un accroupissement ? 6(((" .4.9" La chute Q Gn assoupissement dans le
malconfort"
Cette machine A punir, en compa%ne de la herse dans La Colonie pénitentiaire de RafKa,
fonctionne comme une preuve de la culpabilit$ & la preuve de la faute, c'est sa punition" )e
trouver dans ce cul5de5basse5fosse 'usqu'A ce que les %ardiens sortent un 'our un squelette, c'est
t$moi%ner de la culpabilit$" Chacun vit dans le malconfort, il n'y a pas d'innocents, car
l'innocence est impossible A $tablir, au contraire de la culpabilit$ facile A d$montrer" Clamence
affirme & ; Chaque homme t$moi%ne du crime de tous les autres ? 6(((" .4.9" Cous coupables,
donc"
La cellule des crachats
Camus d$crit un autre supplice & la cellule des crachats" ,lle fait face ontolo%iquement A
celle du malconfort & l'une dit la condition humaine solipsiste, l'autre la condition humaine
politique" Puid de cette cellule Q ; Gne boWte maVonn$e oN le prisonnier se tient debout, mais ne
peut pas bou%er" La solide porte qui le boucle dans sa coquille de ciment s'arr>te A la hauteur du
menton" On ne voit donc que son visa%e sur lequel chaque %ardien qui passe crache
abondamment" Le prisonnier, coinc$ dans la cellule, ne peut s'essuyer, bien qu'il lui soit permis, il
est vrai, de fermer les yeu8 ? 6(((" .4/9" Cette boWte e8iste5t5elle Q Oui, puisque Camus y fut
enferm$ U entre autres au moment de la parution de L''omme ré+olté" Les cracheurs les plus
c$l@bres avaient pour nom <ean51aul )artre et )imone de *eauvoir, Francis <eanson et Maurice
Merleau51onty, avec un tas d'autres plumitifs de l'$poque" 1as besoin d'attendre le <u%ement
dernier et la parole de #ieu, le 'u%ement des hommes suffit, il invente des raffinements sans nom
dans le mal"
#onc, Camus confesse avoir connu le malconfort et la cellule des crachats" La premi@re, A
cause de culpabilit$s psycholo%iques anciennes, dont la plus r$cente est probablement la
souffrance psychique de son $pouse imput$e A son insouciance, A son $%o]sme et A son
libertina%e U mais on pourrait solliciter des p$riodes plus anciennes dans la psych$ du philosophe
et qui constituent autant de tensions, de noua%es de l'>tre A m>me de tendre l'arc 'usqu'A un point
menaVant rupture & proc$der d'un p@re mort A la %uerre et se vouloir un fils di%ne J A di85sept ans,
se trouver condamn$ A vivre une vie absurde et br@ve avec la mort dans les poumons J quitter son
milieu de naissance en tTchant de lui rester fid@le J entrer par effraction dans le monde des lettres
verrouill$ par les h$ritiers et y e8celler sans l'aide des tribus parisiennes J survivre au8 combats de
la 7$sistance alors que des amis y ont laiss$ leur vie J devoir son succ@s A des livres que sa m@re
ne peut pas lire J d$fendre le socialisme dans une ,urope qui l'associe au8 barbel$s J tenir A une
Al%$rie solaire A l'heure oN l'on y $%or%e sans retenue J recevoir le +obel et s'en 'u%er indi%ne
parce qu'on se croit ill$%itime U voilA beaucoup pour un seul homme"
La cellule des crachats fut sartrienne" Clamence dit A son interlocuteur & ; Eous parlieO du
<u%ement dernier" 1ermetteO5moi d'en rire respectueusement" <e l'attends de pied ferme & ''ai
connu ce qu'il y a de pire, qui est le 'u%ement des hommes" 1our eu8, pas de circonstances
att$nuantes, m>me la bonne intention est imput$e A crime ? 6(((" .4.5.4/9" Camus nous donne les
cl$s de cette cellule en effectuant le portrait des 'u%es5p$nitents qui pullulent au'ourd'hui" Pui
sont5ils Q
<adis, on l'a vu, le 'u%e e8aminait le cas d'un coupable qui devenait p$nitent" Avec
l'annonce nietOsch$enne de la mort de #ieu, une nouvelle $poque s'ouvre, celle du nihilisme" Le
'u%e ne se distin%ue plus du p$nitent" (l concentre en lui les deu8 fonctions & d'abord, il s'accable,
mais pour mieu8 accabler autrui" )a lo%ique est autocritique dans un premier temps, puis critique
dans un second" 1ar e8emple, il d$nonce les m$faits du capitalisme et fait de la bour%eoisie la
victime $missaire de tous les mau8 du monde J il attend d'elle qu'elle se convertisse A la
r$volution qui assurera sa disparition comme classe, mais aussi comme somme d'individus J en
cas de refus d'obtemp$rer, il monte des murs, construit des miradors, ouvre des camps, d$roule
des barbel$s" <u%es5p$nitents du capitalisme"
Le m>me sch$ma fonctionne pour la %uerre civile en Al%$rie & le 'u%e5p$nitent commence
par 'ouir d'un mea culpa sonore et public J A %enou8, il proclame sa faute qu'il $lar%it A celle de
l'Occident tout entier J apr@s avoir confess$ ses p$ch$s de *lanc, de chr$tien, d'Occidental, de
colonisateur, d'e8ploiteur, il s'estime asseO pur pour contraindre autrui A avouer ses fautes J si
l'aveu tarde, il recourt illico A la violence contre le r$calcitrant J bien vite, il 'ustifie le massacre,
les bombes, l'assassinat" <u%es5p$nitents du colonialisme"
Les 'u%es5p$nitents %ermanopratins
#ans ses Carnets, Camus $crit A la date du !4 d$cembre !-34 & ; ,8istentialisme" Puand
ils s'accusent on peut >tre sSr que c'est tou'ours pour accabler les autres" #es 'u%es5p$nitents ?
6(E" !2!29 Eeut5on un e8emple du fonctionnement des 'u%es5p$nitents et de leurs lo%iques Q
Lisons la pr$face au8 #amnés de la terre donn$e par )artre A FrantO Fanon en !-0! et reprise
dans Situations V" Ces pa%es sont publi$es un an apr@s la mort de Camus, mais )artre dialo%ue
encore avec lui 6disons plus 'ustement & monolo%ue contre lui9 et lui reproche d'avoir pens$ la
%uerre civile en Al%$rie en non5violent U autrement que comme lui qui le fit en incendiaire en
invitant A 'eter de l'huile philosophique sur le feu de la haine des hommes"
#'a&ord, l'e*ercice du mea culpa & )artre d$nonce ; nos crimes fameu8, )$tif, Lanoi,
Mada%ascar ? 6!.9 et d$crit la relation du *lanc au +oir comme tou'ours violente, tou'ours
brutale, tou'ours a%ressive, tou'ours de domination et de servitude, sinon de ruse, la fin $tant
syst$matiquement l'assu'ettissement en masse d'un peuple opprim$" Le philosophe ultra5
bolchevique, pour reprendre le mot de Merleau51onty, lance une impr$cation A son lecteur &
; vous saveO bien que nous sommes des e8ploiteurs _l` puisque nous avons tous profit$ de
l'e8ploitation ? 6!/.9 " %ous Q oui, tous U l'italique est de )artre"
1nsuite,l'in+itation au repentir & le philosophe mar8iste pose comme une $vidence que
; la vraie culture c'est la r$volution ? 6!.29" 1uis il a'oute & ; ,urop$ens, ouvreO ce livre, entreO5
y ? 6!.:9" ,t encore & ; AyeO le coura%e de le lire & par cette raison qu'il vous fera honte et que la
honte, comme a dit Mar8, est un sentiment r$volutionnaire ? 6!.39" Lire FrantO Fanon, c'est, pour
les *lancs, d$couvrir le m$canisme de leur ali$nation, de leur culpabilit$" Convenons en passant
que la honte comme sentiment r$volutionnaire constitue une avant5premi@re $thique D
Puis, le rendu du juement & si, apr@s avoir lu le te8te de Fanon, un lecteur manifeste son
d$saccord en affirmant que, pour sa part, il vit dans la m$tropole et r$prouve les e8c@s du
colonialisme, )artre lui r$torque & ; (l est vrai & vous n'>tes pas des colons, mais vous ne valeO pas
mieu8 ? 6!.49" Ainsi, la lo%ique du ; tous coupables ? fonctionne A plein" (l n'e8iste pas
d'innocents J l'innocence est une fiction" ; )i ce n'est toi, c'est donc ton fr@re ?, dira l'$%or%eur au
*lanc qu'il d$capite puisque )artre l'y invite en 'ustifiant son %este avec force contorsions
philosophantes & dialectique, sens et fatalit$ de l'Listoire, fraternit$ r$volutionnaire dans la
terreur" Au nom du pro%r@s, la Critique de la raison dialectique 'ustifie avec le brio normalien
cette r$%ression philosophique vers la ven%eance, la barbarie, le ressentiment"
1n9in, la condamnation ( la punition & en vertu d'une dialectique men$e 'usqu'A son terme
et selon le principe pos$ comme une v$rit$ incontestable que la violence est accoucheuse de
l'Listoire, il faut qu'; on e8tirpe par une op$ration san%lante _sic` le colon qui est en chacun de
nous ? 6!/09 U )artre, on le sait, invite A ; abattre ? 6!/:9 les ,urop$ens, A utiliser ; tous les
moyens ? 6!/29 6l'italique est de lui9 pour en finir avec eu8, il c$l@bre m>me la ; patience du
couteau ? 6!.:9 U autrement dit & les $%or%ements" Le san%, l'abatta%e, les couteau8, voilA
l'arsenal conceptuel sartrien"
Camus pr$voit donc avec 'ustesse la civilisation dans laquelle nous vivons depuis le demi5
si@cle qui nous s$pare de sa mort & une $poque de la haine de soi, de la culpabilit$, du mea culpa
%$n$ralis$, le temps des 'u%es5p$nitents qui, bien qu'ath$es, moralisent avec les cat$%ories
chr$tiennes" <amais ce si@cle de la mort de #ieu et de la fin de la reli%ion catholique n'a autant eu
recours au8 dispositifs chr$tiens pour se penser U et s'interdire d'a%ir & la confession, l'aveu, la
contrition, la culpabilit$, la repentance, la p$nitence, l'e8piation, la r$sipiscence, la r$paration,
l'absolution contaminent et %an%r@nent ce monde de pure immanence" ,n quoi nous sommes
encore chr$tiens" La Chute propose une ph$nom$nolo%ie non philosophique des temps qui
suivent la mort de #ieu" Le 'u%e5p$nitent triomphe en proph@te des temps nihilistes"
Les fleuves d'un ass$ch$
La Chute ob$it au8 in'onctions du 'eune Camus qui pensait que, pour bien faire de la
philosophie, il faut $crire des romans" (l e8prime de faVon litt$raire deu8 souffrances
e8istentielles & la culpabilit$ d'un homme qui ne vient pas au secours d'une femme se 'etant A l'eau
pour se suicider J la mortification d'une personne condamn$e par des 'u%es5p$nitents au
malconfort et A la cellule des crachats U autrement dit & le double tourment d'un Camus confront$
A la tentative de suicide de sa femme et au d$chaWnement de l'intelli%entsia parisienne contre lui"
#ouleur priv$e J douleur publique"
*ien que soumis A ce double assaut, Camus ne sombre pas dans le n$ant et l'accablement
total" Certes, il confie ici ou lA qu'il est fini, fichu, qu'il ne peut plus $crire, qu'il est A sec, bon A
rien" #ans ses lettres A 7en$ Char, le . aoSt !-34, il confie & ; 'e ne sais plus $crire ? J le
!. septembre !-3., il parle au m>me de ; st$rilit$ ? J A <ean Irenier, il dit le !2 septembre !-3.
; m>me une lettre me paraWt difficile A $crire ? J le vendredi / mai !-3-, il confesse avoir perdu
; le chemin du travail personnel ?"
Mais il faut relativiser, l'homme bless$ qui pense ainsi enchaWne les travau8 et les
publications & $criture de Retour ( %ipasa en 'anvier !-3: J publication d'Actuelles 66 en d$fense A
L''omme ré+olté en 'uin de la m>me ann$e J A cette $poque, il commence Le Premier 'omme J
printemps !-34, r$daction de L'.té J prise de notes pour un mythe de Faust qui ne verra pas le
'our J ach@vement de L'1*il et le Royaume en !-33 J publication de La Chute en !-30 et de
Ré9le*ions sur la uillotine en !-3. J parution de son #iscours de Su3de en !-3/ et du troisi@me
volume d'Actuelles consacr$ A la %uerre d'Al%$rie J toute l'ann$e !-3-, il travaille au chantier du
Premier homme" +ombre d'auteurs se contenteraient d'un tel ass@chement intellectuel D
Contre la Eeuve
#ans les derni@res ann$es de sa vie, les Ré9le*ions sur la uillotine semblent un bref te8te
perdu dans l'Buvre compl@te, or c'est un manifeste politique consid$rable en m>me temps qu'un
e8ercice de pi$t$ filiale & il ramasse le contenu de ses interventions contre la peine de mort
$parpill$es dans l'Buvre dans un court te8te militant et d$finitif" "ani9este politique, car la lutte
contre toutes les peines de mort constitue A soi seul un pro%ramme politique & quel philosophe,
souscrivant A un tel pro'et, pourrait 'ustifier le terrorisme d'une poi%n$e de militants ou la
r$pression $tatique lanc$e contre cette terreur Q (mpossible de r$%ler un diff$rend entre deu8 pays
en 'ustifiant l'envoi de troupes, l'occupation militaire, le lar%a%e de bombes, la lo%ique des
blind$s D Avec la th@se camusienne, la diplomatie, le dialo%ue, les pourparlers, les trait$s de pai8,
la n$%ociation, et tout l'arsenal de l'intelli%ence prend le pas sur celui de la violence"
1*ercice de piété 9iliale, car, quelques semaines avant l'attribution du pri8 +obel, Albert
Camus se montre un fils fid@le A son p@re dont on se souvient qu'assister A une e8$cution capitale
fit de lui un homme $cBur$" Cette transmission en biais, en travers, +ia la %rand5m@re qui
rapporte ce diamant paternel brut A son petit5fils en i%norant combien et comment il en fera une
des plus belles pierres pr$cieuses philosophiques, architecture son ordre libertaire"
Cous les combats libertaires des di8 derni@res ann$es de sa vie s'enracinent dans ce
terreau & la libert$ pr$serv$e dans le f$d$ralisme contre la brutalit$ 'acobine $tatique J la
pr$f$rence de la non5violence pour r$%ler les probl@mes entre les hommes A la barbarie du recours
A la brutalit$ l$%itim$e par le discours h$%$lien J le pacifisme d$sireu8 de diplomatie dans un
monde qui fait e8ploser ses deu8 premi@res bombes atomiques J l'internationalisme comme
%arantie d'une vie postnationale, le nationalisme se trouvant tou'ours A l'ori%ine des %uerres J
l'antifascisme quelles que soient les couleurs du totalitarisme, brun ou rou%e, naOi, franquiste ou
sovi$tique J la d$fense de fi%ures politiques alternatives A la politique politicienne autoritaire & la
force de Iandhi capable de venir A bout d'un r$%ime colonial brutal, le combat de Iarry #avis
pour abolir les fronti@res, la d$termination de Louis Lecoin pour obtenir un statut 'uridique A
l'ob'ection de conscience U toutes ces luttes partent du principe qu'il vaut mieu8 la pai8 que la
%uerre, la vie que la mort, la libert$ que l'autorit$, le verbe plutXt que la %uillotine"
Ce bref te8te ramasse tous les ar%uments d'un abolitionniste & la peine de mort n'emp>che
pas que fSt ce qui a eu lieu J elle n'a'oute pas ordre et pai8 A la soci$t$, mais ven%eance et
ressentiment J elle ne montre pas l'e8emple de la 'ustice, mais celui de la barbarie J elle a'oute de
la violence A la violence, tout en pr$tendant condamner la violence J elle ne r$pare pas le crime J
elle a'oute la souillure A la souillure J elle table sur les passions tristes 6l'envie, la 'alousie, la
m$chancet$, le sadisme, le ressentiment9 lA oN il faudrait c$l$brer les forces positives 6la raison,
l'intelli%ence, l'esprit, le 'u%ement9 J elle d$clenche la %loriole cheO le condamn$ et nourrit la
cruaut$ du bourreau J elle entretient le d$r@%lement mental de l'e8$cuteur des basses Buvres J elle
fait souffrir des innocents U la famille et les amis de l'accus$ J elle laisse croire que la soci$t$ n'est
pour rien dans le crime, pourtant %$n$r$ par la mis@re, la pauvret$, le chXma%e, l'alcool, une
n$%ativit$ sinon entretenue, du moins tol$r$e par l'Ftat J elle s'appuie sur une erreur ontolo%ique &
croire que les hommes disposent d'un libre arbitre, qu'ils choisissent librement, qu'ils peuvent
donc >tre dits responsables, coupables, donc punissables J elle prend le risque de supprimer la vie
d'un innocent victime d'une erreur 'udiciaire J elle interdit toute possibilit$ de rachat J elle croit
qu'il e8iste d'une part des coupables, d'autre part, des victimes U les choses n'$tant pas si simples J
elle est d$fendue par l'F%lise qui ensei%ne pourtant ; tu ne tueras point ?, alors que <$sus ne
l'aurait 'amais l$%itim$e J elle peut concerner n'importe quel innocent depuis que l'on tue au nom
du pro%r@s, du bonheur, du prol$tariat ou de la race J elle pourrait tout aussi bien concerner le
lecteur de ces li%nes coupable de n'importe quel crime si un %ouvernement le d$cidait en vertu
d'un caprice in$dit"
Camus attaque l'Ftat et inscrit donc son combat dans la %rande tradition libertaire" #@s
lors, il faut ; donner un coup d'arr>t spectaculaire et proclamer, dans les principes et dans les
institutions, que la personne humaine est au5dessus de l'Ftat ? 6(E" !049" Lutter contre la peine de
mort, c'est $%alement lutter contre les pelotons d'e8$cutions de l'occupant national5socialiste en
France J lutter contre les tirs dans le cBur des collaborateurs lors de l'$puration J lutter contre les
pendaisons publiques dans la 7ussie sovi$tique J lutter contre ; le san% al%$rien ? 6(E" !049 si
%$n$reusement r$pandu par le FL+ et l'arm$e m$tropolitaine J lutter contre les $chafauds
mar8istes5l$ninistes dans les pays de l',st"
Le san% sur les mains de )artre
1our m$moire, le combat abolitionniste ne fut pas celui de )artre, on le sait" Michel5
Antoine *urnier, 'ournaliste A Actuel, lui pose cette question en f$vrier !-.2 & ; )ans parler de
combats de rue ou d'action A force ouverte, vous resteO personnellement un partisan de la peine
de mort politique Q ? 7$ponse de )artre & ; Oui" #ans un pays r$volutionnaire oN la bour%eoisie
aurait $t$ chass$e du pouvoir, les bour%eois qui fomenteraient une $meute ou un complot
m$riteraient la peine de mort" +on que ''aurais la moindre col@re contre eu8" (l est naturel que les
r$actionnaires a%issent dans leur propre int$r>t" Mais un r$%ime r$volutionnaire doit se
d$barrasser d'un certain nombre d'individus qui le menacent, et 'e ne vois pas lA d'autre moyen
que la mort" On peut tou'ours sortir d'une prison" Les r$volutionnaires de !.-: n'ont
probablement pas asseO tu$ et ainsi inconsciemment servi un retour A l'ordre, puis la
7estauration" ?
1uis, dans le m>me entretien, il a'oute, concernant l'Al%$rie & ; La r$volution implique la
violence et l'e8istence d'un parti plus radical qui s'impose au d$triment d'autres %roupes plus
conciliants" ConVoit5on l'ind$pendance de l'Al%$rie sans l'$limination du M+A par le FL+ Q ,t
comment reprocher sa violence au FL+, quotidiennement confront$ pendant des ann$es A la
r$pression de l'arm$e franVaise, A ses tortures et A ses massacres Q (l est in$vitable que le parti
r$volutionnaire en vienne A frapper $%alement certains de ses membres" <e crois qu'il y a lA une
n$cessit$ historique A laquelle nous ne pouvons rien" ?
On aura bien lu & 'ustification sartrienne des massacres de plus de trois cents innocents,
femmes et enfants compris dans le villa%e de MelouOa, une sorte d'Oradour5sur5Ilane al%$rien J
'ustification des di8 mille morts que firent les affrontements entre musulmans du Mouvement
national al%$rien et du Front de lib$ration nationale 6)tora, !!39 et des vin%t5trois mille bless$s et
mutil$s perp$tr$s par le FL+ D Le combat contre la peine de mort constitue une v$ritable li%ne de
parta%e entre le socialisme libertaire 6de Camus9 et le socialisme c$sarien 6de )artre9"
Avec les communistes
La prise de position th$orique de Camus se double d'une action militante discr@te" (l
utilise son nom et sa r$putation pour obtenir des droits de %rTce au profit de ses adversaires
politiques" Apr@s la Lib$ration, on l'a vu, le 7$sistant qu'il fut souhaita que *rasillach et 7ebatet
$chappent A l'e8$cution" (l n'est pas suspect de sympathie pour la cause des deu8
collaborationnistes, au contraire de quelques autres si%nataires, mais il en fait une question de
principe"
EoilA pourquoi l'anticommuniste de %auche qu'il fut a $%alement pris le parti de
communistes qui risquaient leur vie" ,n d$cembre !-32, Camus soutient les $pou8 7osenber%
accus$s d'avoir transmis au8 )ovi$tiques des documents e8tr>mement pr$cieu8 concernant la
bombe atomique am$ricaine" (l demande qu'on $par%ne leurs vies" <uifs neZ5yorKais,
communistes, ils sont soutenus en France par une pl$iade d'artistes, d'intellectuels, d'$crivains"
<ulius et ,thel 7osenber% sont e8$cut$s A la chaise $lectrique dans la prison de )in% )in% le
!- 'uin !-3:" 1our information & l'ouverture des archives sovi$tiques ainsi que de nombreu8
t$moi%na%es d'a%ents russes permettent de savoir au'ourd'hui que les $pou8 $taient bien des
espions A la solde de l'G7)) et que leurs rensei%nements contribuaient au pro%ramme nucl$aire
sovi$tique destin$ A l'e8termination de millions d'innocents par le feu nucl$aire"
#ans Le "onde dat$ du !. novembre !-34, Camus intervient aupr@s de l'ambassadeur
d'(ran en France pour obtenir la %rTce de communistes iraniens condamn$s A mort par le )hah" Le
%ouvernement a e8$cut$ vin%t5trois personnes et s'appr>te A en tuer une quarantaine d'autres"
Camus $crit & ; Puelles que soient les raisons 'uridiques ou nationales qu'on invoque, on ne nous
emp>chera pas de penser qu'une telle boucherie, car c'en est une, n'a qu'un rapport lointain avec la
'ustice et la di%nit$ nationale qu'on pr$tend pr$server en cette affaire ? 6(((" -439" <amais aucune
boucherie ne peut se pr$tendre 'ustice U variation sur le th@me de la 'ustice et de sa m@re"
(l prend soin de si%naler dans cette lettre que, dans les pays oN s$vit le communisme, la
peine de mort est quotidienne, mais qu'il fait un principe de s'y opposer" Au contraire de nombre
d'id$olo%ues au8 indi%nations s$lectives, qui, comme )artre, trouvent barbare et ind$fendable
l'usa%e de la %$%@ne franVaise, mais dialectique, h$%$lien, n$cessaire, l$%itime, et m>me moral,
l'e8termination d'un villa%e par le FL+ coupable d'h$ber%er des militants du Mouvement national
al%$rien, Camus trouve barbare et ind$fendable et la %$%@ne et le massacre d'innocents"
#$fense des communistes neZ5yorKais, d$fense des communistes iraniens, d$fense des
communistes sovi$tiques & Camus ne veut pas distin%uer, il les d$fend tous d@s que leur vie se
trouve en dan%er" #ans la 7ussie mar8iste5l$niniste, les proc@s staliniens envoient directement au
poteau d'e8$cution" Le r$%ime de terreur mar8iste5l$niniste fera plus de cent millions de morts U
ce %rand massacre est possible parce qu'on d$fend la terreur qui transforme la peine de mort en
arme de %ouvernement"
Au8 cXt$s du FL+
Camus l'anticommuniste de %auche libertaire se bat pour sauver la t>te des communistes
partisans de la peine de mort J Camus l'Al%$rien anticolonialiste qui veut sauver le pays qu'il aime
avec le f$d$ralisme intervient pour qu'on n'envoie pas A la %uillotine des poseurs de bombes qui
tuent des enfants, des tortionnaires qui supplicient ou $%or%ent des musulmans pour les rallier A
leur cause" L'id$olo%ie, qui dispense de penser, ne l'aveu%le pas" Certes, il d$fend clairement ses
id$es U opposition au8 totalitarismes, A l'usa%e de la violence, A la peine de mort U, mais,
coh$rent, il d$fend aussi ceu8 qui ne pensent pas comme lui et se font, contre lui, les partisans des
r$%imes totalitaires de droite 67ebatet et *rasillach9, de %auche 6<ulius et ,thel 7osenber%9, les
acteurs des attentats nationalistes al%$riens 6*en )adoK et des diOaines d'autres9" On peut
ais$ment ima%iner que, dans la situation d'$par%ner Camus, ceu8 pour lesquels il intervient
n'auraient pas h$sit$ une seconde A le 6faire9 tuer" (l le sait"
,n !-34, sept Cunisiens sont condamn$s A mort pour l'assassinat de trois policiers" Camus
$crit une lettre au pr$sident 7en$ Coty pour obtenir leur %rTce" #ans son carnet, il rapporte le
d$tail de cette histoire & ; )ur la demande de Massi%non, ''$cris au pr$sident de la 7$publique
pour demander la %rTce des condamn$s A mort de MoKhine" Puelques 'ours apr@s 'e trouve la
r$ponse dans les 'ournau8 & trois des condamn$s A mort ont $t$ fusill$s" Fuin5e jours apr3s
l'e*écution, le directeur du cabinet m'informe que ma lettre a hretenu l'attentioni du 1r$sident et a
$t$ transmise au Conseil sup$rieur de la ma%istrature" 7>veuse bureaucratie ? 6(E" !!/39"
1our la seule ann$e !-3., Camus intervient en permanence" 1our ce que l'on sait & en
'anvier, sur la demande de Maurice Clavel, il d$fend le cas de #ebbache MoKtar J le 20, il $crit au
pr$sident de la 7$publique et met son poids dans la balance pour $par%ner la vie A plus d'une
diOaine de condamn$s J le 2/ octobre, il envoie un courrier A Iuy Mollet pour s'insur%er de la
reprise des e8$cutions qui ob@re les chances d'un avenir de pai8 en Al%$rie apr@s la %uerre J le
4 d$cembre !-3., il intervient pour sauver *en )adoK"
Olivier Codd $crit & ; )elon <ean #aniel et Iermaine Cillion, Camus intervient dans plus
de cent cinquante affaires ? 6Codd, 0/39" <amais Camus ne s'en fait %loire" (l demande m>me
qu'on taise ses interventions et souhaite militer discr@tement" Iermaine Cillion confie A 7o%er
Puilliot, le responsable de la premi@re $dition d'Albert Camus en 1l$iade & ; <'avais ses divers
num$ros de t$l$phone pour pouvoir le 'oindre imm$diatement" (l m'avait dit qu'il ferait ce que 'e
lui demanderai U et il l'a fait ? 6,ssais, !/439" (ma%ine5t5on )artre intervenant pour sauver du
poteau d'e8$cution Massu ou Aussaresses s'ils avaient $t$ s$questr$s et condamn$s A mort par le
FL+ Q
)on%eons A un historien contemporain qui se soucierait de ce travail de l'ombre effectu$
par Camus & s'il consacrait quelques pa%es seulement A chacun de ces cent cinquante cas, il
r$di%erait un fort volume oN l'on verrait le philosophe d$fendre la peau de poseurs de bombes, de
terroristes sans piti$, d'assassins de femmes et d'enfants couvrant leurs forfaits avec une
phras$olo%ie militante" Cet historien pourrait $%alement mettre en e8er%ue une phrase de Camus
qui condamne aussi la torture pratiqu$e par l'arm$e m$tropolitaine sur le territoire al%$rien et les
e8$cutions sommaires perp$tr$es par les parachutistes"
,n d$fense des minorit$s
Camus $crit & ; La d$mocratie, ce n'est pas la loi de la ma'orit$ mais la protection de la
minorit$ ? 6(E" !2-29" Au contraire du socialisme c$sarien, antid$mocrate par essence, le
socialisme libertaire est radicalement d$mocratique" On le verra donc, d$mocrate A souhait,
d$fendre (srakl, menac$e d@s sa naissance, minoritaire, d$'A e8$cr$e, combattue par les An%lais,
les pays arabes, et nombre d'autres nations" Ft$ 4., soit deu8 ann$es apr@s la lib$ration des camps
d'e8termination naOis, 1*odus AMN[ transporte A son bord quatre mille cinq cents 'uifs qui
$mi%rent clandestinement d',urope vers la 1alestine alors sous mandat britannique U premier
bateau d'un lon% convoi de clandestins qui traversent la M$diterran$e depuis des d$cennies pour
un avenir meilleur" Clandestins, priv$s de papiers d'identit$ d$truits dans le feu de la %uerre, ils
font face au pouvoir an%lais qui refuse cette arriv$e d'$mi%rants sur son sol, remplit trois bateau8
de ces 'uifs ind$sirables, or%anise leur reflu8 et les renvoie en Allema%ne"
)ur le tra'et du retour, la France offre l'hospitalit$ & soi8ante5quinOe personnes acceptent,
les autres persistent dans leur souhait d'aller en 1alestine" #ans le port d',lbe, l'An%leterre envoie
les troupes pour vider les embarcations A quai" Gne bombe A retardement est plac$e par les
An%lais dans l'un des trois bateau8, elle doit e8ploser dans l'apr@s5midi" Les 'uifs sont entass$s
dans des trains qui partent vers des camps allemands" Fmotion internationale" 1lusieurs mois
apr@s, la plupart des $mi%rants entrent en Cerre sainte" L'affaire de l'1*odus 'ouera un %rand rXle
dans la d$cision de cr$er un Ftat d'(srakl sur le sol palestinien U alors an%lais"
Gne autre tra%$die a eu lieu avec un autre bateau am$ricain, Le )en8'echt, du nom d'un
$crivain 'uif sc$nariste d'LollyZood" Ce navire apportait si8 cents r$fu%i$s 'uifs au8quels fut
$%alement refus$e l'entr$e en 1alestine" LA encore, les 'uifs sont intercept$s, enferm$s dans des
bateau8 et diri%$s vers Chypre" Gn 'ournaliste, <acques M$ry, souhaite rendre compte de cet
$v$nement dans son 'ournal U qui refuse de passer int$%ralement le reporta%e" (l se propose alors
d'$crire un livre qui devient Laisse5 passer mon peuple" Camus pr$face l'ouvra%e de quelques
feuillets qu'il titre Persécutés8Persécuteurs" Ce te8te se trouve dans Actuelles 66"
Camus recourt A l'ironie" Le pers$cuteur est devenu une fi%ure ma'eure de notre soci$t$
nihiliste, il va falloir s'y faire et se dire, peut5>tre pour s'y habituer, qu'on pourra aussi le devenir D
+otre $poque trouve que les pers$cut$s en font trop, qu'on les voit trop, qu'on les entend trop,
qu'ils nous accablent trop D ,n un mot & qu'ils e8a%@rent" ,lle croit, perfidement, qu'on n'est
'amais vraiment pers$cut$ si on n'a rien fait pour le m$riter car, somme toute, il n'y a 'amais de
fum$e sans feu & on ne fait pas l'ob'et d'une telle vindicte sans de vraies bonnes raisons D #@s lors,
si l'on pers$cute les 'uifs, c'est qu'ils ont probablement commis ce qui 'ustifie qu'ils le soient D
; Le monde a horreur de ces victimes inlassables" Ce sont elles qui pourrissent tout et c'est bien
leur faute si l'humanit$ n'a pas bonne odeur ? 6(((" :/49, pensent encore des hommes apr@s
l'ouverture des camps"
Le livre de M$ry montre que, peut5>tre, l'heure est venue pour les 'uifs de si%nifier qu'ils
en ont asseO d'>tre des $ternelles victimes" Pue le temps va venir oN la culpabilit$ et la
pers$cution cesseront d'accabler ce peuple transform$ en sempiternelle victime $missaire"
Fcoutons donc ce qu'il a A nous dire" L'Listoire $tant ce qu'elle est en !-4/, Camus $crit, tou'ours
avec le ton primesautier et ironique choisi pour r$di%er ces pa%es & ; 1enseO donc, s'ils avaient
compris la leVon et si, un 'our, ils devenaient pers$cuteurs Q (ls reviendraient ainsi dans la
communaut$, au milieu du soula%ement %$n$ral" Cout serait en ordre, enfin" Ce serait cheO nous
le festin du prodi%ue, le 'our de l'all$%resse" (l faudrait alors tuer le veau %ras" ,ncore tuer D diront
les d$licats" ? 6(((" :/39"
1lus de di8 ans apr@s, le 2! f$vrier !-3., Camus participe A un num$ro collectif de
$rance8:&ser+ateur consacr$ A (srakl" Gne poi%n$e d'intellectuels donnent leur avis sur les
$v$nements du moment & nationalisation du canal de )ueO par +asser, blocus du port d',liath,
occupation du canal par les troupes an%laises et franVaises, intervention d'(srakl dans le conflit qui
l'oppose A l'F%ypte, occupation de IaOa et de Charm el5CheiKh" Camus r$pond bri@vement mais
tr@s clairement & ; <e suis, et sans r$serve, pour la survie et la libert$ de l'Ftat d'(srakl, n$ du
martyre de millions d'hommes, et dont l'effort $conomique et social en fait un mod@le pour les
nations du Moyen5Orient, comme pour les autres ? 6(E" 3339"
On son%e qu'$crivant ceci en !-3., il doit penser un peu A la %uerre d'Al%$rie" EoilA
pourquoi il propose (srakl comme un mod@le de d$veloppement pour les autres pays arabes dont
les peuples ne demandent pas des canons et des %uerres 6A l'heure oN il $crit & fournies par +asser
au FL+9, des assassinats de masse et des crimes, mais des oliviers U au double sens symbolique,
la pai8, et a%ronomique, des richesses nationales susceptibles de nourrir les peuples" Les
,urop$ens, comptables de la )hoah, doivent mener une politique de coop$ration avec (srakl"
Le %$nie libertaire espa%nol
#ans ces ann$es !-3, les opprim$s, ce sont $%alement les r$publicains et les libertaires
espa%nols" On connaWt la passion de Camus pour l',spa%ne & ses %rands5parents maternels venus
de Minorque J sa c$l$bration de la r$volte en Asturies dans une pi@ce de th$Ttre $crite avant
%uerre J un r$el %oSt pour les valeurs espa%noles U ombra%eu8, s$ducteur, scrupuleu8 sur le sens
de l'honneur et de la fiert$ J d$sesp$r$ment compa%non de route de #on Puichotte J persuad$
qu'en ,urope l'Afrique qu'il aime tant commence sur la terre de Cervant@s J lecteur d'un Gnamuno
ayant bien saisi Le Sentiment traique de la +ie, il se dit autant espa%nol qu'al%$rien, puisque
africain" Mal%r$ tout cela, Camus n'a 'amais pos$ les pieds sur le sol espa%nol tant que Franco
$tait au pouvoir U et comme le dictateur meurt quinOe ans apr@s lui, il n'aura 'amais eu le loisir de
s'y rendre" Citre de %loire & ses livres $taient interdits dans l',spa%ne franquiste"
L',spa%ne, pour Camus, s'enveloppe dans le drapeau noir de l'anarchie" Puand il reVoit le
ch@que du +obel, une partie va au8 r$fu%i$s politiques espa%nols en France" Au printemps !-34,
il publie un Calendrier de la li&erté dans la revue anarchiste %émoins" (l y c$l@bre le %$nie
libertaire espa%nol et fusti%e la compromission de l'F%lise catholique, apostolique et romaine
avec le fascisme de Franco" 1uis, cette ma%nifique promesse intellectuelle, philosophique et
politique & ; Iardons5nous de croire que la cause r$publicaine vacille D Iardons5nous de croire
que l',urope a%onise D Ce qui a%onise, de l',st A l'Ouest, ce sont ses id$olo%ies" ,t l',urope peut5
>tre, dont l',spa%ne est solidaire, n'est si mis$rable que parce qu'elle s'est d$tourn$e tout enti@re,
et 'usque dans sa pens$e r$volutionnaire, d'une source de vie %$n$reuse, d'une pens$e oN la 'ustice
et la libert$ se rencontraient dans une unit$ charnelle, $%alement $loi%n$e des philosophies
bour%eoises et du socialisme c$sarien" Les peuples d',spa%ne, d'(talie et de France %ardent le
secret de cette pens$e, et le %arderont encore pour qu'il serve au moment de la renaissance" Alors
le !- 'uillet !-:0 sera aussi l'une des dates de la deu8i@me r$volution du si@cle, celle qui prend sa
source dans la Commune de 1aris, qui chemine tou'ours sous les apparences de la d$faite, mais
qui n'a pas encore fini de secouer le monde et qui pour finir portera l'homme plus loin que n'a pu
le faire la r$volution de !." +ourrie par l',spa%ne et, en %$n$ral, par le %$nie libertaire, elle nous
rendra un 'our une ,spa%ne et une ,urope, et avec elles de nouvelles tTches et des combats enfin
A ciel ouvert" Ceci du moins fait notre espoir et nos raisons de lutter ? 6(((" -249" Combien se
trompent ceu8 qui persistent A faire d'Albert Camus un social5d$mocrate D
,n !-34, Camus si%nale donc clairement ses pr$f$rences politiques & une r$publique
incarnant le socialisme libertaire J une forme de pouvoir capable de permettre en m>me temps la
'ustice et la libert$, alors que la premi@re sans la seconde est tyrannie, la seconde sans la
premi@re, anarchie, au sens trivial du terme J une %auche qui r$cuse aussi bien la pens$e
bour%eoise 6d'un 7aymond Aron9 que le mar8isme c$sarien 6d'un )artre9 J une r$volution, il ne
r$cuse pas le mot, inspir$e par les communards J une promesse de renaissance $lar%ie A l',urope
tout enti@re J une nouvelle leVon du nietOsch$isme solaire au continent h$%$lien nocturne"
L'ordre des anarchistes
Camus propose un ordre li&ertaire" #ans L'1urope de la 9idélité 6!-3!9 il utilise
d$lib$r$ment le mot ordre" Mais, dans un monde oN l'anarchie passe pour l'autre nom du
d$sordre, il faut l'e8pliquer" L',spa%ne lui sert d'e8emple & ; Puand n'importe qui peut arr>ter
n'importe qui, quand la d$lation est encoura%$e, quand les femmes enceintes dans les prisons sont
%$n$reusement dispens$es de travail, mais au neuvi@me mois seulement, alors nous sommes dans
le d$sordre, et Franco prouve au monde entier qu'il est un bien plus dan%ereu8 anarchiste que nos
amis de la C+C qui, eu8, veulent un ordre ? 6(((" /.49" Ce chiasme entre le d$sordre de ceu8 qui
pr$tendent faire respecter l'ordre, les %ens de pouvoir, et l'ordre de ceu8 qu'ils pr$sentent comme
des fauteurs de troubles qui voudraient le d$sordre, les anarchistes, permet de comprendre que
l'on puisse parler d'un ordre libertaire" L'ordre anarchiste, c'est le d$sordre des bien5pensants J
l'ordre des bien5pensants, c'est le d$sordre des anarchistes"
Les impr$cations de l'anarchiste individualiste Ma8 )tirner A d$truire tout ce qui ne
permet pas son affirmation, ses 'ustifications du crime, du meurtre, de l'inceste J les invitations de
*aKounine, compa%non de r$daction du Catéchisme ré+olutionnaire de +etcha]ev, A recourir A la
violence pour r$aliser le socialisme J les bombes envoy$es dans l'Assembl$e nationale par
Au%uste Eaillant J les crimes perp$tr$s par les en%ins e8plosifs de 7avachol J les assassinats de la
bande A *onnot, sous couvert d'anarchie, toutes ces e8actions transcendantales et empiriques ont
beaucoup contribu$ A la d$pr$ciation du terme"
Cette lo%ique du pire 'ette le discr$dit sur l'ensemble de l'anarchie positive & la premi@re
formulation de l'id$al libertaire donn$e par <oseph #$'acque U qui invente le mot, A d$faut de la
chose J la construction de la premi@re formule de l'individualisme anarchiste par Anselme
*elle%arri%ue J l'anarchie concr@te +ia la coop$ration, le mutualisme, le f$d$ralisme et le
pra%matisme moral de 1ierre5<oseph 1roudhon J l'$colo%ie politique libertaire du %$o%raphe
Flis$e 7eclus J la p$da%o%ie anti5autoritaire activ$e avec succ@s dans ; La 7uche ?, son $cole
alternative, par )$bastien Faure J le mouvement des universit$s populaires initi$ par le
proudhonien Ieor%es #eherme J la r$volution se8uelle et naturiste concr@te des Milieu8 libres
d'," Armand J le combat pacifiste et antimilitariste en faveur de l'ob'ection de conscience de
Louis Lecoin, qui fut d'ailleurs un compa%non de Camus U toute une lon%ue et belle tradition
libertaire qui se moque comme d'une %ui%ne du concept et du cat$chisme, fussent5ils anarchistes,
et souhaite avant tout le chan%ement e8istentiel et politique ici et maintenant U une autre 9ormule
de la radicalité" La r$volution espa%nole fut le moment historique de cette anarchie en acte"
(nterm@de au drapeau noir
Puels sont les anarchistes pour lesquels le souci de la construction d'un nouvel ordre
social pr$sente plus d'importance que celui de sa destruction Q 1eu ou prou les m>mes qui ne
souscrivent pas au8 marmites bourr$es de clous et d'e8plosifs lanc$es dans un restaurant, au8
revolv$risations d'un procureur pour acc$l$rer le cours de l'histoire, A l'assassinat d'un rentier afin
de hTter l'e8tinction du paup$risme, au8 $%or%ements de propri$taires sous pr$te8te de remplir
l'assiette des enfants de pauvres, autrement dit A tous ceu8 pour lesquels l'anarchie n'est pas le
produit du ressentiment mais la tension $thique vers la 'ustice sociale et sa r$alisation au plus vite
dans les faits"
1n ATNO, dans son fameu8 Fu'est8ce que la propriété K, 1roudhon $crit & ; L'anarchie,
c'est l'ordre, moins le pouvoir" ? 1n ATNT, dans La Solution du pro&l3me social & ; La plus haute
perfection de la soci$t$ se trouve dans l'union de l'ordre et de l'anarchie" ? 1n ATLO, Anselme
*elle%arri%ue fonde un 'ournal dont le titre est L'Anarchie? Journal de l'ordre" Cet anarchiste
individualiste affirme & ; L'anarchie, c'est l'ordre et le %ouvernement, la %uerre civile" ? #ans son
immense 1ncyclopédie anarchiste, )$bastien Faure consacre une lon%ue analyse au mot ; ordre ?
dans lequel il synth$tise les th@ses d'un article de RropotKine paru dans Le Ré+olté entre !//
et !//2, ; L'ordre ?, qui oppose l'ordre bour%eois et le d$sordre des anarchistes" #u cXt$ de
l'ordre bour%eois & l'e8ploitation, le capitalisme, la mis@re, la %uerre, la prostitution, le travail des
enfants, la fumisterie parlementaire, la servitude, l'asservissement des consciences et des
intelli%ences J du cXt$ du d$sordre des anarchistes & la lib$ration des peuples, la fin de l'esclava%e,
la science mise au service de l'humanit$, l'insurrection contre le capital, l'$vincement du cler%$,
l'abolition des privil@%es, la parole des chaumi@res contre les chTteau8" Chacun le comprend &
l'ordre bour%eois est un d$sordre, le pr$tendu d$sordre anarchiste, l'ordre v$ritable" Apr@s ce lon%
d$tour, )$bastien Faure conclut & si l'ordre ne proc@de pas de l'autorit$, s'il ne vient pas d'en haut,
s'il ne d$coule pas de la hi$rarchie, s'il ne s'appuie pas sur la force, s'il ne vit pas de contraintes,
alors l'ordre est 'uste et bon & ; )'il a pour base la 7aison et l',ntente, c'est A dire la Libert$, il
trouve son point d'appui sur l'acquiescement volontaire et conscient de tous, sur la r$partition
$%alitaire des produits du travail commun, sur le respect mutuel des droits et des devoirs de
chacun, sur l'$quilibre qui r$sulte automatiquement de la satisfaction des besoins ressentis" M@re
de la <ustice et de l'F%alit$, la Libert$ donne A l'Ordre une $tonnante stabilit$" L'Ordre ne peut
e8ister qu'au sein d'une soci$t$ compos$e d'>tres libres, $%au8 et solidaires ? 6(((" !/0.9" Les
ma'uscules sont de Faure" 1n ATML, lors du discours de la s$ance solennelle de rentr$e A
l'universit$ libre de *ru8elles, Flis$e 7eclus effectue des variations sur le th@me d$velopp$ par
ses pr$d$cesseurs" Le titre de cette conf$rence Q L'anarchie est la plus haute e*pression de
l'ordre"
Les pouvoirs en place ont int$r>t A pr$senter l'anarchie comme un d$sordre, et, pour ce
faire, d'insister sur le li%na%e violent, brutal, a%ressif, san%lant de la tradition ill$%aliste dans
l'histoire de l'anarchie" Mais il e8iste une li%ne de parta%e tr@s claire entre les partisans du san% et
ceu8 de l'intelli%ence & les premiers d$fendent tou'ours, sinon en th$orie, du moins dans les faits,
l'usa%e de la peine de mort" (ls vouent un culte A la violence" Cotalement A rebours de ce li%na%e
vandale, Camus s'inscrit dans la tradition des d$fenseurs de l'anarchie positive" )on Buvre enti@re
porte pour le MM
e
si@cle 6et apr@s9 le pro'et d'un ordre libertaire"
#'oN son int$r>t pour Iandhi" EoilA en effet un homme qui, sans 'amais recourir A la
violence et sans faire couler le san% d'un seul homme, obtient la lib$ration d'un peuple de quatre
cent millions d'Tmes U preuve de la possibilit$, en tablant sur la raison, l'intelli%ence, la
persuasion, la d$termination, de faire des r$volutions et d'infl$chir le cours de l'histoire" 1ulsion
de vie orientale contre pulsion de mort occidentale, formidable puissance de la )aha+ad84Hta
pour %$n$rer des r$sultats solaires en mobilisant des forces vitales contre sinistre influence du
Capital qui produit des miradors et des camps barbel$s dans un monde obscurci" Iandhi
; ensei%nait que la parole est un acte, et qu'elle peut faVonner l'histoire, A la seule condition qu'on
lui conforme sa vie, 'usqu'A la mort ? 6(((" !4-9"
L'heure espa%nole
)'il e8iste donc bel et bien un li%na%e libertaire th$orique, quid de la pratique Q Car, belle
sur le papier, A quoi ressemble l'anarchie dans les actes Q La r$ponse obli%e A revenir en ,spa%ne
dont Camus nous fait savoir qu'elle a des choses A nous apprendre pour l'avenir" Cette ,spa%ne
qui est d$'A l'Afrique fournit une seconde fois, apr@s l'Al%$rie de Cipasa, une leVon politique &
l',urope nocturne doit s'abreuver au8 sources de vie offertes par l'Al%$rie et la p$ninsule
(b$rique" Les pla%es de la M$diterran$e invitent A un nietOsch$isme lumineu8, les Puichottes
libertaires incitent A une 7enaissance de l',urope"
1our comprendre la nature concr@te d'un ordre li&ertaire, lisons le livre de Iaston Leval,
1spane li&ertaire @AMPU8AMPMB, une volumineuse enqu>te sur cette r$volution anarchiste
incarn$e dans ces r$%ions rudes" Camus n'a pu lire ce livre paru onOe ans apr@s sa mort, car son
auteur a lon%uement et patiemment enqu>t$ sur place, il a r$uni des t$moi%na%es, visit$ des
acteurs, compuls$ un nombre incroyable de documents de ce moment historique unique dans
l'histoire de l'humanit$ & une r$volution libertaire r$ussie U avant son assassinat par Franco"
Iaston Leval, on s'en souvient, c'est l'homme avec lequel Camus pol$mique lors de la parution de
L''omme ré+olté" Le directeur du Li&ertaire reprochait en effet au philosophe d'i%norer la totalit$
de la pens$e de *aKounine en e8trapolant sur deu8 ou trois te8tes et des sources fautives une
passion du r$volutionnaire russe pour le nihilisme et la violence U dans ce d$bat, pourtant, Camus
avait raison" Les deu8 hommes devaient sortir amis de cet affrontement sans haine et sans m$pris"
Pui $tait Iaston Leval 6!/-35!-./9 Q Fils de communard, ouvrier d'usine, insoumis lors
de la 1remi@re Iuerre mondiale, 1ierre 1iller de son nom v$ritable, passe en ,spa%ne et milite
dans les ran%s anarchistes" La C+C l'envoie en mission en G7)) en !-2!" (l y reste plusieurs
mois et d$couvre la vraie nature du r$%ime communiste qui emprisonne et pourchasse les
partisans de *aKounine ou de RropotKine" L$nine le reVoit, il demande la lib$ration des
anarchistes en %r@ve de la faim" )ilence du dictateur" (l part en Ar%entine en !-24, puis rentre en
,spa%ne en !-:4 oN il milite A la C+C" (nsoumis A nouveau, arr>t$, emprisonn$, $vad$ en
aoSt !-4, il entre avec le pacifiste Louis Lecoin dans les restaurants populaires du )ecours
national p$tainiste" Y cause de ce fau8 pas, la F$d$ration anarchiste l'$carte temporairement A la
lib$ration" 1endant des ann$es, en m>me temps que sa profession de correcteur typo%raphe, il
m@ne une vie de militant, cr$e des or%anisations, fonde des 'ournau8, $crit dans des bulletins U et
r$di%e un "ani9este8Proramme du mou+ement socialiste li&ertaire @ou de ci+ilisation li&ertaireB
U au'ourd'hui conserv$ dans les archives Camus A Ai85en51rovence D
)on 1spane li&ertaire s'ouvre sur un constat & en seulement trois ann$es, cette r$volution
anarchiste espa%nole a r$alis$ l'id$al propos$ par Mar8 et ,n%els, 1roudhon, *aKounine et
RropotKine U une soci$t$ sans classes, un homme nouveau, une fraternit$ concr@te, une solidarit$
effective, des relations in$dites, un mode de production et de distribution postcapitaliste" #e !-::
A !-:0, elle a obtenu ce qu'en plus d'un demi5si@cle la r$volution russe n'a pas conquis, car,
d$sormais, l'G7)) tourne le dos au8 id$au8 socialistes" ,n re%ard de l'Listoire, la Commune de
1aris semble un $v$nement mineur" 1ourtant, cette derni@re a %$n$r$ une quantit$ incroyable de
travau8, alors que rien n'e8iste sur la 7$volution libertaire espa%nole qui, elle, a r$alis$ le
communisme libertaire"
Pu'est5ce que le communisme libertaire Q ; !r L'or%anisation d'une soci$t$ sans classes J
2r le fonctionnement de cette soci$t$ sur la base du f$d$ralisme, et de la libre et n$cessaire
association ? 6!!9" Leval pr$cise en effet que les deu8 tiers des terres ont $t$ cultiv$s sans
patrons, sans propri$taires, sans administrateurs, sans se soucier d'ar%ent, sans ob'ectif de
concurrence, sans cadres, sans chefs" #ans l'industrie, les usines, les fabriques, les ateliers, les
services publics, et sans l'Ftat, sans les capitalistes, les ouvriers, +ia leurs syndicats et les comit$s
d'entreprise, ont assur$ la production et l'ont m>me am$lior$e"
L'$%alit$ a $t$ r$alis$e" Chacun a reVu en fonction de ses besoins" #ans nombre de
r$%ions, les collectivit$s a%raires et les entreprises industrielles ont fonctionn$ sur le principe des
associations libres, des coop$ratives, des mutualisations" Les rendements ont $t$ au%ment$s, des
nouvelles richesses cr$$es" La d$mocratie directe a fonctionn$, elle a $vit$ la repr$sentation, le
mandat et la d$l$%ation & les %ens concern$s ont eu85m>mes d$cid$ de leur avenir" L'entraide 6de
RropotKine9 a remplac$ la lutte 6de #arZin9, la solidarit$ 6anarchiste9 a pris la place de la rivalit$
6capitaliste9" Les th$ories libertaires fonctionnent donc quand on les met en Buvre concr@tement,
elles n'ont pas besoin de se nourrir du san% des bour%eois, elle vit d'une positivit$ qui, seule,
m$rite int$r>t" L',spa%ne r$alise l'ordre libertaire"
Iaston Leval cite Flis$e 7eclus pour montrer combien cette anarchie concr@te, r$alis$e
dans l'histoire, m$rite qu'on s'en soucie et qu'on prenne mod@le sur elle" 1arlant de cette
r$volution, il $crit & ; )on id$al, c'$tait le communisme libertaire, ou l'anarchie" Mais l'emploi de
ce dernier mot risque fort, surtout en lan%ue franVaise U et en d'autres lan%ues sans doute U de
d$former dans les esprits ce que le %rand savant et humaniste Flis$e 7eclus d$finissait comme
; la plus haute conception de l'ordre ?" #'autant plus que tr@s souvent, et ce fut le cas en France,
les anarchistes semblent s'>tre $vertu$s A donner raison A leurs adversaires, et A 'ustifier
l'interpr$tation n$%ative et nihiliste que l'on trouve d$'A dans telle ordonnance ou tel $dit de
1hilippe le *el ? 6!:9 U autrement dit depuis le M(((
e
jM(E
e
si@cle"
Gn lon% combat antifranquiste
Camus, donc, souscrit A cette 7$volution libertaire espa%nole, puisqu'il ne cesse de dire
combien il nous faudrait, pour construire la France et l',urope A venir, sans oublier l'Al%$rie,
s'inspirer de ce mod@le concret" (l c$l@bre l',spa%ne de la libert$ et invite A ce qu'elle nous serve
de mod@le" (l s'a%it de lui rendre homma%e, ; ouvertement, avec solennit$, avec le respect et la
tendresse que nous lui devons, l'admiration que nous portons A ses Buvres et A son Tme, la
%ratitude enfin que nous nourrissons pour le %rand pays qui nous a donn$ et nous donne encore
nos plus hautes leVons ? 6(((" 4:-9" EoilA pourquoi il n'a cess$ d'a%ir au8 cXt$s de l',spa%ne
libertaire"
#@s !-:3, il a vin%t5deu8 ans, Camus prend partie pour la r$volte en Asturies" ,n !-44, il
d$nonce les camps de r$fu%i$s, des ; camps de concentration ? 6((" 34!9, dans lesquels on parque
les e8il$s qui fuient le %ouvernement fasciste de Franco" (l re%rette que la France du Front
populaire n'ait pas combattu au8 cXt$s des r$publicains contre l'instauration d'une dictature
militaire catholique A sa fronti@re" Y la Lib$ration, il rend les Alli$s responsables du maintien de
ce r$%ime fasciste en ,urope, alors que l'(talie de Mussolini et l'Allema%ne d'Litler ont disparu"
,n aoSt !-43, il invite les d$mocraties europ$ennes A reconnaWtre pour seul %ouvernement
l$%itime celui qui s'est e8il$ A Me8ico U mais, m>me au'ourd'hui, qui se souvient que, du temps
de Camus, #ie%o MartineO *arrio fut pr$sident de cette 7$publique en e8il au Me8ique et incarna
un %enre de #e Iaulle dans un Londres me8icain Q Ce %ouvernement en e8il d$corera Albert
Camus qui se moquait des m$dailles mais, on l'a vu, arbora celle5ci sur le revers de son queue5de5
pie pour la c$r$monie du +obel A )tocKholm" ,n revanche, il ne portrait pas la rosette de la
7$sistance"
Puand l'G+,)CO accueillit le dictateur, Camus $crivit une lettre 6publi$e dans La
Ré+olution prolétarienne en 'uillet !-329 au directeur de cette institution pour refuser de
collaborer A une enqu>te sur la culture et l'$ducation, comme on le lui avait demand$" La raison Q
L'G+,)CO pr$voit de faire entrer l',spa%ne franquiste dans son sein" Camus pr$cise que les
id$au8 de cette maison se trouvent au8 antipodes des id$es d$fendues par Franco J qu'il serait
totalement impossible d'or%aniser une ,8position sur les droits de l'homme A Madrid J que des
militants syndicalistes sont %arrott$s par les militaires J que les proc@s politiques n'arr>tent pas"
Le philosophe rend sa lettre publique" (l initie une p$tition" ,n novembre !-32, Franco entre A
l'G+,)CO" Camus ne d$missionne pas comme il est écrit partout & il avait refus$ d'y >tre si
Franco y allait, Franco s'y trouvant, Camus n'y fut 'amais U il suffit de lire la lettre envoy$e au
directeur %$n$ral & ; <e voudrais vous dire pourquoi 'e ne puis consentir A cette collaboration
aussi lon%temps qu'il sera question de faire entrer l',spa%ne franquiste A l'G+,)CO ? 6(((" /-39"
Le !/ novembre !-33, Camus si%nale aussi que le r$%ime fasciste de Franco soutient le
FL+ U qui le sait Q Pui le dit encore Q Y l'$poque oN la %auche d$fendait encore la libert$, et la
droite, l'honneur, deu8 vertus 'oyeusement sacrifi$es par la premi@re et la seconde, elles se
seraient ; accord$es pour constater que l'amiti$ de M" Molotov et du colonel +asser ne pouvait
avoir d'autre effet, A lon%ue $ch$ance, que de donner A Franco, outre le Maroc, cette Oranie tant
convoit$e, oN il pourra importer la mis@re du Maroc espa%nol aupr@s de laquelle celle de la Oone
franVaise passerait pour royale ? 6(((" !409" )artre, alli$ ob'ectif de Franco sur la question
al%$rienne Q L'Listoire ne manque pas de sel"
Gn manifeste libertaire
#ans une brochure militante de Marin 1ro%reso, La Pensée politique d'Al&ert Camus
6!-0.9, on peut lire ceci & ; Eers les ann$es !-3, il lut et approuva le manifeste socialiste
libertaire de Iaston Lerval _sic` avec lequel il eut d'ailleurs une courte pol$mique apr@s la
parution de L''omme ré+olté ? 63!9" *ien sSr, il faut lire Leval" L'information reste tr@s
confidentielle dans les publications camusiennes" Les bio%raphes n'e8ploitent pas ce
rensei%nement ma'eur qui pulv$rise la th@se d'un Camus social5d$mocrate mend$siste"
1ourtant, dans les cartons d'archives de Camus d$pos$s A Ai85en51rovence, ''ai trouv$ un
paquet de feuilles sur papier pelure avec une dactylo%raphie au carbone, son titre est & "ani9este8
proramme du mou+ement socialiste li&ertaire @ou de ci+ilisation li&ertaireB" Puelques
corrections manuscrites se trouvent en mar%e, elles ne sont pas de la main de Camus" L'ensemble
est foliot$ de ! A :-, mais il manque la pa%e !" Coutefois, la lecture n'est pas affect$e quand on
passe de la pa%e - A la pa%e !! U c'est donc une simple erreur de dactylo%raphie, l'ensemble est
complet" EoilA donc le te8te de Iaston Leval dont Camus prit connaissance et auquel il
souscrivit"
Cr@s p$da%o%ique, Leval commence par e8pliquer ce que sont, d'un point de +ue
li&ertaire, le capitalisme, l'Ftat, la reli%ion, les F%lises, les m$canismes de production
$conomique" (l avoue utiliser avec re%ret le mot ; socialisme ? A cause de l'usa%e que les pays de
l',st en font & ; (l faudrait inventer un nouveau vocabulaire que les politiques et les nouveau8
profiteurs corrompraient bientXt ? 6!49" Le mot se trouve conserv$ tout de m>me, mais
nouvellement d$fini & ; L'$%ale possibilit$ de 'ouissance des biens sociau8 pour tous les hommes,
toutes les femmes, tous les enfants" ?
)uit une d$finition du principe li&ertaire, bien que la pratique libertaire ne suive aucun
principe d$fini ; car elle a $t$ la vie m>me, qui s'est d$velopp$e d'apr@s ses propres lois naturelles
qui n'ont rien A voir avec celles de l'Ftat ?" 1uis, plus loin & ; La civilisation est essentiellement
libertaire ? 6!09 car elle se construit avec ; des individualit$s et des $lites ?, 'amais avec l'Ftat, ni
A partir de lui" L'individu est donc le moteur du collectif U une %$n$alo%ie qui n'aurait pas d$plu A
+ietOsche"
Le manifeste propose ensuite un d$veloppement sur les techniques li&ertaires" Contre
l'Ftat, 'ustement, les libertaires veulent une %estion directe et responsable par les %ens concern$s"
Les usines seront %$r$es directement par les ouvriers et pour eu8, et non par et pour les
actionnaires" L'int$r>t %$n$ral et le souci du bien public doivent %uider les %estionnaires"
L'or%anisation de la production s'effectue de bas en haut, A partir des communaut$s de bases
associ$es, f$d$r$es, mutualis$es"
Le te8te invite A une éthique li&ertaire" Contre Mar8 et les mar8istes, les anarchistes ne
croient pas au primat de l'$conomie & une r$volution dans le mode de production des richesses ne
suffit pas A produire un homme nouveau J en revanche, un homme nouveau peut initier une
r$volution dans le mode de production des richesses" La r$volution politique est morale avant
d'>tre $conomique & d'abord de nouvelles valeurs, ensuite une humanit$ transfi%ur$e, donc une
autre faVon in$dite de produire et de r$partir les richesses et les biens"
Le r$volutionnaire libertaire n'a rien A voir avec le r$volutionnaire mar8iste qui oppose la
morale bour%eoise A la morale r$volutionnaire pour s'affranchir de toute $thique et mieu8 'ustifier
son immoralit$ et ses e8actions commises au nom de l'id$al socialiste" 1our Leval, il y a une
; n$cessit$, pour ceu8 qui veulent cr$er une soci$t$ nouvelle, d'>tre moralement sup$rieurs A ce
qu'ils veulent d$truire ? 6!-9" Le mar8isme a commis un mal irr$parable au socialisme, qui lui
pr$e8istait pourtant, avec son r$ductionnisme mat$rialiste, son $conomisme, sa reli%ion de
l'Listoire, son souverain m$pris de la conscience humaine"
,n mati@re de r$volution, l'intention peut >tre bonne, mais ; si les moyens sont immorau8,
on s'embourbe dans l'immoralit$, on aboutit A l'oppos$ de ce qu'on voulait atteindre ? U car le
socialisme incarne avant tout une e8i%ence $thique" La fin ne 'ustifie pas les moyens J les moyens
peuvent m>me discr$diter la fin s'ils la contredisent" #ans un monde sans boussole morale, le
manifeste en appelle A des vertus & 'ustice, fraternit$, honn>tet$, loyaut$, droiture, di%nit$,
solidarit$, v$rit$, altruisme" Le te8te pr$cise & ; L'$thique est aussi une esth$tique ? 629" La
solidarit$ est une affaire biolo%ique, $crit le tr@s probable lecteur de L'1ntraide de RropotKine,
sans laquelle la libert$ n'e8iste pas"
; Gne $volution r$volutionnaire ?
Gne partie de ce manifeste propose une pratique li&ertaire" Comment s'y prendre pour
r$aliser ce socialisme5lA Q Contre la domination militariste sovi$tique et l'or%anisation %uerri@re
du parti, le socialisme libertaire propose une ; $volution r$volutionnaire et libertaire ?" Iandhi
est c$l$br$ pour sa force morale et l'efficacit$ de sa technique politique non violente" Fvolution
pacifique contre r$volution violente & le bel o8ymore d'; $volution r$volutionnaire ? montre qu'on
a tort d'associer é+olution et ré9ormisme et ré+olution et radicalité pour mieu8 les opposer, car il
e8iste des radicalit$s sans brutalit$, sans %uillotines ni barbel$s, sans camps de concentration ni
miradors" #$fendre une $volution r$volutionnaire, c'est militer pour une vitesse & ni pr$cipitation
ni hTte qui %$n@rent tou'ours les catastrophes, mais 'ustesse d'un temps radical qu'on souhaite tout
de m>me rapide U et libertaire"
Concr@tement, dans l'esprit de 1roudhon, la monnaie classique laisse place A ; un si%ne
mon$taire de r$tribution ? qui emp>che le parasitisme et la sp$culation" Le souvenir des ,nra%$s
de !./- et des sans5culottes flotte dans les pa%es de ce te8te" Le consommateur choisit selon ses
besoins et son d$sir" La production s'inde8e sur son souhait & pas question de produire plus que de
raison pour r$aliser des stocKs et sp$culer" La rar$faction donne tou'ours naissance A une
bureaucratie domma%eable" #ans l'ordre libertaire, l'$conomie se met au service des hommes" La
solidarit$, la fraternit$, l'$%alit$, l'$quit$ pr$sident au8 redistributions effectu$es dans les
ma%asins coop$ratifs sur pr$sentation du fameu8 si%ne mon$taire" Les inactifs, les enfants, les
malades reVoivent selon leurs besoins"
Le manifeste re'ette l'Ftat et l'e8ploitation de certains pays par d'autres U il propose un
internationalisme li&ertaire" L'or%anisation des communes en coop$ratives, des coop$ratives en
mutuelles, des mutuelles en f$d$rations, des f$d$rations en formes politiques de plus en plus
%randes U un pays, la France, un continent, l',urope, une plan@te, le monde U produit un ordre
libertaire A r$aliser A chacun des $chelons qui conduisent du villa%e au %lobe terrestre" Les
syndicats et les coop$rations doivent cesser de fonctionner dans le seul cadre national" Le
manifeste envisa%e une ; soci$t$ socialiste libertaire ?, puis une ; structure europ$enne ?, enfin
une ; or%anisation internationale ?"
La f$d$ration reste l'instrument de pr$dilection libertaire & l'a%riculture fournit localement
les c$r$ales, les fruits, les l$%umes, les produits de premi@re n$cessit$" L'industrie proc@de de la
m>me mani@re" Les associations horiOontales, immanentes, contiennent la totalit$ des productions
et des producteurs" Cet assembla%e s'effectue de faVon centrifu%e" La Commune constitue la
cellule de base" #es d$l$%u$s au8 con%r@s f$d$rau8 et inter5f$d$rau8 repr$senteront l'assembl$e
des travailleurs qui pourront r$voquer ceu8 qui ne les repr$senteraient pas comme convenu lors
du mandat"
Leval parle de ; F$d$rations nationales or%anis$es de la p$riph$rie au centre ?, ce centre
que 1roudhon n'avait pas h$sit$ A nommer ; Ftat ? dans sa %héorie de la propriété, un livre
ultime qui lui valut la haine des anarchistes accroch$s A leur cat$chisme anti5$tatique U ils
n'avaient pas vu 6et, pour certains, ne voient d'ailleurs tou'ours pas9 que l'Ftat n'est pas une id$e
pure syst$matiquement condamnable, mais une machine pra%matique valant ce que valent les
id$au8 qu'il sert & quand l'Ftat %arantit le fonctionnement des f$d$rations, comment pourrait5il
>tre condamnable ou condamn$ Q Puand il sert les int$r>ts du capital, en effet, il est A abattre,
mais quand il se met au service de l'ordre libertaire Q
Le manifeste d$fend $%alement une culture li&ertaire" Contre l'usa%e bour%eois qui utilise
le savoir et les connaissances pour s$parer les hommes et asseoir la distinction de classe, la
culture doit devenir populaire" La r$duction du temps de travail au strict n$cessaire A la
consommation de chacun, soit quatre heures par 'our, d$%a%era un %rand temps disponible pour
les loisirs et ce que 1elloutier appelait la ; culture de soi ?" L'$ducation cesse d'>tre autoritaire et
les parents y contribuent de conserve avec les ensei%nants" Les libertaires font l'$lo%e de
l'$mulation cr$atrice et s'opposent ainsi au monolithisme intol$rant de la culture officielle d'Ftat,
fSt5elle socialiste"
Iaston Leval fait l'$lo%e de microsoci$t$s U il d$fend le principe d'une microlo%ie
politique" (l c$l@bre les ; libres r$publiques italiennes ?, les villes de l',mpire arabe 6on pense,
bien sSr, au douar8commune cher au cBur de Camus pour construire une Al%$rie socialiste et
libertaire9, au8 cit$s $%$ennes" (l faut viser, dit le te8te, ; une civilisation v$ritable et libertaire
6qui9 impliquerait la r$surrection de la vie locale ?" Comment un 1arisien de la premi@re moiti$
du MM
e
si@cle pouvait5il entendre ce lan%a%e %irondin Q
Le manifeste se termine sur ce qu'il faut faire imm$diatement & a%ir sans attendre J $viter
le tout ou rien J s'en%a%er dans des sph@res limit$es d'action J pratiquer une ; intense activit$
pros$lyte ? dans les associations J multiplier les ; soci$t$s f$d$r$es d'entraide et de libre
initiative ? J cr$er des r$%ies d'Ftat J vendre directement pour $liminer les parasites J d$clarer la
%r@ve %estionnaire et enclencher l'auto%estion directement sur les lieu8 de travail J instaurer des
coop$ratives de production et de distribution J solliciter ; les libertaires en puissance, les
libertaires qui s'i%norent ? pour mettre en place ce pro'et" EoilA A quoi Camus souscrivait
politiquement dans les ann$es !-3" )on action en faveur d'une f$d$ration franco5al%$rienne
montre qu'il croyait possible cet ordre libertaire" Mais voilA"
4"!"!-0
Camus perd la vie A l'T%e de quarante5si8 ans" Y cet T%e, et pour en rester au seul monde
des philosophes, Marc5Aur@le n'a pas fini ses Pensées, Montai%ne n'a pas $crit le livre ((( de ses
1ssais, Lobbes n'a pas compos$ ses .léments de loi, son #u citoyen, son #e la nature humaine,
ni son Lé+iathan, LeibniO n'a pas r$di%$ sa %héodicée, son Syst3me de la nature, sa "onadoloie,
Eoltaire n'a rien publi$ de notable en dehors de ses Lettres philosophiques, idem pour d'Lolbach,
Rant n'a compos$ aucune de ses trois %randes critiques, 7ousseau n'a pas $crit La 2ou+elle
'élo7se, Le Contrat social, L'.mile, les Con9essions, Les R/+eries du promeneur solitaire, ni
Montesquieu L'1sprit des lois, pas plus Mar8 son Capital, ou L$vi5)trauss ses %ristes tropiques,
Lacan n'a r$di%$ aucun des te8tes qui constituent ses .crits"
#ans Le "ythe de Sisyphe, 'eune homme, Camus $crivait & ; Gne mort pr$matur$e est
irr$parable ? 6(" 2..9 U 'eune homme, mais tuberculeu8, donc se sachant A terme condamn$ A
mort, du moins & A mourir plus vite que les autres" #e fait, Le Premier 'omme montre dans quelle
direction se diri%eait Camus qui, peut8/tre, cr$ait, avec sa maison de Lourmarin, une occasion de
retrouver le royaume m$diterran$en apr@s avoir $t$ contraint A l'e8il europ$en" Cenir 1aris A
distance, se nourrir du soleil et de la lumi@re du Luberon, $crire loin des fTcheu8, m$diter sur la
terrasse au8 aurores qui n'ont pas encore lui, au8 feu8 nietOsch$ens allum$s sur les collines, au8
trous d'ai%uilles lumineu8 et scintillants faits par les $toiles dans la nuit provenVale, penser au
livre de philosophie qui associerait Faust et #on <uan, au8 pi@ces de th$Ttre A $crire, au8 romans
aussi"
)i d'aventure il avait v$cu octo%$naire, une hypoth@se loin d'>tre d$raisonnable, Camus
aurait connu & l'Al%$rie ind$pendante, les barricades de Mai 0/, le rire de Cohn5*endit nar%uant
les C7), le %$n$ral de Iaulle $vinc$ du pouvoir, le vieu8 ch>ne abattu sur sa table de 'eu, les
deu8 r@%nes conservateurs du banquier normalien a%r$%$ de lettres, 1ompidou de Montboudif, et
de l'accord$oniste auver%nat, Iiscard d',stain% de Chamali@res" (l aurait aussi vu acc$der A la
ma%istrature supr>me un socialiste 'adis d$cor$ de la francisque, Mitterrand de <arnac" (l aurait
assist$, sSrement m$dus$, A la conversion de l'ancien ministre de la <ustice qui envoyait les
nationalistes al%$riens A la %uillotine en conscience morale de la %auche devenue la fi%ure
embl$matique de l'abolition de la peine de mort U une aubaine morale pour un homme dont la
r$putation $tait qu'il en avait si peu" (l n'aurait pas manqu$ de voir comment cet homme
instrumentalisa l'e8tr>me droite pour rester au pouvoir deu8 fois sept ans et comment il brada les
id$es de %auche qui l'avaient conduit A l'Flys$e deu8 ans apr@s son arriv$e au pouvoir" (l aurait vu
paraWtre L'Archipel du 4oula de )ol'enitsyne et constat$ qu'en compa%nie de ; +ouveau8
1hilosophes ?, *LL, se r$clamait de lui avant de le salir %ravement dans Le Si3cle de Sartre U un
plaidoyer pour la %randeur de )artre qu'il aurait aussi pu lire A l'T%e de quatre5vin%t di8 sept ans D
(l aurait assist$ $%alement A la mort de Franco, A celle de Mao, A celle de )artre, A la chute du mur
de *erlin, A l'effondrement des pays de l',st U il aurait eu soi8ante5seiOe ans seulement" Puels
beau8 livres il nous aurait donn$s D Puelles belles parutions que la r$union des chroniques
inspir$es par ces mouvements de l'Listoire dans Actuelles 6V, Actuelles V, etc"
(l n'aura pas vu non, plus, et c'est heureu8 pour lui, le %rand soin que l'on mit soit A ne pas
le lire, soit A lui pr>ter les id$es les plus sau%renues pour $viter d'avoir A d$battre avec lui d'une
possibilit$ de %auche non mar8iste, d'une r$volution socialiste non violente, d'une pens$e
libertaire pra%matique et concr@te, alternative A la %auche autoritaire, c$sarienne et brutale, qui fit
la loi dans ce MM
e
si@cle" (l n'eut pas A lire non plus le pamphlet de <ean5<acques *rochier,
sartrien de seconde Oone, qui fit de Camus ; un philosophe pour classe terminale ?, une vilenie
qui fait si souvent la loi dans le petit milieu intellectuel et dans le mari%ot philosophant U alors
que, parado8e, c'est au'ourd'hui )artre qui, avec Cournot et Au%uste Comte, fait partie des auteurs
au pro%rammes du bac et b$n$ficie des faveurs bour%eoises des instructions officielles, pas
Camus qui appartient tou'ours au8 lecteurs libres"
#ans ses Carnets, en !-3:, il $crivait & ; <e demande une seule chose, et 'e la demande
humblement, bien que 'e sache qu'elle est e8orbitante & >tre lu avec attention ? 6(E" !!039" 1our
honorer sa m$moire, le lire vraiment, lui rendre 'ustice, aller au te8te, A tous les te8tes, croiser sa
pens$e et son e8istence, saluer une vie philosophique e8emplaire et impeccable, ''ai souhait$
$crire ce livre apr3s l'a+oir lu a+ec attention" La suite de cette aventure de la pens$e pra%matique
et libertaire invent$e par Albert Camus appartient d$sormais au8 lecteurs" ,u8 seuls peuvent
prolon%er sa vie"

Conclusion
La post$rit$ du soleil
Pu'est5ce qu'un post5anarchiste Q
; Gn art de vivre par temps de catastrophe ?
6Camus, #iscours de Su3de, (E" 24!9"


L'$parpillement anarchiste
Puelle id$e nouvelle peut5on mettre au compte de la pens$e anarchiste depuis un si@cle Q
Les %ardiens du temple libertaire seraient bien en peine de r$pondre A cette question" Pue s'est5il
pass$ pour que l'anarchie, formidable vivier d'une r$fle8ion politique au M(M
e
si@cle, se retrouve
e8san%ue apr@s un MM
e
si@cle qui fut celui & des boucheries de la 1remi@re Iuerre mondiale, de la
barbarie de la )econde, du %$nocide du peuple 'uif, de la lib$ration des camps de la mort, des
deu8 bombes atomiques lar%u$es par les Am$ricains A Liroshima et +a%asaKi, des furies de san%
des %uerres coloniales, du %oula% mar8iste5l$niniste en Gnion )ovi$tique, du syst@me
concentrationnaire mao]ste, de l'e8termination de l'intelli%ence dans la Chine de Mao et le
Cambod%e de 1ol51ot, des %uerres men$es pour la d$fense des int$r>ts capitalistes, de la premi@re
%uerre du Iolfe, des massacres dans les *alKans, du %$nocide au 7Zanda Q
#e la m>me mani@re que dans le petit monde universitaire, avec les m>mes travers, une
historio%raphie dominante fait la loi dans l'$criture des histoires de la pens$e anarchiste" Le te8te
sacr$ propa%e la l$%ende dor$e du drapeau noir et commence avec les précurseurs, autrement dit
l'anarchie avant l'anarchie, un chapitre consacr$ au tonneau de #io%@ne et A ses impr$cations
contre Ale8andre qui le privait de soleil, A l'abbaye de Ch$l@me de 7abelais qui invitait au ; Fais
ce que vouldras D ?, A l'analyse de la servitude volontaire d'un La *o$tie manifestant son %$nie
politique A l'T%e oN 7imbaud $crivit son ; *ateau ivre ?" Mais un passa%e par les ,nra%$s de la
7$volution franVaise ou les sans5culottes, ne parlons pas du f$d$ralisme %irondin, est e8clu du
tra'et habituellement propos$ par l'a%ence touristique libertaire" La Iironde est de droite, la
Eend$e catholique et contre5r$volutionnaire, les l$%endes ont la vie dure"
Cette historio%raphie consacre ensuite un d$veloppement au8 théoriciens de l'anarchisme
sans 'amais se demander si les d$funts couch$s dans ce cimeti@re libertaire n'y ont pas $t$
allon%$s A leurs corps d$fendant & IodZin s'y trouve, mais ce penseur n$ en !.30 fut un
pr$dicateur protestant pour lequel, avec force sermons et en comptant sur des milliers d'ann$es de
pros$lytisme, le paradis se r$aliserait un 'our sur terre U cet $den fut enrXl$ dans l'encyclop$die
des belles utopies libertaires, mais l'auteur de Ca& =illiam aurait peut5>tre $t$ $tonn$ d'y cXtoyer
7avachol et la bande A *onnot D )tirner y est l'incarnation de l'individualisme anarchiste, mais
l'esprit de L';nique et sa propriété nous laisse croire que de cette $tiquette, tout comme avec
n'importe quelle autre, il aurait fait des confettis puisque seule compte l'affirmation de son moi,
fSt5ce au pri8 du crime, du viol, du meurtre" Ce forcen$ de l'e%o aurait lui aussi $t$ sid$r$ de
prendre place au8 cXt$s d'un L$on Colsto] pour qui <$sus fut le plus %rand anarchiste de tous les
temps D
,nsuite, l'historien laborieu8 du drapeau noir d$cortique le noyau dur de la pens$e
anarchiste" Y tout sei%neur, tout honneur, il commence par 1roudhon, l'inventeur du mot et de la
chose, mais ne parle 'amais de sa %héorie de la propriété qui %>ne le do%me avec son $lo%e de
l'Ftat anarchiste ou de la propri$t$ libertaire J on continue avec l'o%re *aKounine souvent, mais le
prince RropotKine un peu moins" Apr@s ces trois fi%ures, les feu8 de la th$orie semblent
s'$teindre" Mais parce qu'on laisse en retrait le socialisme libertaire franVais, moins doctrinaire,
moins id$olo%ique, moins conceptuellement satisfaisant que ses re'etons h$%$liens, alors qu'il
produit des effets & des $coles alternatives, des ateliers auto%$r$s, des ; Milieu8 libres ?, des
r$sistances pacifiques concr@tes, des universit$s populaires au moment de l'affaire #reyfus, des
coop$ratives ouvri@res, d'authentiques succ@s anarcho5syndicalistes obtenus de haute lutte sur le
terrain, autrement dit les r$sultats de l'anarchie pratique emport$s par des acteurs qui ne se
contentent pas d'Tnonner ou de scander le cat$chisme anarchiste, avant5hier dans des
manifestations, au'ourd'hui sur des ondes radio ou sur des sites (nternet, mais qui, ici et
maintenant, r$alisent l'anarchie"
Ces histoires qui colportent la l$%ende dor$e font de ; Mai 0/ ? un %rand moment
libertaire, mais sans donner le d$tail" Apr@s ces barricades, dont on passe sous silence qu'elles
furent aussi provinciales, plus rien" Le livre se termine" 1oint final" Le mouvement de Mai fut en
effet libertaire, mais oN, quand, comment, de quelle mani@re, avec qui et selon quelles id$es Q Le
surr$alisme, le situationnisme, le lettrisme, le mao]sme, le trotsKisme, mais aussi la culture
am$ricaine contestataire, le rocK, la bande dessin$e, le cin$ma, l'avant5%arde litt$raire, le freudo5
mar8isme 'ouent un rXle consid$rable dans la %$n$alo%ie intellectuelle de ces $v$nements" 1reuve
que l'anarchie se trouve moins dans des lieu8 identifiables que partout diss$min$e U ici cheO
*reton, lA cheO Eanei%em, ailleurs cheO Marcuse ou bien ,ric Fromm, mais tout autant cheO les
*eatles et *ob #ylan, sinon cheO le Iodard de Pierrot le $ou ou le Cruffaut de Jules et Jim, la
*ri%itte *ardot de 1t #ieu créa la 9emme, les po@mes d'(sidore (sou et l'urinoir de #uchamp" Cet
$parpillement fait sens U il rend possible l'$mer%ence d'un nouveau concept capable de ramasser
cet $clatement polyphonique & le postanarchisme?
+aissance du post5anarchisme
Le post5anarchisme est conservation et d$passement de la doctrine anarchiste classique au
profit d'un n$o5anarchisme constitu$ A partir de %lanes effectu$es dans le champ philosophique de
la ; French Cheory ? U Foucault, #eleuOe et Iuattari, Lyotard, #errida, *ourdieu, au8quels
''a'oute, en précurseur, l'Buvre d'Albert Camus" La notion de post5anarchisme ne si%nifie pas
%rand5chose en France" Au8 Ftats5Gnis, elle dispose de quelques penseurs, mais ils ne sont pas
traduits de ce cXt$5ci de l'Atlantique & Codd May, La Philosophie politique de l'anarchisme post8
structuraliste 6!--49, )aul +eZman, #e )a<ounine ( Lacan? L'anti8autoritarisme et la
dislocation du pou+oir 62!9 et La Politique du post8anarchisme et de LeZis Call,
L'Anarchisme post8moderne 6229"
L'histoire de l'anarchisme lisse souvent les diversit$s, elle arase la multiplicit$ libertaire
pour la r$duire et la faire entrer dans deu8 ou trois cat$%ories" La lo%ique des pr$curseurs, celle
du noyau dur, avec, d'une part, l'individualisme anarchiste, d'autre part, le communisme
libertaire, celle des mar%es, l'anarcho5syndicalisme, puis l'$puisement dans les $v$nements de
Mai" Or ce sch$ma historio%raphique i%nore l'incroyable foisonnement contradictoire de la
pens$e anarchiste 'usqu'A au'ourd'hui" Le noir du drapeau s'obtient par fusion, sinon confusion,
des chromatismes libertaires"
Car l'anarchisme est souvent tension sans r$solution & l'individualisme radical de )tirner et
le collectivisme de RropotKine, l'$lo%e de la violence de *aKounine et le pacifisme non violent de
)$bastien Faure, l'anarchisme chr$tien de Colsto] et l'anticl$ricalisme de <ean Irave, le
mill$narisme apocalyptique de IodZin et le pra%matisme de 1roudhon, la pruderie du m>me et
l'h$donisme radical de Fourier ou la camaraderie amoureuse d'Armand, les en%ins e8plosifs de
7avachol et la %este du %entleman cambrioleur de Marius <acob, le bellicisme, la miso%ynie,
l'antis$mitisme, l'homophobie de 1roudhon et le f$minisme de Louise Michel, le pacifisme de
Louis Lecoin, le philos$mitisme de *ernard LaOare"
L'anarchisme a produit une s$rie de do%mes" Mais, au sein de cette sensibilit$, on trouve
tou'ours un auteur anarchiste qui ne les respecte pas" Ainsi pour le premier commandement &
; L'.tat, c'est le mal a&solu?" Mais que faire de l'incontestable anarchiste 1roudhon qui, dans
%héorie de la propriété, comprend que la formule anarchiste du f$d$ralisme, de l'association, de
la mutualit$, a finalement besoin d'une forme qui en %arantisse l'>tre, la force, la dur$e et que
cette forme, ce peut >tre un Ftat au service de l'anarchie, donc un Ftat anarchiste D
#eu8i@me do%me & Y .lections, pi3es ( cons ] Z? Autrement dit & la 7$volution, sinon
rien" Cette alternative d$bouche immanquablement sur le m>me r$sultat & 'amais la r$volution,
tou'ours rien" Y l'$vidence, l'$lection n'est pas l'horiOon ind$passable de la politique, mais elle
constitue un moyen de manifester une pr$f$rence dans l'in$luctable" 1lutXt l'abolition de la peine
de mort que son maintien, plutXt l'$ducation des enfants que leur travail dans les mines, plutXt le
droit de vote au8 femmes que leur interdiction, plutXt la r$duction du temps de travail que son
au%mentation, etc" ,lle est un moindre mal dans un monde qui permet, heureusement, de faire de
la politique autrement" 1r$cisons que 1roudhon, encore lui, fut deu8 fois candidat au8
l$%islatives J que les anarcho5syndicalistes souscrivent A cette faVon de d$%a%er des ma'orit$s
pour l'action J que, communaliste libertaire, Murray *ooKchin l$%itime l'$lection comme un
moyen de placer les libertaires en responsabilit$ d'une communaut$"
Croisi@me do%me & Y 6l 9aut a&olir le capitalisme Z? Le capitalisme, en tant que technique
de production des richesses A partir de la propri$t$ priv$e, ne doit pas >tre consid$r$ comme un
f$tiche, un totem dans lequel on pourrait enfiler des $pin%les pour attirer le mauvais sort contre
lui" L'$conomie de l'homme pr$historique est d$'A capitaliste parce qu'elle produit des richesses
dont la valeur se constitue avec la raret$ U coquilla%es uniques, concr$tions %$olo%iques
particuli@res, plumes d'oiseau8 insolites, pierres pr$cieuses" Pue ces valeurs, une fois obtenues,
soient r$parties de faVon in'uste renvoie moins au8 modalit$s de leur production, la collection,
qu'A celles de leur distribution"
Le phalanst@re de Fourier propose un capitalisme libertaire au8 antipodes du capitalisme
lib$ral dont il se propose d'ailleurs d'>tre le radical antidote" #e m>me avec les usines
coop$ratives de 7obert OZen ou le familist@re de <ean5*aptiste Iodin, deu8 n$ofouri$ristes
pra%matiques" La soci$t$ proudhonienne avec son cr$dit populaire, sa banque du peuple, sa
production associative, sa mutualisation de moyens, sa f$d$ration des coop$ratives de
producteurs t$moi%ne en faveur d'un capitalisme libertaire d$barrass$ de l'e8ploitation de
l'homme par l'homme" Car l'e8ploitation n'est pas dans le mode de production, mais dans les
modalit$s de la r$partition de la plus5value"
Puatri@me do%me & ; La société anarchiste sera un éden sur terre ?" Gne pens$e qui se
double d'un & ; L'homme y sera un dieu pour l'homme ?" #eu8 conceptions totalement h$rit$es du
sch$ma 'ud$o5chr$tien tr@s pr$%nant dans la soci$t$ industrielle du M(M
e
si@cle & annonce de la
parousie, croyance A l'apocalypse, foi mill$nariste, optimisme pour la fin des temps, paradis sur
terre, fin de l'histoire" Le p$ch$ ori%inel lav$ par la r$demption chr$tienne correspond A la faute
de la propri$t$ priv$e du capitalisme r$dim$e par la r$volution prol$tarienne" Cette lo%ique
reli%ieuse proc@de du sch$ma protestant de 7ousseau qui pr>chait la bonne nature humaine
corrompue par la m$chante propri$t$" L'abolition de cette derni@re assurait le salut" La r$volution,
nonobstant la nature humaine, accouchait d'un homme nouveau, bon, %$n$reu8, altruiste,
parta%eur, solidaire, fraternel" 1lus de prison, plus de mal, plus de m$chancet$, plus de police,
plus d'arm$e, plus de vols, plus de mis@re"
Camus contre les do%mes
Camus n'est pas contre l'.tat & il s'en moque et invite moins A a%ir contre lui que pour
autre chose, en l'occurrence une microlo%ie politique qui adoube & le communalisme anarchiste, le
pays postnational, l',urope libertaire, le %ouvernement plan$taire, le douar5commune al%$rien, la
f$d$ration de r$%ions franco5al%$riennes, et m>me une forme susceptible de %arantir l'a%encement
%irondin de ses propositions qui ressemble comme deu8 %outtes d'eau A l'Ftat anarchiste du
1ierre5<oseph 1roudhon de la %héorie de la propriété"
#e la m>me mani@re, quand il envisa%e apr@s la Lib$ration une politique qui fasse de la
charte du Conseil national de la 7$sistance une plate5forme politique, il souhaite des
nationalisations" Pui peut nationaliser, sinon l'Ftat Q Cet Ftat libertaire %arantit l'int$r>t %$n$ral, il
d$fend le bien public, il se met au service des citoyens, il sert la politique contre l'ar%ent, il fait
passer l'id$al de %auche avant celui des riches et met l'$conomie au service de la politique U et
non l'inverse" L'Ftat est une machine, une machine n'est responsable et coupable de rien & en
revanche, ceu8 qui la conduisent peuvent en faire un en%in de %uerre contre les pauvres ou un
m$canisme a%issant en leur faveur" #ans #u principe 9édérati9, 1roudhon fait l'$lo%e d'un ; Ftat
f$d$r$ ? 6::9 %arant de l'or%anisation libertaire de la soci$t$"
Camus n'est pas contre les élections & il sait qu'elles ne constituent pas le fin mot de toute
politique, mais, si elles ne sont pas tout, qu'elles ne sont pas rien non plus" Lorsqu'il ima%ine, en
post5anarchiste, la fin des nations, l'abolition des fronti@res, la r$alisation de f$d$rations, puis
celle d'une ,urope et d'une plan@te r$%ies selon les principes du socialisme libertaire, quel
instrument mobilise5t5il pour r$aliser ces pro'ets Q Les $lections" On peut donc en effet penser
que, si l'anarchie peut se r$aliser de plusieurs faVons, il n'e8iste pas que le mode insurrectionnel,
r$volutionnaire au sens putschiste du terme, paramilitaire et %uerrier, il se trouve $%alement une
modalit$ populaire qui passe par la consultation $lectorale"
Puand, au sortir de la %uerre, fin !-44, Camus propose une technique pour d$passer le
cadre national et r$aliser un monde sans fronti@res, $chapper au8 %ouvernements nationau8 et
sortir de la ; dictature internationale ? dans laquelle nous nous trouvons, il $crit & ; La seule
faVon d'en sortir est de mettre la loi internationale au5dessus des %ouvernements, donc de faire
cette loi, donc de disposer d'un parlement, donc de constituer ce parlement au moyen d'$lections
mondiales au8quelles participeront tous les peuples ? 6((" 44/9"
Lorsqu'il $crit dans L'1*press 6le : d$cembre !-339 qu'il va voter pour Mend@s France
au8 l$%islatives du 2 'anvier !-30, il ne sait pas combien ce billet anodin va d$terminer ensuite
tout ce qui s'$crira sur sa politique D 1arce qu'il s'inscrit dans une con9iuration pratique et
pramatique, et qu'il faut choisir entre le Front r$publicain, la droite %aulliste ou le 1CF
prosovi$tique et qu'il ne vote ni pour la droite, ni pour le communisme, mais pour la %auche non
communiste 6A savoir une coalition avec le 1arti radical de Mend@s, la )F(O de Iuy Mollet,
l'G#)7 de Mitterrand, les 7$publicains sociau8 de Chaban9, on a fait de Camus un social5
d$mocrate"
Mais le philosophe prend soin de se dire qu'il pourrait lui aussi d$fendre la position
idéaliste et transcendantale anarchiste qui fait un do%me de ne 'amais voter sous pr$te8te de ne
pas collaborer et qui oppose au vote le travail militant qui, demain, assurera l'av@nement d'un
monde meilleur D Cependant, A l'heure oN la maison brSle 6en l'occurrence, l'Al%$rie9, on ne fait
pas passer un e8amen de cat$chisme anarchiste au libertaire soucieu8 de chan%er ponctuellement
les choses, ici et maintenant, en sachant, bien sSr, qu'il ne fera pas la r$volution en plaVant son
bulletin de vote dans l'urne" Mais, soyons lucides, ; le vrai libertaire ? 6(((" !0-9 en aura5t5il fait
beaucoup plus Q
1ar ailleurs & comment les anarchistes pourraient5ils r$cuser une technique qui permet,
dans les communes espa%noles de !-:0 A !-:-, de cristalliser une volont$ %$n$rale, d'e8primer
une aspiration collective et populaire, de formuler une strat$%ie ou une tactique libertaire
concr@tes afin de produire des richesses, de les distribuer, de les parta%er A chacun selon ses
besoins Q La consultation individuelle dans les urnes interdit que le plus hTbleur, le plus
s$ducteur, le plus d$ma%o%ue, le plus intimidant, le plus menaVant des tribuns r$volutionnaires
obtienne un ralliement par le pl$biscite A main lev$e" ; C'est ainsi que, par une v$ritable
or%anisation du suffra%e universel, tout citoyen a la main sur le %ouvernement ? 624!9, $crit
1roudhon dans %héorie de la propriété"
Camus n'est pas contre le capitalisme & une fois de plus, ses positions semblent co]ncider
avec celles de 1roudhon" )a critique de la propri$t$ dans Fu'est8ce que la propriété K
s'accompa%ne d'une analyse tr@s pr$cise et la plupart du temps m$connue & la propri$t$ suppose
l'aubaine, autrement dit l'appropriation par le propri$taire de la plus5value vol$e au8 ouvriers en
ne leur payant pas ce que la force de travail collective obtient, elle et elle seule" Mais quand cette
propri$t$ se trouve au8 mains de ceu8 qui n'e8ploitent personne, elle n'est pas condamnable" 1our
la distin%uer, 1roudhon parle de possession U l'autre nom de la propri$t$ en r$%ime libertaire"
Critiquable quand il est capitaliste, l'.tat 9édéré devient d$fendable une fois libertaire J la
propri$t$ est A d$truire en r$%ime capitaliste, mais A construire et A pr$server en r$%ime anarchiste
oN elle devient possession"
#@s lors, le pro'et n'est pas d'abolir le capitalisme, mais de combattre sa modalit$ lib$rale
et de r$aliser un capitalisme libertaire dans lequel la production de richesses n'est pas inde8$e sur
l'enrichissement des propri$taires +ia l'e8ploitation des prol$taires, mais sur une $quitable
r$partition des produits et des biens n$cessaires au peuple" Le probl@me dans le capitalisme n'est
pas son >tre, mais son usa%e & il n'est pas mauvais en soi, mais seulement en fonction de ses fins"
(l faut aborder le capitalisme non comme une idole, mauvaise par essence, mais comme une force
positive une fois entre les mains des travailleurs"
Les leVons libertaires
Le post5anarchisme suppose une d$construction de l'historio%raphie anarchiste avec
l'e8ercice d'un droit d'inventaire" (l n'y a que dans les reli%ions que l'on croit au8 te8tes r$v$l$s, A
la saintet$ d'une parole canonique, A la v$rit$ inscrite dans le marbre d'une parole $chappant A
l'Listoire parce qu'elle proc$derait de la divinit$ d'un %$nie de l'anarchisme" Le v$ritable
anarchiste l'est avec les anarchistes eu85m>mes" 1our ma part, 'e souscris A l'anarchie positive de
1roudhon, mais cet accord donn$ A ses th@ses sur l'or%anisation libertaire de la soci$t$ ne
m'obli%e pas A souscrire au corpus proudhonien qu'il me faudrait d$fendre dans sa totalit$ & on ne
me fera pas 'ustifier, ou tol$rer, ou e8pliquer sous pr$te8te de remise dans un conte8te, son
homophobie, sa miso%ynie, son antis$mitisme" (l faut a%ir ainsi avec le lon% si@cle de pens$e
anarchiste & le soumettre au libre e8amen"
Coute pens$e proc@de de son conte8te, elle r$pond au8 questions pos$es par le temps &
quand )tirner vitup@re et vocif@re contre tout ce qui entrave son e%o, il part de sa psycholo%ie
fra%ile dans le conte8te boh@me des 'eunes h$%$liens de %auche J quand 1roudhon s'interro%e sur
le droit d'auteur en son si@cle, il ne peut avoir pr$vu, selon le principe d'une science infuse
anhistorique, les droits num$riques dans le monde immat$riel d'(nternet J quand *aKounine pense
la r$volution sur le mode insurrectionnel et table sur la vitalit$ spontan$e des victimes du Knout
tsariste, il part d'une sociolo%ie du peuple russe incomparable avec celle de nos civilisations
postmodernes" )ouscrire A ce qui s'av@re dat$ dans un corpus, c'est aborder le te8te comme un
croyant"
,n revanche, il e8iste des contenus qui r$sistent au temps et peuvent encore au'ourd'hui
nourrir une pens$e libertaire" #@s lors, pour constituer un post5anarchisme contemporain,
retenons cette s$rie de leVons & d$sirer une communaut$ 'ubilatoire avec des contrats immanents U
le0on de 4odDin J fonder le pra%matisme libertaire avec le souci d'une anarchie concr@te contre
l'id$alisme anarchiste platonicien ou h$%$lien U le0on de Proudhon J construire une force par
; une association d'$%o]stes ? et la transformer en cheval de Croie pour p$n$trer la forteresse
capitaliste U le0on de Stirner J activer des microsoci$t$s libertaires sous forme de phalanst@res
postmodernes pour contaminer la soci$t$ capitaliste par des communaut$s e8emplaires U le0on de
$ourier J mettre en %arde contre tout pouvoir, quel qu'il soit, y compris insurrectionnel ou
r$volutionnaire, parce que tout pouvoir corrompt syst$matiquement celui qui l'e8erce U le0on de
)a<ounine J solliciter en chacun les penchants naturels A la solidarit$ $touff$s par la soci$t$
contemporaine U le0on de Vropot<ine J mettre la 'ustice au centre des pr$occupations militantes U
le0on de Louise "ichel J r$activer l'imp$ratif libertaire de La *o$tie pour qui le pouvoir n'e8iste
que parce qu'on y consent, n'y plus consentir suffit A son effondrement, la d$sob$issance civile est
une force sans nom U le0on de %horeau, entendue par Iandhi J consid$rer la science et la
technique non pas comme mauvaises en soi, mais relativement A leurs fins U le0on de Reclus J
s'en%a%er dans la p$da%o%ie libertaire et cr$er des $coles ad hoc U le0on de Sé&astien $aure J
inscrire le corps dans les lo%iques r$volutionnaires avec une mise A l'ordre du 'our d'un
h$donisme post5chr$tien et 'ubilatoire U le0on d'1? Armand et des Y "ilieu* li&res Z J travailler A
la ; culture de soi ? U le0on de Pelloutier J investir dans l'ici et maintenant de la pratique U le0on
des anarcho8syndicalistes J $tablir la discipline par le libre consentement U le0on de "a<hno J
synth$tiser les courants anarcho5syndicalistes, communistes libertaires et individualistes dans un
pro%ramme commun U le0on de Voline J d$fendre l'$thique selon laquelle une fin libertaire ne
'ustifie pas des moyens qui la contredisent U le0on de "alatesta J contre le nivela%e collectiviste,
faire de l'individu la mesure de l'id$al anarchiste U le0ons de 'an Ryner, de "anuel #e+ald3s, de
4eores Palante J compl$ter la vie anarchiste par une vie h$doniste et nietOsch$enne U le0on
d'1mma 4oldman J mener une vie anarchiste comme 'adis, dans l'Antiquit$, on menait une vie
philosophique U le0on de Louis Lecoin"
Camus, une vie anarchiste
Pui dira que la plupart de ces id$au8 ne sont pas ceu8 de Camus Q (l a voulu l'anarchie
concr@te et positive sur le terrain J il l'a pens$e pour la France, l'Al%$rie, l',urope et la totalit$ de
la plan@te J il a bataill$ contre l'id$alisme et la %auche transcendantale en faveur de la vie
concr@te J il a mis la 'ustice au centre de sa pens$e et de son action J il s'est tou'ours m$fi$ des
%ens de pouvoir et n'a 'amais distin%u$ le bon du mauvais pouvoir, sachant que L$nine et
Mussolini, )taline et Litler, Mao et Franco m$ritaient une m>me condamnation sans aucune
circonstance att$nuante J en optimiste de la volont$, il a cru A la solidarit$, A la fraternit$, m>me si
sa connaissance de la nature humaine aurait pu le conduire sur le bord inverse d'un pessimisme
r$actionnaire ou conservateur J il a plus investi que quiconque dans l'id$al de la d$sob$issance
civile en croyant que l'on pouvait obtenir plus en appelant A l'intelli%ence des hommes qu'en
lanVant des bombes J il a cru dans les possibilit$s de l'$ducation des peuples par le th$Ttre,
l'universit$ populaire, le 'ournalisme, les conf$rences, le militantisme J il a pratiqu$ le corps
libertaire et solaire comme une revendication nietOsch$enne J il a invit$ A incarner l'anarchie plus
qu'A la vocif$rer J il a illustr$ dans sa vie et dans son rapport au8 autres le %oSt pour la ; culture
de soi ? J il a tou'ours pr$f$r$ r$unir que diviser et pest$ contre les chapelles qui confisquaient la
%auche en incarnant un %enre de %auche rimbaldienne capable de chan%er la vie sans faire couler
le san% J il n'a 'amais 'ustifi$ l'usa%e de moyens barbares pour r$aliser une fin humaniste J il a
d$fendu l'individu dans le si@cle des masses et cru dans sa potentialit$ de ferment libertaire J il a
sauv$ la peau de tel ou tel en les plaVant au5dessus de l'id$olo%ie qui les faisait combattre ou
tuer U il a men$ une vie anarchiste, ce dont t$moi%nent les bio%raphies, les correspondances et
l'Buvre"
Apr@s )artre
La seconde moiti$ philosophique du MM
e
si@cle a superbement i%nor$ Albert Camus" ,lle
bataillait contre un Commandeur qui avait nom )artre" La plupart ont $t$ sub'u%u$ par ce qu'il
fut, plus que par ce qu'il $crivit, car il repr$sentait l'intellectuel franVais de renom plan$taire"
)artre fut un mod@le estim$, admir$, donc 'alous$" On voulut l'imiter afin de le remplacer" 1our
ce faire, il fallut descendre la statue de son socle" Mai 0/ fut l'occasion pour la 'eune %$n$ration
de philosophes de donner son con%$ A )artre" Cohn5*endit faisant passer un petit mot A )artre
lors d'une AI A la )orbonne pour lui dire & ; )ois bref ? r$sume bien la situation D
)imone de *eauvoir commence La Cérémonie des adieu* en $crivant & ; Les $v$nements
de 0/, au8quels il a $t$ m>l$ et qui l'ont profond$ment touch$, furent pour lui l'occasion d'une
nouvelle r$vision J il se sentait contest$ en tant qu'intellectuel et par lA il fut amen$, au cours des
ann$es qui suivirent, A r$fl$chir sur le rXle de l'intellectuel et A modifier la conception qu'il en
avait ? 6!39" Y partir de ce moment, il 'oue la carte de la surench@re et se fait mao]ste" #@s lors, il
$pouse les causes les plus san%lantes 'usqu'A sa mort & minoration des massacres de la r$volution
culturelle chinoise, d$fense du terrorisme palestinien de )eptembre noir, c$l$bration du r$%ime
castriste, re%ret que le 1CF n'ait pas pris le pouvoir en 0/, l$%itimation du bain de san% en
politique, 'ustification des actions de la bande A *aader, d$fense du dictateur nord cor$en Rim (l5
)un% et autres confessions faites A Ierassi pour qui ; )artre n'est pas seulement le plus %rand
moraliste de ce si@cle" C'est $%alement son plus %rand proph@te ? 6Ierassi, 4/:9 D
L'apr@s50/ fut donc l'occasion d'une pens$e devenue ; French Cheory ? en traversant
l'Atlantique" ,lle se constitue d'un anti5sartrisme plus ou moins avou$" Contre le mar*isme
monolithique de )artre, qu'il prenne la forme d'un soutien A L$nine, *re'nev, Castro ou Mao,
Foucault annonce que le pouvoir est partout & d@s lors, plus question d'une r$volution classique
avec appropriation des moyens de production, avant5%arde $clair$e du prol$tariat A la t>te d'un
parti tout5puissant, av@nement d'un Lomme nouveau 'uste en passant d'une $conomie capitaliste A
une $conomie socialiste"
1uisqu'il n'e8iste plus de pouvoir concentr$ dans ce qu'Althusser nomme les appareils
id$olo%iques d'Ftat, seules e8istent des Oones $parses dans lesquelles se manifeste le pouvoir" Les
micro5pouvoirs sur%issent donc dans les $coles, les asiles, les prisons, les hXpitau8 et autres lieu8
dans lesquels on contrXle les corps en les asservissant, en les dominant, en les incarc$rant" Ces
micro5pouvoirs fournissent l'occasion de microfascismes stopp$s par des micror$sistances"
Foucault milite pour la multiplication de ces micror$sistances" #ans le re%istre politique, quinOe
ans apr@s la mort de Camus seulement, le livre de Foucault Sur+eiller et punir 6!-.39 rend
caduque la Critique de la raison dialectique 6!-029"
#ans L'anti8Œdipe 6!-.29, puis dans "ille plateau* 6!-/9, #eleuOe et Iuattari
d$veloppent une th$orie des flu8, des $ner%ies disparates, des plans d'immanence et des points de
fascismes $parpill$s dans le corps social" (ls invitent A des r$sistances ponctuelles activ$es dans
des vies philosophiques qui c$l@brent la lib$ration libidinale des machines d$sirantes" Mais la
lutte microlo%ique et l'invitation au8 'ubilations de ces machines d$sirantes se trouvent d$'A cheO
Camus & Cipasa est le personna%e conceptuel de cette th$orie des corps nietOsch$ens U moins le
style psych$d$lique des ann$es !-."
Contre l'intellectuel tout8puissant de )artre, qui or%anise tout A partir de sa seule fi%ure,
*ourdieu, qui $crivit une socio5analyse de Flaubert intitul$e Les R3les de l'art 6!--29 comme
une occasion de batailler contre la psychanalyse e8istentielle de L'6diot de la 9amille 6!-.5!-.!9,
propose dans Contre89eu* 6!--/9 un intellectuel collectif pour mener le combat antilib$ral" (l
souhaitait f$d$rer de faVon europ$enne les $ner%ies critiques et, sur le terrain des luttes concr@tes,
il aspirait A la mutualisation des syndicats des diff$rents pays d',urope" Camus souhaitait tr@s
e8actement cet anarcho5syndicalisme europ$en"
Contre le rand récit mar*iste sartrien susceptible de r$pondre A toutes les questions
6ontolo%ie, anthropolo%ie, $thique, morale, reli%ion, esth$tique, politique bien sSr9, Lyotard
ensei%ne la fin des %rands discours dans La Condition postmoderne 6!-.-9" )euls demeurent de
petits r$cits" La postmodernit$ cheO Lyotard propose une sortie du structuralisme qui, lui aussi,
activait une machine de %uerre contre )artre" Lyotard cherche dans l'art contemporain les r$cits
capables de f$d$rer les intensit$s d'affects" Ein%t ans plus tXt, Camus croyait lui aussi que
l'esth$tique $tait une $thique, donc une politique, il faisait de l'artiste une voie d'acc@s A la v$rit$
politique" )on #iscours en Su3de t$moi%ne th$oriquement J pratiquement, La Chute propose un
petit r$cit qui pallie la faillite des %rands r$cits l$%endaires U comme le mar8isme"
L'action libertaire concr@te propose $%alement une multitude de petits r$cits & le douar5
commune, par e8emple, semble moins clinquant que le %rand r$cit d'une r$volution mar8iste
apocalyptique, mill$nariste ou que le discours apophatique de la lib$ration des peuples opprim$s
au seul son des trompettes politiques du 'u%ement dernier, mais ce petit r$cit, comme celui du
pouvoir politique de l'universit$ populaire d'Al%er ou du Ch$Ttre de l'Buvre et du travail dans sa
'eunesse, puis du parlement international, de la f$d$ration de pays socialistes libertaires en
,urope, du communalisme, des r$alisations de l'anarcho5syndicalisme, fonctionnent comme des
instructions pa]ennes"
Contre le ré+olutionnarisme en &loc de )artre, #errida initie une politique $clat$e en
fra%ments multiples & il propose une r$fle8ion sur un Mar8 non mar8iste, une politique de
l'amiti$, une th$orie de l'hospitalit$, une pens$e de l'universit$, une $thique pour les animau8, un
$lar%issement du droit A la philosophie, un combat contre les Ftats5voyous, une m$ditation sur
l'identit$ europ$enne qui t$moi%nent d'une polyphonie libertaire dans l'esprit de Camus" Le tout
dans le m>me esprit de la fin des %rands r$cits"
,ntre parenth@ses, on ne dit pas beaucoup que ce m>me #errida, 'uif pied5noir d'Al%$rie,
souhaitait lui aussi une ; Al%$rie franco5musulmane ?" ,n t$moi%ne une lettre A 1ierre +ora dans
laquelle il pr$cise & ; )i, comme tu le dis, les FranVais d'Al%$rie ont bien $t$ les hartisansi de leur
histoire et de leur malheur, ceci n'est vrai que si l'on pr$cise dans le m>me moment que tous les
%ouvernements et toute l'Arm$e 6c'est5A5dire tout le peuple franVais au nom duquel ils a%issent9
en ont tou'ours $t$ les maHtres ? 6Fric Loret, ; #errida parmi les siens ?, Li&ération, . octobre
2!9"
ON l'on voit que ce qui nourrit aujourd'hui le post5anarchisme outre5Atlantique se trouvait
d$'A hier cheO Camus qui apparaWt en pr$curseur de cette sensibilit$ & la r$cusation du sch$ma
mar8iste, l'usa%e du vivier libertaire, les pouvoirs de la micropolitique, la f$d$ration europ$enne
d'un syndicalisme antilib$ral, l'activation des machines d$sirantes, l'adoubement des petits r$cits
esth$tiques en lieu et place des %rands r$cits e8plicatifs, la polyphonie fra%ment$e de l'action
politique, voilA, dans un vocabulaire contemporain, le mat$riau camusien ob$r$ par )artre, le
sartrisme et les sartriens, un mat$riau qui r$apparaWt, comme sous l'effet d'un retour du refoul$,
dans cette sensibilit$ contemporaine innerv$e du post5anarchisme"
Gne post5anarchie pour au'ourd'hui
Au contraire de )artre, les penseurs de la ; French Cheory ? boivent A la source de
+ietOsche dont ils font une lecture roborative et revivifiante" 1our en finir aussi bien avec la
domination mar8iste5l$niniste qu'avec la pens$e 'ud$o5chr$tienne, le philosophe de [arathoustra
offre une formidable boWte A outils" )ouvenons nous du rapport affectif et critique que Camus
entretint toute sa vie avec +ietOsche & l'affirmation solaire, le compa%nonna%e avec #ionysos, les
leVons de la M$diterran$e, le dia%nostic du nihilisme europ$en, la n$cessit$ d'une pens$e
postchr$tienne A m>me de combler le vide laiss$ par la mort de #ieu, la mise en %arde contre le
devenir c$sarien du socialisme, tout cela fait de Camus l'un des premiers nietOsch$ens de %auche
cons$quents" Or le nietOsch$isme de %auche est une forte composante du post5anarchisme"
Le quart de si@cle de silence qui accompa%ne la mort de Camus fut malheureusement
troubl$ par l'usa%e que les +ouveau8 1hilosophes firent de son nom" La Cuisini3re et le "aneur
d'hommes de IlucKsmann, La )ar&arie ( +isae humain de *ernard5Lenri L$vy, et quelques
autres livres anticommunistes d'anciens soi8ante5huitards pass$s au lib$ralisme, firent un usa%e
opportuniste de Camus pour critiquer le 1CF, donc l'Gnion de la %auche et le 1ro%ramme
commun initi$ par Mitterrand" Alors que la pens$e critique franVaise l'oubliait, tout en se
nourrissant de lui, Camus devenait A son corps d$fendant une caution de l'anticommunisme
lib$ral, donc un alli$ ob'ectif du lib$ralisme de Iiscard d',stain%" )inistre d$tournement D Car si
Camus n'aurait $videmment pas d$fendu un 1arti communiste franVais au8 ordres de Moscou, il
n'aurait pas non plus souscrit A cette %auche lib$rale, une authentique %auche de droite, que
fondaient intellectuellement les +ouveau8 1hilosophes" Ce qui triomphe avec Iiscard, Va n'est
pas )artre, bien sSr, mais c'est Aron, ou *LL U sSrement pas Camus"
Le post5anarchisme contemporain remet l'arsenal libertaire en $tat de marche pour lutter
contre ce qui aurait probablement constitu$ les combats d'un Camus survivant A ce fatal accident"
,n quoi l'auteur de La Peste peut5il nous aider Q Le post5anarchisme aspire A une répu&lique
immanente, horiOontale, contractuelle, dans laquelle s'incarne moins la mystique robespierriste et
'acobine que le contrat synalla%matique et %irondin" (l refuse toute th$ocratie la]c et veut une
d$mocratie pratique" (l promeut une politique nominaliste qui refuse de faire primer l'id$e, le
concept, la th$orie sur le r$el" Contre la %auche transcendantale qui, en politique, croit au seul
commerce des concepts et invite A chan%er tout r$el qui donne tort A leurs id$es, le post5
anarchisme veut qu'on pense en homme d'action et que l'on a%isse en homme de pens$e, que l'on
mesure et temp@re A leur aune mutuelle l'$thique de conviction et l'$thique de responsabilit$, et
vice versa" (l nourrit d'action ses id$es U et retour" Le post5anarchisme active une 9orce de
résistance, il sait que la r$volution libertaire n'est pas meurtre, assassinat, incendie, $%or%ement,
mais refus de consentir A la domination selon le principe donn$ par La *o$tie & ; )oyeO r$solus
de ne servir plus et vous voilA libres" ? 1as de %rand soir, pas de r$volution providentielle, mais
un ; non ? qui fait vaciller U pour un ; oui ? qui construit" #ans Le Crépuscule des idoles,
+ietOsche $crivait & ; Formule de mon bonheur & un hOuii, un h+oni, une li%ne droite, un &ut" ?"
Camus disait ; Oui ? A la vie, ; +on ? A ce qui l'entrave" )i l'on commenVait A entendre enfin ce
qu'il a dit Q 1uis A a%ir en re%ard de cette Buvre radicale U car c'est A vivre une vie philosophique
qu'il nous invite"

*iblio%raphie
!" CAMG)
L'Buvre compl@te en quatre volumes, publi$e cheO Iallimard, a $t$ l'$dition avec laquelle
''ai travaill$" L'appareil critique est remarquable U mis A part l'intervention d'un collaborateur de
l'$dition qui parle de l'; impartialit$ ? de 1ie M(( 6(("!2039" On peut >tre plus inspir$ sur cette
question"
s
On le sait, c'est ma m$thode, 'e croise l'Buvre $crite et publi$e avec les correspondances
et les bio%raphies, en $vitant les %loses et autres travau8 universitaires" <'ai donc $cart$ les
ouvra%es du %enre & Camus et la mer, et l'absurde, et la philosophie, et l'Al%$rie, et le
christianisme, et le th$Ttre, et les femmes, et la M$diterran$e, et la Ir@ce, et la mort, et le
'ournalisme, et l'Antiquit$, et )artre, et Oran, et la m$taphysique, etc" (ls sont l$%ion"
Les correspondances sont peu nombreuses & avec Irenier, cheO Iallimard,
Correspondance AMPC8AMUO J avec <ean )$nac, dans Lamid +acer5Rhod'a, Al&ert Camus? Jean
Sénac ou le 9ils re&elle, ,dif, 2 J avec 1ascal 1ia, Correspondance AMPM8AMN[,
FayardjIallimard J avec 7en$ Char, Correspondance AMNU8AMLM, Iallimard" ,lles montrent un
Camus fra%ile, h$sitant, peu sSr de lui, affectueu8, sensible, fid@le U le contraire du portrait
d$sobli%eant sans cesse vendu par )artre et *eauvoir qui, sur ce su'et, et sur beaucoup d'autres, se
comportent en Ch$nardier de la philosophie"
s
La bio%raphie de Lerbert 7" Lottman, Al&ert Camus, )euil, est remarquable" Celle
d'Olivier Codd, Al&ert Camus? ;ne +ie, Iallimard, compl@te ici ou lA celle de Lottman,
notamment avec Le Premier 'omme que le bio%raphe prend pour une autobio%raphie stricto
sensu en accordant A cette fiction romanesque le statut de t$moi%na%e historique" Y quoi Codd
a'oute des correspondances au8quelles Lottman semble ne pas avoir eu acc@s en son temps"
Concernant la bio%raphie, en dehors de ces deu8 sommes, le reste des ouvra%es qui
abordent tel ou tel point bio%raphique n'apporte aucune information vraiment nouvelle, sinon le
t$moi%na%e et la conversion de l'$tudiant qui a%resse Camus A )tocKholm dans & <os$ LenOini,
Les #erniers Jours de la +ie d'Al&ert Camus, Actes )ud"
s
1our rire, afin de ne pas pleurer, on lira la terrible cr$tinerie d'Alain Costes, Al&ert Camus
ou la parole manquante" .tude psychanalytique, $ditions 1ayot dans une collection fort
drolatiquement intitul$e ; *iblioth@que scientifique ? diri%$e par le psychanalyste I$rard
Mendel" On y d$couvre que le fil rou%e de la pens$e du philosophe al%$rois est A mettre en
relation avec ; la pr$$minence de l'ima%o archa]que de la M@re 1hallique ? 6409, ce qui n'$tonne
pas vu la ; structure psychotique ? de Camus dia%nostiqu$e par le docteur #iafoirus D
s
La biblio%raphie anarchiste est $tique & Ceodosio Eertone, L'Œu+re et l'Action d'Al&ert
Camus dans la mou+ance de la tradition li&ertaire, Ateliers de cr$ation libertaire, un lon% titre
pour un te8te de trente5cinq pa%es" #i85huit pa%es d'un Camus et sa critique li&ertaire de la
+iolence, $ditions (ndi%@ne, par Lou Marin" Cinquante5sept pa%es pour La Pensée politique
d'Al&ert Camus par Marin 1ro%reso, $ditions des Amis de C$nit" Gn colloque a $t$ or%anis$ les
! et !! octobre 2/ au chTteau de Lourmarin par l'association ; 7encontres m$diterran$ennes
Albert Camus ?, les actes ont $t$ publi$s par l'association sous le titre ; Le don de la li&erté? Les
relations d'Al&ert Camus a+ec les li&ertaires ?" C'est au cours de ces deu8 'ourn$es qu'un
libertaire intervint sur le football comme $cole libertaire U on peut ne pas souscrire" Lou Marin a
rassembl$ les te8tes libertaires du philosophe sous le titre Al&ert Camus et les li&ertaires, $ditions
F%r$%ores" On y retrouve ce qui se dit habituellement sur Camus A propos des relations du
philosophe avec la constellation anarchiste" La l$%ende d'un Camus initi$ A la pens$e libertaire
par 7irette MaWtre'ean se trouve une fois de plus recycl$e U Camus a connu des anarchistes au
moins di8 ans avant sa premi@re rencontre avec 7irette qui, pour sa part, n'a 'amais revendiqu$
cette initiation" Ce dont t$moi%ne le te8te $dit$ par Lou Marin, Camus au mar&re"
s
Le Camus politique a $t$ un su'et tr@s peu $tudi$" Autant les $tudes abondent sur des
questions p$riph$riques, autant les travau8 consacr$s A Camus anarchiste font d$faut U sauf les
opuscules militants pr$cit$s qui restent A la surface de quelques faits & telle ou telle participation A
une revue libertaire, une rencontre avec 7irette MaWtre'ean, un entretien avec le 'ournaliste d'un
bulletin anarchiste, une analyse de *aKounine suivie d'une correspondance avec Iaston Leval, le
patron du Li&ertaire"
Puand le su'et est abord$, on y trouve tou'ours la m>me th@se & Camus fut un social
d$mocrate de sensibilit$ libertaire" C'est la th@se de Lottman et de Codd, c'est aussi celle de
<eanyves Iu$rin dans Camus, Portrait de l'artiste en citoyen, $ditions FranVois *ourin, un livre
tr@s document$ mais militant & Camus y est pr$sent$ en c$d$tiste avant l'heure 6!2 et !4/9"
L'auteur ne cache pas ses pr$f$rences politiques & il critique Iuesde 6/-9 et Chev@nement 6!49,
fait l'$lo%e de 7ocard et #elors 6!49, de <acques <ulliard 6!39, fusti%e la fran%e du parti
socialiste qui re%arde A %auche 6!2!9, tacle les +ouveau8 1hilosophes et *ernard Rouchner"
<eanyves Iu$rin si%nale la ; filiation proudhonienne ? 6!2:9 de Camus mais, malheureusement,
ne poursuit pas dans le sens de cette 'uste intuition"
Le m>me <eanyves Iu$rin a diri%$ un remarquable #ictionnaire Al&ert Camus pour les
$ditions 7obert Laffont" On peut tou'ours pinailler et re%retter l'absence d'entr$es du %enre
; Coll@%e du travail ?, ; Maison de la culture ?, ; #$corations ?, ; La Cr$ation corri%$e ou le
)yst@me ?, ; Iuy Monnerot ?, ; MelouOa ?, ; Malconfort ? U mais le dictionnaire n'a pas
vocation A >tre une encyclop$die" L'article ; 1olitique ? ne contient ni le mot anarchiste, ni le
mot li&ertaire?
<eanyves Iu$rin a $%alement diri%$ un colloque les 3 et . 'uin !-/3 A +anterre" Les actes
ont $t$ publi$s sous le titre Camus et la politique au8 $ditions L'Larmattan" (nt$ressantes
contributions" On apprend dans Les 'ommes politiques 9ran0ais lecteurs de Camus qu'A force de
r$cup$rations, les sociod$mocrates sont parvenus A %ommer le Camus libertaire pour l'enrXler
dans leur camp" On d$couvre $%alement qu'un certain <ean5Marie Le 1en a trait$ Camus de
; p$d$raste ? 62.9 U on n'en attendait pas moins de la part du cr$ateur du Front national" 7ocard a
vu 'uste en faisant de Camus non pas un rocardien, mais un libertaire 62:9"
)ylvain *oulouque a publi$ un int$ressant travail sur Les Anarchistes 9ran0ais 9ace au*
uerres coloniales @AMNL8AMUCB A l'Atelier de cr$ation libertaire" (l porte A la connaissance du
lecteur un %rand nombre de te8tes d'anarchistes sur cette question" #ocument pr$cieu8"
Apr@s la mort de Camus, ses amis ont r$alis$ un tr@s bel 'ommae ( Al&ert Camus?
AMAP8AMUO cheO Iallimard" L'homme y apparaWt dans sa ma'est$ en ami fid@le, en compa%non
complice, en Al%$rien fier et an8ieu8, en fr@re, en 'ournaliste e8i%eant"
s
)ur le professeur de philosophie d'Albert Camus, Coby Iarfitt a publi$ Jean 4renier? ;n
écri+ain et un maHtre? Contri&ution ( l'histoire intellectuelle du RR
e
si3cle au8 $ditions La 1art
Commune" L'ouvra%e est pr$cieu8, m>me s'il passe vite sur la politique du philosophe"
1our en avoir une id$e, lire le 'ournal de <ean Irenier, Sous l':ccupation, au8 Fditions
Claire 1aulhan" Ce te8te montre un philosophe pas aussi philosophe qu'il le faudrait, du moins si
l'on en 'u%e par sa philosophie profess$e" L'homme traduit et pr$face le pyrrhonien )e8tus
,mpiricus pour Aubier, effectue un $lo%e du non5a%ir dans ses 1ntretiens sur le &on usae de la
li&erté, Iallimard, c$l@bre les vertus du sa%e oriental dans L'1sprit du tao, Flammarion, mais il
fut loin de toute cette sa%esse th$orique pendant l'Occupation" Lire le 'ournal pour s'en
convaincre"
<ean Irenier a $%alement tenu des Carnets? AMNN8AO M[A publi$s cheO )e%hers" (l ne s'y
montre %u@re plus philosophe" Le vieu8 maWtre avait, semble5til, du mal avec son $l@ve brillant
qui, lui, ne lui a 'amais manqu$ publiquement" Puelques piques mal venues, notamment lors du
1ri8 +obel" Irenier faut aussi l'auteur de L'1*istence malheureuse, Iallimard"
Albert Camus avait $t$ sid$r$ par Les Gles, Iallimard, touch$ par Saesse de Lourmarin,
Folle Avoine, ou 6nspirations méditerranéennes, Iallimard" L'1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie,
Iallimard, le %rand livre de Irenier, a compt$ pour beaucoup dans la pens$e politique de Camus"
+ombre de traces de cette pens$e se retrouvent dans L''omme ré+olté"
,ntre +ietOsche et )enancour, <ean Irenier a consacr$ un chapitre A Camus dans
Ré9le*ions sur quelques écri+ains, Iallimard, et un livre apais$ sur son $l@ve, apr@s sa mort,
Al&ert Camus, Iallimard"
s
Faisons un sort A part A l'insultant Camus, philosophe pour classes terminales de <ean5
<acques *rochier, qui contribua durablement A d$valoriser Camus" )elon l'auteur, dont la
biblio%raphie brille plutXt dans la c$l$bration de la chasse, l'$lo%e de la taba%ie et la
ph$nom$nolo%ie du san%lier ou de la b$casse, Camus aurait $t$ un mauvais romancier, un styliste
nul, un philosophe pitoyable, un dramatur%e navrant, un colonialiste en%a%$, la caution des petits
*lancs d'Al%$rie, un d$fenseur de l'Al%$rie franVaise, un complice de la torture %aullienne, un
pr$curseur ontolo%ique du fascisme U tant d'accablements accablent surtout l'auteur"
2" )A7C7,
Au moment oN *rochier publie son te8te, en !-., cheO *alland, l'$toile de )artre a
consid$rablement pTli" Mai !-0/ a consacr$ une nouvelle %$n$ration de penseurs, )artre est
philosophiquement mort" #'oN l'int$r>t, cheO ce porteur d'eau sartrien qui si%ne aussi un Pour
Sartre en !--3, de salir Camus en pensant que cette op$ration suffira pour nettoyer )artre de ses
salet$s"
1our d$couvrir le d$tail de ces salet$s, on lira avec stup$faction le passionnant ouvra%e de
Iilbert <oseph, ;ne si douce :ccupation sous titr$ Simone de )eau+oir et Jean8Paul Sartre?
AMNO8AMNN, Albin Michel" )imone de *eauvoir $crit dans ses m$moires la l$%ende de )artre &
)artre $vad$, )artre r$sistant, )artre en%a%$, )artre conscience de son temps" Iilbert <oseph nous
apprend qu'il n'en fut rien & )artre a $t$ lib$r$, probablement %rTce A l'intervention de #rieu
la 7ochelle, collaborateur notoire J )artre a si%n$ le formulaire attestant qu'il n'$tait ni 'uif, ni
franc5maVon J )artre a publi$ dans une revue collaborationniste 'usqu'en f$vrier !-44, Com>dia J
)artre a particip$ A un 'ury compos$ par cette revue J via le directeur de cette revue, )artre a
pistonn$ *eauvoir pour un travail A 7adio5Eichy J )artre a certifi$ sur l'honneur au procureur qui
instruisait le dossier ; Com>dia ? apr@s %uerre qu'il n'avait 'amais publi$ une li%ne dans ce
support J etc" On comprend qu'A la parution de cet ouvra%e, le petit monde de )aint5Iermain5des5
1r$s ait lanc$ ses chiens dans la presse qu'elle contrXlait contre cet homme transform$ en
historien vichyste U Iilbert <oseph a dS prendre la plume pour e8pliquer qu'il $tait entr$ dans les
maquis du Eercors A l'T%e de di85sept ans"
s
(l manque donc une $dition critique, tr@s critique, des te8tes de "émoires de )imone de
*eauvoir" "émoire d'une jeune 9ille ranée 6!-3/9, La $orce de l'Ie 6!-09, La $orce des
choses 6!-0:9, %out compte 9ait 6!-.29, La Cérémonie des adieu* 6!-/!9 constituent cheO
Iallimard un incroyable roman l$%endaire tout A la %loire du couple qui avait d$cid$ de s'emparer
du pouvoir intellectuel en France et qui s'en donna les moyens apr@s5%uerre par un
compa%nonna%e avec le 1CF"
IrTce A de Iaulle qui a ferm$ les yeu8 sur les compromissions du 1CF avec l'occupant au
nom du pacte %ermano5sovi$tique et qui a sollicit$ des autorit$s nationales socialistes A 1aris
l'autorisation de faire reparaWtre L''umanité sous pr$te8te d'ennemis communs 6les 'uifs, l'ar%ent,
la d$mocratie parlementaire, les An%lais9, le parti fut apr@s %uerre l'alli$ du %$n$ral qui avait
besoin d'alli$s ob'ectifs pour %ouverner" Lire <ean51ierre *esse et Claude 1ennetier, 'uin !-4"
La 2éociation secr3te, Les Fditions de l'Atelier pour le d$tail de la compromission communiste
avec l'occupant naOi" La compa%nie du I$n$ral ne pouvait pas faire de mal A ce parti en qu>te de
blanchiment $thique"
)artre et *eauvoir ont vite compris l'int$r>t qu'il y avait A compa%nonner avec ce parti"
Les M$moires de *eauvoir rel@vent du dispositif m$diatique" Ce qui est dit de Camus, bien sSr,
entre dans cette lo%ique de %uerre men$e par le couple"
s
Les sartriens n'ont cess$ d'entretenir la l$%ende avec un m$pris total de l'Listoire" ,t
parfois, de faVon $hont$e" Ainsi dans Les .crits de Sartre un %ros volume tout A la %loire de son
su'et qui si%nale 6/29 que )artre publie dans Com>dia, cette fameuse revue collaborationniste, un
article le 2! 'uin !-4!" Gne note de Michel Contat et Michel 7ybalKa, les maWtres d'Buvre de ce
volume, suit cette information qui se conclut par une citation de *eauvoir & ; 1remier _sic` article
$crit par )artre A son retour de captivit$ pour le nouveau _sic` Com>dia dont il avait accept$ de
tenir la chronique litt$raire _sic`" )a participation en resta lA _sic` car ; la premi@re r@%le sur
laquelle s'accord@rent les intellectuels r$sistants, c'est qu'ils ne devaient pas $crire dans les
'ournau8 de la Oone occup$e ? 6La $orce de l'Ie, p" 4-/9 ?" 1ourquoi, d@s lors, s'il n'y a qu'une
seule participation, peuton lire, treiOe pa%es plus loin, A la date de !-44, cette mention d'un autre
article de )artre dans le m>me support U un te8te repris dans Voici la $rance en mars !-44 Q
#ans le m>me esprit l$%endaire, un volume intitul$ Les .crits de Simone de )eau+oir,
publi$ cheO Iallimard par Claude Francis et Fernande Iontier en !-.-, oublie all$%rement les si8
sc$narios qu'elle $crit entre le !. 'anvier !-44 et le ! avril de la m>me ann$e pour 7adio5Eichy
U des te8tes consultables au d$partement des Arts du spectacle de la *iblioth@que nationale" #ans
ce %ros volume de 0!4 pa%es, l'ann$e !-44 de )imone de *eauvoir, c'est seulement Pyrrhus et
Cinéas et si8 te8tes sur la lib$ration de 1aris publi$s dans Com&at sur la demande" d'Albert
Camus, alors directeur du 'ournal U une information pass$e sous silence"
On comprend qu'apr@s la %uerre )artre et *eauvoir aient pu faire de Camus dont le tra'et
fut impeccable 6d$marches pour s'en%a%er dans l'arm$e franVaise d@s !-:-, professeur clandestin
pour des $l@ves 'uifs A Oran, r$sistance effective, publications et $crits de r$sistance, voir les
Lettres ( un ami allemand, direction de Com&at9, un homme A abattre" Le temps venu, l'Al%$rie
permettra de faire de Camus un colla&orateur et de )artre un résistant U *rochier n'h$sita pas A
faire de 2oces un livre A l'ontolo%ie fasciste"
s
Cet ar%ument d'un Camus fasciste parce que c$l$brant la nature se retrouve cheO *ernard5
Lenri L$vy" ,n !--!, l'homme avait d'abord $crit dans Les A+entures de la li&erté 62-!52-49 que
Camus fut un ; intellectuel coura%eu8 ?, un $crivain 'amais pris ; en d$faut de noblesse ou de
cBur ?" *LL le trouve ; 'oyeu8 f>tard ?, ; bon copain ?, avoue avoir le m>me humour que lui
6 D9 et affirme que, s'il avait v$cu, il lui aurait sSrement ; apport$ les $preuves de la )ar&arie ?" (l
conclut, apr@s des di%ressions sur sa ressemblance avec Lumphrey *o%art & ; <'aime Camus,
donc" C'est, dans cette %alerie d'anc>tres, l'un des rares dont 'e me sente vraiment proche" ,t c'est
un de mes r>ves que d'$crire un 'our un livre qui rendrait 'ustice A cet anc>tre" ? 1uis *LL traite
d'; imb$ciles ? ceu8 qui feraient de lui un d$fenseur de l'Al%$rie franVaise, sinon un ; fasciste ?"
,nfin ceci & ; Camus et )artre" Camus qui a eu raison contre )artre" On ne r$p$tera 'amais asseO,
combien il a eu raison contre )artre et la bande des %emps modernes" ? )uit une lon%ue
$num$ration des raisons qui permettent d'$tayer cette th@se"
Ce livre a $t$ $crit, en effet" Mais pas sur Camus" (l s'appelle Le Si3cle de Sartre et d$fend
strictement la th@se inverse" )a parution eut lieu fort opportun$ment en 2, autrement dit pour
le vin%ti@me anniversaire de sa mort U il y a tou'ours un effet de souffle en librairie pour ces f>tes
funestes, pourquoi s'en priver"
On peut y lire A propos du %oSt de Camus pour la nature, notamment dans L'.té & ; Puand
on se proclame ainsi l'ami du monde, des choses du soleil, quand on ne se reconnaWt plus d'autre
loi que celle de la fid$lit$ A la sainte loi de la nature et de ses harmonies spontan$es, quand on
chante hassentiment D assentiment D la vertu des vertus est l'innocent assentiment A la beaut$ du
monde Di, quand on s'en tient, comme +ietOsche, mais un autre +ietOsche que celui de )artre, A
l'haffirmation reli%ieuse de la viei, ou A la h%rande raison du corpsi, ou au8 h$pousaillesi avec la
terre, le ciel ou la mer, quand on chante hcette admirable volont$ de ne rien s$parer ni e8clure qui
a tou'ours r$concili$ et r$conciliera encore le cBur douloureu8 des hommes et le printemps du
mondei, ne se condamne5ton pas A ne rien faire Q +'y a5til pas lA, mine de rien _sic`, une autre
matrice du pire Q n'estelle pas, cette foi aveu%le dans la nature, l'autre %rande source, apr@s l'ubris
ou avant elle, du totalitarisme et, en tout cas, du meurtre Q ? 624524!9"
On a bien lu & Camus est bien un d$fenseur ontolo%ique du totalitarisme et du crime D On
comprend que <ean5<acques *rochier qui d$fend lui aussi cette th@se puisse, dans Pour Sartre,
d$fendre *ernard5Lenri L$vy 6:: et !!.9 en m>me temps que *ernard Rouchner 6!:-9 ou Andr$
IlucKsmann 6::9"
s
)artre n'h$sita pas, lui non plus, A salir Camus" #ans diff$rents volumes de Situations, on
peut suivre le tra'et de leur relation & le compte rendu mi5professoral mi5amical du premier roman
de Camus, ; ,8plication de L'.traner ? dans Situations, 6 J la Réponse ( Al&ert Camus qui
fournit le canevas A *rochier pour son pamphlet futur et qui est l'assassinat de l'auteur de
L''omme ré+olté par le philosophe qui d$fend les camps de concentrations sovi$tiques, le te8te
est repris dans Situations, 6 J dans le m>me volume, )artre reprend son Al&ertCamus, un te8te
publi$ par ses soins A l'occasion de la mort accidentelle de l'$crivain, un chef5d'Buvre de
mauvaise foi qui montre un )artre d'autant plus %$n$reu8 et ma%nanime que, +iOan mort A la
%uerre, 1olitOer fusill$ au Mont Eal$rien, Camus succombant A un accident de voiture, en
attendant Merleau51onty succombant bientXt d'un infarctus, il voit s'ouvrir un boulevard devant
lui & ces esprits philosophiques brillants ray$s de la carte intellectuelle, A %auche, plus personne ne
lui contestera le leadership du champ philosophique U la voie est libre" #ans Situations, V, )artre
reprend sa pr$face au8 #amnés de la terre de FrantO Fanon qui fait l'$lo%e de l'$%or%ement U sous
sa plume ; la patience du couteau ? 6!.:9 U de l',urop$en, et critique Camus sans le nommer
quand il entretient des ; bons esprits, lib$rau8 et tendres U des n$ocolonialistes, en somme ?
6!/.9 qui refusaient de r$%ler le probl@me colonial par le san%"
#ans ses 1ntretiens a+ec Sartre, 6Irasset9, <ohn Ierassi rapporte les propos d$sobli%eants
que son interlocuteur tient constamment A l'endroit de Camus" (l n'h$site pas A lui faire endosser
des id$es qui ne sont pas les siennes" Ainsi quand il affirme & ; Camus voulait que *rasillach soit
e8$cut$, par e8emple" Mauriac ne voulait pas" Castor non plus ? 62/09" Or, A l'inverse de ce que
)artre affirme $hont$ment, Camus s'est oppos$ A cette e8$cution 6Codd, :.49 et *eauvoir l'a
souhait$e D Concernant la p$tition de demande de %rTce de l'$crivain collaborateur, Olivier Codd
$crit & ; )artre, )imone de *eauvoir et quelques autres refus@rent de si%ner" ? 1uis, A propos de
*eauvoir, il a'oute & ; )i elle levait un doi%t en faveur de *rasillach, elle m$riterait, ditelle, que
ses amis lui hcrachent au visa%ei ? 6:.39" EoilA en quelle estime )artre tient la v$rit$ historique"
s
#ans cette confi%uration ha%io%raphique, saluons le #ictionnaire Sartre, au8 $ditions
Lonor$ Champion, et leurs maWtres d'Buvre FranVois +oudelmann et Iilles 1hilippe qui,
%lobalement, font un travail d'historiens et pas d'ha%io%raphes" )i l'on ne retrouve rien de ce que
<oseph Iilbert nous apprend, les auteurs ont l'honn>tet$ de dire un certain nombre de choses
'ustes habituellement dissimul$es" Ainsi, concernant Le%el par e8emple, )artre travaillait de
seconde main et sur des morceau8 choisis 62!:9 U un reproche que )artre fait A Camus lors de la
pol$mique concernant L''omme ré+olté" Gn reproche $videmment repris tel quel par <ean5
<acques *rochier"

(nde8 des noms propres
A**A), Ferhat, 42, 423542., 42-, 4:3, 434
A*,C[, Otto, 24!
ACAGLC, Iustave, 3/, 0:, .2
AR+OG+, *en, 22!
ALA(+ 6Fmile Chartier, dit9, 20., 20/, 442
Alceste, !.2
AL,MA+#7,L, I7A+#, !-0, 23!, 323
AL( LA 1O(+C,, 44:
ALL,I, Lenri, 44
ALPG(F, Ferdinand, !:
ALCLG)),7, Louis, !0, 3:.
A+AMA7PG, d'Abd@re, !-35!-.
A+#L,7, Charles, .3
A+#7,A)5)ALOMF, Lou, 0-
A+C,LM,, 7obert, :24
A1OLL(+A(7,, Iuillaume, ::/, :4!
A7AIO+, Louis, 2-/, :2., ::-
A7()C(11,, :3.
A7()COCLt), !-3
A7()COC,, !3., ::3
A7LA+#, Marcel, !2-, !:, !/-
A7MA+#, ,rnest, :.2, 3., 32/, 3:3
A7O+, 7aymond, 242, 20., ::-, :-4, 30, 34!
A77(,+, //
A7CAG#, Antonin, 204
A)C(,7 #, LA E(I,7(,, ,mmanuel 6d'9, 2/-, :20
AG#(+, Maurice, 44!
AG7(OL, Eincent, :0, 43/
AG))A7,)),), 1aul, 44!, 3!
AeMF, Marcel, :3, 4!

*ACL, <ean5)$bastien, !.., 4.4
*ACL,LA7#, Iaston, !:
*AROG+(+,, Michel, !33, 2:!, ::!, ::2, :4., :0., :0-5:.!, :./, :.-5:/, :/:, :-!,
:-3, 4!!, 4!:, 30, 3!53!!, 320, 32/, 3:4, 343
*ALCLG), 204
*AL[AC, Lonor$ 6de9, !/0
*A7*(,, Rlaus, 2--
*A7#OC, *ri%itte, 32.
*A77AGLC, <ean5Louis, !34, 204
*A77(O, #ie%o MartineO, 3!:
*A7CL,), 7oland, !/-, 24524!, 244, 24/, 203
*ACA(LL,, Ieor%es, ::/5::-, :4-
*AGCLA7# 6pseudonyme d'Albert Camus9, 2.2
*AG#,LA(7,, Charles, :4:5:44, 4/0
*AG#7(LLA7#, <ean, !0
*,ACL,) 6Les9, 32.
*,AGEO(7, )imone 6de9, !4, 22, !2-, !34, 223, 22.52:, 23:, 2.2, 2/4, 2-/, :35:0,
::, ::., ::-, :-4, :--, 4, 42-, 40!5402, 4045403, 40-, 4.:, 4.3, 4/0, 4-, 3:0, 34:, 34/5332
*,LAEAL, evon, !:
*,LL,IA77(IG,, Anselme, :.2, 3.53/
*,+ *,LLA, Ahmed, 42-
*,+ )A#OR, Mohamed, 440, 353!
*F7AG#, Lenri, 4!
*,7#(A,E, +icolas, !0
*,7I)O+, Lenri, !:, 0:504
*,7+A+O), Ieor%es, :.0
*,7+(, Francesco, 2!:
*,GE,5MF7e, Lubert, 40540!
*(I,A7#, Marcel, 44!
*([,C, Ieor%es, 04, 0.
*LA+CLOC, Maurice, !/0, !/-, ::/, :4!
*LOCL5M(CL,L, <ean, 4.-
*LGM, L$on, !:, !4., 2., 2-:, 4254:, 4!/, 42:, 4:!
*OIA7C, Lumphrey, 4.2, 33
*OLL(,7, Andr$, :2
*O++A7#, Abel, 4!
*O))G,C, <acques5*$ni%ne, :4-
*O)C, <acques, 2:
*OGA[[A, #'amila, 44!
*OGLLOGPG,, )ylvain, 43
*OG7#(,G, 1ierre, 32., 3:/
*7APG,, Ieor%es, !34
*7A)(LLACL, 7obert, :-, :3, :., :3/, 4--, 3, 332
*7A))Au, !34
*7FL(,7, Fmile, !24
*7,<+,E, L$onid (litch, 3:.
*7,CO+, Andr$, ::/, ::-, :445:40, 442, 32.
*7())OC, <acques 1ierre, :04
*7OCLA7#, Eictor, !-45!-3
*7OCL(,7, <ean5<acques, !!:, 22., :-4, 32!, 34., 33533:
*G*,7, Martin, :2/
*G*,75+,GMA++, Mar%aret, :2/
*G7CRLA7#C, <aKob, 0-
*G7(#A+, <ean, !-.
*G7+(,7, Michel5Antoine, 4-.

CA(LLO(), 7o%er, 24!, ::-
CALA+O), !-0, !--
CAL(IGLA, 2!., 2:452:-, 24.
CALL, LeZis, 32/
CAMG), Catherine 6m@re d'Albert CAMG)9, 2:, :2, ::, :3, 4, 4!, 43, 4-530, 3-502, .:,
.3, /!, /0, -0, -., !3., !--52!, ::., 4-, 4:/54:-, 444, 432, 43/, 4., 4./
CAMG), Francine 6+oir aussiFAG7,, Francine9, 34, !:0, 22!, 4.454.-, 4/454/3, 4//
CAMG), Lucien Au%uste 6p@re d'Albert CAMG)9, 2:, :!5:3, 454/, 30, 3-, -., !:3,
!3., 2!/, 223, 244, 23!, 23-, ::., 4-, 432, 4-3
CAMG), Lucien <ean Ftienne 6fr@re aWn$ d'Albert CAMG)9, 3:, .2
CA1,C, Louis, :04
CA7+OC, LaOare, :..
CA)A7t), Maria, !34, :3/, 4./
CA)C7O, Fidel, 3:.
CAEA(LLt), <ean, !2-
CFL(+,, Louis5Ferdinand, :3, :.5:/
C,L),, //
C,7EA+Ct), Mi%uel 6de9, !0!5!02, :2:, 34
CF)A7, <ules, !0:, !/, 2:., 243, 4!
CLA*A+ #,LMA), <acques, 3:2
CLbL(,7, <oseph, :02
CLAMFO7C, )$bastien 7och +icolas 6de9, 20/, 4/!
CLA7, 7en$, .3, .-, ::-5:4, 4.54.!, 4.0, 4./, 4-4
CLA7LOC, ,dmond, -3, !, !.0
CLACA(I+,AG, eves, 423
CL,7,A, Cassius, 2:3, 2:.52:-, 24.
CL,)COE, L$on, 02, -:, !0, !/0, !//
CL(A7AMO+C,, +icola, 20., :/
C(CF7O+, !3.
Clamence, <ean5*aptistes, 4/54-!
CLAG#,L, 1aul, 2..
CLAE,L, Maurice, 20/, 3!
COCC,AG, <ean, !:
COL,+5)OLAL, Annie, 22-52:
COL+5*,+#(C, #aniel, 32, 3:0
COL,CC,, 22/
COMC,, Au%uste, !:, 32!
CO+CAC, Michel, 22-, 34-
CO7#Ae, Charlotte, :/, 2.-
CO7M,7e, <acques, !:4
COCCA7#, 24., 234
COCe, 7en$, 3
COG7+OC, Antoine5Au%ustin, 32!
COG7C,L(+,, Ieor%es, !.., !./, ::3
COG)(+, Eictor, :4., :3
C7,E,L, 7en$, ::-

#A(M, 1ierre, 2-
#ALA#(,7, 1aul, 2-:
#A+(,L, <ean, !:!, :!., 4:/, 3!
#A+C,, 4/
#A72(+, Charles, 3!2
#AG#,C, L$on, 4!
#AE(), Iarry, :20, 4-0
#Ae, Lem, 432
#FAC, Marcel, 22-
#,*G))e, Claude, 04, .2
#,FO,, #aniel, 242, 204
#,L,7M,, Ieor%es, 3.
#F<ACPG,, <oseph, 2:4, :., 3.
#,LA+I,, 7en$, 22.
#,L,G[,, Iilles, 0-, !3, !0, 4/-, 32., 3:.
#,LC,(L, <oseph, 02
#FMOC7(C,, !0, !-0
#,+e) 6tyran de )yracuse9, -:
#F7OGLt#,, 1aul, 4:.
#,77(#A, <acques, 0-, !0, 22!, 32., 3:-
#,)A+C(, <ean5Coussaint, ::-
#,)CA7C,), 7en$, !:
#,)+O), 7obert, ::-
#(#,7OC, #enis, !:, :4:
#(OIt+,LAv7C,, -:, !-4, !-/, 23!, 20-, 2.!, :3., 323
#(O+e)O), 04, !3/, !/2, 222, 34
#<(A+, (r@ne, 22
#on <uans, 2!, 4.254.4, 4.0, 32
#on Puichottes, !0!5!02, 2.!, 34
#O7I,Lt), 7oland, 4!, 4:, 44, 3., ::4
#O7(OC, <acques, !2-
#O)COu,E)R(, Fiodor, .3, !/0, :4!, :0/
#7(,G LA 7OCL,LL,, 1ierre, !2., !:, 22:, 223, 2-/, :!, 4!, 402, 34/
#GCA(LA7, evonne, !/3, 22!, 22:
#GCA)),, (sidore, ::/
#GCLAM1, Marcel, 442, 32.
#GLAM,L, Ieor%es, 2-/
#G7A), Mar%uerite, :!
#GE(E(,7, <ulien, !./
#eLA+, *ob, 32.

,L5OR*( 6CheiKh9, 4!/54!-, 4:4
FLGA7#, 1aul, 2-/, ::-
,M1F#OCL,, !:, !/
,M1(7(CG), )e8tus, !2, !24, !-:5!-4, !-/, 24, 340
,+I,L), Friedrich, !30, 3!!
Fn$es, 454!
F1A1L7O#(C,, //
F1(CCtC,, /.5//, -, !-:
F1(CG7,, 0/, !., !3., !-:
,)CLeL,, !..
FC(,M*L,, !2:

FA*7,5LGC,, Alfred, !2-5!:
FA+O+, FrantO, 4:., 403, 4-254-:, 332
FAG7,, Francine 6+oir aussiCAMG), Francine9, !:/, 2!:, 2!-522!, 22:, 4.454.-
FAG7,, )$bastien, 2:4, :.2, 43, 3.53/, 32/, 3:3
Fausts, 4.:, 4-3, 32
F,#O7OE, )tepan, 44:5444
FF7,C, :4:
F,77e, <ules, 4-
F,)CGI(t7,), Andr$, !2.
F,G(LLt7,, ,dZi%e, 22/
FLAG*,7C, Iustave, !/0, 24, 3:/
FO+CA+(,7, 1ierre, 24:
FO+C,+,LL,, *ernard le *ouyer 6de9, ::3, :4:
Fw7)C,7, ,lisabeth, !-
FOGCAGLC, Michel, !0, 32., 3:.
FOGCL,C, Ma851ol, .:
FOG7(,7, Charles, 3/, 4!!, 32/, 32-, 3:4
F7A(I+,AG, Andr$, !:
F7A+CO, Francisco, !05!02, !.0, 242, 243, 2.., 2/2, 2/4, :/-, 40/, 33, 30, 3!,
3!:53!4, 32, 3:3
F7A+R, *ernard, 40-
F7FM(+E(LL,, Claude 6de9, 0:, .:, !:/, 2:2, :!.
F7,G#, )i%mund, 23, :, !.., !./, 4..
F7OMM, ,ric, 32.

IA(LLA7#, Ieor%es, !2-
IAL(,+, !4
IAL(LF,, 4!-
IAL(+#O, Christiane, 4.4, 4.-
IALL(MA7#, Iaston, !2:, 2!-, 222, 22:, :/, :.0
IALL(MA7#, 7obert, :-0
IA+#L(, :3., 4-0, 3-, 3!0, 3:4
IA+#(LLAC, Maurice 6de9, !2/, !:
IA7F(CC, Coby, !2:, !20, !2/, !2-, !:!, 340
IAGLL,, Charles 6de9, 2!-, 22, 20., 2.!, 2.3, 2-4, 2-/, :3, :2., :3/, :.., 422, 4245
420, 442, 40:, 404, 3!:, 32, 34/
IAMOCC,, 1ierre, 4!
I,+,C, <ean, 2
I,7A))(, <ohn, 22-, :., 3:., 332
I,7MA(+, Louis, :2, 4!543, 30, 3., 0, !:0, 2!:, 2!/, 2-/
I(#,, Andr$, -, !3-, :!, 43
I(+OLL(+, #enise, 24
I(O+O, <ean, !:
I(7AG#, Lenri, !2/, 2-4
I(7AG#OGM, <ean, 22., 22/, 20-, 402
I()CA7# d',)CA(+I, Eal$ry, 32, 34534!
ILGCR)MA++, Andr$, 34, 33!
IO#A7#, <ean5Luc, 32.
IO#(+, <ean5*aptiste, 32-
IO#2(+, 2illiam, :4., 320, 32/, 3:4
IOM,[, )ylvie, 42
IO7R(, Ma8ime, !.., !/0
IOGL(,7, Lenri, !:
I7AM)C(, Antonio, !0., !.3
I7AE,, <ean, 32/
I7,CO, <uliette, !4
I7,,+, <ulien, 442
I7,+(,7, <ean, 2:524, :!, :2, 44, 3053/, 0!, 0:503, ., -0, !!, !!.5!:-, !425!4/, !04,
!0/, !.4, !/4, !/0, !/-, !-:5!-3, 24, 23, 222, 23!, 2.:, 2--, ::3, :405:4/, :33, 4:/, 4.!,
4.., 4-4, 34:, 340534.
IGACCA7(, F$li8, !0, 32., 3:.
IGFL,++O, <ean, !20, !2-
IGF7(+, #aniel, :0
IGF7(+, <eanyves, :/, 3435340
IG,)#,, <ules, :.2, 343
IG(LLO7F, 7aymond", :/0
IG(LLOGM, Louis, !:3, !:0, 23!
IG(CCO+, <ean, !:
IGeAG, <ean5Marie, -

LA#< )adoK, *en, 42-
LA#<, Messali, !40, !./, 42544, 42/, 42-
LA#OC, 1ierre, 4/.
LALFEe, #aniel, :!2
LA7#e, 7en$, 2--5:
L,CLC, *en, 32
L,I,L, Ieor% 2ilhelm Friedrich, -, !!, !:, !3, 2:, 3:, 03, 0., -2, -:, --, !!!, !30, !0:,
!04, !/0, 2!4, 2/:, :::, ::-, :40, :4/5:32, :30, :0, :00, :0/, :0-, :-2, 33:
L,(#,II,7, Martin, 44, 0-, !//, 224
L,LEFC(G), :4:
L,+7( (E, :..
L,+7(OC, Fmile, 2..
LF7ACL(C,, 4//
L,77(OC, Fdouard, !:-, 42
L,7EF, 1ierre, 2-52-!
L(F, )imone, .:, 4.4
L(MML,7, Leinrich, 2-.
L(CL,7, Adolf, .., /, !2/, !-, 22., 24, 242, 24., 23!, 23:, 23/, 2., 2.!, 2/2, 2/4,
2-, :., :!, :2/, :32, 442, 3!:, 3:3
LO**,), Chomas, :4:, 3!-
LO#,+C, Michel, 4!/542
LOL*ACL, 1aul Lenri Chiry 6d'9, :4:, 3!-
LOMt7,, !/, !/0
LO+,II,7, Arthur, 204
Le11OL(C,, <ean, ::-, :4/

()OG, (sidore, 32.

<ACO*, Ale8andre, 4-
<ACO*, Marius, 32/
<A+RFLFE(CCL, Eladimir, !2-, :!5:2
<A)1,7), Rarl, 44, !//
<,A++, d'A7C, :..
<,A+)O+, Francis, ::2, ::-, 44, 4-
<,)G)5CL7()C, .., /., 23.523/, :25::, :3, :!4, :34, :03, 4-., 320
<O+)O+, *en, !..
<O),1L, Iilbert, 224, 34/, 33:
<OeC,, <ames, 3/, 0:, !/0
<x+I,7, ,rnst, 44

RAFRA, !/0, !//, 2225224, :4!, 4-
RALOGL, Muphti, 4!/54!-
RAL(Ae,E, (van, 44:5444
RA+C, ,mmanuel, !:, 20/, :04, :/4, 3!-
RA))+,7, 7udolf, !.0
R,7FALLAL, [ahia, 44!
R,))AL, )a]d, 404
R,))OG), Mohamed ,l AOiO, 4:2
R(,7R,IAA7#, )yren, -, !!5!:, !3, 44, -:, -0, !0, !/0, !//, 2., :3!, 40., N[U
RLO))O2)R(, 1ierre, ::/, ::-, :4!
RO,)CL,7, Arthur, 22
RO<tE,, Ale8andre, ::-, :4/, :3
ROGCL+,7, *ernard, 343, 33!
ROe7F, 343, 33!
R7AECCL,+RO, :2/
R7O1OCR(+,, 1ierre, 2:!, 24., :0/, 4!!, 3/, 3!, 3!!, 3!2, 3!0, 320, 32/, 3:4

LA *OFC(,, Ftienne 6de9, !3:, 2:4, 2:/, 23!, 232, 2/!, :3., 4!:, 4!0, 323, 3:4, 34!
LA *7Get7,, <ean 6de9, 4/!
LA FO+CA(+,, <ean 6de9, 24, 244
LA M,CC7(,, <ulien Offray 6de9, :4:
LA 7OCL,FOGCAGL#, FranVois 6de9, 4/!
LACA+, <acques, !0, !34, ::-, :4-, 3!-
LAC,+A(7,, 1ierre FranVois, :44
LACOM*,, Claire, :02
LAFFO+C, 1ierre, 4:-
LAO5C),G, !-:
LAGC7FAMO+C, .3, ::/, ::-, :4:5:44
LAEAL, 1ierre, 2-0
LAE,LL,, Louis, !:
LA[A7,, *ernard, 32/
LA[A7,E(CCL, +icolas, 442
L, CO7*G)(,7, !..
L, ),++,, 7en$, !:
LFAGCAG#, 1aul, !:5!:!
L,*<AOG(, Mohamed, 43-
L,CL,7C 6%$n$ral9, !:2
L,CL,7C, Ch$ophile, :02
L,CO(+, Louis, 442, 4-0, 3., 3!, 32/, 3:3
LFI,7, Fernand, 442
LFI,7, +athalie, 22.
L,(7(), Michel, !34, ::-
LFLe, Iilbert, :4!
LF+(+,, !32, !30, 23!, 2.0, 2/2, :2/, ::2, :4-, :32, :3., :02, :0-, ://, 4:., 3!, 3:3,
3:.
L,+[(+(, <os$, 404, 344
LFO+, 1auline, :02
L,PG(,7, <ules, !2:, !24
L,EAL, Iaston, :., :.!, :/, 43!, 3!53!2, 3!453!0, 3!/, 343
L,E(, 1rimo, :24
L,E(+A), ,mmanuel, !0, ::-
LFE(5)C7AG)), Claude, !2-, 442, 3!-
LFE(5EAL,+)(, <acqueline, :-0
L,Ee, *ernard5Lenry 6*LL9, 32, 34, 34!, 33533!
L,e+AG#, 7en$, :2, :4, :3, :!
L,e7(), 1ierre, 22:
L(*,7CA#, Albert, 2:!
LO7,C, Fric, 3:-
LOCCMA+, Lerbert 7", 23, /-, !.., 2::, 2-/, :/, 42!, 4:/, 43/, 43-, 344, 343
LOG() M(E, 4!!
LOG() ME(, :0:, :03, 44.
LGC7tC,, !3., !-:
Lupin, Ars@nes, 4-
LGCL,7, Martin, !/
LeOCA7#, !0, 32., 3:/

MACLA#O, Antonio, !0!
MACL(AE,L, +icolas, 2/2, 4!0, 4!-
MAC5O7LA+, 1ierre, 4!
MA(+, #, *(7A+, 1ierre, !:
MA()C7,, <oseph 6de9, 24-523, :44, :34
MAzC7,<,A+, 7irette, 2:!52:2, :.-, 343
MALA+, !::5!:3
MAL#O7O7, :44
MAL7AGM, Andr$, !.4, !.05!.., !/0, !//, 2!-, 22:, 224, 40:, 4/2
MA+I(+, Charles, 40
MAO C)F5COG+I, 2/2, 433, 32, 323, 3:3, 3:.
MA7AC, <ean51aul, :0, :03
MA7C5AG7tL,, -0, !3., 4/., 4//, 3!-
MA7C,L, Iabriel, !:, 23, 203, :3
MA7CG),, Lerbert, 32.
MA7(+, Lou, 2:!, 344, 343
MA7(CA(+, <acques, 442
MA7C(+ du IA7#, 7o%er, 43/, 4./
MA7M, Rarl, !22, !4:, !33, !30, !0., 24-523!, 20., 2/:, 2-, :!., ::25::4, ::-, :40,
:4., :4-, :325:3., :3-5:0, :00, :0-, :.2, :.4, :.3, :./, :.-, :/2, ://, :-2, 4:., 4-:, 3!!,
3!3, 3!-, 3:-
MA))(I+O+, 3
MA))(), Lenri, 4!
MA))G, <acques, 44!, 3!
MACLF, Albert, 2.2
MAGL+(,7, Chierry, 4!
MAG7(AC, FranVois, !4, 2.., 2-/, :5::, :3, :., 332
MAG77A), Charles, 3/, !20, !2., !/!, :-, :!/, :-.5:--, 4!
MAe, Codd, 32.
M$d$es, !0:
M$lusin 6Monsieur9s, !-52
M,LE(LL,, !/0, :4!, 40-
M,MM(, Albert, :-:, 4.
M,+#t)F7A+C,, 1ierre, 2.., :/:, :/., 3:!, 3:2
M,7,(A, 2:052:.
M,7L,AG51O+Ce, Maurice, 22, !4, :2., :2-5::, ::-, 4/0, 4-, 4-:, 332
Mersaults, /-, -
MF7e, <acques, 3:
M,)L(,7, <ean 6abb$9, 4!54!!
Meursaults, :!, /-, --, !-, !-2, !-4, !-3, !-.520, 2!2, 233, 4/4
M(CLAGM, Lenri, !34
M(CL,L, Louise, 32/, 3:4
M(LLAG#, #arius, 442
M(++,, #ani@le, 44!
M(CC,77A+#, FranVois, :!, :0, 4:3, 32, 3:2, 34
MORCA7, #ebbache, 3!
MOL(t7,, !/, 4.:
MOL(+A, Cirso 6de9, 4.:
MOLL,C, Iuy, 423, 4:3, 433, 3!, 3:2
MOLOCOE, Eiatcheslav, 3!4
MO++,7OC, Iuy, 42-, 340
MO+CA(I+,, Michel 6de9 !:, -0, !0, 2., 3!-
MO+C,)PG(,G, :4:, 3!-
MO+CL,7LA+C, Lenry 6de9, !/4, 22/
M{PG,C, Iuy, 24524!
MOGL(+, <ean, 24., 2.-, 2--, :3/
MOGLOG#<(, Marcel, !34
MG))OL(+(, *enito, .., /, !/, !-, 242, 243, 23!, 2/2, 2/4, :0-, :--54!, 4!0, 403,
3!:, 3:3

+A#,AG, Maurice, 2:, :4!
+A1OLFO+, 0-, :32, 44.
+A)),7, Iamal Abdel, 433, 34, 3!4
+,CCLAu,E, )er%e, 30
+,2MA+, )aul, 32/
+(,C[)CL,, Friedrich, ., 2:, 23, :, ::, 0:504, 0.5-/, !2, !4, !0, !., !!:, !!3,
!24, !23, !4!, !4:, !3!, !32, !34, !3/, !02, !.:, !.., !/3, !/0, !-5!-3, !-.5!--, 22, 245
23, 2., 2-, 2!252!:, 2!., 2:!, 233, 230, :!!5:!2, :2:, :40, :4., :3.5:0, :/., 40., 4./,
4/!, 4/2, 3!3, 34, 34!, 34., 33!
+(,G2,+LG(), Ferdinand #omela, :.-
+([A+, 1aul, /., !3, !/4, 332
+O7A, 1ierre, 3:-
+O[(t7,, Eiolette, :43

\dipes, !0, !0:, !.2, 4/!
OLL(E(,7, Albert, :.0
O7C,IA y IA)),C, <os$, !0
O72,LL, Ieor%es, 244
OE,7*,CR, FranO, /!
O2,+, 7obert, :4., 32-

1ALA+C,, Ieor%es, !20, !::, 23!, 4!!, 3:3
1A+,LOGM, 2345230
1A+[,7A, Charles, 24!
1A1O+, Maurice, 40:
1A7A(+, *rice, !2/
1A)CAL, -:, -0, !0, 2., 20-, 2.
1AGLLA+, Claire, !20, 340
1AGLLA+, <ean, 22:, 2-/, ::-
1AGE,7C, <ean5<acques, :4!
1AG2,L), Louis, :/0
1FIGe, Charles, :/4
1,LLOGC(,7, Fernand, 2::, ::!, :.25:.4, :./, :/2, ://, 4!!, 4!:, 3!/, 3:3
1F7(, Iabriel, :!
1,77AG#,AG, Michel, :0/
1,77(+, Marius, 224
1FCA(+, 1hilippe, !!:, !2/, !:, 22, 22!, 22:, 220, 2:, 243, 232, 23/, 2.!, 2.., 2/,
2/2, 2//, 2-:, 2-0, 2--, :, :/, ::, 442
1L(L(11, (E le *el, 3!2
1(A, 1ascal, !3, 2!-, 22!, 22:, 224, 2:2, 2::, 20-, 2., 2.2, 2.:, :!, 34:
1(CA))O, 1ablo, !34
1(, M((, 2/452/3, 34:
1(LL,7, 1ierre, 3!
1(+#A7,, ::, /4, !4, !/
1LACO+, !., -:, !0, !4, !3., !0:, !00, !-:
1L,E,+, 7en$, 422
1LOC(+, .!, -:, !!., !:-5!42, !44, !0:, !.:, !.., !/!, !/3, !/0, !-:, 2, 2!:, ://,
:-2
1OL51OC, 323
1OM1(#OG, Ieor%es, 32
1O71Le7,, !4
1OGCLR(+,, !.., 4.:
17OI7,)O, Marin, 3!4
1rom$th$es, !44
17OG#LO+, 1ierre5<oseph, 20, 0:, !22, !:/, !3!, !335!30, 2:!52:4, 2.-52/!, :!,
:!05:!/, ::!5::4, :4., :02, :0., :0-, :.25:.:, :.3, :.0, :./, :.-, ://, :-3, 4!!, 4!:, 4!3,
3., 3/, 3!!, 3!., 3!/, 320, 32/53:4
17OG)C, Marcel, !/0, :4!
1GCL,G, 1ierre, 2-452-3
1e77LO+ d',lis, !-35!--, 2!, 2:524

PG,+,AG, 7aymond, ::-
PG(LL(OC, 7o%er, 3!

7A*,LA(), 23!, ::3, 323
7AIACL,, Iilles et <ean57obert, 223
7A+C(LLAC, !2/
7A)C(I+AC, 2!/, 22:, 402
7AEACLOL, 20-, :0/, :.2, 30, 320, 32/
7,*AC,C, Lucien, :-, 223, 22/, :35:., :3-, 4--, 3
7,CLG), Flis$e, 2:2, :.2, 3., 3-, 3!2, 3:3
7F,, 1aul, /2
7FI+(,7, <acques, 2:2
7,+AGLC, Louis, 2/.52//
7,e, Alain, 430
7,e+AG#, 1aul, 2-:
7(**,+C7O1, <oachim von, 22.
7(CLAG#, Andr$ 6de9, 02, -0, !!/, ::4
7(CCG), <ehan, 0:504
7(,GM 6docteur9, 24., 233523., 23-, 20:, :3!
7(LR,, 7ainer Maria, !2
7(M*AG#, Arthur, !2, ::/5::-, :4:5:43, 323
7O**,5I7(LL,C, Alain, !/-
7O*,)1(,77,, Ma8imilien 6de9, :30, :0, :025:0:, :03, ://, 44.
7O*Lt), ,mmanuel, 4:/, 434
7OO),E,LC, FranKlin #", 2..
7OPG,+C(+, Antoine, !//
7O),+*,7I, <ulius et ,thel, 4--53
7O),+CLAL, I$rard, :2.
7OG)),AG, <ean5<acques, -0, 2/2, :42, :4:, :0:, 3!-, 3:
7OG)),C, #avid, :245:2-
7OGM, <acques, :02, :04
7Oe, <ules, !:0, 404
7G*,M17F, Lucien 6de9, !2
7e+,7, Lan, :.2, 3:3

)AA#(, eaasef, 44:
)ACCO, +icola, !20
)A#,, .3, ::/, :4!5:4:, :40, ://
)Au#, ,dZard, :-4
)Au#, Mohammed, 44
)A(+C AGIG)C(+, .!, !/, !!., !:-, !4!, !03, !/!, !/0, !-:, 2!!, 23., :!!, :4-, :-2,
4.0, 4//
)A(+C F7A+gO() d'Assise, !/
)A(+C (I+AC, de LOeOLA, 23.
)A(+C 1AGL, .., !-!, 2/0
)A(+C, I,+,E(tE,, :..
)A(+C,5*,GE,, Charles5Au%ustin, -.
)A(+C5<G)C, :0, :0:5:03, ://
)ALAC7OG, Armand, !34
)ALL,+AE,, #ani@le, 22-, 2:, 33!
)A77AGC,, +athalie, !/-
)A7C7,, <ean51aul, !:5!4, 2, 22, 23, ::, 30, 3/, /3, -:, !:, !0, !2-, !34, !33, !/4,
!/.5!/-, 20, 22452:, 24!, 244, 24/, 23, 23:, 23-, 20, 202, 203, 2.2, 2.., 2.-, 2/2, 2/4,
2-/, :3, :., :/, :!0, :205:2., :2-5:::, ::35::., ::-, :4/5:4-, :.-, :/!5:/2, :/0, :-:5:-4,
:--54!, 4!4, 42-, 4:054:., 44, 444, 43:, 40!5403, 40/, 4.254.:, 4.3, 4./, 4/, 4/!, 4/054/.,
4/-54-, 4-254-:, 4-.54--, 3!, 30, 3!4, 32532!, 3:0534!, 34:, 34.533:
)CL,LL(+I, Friedrich 2ilhelm <oseph von, :0/
)CLO1,+LAG,7, Arthur, 2:, 0:504, 0., .5.!, -!5-2, !/0, !-2, :3-
)CL2,(C[,7, Charles, ::0
)F+tPG,, !3.
),7I,, Eictor, 2:!52:2
)LAL 6Mohammad 7eOa 1ahlavi9, 4--
)LAR,)1,A7,, 2illiam, .4, :2:
)(LO+,, (%naOio, !/4
)(+Ct), Catherine, 4-, 30, 02, !--52
)isyphes, :2, 2052/, 2!!52!2, 4.4
)OC7AC,, 04, 0., 0/, !/, !0:, 4!-
)OLA7A, Eincent, 2:2
)OL<,+(C)e+,, Ale8andre, 32
)orel, <uliens, !2, !4., !/0
)OG1AGLC, 1hilippe, ::-
)1A7CACG), 2.-, ::!
)1,+C,7, Lerbert, 24.
)1,+IL,7, OsZald, !/0
)1(+O[A, *aruch, 24, !/0, ::.
)CAL(+,, <oseph, /, 24, 243, 2., 2.0, 2/2, 2-, :!, :2/, 4:, 3:3
)C,+#LAL, !/0, ::.
)C(7+,7, Ma8, .3, !/0, 2:!, 2:2, :0.5:0-, :.!, 30, 320, 32/, 3:4
)CO7A, *en'amin, 4:-, 44, 4-/
)C7AE(+)Re, (%or, 04, .2

CA(+,, Lippolyte, -.
CA77OG, <ean, 20, 202, :3!
CCLOGA+I5C),G, !-:
CF7,+C,, ::3
CL(*O+, Iustave, !:
CL(,7), Adolphe, :.0, :.-
CLO7,AG, Lenry #avid, 2., :3., 3:4
CLO7,[, Maurice, 42
C(LL(O+, Iermaine, :-0, 44:, 3!
C(MO+ de 1LL(O+C,, !-3
C(CO, 433
C(M(,75E(I+A+COG7, <ean5Louis, :0
CO##, Olivier, 23, 22-, :3/, :/, 44, 4!-, 43-, 40, 40!, 4.-, 3!, 344, 343, 332
COL)COu, L$on, .3, .., 320, 32/
C7FA+#, Maurice, 24
C7OC)R(, L$on, 2/2, :23, ::!
C7GFFAGC, FranVois, 32.

Glysses, !/
G+AMG+O, Mi%uel 6de9, -:, !0, 34

EA(LLA+C, Au%uste, 30
EALF7e, 1aul, 3/
EALO(), Ieor%es, :!/
EA+ #,+ LOE,+, Adrian, 22-
EA+ ,eCR, <an, 4/0
EA+,(I,M, 7aoul, 32.
EA+[,CC(, *artolomeo, !20
EA7L,C, <ean, :05:04, :0., ://, 4!!, 4!:
E,L(+, Andr$ *ollier, dit, :2
E,7LA(+,, 1aul, 0:
E,)1,7, +okl, !2/
E(A+, *oris, !4, 4/0
Ei%ne 6Monsieur9s, !/52!
E(LA7, <ean, !.2
E(OLL,CC,, Maurice, 4!54:
E(7I(L,, 4/
E(C,[, Antoine, !.2
E(C7AC, 7o%er, ::-
EO(L(,7, <ean, :/
EOLCA(7,, :4:, :.3, 4!!, 3!-

2AI+,7, 7ichard, 04, 0., 0-, .
2ALL, <ean, !:, ::-
2,(#MA++, ,u%@ne, 2!-
2,(L, Fric, ::-
2,(L, )imone, !0:, ::-, :/.
2,(CL(+I, 2ilhelm, :.!

[arathoustras, !05!., /4, !-4, 2!., :2, :/., 34
[,EACO, Michel, 3/
[OLA, Fmile, 2::
[OG))MA+ 6'u%e9, 22/

(nde8 th$matique
Abolitionnisme, 2-3, :--
Absolu et choi8, !24
Abstention, :/:
Abstentionnisme, :/4
Absurde, !0, 4!, 44, -, !24, !.0, 2/, 2!, 2!!, 2!2, 22, 4.4
esth$tique l', /0
m$taphysique de l', !/:
philosophe de l', !05!.
roman de l', !-
th$orie de l', /45/3
vie, !4, !0, !-, 23, 2-52!, 4.:, 4//, 4-!
Absurdit$, !4, !0, !/, 4:, /4, /-, !//5!/-, 24, 2-52!
de l'Ftat moderne, 20., :/
de l'e8istence, 4.:
de l'Listoire, !.0
A&useur de Sé+ille 6L'9, 4.:
Action franVaise 6L'9, !205!2., !:, 2/4, 2/-
Actuel 6revue9, 4-.
Actuelles, !/0, 2.4, 2.-
Actuelles? Chroniques AMNN8AMNT, .3, 2!3, 2.4, 2..52.-, 444, 32
Actuelles 66? Chroniques AMNT8AMLP, 443, 3:
Actuelles 666? Chroniques alériennes @AMPM8AMLTB, :4, :-4, 4:/, 44, 443, 430, 404
Ad$quation
entre l'Buvre et l'e8istence, 24
entre th$orie et pratique, 24
Administration, 454!, 243, 203, 422
coloniale, 4!-, 42!
de l'Fducation nationale, 0!, !/:, 22-
de Eichy, 22-
franVaise, 4-, 4!/, 4:-
Adolescence, cinq sonates pour saluer la +ie, !:/
Affirmation, ./, /, /0, -2, -3, !3:, !33, !-., :0:, 320, 34, 33!
Affranchissement,
des esprits et des corps, :.4
politique, 422
Afrique, !/, !0!, !/, :!!, :43, :-/, 4!, 4!, 434, 43., 34, 3!
du +ord, :4, !!:, 44, 422542:, 42-, 433
Qe des orthodo*ies 6L'9, !2-
Aneau mystique 6L'9, 4/0
A%r$%ation, 2:, :!, !/:, :4.
Ainsi parlait Jarathoustra, 0/, .0, /4, -2, !-, !-2, !--, 2., :!2, :3/, :/.
A'out au pri@re d'ins$rer pour la com$die de l',st, 444
Al&ert Camus, 3., !4.
Al&ert Camus, ou l'inconscient colonial, :-4
Al%er $tudiant, !:/
Al%er 7$publicain, !03, !/4, !/., 2!-, 2:252::, 20-, 2.:, 2.-, :-, :.0, :./, :-:, 445
43, 4!., 42!, 420
Al%er, :3, 4-, 0:, -3, --5!, !!!, !!2, !:4, !43, !3.5!3/, !0, !.4, !.0, !/2, 2!-, 22,
2.:, 2-4, ://, :-!, 4!/, 4:254:3, 4:/, 44!, 432, 43., 4.:
Al%$rie !-3/, 430
Alérie de Camus 6L'9, 404
Alérie et la répu&lique 6L'9, :-4
Al%$rie, !05!., 23, :-, 40, 0:, --, !/, !!!, !4!, !4., !305!3/, !05!02, !04, !00, !.-,
!/!, !/4, !--/, 2!:, 2!.52!/, 22!, 24., 20-, 2.., :!, :2!, :23, :2-, :3., :.0, :/., :-!5:--,
4!542, 44543, 4/54-, 4!4, 4!0, 4!/, 42254:!, 4::, 4:354:., 4:-544, 440544-, 43!5434,
430540, 40:5404, 40/54., 4.4, 4.., 4/., 4-!54-2, 4-/, 3!, 3!2, 3!/, 32, 3:2, 3:3
franVaise, !23, !:!, !4., :., 4!
franco5musulmane, 3:-
All$%orie, 24:
antifasciste, 23, 20
antinaOie, 23
pamphl$taire, 2445240
Allema%ne, !:, --, !/2, 20:, 2-, 2-0, :!!, :!:5:!3, :2/, :30, :.., 32
naOie, 2.3, ::, :!!5:!2, :!3, :!/, 3!:
Amandiers 6Les9, !!2
Amis du manifeste, 42.
Amiti$, :2, !2-, !4., !3., !3-, !0!, !/2, !--, 2:0, 24., 20!, :4, ::-, :32, :0/, 3!4,
3:-
Amor fati, 0-, /, !-2, !-3, 230, :3.
Anarchie 6L'9, 2:!
Anarchie, 4-, 3/, 0:, !22, !23, !05!0!, !.0, 2!.523, 2!-, 22:, 2:!52:4, 2:/, 24., 2.!,
2.0, 2/, :!, :!05:!/, :4!, :0.5:0/, :.!, :.-5:/!, :/4, ://5:/-, :-3, 4!254!:, 4!3, 442, 44-5
432, 3353/, 3!, 3!3, 323532/, 3:!, 3::53:0
Anarchie? Journal de l'ordre 6L'9, 3/
Anarchie est la plus hautee*pression de l'ordre 6L'9, 3-
Anarchisme post8moderne 6L'9, 32/
Anarcho5syndicalisme, !0!, :2:, ::5::!, :4., :.:, :/3, :/., :-3, 32/, 3:/53:-
Années alériennes 6Les9, 44
Anni+ersaire, :!4
Antéchrist 6L'9, !/
Ant$christ, 22
Antholoie de l'humour noir6L'9, ::-
Anthropolo%ie, 24-, 2/:, 3:/
anarchiste, 2!., 23
Antih$%$lianisme, 230
Anti5occidentalisme, 433
Anti8Œdipe 6L'9, 3:.
Anticl$ricalisme, 2/0, 32/
Anticolonialisme, !4., 4:
(nternationaliste, :-2
visc$ral, :-.
Anticommunisme
de %auche, 40/
lib$ral, 34
Anticulture
apollinienne, !-/
Antifascisme, !!:, !4., 4-0
communiste, !.35!.0
libertaire, !.3
Antifasciste, 200, ::!
all$%orie, 23, 20
combat, !.4, 24, 4:
en%a%ement, !.4
mythe, 20:, 200
mouvement, :!
Antifranquisme, !.0
Antinomies entre l'indi+idu et la société 6Les9, 23!
Antis$mitisme, !23, !:!, :35:., :!., 44, 32/, 3::
Antisovi$tisme, 2..
Appareils id$olo%iques d'Ftat, 3:.
Appel du Comité pour le R#R, :2.
Appel du mardi CL juin AMNO, !!:
Appel pour une tr/+e ci+ile en Alérie, 4::, 443, 43-
Ar&al3te 6L'9, 222
Archipel du 4oula 6L'9, 32
Arm$e de lib$ration nationale 6AL+9, 4:, 433
Arm$e 7ou%e, 2/2, ::!
Arri@re monde, !-0, 2:, 24/
Article PPO 6L'9, !..
Assimilation, 4., 42/, 4:2
Association (nternationale des Cravailleurs, :./
Asturies, 34, 3!2
Atara8ie, !:!, !4, !-:, !-3, !-.
Ath$isme, 22, 4!
politique, 23!
social, 23!, :!-
Ath@nes, !2., !3.5!3/, 4!4
Attentat, 22-, 4!/, 420, 42-, 4:4, 44!, 44/, 40:, 3
Attentats d'Al%er, 4:/
Aurore, .!, !32
AuschZitO, :2/, :3/
Autobio%raphie, 2-, -, -4, -., !24, !:0, 23
ontolo%ique +s factuelle, 2!!
Autodidacte, 23, !30, !/3, ::!, :::, 402, 40-
Auto%estion, ::!, :.-, :/., 403, 3!-
Autoportrait, 0-, --, 2!2, ::, 4.!, 4.:, 4./, 4/!, 4/.
A+ec Sartre au Stala R66 #, 224
A+entures de la li&erté 6Les9, 33

)aatelles pour un massacre, :.
)haa+ad8HtI 6La9, 0:
*ande A *aader, 3:.
*ande A *onnot, 2:!, :0/, 30, 320
)ar&arie ( +isae humain 6La9, 34
)ariona, 223, 2:
)ateau i+re, !3, :44, 323
*$atitude, !-!5!-:, :!2
*elcourt, 4, 3., 3-, .4, --, !!, !!:, !!/, !:3, !.05!.., 2!:, 2!., 2/:, ::/, :02, ://,
:-!, 4:/, 432, 43/
*elle Fpoque, 4!2
)elle équipe 6La9, !./
*en AKnoun pr@s d',l5*iar 6lyc$e de9, 22!
)en8'echt 6Le9, 32
*iblioth@que nationale, 34-
*io%raphie, -, !05!., 02, !!/, 2::, :., :!2, :4!, :/, 4.:, 4/:, 3:0
*olchevique, -4, :2/5:2-, ::2, :40, :4-, :3:, :0., :/:, ://, 4-2
camp, 2/-52-, :.-
rh$torique, !30
r$volution, -4, !0., 2.0, :2/, :34, :0/
*ombe atomique, !04, !0., 2/-52-, :33, 4-0, 4--, 323
*onheur, -:, !:, !0, !-, !!3, !!., !:3, !43, !4/, !0, !., !/2, !-4, !-/, 2, 24,
2!252!:, 2:3, 2-!, :!2, :!4, ::/, :3!, :0!, 4.0, 4-., 34!
comme souverain bien, :03
et v$rit$, !4/
%oSt du, :!3
philosophie du, /3, 40.
*ri%ades (nternationales, 4!.
)ulletin intérieur de la 9édération anarchiste, 43!

Caf$ de Flore, !20
Cahier, 2-, .
Cahiers de jeunesse, 4.3
Cahiers de la Li&ération, 2.2
Cahiers de Li&ération, :!
Cahiers du socialisme li&ertaire, 43!
Cahiers pour une morale, :4/
Calendrier de la li&erté, 33
Caliula et trois autres pi3ces, 444
Caliula, :4, !/35!/0, 2::, 2:4, 2:/, 24:, 243, 20:5204
Callirammes, ::-
Camp, !:, 2245223, 2/-52-, 2-2, :!4, 4:, 4/.
de concentration, 2-, :!-, :24, :2/
Camus et les li&ertaires @AMNT8AMUOB, 2:!
Camus, philosophe pour classes terminales, :-4, 34.
Camus? Portrait de l'artiste en citoyen, :/
Capital 6Le9, !4!, !335!30, :3:, 3-, 3!-
Capitalisme, 34, !33, 2:4, 23, 20!, 2/, 2/:, 2/-, :22, :20, :2., :4., :3:, :335:30,
:0., :/:, 403, 4-!54-2, 3/, 3!3, 32-53:, 3:253::
Carnetsde la dr-le de uerre, ::.
Carnets, -, !!, !2, 4-, 33, /!, !!., !2., !:2, !:0, !:., !4/, !3!, !34, !0-, 2/, 2!-, 2:.,
2:/, 244, 24-, :0, :2:, :24, :3/, 4:0, 44:, 43/, 40., 40-, 4.254.:, 4.., 4/-, 4-2, 32!
Carte postale 6La9, 22!
Cas =aner 6Le9, .
Castillanerie, !!, !0
Castor de uerre, 2:, 33!
Catéchisme ré+olutionnaire, 30
Catholicisme, 4//
europ$en, !/
romain, 4.0
Ca+es du Vatican 6Les9, -
Ce soir, 2-
Cellule, :0, !0/, 2!522, :4!, 44:, 4/-
de base, 4!!, 3!.
des crachats, 4-54-!, 4-4
1lateau5)auli@re, !..
Censure, 20-52.!, :0!, 42!
allemande, 222522:, 22/
%aulliste, 420
th$Ttrale, 22/
ACO journées de Sodome 6Les9, ::/, :42
Cercle d'Ftudes )yndicales des Correcteurs A la *ourse du Cravail, :/0
Cercle 1roudhon, :!.
Cérémonie des adieu* 6La9, 3:0, 34/
C$sarisme, !3!, !0:, 243
Chants de "aldoror 6Les9, :44
Charme de l':rient 6Le9, !2:
Chemins de la li&erté 6Les9, 2!
Choi* 6Le9, !24
Christianisme, !!, 0/, .2, .3, ..5./, /., --, !!!, !:-, !3., !/, !-!, 23., :4, :4., :03,
:0., 4//, 34:
'ud$o5, 0/, !/, 23
Chute 6La9, :4, 4.2, 4.0, 4./54.-, 4/!, 4/054/-, 4-454-3, 3:/
Clairvoyance, !!-5!2, !42
Classe ouvri@re, 34533, ::!, :::, :30, :., :.:, :/!, :/:, :/0
Collaborateur, :-, 2235220, 23.523-, 2-:, :!5:2, :., 42-, 442, 4-., 34/, 33, 332
Collaboration, !2/, !:!, !00, 22/, 24, 242, 24., 2325233, 23-, 2.-52/, 2/452/3, 2-4,
::, :.5:/, :3/5:3-, 3!:
industrielle, 2/.52//
Collaborationniste, 22:, 4--
1resse, !23, !2-, 220522/, 2:, 2-/, ::, :3, 402, 34/534-
Collectivisation, 2//52/-, :2!5:22, 403
Collectivisme, !/!, 2-!, 32/
Coll@%e du travail, !.., !/!, 340
Colonial
empire, 433
esprit, :-:
m$canisme, 20-, :-:
monde, :-.
probl@me, 332
r$%ime, :-., 4., 4!, 4::, 440, 4-0
syst@me, :-!, :-.
temps, 443
Colonialisme, 20., :/, :23, :-4, 4:, 43, 4.54-, 4!:, 4!0, 422, 440, 43, 433, 4-25
4-:
italien, !/, :--
m$tropolitain, 4:4
transcendantal, 4!/
Colonie pénitentiaire 6La9, 4-
Com&at, :4, !:2, 20/, 2.!52.2, 2.4, 2.-, 2-352-0, :2, :/, :!4, :25:22, :2., :.05
:./, 422, 420, 444, 34-533
Com&ats, le 'ournal de la Milice, 22/
Com$dien, /3, !0-, !.!, !./, 2!, 4/!54/2
Comit$ Amsterdam51leyel, :!, 4:
Comit$ central, !42
Comit$ national de l'$dition 6C+,9, 2-/
Comit$ pour l'appel A une tr>ve civile, Comit$ pour la tr>ve, 4::54:3
Comit$ r$volutionnaire d'union et d'action 6C7GA9, 42-
Comit$s d'$puration, :
Commission internationale contre le r$%ime concentrationnaire 6C(C7C9, :2-
CommonZealth, 430543.
Communalisme, :-3, :-., 4!54!2, 3:, 3:-
Commune 6La9, :.0
Commune de 1aris, ::!, :.45:/, ://, 4!2, 33, 3!!
Commune, !/, ://, 4!!54!2, 4!4, 3!., 3:2
Communisme, !!., !!-5!22, !:!, !:/5!4:, !435!40, !4/, !3!, !34, !0!, !0/, !/!, 202,
2/:, 2/0, :!/, :4., :/:, 40/, 4--, 3:2
libertaire, 3!!53!2, 32/
plotinien, !305!3.
po]$tique, !3.
sovi$tique, :2., :./
Com>dia, !2-, !:!5!:2, 220522/, 2:, 2-/, 402, 34/534-
Concept de l'anoisse 6Le9, 2.
Condition humaine 6La9, !.4, !//, 2!-
Condition postmoderne 6La9, 3:/
Conf$d$ration nationale du travail 6C+C9, ::!, :/, :/-, :-3, 30, 3!
Con9érence 9aite en Anleterre, :2:, :/2
Con9ession, :., 4//
Con9essions, !:-, 2!!, 3!-
Con%r@s de La Laye, !30
Con%r@s international de la pai8, :2
Con%r@s musulman, 4!/
Conquérants 6Les9, !.4
Conqu/te du pain 6La9, 4!!
Conseil national de la 7$sistance 6C+79, :2, 3:
Conseil sup$rieur de la ma%istrature, 3!
Considérations inactuelles, .3
Considérations intempesti+es, !23, 230
Contrat f$d$raliste, 44.
Contrat social 6Le9, :0:, 3!-
Contre l'intellectuel tout puissant, 3:/
Contre les chrétiens, //
Contre89eu*, 3:/
Contre5r$volution, :44
Conversion, !/, !2., !/, :.!, 4//, 32, 344
e8istentielle, 04
Coran, 42, 4!/, 44-
Corporation, !2, !0-, !/!, :-3
'ournalistique, :/0
philosophante, :, !!!, 2.
philosophique, :/, !:, 2., 40-
vocabulaire technique de la, 33
Corps, 2-, :05:., 4., 04, .!, /!, -5-!, !, !4, !.5!/5!!, !!:, !3/5!3-, !03, !0-,
!/3, !-!, !-/, 2/, 2!:, 2!-, 234, 2/:, 2-!, :.4, 4.4, 3:353:/, 33!
Correspondance, 23, !!/, !:., !3:, !-:, 22:, 2.252.:, ::., :4!, :43, :3/, 443, 4.0, 4/:,
3:0, 34:5343
Corse et Pro+ence, !20
Cosmopolitisme, !3/, !0!, !03, !/2, 22., 2-
Création corriée 6La9, :2:, :2-, 340
Cr$ation, -2, !0/, !/-, 23:, :2:, :3:
+s la civilisation, !!
Crépuscule des idoles 6Le9, 2!:, 34!
Crime et chItiment, 4.2
Crime, !-!, 2:3, 243, 203, 2-0, :!, :!-, :04, :0/, 4!-, 4/., 4-54-!, 4-054-., 30,
320, 33!
am$ricain, 2-
de L'.traner, :45:3, /-, --, !-/, 23
l$%al, :4, :0, 2.3, ::2
litt$raire, :45:4!, :4:5:40
lo%ique, 2:052:.
philosophique, :40
Criminalisation, :-4
Critique de la raison dialectique, -2, ://, 4-:, 3:.
Critique de la raison pure, 2.
Critique
commentaire, 2.:
de l'en%a%ement, !2!
esprit, !2!, 244, :34
'ournalisme, 2.4
sens, 2.4
th$orie, !2
Croi* de &ois 6Les9, 4!542, 3., ::4
Croi8 de la Lib$ration, :..
Croi8 de Lorraine, 2.!, :3/
Cuisini3re et le maneur d'hommes 6La9, 34
Culpabilit$, :-, 33, !-, !3/, 23, 23/, 2--, 4.0, 4./, 4/.54-, 4-:54-4, 3:
philosophie de la, 4/:54/3
Culture indi3ne? La 2ou+elle Culture méditerranéenne 6La9, :-2
Culture
de soi, :.4, 3!/, 3:353:0
dionysienne, !-/
libertaire, 3!/
Maison de la, !405!4., !./, !/!, :-, :-2, :--, 4!, 4!0, 42., 43., 340
m$diterran$enne, !.-, :-, :--
Cum apparuerit, !44, !04

#achau, 2-2
#amnés de la terre 6pr$face au89, 4-2, 332
#andy, 0:, .25.4, /, -!, ::/, :4:5:44, 4.4
#andysme, .:5.3, :4:
#arZinisme, 24.
#e )a<ounine ( Lacan? L'anti8autoritarisme et la dislocation du pou+oir, 32/
#e l'utilité et des incon+énients de l'histoire pour la +ie, 230
#e la capacité politique des classes ou+ri3res, :.:
#e la Création de l'ordre dans l''umanité ou principe d'oranisation politique, 2/!
#e la nature des choses, !-:
#e la rapetissante +ertu, :/.
#e la résistance ( la ré+olution, 20/, 2.2, :2
#e la ré+olution par la r3+e énérale, :.:
#$barquement, 40, 22., 2.2, 2.3, 2/4
#$capitation, :3, :., 4., :0:5:04, :./
#$claration Monta%narde du 24 'uin !.-:, 2.!
#éclaration solennelle des droits de l'homme dans l'état social, :0!
#écom&res 6Les9, 22/, :0
#é9ense de l''omme ré+olté, ::2
#$lib$ration contractuelle 6principe de la9, :00
#emain, 43-
#$mocratie ath$nienne, 4!4
#ép/che alérienne 6La9, 420
#éportés d'honneur, 2-2
#$port$s, 2-, 2-252-:, :23, :2-, :0-, :./5:.-
#éracinés 6Les9, :/!
#erniers jours d'Al&ert Camus 6Les9, 404
#ésert ( :ran 6Le9, !!2
#$sespoir, 4:544, --, !0!, !/3, 2/52-, 4/
#ésir attrapé par la queue 6Le9, !34
#eu* étendards 6Les9, :0
#eu* sources de la morale et de la reliion 6Les9, 04
#eu8i@me lettre ( un ami allemand, 2.2
#eu*i3me se*e 6Le9, 4.3
#ialectique, -!, !/., 2:052:/, 20!, 2/:, 2//, :4., :3, :33, :0, :.4, 4-:, 3
des classes, 43
du maWtre et de l'esclave, 3:, :4-
h$%$lienne, 0., !2!, :::, :4-
#ictature du prol$tariat, :3:, :0-, :.:, :.-
#ictionnaire Al&ert Camus, :/, 340
#ictionnaire culturel en lanue 9ran0aise, 2::, 430
#ictionnaire de l'indi+idualisme li&ertaire, :0/
#ictionnaire de la lanue 9ran0aise, 244
#ictionnaire des lettres 9ran0aises S le RR
e
si3cle, 22.
#ictionnaire Sartre, 22-, :4/, 4:., 332
#ionysisme, .!, --, !!:, !.-
al%$rien, !!3
#iscours de la ser+itude +olontaire, !3:, 2:/, 232, 2/!, 2/:, 4!0
#iscours de Su3de, 44, -4, 4-3, 32:
#i+ine Comédie 6La9, 4/
#'ihad, 424
#octrine du droit, :04
#o%me, !2., 2/-, :34, :/4, ://, 320, 32/53:, 3:2
#on de la li&erté S les relations d'Al&ert Camus a+ec les li&ertaires 6Le9, :/
#on $aust, 4.:
#on Juan, 4.:
#on'uanisme, 4.:, 4.0
#onquichottisme, !0!5!02, !03, !.0
#ouar5commune, 4!:54!4, 4!0, 443, 3!/, 3:, 3:/
#ouleur 6La9, 0!502, -0, !!/, ::4
#rapeau noir, 0:, !0, !/2, :.-, 40-, 33, 3., 3235320
#roit d'inventaire, :33, 3::
#roite, !2, !2-, !30, !.-, !/!, 242, 24., 23, 2035200, 2.-, 2/-, 2-4, :, :0, :-,
:!., :!-, :2.5:2/, :4., :00, :/35:/0, :-3, :--, 4::54:3, 40/, 3, 3!4, 32, 320, 3:2, 34
%aulliste, 3:!
nocturne, !.-
r$volutionnaire, :!/
#u mensone, :!
#u nou+eau en politique, 4!!
#u principe 9édérati9 et %héorie de l'imp-t, :.:
#u principe 9édérati9, :.:, 3:!

1cce homo, ., .:, !-2, !-4, 4/!
Fchafaud, :04, :.3
Fcole normale sup$rieure 6,+)9, 2:, !/3, :00
Fcole, /., !42, 2/., 4., 3., 343
la]que, :2!, :.3
Fconomie, :02, :-4, 3:.
collectiviste, 2.3, 2//
internationalis$e, :22
.crits de Sartre 6Les9, 4:., 34-
.crits de Simone de )eau+oir 6Les9, 2:, 34-
Fducation, !0/, :0/, :.25:.4, 403, 3!:, 3:0
%ratuite, :/2
libertaire, !.:, 3!/, 32-
morale, :.4
nationale, 0!, !2:, !2-, !/4, 2!/, :0!, :-:
populaire, !0/, !.25!.:, !/!, :/
+s endoctrinement, !./
F%alit$ sociale, 44
F%lise catholique, :-, .., 22, 23:5234, 23., 204, 2./, 2/452//, :/, :0., :.3, 4//, 4-.,
33, 3!3
F%ypte, 4:, 433, 4.., 34
Flections, 2!, !:!, :!., :/, :/2, :/3, 4!., 32-, 3:!
bour%eoises, :!.
directes, 4!:
mondiales, :!0, 3:!
plan$taires, :22, 444, 44-
.loe de la peste, 2!:
,mp>chement, 23-, :3
1mpire <nouto8ermanique 6L'9, :.
,mpire, !0:, !/, 2!, :!!, :4!, 42:, 44., 4345430, 3!/
1ncyclopédie anarchiste, 2:4, 3/
,n%a%ement, !4, !-52, :4, !:/, !42, !4/, !/!, 24!, 2/., :2-, 423
anarchiste et libertaire, 2:!
antifasciste, :!, !.4
concret, !2, 240
communiste, !40, :-2
dans la 7$sistance, :!, 23.
de papier, :-3
$thique, !.:
'ournalistique, !0/
internationaliste, 4:
philosophique, 4!.
politique, !2!
Fni%me ph$nom$nolo%ique apollinienne, !4
1nnéade, .!, !:-, !4!, !0:, !-:
,nra%$s de la 7$volution franVaise, :0, :025:0:, :03, :-3, 3!., 323
,nsei%nement priv$, 2/0, :/, :0!
1ntraide 6L'9, 24., 4!!, 3!0
1ntre oui et non, -0, --
1ntretien a+ec Chiaramonte, 20.
1ntretiens sur la politique, :2.
1ntretiens sur le &on usae de la li&erté, !24
1n+ers et l'1ndroit 6L'9, 32, .:, -!, -35-0, -/5!, !3, !!.
.pis m!rs 6Les9, :0
Fpuration, :4, 242, 232, 23-, 2.-, 2-:, 2-3, 2-., 2--5:, :4, :/, :!:5:!4, :3., :./,
:-2, 422, 444, 4-.
comit$s d', :
$clair$e, ::
litt$raire, 2-/
Fros, /0
1scalier 6L'9, !23
,sclava%e, !325!3:, :3!, :30, :.3, 4.54/, 4!/, 3/
1spane et le donquichottisme 6L'9, !02
1spane Li&ertaire @AMPU8AMPMB, 3!53!!
,spa%ne, !05!02, !/!, 242, 20!, 20:, :2-, ::2, :4., 434, 40/, 34, 3-53!, 3!2
libertaire, !.3, 3!2
franquiste, :-, !02, 234, 2045203, 2-/, :!, 422, 433, 33530, 3!:
r$publicaine, :/.
1spoir 6L'9, 2!-
1sprit du tao 6L'9, !-3, 34.
1sprit du tao7sme 6L'9, !24
1sprit, 40!
1squisse d'une morale sans o&liation ni sanction et de l'irréliion de l'a+enir, -
1ssai sur l'esprit d'orthodo*ie, !!-5!2, !2:, !2-, !:!, !43, !4/, :40, 34.
1ssai sur le li&re ar&itre, :3-
1ssais de Montai%ne 6Les9, !0, 2., 3!-
,ssentialisme, :!:
,st 6pays de l'9, :-, !22, 242, 20:, 203, 2.3, ::4, :30, :/., 43-, 4-., 3!3, 32
,sth$tique, 04503
comme $thique, 3!0, 3:/
de l'Absurde, /0
de l'Buvre d'art totale, :2:
et politique, !.:, !./
n$o5platoniciennne, .!
1t #ieu créa la 9emme, 32.
.tat de si3e 6L'9, :4, 2::, 20:5204, :2:
Ftat, :-, -3, !!-, !225!2:, !20, !3:, 2:, 2:3, 243, 24-, 204, 20., 2/052//, :/5:-,
:!05:!., :4., :4-, :32, :3., :0:, :0., :0-, :.2, :.3, ://, :-25:-:, :-3, 4!, 4!454!3, 423,
4:2, 440544., 433, 40:, 4-., 3!3, 3!.53!/
al%$rien, :-/, 423, 44/, 43
anarchiste, 320, 32/, 3:53:!
centralisateur, 4-, 44., 434
centralis$, :0:, 4!4
d'(srakl, 32, 34
du Eatican, 23:
fasciste, :/.
f$d$r$, 430, 3:!, 3::
franVais, :4, 4!, !3:, 22!, 24:, 232, 2/, 2-2, 42, 4054., 4!0, 4:254:4
'acobin, :.:, :.-, 4!0
m$tropolitain, 4!.
parisien, :-.
policier, :4-, :./
stalinien, :/.
total, !3!
th$olo%ique arabo5musulman, 44/544-
voyous, 3:-
.tatisme et anarchie, :.
Ftats5unis du monde, :!0, :-2, :-4
Ftats5unis d',urope, :!0, :25:22, :-2, :-4
Ftats5Gnis 6G)A9, 2:4, 2.., 2//52/-, :!3, :22, :205:2., 32.
.té 6L'9, !3, 2., 2-, /3, -3, -/, !!2, 4-3, 33
.té ( Aler 6L'9, !!!, !3-
Fternel retour, 0/, ./, /, !!4, !--, 2!2, 2!/, :/.
Fternit$, !!4, !3-, !-/, 2-, 2!2, 4/:
sens de l', !4!, !0!, !03, !/2
Fthique, 3:, !:-, 2-, 2:/, 24/, 23., :3, :/, :!:, :40, 3!0, 3:3, 3:-
chevaleresque, !03, :!3
comme esth$tique, 3!0, 3:/
de conviction, !00, :-., 34!
de l'honneur, !3-
de responsabilit$, !00, :-!, :-., 4!2, 34!
du 'ournalisme, 2.:, 2.3, 4!.
et politique, !00, 2:3, 2-2
libertaire, 3!3
politique, 2:3, 2//
pour politique, 2/!52/:, :/
pro%r@s, 2-0
tension, 3/
.traner 6L'9, :4, 44, /3, -!, --, !/35!/0, !//5!/-, !-/, 22, 23, 2-, 2!!, 222, 24!,
243, 233, 4!-, 322
Etre et le 2éant 6L'9, !:5!4, !-, 2., 224, :4/
Etre et temps, 2.
1urope de la 9idélité 6L'9, 30
,urope, 0/, !/, !32, !3., !0!5!02, !0:5!04, 2!3, 2!., 22, 23:5234, 20!, 2.352.0, :!!,
:!45:!3, :!/, :2!5:22, ::4, :3., :3/, :.., :/-, :-2, 4!, 4!4, 4!0, 4:254::, 442, 44/, 43.,
4-!, 32, 34530, 3!253!:, 3!., 3:3, 3:/53:-
centrale +s m$diterran$enne, --, !!:5!!4, !.-, 2!:, :-/5:--
de l',st, :-
des Lumi@res, :!!
Ftats5unis d', :!0, :2, :-2, :-4
f$d$rale, :/2, :/3, 43.
'ud$o5chr$tienne, 24., :-2
libertaire, 3:53:!
nocturne, 43., 3!
postnationale, 0:
postnaOie, :24, 44/
socialiste, :20, :/2
Fvian 6Accords d'9, 40:5404
Fvolution r$volutionnaire, 3!0
,8$cution, :!, :45:3, 40, !.3, 2:, 2!-, 243, 20!5202, 203, 2.., 2/4, 2-3, :., :!-, :4-,
4-3, 332
1*il et le Royaume 6L'9, :4, 4-3
,8il, 4::, 4.0, 4/
europ$en, 2!:52!3, 2:4, 24., 2-/, :., :!2, ://, 402, 3!-
parisien, 4.
1*istence malheureuse 6L'9, !2, !2:, !:0, 34.
1*istentialisme est un humanisme 6L'9, 20
,8istentialiste, !., !0
,8istentiel, !:, 24, :, 4!542, 44, 4/, 3:, 3353/, 02504, 0-, /!, /45/., /-, -2, -35-0, !:,
!05!., !:-5!4, !4:, !.!5!.:, !/3, !/-, !-/, 20, :20
1*odus AMN[, 32
; ,8plication de L'.traner ?, !/., 332
; ,8plication de vote ?, :/45:/3
1*plosion 6L'9, :0!
1*press 6L'9, !:!, 2.-, :!, :.4, :/!, :/4, :-0, 4:!, 4:/, 43-, 3:!
,8tr>me droite, !.-, 2/-, 2-4, :0, 32

Fait divers, 2..52./
m$taphysique du, 20.
et philosophie, 20/
Fascisme, !:!, !/, !-, 2!:, 24:5244, 232, 20, 2./, :!/, ::, 40/, 34.
espa%nol, !0!, !.0, 2/4, 2-:, 33, 3:.53:/
europ$en, !4., !00, 242, 2., 2/3, :/, :!!, :3., 4:
franVais, 23/
international, 4:
italien, !/, 4
naOi 6national5socialiste9, !.0, !-, 2-:
transcendantal, 232523:
Fatalisme, !4:, :42
ontolo%ique et politique, .-
Faute, ./, /:, !-, !!2, 22, 23, 2:., 230523., ::, :42, :34, 4.0, 4/3, 4//54-, 4-2,
3:
coloniale, 4.54-
F$d$ralisme, 0:, 2.3, :!, :!., :03, :.., :-., 4-0, 3, 3., 3!!
%irondin, 44., 323, 32/
libertaire, 4!:
F$d$ration, 0:, 2.-, 2-!, ::2, :.:, :.0, :/, 4!454!3, 443, 44/, 430543., 3!.53!/, 32-5
3:!, 3:-
anarchiste, :!0, 3!
franVaise, :/3
franco5al%$rienne, 3!-
europ$enne, :20, 444
$erme des animau* 6La9, 244
Fid$lit$ A la terre, :!2, :2
$iaro, 20., :, :/0, 420
$iaro littéraire 6Le9, :2.
$iures du discours 6Les9, 24:
$leurs du mal, :44
$orce de l'Ie 6La9, 223, 22.52:, 4, 403, 34/534-
$orce des choses 6La9, 40!, 34/
$our&eries de Scapin 6Les9, !/, !0-
$ranc8%ireur, :2.
$rance li&re, 220
$rance8:&ser+ateur, 34
$rance8Soir, 420542.
Franquisme, 24:, 203, 2.3
$rédéric 2iet5sche ( tra+ers ses >u+res, /2
$reedom, 432
; French Cheory ?, 32., 3:., 34
Front de lib$ration nationale 6FL+9, :4, :-, :-/5:--, 42-, 4254:, 4!, 4!-, 42-54:4,
4:.544!, 44:, 440544/, 43, 432, 433, 43-, 40:, 403, 4-.54-/, 353!, 34, 3!4
Front national des $crivains, :!
Front populaire, !2-, !4., !./, 2!-, 2., 2//, 4!542, 42, 42:, 3!:
Fronti@res, !/2, 22., 2.352.0, :-5:!!, :!0, :2, :-2, :-4, 44/544-, 43., 4-0, 3:!
$ruits de la col3re 6Les9, 44-
$ureur et myst3re, 4.0
$usées, :44

4ai sa+oir, 2-5:, 0., 0-, .4, /!, /3, -., !0, 2!.
Iallimard, !, !2, !:0, 222522:, 2.2, :0, :/, :2-, 4, 442, 34:, 34/
4auche 6La9, 2.:, :20
Iauche, !.3, !/2, 242, :!-, :00, :.3, :.., :/3, 42, 4::, 4:3, 4:., 30, 3!4, 32!, 3:35
3:0, 34!
apollinienne, !04
communiste, 200, :2/, :/0, 40/
de ressentiment, !3!, !3:, !0!
dialectique, !0.
dionysienne, !3!, !3., !04, !0.5!0/, !.2, !.0, !./, !/2
libertaire, !, !/, :!
lib$rale, 34
nietOsch$enne, !!-, !./
non autoritaire, :00
non mar8iste, !!., :2!, 3!2, 3:2
solaire et positive, !40, !.-5!/, ::!
I$%@ne, 44!, 4--53
I$n$alo%ie, -/, !!, :4, 3!3
de la %uerre civile, 42:
d'une philosophie, 2-
d'une sensibilit$, :, :2, 34533
Iendelettres, !0-, 23-, ::05::.
I>nes, 0-, /, /!5/:, /-
4en3se et structure de la Phénoménoloie de l'esprit de 'eel, ::-, :4/
I$nie, :0, 44, !/3, 2!-, :445:43, :.., 323
al%$rien, !30
%rec, !0:
libertaire, :/, ://, 34533, 3::
m$diterran$en, !-/, 23, :/-, 42.
I$o%raphie, !4:, !03, !.-, 2!:, :!!, :-/
affective, !3.
4er&e 6La9, 22/, :3
Iirondins, :0:5:04, :0., 434
Ioula%, 2/2, 2-!, :2., :3., :/:, :/3, ://, 323
Iouvernement, -3, !05!0!, 204, 2/!, :0!5:02, :.:5:.4
f$d$ral, 43.
franVais, 22, 20-, 4245423
mondial, 0:, 2.3, :!0, 444, 44-
r$volutionnaire, 43:
IrTce, 2-4, :35:/
recours en %rTce, :3, 4:3, 4--53!, 332
Iramscisme, !0.
m$diterran$en, !40, !3!, !0.5!0/, !.25!.:, !.-
4r3ce en haillons 6La9, !03
Ir@ce, ::, !4, !025!03, !/5!/!, 20:, :2-, 434, 4/-, 34:
Iroupes Mobiles de 7$serve 6IM79, 2-4
Iuelma, massacres de, 424, 42/
4uerre ci+ile en $rance 6La9, :.-
Iuerre, 42543
civile, :!-5:2, :34, :.5:.!, :.0, :-!, :-/, 4:, 4!4, 4245423, 4::, 4:354:0, 4:/54:-,
44/, 40, 40:, 4-2, 3/
d'Al%$rie, :-, 40, !:!, !3., !.-, :-, :-!, :-.5:-/, 4245423, 42-54:, 4:., 444, 43,
40-, 4.2, 4-3, 34
des classes, 43
froide, !0., :2!, :/:, :-4, 40/
totale, 2.2, 2-0
Iuillotine, :05:/, !3!, !3:, 24:, 2435240, 20!, 2/, 2-4, :4, :42, :0, :02, :00, :.3,
:-4, 4:3, 440, 40:, 4-0, 3, 3!0, 32
Iymnosophistes, !-0, !--

L$donisme, 04, -!, !-, !!:, !43, !00, 4!, 32/, 3:3
libertaire, /, -0
ontolo%ique, /4
et politique, !!:, !03
primaire, /4
L$doniste, 20, 32, 03, /4, -, !, !!, !:-, !33, !03, !.:, !/., !-:, 432
enfance, !!
%$n$alo%ie, !!
tension, !!
vie, 2., 3:3
L$%$lianisme, !!:, !04, !0., :4., :32, :00
L$ro]sme, !/, 3/, !03, !.4, !.0, 223, 24!, 23., 23-, :!2
Liroshima, 2-, 323
'istoire de la Commune, :.0
'istoire des )ourses du tra+ail, :., 2::
Listoire, !4, :2, 4!, .-, !, !0., !.35!.0, !/5!/!, 2:/, 24, 24-, 232523:, 20/, 2.-5
2/, 2/., 2-., :-, :!-, :22, ::4, :4., :4-, :34, :0, :-3, 4/54-, 4!4, 42:5424, 4::, 44!,
443, 434, 430, 40!, 3:, 3!4, 3!0
de l'anarchisme, 23!, 3-, 32/
de la philosophie, :, -/, !!:, 23, 2., :3, :33, 4!!, 4.3, 323
fin de l', ./, !2!, :40, :32, 3:
libertaire, :0
philosophie de l', --, !2!, !30, !0:, 230, 2.0, :40
sens de l', !!:, !04, 2.., 2//, 4-:
+s l$%ende, 23520, !!.5!!/, !::, !:0, 24!, 2-, 40/, 34-
Listoricisme, 230
Listorio%raphie, 0.
anarchiste, 2:!, 2::, :0., 3::
dominante, :0, 4!!, 3235320
robespierriste, :005:0.
'omme ré+olté 6L'9, 22, 23, :2, :4, ., .3, .-, /2, -2, -0, !0, !!2, !4-, !30, !.0, !/0,
!-:, 23!, 230, 2.:, 2..52.-, 2-, :2-5::2, ::4, ::/5::-, :34, :3., :02, :005:0., :.2, :./, :/,
:/05://, 4!!, 442, 43!, 40-, 4.2, 4./, 4-, 4-3, 3!, 3!4, 34., 332533:
Lon%rie, 242, 20!, :/., 433
Lonneur, 4-, -0, !3-, !0!5!02, !03, 23-, 2//, :0/, 4!3, 42:, 4:, 4:0, 44, 444, 3!4
; d$port$s d' ?, 2-252-:
l$%ion d', 2-/
pr>t d', !/4
sens de l', 2:, !0!, !/2, 2!/, 34
Lonte, :/
comme sentiment r$volutionnaire, 4-:
'uis clos, 2!, :2.
'umain, trop humain, !3!
'umanisme et terreur, ::
Lumanisme, !4!, 4:.
bour%eois, :/0, 40!
Lumanit$, 4-, 23-, 4::, 4:0, 3!3
'umanité 6L'9, !40, !0/, 24524!, :2/, :/0, 4235420, 40/, 34/
Lumiliation, :, :2, 40, 3:, 33, !:, !32, :-, :!-, 40:
et d$ch$ance, :3:
Lydra, 0!, !:3, !42, !..
'ypotyposes 6Les9, !-:

(d$al, 24, .!, ./, /2, -4, !2/, !44, !4.5!4/, !0!, !00, !0/, !., !-0, 2:/, 203, :!2, :!0,
:4-, :/2, :/4, :-2, 4/2, 3!2
anarchiste, 3:3
asc$tique, 0/, .., !-, !!:, !33, !-!
chr$tien, !04
de %auche, 3:!
de la d$sob$issance civile, 3:3
$thique, 2:/
libertaire, 240524., :/3, 3.
r$volutionnaire, :!/5:2, ::2, 44:
socialiste, 3!0
(d$alisme, !., ::0, 4!2, 3:3
anarchiste, 3:4
allemand, !:, !04, :4/5:4-
dialectique, :3!
doctrinaire, :!.
6dées énérales de la Ré+olution au R6R
e
si3cle, 2/
(dentit$ al%$rienne, :-.
6déoloie allemande 6L'9, :3:
(d$olo%ie, .0, !!-5!2!, !:.5!:/, !03, 234, 20!, 2.:, 2//, ::0, :4., :3/, :0-, :/:, :-!,
:-:, 4-, 4!2, 4!., 42., 4:054:., 44-, 3, 33, 3:0
allemande, :0, :0/, :.!, :.4
catholique, /.
du ressentiment, 0/
franVaise, :0
mar8iste, :335:30
raciste, !.-
r$volutionnariste, :/2
sovi$tique, :/4
transcendantale, !2!
(diosyncrasie, 2-5:, /3, !3, 24, 2--, :4., :3-, 4.3
6diot de la 9amille 6L'9, ::3, 3:/
($na, /:, !!:, !30, ::-
(((
e
7eich, .0, !-!, 22.
(((
e
7$publique, !:-, 2-:
Gles 6Les9, 0!, 0:, 04, 03, !!/, !2:, !:2, !::, !:3, !:0, ::3, 34.
6liade ou le po3me de la 9orce 6L'9, !0:
(ll$%alisme, 2:!, :0/
6lluminations 6Les9, :43
6maes de l'Allemane occupée, :!:
6mitation, :03
(mmanence, :0, !.:, ::, :24, ::0, 4-4, 3:/
radicale, :
(mmoralisme, .:, .0, 2/2
(mpassibilit$, //, !40, !-:, !-3, !-0, 2!, 4/4
(mp$ratif libertaire, 3:4
(mp$rialisme, !0:, 2., :-, :20, :2/, :-/5:--, 42-, 440, 433
6mpromptu des philosophes 6L'9, !/, !0-
(ncendiaires 6L'affaire des9, 4!/, 42!
(nd$pendance, !03, !./, 440, 43!
de l'Al%$rie, 40, 42, 4/, 4!4, 42:, 4:., 40:, 403, 4-/
des douar5communes, 4!4
nationale, 4:0, 4:-, 432, 434
(ndi%@nes, !:!, !4/, 20-, 42544, 4!., 42, 4225423, 443544., 44-, 434
(ndi%nation s$lective, 242, 244
(ndividualisme, 43., 32/
altruiste, ://
anarchiste, :005:0., :.!, 3., 320, 32/
(n'ustice, 2-5:, ::, :-, 3!532, 33530, !!, !2!, !.:, 2:3, 2/3, :!2, 42/, 4::, 4:-, 44:5
444, 40
coloniale, 4!.54!/
des climats, !!
sociale, !!, 20., :/5:-
(nnocence du devenir, ./, /, !-, !-., 24, 2!:, :3/
6nquisition ( Cadi* 6L'9, 203
6nspirations méditerranéennes, 0!, !2, 34.
(nstitution, 24, :-, 0-, /., !:, !/0, !-., 20, 244, 243, :-/, 43., 4-.
(nstitutionnel, !:, !/0, 20
chien de %arde, !3
penseur, -2, -/
philosophe, 2-, --
lieu de la pens$e, -:
(nstitutionnelle
pens$e, -:
philosophie, /., -0
(nsurrection, !.3, 2.!, :0!, :.35:.., 4!:, 42:
al%$rienne, 4235420, 42-, 43543!, 40:
(ntellectuel, 22, :0, 33, /2, !00, !0-, !.5!.!, !.., !/2, 2!:, 2!., 24!, 2..52./, 2-!,
:., :!/, :205:2., ::25:::, :4:, :4., :0:, :.3, :/2, :-!, 4!, 43-540, 402, 4/, 4--, 34
collectif, !.3, 3:/
de %auche, :--, 40, 443, 44/
franVais, :!:, :2/, 4!, 3:0
mar8istes, :!0
milieu, !!/, 40/, 32!
r$sistant, 22., 34-533
rXle de l', !0., !/!, 4.-, 3:.
(ntelli%ence, 3-, /., !4, !!!5!!2, !!-, !2!, !:3, !45!4!, !4:5!44, !./5!.-, 2:-, 244,
202, 2/!, 2-!, :!!, :!:, :!-, :4, :4:, 4, 4:, 4:0, 4.4, 4-354-3, 3/53-, 323, 3:0
dionysienne +s apollinienne, !!:
libertaire, 4!0
(ntempestivit$, !0!, !03, !/2, 2./
(nternationale 6l'9 _+oir aussi 1remi@re (nternationale`, !.3
(nternationalisation, :22
(nternationalisme, !.-, !/2, :-, :33, 4-0
libertaire, :!0, :2!5:22, 3!.
(nterro%ation, 2., 2!!, ::!, 4/!
e8istentielle +s e8istentialiste, 2/
(ntersub'ectivit$, :3!5:32
6ntroduction ( la lecture de 'eel, ::-, :4/
6n+ité de pierre 6L'9, 4.:
6n+itée 6L'9, 2:
6rréliion de l'a+enir, 6L'9, -
(solisme, :42
(srakl, 32, 34
(talie, /!, /-, !2, !!!, 242, 20:, 2.3, :!, :23, :/, 33
mussolinienne, !/, 234, :--54!, 3!:
J'ai choisi la li&erté, :2/
<acobinisme, :0:, 433
Je suis partout, :3
Jeune $rance, !2/
Jeune "éditerranée, 4!
; <eu8 6Les9 ?, !!2
<oie de vivre, -, !3, !-, !!!
<ouissance de soi, !!
<ournal coop$ratif, 2.:
Journal d'un séducteur, 4.0
Journal de l'année de la peste, 204
Journal o99iciel, 2-/
<ournalisme, 2.:, 2.3, 4!., 3:0, 34:
critique, 2.4
transcendantal, 20/
<ournaliste, !3, !0, :0, !!4, 2:2, 20.520/, 2.:, 2./, 4!054!/
Jours de notre mort 6Les9, :23, :2-
<ud$o5christianisme, 0/, 23
<u%e6s95p$nitent6s9, 4./, 4/, 4-!54-2, 4-4
Jues int3res 6Les9, 4/0
<uin 4, 24, 2-:
Jules et Jim, 32.
Justes 6Les9, :4, !/0, 442
<ustice, :/, 4/, !32, !0!, !.0, 2!/, 2.:, 2.3, 2.., 2/, 2/2, 2//, 2-4, 2-., ::5:4, :0,
:/, :!!5:!:, :!3, :!., :24, ::25:::, :32, :0/, :.0, :/:, :-., 4!354!., 4:0, 44:, 44/, 433,
43-5402, 4/., 4-0, 4--, 33, 3!0, 3:453:3
absolue, :!3
comme patience, 2-.52-/
de classe, 20-, 4:!
de #ieu, 2:
terroriste, 4:/, 44, 40, 4--
des colons, 4!-542:
humaine, 2/3
id$al de, !4/
impossible, :!4
in'uste, :-, 4:-, 44:5444
'uste, 44!
politique, :, :.
r$volutionnaire, 444
s$lective, 44544!
sereine, :/, 2-3
sociale, 3/
+s charit$, 2., :, 40
+s ven%eance, :3, :.5:/, 4., 2-0, 2--

Rabylie, !03, 20-, :-!, :-0, 4354/, 4!454!0, 424, 4:!, 434
Rantisme, !:
Rronstadt, 2/2, ::!, 4!2

Laertiana, !-4
Laisse5 passer mon peuple, 3:
Latour5Maubour% 6couvent des dominicains de9, :3
Lautréamont et Sade, :4!
Le0ons sur La Phénoménoloie de l'esprit 6Les9, :4/
L$%ende, !0, 04, //, !!/, !2, !23, !::, !:0, !-5!-!, 22, 2:!, 24524!, 202, 2-, ::/,
:4!, 4:, 4:0, 44/, 43:, 40/, 4.2, 323, 32., 343, 33!
sartrienne, 223, 22.52:, 40!, 34/534-
+s histoire, 23520, !!.5!!/
+s (ma%e, 423
L$%ion d'honneur, 2-/
L$%ion des volontaires franVais, ::
Lettre ( "alrau*, !2
Lettre ( "énécée, !-:
Lettre ( Proudhon @sur l'/tre humain, mIle et 9emelleB, 2:4
Lettre ( un militant alérien, 4:
Lettre au* anarchistes, :.:5:.4
Lettres, :/
Lettres ( un ami Allemand, :2, :!, :!:, :-2, 44-, 33
Lettres ( un $ran0ais sur la crise actuelle, :.
Lettres ( un jeune po3te, !2
Lettres 9ran0aises 6Les9, 2-4, :2.5:2/
Lettres philosophiques, 3!-
Lettres sur la ré+olte, :/, :/0
Leur morale et la n-tre, 2/2
Lib$ralisme, 34, !.2, 2//, 2-!, :0., 34
Lib$ration 6La9, :4, !2/, 2!-, 22/522-, 24!5242, 234, 23-520, 20:, 2.!52.2, 2.-, 2/!,
2/.52/-, 2-!52-4, 2-.52--, :3, :23, 4225420, 444, 4.4, 4--, 3!:, 3:
Lib$ration de 1aris, 2.3, :.., :-2, 40.
Li&ertaire 6Le9, 2:4, :.
Libertaire
action, 2:3, 4!2, 3:/
combat, 2-2, :/3, 4-0
$crit, 2:4, :0-
$thique, 3!3
politique, 2!., 20:, 200, 2.:, :-3, 4!, 3.
fi%ure, 2:/
%auche, !, :!, 3
h$donisme, /, -0
id$al, 240524., :/3, 3.
idiosyncrasie, 2-
imp$ratif, 3:4
leVon, !!, 202, 3::
machine de %uerre, 20:
naissance, !!
pens$e, -0, 2:!52:2, 2:3, 2:/, :/, 4!!, 32!, 3:4
philosophe, 3/53-, -:, 2:!, :0
positivit$, ::!, 443
pra%matisme, 3:4
propos, 2:/
sensibilit$, :, !30, 2:!52:2, 343
temp$rament, :2
tradition, !0, :-, :-., 4-., 3.
vie, 3:, 2!3
visc$ralit$, :4
Li&erté, 2.!
Libert$, !4, 2!522, ::, :-, .2, ./, !!, !2!, !245!23, !:4, !4!, !3!5!3:, !02, !045!03,
!/-, 23, 2!/, 22., 22-, 2::52:3, 2:/, 2.-, 2/2, 2/0, 2//52/-, 2-252-3, :0, :-, :!!5:!2, :!3,
:!., :22, :24, ::2, :4:, :3!5:32, :02, :.05:.., :/.5://, :-/, 4!:, 4!3, 42-, 43!, 433, 402,
4.-, 4-0, 34530, 3/, 3!2, 3!4, 3!0
de la presse, 2.:, :.3, :/., 43-
de penser, :4., 4.4
id$e de, !22
litt$raire, :4!
politique, 2.3, :/:
socialiste, :.-
totale, 2:-, :4:
Li&ertés, :!
Libre5arbitre, 23., :42, :3-, 4-.
Li%ue arabe, 42:, 433
Li%ue des droits de l'homme, 4:
Litt$rature, 24523, 44, 3053/, 0!50:, /., -, -05-., !2, !4, !05!/, !!/, !2-, !:3, !:.,
!/4, !/05!/., !-/, 2!/, 22, 2-/, ::, :3, :235:20, ::05::/, :45:4!, :4:, :435:40, :-!, 4.,
32.
Li+re du philosophe 6Le9, .2, -!
Loique, 4/!
Lo%ique, !2!, !33, !/:, !/., 2:-
cali%ulesque, 2:0
capitaliste, -4, !33
contractuelle, 2/!
du crime lo%ique, 2:052:.
du p$ch$ ori%inel, :44
libertaire, 4!, 4!:
mar8iste, 2/:
militante, -4
ordre, -2
Londres, 22, 22:, 220, 23/, :3/, 4/., 3!:
Lourmarin, .4, !2/, !44, 402, 404, 4.54.!, 3!-, 343
Lub$ron, !4:, !44, 4., 32
Lutte des classes sous la Premi3re Répu&lique? )oureois et Y &ras8nus Z @A[MP8A[M[B
_La`, :0
Lutte sociale 6La9, !.4
Lyc$e Carnot, ::
Lyon, 22!522:, 2:2, 23/, :2, 4.4
Machine
de %uerre, !/, !-, 20:, 4!, 3:/
d$sirante, 3:/53:-
Ma%hreb, 43, 43.
Mai 0/, 0-, 32, 32., 3:0
Maison de la Catalo%ne, ://
Maison de la culture d'Al%er, !405!4., !./5!/!, :-, :-2, :--, 4!, 4!0, 42., 43., 340
Maison des $tudiants de )tocKolm, 43/
Malconfort 6principe du9, 4/-54-!, 340
Malentendu, !4, !3, :.-5:/2
"ani9este au* hommes li&res, :2-
Manifeste clandestin du Front national des $crivains, :!
; Manifeste des intellectuels d'Al%$rie en faveur du pro'et Eiollette ?, 4!, 4:
Manifeste des intellectuels franVais pour la d$fense de l'Occident, 4!
"ani9este du Parti Communiste, :3:5:34
Manifeste libertaire, 3!453!0
"ani9este8Proramme du mou+ement socialiste li&ertaire @ou de ci+ilisation li&ertaireB,
3!!
"ani9estes du surréalisme, :43
"anuel d'Fpict@te, //5-, !-:
"anuscrits de ATNN, :3:
Mar$chalisme, 22:, 24:
Maroc, 40, 4., 244, :23, 3!4
Marseille, 44
port de, ://
Mar8isme, !2!5!22, !:5!:!, !:-, !44, !0., 242, :22, ::2, :4., :32, :335:3., :-4, 4!2,
40/, 30, 3!0, 32., 3:/
5l$ninisme, 24, 24:, 2/4, 2//, :3., :3-
Mar8istes, 242, 24-, 23!, 2/:, :!0, :!-, ::, ::4, :30, :025:0:, :.0, :./, :/!, :/:, 3!3
+s Mar8, 23, :325:3:
Massacres, 232, 424, 420, 4:4, 44!, 44:5444, 40:5404, 4-2, 4-/, 3, 323, 3:.
al%$riens, 44
de Iuelma, 42/
de M$louOa, 4:-
de 1hilippeville, 4:, 4:3
de )$tif, 42.542/, 4:!
Mat$rialisme, !2!, 4!
ath$e, 2/4
dialectique, !22, !0.
mar8iste, !4!
"atin 6Le9, 2:!
Maurrassisme, :-, :--
de %auche, :-.
"a*imes, 20/
M$daille de l'ordre de la Lib$ration, 2-/
M$diterran$e, !, !/, !!, !4!5!44, !3/, !04, !.-5!/2, 23, :!!, :-2, :-/
M$diterran$en, !!:, 2!/, 4!, 4!4, 4.0
cosmopolitisme, !03
dionysisme, !!:
%$nie, !-/, 23, ://5:/-, 42.
%ramscisme, !40, !3!, !0., !.:, !.-
royaume, 2., 2!:52!4, :3., 402, 3!-
socialisme, !335!30
M$diterran$enne
culture, !.-, :-, :--, 4!4
lumi@re, 0-, --, !34, 2!.
pens$e, !0/
politique, !!!, !!3
vie, !04
"ein Vamp9, 23:
"émoires 6de *eauvoir9, !2-, 34/534-
"émoires d'un 9asciste 6Les9, 22/
"émoires de uerre? Le salut, 423
Mers el5R$bir, :!
"étaphysique chrétienne et néoplatonisme, !:-
M$taphysique, 2-, .-5/, !!4, :42
chr$tienne, 23
de l'absurde, !/:
de l'art, .!
du fait divers, 20.
occidentale, 0-, .3
professionnelle, !3-, 24-
+s morale, 24/
+s ontolo%ie, 24/
M$tissa%e, !3/, !0!, !/!, !/2, !-!, 22.
Micropouvoirs, 3:.
Microlo%ie politique, 4!354!0, 3!/, 3:
Micropolitique, 3:-
Microsoci$t$, :.2, 3!/, 3:4
Milieu8 libres, 4!2, 3., 320
Militantisme, !!., !40, !.:, ::, :2-, :/2, 3:0
"ille plateau*, 3:.
Minist@re des Arm$es, 2!/
Minorit$s, d$fense des, 20-, 32534
Minorque, 4-, !0, 34
"inotaure ou la halte d':ran 6Le9, !!2
"iracle de la rose, 2
"is3re dans la Va&ylie, 43, 4!, 4!4, 420, 4:., 404
"is3re de la philosophie, :::
Mis@re, 2-5:, 4-, 34533, 3/53-, 04, !!, !42, !44, !3:, !3/, !03, 2!., 20!, 20-52.,
2/, 2/3, 2/-, :3:, :/25:/, :-:, :-0, 4!, 43540, 4/54!, 4!454!0, 4!/, 420, 4:!, 4::, 44/,
43:, 403, 4.-, 4-0, 3/, 3!4, 3:
capitaliste, :-2
Modestie, 2:, 23!, :!/, 4/!, 4/:
"on c>ur mis ( nu, :4:
"on Com&at, 2.!, 2/4
"onde 6Le9, :-0, 43-540!, 4--
"onde comme +olonté et comme représentation 6Le9, ., !-2
"onde li&ertaire 6Le9, !02, 44-543
Monta%ne 6la9, :0:
Morale, 2:, :/, 4/, 3/, 0-, .2, .., /0, -2, !:-, !3-, !00, !-, 2, 2-, 2!2, 2:3, 2/,
2/2, 2-, 2-/, :45:3
asc$tique, 234
bour%eoise +s r$volutionnaire, 2/2, 3!0
bour%eoise, :/0
+s m$taphysique, 24/
"orceau* choisis de Le%el, :4/
"ort dans l'Ime 6La9, -/5--
"ort heureuse 6La9, /-, !43, !//
Mort, :!, :0, 4:544, ., .0, /!, /0, -5-!, -3, !3, !!, !2/, !:35!:0, !4, !3-5!0, !04,
!0., !.4, !.0, !.-, !/25!/4, !-, !-:, 2, 2:524, 20, 2/, 2!, 2!2, 2!., 2:.52:-, 243524.,
2335230, 23/, :4, :!2, :3, ://, 44:, 4/3, 4-!, 3!-
de #ieu, .3, ..5./, 23, 2-, :04, 4/-, 4-!, 4-4, 34
infli%$e, :45:3, 2:0
pulsion de, !3!, !.-, 24:, 24., 23!, 23-, 2.-, :!4, :22, 4!, 4!0, 3-
Moscou, !30, !/!, 24, 2., 2-, :2., :0:, 4:, 34
"ots 6Les9, 30, 3/, ::35::0, 4.254.:, 4/!
"ouches 6Les9, 22/
"ou+ement de li&ération 9ran0aise, 2.!
Mouvement national al%$rien 6M+A9, 4:-, 4-/, 3
Mouvement pour le triomphe des libert$s d$mocratiques 6MCL#9, 42-
Moyen5Orient, 34
Munich 6accords de9, 2-:
Municipalisme, 4!2
"ur 6Le9, !/-
Mur de *erlin, 32
Musique, 04, .5.2, /, -2, !4, !2/, !.., 23-, 204, ::.
Mutualit$, 32/
"ythe de Sisyphe 6Le9, :4, /4, -, !0, !.0, !/:, !/35!/., 2052-, 2!!52!2, 222522:,
:!, 4.:, 3!-

+a%asaKi, 2-, 323
2aissance de la traédie 6La9, ., -!, !.:
+aples, /!, !3., 4
+atation, :2, 04, !3-, 2-, 2!:
+ation al%$rienne, 4!4, 434
+ational5socialisme, .0, .., .-, /, !:!, !00, !.-, !/, !-!, 24, 24:, 23/, 20, 2.0,
:3., :3-
+ationalisation, 2//, :/, :2!, :02, :-4, 34, 3:
+ationalisme, !.-, 20., :/5:!, :33, :.., :/3, :-2, :-3, :-., 44-, 432, 4-0
al%$rien, :-, 4!, 42/, 4:4, 43
int$%ral, :-/, 43
m$tropolitain, 422
2ausée 6La9, !/., !//, 24/, :.
+aOisme, !-, 22:, 2/4, 2/3, :3, :!2, :!3
2e jue5 pas, 2--
+$%ativit$, !., :-, 32, ..5./, -4, !2!5!22, !3., !., 240, 232, 23-, 2//, :!-, :44, :40,
:4-, :3!, :30, :0, :0-, :.!, :/:5:/4, 4!0, 4-.
sovi$tique, 2.0
+$%ociation, 24!, 4::, 4-3
2i +ictimes, ni &ourreau*, :/!
2iet5sche contre =aner, .
2iet5sche et la musique, .
2iet5sche, sa +ie et sa pensée, .3
+ietOsch$en, 0.50-, .2, .3, /, -/, !, !-, !:-, !.., !/, !-!, !--, 2!., 2335230, 2./,
:3/
de %auche, 23, 23!, :3-, :-!
+ietOsch$isme, 2-, .2, .4, .0, -45-3, !!25!!:, !44, !.2, 24., 233, :!2, :3., 40., 30,
3!
de %auche, /, !!3, !3:, !.:, 34
+ihilisme, !4, !., 0/50-, ..5.-, /4, -4, !!:, !3., !.0, !.-5!/, 2!, 2:-, :!2, :42, :405
:4., :32, :0, :0., :-2, 44!, 4/-, 4-!, 3!
de Lautr$amont, :4:5:44
de salon, ::0, ::/, :4
europ$en, !., 0/, !!3, 2-, 34
historique, ::2
radical, !-4, :43
russe, :0/
2oces, 24, ::, 32, 0., -0, !2, !0, !., !!5!!:, !4, !4-, !04, !.., !/, !/0, !//, !-/,
2, 2/, 2!2, 24., 233, :43, 4!0, 4.4, 4.0, 33
2oces ( %ipasa, -3, !2, 24/, 43:
+on5a%ir, 24, !23, !:!, !:2, 23, 340
+on5violence, 43!, 4-0
+ormandie, !:!, 2.2, 2/4
2otre ami Ro&l3s, 434
2ou+eau monde industriel et sociétaire, 4!!
+ouveau Cestament, ..
2ou+eau* Cahiers, :.0
+ouveau8 1hilosophes 6Les9, 32, 34, 343
2ou+el :&ser+ateur 6Le9, 20/
+ouvelle Acad$mie 6La9, !-3
2ou+elle Critique 6La9, 2-
2ou+elle Re+ue $ran0aise 6+7F9 6La9, !20, !2., 22:, 2-/, :!, :.0

Ob'ection de conscience, :-, 4!., 43-, 4-0, 3.
Occident, !24, !04, !/!, !-4, 23, :-/, 4!, 42., 4-2
Occupation, 22, /, !20, !:!, 222, 22:, 220522., 2:, 245242, 232, 233, 203, 2/, :!,
:0, :/, :!25:!4, :23, ::, :3., :-2, :-3, 422, 404, 40.540/, 4.:, 4-3, 34., 33!
Œu+re du "arquis de Sade 6L'9, :4!
Ontolo%ie, !/, 3!, 0/, .2, .4, .05./, /, /:, /3, !24, !/-5!-, !-4, 240523, 234, 20:,
2./, 2/:, 2--, :3/, 4.:, 4/3, 4/3, 4-., 3:/, 33
:pium des intellectuels 6L'9, 242
Optimisme, !4!, 23, :!-, 3:
rationaliste, :4.
sociolo%ique, !-!
volontariste, .2
Oran, !!2, !3/, 22!522:, 24:, 24., 23., 4.4, 3!4, 34:, 33
Ordre, 30, 3/
anarchiste, 30
bour%eois, 3/
disciplinaire, :22
libertaire, :22, 40., 4-0, 30, 3-53!, 3!., 3!-
mondial, :22
moral, 44.
social, :..5:./, 3.
Or%anique
constitution, :2
e8p$rience, 3!
intol$rance A l'in'ustice, 2-, 4, 33
sentiment, :4
tropisme, 4/
Or%anisation de l'arm$e secr@te 6OA)9, :-4, 4:, 4!, 42., 40:
Orient, !/!, !-4, !-/, 23, :-/
:rthodo*ie contre l'intellience 6L'9, !2-
:thello, .4
Oural, 2.052..
:urs de )erne et l'ours de Saint8Péters&our 6Les9, :.

1acifisme, 40, 2., 2-, ::, :-, :!3, :!/, :2, :22, :2., ::2, :.2, :-/, 4:, 4!., 42:,
42/, 4:4, 4:0, 44, 442, 440, 43!, 4-0, 3., 3!, 32/
1acte %ermano5sovi$tique, 24, 2.0, 2-/, :2/, 40/, 34/
1a%anisme, !-, !!:
1amphlet, !3, 2445240, 23, :., :00, 32!, 332
1anarabisme, 433
Par8del( &ien et mal, :, .:, .0, !!!, !-, !-!, !-/
Pardon 6Le9, :!
1ardon, !:3, 2./, :!5:2, :/, 4//54/-
charitable, :!:
chr$tien, :, ::
improbable, :2, :3, :!45:!3
Pardonner K, :!
Parera et paralipomena, 2:
Paris sous l'occupation, 220, 22/, 2:
Paris8Soir, !/4, 2!-522!, 2:!, 2:2, 2.:
1arlement universel, 44-
1arti communiste, !!-5!2, !2:, !:.5!:/, !4!, !405!4/, !0/, !.4, !./, !/!, 2-/, :20,
:.., 4:, 424
1arti communiste al%$rien 61CA9, !4., !./, :-2, :--, 42, 423, 4:.
1arti communiste franVais 61CF9, !!., !4., 24524!, 202, 2/-52-, 2-/, :2., ::, :/4,
:-4, 4254:, 423, 40/, 3:!, 3:., 34, 34/
1arti communiste italien, !0., !./
1arti du peuple al%$rien 611A9, !405!4., 4:544
1arti naOi, !-
1arti ouvrier internationaliste 61O(9, :23
1auvret$, :, 3532, 34530, 3-, -., !42, !3:, 2/, 2/3, ::!, :/:, 40, 42, 4:!, 403, 4-0
et lumi@re, !, !2
et soleil, !5!!, 2!.
m$taphysique, !!
sociolo%ique, !!
1$ch$ ori%inel, /:, !/3, 24-, 234, 230, 23., 2/3, :44, :34, 4-, 4/4, 4/3, 3:
1eine de mort, :3, :0, :/54, 4., 30, 20!, 2.3, 2-4, 2-3, :3, :!-, :4!, :43, :4-, :34,
:02, :0:, :03, :.3, :-!, :--, 440, 43-, 4-353, 3-, 32, 32-
; 1endant trois heures ils ont fusill$ des FranVais ?, 2-3
Pensée enaée 6La9, :.0
Pensée politique d'Al&ert Camus 6La9, 3!4, 344
1ens$e
allemande, :0-
anarchiste, :.!5:.2, 3235320, 32/, 3::
bour%eoise, 30
de %auche, ::
de midi, !!!, :2:, ::!, ::4, :0, :/.
de minuit, ::4, :0
e8istentielle, /4
franVaise, 23
institutionnelle, -:
libertaire, -4, 2:!52:2, 2:3, 2:/
m$diterran$enne, !0/
occidentale, :40
politique, !2:, 2.3, 2.-, :34
postchr$tienne, 34
postcoloniale, 443
post5totalitaire, 2/2
reli%ieuse, :34
r$volutionnaire, 33
solaire, :0
tra%ique, 03
+s id$es, !/.
Pensées 61ascal9, !0, 2.
Pensées pour moi8m/me, 4/.
e8istentiel, !0
pied5noir, :-.
solaire, :!4
Persécutés8Persécuteurs, 3:
1essimisme, .2, /4, !-!, 23, :!2, :!-, 4:4, 3:3
Peste 6La9, :2, :4, !!2, !/0, 22!, 2::, 2:-5233, 23/520, 20:5204, 2.-, 2-2, :3!, 4.,
4.!, 34!
1este, 2!., 2:/52:-, 24:, 2435203, 2.3, 2.-
1$tainisme, !00, 22:, 2:, :/
1halanst@re, 4!!, 32-, 3:4
Phénoménoloie de l'esprit, 3:, 0., ::-, :4-, :32
Phénoménoloie de la perception, !4
1h$nom$nolo%ie, :/, !.
blanche des choses, 44
immanente, 4:
litt$raire, -0
non philosophique, 4:, -, -., 24/, :03, 4-4
1hilippeville, massacres de, 4:, 4:3
1hilosophante
ar%umentation, !-
corporation, :, !!!, 2/
manie, -/, 4/-
1hilosophe, 4:3
5artiste +s philosophe universitaire, 0-, -!5-3, --, 240, :-!
antifasciste, 200
de 1aris, !/, 252!
e8istentiel, !:, /3, -:, !0, !!/, !4
e8istantialiste, !0
libertaire, -:, 2:!, :0
nietOsch$en, 0., 0-, -/
professionnel, /3, 2052.
Philosophie dans le &oudoir 6La9, :4:
Philosophie de Jules Lequier 6La9, !2:
Philosophie de la mis3re, :::
Philosophie politique de l'anarchisme post8structuraliste 6La9, 32.532/
1hilosophie
allemande, !!:, :0, 4/-
ancienne, 24
antique, !!, //, -/, !2., !:-
apollinienne +s dionysienne, !3
apollinienne, !4
conceptuelle, 23
de la culpabilit$, 4/:
des professeurs, /., 20
dominante, !:, !!!, !/., 2.
e8istentielle, 30, 02, /3, !:-5!4
e8istentielle +s e8istentialiste, /., -2
litt$raire, !/0
philosophante, !/0
professeurs de, 2:, -:
sur la r$volte +s philosophie de la r$volte, ..
1hilosophique
chance, 3., /:
vie, !!, 22524, ::, 3., 0-, .!, .4, //, -25-:, !-, !:-, !-0, 402, 32!, 3:3, 34!
1hilosovi$tisme, 2.0
1hysique de la m$taphysique, 2-
Pierrot le $ou, 32.
1laisir
d'e8ister, !., 2, 2!/, :!2
1latonopolis, !4, !4:
Pleins Pou+oirs, 22.
1lotinisme, !42, !4:
Politique du post8anarchisme 6La9, 32/
1olitique,
$thique, 2:3, 2//
m$taphore, !0/5!., !.:
nominaliste, 34!
Polyphonie dans l'>u+re de Camus 6La9, 42
1ortrait du colonis$, :-:5:-4
1ositivit$
anarcho5syndicaliste, 443
libertaire, ::!, 443
politique, 4!
1ost5anarchisme, 32., 3:, 3::, 3:4, 3:-534!
Pour la +érité sur les camps concentrationnaires, :2/
Pour Sartre, 34/, 33!
Pour un municipalisme li&ertaire, 4!!
Pourquoi je 9ais du théItre K, !.2
1ouvoir
absolu, 2:3
analyse ontolo%ique et anthropolo%ique du, 2:/
et libert$, 2:3
immanent, !0
m$canique du, 2:/
transcendant, !0, :-.
1ra%matisme, 23, :, :!., :.4, :/:, 3., 32/
libertaire, 3:4
1ra%ue, .:, /-, -/5--, !.-, !/2, :20
Premier 'omme 6Le9, :4, :3, 3:, 34, 30, .4, --, !0, !!2, !::, !:0, !3:, 43:, 4.:, 4-3,
3!-, 344
1remi@re Iuerre mondiale, :4, 4!, 02, -., 42, 442, 3!, 323
1remi@re (nternationale, !33, ::!5::4, :./, :/
1remi@re lettre ( un ami allemand, 2.2
Prince 6Le9, 2/:, 4!0
1rincipe d'Fn$e, 454!
Principes de la philosophie du droit, :3, :32
1ri8 Ioncourt, !.4
1ri8 +obel, 42, 44, 04, .3, /!, -!, -2, !:0, !0, 2:2, 2-/, :., :/!, :/0, :-!, :-3, 4:/,
43/, 402, 40-, 4.2, 4.-, 4-!, 4-3, 33, 3!:, 34.
1ri8 7enaudot, :23
Proc3s 6Le9, 222
1ro%ramme 6politique9, 232, :!0, :.4, 4-3
des sans5culottes, :02
1ro'et *lum5Eiollette 6ou 1ro'et Eiollette9, 2., 4!, 42, 4:!
Projet d'un mandat spécial et impérati9, :0!
Promenade italienne, !20
Prométhée enchaHné, !..
1ropa%ande par le fait, 2:!, :0/, :.2
Propos 6Alain9, 20.
1rotestantisme, !/
Proudhon philosophe, :.:
1roudhonisme, !33, :0., 4!:
1rovence, !24, !20, !4:, !44, :2:, 4.., 3!!, 3!4
1rovidence, !/3, 240, 234, 230, 20/, :4/5:4-, :3!
1sychanalyse, :5:!, !!., 4.., 4/!
,8istentielle, 3:/
1uissance
contenue par une $thique, 2:3, 2:/
1upille de la nation, 44, 02, /4, !, !/4, :-:
1yrrhonisme, !2, !23, !:!, !40, !-:, !-3, !-.5!--, 22, 340

Fu'est8ce qu'un colla&orateur K, 220
Fu'est8ce que la propriété K, :!., :::, 3/, 3:2
Fu'est8ce que le syndicalisme ré+olutionnaire K, 43!
Fuestion 6La9, 44
Fuestionnaire de Carl A? Viaiani, :3
Puichottisme, !0!, !/2

7adicalit$, 3., 3!0
immanente, :0, 0., 23
7adio5Al%er, !/4
7adio5Eichy, 2:, 2-/, :0, 34/, 34-
Raison dans l''istoire 6La9, :4-
7aison, !04, :4-, :3!, :03
all$%orique, 242, 244
capitaliste, :::
(d$es de la, ..
homme de, 230
mystique, !0:, !.-
r$aliste, :!3
reli%ion de la, :40
7assemblement d$mocratique r$volutionnaire 67#79, 2.:, :205:2.
7$alisme, -:, :/, :/4
$conomique, 2/:
politique, 2.0, :34
socialiste, -:5-4
7ealpolitiK, 2.., :/:
7econstruction, 242, 2.-, 2-:
Reconstruir, :/!
7ectorat de 1aris, ::
7$cup$ration, .0, :3., 340
7$demption, !:!5!:2, 234
chr$tienne, 3:
dionysiaque, --
pa]enne, 3053.
7$el, !2, 04, .2, !3-, !., :!-, :24, :4/5:4-, :3!
immanent, 2./
penser le, !., :-:, 4!254!:
possible, 3-
Ré9le*ions sur la uillotine, :4, 2-0, 4/., 4-3
7$formisme, $lo%e du, :/2
7$%icide, :04
7$%ime
colonial, :-., 4., 4!, 4::, 440, 4-0
concentrationnaire, :2-
d'apartheid, 4.
d'esclava%e, 4.54/
de ; libre association ?, 430
liberticide, 240524.
libertaire, 3::
politique, 240, 2.!
R3les de l'art 6Les9, 3:/
7eli%ion, !/, !-/, 44., 3::
catholique, !:-, 4-4
de l'histoire, !!:, :34, :-3
du concept, /.
du vote, :/4
mar8iste, :34, 443, 40-
rationnelle, 2.
sensuelle, !/
Remarque sur l'idée de pror3s, !2-
7$moras, 40., 40-
7enoncement, .0, /0, !2!, !4/, !3:, !02, :3, :34, :0!
Réponse ( Al&ert Camus, ::, 332
Répu&lique 6La9, !4
Répu&lique $ran0aise 6La9, 220
7$publique, 22522!, 2.!, :!!, :4!, :4:, :.3, 42, 4!4, 33
immanente, 34!
7$sistance, !:2, !02, 22!, 24, 233, 23., 23/, 20, 202, 200, 2.2, 2.-52/, 2/:, :25:22
de papier, :!:
franVaise, 23/, :./
non violente, 43!
transcendantale, 22-52:, 23-, 2.-
7esponsabilit$, 2..52./
$thique de, :-!, :-., 4!2, 34!
involontaire, .0
7essentiment, ::, :/, 0/, -!, !!, !:!, !:4, !:0, !:., !4/, !3!, !3:5!33, !0!, !-!, 234,
2-4, 2-/, ::, :0, :/, :!:, :-3, 4!., 42/, 402, 4/0, 4-:, 3/
Retour ( %ipasa, 4-3
Retour du %chad, 43
R/+euse &oureoisie, 223
Ré+olté 6Le9, :0/
Ré+olte dans les Asturies, :4, !.3, !.0, 2:2
Ré+olte et police, 2-
7$volte, de papier de 7imbaud, :4:, :44
Ré+olution prolétarienne 6La9, :/35:/0, 3!:
7$volution
A venir, 2/
anarchiste, 3!53!!
bolch$vique, !0., 2.0, :2/, :34, :0/
concr@te, :/2
culturelle chinoise, 3:.
de %auche non mar8iste, :2!5:22
espa%nole, 3., 3!53!2
franVaise, :4, 2.!, :2!, :20, :42, :3, :30, :0, :0:, :03, :.4, :.., :-3, :-/, 40, 4!2,
44., 43., 323
immanente, ::2
intellectuelle et spirituelle, 2/:
libertaire, 2/!, :!., :./, :/, 4!2, 3!53!2, 34!
nationale, !2/, 24:, 23!, 2/, :!/, 443, 40!
non mar8iste, :/, :!0, :./
non violente, :00
prol$tarienne, 2/2, 3:
russe, 3!!
spirituelle, 2/!, 2-:
transcendantale, 4!2
Re+ue des deu* "ondes 6La9, !2/
Re+ue li&re 6La9, 2.2, :!
Re+ue prolétarienne 6La9, 442
Re+ue socialiste, :.:
Ri+arol, :0
7oman, 42, 44, -4, !/., !-.5!-/, 20, 2-, 24:5244, :235:20
de l'absurde, !-
et discours philosophique, 24/
philosophique, !/0
th$orie du, !/0, !//
7omantisme, !0, .!, /3, -/, :44
7ome, /!, --, !4, !0:, !/, :-/, 4, 4!, 403
7osette de la 7$sistance, 2-/

)arcasmatique, 4/!
Sade mon prochain, :4!
Saesse de Lourmarin, !425!4:, 4.!, 34.
)a%esse
antique, !-25!-4, 24
de l'(nde, 23
de )isyphe, 2!!
fi%ures de, !-2
modeste, !0:, :!3
pratique, .., !-2, 4!3
)aint ,mpire romain %ermanique, !/
Saint84enet comédien et martyr, 2
)aint5Iermain5des51r$s, !4, --, !34, 2!., ::/, :-3, 4:0, 404, 40., 34/
Sainte $amille 6La9, :::
)alariat, 2/-
abolition du, :.4, :/!5:/:
)alaud, 23., 20, 2-:, 2--
)alut individuel et personnel, 2:
)alObour%, --, !4:
)ans5culottes, :025:0:, :03, ://, 3!.
)artrisme, !-
)atanisme, de *audelaire, :4:, :44
)avoir5vivre, !-
Scandale de la +érité, :.0
)cepticisme, !2, !-45!-3, !-.
Sceptiques recs 6Les9, !-4
Science de la loique, -2, !04, 2., :4-, :0-, :.!
Science et la Fuestion +itale de la ré+olution 6La9, :.
)cience de vivre, !-
)$cessionnisme, :-
)econde Iuerre mondiale, !00, 2::, 232, ::, 422, 4:3, 433
)ecours national p$tainiste, 3!
)ections sp$ciales, 2-4
)$ducteur, !4, 2!, 4.2, 4.354.0, 4/!, 4/254/:, 34, 3:2
)ensibilit$ contemporaine, :4:, 34
Sept Couleurs 6Les9, :0
)eptembre noir, 3:.
)ervitude volontaire, 2:4, 203, 323
)$tif, massacres de, 423542/, 4:!, 4:3, 4:., 4-2
)F(O, 2-!, :23, 42, 3:2
)hoah, 34, 323
Si c'est un homme, :24
)idi *el Abb@s, !/4
Si3cle de Sartre 6Le9, 32, 33
Sines, :2-
Situations, 220, 4:., 4-2, 33!, 332
)ocial5d$mocratie, !30, 2:!, :!0, :20, :00, :.-5:/4, :/0, 33, 3:2
)ocialisme
anti5autoritaire, 443
antimar8iste, !30
apollinien, !33
autoritaire, :4., :00, :.4, :./, ://
c$sarien +s libertaire, !33, 4-/
c$sarien, 2/2, :/., 32, 33
concentrationnaire, 2-!
d'affirmation, !33
de Iuesde, :.2
de ressentiment, !3!, !3:5!33
des camps, 2.-, ::
dionysien, !!-, !3:, !33, !0!, !03
europ$en, !335!30
industriel, :30
libertaire, !335!30, 2.-, 2/2, :/, :22, ::!, :00, :0-, :.25:.:, :./, :/:, ://, 440, 4-/,
32, 33, 3!0, 320, 3:!
libertaire internationaliste, :/
mar8iste, ./5.-, !30
m$diterran$en, !335!30, :!/
populaire, :00
scientifique, !33, :30
social5d$mocrate, !30
utopique, !33
)oci$t$ des citoyennes r$publicaines r$volutionnaires, :02
)oci$t$ indi%@ne de pr$voyance 6)(19, 4!-542
)oci$t$
concr@te, ://
libre, 2//, :!0
totalitaire, 2/-
Soir répu&licain 6Le9, !/4, 2::, 20-, :-, :-:, 44
)olidaridad obrera, :/-
)olitude intellectuelle, 242
Solstice de juin
Solution du pro&l3me social 6La9, 3/
)orbonne, !02, 20., 20/, :23, 3:0
)ouffrance, !., 34, ./, .-, /25/4, //5/-, !40, !0, !/3, 2/52-, 2!-, 233, 23., :44, 4:!,
4:3, 44/, 40., 4.2, 4.354.0, 4./, 4/54/!, 4/3, 4-!, 4-4
Sous l':ccupation, !205!2/, !:2, 340
)ouverainet$ populaire, !32, :0!, :02, :04
)piritualisme, chr$tien, 2/4
)piritualit$, !.-, :/, :!!
communiste, !/2
)tala%, 224, 2:, 402, 4/.
)talinisme, 2.3, :20
Statue de sel 6La9, :-:
)tocKholm, 4-, 34, .3, -2, !!/, !:0, 2!/, 4:/, 44:, 43/, 404, 3!:, 344
)to]cisme, /., //, !-:, :4:, 4//
)tructuralisme, 3:/
)uicide, sup$rieur, 2:-
Sud, ., !2:
)urhomme, 0/, .0, /!, //, /-, !/-5!-4, !--, 22, 233, 23-, :!2, :!:, :40, :3.
)urhumain, !-, !-25!-4
)urr$alisme, .3, ::-, :43, :4., :00, 32.
Sur+eiller et punir, 3:.
)yndicalisme, !0!, :2:, ::5::2, :4., :30, :.25:.:, :/, :/2, :/35:/., :-3, 43!, 32/,
3:/, 3:-
)yrie, 22, 423
Syst3me concentrationnaire 6Le9, :2-
Syst3me ou La Création corriée 6Le9, :2:, :2-, 340

Calion, :/, 4., 2-3, 2-0
Cao]sme, !24, !23, !-:
Cautolo%ie h$%$lienne, :4-, :32
Cechnique de soi, /.5/-
%émoins, ://5:/-, 33
%emps 6Le9, 4!
%emps des meurtriers 6Le9, -3
%emps du mépris 6Le9, !.4, 2-0
%emps "odernes 6Les9, :., :2., :2-, ::, ::-, :-4, 4:., 33
%entation de l':ccident 6La9, !.4
%errasses de Lourmarin 6Les9, !2:
Cerreur, 24:, 20/, :0, :03, :00, :-3, 4:2, 4:/, 44, 442, 44:, 440, 40, 4-:, 4-3, 3
Cerrorisme, 442
ind$pendantiste, 4:4
l$%al, 4:2
%estament de l'abb$ Meslier, 4!, 4!!
%étraloie, 0/
Ch$Ttre de l'$quipe, !.:, !./
Ch$Ttre du travail, !40, !4., !.:5!.0, !./, 2:2, :-2, 4.:
Ch$Ttre, 4/2, 3:0
$lo%e du, !0/
populaire, !.2, !./
%héodore cherche des allumettes, ::3
%héorie de l'imp-t, :.:, 4!3
%héorie de la propriété, 4!3, 3!/, 320, 32/, 3:, 3:2
Cipasa, !., /-, --, !, !!, !3, !-5!!, !!25!!3, !!.5!!/, !:.5!:-, !4!5!42, !44,
!33, !03, !0/, !.-, !/2, !/3, 2!4, 2!.52!/, 222, 24., 2./, :!2, :3., ://, :-!5:-:, 4!4, 432,
40., 4., 4.4, 4.0, 3!, 3:/
Corture, :05:/, 4/, //, !2., !.4, !.0, 232, 230, 203, 2/2, 2-., 2--5:, :2, :!2, :!4,
:!-, :23, :20, :42, 4!., 4!-, 42!, 44544!, 432, 40:, 4./, 4-/, 3!, 34.
Cotalitarisme, :4, /2, !2, !04, !0., 2!:, 24!524:, 203, 2., 2.3, 2/, 2/2, 2/-, :24,
:20, ::, ::2, :4:, :4-, :3., :3-, :/:, ://, :-2, :-3, 4!0, 442, 443, 40/, 4-0, 3, 33!
Coussaint rou%e 6la9, 42-54:, 4:3, 4:., 4:-, 432
%out compte 9ait, 404, 34/
Cradition
libertaire, !0, :-, :-., 4-., 3.
m$diterran$enne, 4!4
Cra%$die
contemporaine, :4:
dionysienne, !..
Cra%ique 6le9, .2, !3, !.0, 23, :!-
%raité des +ertus, :!
%ranscendance de l'eo 6La9, 4
Cranscendantal
univers, !.!
Cravaillisme, :/25:/:, :/3
Cribunal r$volutionnaire, 2-/, :2/, :0:, :.4
Croisi@me Iuerre mondiale, :20, :/:
%u peu* tuer cet homme, 442
Cuberculose, !4, :!, 4!, 3/, /:, /4, /-5-!, !3, !/:, !/3, 2/, 2!:, 2!-, 22!, 222, 2:2,
24!, :40, 4!/, 422, 4./
Cyran, :4, -:, !02, 2:3, 2:/52:-, 243
Cyrannicide, 2:3, 2:/

Gn5*ien, .!, !4!, !-:
;ne lettre charée, ::35::0
;ne saison en 1n9er, :43
;ne si douce :ccupation, 34/
G+,)CO, 3!:
Gnion d$mocratique du Manifeste al%$rien 6G#MA9, 42-
Gnion franco5musulmane, !4., !./
Gnion sovi$tique 6ou G7))9, :-, 20:, 2., 2.0, 2//52-, :!, :!3, :22, :2.5:2-, ::!5
::2, :3:, :34, :30, :00, :/., 433, 4--, 3!, 3!!, 323
;nique et sa propriété 6L'9, 2:2, :0., :0-, 320
;ni+ers concentrationnaire 6L'9, :23
Gniversit$
d'Al%er, 43-
libre de *ru8elles, 3-
populaire, !..5!./, :-2, 3., 320, 3:0, 3:-
;panisads 6Les9, !/0
Gtopie
immodeste, :!-
modeste, 20., :!/5:2, :22

Valeurs actuelles, :0
Eatican, 23:, 23.523/, 2/4, 2/3
Een%eance, :3, 4., !02, !-!, 2-:52-., :4, :!3, 4:0, 4/0, 4-:, 4-0
d$sir de, ::, !3!, 2-0
+s 'ustice, :., :/, 2-0, 2--, :/, :!:
Vent ( #jémila 6Le9, !!
E$rit$5Libert$, 2.!, 4:.
E$rit$, !-, :0, 33, .2, .., !!, !., !!!, !!/, !2., !::, !4!, !0!, !.!5!.:, !.-, !/2, !/0,
!//, !-., 22, 24, 2/, 2-, 22/522-, 2.:, 2/0, :!!, :::, ::/, :4, :32, :0, :04, :0., 4!,
4!., 42!, 44/, 40!, 40/, 4.., 3!0, 3::, 3:/
de l'histoire, !33, 2.4, 332
du monde, :0, 44, !/, !-!, 2!2, :2
du r$el, 3:, .., !.!, 240
et bonheur, !4/
idiosyncrasique, 2.
lieu de, !.!5!.:
passion de la, !:., 402
recherche de la, !4/
Vers d'un po3te, -
Eertu, 2, 2:, 2., 33, /!, !4!, !3., !3-, !02, !04, 2!/, 2.., 2/!, 2/-, ::, :4, :03, :0/,
4:0, 3!0, 33!
des humbles, 33530, !02
h$ro]que, 23/
immanente, !--
Eichy, !2/5!:, !00, 22!, 22:5224, 22-52:, 24:, 232, 23:, 23/, 2/, 2/4, 2/0, 2//,
2-:52-4, :!/, 42:
Vie de 2iet5sche 6La9, :!2
Vie de Plotin, !4
Vie du "arquis de Sade, :4!
Eie,
anarchiste, 3:353:0
concr@te et r$elle +s th$or$tique et de concept, !4
e8ercice de la, !-
h$doniste, !.:, 3:3
immanente +s transcendantale, !4
m$diterran$enne, !04, !/2
philosophique, !!, 22524, ::, 3., 0-, .!, .4, //, -2, -:, !-, !:-, !-0, 402, 32!, 3:3, 34!
positive +s n$%ative, 20, 2!, 2!:, 2!., 233, 2.-, :!2, :3., :3-, 34!
pulsion de, !/, 24:, 24., 4!, 3-
unique certitude ontolo%ique, !!
valeur de la, 2/
Eiolence
coloniale, 4:4
de la lib$ration nationale, 4:4
di$t$tique de la, 442
$lo%e de la, :., 32/
l$%itim$e, 2-
r$volutionnaire anarchiste, :0-
Eisc$ralit$, :4, 33, /3, :!4
Eivre
art de, !45!3, /., -!, -:5-4, !/:, 40., 32:
et mieu8 vivre, 24, /.
Voie royale 6La9, !.4
; Eoi8 des Arabes 6La9 ?, 42-
Volonté de puissance 6La9, 0-, .0, /, -!, !-, :!!
Eolont$
de 'ouissance, 0., -!, !3
de puissance, 0-5., .2, .0, .-5/, //, !-!5!-2, 23, 2:3, :!2, :40, :3.5:0
positive, !3:
Eouloir 6le9, ./, /-, !-!5!-2, !-4, 2!2
Eouloir5vivre 6le9, .!, /-, !-2
; Eous sereO 'u%$s sur vos actes ?, 2-0
Voyae au Cono, 43
Voyae d'Ath3nes 6Le9, !20
Voyaeur et son om&re, .3

=alden ou la Vie dans les &ois, 2.

\oi et le commissaire 6Le9, 4/0

F l a m m a r i o n

(dentit$
L'Ordre libertaire
,8er%ue (ntroduction 5 Gne bio%raphie des id$es Chapitre ! 1remi @ re partie 5 Le royaume
m$diterran$en ! 5 I$n$alo%ie d'un philosophe 2 5 La volont$ de 'ouissance : 5 L'e8p$rience
int$rieure du communisme 4 5 Gn %ramscisme m$diterran$en 3 5 Gne m$taphysique de l'absurde
#eu8i @ me partie 5 L'e8il europ$en ! 5 Gne ontolo%ie politique libertaire 2 5 1rincipes d'utopie
modeste : 5 C$l$bration de l'anarcho5syndicalisme 4 5 La %uerre civile d'un Africain 3 5 Gn art de
vivre en temps de catastrophe Conclusion 5 La post$rit$ du soleil Chapitre ! *iblio%raphie (nde8
des noms propres (nde8 th$matique



Table of Contents
(dentit$
L'Ordre libertaire
,8er%ue
(ntroduction 5 Gne bio%raphie des id$es
Chapitre !
1remi@re partie 5 Le royaume m$diterran$en
! 5 I$n$alo%ie d'un philosophe
2 5 La volont$ de 'ouissance
: 5 L'e8p$rience int$rieure du communisme
4 5 Gn %ramscisme m$diterran$en
3 5 Gne m$taphysique de l'absurde
#eu8i@me partie 5 L'e8il europ$en
! 5 Gne ontolo%ie politique libertaire
2 5 1rincipes d'utopie modeste
: 5 C$l$bration de l'anarcho5syndicalisme
4 5 La %uerre civile d'un Africain
3 5 Gn art de vivre en temps de catastrophe
Conclusion 5 La post$rit$ du soleil
Chapitre !
*iblio%raphie
(nde8 des noms propres
(nde8 th$matique


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